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JOSÉ CARLOS SOMOZA ÉTUDE EN NOIR
TRILOGIE DE M.X
traduit de l’espagnol (Espagne) par Marianne Millon
À mon père.
Un jour, tu m’as demandé de rester à la maison. La voici. Restes-y pour toujours.
Pr Lude Pour Les D Funts
Le succès théâtral de la mort est indiscutable : elle reste éternellement à l’affiche et n’a pas besoin de répétitions pour atteindre la perfection.
Sir Henry George Bryant, Étude sur le théâtre anglais (1871).
La mort fut rapide mais agaçante, comme la sensation d’atteindre avec les doigts ce point dans le dos qui vous démange depuis des heures.
Apaisante, rapide, voire confortable.
Il n’y eut ni agonie ni médecin ni ami ou proche pour le pleurer, ni porteurs pour le cercueil, ni chevaux emplumés comme des corbeaux, ni veuve voilée en tête du cortège. L’instant décisif le surprit assis. Puis deux hommes l’emmenèrent hors de la maison à l’intérieur d’un sac. Le reste ne fut pas silence, mais vulgaires secousses de l’attelage tout à fait inapproprié pour son contenu funèbre.
Il faisait nuit quand le véhicule instable s’arrêta. Les deux hommes en descendirent, ouvrirent le sac et le défunt posa les pieds sur le sol. Ils l’invitèrent à entrer dans un lieu parfaitement inconnu. À première vue, une maison en ruine, peut-être une grange. Il s’en dégageait une odeur de bouse de vache et il n’y avait pratiquement pas de meubles. Comme l’au-delà, bien sûr, cela vous faisait perdre la foi.
L’un des hommes s’arrêta dans la pièce la plus spacieuse et alluma une lampe à huile.
Comment vous sentez-vous?
Le défunt eut un air las et indifférent. Cette grande bâtisse inhospitalière ne l’inspirait guère. Il se rappelait sa vie débordante d’activités, et même l’instant de l’éclair final était par comparaison beaucoup plus authentique et agréable que ce néant poussiéreux. Au fait, où était passée la jeune fille à qui il devait sa mort?, se demandait-il. Mais même la science du xixe siècle que connaissait le défunt, avec sa machinerie industrieuse, ses théories sur les singes athées et leur religion anglicane, ne pouvait lui expliquer à quoi ressemblait la vie une fois le dernier seuil franchi. Il supposa qu’il allait s’y habituer. Il n’y avait plus rien de mieux, ni pire non plus.
De surcroît, et il s’en félicita chaudement, il ne resterait fort probablement pas seul pendant très longtemps. L’homme le lui dit plus tard:
—Il va y avoir d’autres morts.
Il se sentit soulagé. Dans son infinie solitude, le cadavre appréciait la perspective d’avoir de la compagnie.