LE LIVRE DU TAWHID (Traité sur l'unicité selon le sunnisme)

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Traduction de l'arabe par J.-D. Luciani, revue et corrigée par A. Penot Distribution : www.ddpme.com

ISBN 978-2-908087-20-8

13,50 €

IMÂM AL-HARAMAYAN AL-JUWAYNÎ

LE LIVRE DU

TAWHÎD Kitâb al-irshâd Traité sur l’Unicité selon le Sunnisme

IMÂM AL-HARAMAYAN AL-JUWAYNÎ

Il existe peu de textes traduits sur la notion d’Unicité divine telle qu’elle est envisagée par l’Islam médiéval, ce qui semble tout de même paradoxal quand on sait la place que cette notion occupe jusqu’à ce jour au sein de la communauté musulmane. Le texte de l’imâm al-Juwaynî (419-478 H /1028-1085), qui fut l’un des maîtres du célèbre al-Ghazâlî et d’al-Ansârî, vient combler cette lacune. Éminent représentant de l’école Ash‘arite, Juwaynî composa l’Irshâd comme une réponse implicite aux Fatimides dont le pouvoir menaçait l’orthodoxie sunnite. C’est pour ainsi dire la raison d’être du Kalâm (autre nom de la théologie islamique) que de répondre aux questions suscitées par des auteurs jugés, à tort ou à raison, comme déviants. Les grands thèmes classiques y sont abordés, tels que la question des attributs divins, l’anthropomorphisme, le rôle de la raison, etc. À ce titre, cet ouvrage est une véritable somme, pour qui veut se faire une idée assez précise de ce qu’était la connaissance élémentaire de tout étudiant (tâlib) à une époque où le profane n’avait pas plus sa place en Occident qu’en Orient.

LE LIVRE DU TAWHÎD

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IMÂM AL-HARAMAYAN AL-JUWAYNÎ

LE LIVRE DU

TAWHÎD Kitâb al-irshâd Traité sur l’Unicité selon le Sunnisme

Traduction intégrale du Kitâb al-irshâd par J.-D. Luciani, revue et corrigée par A. Penot

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Tous droits réservés pour tous pays © Editions Alif 2009 ISBN : 978-2-908087-20-8

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introduction

la théologie islamique médiévale

C’est au cours du 8e siècle de l’ère chrétienne (2e siècle de l’hégire) que le kalâm ou théologie scolastique islamique est apparu parallèlement à la naissance de la philosophie islamique, et cela par suite de la diffusion de la pensée grecque dans le monde musulman. La rencontre de ces deux civilisations s’est opérée au cours du siècle qui suivit la disparition du Prophète en 632. A cette époque en effet, l’expansion musulmane avait gagné la Perse et les pays d’Asie centrale, régions imprégnées d’hellénisme depuis près d’un millénaire, c’est-à-dire depuis les conquêtes d’Alexandre le Grand au 4e siècle avant l’ère chrétienne. L’empire perse des Sassanides servit ensuite de terre d’asile aux philosophes grecs en butte à l’hostilité marquée de certains courants chrétiens et que Tertullien considérait déjà dès la fin du 3e siècle de l’ère chrétienne comme les “patriarches des hérétiques”. Enfin, c’est également en Perse que les chrétiens nestoriens trouvèrent refuge pour échapper aux persécutions dont ils étaient les victimes depuis leur condamnation par le concile de Chalcédoine en 451, concile qui mettait un terme à une controverse théologique sur la nature du Christ datant du concile d’Ephèse en 431. Ils purent ainsi maintenir l’école de philosophie fondée au 3e siècle à Jundishâpûr, près d’Ahvâz en Perse, puis diffuser la pensée grecque jusqu’au Yémen jouant ainsi un rôle déterminant dans sa transmission à la civilisation islamique. Et lorsqu’en 529, commander --> www.ddpme.com

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introduction

l’empereur chrétien Justinien prit la décision de fermer les écoles philosophiques d’Athènes, sept des derniers philosophes néo-platoniciens gagnèrent à leur tour la Perse. C’est donc dans ce contexte très particulier que se produisit la rencontre de la révélation islamique et de la philosophie grecque. Il faudra attendre la seconde moitié du 8e siècle pour voir se développer dans le monde musulman une intense activité de traduction de textes grecs. Cette immense entreprise fut la poursuite, à une plus grande échelle et de manière plus méthodique, du travail entrepris antérieurement, notamment par les nestoriens. A Baghdâd, en 832, le calife al-Ma’mûn créa le Bayt al-Hikma, la Maison de la Sagesse. Le chrétien jacobite Yahya b. Masûyah en assura la direction jusqu’à sa mort en 857. Il eut pour successeur à cette fonction son élève Husayn b. Ishâq (809-873). Ce dernier, né à Hira (BasEuphrate) dans une famille arabe chrétienne nestorienne, devint le plus célèbre traducteur d’ouvrages grecs en syriaque et en arabe. L’ensemble du vocabulaire technique en langue arabe de la théologie et de la philosophie islamiques s’y élabora tout au long du 9e siècle. Il convient de mentionner aussi l’existence à cette époque de la très importante école de traduction des sabéens de Harrân, installée à proximité d’Edesse. Ainsi au milieu du 10e siècle étaient disponibles en langue arabe la totalité du corpus aristotélicien, trois dialogues de Platon, des extraits des trois dernières Ennéades de Plotin, des extraits conséquents de certains traités de Proclus, des recueils de sentences et apophtegmes et surtout un grand nombre d’ouvrages apocryphes attribués à Platon et à Aristote. Tous ces textes furent traduits en arabe, soit directement à partir du texte grec, soit par l’intermédiaire de traductions syriaques. Aujourd’hui encore la fiabilité de ces traductions en arabe n’est pas remise en cause : elles témoignent de la grande maîtrise dont leurs auteurs faisaient preuve dans l’usage des langues grecque et syriaque, au point qu’elles sont encore utilisées à l’occasion de corrections des textes grecs eux-mêmes. Enfin, et ce n’est pas le moindre des mérites de ces traducteurs arabes, de nombreux textes grecs perdus ont pu ainsi être reconstitués grâce à leurs travaux. – 6 –commander --> Kitâb al-Irshâd 2009 07 24.indd 6

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la théologie islamique médiévale

La philosophie grecque joua un rôle fondamental dans le processus de formation de la philosophie et de la théologie islamiques. Aristote en constitua la pierre angulaire, mais un Aristote revu et, en quelque sorte, corrigé à la lumière du néo-platonisme qui à cette époque était florissant chez les nestoriens et à la cour des Sassanides. Un ouvrage pseudépigraphe eut une influence considérable sur la philosophie islamique ; il s’agit de la célèbre Théologie dite d’Aristote, en réalité une paraphrase des trois dernières Ennéades de Plotin. C’est cet ouvrage qui, semble-t-il, détermina de nombreux philosophes musulmans à tenter de démontrer l’existence d’un accord profond entre philosophie platonicienne et philosophie aristotélicienne. Le rôle de premier plan joué par les savants syriens ne doit pas faire oublier pour autant l’influence des savants perses à la cour des Abbassides, notamment dans les domaines de l’astronomie et de l’astrologie. Ainsi, le Perse Abû Sahl b. Nawbakht participa à la fondation du Bayt al-Hikma puis devint directeur de la bibliothèque de Baghdâd sous le califat de Hârûn al-Rashîd. C’est tout cet héritage hellénistique qui sera transmis à l’Occident chrétien au 12e siècle grâce au travail du centre de traduction de Tolède. Naissance de la théologie islamique Les premiers temps de l’islam ne connurent ni philosophie ni théologie. Les croyants se contentaient de se conformer en matière de croyances et de comportements à ce qui avait été établi clairement par le Coran et par les commentaires qui en avaient été faits par le Prophète et les Compagnons. Tout un travail de recension, destiné à constituer un corpus doctrinal, légal et coutumier selon des normes extrêmement rigoureuses, fut alors accompli par ceux que l’on nomme les traditionnistes, les ahl alhadîths. C’est l’expansion musulmane qui, par le contrôle de nouveaux territoires et la conversion des peuples conquis, créa des situations nouvelles et rendit indispensable la résolution de questions que jusqu’alors la communauté, composée en majorité de tribus arabes, n’avait jamais envisagées. De – 7 –commander --> Kitâb al-Irshâd 2009 07 24.indd 7

