"Je suis ici" - 1 -

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is », u s y ’ «J ies h p a r g photo tes ilés u x e o c s é et lève é nel s n e o d i s c ave ofes r p e é du lyc heuléen, ici de l’Acs 1 n e i Am


Les jeunes, tous des garçons, sont issus de Guinée Conakry, de la République Démocratique du Congo, d’Angola et de la Côte d’Ivoire. Le problème de la parole, du récit se pose. Obligés par les institutions - et habitués - à un discours prouvant leur légitimité sur le territoire, il n’était pas intéressant pour nous de les contraindre une nouvelle fois à cela. D’une part parce que la véracité de leurs propos pour nous est un fait, d’autre part parce que certains n’avaient aucune envie de revivre cela. Or, comme l’ont déjà pratiqué John Collier ou Dona Schwartz, le recours à la présentation de documents représente un certain nombre d’avantage, à la fois pratiques et méthodologiques. La photographie a la capacité de faciliter l’échange verbal et aide à tendre vers un idéal de non-directivité. Contrairement à ces chercheurs, nous n’avons pas fait une sélection que nous leur avons proposée, mais nous leur avons demandé de prendre eux-mêmes, à l’aide d’appareils jetables, leur quotidien. C’est donc par leurs photographies, que le thème s’est introduit de lui-même, sans nécessité de devoir le formuler explicitement. Chaque jeune a donc reçu un appareil photographique jetable, avec pour seule consigne pour la première session, de prendre en image son quotidien. Une fois les photos étalées sur une table du foyer du lycée, un autre appareil est donné. Des ateliers de « restitutions » ont été mis en place deux fois par mois. A la première restitution, les jeunes ne savaient pas vraiment ce qu’on attendait d’eux, et la plupart pensaient que leurs images n’auraient pas vraiment d’intérêt. Avant même d’être une image, la photographie, enregistrement d’une situation lumineuse, est un processus, produit d’une technique et d’une action. Résultante d’une interaction médiatisée par le dispositif technique, entre photographe et sujet.s photographié.s, elle constitue un mode de représentation spécifique ancré dans les pratiques et les rapports sociaux de notre monde contemporain. Il est question à travers elle de la construction d’une image de soi et d’une manière de percevoir et représenter son environnement et l’autre. La photographie permet de voir non pas l’invisible, mais des traces de ce qui ne fait pas la visée habituelle des observations. Elle présente une puissance de désignation qui lui assure sa qualité heuristique de base : montrer, faire voir, attirer notre attention. . Même si elle ne dit rien d’autre « ça, c’est ça, c’est tel ». Formule qui reviendra très souvent dans l’explication des jeunes par rapport à leurs photos. Ainsi, la photographie, seule ou à côté d’autres présentant des traits communs ou contrastés, est capable de faire jaillir du « remarquable »,

de faire tilt. De rendre visuellement pertinents des traits, qui ne le sont pas à partir de l’œil nu de l’acteur, dans ses interactions quotidiennes, ou de l’observateur avec son regard trop habitué. La photographie va susciter un effet d’étonnement et de révélation par rapport à la réalité : « quelque chose que nous n’avions pas vu et qui est là ». La photographie est intéressante parce qu’elle répond à des questions concernant un cadre plus large que le sujet immédiat. Les travaux photographiques illustrent le mode de vie d’une classe sociale, d’un groupe ou d’un espace social en détaillant les principales formes d’association entre les membres du groupe et en les mettant en relation avec un ensemble de forces environnantes. Elle a la capacité à susciter spontanément des commentaires, à stimuler la mémoire, à faire des comparaisons entre ici et là-bas et à se projeter immédiatement dans le sujet de la représentation en encourageant un retour sur son activité. Elle suscite l’expression verbale en réduisant la tension liée à la violence symbolique de l’entretien ou d’un groupe de discussion institué. Le « participant-informateur », au lieu d’apparaître comme le sujet d’enquête, devient l’expert qui peut guider le « chercheurintervenant » dans la découverte du contenu des images. La présentation de photographies fournit en soi un sujet de conversation. Les images facilitent l’expression des jeunes migrants : ils sont encouragés à parler et le font sans hésitation parce qu’il s’agit de leurs propres photographies. Elles permettent également un échange entre eux. Sophie Duchain Mickael Troivaux