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introduction

là naquirent les écoles juridiques qui, confrontées à de nouveaux points de droit, durent apporter des réponses et des points de vue nouveaux. L’une de ces questions, ayant trait à la légitimité de l’exercice du califat, prit une importance considérable. Un calife qui commettait des péchés et dont le comportement était manifestement contradictoire avec les principes de la révélation islamique pouvait-il exercer légitimement le pouvoir ? A cette question, les kharijites répondirent sans la moindre ambiguïté par la négative, refusant même à l’individu concerné la qualité de musulman. A contrario, les murji‘ites défendirent l’idée selon laquelle la question du péché relevait de la seule miséricorde divine. Les implications de ce débat sur une question somme toute assez restreinte et aux enjeux plus politiques que théologiques prirent cependant une ampleur insoupçonnée en posant clairement le problème de la responsabilité du croyant vis-à-vis du péché. Deux écoles se constituèrent : ̾​̾ la qadiriyyah, pour qui l’homme est absolument libre et créateur de ses propres actes et donc entièrement responsable de ceux-ci. ̾​̾ la jabariyyah, pour qui les actions de l’homme sont totalement déterminées à l’avance. A vrai dire ces diverses écoles n’avaient pas pour ambition de faire une interprétation systématique de la révélation. Elles se contentaient d’apporter des réponses à des questions ponctuelles. De la même manière, des spirituels reconnus pour leur piété et leur science, comme Hasan alBasri, mais aussi certains chefs politiques, se trouvèrent dans la situation de devoir assumer individuellement un rôle similaire. De fait il ne s’agissait pas encore à proprement parler ni de théologie ni de philosophie mais de droit canonique, fiqh, considéré comme un droit canonique majeur, al-fiqh al-akbar. Philosophie et théologie ne se distinguaient pas à leurs débuts de l’étude des Aqâ’id ‘ al-dîniyya, qui constituent l’ensemble des fondements principiels de la religion. Les mu‘tazilites furent les premiers à témoigner de l’influence de la philosophie grecque dans la pensée islamique même s’il n’est pas toujours aisé de faire la part des choses entre ce qui relève de la philosophie et ce qui traite plus spécifiquement de questions théologiques. Ceci n’est – 8 –commander --> Kitâb al-Irshâd 2009 07 24.indd 8

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d’ailleurs pas propre à l’islam. Toute la pensée médiévale, qu’elle soit juive, chrétienne ou musulmane, n’était pas encore victime des conceptions laïques naissantes prétendant émanciper la philosophie de la théologie. Les deux sciences étaient étroitement liées, la première demeurant dans la dépendance et sous le contrôle de la seconde, ce qui est somme toute une situation normale dans des sociétés traditionnelles. Avant tout rationalistes, les mu‘tazilites vont finir par être perçus comme défendant des thèses dangereuses pour la foi puisqu’elles tendent à altérer la doctrine islamique en l’adaptant aux exigences de la raison alors que la doctrine islamique puise quand à elle sa source conjointement dans la révélation coranique et dans la tradition prophétique, la sunna. Les mu‘tazilites Apparus à la fin du califat omeyyade, les mu‘tazilites se caractérisent par la place qu’ils donnent à la raison, al-‘aql, dans l’interprétation de la doctrine. Leurs premiers représentants furent Wâsil ibn ‘Atâ et ‘Amr b. ‘Ubayd. Au début du 9e siècle, l’école mu‘tazilite produisit trois brillants penseurs en les personnes d’Abû-l-Hudhayl, d’al-Nazzâm et de Bishr b. al-Mu’tamir. Le mu‘tazilisme utilisa les outils de la philosophie grecque et se servit de la raison pour tenter de régler certaines questions théologiques. Il donna ainsi naissance au kalâm, la théologie islamique. La pensée des mu‘tazilites s’articule autour de cinq thèses principales : ̾​̾ Al-tawhîd. Cette conception de l’unicité divine selon laquelle les attributs divins sont un (c’est-à-dire non multiples) et inséparables de l’essence divine amena graduellement les mu‘tazilites à nier purement et simplement les attributs et à affirmer la nature créée du Coran puisqu’il ne saurait être question selon eux de parole divine. ̾​̾ Al-‘adl. L’idée que les mu‘tazilites se faisaient de la justice divine eut pour conséquence l’affirmation du libre-arbitre de l’homme. ̾​̾ Al-wa‘d wa-l-wa‘îd. La théorie de “la promesse et la menace” affirme la prépondérance de la justice divine sur la miséricorde, proposition qui les conduisit à nier toute possibilité d’intercession, shafâ‘a, au jour du jugement. – 9 –commander --> Kitâb al-Irshâd 2009 07 24.indd 9

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Al-manzila bayna-l-manzilatayn. ���������������������������������� Les mu‘tazilites envisagent également l’existence d’une station intermédiaire 1, station qui serait occupée par le musulman coupable d’avoir transgressé la loi. La thèse mu‘tazilite sur cette question place le musulman pécheur dans une situation distincte de celle du musulman et du non-musulman, dans une sorte d’entre-deux. ̾​̾ Al-amr bi-l-ma‘rûf wa-n-nahy’ ‘an al-munkar. “Ordonner le bien et interdire le mal”. Cette obligation de commander le bien constitue selon eux la base de l’ordre social. En 212/827, le calife abbasside al-Ma’mûn décida d’imposer les thèses mu‘tazilites comme doctrine officielle. Il institua même pour cela une mihnâh, procédure inquisitoriale destinée à vérifier la position des différentes autorités religieuses. Pareille attitude allait bien évidemment provoquer des résistances. Le conflit se cristallisa principalement sur la question de la nature créée du Coran. Ibn Hanbal maintint fermement le dogme orthodoxe du Coran incréé, en le déclarant incréé “de la première à la dernière page”. Il connut pour cela la prison et le fouet, et cette attitude courageuse lui valut alors une grande réputation. Ce n’est que sous le califat d’al-Mutawakkil vers 850 que la doctrine mu‘tazilite fut condamnée et qu’elle connut un rapide déclin, ne bénéficiant plus désormais de l’appui du pouvoir. L’ash‘arisme prit alors sa suite comme une position médiane entre les thèses mu‘tazilites et celles des traditionalistes littéralistes de l’école hanbalite. L’ash‘arisme Abû-l-Hasan al-Ash‘arî est né à Baçra en 260/873. Il y vécut jusqu’à l’âge de 40 ans. Elève d’al-Jubba’î, il commença par être mu‘tazilite avant de rallier la cause des hanbalites bien que ces derniers n’aient jamais accordé une grande place à la philosophie. 1. Litt. : une position entre deux positions

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Malgré cette rupture avec le mu‘tazilisme, il continua cependant à recourir à des méthodes dialectiques et rationnelles mais en excluant la divinité du champ spéculatif. Il utilisa pour cela la formule bilâ kayfa, (sans soumettre Dieu à un “comment ?”). Al-Ash‘arî considérait que les actes de Dieu étaient impénétrables et au-delà de toute évaluation. La volonté divine était perçue comme étant hors d’atteinte de la compréhension humaine à un point tel qu’elle en devenait un absolu en soi, au- delà de toute logique. Ainsi, Dieu pourrait punir les gens pieux en les envoyant en enfer. Nous sommes ici à l’exact opposé de la doctrine mu‘tazilite qui réduisait la transcendance du divin et son action verticale à la dimension horizontale et logique de l’être humain. Il fut de fait à l’origine d’un rationalisme amendé, une sorte de mu‘tazilisme réformé, et adopta dans cette perspective une position de juste milieu entre le rationalisme mu‘tazilite et le littéralisme hanbalite, réconciliant la philosophie et la théologie en définissant le domaine propre à chacune des deux disciplines. Il affirma l’existence des attributs divins tout en précisant leur caractère inexplicable et défendit le libre-arbitre relatif de l’homme par le biais de la doctrine du kasb, l’acquisition. Ainsi, tout acte, même le simple fait de lever un doigt, est créé par Dieu mais les actes volontaires constituent un acquis dont l’homme seul assume la responsabilité ce qui lui vaudra d’être récompensé ou châtié selon les cas. Ainsi, l’affirmation d’un libre-arbitre humain relatif permet-elle d’affirmer dans le même temps la responsabilité de l’homme mais sans perdre de vue que tout acte, aussi blâmable soit-il, trouve son origine en Dieu, son Créateur. Insistant sur la toute-puissance de la volonté divine, al-irâda, il développa une conception de l’univers fondée sur la création continue. Son “credo” est tout à fait représentatif des exposés de la foi qui seront développés ultérieurement dans le monde islamique. L’influence considérable d’al-Ash‘arî est l’œuvre de ses disciples qui construisirent sur les bases de sa pensée un véritable modèle doctrinal. Nous retiendrons parmi ses nombreux ouvrages : Al-ibânah ‘an usûl ad-diyânah, L’Exposé des fondements de la religion ; Maqâlât al-islâmiyyîn, Les Aphorismes de ceux qui professent l’islam ; Risâlah fî istihsân al-khawd fî-l– 11 –commander --> Kitâb al-Irshâd 2009 07 24.indd 11

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introduction

kalâm, Épître sur la validité de l’argumentation théologique ; et Al-kitâb ashsharh wa-t-tafsîl, Le Livre du commentaire détaillé. L’imâm al-Haramayn al-Juwaynî L’imâm ‘Abd al-Mâlik al-Juwaynî, auteur du traité al-Irshâd, est né le 18 muharram 419/17 février 1028 à Bushtanikân, village proche de Nishâpûr. Ce théologien perse qui se rattachait à l’école du ‘ilm-al-kalâm d’al-Ash‘arî dut quitter son pays par suite des persécutions menées contre les ash‘arites par ‘Amid al-Mulk al-Kundurî, vizir du seljoukide Toghrul Beg. Il se rendit d’abord à Baghdâd puis, lorsque les Turcs seljoukides ravirent de fait le pouvoir aux Bouyides shî‘ites, qui le détenaient dans cette ville et contrôlaient la majeure partie de l’est de l’empire abbasside, il se réfugia dans le Hijâz. Il enseigna durant quatre années à La Mecque ainsi qu’à Médine, ce qui lui valut le surnom honorifique de imâm al-Haramayn, l’imâm des deux enceintes sacrées. Lorsque les Seljoukides comprirent la nécessité de s’appuyer sur la théologie ash‘arite pour faire face au danger que représentaient les Fatimides, al-Juwaynî put, avec d’autres exilés, rentrer en Perse. Il bénéficia alors de la protection du vizir Nizâm al-Mulk qui lui fit construire une madrasa à Nishâpûr, la Nizâmiyya, où il enseigna jusqu’à sa mort survenue le 25 rabî‘ ii 478/20 août 1085. Il fut l’un des professeurs de l’imâm al-Ghazâlî et d’al-Ansârî. C’est en qualité de maître du kalâm que al-Juwaynî a marqué profondément la pensée musulmane. Son œuvre traite aussi bien des fondements de la jurisprudence, usûl al-fiqh, que de la théologie, ‘ilm al-kalâm. Il est l’auteur du Shâmil et du Kitâb al-irshâd ilâ kawâti’ al-adilla fî-l-usûl, Le guide vers les preuves décisives établissant les principes de la croyance. Cet ouvrage est considéré comme représentant la forme la plus achevée de la théologie ash‘arite. Trois aspects caractérisent principalement sa pensée : ̾​̾ le recours à une problématique influencée par celle de l’école mu‘tazilite mais dont les thèses sont rejetées ; – 12 –commander --> Kitâb al-Irshâd 2009 07 24.indd 12

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l’importance, donnée dans la théorie de la connaissance et en ce qui concerne les attributs divins à la notion de ahwâl, modalités, dans la continuité du théologien mu‘tazilite Abû Hâshim ; ̾​̾ l’importance donnée aux méthodes rationnelles et à l’utilisation du “raisonnement à trois termes” de type aristotélicien. Al-Juwaynî incarne donc pleinement la tradition ash‘arite tout en y incluant des tendances méthodologiques qui lui sont propres, principalement dans la présentation des problèmes, la conduite des discussions et l’importance qu’il accorde aux asbâb, les canaux par lesquels l’homme accède à la connaissance. Sa préoccupation essentielle sera, tant pour le kalâm que pour le fiqh, la question des usûl, les fondements, les principes. Al-Irshâd La traduction du Kitâb al-Irshâd qui suit est une réédition de la publication faite en 1938 du texte arabe et de sa traduction préparée antérieurement par J.-D. Luciani. La présentation du texte est restée malheureusement inachevée en raison du décès de l’éditeur-traducteur en 1932. L’ouvrage comprend trente-cinq chapitres d’importance inégale, euxmêmes subdivisés en un certain nombre de sections. Les principaux thèmes abordés sont ceux qui constituent l’essence même de la théologie ash‘arite : les attributs nécessaires de Dieu ; les attributs qualitatifs ; la preuve de la connaissance des attributs ; la parole, les mots et les noms de Dieu ; la création des actions humaines ; la justice et l’injustice ; les récompenses, les peines et la purification des actions humaines. On trouvera sans doute assez curieux que ce traité se termine dans ses chapitres 32, 33, 34 et 35 par la question du califat et de la légitimité de celui qui occupe cette fonction. Le contexte de lutte politique entre les Turcs seljoukides, devenus des défenseurs intransigeants du sunnisme, et les Fatimides, un des nombreux rameaux du shi‘isme, constitue sans doute une explication possible. C’est d’ailleurs dans un de ses ouvrages Ghiyâth al-Umam, Le Salut des Nations, qu’est exposée sa doctrine du califat. Traditionnellement considéré comme une prérogative des Qurayshites, l’exercice du califat pouvait être au contraire, par nécessité, assumé selon – 13 –commander --> Kitâb al-Irshâd 2009 07 24.indd 13

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al-Juwaynî par quiconque était en mesure d’assurer un gouvernement juste à ses sujets. Et c’est vraisemblablement à son protecteur Nizâm alMulk qu’il pensait en écrivant cela. Nous avons pris le parti de modifier quelques termes de cette traduction tels que “catéchisme, contrition, souveraineté”, datant d’une époque où l’appareil sémantique utilisé par les orientalistes occidentaux faisait un peu trop “couleur locale”. D’aucuns pourraient s’étonner voire s’interroger sur l’opportunité de publier aujourd’hui un texte de théologie islamique “vieux” de presque dix siècles. Qu’ils se rassurent. A l’heure où l’édition islamique en France présente trop souvent le pire au détriment du meilleur, il est apparu tout à fait opportun aux Éditions Alif de mettre à la disposition d’un public francophone, musulman ou non, l’un des grands textes de la pensée islamique dont rien ne justifiait qu’il restât dans le domaine réservé et feutré d’une certaine critique universitaire. Souhaitons que ce “Guide” apporte réponses et arguments à ceux qui, peut-être plus nombreux qu’on ne se l’imagine, recherchent avec une intention droite la voie de l’islam traditionnel qui est, aujourd’hui comme hier, aux antipodes du modernisme rationaliste comme du fondamentalisme, notamment dans la variante wahhabite que nous connaissons actuellement. Avertissement de l’Éditeur Globalement la traduction de Mr Luciani a été respectée, mais il convient de prévenir le lecteur que nous nous sommes permis de modifier sa traduction dans deux types de cas précis : ̾​̾ lorsque les termes revêtaient une connotation trop marquée qui ne nous semblait guère compatible avec l’esprit du texte. C’est ainsi que nous avons remplacé des mots tels que “catéchisme” par opuscule, ou “pontificat” par imâma, invisible 2 par non-manifesté, etc. ; 2. Le mot “invisible” est trop marqué, à notre sens, par l’usage qu’en ont fait les occultistes

du début du xxe siècle.