- Aumont, Jacques, L’image, 2001 (1990), Paris, Nathan - Dubois, Philippe, L’acte photographique, 1990, Paris, Nathan - Terrenoire, Jean-Paul, “Images et sciences sociales: l’objet et l’outil”, Paris, Revue française de sociologie, 3, pp 509-527 - Piette, Albert, “fondements épisthemologiques de la photographie”, Ethnologie, 2007/1 (vol 37) pp23-28 - Barthes, Roland, La chambre Claire. Note sur la photographie, 1980, Paris, Gallimard -Moles - Dubois, ibid - Collier, John, Interviewing with photographs, 1967, New-york, Holt, Rinchard and Wilson


R : on est tous passé là K : tout ça on peut… parce que j’ai dormi par là aussi, tout seul et avec des collègues aussi. Ça, ça me touchait. Ça c’est la devanture de l’église. Les gens venaient me dépasser le dimanche pour entrer dans l’église sans même demander (Rires)

I : mais c’est pas ton église mon gars K : les gens passent et ils me trouvent là sans même me demander, tu vois, c’est un peu méchant


R : il a raison, même pas un petit bonjour K : tu vois, c’est là que j’ai pris la photo I : c’est le seul pays où on voit ça R : et pourtant ils rentrent à l’église I : c’est le seul pays, le seul continent où je vois ça

M : c’est bien, c’est une mise en scène et du coup ça symbolise ce moment là K : là aussi, c’est un endroit où on dormait aussi. C’est à côté de l’église, c’un endroit pour les alcoologues, les alco

J’ai passé beaucoup de temps sur ce, cette chambre.

I : en Afrique, tu vas trouver quelqu’un devant ta porte, tu vas lui demander ce qu’il fait là, mais ici, ils s’en foutent

Franchement ça fait deux ans que je suis là, c’est ma vie quoi c’est ma vie.

R : ils font semblant



R : En fait toutes ces photos décrivent mon parcours après avoir été délaissé par l’ASE. Les endroits que j’ai commencé à fréquenter, comme des parcs. Les parcs, je fréquentais souvent,

c’était juste pour passer du temps et pour attendre aussi que le 115 nous oriente. Parce que dans ce moment-là, on ne connaissait personne. On ne savait pas où aller, c’était le seul endroit où tu peux te mettre… A : c’est ton refuge


K : là j’ai appelle le 115, et on me dit que j’ai parcouru des milliers de kilomètres. Non j’ai appelle le 115 le lendemain et on me dit, non tu dois partir R : à Beauvais K : à Beauvais. Bon, moi je dis que je n’ai pas de transport. Et on me dit que toi tu as parcouru des milliers de kilomètres. J’ai dormi, chez moi il pleuvait, j’avais le plastique qu’ont donné les gens sur la mer quand on donnait la valise I : ouais ouais K : bon, on m’a donné ça. J’ai passé la nuit, il y avait les alcoologues qui se battaient. N’importe quoi, bon. La réponse c’était parce que tu as parcouru des milliers de kilomètres sans savoir I : d’où tu viens