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lorsque la traduction nous paraissait tout à fait incompréhensible, nous l’avons modifiée de façon à la rendre intelligible ; cela ne se produit qu’en deux ou trois endroits du texte. Nous espérons que ces libertés nous seront pardonnées, sachant qu’elles n’ont d’autre but que de donner à ce texte une plus grande lisibilité. L’éditeur

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LE GUIDE VERS LES PREUVES DECISIVES DES PRINCIPES DE LA CROYANCE Par l’imâm al-Haramayn

Préambule

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Béni soit notre Seigneur et notre Maître Muhammad, ainsi, que sa famille. Louange à Dieu qui crée les vivants et qui ressuscitera les morts ; qui mesure les biens et disperse les peuples, dirigeant les uns dans la bonne voie, égarant les autres dans l’erreur et le péché ; qui fait éclater la vérité par des signes manifestes, et bannit l’impiété et le mensonge ; qui, au moment où les hommes couraient à la perdition et abandonnaient la justice, leur a envoyé le Prophète pour répandre parmi eux la bonne parole et les avertissements, pour les appeler à Dieu, suivant Ses ordres, et pour répandre la lumière. Persuadé que les connaissances théologiques sont le gage du salut éternel, et la sauvegarde de la grâce ; voyant d’autre part que les ouvrages développés consacrés aux démonstrations de la doctrine religieuse sont commander --> www.ddpme.com

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Préambule

négligés par les hommes de ce temps ; que les exposés de cette doctrine 1 ne contiennent pas de démonstrations décisives, j’ai pensé à suivre une méthode qui, en groupant les arguments [dogmatiques] irréfutables et les preuves rationnelles, se tient au-dessus de celle des traités de tawhîd ordinaires, et en-deçà des ouvrages les plus développés. Que Dieu nous assiste et nous dirige, car de Lui seul vient toute faveur.

1. Les mots ‘aqîda, mu‘taqad, croyance, ou doctrine, ont pris par extension, chez les théologiens musulmans, le sens spécial d’exposé des principes de la croyance. C’est précisément le sens du mot catéchisme dans notre langue : au début et suivant son étymologie grecque, le mot catéchisme a signifié instruction sur la foi, sur les dogmes et les préceptes de la religion ; puis, par extension on a donné le nom de catéchismes aux livres qui contiennent cette instruction, et enfin plus particulièrement à ceux qui sont rédigés par demandes et réponses. Toutes ces acceptions se retrouvent dans le terme arabe ‘aqîda, y compris la dernière. En effet, les formules in qîla, si on dit, qulna, nous disons, qu’on trouve si fréquemment dans l’Irshâd, et dans presque tous les traités analogues, ne sont en réalité que des formules de demandes et de réponses. (Pour des raisons d’usage nous avons remplacé le mot catéchisme qui désigne dans le vocabulaire courant une instruction religieuse élémentaire, voire sommaire par celui plus approprié de traité de tawhîd ou doctrine de l’unité. Note de l’éditeur.)

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chapitre i

les caractères du raisonnement

Le premier devoir de tout homme sain d’esprit, parvenu à la puberté, soit par l’âge légal, soit par les rêves nocturnes [marquant son développement physique], suivant les règles du dogme, est de chercher 1 à raisonner sainement pour se convaincre de la contingence du monde. Le raisonnement 2, dans la technologie des théologiens, est la réflexion tendant à acquérir la science ou une simple opinion 3. On distingue deux espèces de raisonnement, le juste et le faux 4. 1. Litt. : l’intention de raisonner sainement. Par le mot intention, l’auteur prend parti sur

un point controversé dans la théologie musulmane, celui de savoir si l’intention suffit, ou s’il faut raisonner effectivement. 2. Le mot spéculation, par lequel on traduit ordinairement celui de nadhar, se justifie par une ressemblance d’étymologie plutôt que par une identité de signification. Si le verbe arabe nadhara, observer, correspond bien au latin speculare, le substantif est employé ici dans le sens de réflexion et de raisonnement. Or, la science du raisonnement n’est pas purement spéculative ou théorétique ; elle est en même temps pratique, comme le prouve la discussion sur le point de savoir si la logique est une science ou un art. 3. Il faut entendre ici par science, ‘ilm, la connaissance accompagnée de certitude et conforme à la réalité, al-i‘tiqâd al-jâzim al-mutâbiq li-l-wâqi‘‚ et par opinion, ra’y, la croyance probable avec possibilité du contraire, al-i‘tiqâd al-râjih ma‘a ihtimâl al-naqîd. On trouve ici la distinction faite par les philosophes grecs entre la science et l’opinion. 4. Cette division porte sur les caractères du raisonnement plutôt que sur sa nature essentielle. commander --> www.ddpme.com

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chapitre i

Le raisonnement juste est celui qui conduit à saisir la raison probante de la preuve 5 ; le faux est celui qui n’y conduit pas. Tantôt le raisonnement est faux parce qu’il s’écarte dès le début des règles de la preuve. Tantôt, quoique partant d’un principe juste, il manque son but par suite de la survenance d’un empêchement 6. Observation – Un groupe de docteurs anciens a nié que le raisonnement aboutisse à la science, et a soutenu que celle-ci est fournie par les sens 7. Comment peut-on combattre cette opinion ? Réponse – On la réfute par dichotomie en disant : Prétendez-vous être sûrs de l’inefficacité 8 du raisonnement, ou bien en doutez-vous seulement ? S’ils répondent qu’ils en sont certains, ils se mettent en contradiction avec leur doctrine, en ce qu’elle affirme que la science est fournie par les sens seulement. En effet, la connaissance de la fausseté du raisonnement sort de la catégorie des choses sensibles. Nous leur disons en outre : La connaissance que vous avez de la fausseté du raisonnement est-elle une connaissance nécessaire ou une connaissance discursive ? S’ils prétendent que c’est une connaissance nécessaire, ils soutiennent une imposture manifeste. Ils ne pourraient d’ailleurs éviter qu’on oppose à leur affirmation l’affirmation contraire. S’ils soutiennent qu’ils ont reconnu l’inefficacité du raisonnement par le raisonnement, ils sont en contradiction avec eux-mêmes, puisqu’ils repoussent le raisonnement en général, et affirment qu’il ne conduit pas à la connaissance, et que d’autre part ils s’appuient sur une des espèces du raisonnement et reconnaissent qu’il procure la connaissance. Observation – On peut nous dire : Quand, de votre côté, vous affirmez que le raisonnement conduit à la connaissance, vous appuyez-vous 5. Litt. : la manière par laquelle la preuve prouve, al-wajhu lladhî minhu yadullu al-dalîl. 6. Un empêchement tel que le sommeil ou l’évanouissement, muqtara. 7. D’après les commentateurs, ce passage fait allusion à la doctrine des Sumania, ou

à celle des sceptiques, sufsataïya, qu’il ne faut pas confondre avec les sophistes (Schmôlders, Étude sur les écoles philosophiques chez les Arabes, p. 110 et 112). En réalité l’imâm al-Haramayn prend parti pour le rationalisme contre le sensualisme ou empirisme, et on peut voir là une seconde indication sur les études philosophiques qui lui ont été reprochés plus tard. 8. Le texte dit fausseté, et non inefficacité ; mais le sens n’est pas douteux. – 20 –commander --> Kitâb al-Irshâd 2009 07 24.indd 20

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sur l’évidence, ou sur le raisonnement ? Dans le premier cas, l’objection que vous nous opposez se retourne contre vous. Dans le second cas vous prouvez la chose par la chose elle-même, ce qui n’est pas admis. Réponse – Cette observation a-t-elle un intérêt pour vous, ou bien n’a-t-elle aucun intérêt ? Si, à cette question, ils répondent que l’observation ne peut ni procurer une connaissance, ni conduire à un jugement, ils reconnaissent qu’elle est oiseuse, et nous dispensent d’y répondre. S’ils prétendent que leur objection prouve la fausseté de notre argumentation, ils s’appuient sur un mode de raisonnement pour arriver à nier tout raisonnement. Si enfin ils répondent qu’ils veulent opposer ainsi, le faux au faux nous leur opposons encore la division, et nous disons : Opposer le faux au faux, c’est une des formes du raisonnement. Nous ajoutons que rien n’empêche de prouver l’utilité de toutes les espèces du raisonnement au moyen de l’une d’elles, qui se justifie elle-même en même temps qu’elle justifie les autres. C’est ainsi que la connaissance s’applique aux choses connaissables et s’applique à soi-même, puisque par la connaissance on connaît la connaissance, comme toutes les autres choses connaissables. L’auteur de la question peut encore dire : Je ne me prononce pas formellement sur l’inanité du raisonnement, et vous ne pouvez pas m’opposer vos distinctions. Je suis simplement dans le doute et je cherche à m’éclairer. Réponse – Puisque vous cherchez à vous éclairer, vous n’avez qu’à examiner loyalement les démonstrations, et à employer une méthode sûre. Si votre raisonnement est juste, et si vous considérez les choses sainement, elles vous conduiront à la connaissance. Si, après avoir raisonné comme on vous l’indique, vous persistez à nier que le raisonnement juste conduit à la connaissance, votre parti pris est démontré, et votre désir de vous éclairer est démenti. Section 1 Le raisonnement a pour contraire la connaissance de la chose sur laquelle on raisonne, l’erreur sur cette chose et le doute. Il a pour contraire la connaissance, parce que le raisonnement, c’est la recherche de la – 21 –commander --> Kitâb al-Irshâd 2009 07 24.indd 21

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connaissance et le désir de la posséder, ce qui est l’opposé de la connaissance réalisée ; on ne cherche pas ce qu’on possède déjà. Il a pour contraire 9 l’erreur, parce que l’erreur consiste à croire que la chose est autrement qu’elle n’est ; celui qui croit le faux s’attache à ce qu’il croit, ce qui exclut la recherche et l’examen. Quant au doute, c’est l’hésitation entre deux croyances, alors que le raisonnement est la recherche de la vérité ; le doute est donc l’opposé de la connaissance et de tous ses contraires. Section 2 Quand le raisonnement juste est complet et régulier et qu’il n’est suivi d’aucune défectuosité faisant obstacle à la connaissance, celle-ci s’ensuit directement aussitôt qu’il est achevé. Celui qui a raisonné ne peut plus se tromper ensuite tant qu’il en conserve le souvenir. Le raisonnement ne produit pas d’ailleurs la connaissance médiatement, ni obligatoirement comme la cause efficiente, ‘illa, produit l’effet 10. Cependant les mu‘tazilites 9. La pratique qui consiste à expliquer une chose non seulement par ses caractères propres, mais aussi par ses contraires, est assez commune chez les théologiens arabes. Elle est visiblement empruntée aux philosophes grecs, surtout à Aristote (Cf. notamment les Catégories). 10. C’est une question controversée, chez les théologiens musulmans, de savoir si le raisonnement assure la connaissance de la conclusion. Il y a, sur ce sujet, quatre opinions qui, dans la réalité, se réduisent à trois écoles de pensée. Suivant la première, qui est celle des théologiens orthodoxes, c’est Dieu qui crée la connaissance de la conclusion à la suite du raisonnement, sans intermédiaire, et sans autre influence que celle de Dieu, de même que nul autre que Dieu n’a d’action sur aucune des choses possibles. Les partisans de cette école se divisent ensuite en deux groupes. Pour les uns, parmi lesquels l’imâm al-Haramayn, et, d’après al-Ghazâlî, la plupart des théologiens orthodoxes, la corrélation entre le raisonnement et la connaissance de la conclusion est purement logique, ‘aqlî, c’est-à-dire fondée sur la raison comme la corrélation de l’accident et de la substance ; et la puissance de Dieu ne crée pas l’un sans l’autre, parce que cela est impossible. La puissance divine les crée simultanément, ou les néglige simultanément, comme toutes les choses qui se produisent avec leurs corrélatifs. Que d’ailleurs la corrélation des deux contingents soit fondée sur la raison, cela n’empêche pas que chacun des deux ne soit produit par la libre volonté du Tout-puissant, car la vérité est que chacun des deux peut être ou n’être pas réalisé par Dieu, suivant qu’Il lui plaît. Mais il est évident qu’il ne le réalise que de la manière où cela est possible, et non comme impossible. Dans

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prétendent que le raisonnement produit la connaissance médiatement. Ils reconnaissent avec nous que le souvenir du raisonnement ne produit pas la connaissance médiatement, bien qu’il renferme la connaissance 11. Nous expliquerons plus loin en son lieu la doctrine de la production médiate. Objection – Si le raisonnement ne produit pas la connaissance médiatement, ni obligatoirement comme la cause efficiente produit l’effet, que doit-on entendre quand on dit que le raisonnement renferme la connaissance ?

une autre opinion, qui est celle d’Abû al-Hassan al-Ash‘arî, la corrélation entre le raisonnement et la connaissance de la conclusion est empirique, ‘âdî, comme la corrélation entre la brûlure et le contact du feu. Il peut arriver que Dieu, par dérogation à l’état habituel des choses, ne crée pas la brûlure. Cette opinion, dit un théologien, est la plus plausible, parce que les connaissances contingentes sont des accidents qui se succèdent l’un à l’autre. Qu’est-ce qui empêche que Dieu crée chez l’homme la connaissance des deux prémisses coordonnées entre elles, sans créer ensuite en lui la connaissance de la conclusion ? Le second système est celui des mu‘tazilites, qui soutiennent que la connaissance de la conclusion s’acquiert par action médiate ou indirecte, tawallud. Ils entendent par là que le fait réalisé par un agent entraîne nécessairement un autre fait, comme le mouvement de la main entraîne nécessairement le mouvement de la clef qui est dans la main. Donc, d’après ce système erroné, le raisonnement est créé par l’homme, comme le mouvement de la main, et la connaissance de la conclusion est créée par lui par l’intermédiaire de son premier acte, qui est le raisonnement, comme le mouvement de la clef. Il suffit, pour réfuter cette doctrine, du concours des preuves décisives tant rationnelles que dogmatiques qui établissent que Dieu seul est l’auteur de toutes choses. Le troisième système est celui des péripatéticiens musulmans, qui déclarent que la connaissance de la conclusion du raisonnement s’acquiert par voie de nécessitation essentielle, c’est-à-dire par l’action de la cause elle-même sur son effet. Suivant eux, le raisonnement est une cause qui produit par elle-même la connaissance de la conclusion. Ils estiment qu’il est impossible, pour la raison, que la cause n’agisse pas sur son effet. C’est là une de leurs extravagances, qu’ils n’appuient d’aucun semblant de vérité. Les arguments péremptoires que fournit la théologie démontrent que Dieu est le créateur de toutes choses contingentes, et suffisent à montrer la fausseté de la doctrine des philosophes musulmans. Commentaire d’al-Bannânî sur le Sullam, Le Caire, 1318 (1900-1901), pp. 210-212. 11. D’après les commentateurs, en disant que le raisonnement renferme, yatadhamman, la connaissance, on entend qu’il y a connexité ou corrélation, talâzum, entre l’un et l’autre. – 23 –commander --> Kitâb al-Irshâd 2009 07 24.indd 23

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Réponse – On entend par là que, lorsque le raisonnement juste a précédé, et qu’il n’y a eu ensuite aucune défectuosité, on est certain de connaître l’objet du raisonnement ; et de même l’existence des deux (raisonnement et connaissance) s’impose, sans que l’un des deux produise l’autre obligatoirement, ni qu’il lui donne l’existence, ni qu’il le produise médiatement. Il en est du raisonnement et de la connaissance, comme de la volition d’une chose, et de la connaissance de cette chose, puisqu’on ne saurait vouloir une chose sans la connaître. Mais leur connexité n’exige pas que l’une des deux produise l’autre, ou qu’elle l’entraîne obligatoirement ou médiatement. Section 3 Le raisonnement juste renferme la connaissance, comme il a été dit, tandis que le raisonnement faux ne renferme ni connaissance, ni erreur, ni aucun des contraires de la connaissance, en dehors du raisonnement luimême 12. En effet, le raisonnement juste révèle à son auteur la raison pour laquelle la preuve entraîne la connaissance de la chose à prouver. Mais quand le raisonnement est faux par suite de sa rencontre avec le paralogisme, le paralogisme ne se lie réellement d’aucune manière à une croyance quelconque ; car si le paralogisme se liait réellement d’une manière quelconque à une croyance, ce serait une démonstration, et la croyance serait une connaissance [exacte]. Ce qui le prouve clairement, c’est que la démonstration, tirant sa force probante de ses caractères essentiels, procure à celui qui la saisit la connaissance de la chose à prouver. Si le paralogisme se liait de même [à une croyance], celui qui en connaîtrait la nature serait conduit à l’erreur 13. Or, il n’en est pas ainsi. 12. Lâ yatadammanu jahlan wa lâ diddan min addâd al-‘ilm.

Litt. : ne renferme ni erreur ni aucun des contraires de la connaissance excepté lui. Les deux commentaires d’al-Muq­ tara et d’Ibn Baziza sont d’accord pour affirmer que par les mots “excepté lui” l’auteur a voulu dire excepté le raisonnement faux, qui est aussi un des contraires de la connaissance. Cette interprétation, si on l’admet, ne fait qu’accentuer la bizarrerie de la formule employée par l’auteur. 13. Al-Muqtara admet et explique cette opinion de l’auteur. Ibn Baziza la critique sévèrement. Il y a divergence, dit-il, entre les spéculatifs sur cette question : le raisonnement – 24 –commander --> Kitâb al-Irshâd 2009 07 24.indd 24

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Section 4 On nomme preuves 14 les choses qui, avec un raisonnement juste, conduisent à connaitre ce qui ordinairement n’est pas connu d’une manière nécessaire. La preuve est ou rationnelle ou traditionnelle. faux contient-il ou ne contient-il pas l’erreur ? La plupart se prononcent pour la négative. Mais quelques mu‘tazilites et Hanafites pensent que le raisonnement faux entraîne l’erreur comme le raisonnement juste entraîne la connaissance. C’est là, d’après nous, la vérité sur le raisonnement. L’imâm al-Haramayn appuie sa doctrine sur deux arguments d’une extrême faiblesse. Le premier consiste à dire que si le paralogisme se liait à une croyance, il serait en cela identique à la preuve, et il y aurait identification de deux contraires. Cet argument est très faible. De ce que les deux contraires ont un certain caractère commun, il ne s’ensuit pas qu’ils soient réellement identiques. Les deux contraires peuvent avoir des caractères généraux communs, et leurs natures essentielles être différentes. Le second argument consiste à dire que si le paralogisme était lié à la croyance, celui qui raisonne juste sur le raisonnement faux serait conduit à l’erreur. Or, ceci est inexact, parce que l’une des conditions de la conclusion, c’est la croyance à la justesse réelle des éléments du raisonnement. Or, celui qui base un raisonnement sur le paralogisme ne croit pas à l’exactitude de ses prémisses, et c’est pour cela que le paralogisme ne le conduit pas à l’erreur. De même celui qui se trompe dans l’examen d’un raisonnement juste n’acquiert pas la connaissance, parce qu’il ne croit pas à la justesse des éléments de ce raisonnement. Les explications de l’auteur dans ce passage s’écartent fort loin de la vérité. En disant : Ce qui le prouve, c’est que la preuve, tirant sa force probante de ses caractères essentiels l’auteur parle de la preuve rationnelle, et non de la preuve traditionnelle, parce que celle-ci n’emprunte pas sa force probante à un caractère propre, mais à la volonté de l’auteur de la tradition. Il n’en est pas ainsi des preuves rationnelles : la contingence, par exemple, prouve le contingent, la possibilité prouve logiquement la subordination à un principe déterminant, et ne peut exister sans prouver. Si l’autorité de la tradition manquait, les preuves dogmatiques ne prouveraient rien. Toute cette discussion alambiquée revient à dire simplement que la conclusion tirée d’un faux raisonnement, ou d’une prémisse fausse, n’est ni forcément vraie ni forcément fausse. Le pronom, dans le passage “excepté lui-même”, se rapporte au raisonnement faux. C’est comme si l’auteur avait dit : le raisonnement faux ne contient que lui-même. 14. Le mot dalîl, pl. adilla, que nous traduisons tantôt par preuve, tantôt par démonstration, doit s’entendre ici, non seulement d’une proposition ou d’un jugement, mais de toute chose, de tout fait, de tout indice, qui prouve une autre proposition, une autre chose ou un autre fait. – 25 –commander --> Kitâb al-Irshâd 2009 07 24.indd 25

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La preuve rationnelle est celle qui prouve par un caractère constant et essentiel 15, et dont l’esprit n’admet pas qu’elle existe sans prouver ce qu’elle prouve. Ainsi, le contingent, par la possibilité de son existence, prouve un principe nécessitant [capable de] lui donner l’existence possible [au lieu de la non-existence également possible]. Telles sont encore la perfection [d’une œuvre], et la détermination [d’une chose plutôt que d’une autre], lesquelles prouvent l’intelligence [de l’auteur de cette œuvre], et la volonté [de l’auteur de cette détermination]. La preuve traditionnelle est celle qui s’appuie sur une formation véridique, ou sur un ordre auquel on est tenu d’obéir.

15. Les mss. d’Alger et de Londres donnent : mâ dalla bi sifatin lâzimatin huwwa fî nafsihi

‘alayhâ. Celui de Tunis : huwa mâ dalla ‘alâ sifatin nafsiyya. J’ai adopté la première version qui me paraît seule acceptable. L’intention de l’auteur dans cette section est d’expliquer que ce qui suit le raisonnement faux n’est pas inséparable de ce raisonnement dans l’esprit ; il n’y a entre l’un et l’autre qu’une coïncidence. Par les mots : ni aucun des contraires de la connaissance excepté lui, l’auteur veut dire excepté le raisonnement faux, car le raisonnement faux est un des contraires de la connaissance ; et les autres contraires de la connaissance ne sont pas contenus dans le raisonnement faux, d’après nous. En effet, la raison de la contenance, c’est ce qui lie le raisonnement juste à la perception de la force probante, d’une manière inséparable. Entre la preuve et la chose probante il y a une liaison forcée. Il faut donc qu’il y ait entre le raisonnement juste et la connaissance de la chose prouvée une liaison ; c’est ce qu’on entend par liaison irtibât, et contenance tadhammun. Or, ceci n’est pas vrai dans le raisonnement faux, car celui-ci est ou incomplet, et n’est suivi de rien du tout, ou bien paralogique, et le paralogisme ne se lie à rien. Ce qui le prouve, c’est que si on soutenait qu’il se lie à quelque chose, ce ne serait plus un paralogisme. La nature du paralogisme, c’est que celui qui l’énonce se trompe : il y voit une force probante alors qu’il n’y en a pas. Il entend par preuve rationnelle celle où la raison seule saisit la force probante, sans s’appuyer sur la tradition. Les mots : elle prouve par un caractère constant et essentiel qui lui est propre, contiennent une défectuosité, car la preuve peut être positive ou négative. Ainsi, l’absence de la condition prouve l’absence de la chose conditionnée. La prémisse négative est admise dans les preuves. Or, la négation (le néant) n’a pas de caractère essentiel. – 26 –commander --> Kitâb al-Irshâd 2009 07 24.indd 26

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Section 5 Le raisonnement qui conduit aux vérités [religieuses] est obligatoire, et son obligation résulte du dogme. Toutes les règles imposées par la religion s’obtiennent par les preuves que fournissent les traditions et les sentences du dogme. Cependant, les mu‘tazilites ont pensé que c’est par la raison qu’on revient à connaître certaines choses obligatoires, au nombre desquelles ils rangent le raisonnement. On connaît donc, d’après eux, le caractère obligatoire de ces choses au moyen de la raison. Cette question sera examinée plus loin. Mais nous allons en exposer une partie, en ce qui concerne spécialement le raisonnement. Supposons que les mu‘tazilites nous disent : si vous niez que l’obligation du raisonnement puisse être perçue par la raison, votre système conduit à rejeter l’annonciation préalable de la mission des prophètes, et à supprimer tous les moyens d’argumentations empruntés à la raison ; lorsque les prophètes invitent les hommes examiner leurs actes, et leur demandent de réfléchir aux miracles qu’ils accomplissent, et aux prodiges qui leur sont propres ; on pourrait leur dire que l’obligation de raisonner ne peut découler que d’un dogme établi, d’une disposition impérative positive et permanente. Or, nous n’avons jusqu’ici aucun dogme déterminant les choses obligatoires. Une pareille croyance pousserait les hommes à s’écarter de la bonne voie, et à persister dans l’incrédulité et la rébellion. A cela nous répondons : L’objection que vous nous opposez à propos de la loi traditionnelle se retourne contre vous, en ce qui concerne les données de la raison. En effet, ce qui conduit à faire naître le caractère obligatoire du raisonnement, c’est aussi une affaire de réflexion. Dans votre propre système l’homme doué de raison admet comme possible qu’il existe un Créateur qui lui demande de le connaître et de lui être reconnaissant de ses bienfaits ; que, par la connaissance de ce Créateur, il obtiendra le salut, et pourra espérer une large récompense ; et qu’il s’expose au contraire, s’il Le méconnaît et Le dédaigne, à un châtiment sévère. Lorsque cet homme comparera les deux éventualités possibles, qu’il saura qu’en adoptant la première il peut parvenir au bonheur éternel, et qu’en – 27 –commander --> Kitâb al-Irshâd 2009 07 24.indd 27

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adoptant la seconde, il encourt un châtiment terrible ; la raison lui commandera de choisir la voie du salut et d’éviter les dangers de perdition 16. Si donc le moyen de connaître le caractère obligatoire du raisonnement est fourni par le mouvement des suggestions de l’esprit, et dans l’opposition des possibilités intuitives 17, celui qui néglige ces suggestions et ne tient pas compte de ces conceptions, ne connaîtra pas l’obligation du raisonnement. Les mu‘tazilites tombent ainsi, pour les perceptions de la raison, en cas de négligence ou d’omission, sous les critiques qu’ils nous opposent pour ce qui découle de la loi traditionnelle. Notre hypothèse de l’absence des deux suggestions contraires vaut autant que leur hypothèse de l’affirmation d’une mission prophétique en l’absence de miracle. Ils sont donc forcés d’en accepter la conclusion contre eux-mêmes, comme nous serions forcés d’accepter ce qu’ils affirment. Quand le miracle se manifeste et que tout homme intelligent est capable de le comprendre, ce miracle a la même valeur que les deux suggestions contraires dans la prétention de nos adversaires. Les deux suggestions se produisant, le raisonnement sur le choix entre l’une et l’autre est aussi possible que le raisonnement sur le miracle au moment où il se manifeste. Nous ajoutons que l’obligation, dans notre doctrine, a pour conditions l’existence d’une tradition indiquant cette obligation, et la possibilité pour le fidèle de connaître cette tradition. Quand des miracles se manifestent, et que des preuves attestent la sincérité des envoyés de Dieu, le dogme est établi et la tradition est définitivement fixée, marquant l’obligation des choses obligatoires et l’interdiction des choses interdites. Pour que l’obligation existe, il n’est pas indispensable que l’homme la connaisse, mais seulement qu’il soit en mesure de la connaître. 16. On

remarquera la ressemblance de ce raisonnement avec celui du fameux pari de Pascal. Dans son étude sur les origines musulmanes de cette question, M. Miguel Asin Palacios note le développement qu’elle reçut d’al-Ghazâlî. Le passage ci-dessus montre qu’elle avait déjà été traitée par son maître, l’imâm al-Haramayn, qui lui avait sans doute consacré dans le Shâmil des explications plus étendues que dans l’Irshâd 17. Je prends ici le mot hads, intuition, dans le sens indiqué par les Ta‘rifât de Jurjanî : Sur‘atu intiqâl al-dhihn min al-mabâdî ilâ al-matâlib. – 28 –commander --> Kitâb al-Irshâd 2009 07 24.indd 28

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les caractères du raisonnement

Si on demande quelle est la preuve de l’obligation du raisonnement, et quel est l’argument fourni par le dogme, nous répondons : il y a eu accord unanime de la communauté pour déclarer obligatoire la connaissance du Créateur. D’autre part, la raison indique clairement qu’il n’est possible d’acquérir les connaissances religieuses que par le raisonnement. Or, ce qui est indispensable à la connaissance de ce qui est obligatoire, est luimême obligatoire.

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preuve des missions prophétiques

Section 4 – Réalité de la sorcellerie ; ce qui la distingue du miracle ; existence des génies et des démons ; réfutation de l’opinion contraire La sorcellerie existe réellement. Nous allons d’abord en déterminer le caractère ; nous montrerons ensuite qu’elle est possible pour la raison ; en nous appuyant sur les données de la tradition nous prouverons qu’elle se produit réellement, et nous indiquerons au cours de notre exposé ce qui la distingue du miracle. Il n’est donc pas impossible qu’un sorcier s’élève en l’air, qu’il plane dans les hauteurs du ciel, qu’il s’amincisse et qu’il pénètre par des fenêtres et des lucarnes étroites, et enfin qu’il exécute d’autres actes du genre de ceux qui sont au pouvoir de l’homme. Il est en effet au pouvoir des hommes de se mouvoir dans les divers sens. Il n’y a rien d’impossible pour la raison, à ce que Dieu, sur le désir d’un sorcier, accomplisse ce qu’il demande de pouvoir faire, puisque tout ce qui est au pouvoir de l’homme est réalisé, d’après nous, par la puissance divine. La preuve que cela est possible est la même que celle de la possibilité des prodiges des saints. Les caractères par lesquels la sorcellerie se distingue des miracles sont les mêmes que ceux qui distinguent les miracles des prodiges. Il n’est donc pas besoin de les reproduire ici. Divers témoignages établissent la réalité des sorcelleries. On peut citer notamment l’histoire de Hârût et de Mârût, la sourate de l’aube, dont la révélation, d’après l’unanimité des exégètes, a eu pour origine l’ensorcellement du Prophète par Labîd b. A‘sam. Labîd ensorcela le Prophète au moyen d’un peigne et d’une touffe de cheveux qu’il plaça sous la pierre du fond du puits de Darwân. Ibn ‘Umar fut ensorcelé et sa main fut atrophiée. Une servante de ‘Â’isha fut également ensorcelée. Tous les jurisconsultes sont tombés d’accord pour reconnaître l’existence de la sorcellerie. Mais ils se sont divisés sur son caractère [aux yeux de la loi]. Or, ce sont ceux qui ont pouvoir de décision et par qui se constitue le consentement universel, ijmâ‘. En présence de leur accord, il n’y a pas à tenir compte des opinions du rebut des mu‘tazilites, et il est établi que la sorcellerie est possible et réelle. Il faut ajouter que la sorcellerie ne se manifeste que chez l’impie, tandis que le prodige ne se manifeste jamais chez un impie. C’est là une chose qui --> – 291 commander –

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chapitre xx1

n’est pas imposée par la raison, mais qui résulte du consentement unanime de la communauté. D’autre part, si le prodige ne se manifeste pas chez un impie, il ne prouve pas non plus la sainteté d’une manière définitive. S’il prouvait la sainteté l’auteur du prodige serait à l’abri de toutes les éventualités. Or, ceci, de l’aveu unanime, n’est admissible, pour aucun saint ni pour aucun prodige. Si on nous demande de préciser notre doctrine au sujet des génies et des démons, nous répondons que d’après nous ils existent. La plupart des mu‘tazilites en nient l’existence. Mais en les niant ils montrent leur légèreté et la faiblesse de leurs sentiments religieux, car il n’y a rien d’impossible pour la raison, dans l’existence des génies et des démons, qui est d’autre part nettement affirmée par le Coran et par la Sunna. Or, tout homme éclairé, attaché à sa religion, doit admettre ce que la raison juge possible et que le dogme affirme. Si on nie l’existence d’Iblis et de ses armées, des démons qui furent asservis au temps de Salomon, comme l’indiquent d’innombrables versets du Coran, on n’a plus aucune attache avec la religion, ni aucun argument auquel on puisse se fier. Dieu seul dirige vers la vérité. Voilà ce que nous avions à dire sur ce sujet.

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Table des matières Introduction La théologie islamique médiévale Naissance de la théologie islamique Les mu‘tazilites L’ash‘arisme L’imâm al-Haramayn al-Juwaynî Al-Irshâd Avertissement de l’éditeur Préambule

5 7 9 10 12 13 14

17

Chapitre i Les caractères du raisonnement Section 1 Section 2 Section 3 Section 4 Section 5

19 21 22 24 25 27

Chapitre ii Nature de la science Section 1 – Définition de la science Section 2 Section 3 Section 4

31 31 32 33 34

Chapitre iii De la contingence du monde

37

Chapitre iv Preuve de l’existence du Créateur

45

Chapitre v Attributs nécessaires de Dieu Section 1 – Attributs consubstantiels et qualitatifs : l’existence Section 2 – De l’éternité de Dieu Section 3 – Dieu subsiste par Lui-même Section 4 – Dieu diffère des choses contingentes Section 5 – Caractères des semblables Section 6 – Caractères particuliers aux choses contingentes

47 47 49 50 51 53 55

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le livre du tawhîd

Section 7 – Les karramia affirment la corporéité de Dieu Section 8 – Autres différences entre Dieu et les substances Section 9 – Dieu n’est pas une substance

Chapitre vi De l’unité de Dieu

58 60 61

65

Chapitre vii Les attributs qualitatifs Section 1 – Dieu est puissant et savant Section 2 – Dieu est voulant Section 3 – Dieu entend Section 4 – Dieu a-t-Il d’autres facultés perceptives ? Section 5 – Dieu est perpétuel

73 73 75 81 85 86

Chapitre viii Preuve de la connaissance des attributs 87 Section 1 – Preuves des attributs réels 87 Section 2 – Affirmation des modes, ahwâl, et réfutation de la doctrine qui les nie 88 Section 3 91 Section 4 – La volonté éternelle 100 Section 5 – Doctrine de Jahm 102 Section 6 – Dieu parle 105 Section 7 – Nature exacte de la parole ; sa définition ; sa signification 107 Section 8 – Les mu‘tazilites nient la parole divine 108 Section 9 – Celui qui parle est celui en qui réside la parole 112 Section 10 – Paralogismes des contradicteurs 120 Chapitre ix La parole de Dieu

129

Chapitre x La lecture ou récitation

131

Chapitre xi Ce qui est lu Section 1 – La parole de Dieu est écrite dans le Coran

133 134

Chapitre xii La parole de Dieu peut être entendue

137

Chapitre xiii La révélation de la parole de Dieu

139

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table des matières

Chapitre xiv La parole de Dieu est une Section 1 – Les attributs sont-ils distincts de l’essence ? Section 2 – La perpétuité de Dieu

141 142 143

Chapitre xv La signification des noms de Dieu

147

Chapitre xvi Les noms de Dieu

149

Chapitre xvii Division des noms de Dieu Section 1 Section 2 – Les mains, les yeux, le visage de Dieu

151 152 162

Chapitre xviii De ce qui est possible à l’égard de Dieu Section 1 – La visibilité de Dieu Section 2 – Les perceptions Section 3 Section 4 – Empêchements à la perception Section 5 Section 6 – La vue de Dieu dans le paradis Section 7

171 171 176 177 178 179 183 186

Chapitre xix De la création des actions humaines 187 Section 1 187 Section 2 – Première objection contre la doctrine mu‘tazilite 188 Section 3 – Conséquences inadmissibles de la doctrine mu‘tazilite 191 Section 4 – Preuves dogmatiques de la doctrine orthodoxe 193 Section 5 – Sophismes des mu‘tazilites 197 Section 6 – Prétendus incompréhensibilité de l’appropriation des actes (kasb) 204 Section 7 – De la direction dans la bonne voie, hudâ, de l’erreur, dalâl, du sceau, tab‘ et du bandeau, khatm 205 Section 8 – De la capacité et de son caractère 209 Section 9 – La puissance contingente est un accident 211 Section 10 – La puissance contingente est simultanée et non antérieure à l’acte 212 Section 11 – Le contingent dépend de la puissance divine 213 --> – 383 commander –

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Section 12 – La puissance contingente ne s’applique qu’a un seul possible 217 Section 13 – Objections des mu‘tazilites contre l’obligation à l’impossible 219 Section 14 – Les couleurs et les saveurs échappent au pouvoir de l’homme 221 Section 15 – Le contingent qui ne doit pas se produire est néanmoins au pouvoir de Dieu 222 Section 16 – Réfutation de la doctrine de la médiation 222 Section 17 – Doctrine des philosophes sur la génération et la corruption 225 Section 18 – De la volition des choses 228 Section 19 – Sophisme des mu‘tazilites 233 Section 20 – Arguments des mu‘tazilites 239 Section 21 – L’assistance divine 242 Section 22 – Les qadariyya (partisans du libre arbitre) 243

Chapitre xx De la justice et de l’injustice Section 1 Section 2 Première partie Deuxième partie Section 3 – Des souffrances et de leurs caractères Section 4 Section 5 Section 6

245 245 252 253 255 256 259 260 275

Chapitre xxi Preuve des missions prophétiques 277 277 Section 1 – Preuve de la possibilité des prophéties Section 2 – Des miracles et de leurs conditions 281 Section 3 – Affirmation des prodiges Ce qui les distingue des miracles 287 Section 4 – Réalité de la sorcellerie ; ce qui la distingue du miracle ; éxistence des génies et des démons ; réfutation de l’opinion contraire 291 Chapitre xxii Raison démonstrative du miracle à l’égard de la sincérité du Prophète Section 1 Section 2 Section 3 – Preuve de la mission de notre Prophète Muhammad --> – 384 commander –

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table des matières

Section 4 – Des miracles de notre Prophète Muhammad Section 5 Section 6 – Autres miracles du Prophète Section 7 – Caractères des prophètes Section 8 – Impeccabilité des prophètes Section 9 – Du dogme

Chapitre xxiii Les termes assignés aux choses

315

Chapitre xxiv De la subsistance Section 1 – Du prix des denrées

319 321

Chapitre xxv De la censure des actions humaines, ordonner le bien et défendre le mal

323

Chapitre xxvi La résurrection Section 1 Section 2

327 327 329

Chapitre xxvii Quelques indications sur les modalités de la vie éternelle d’après la tradition Section 1 Section 2 – Le paradis et l’enfer Section 3 – Le Sirât

331 332 333 333

Chapitre xxviii Les récompenses, les peines, la stérilisation des actions humaines ; réfutation des doctrines des mu‘tazilites, des kharijites et des murji’a au sujet des promesses et des menaces [de Dieu] Section 1 Section 2 Section 3 Section 4 Section 5 Section 6 Section 7 – Les noms et les qualifications Section 8 --> – 385 commander –

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306 308 311 312 312 313

335 336 338 341 342 343 344 345 347

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Chapitre xxix De la contrition Section 1 Section 2 Section 3 Section 4 Section 5 Section 6 Section 7

349 349 351 351 352 353 354 355

Chapitre xxx De l’imâma

357

Chapitre xxxi Des diverses sortes d’informations

359

Chapitre xxxii L’attribution de la souveraineté doit être conférée à l’élection

367

Chapitre xxxiii De l’élection [du souverain], de son caractère et de la forme d’investiture 371 Section 1 372 Section 2 372 Chapitre xxxiv Des conditions de la souveraineté

373

Chapitre xxxv Légalité de la souveraineté d’Abû bakr, de ‘Umar, de ‘Uthman et de ‘Alî Section 1 Section 2 Section 3 Section 4

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Traduction de l'arabe par J.-D. Luciani, revue et corrigée par A. Penot Distribution : www.ddpme.com

ISBN 978-2-908087-20-8

13,50 €

LE LIVRE DU Kitâb al-irshâd Traité sur l’Unicité selon le Sunnisme

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IMÂM AL-HARAMAYAN AL-JUWAYNÎ

TAWHÎD

IMÂM AL-HARAMAYAN AL-JUWAYNÎ

Il existe peu de textes traduits sur la notion d’Unicité divine telle qu’elle est envisagée par l’Islam médiéval, ce qui semble tout de même paradoxal quand on sait la place que cette notion occupe jusqu’à ce jour au sein de la communauté musulmane. Le texte de l’imâm al-Juwaynî (419-478 H /1028-1085), qui fut l’un des maîtres du célèbre al-Ghazâlî et d’al-Ansârî, vient combler cette lacune. Éminent représentant de l’école Ash‘arite, Juwaynî composa l’Irshâd comme une réponse implicite aux Fatimides dont le pouvoir menaçait l’orthodoxie sunnite. C’est pour ainsi dire la raison d’être du Kalâm (autre nom de la théologie islamique) que de répondre aux questions suscitées par des auteurs jugés, à tort ou à raison, comme déviants. Les grands thèmes classiques y sont abordés, tels que la question des attributs divins, l’anthropomorphisme, le rôle de la raison, etc. À ce titre, cet ouvrage est une véritable somme, pour qui veut se faire une idée assez précise de ce qu’était la connaissance élémentaire de tout étudiant (tâlib) à une époque où le profane n’avait pas plus sa place en Occident qu’en Orient.

LE LIVRE DU TAWHÎD

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al f éd tions


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