...Souvent ceux qui font les marathons sont minces, parce qu’ils sont préparés pour ça. Par exemple, chez nous dans le continent africain, ils sont de l’Est, du côté Est. Ils sont éthiopiens, kenyans, ils sont tous comme ça. Dans leur côté il n’y a que des montagnes, et les mecs, ils viennent à la vie, ils sont comme ça : c’est courir. Dans leur pays, même les femmes, tout le monde courre. Nous par exemple, on a des compétitions africaines. Certaines équipes nationales partent dans le côté de l’Est, ils ont du mal à jouer, parce que le climat, ils ne sont pas habitués. Quand ils partent là-bas, chaque fois ils vont perdre. C’est le climat qui fait qu’ils perdent. A un moment venu le corps ne peut pas tenir. Eux ils sont habitués. Mais quand eux ils viennent à l’Ouest, ils ont du mal. Et là-bas c’est les champions. En athlétisme ils sont très fort dans ça. Et de toute façon de leur côté ils parlent anglais, jusqu’à côté du Ghana. Tu vas en Afrique du Sud, ils parlent anglais ou hollandais, il y a deux langues là-bas. Tu vas au Cameroun ils parlent allemand, ils parlent anglais et ils parlent français. Le Cameroun est divisé en trois. Parce qu’en fait eux, il y a des anglais qui sont passés et ils ont colonisés le Cameroun, après les allemands sont venus et ils ont colonisés et la France est venue. La France a pris. 15% parlent allemand, 15% parlent anglais, 70% parlent français mais ils sont tous camerounais. Ils parlent des langues qui ne sont pas administratives, c’est ça le problème. Ils ont des langues, mais si tu veux aller dans l’administration, il faut que tu parles français. C’est ça le problème. Tu es obligé d’aller à l’école. Si tu dis chacun n’a qu’à parler sa langue, c’est du n’importe quoi. Il y a beaucoup de langues mais vous êtes obligé de parler français, c’est le bon côté du colonialisme. Mais la colonisation a fait des erreurs en divisant les pays Chez nous par exemple en Guinée, quand tu vois mon nom, tu vois le même nom au Mali. Un certain Camara au Mali, tu vois un certain Camara au Sénégal, mais c’est pas le même pays. Camara c’est des Soussous. Mais les Soussous viennent du Mali, eux aussi ils viennent du Mali. Mais comme ils ont mal divisé les pays… par exemple la Guinée est divisée en deux parties, il y a la Guinée Bissau et Guinée Conakry. On est dans la même zone, mais quand tu pars dans l’autre Guinée, ils parlent le Portugais. Tu viens de notre côté, eux ils parlent français. Quand la France et le Portugal se sont assis pour diviser le pays, ils ont donné le petit pays aux portugais qui est Guinée Bissau,

ils sont trois millions d’habitants. Après la Guinée c’est quinze millions d’habitants, la France a pris ça, ils ont donné trois millions d’habitants au Portugal. C’est un petit pays mais ils sont une République. Leur richesse làbas, c’est de la pêche, leur mer est très riche de poissons, mais bon, eux aussi c’est du Portugal. Après nous c’est… Beaucoup d’explorateurs sont sorti du Portugal, au départ ils étaient forts, parce qu’ils sont à côté de la mer et avaient beaucoup de bateaux, c’était les pionniers des explorateurs. Ils étaient très forts en ça, en plus en Afrique, ils n’ont pas eu beaucoup de pays. En Afrique, il y a la Guinée Bissau qui parle portugais, il y a le Rwanda qui parlait portugais mais eux aussi sont venus à la langue française tout dernièrement, ils ont changé de langue et après c’est des îles telles que les Comores et le Cap Vert. Ils ont eu des petites îles et l’Amérique parce que les Brésiliens parlent portugais. C’est bizarre, c’est eux qui ont découvert tout ça, mais ils n’ont pas eu. Nous notre histoire, c’est le Portugal qui avait la Guinée, après ils ont perdu et c’est la France qui a récupéré. Les premiers colonisateurs qui sont venus chez nous c’était les portugais, ils ont perdu sur tout le terrain contre la France en fait. Et la manière de coopérer aussi avec les chefs de cantons, parce qu’à ce moment-là on parlait de canton, il n’y avait pas de pays...


Je suis ici Travail en cours du collectif La Forge et des lycéens exilés Depuis plusieurs mois des élèves du Lycée professionnel de l’Acheuléen travaillent avec des membres du collectif. Avec des appareil jetables, ils prennent des photos de là où ils sont, et parlent ensemble de leurs images : J’y suis. Ils écrivent des textes qu’ils lisent sur scène : Regards croisés. Avec des barres de fer, les apprentis en métallurgie forment des silhouettes en mouvement, qui sont agencées en Buisson humain. L’ensemble de ces premiers travaux est présenté à Amiens, le 30 avril 2019 à la Maison du Théâtre. J’y suis, du 24 avril au 19 mai à la Maison de la culture. Regards croisés, à Arras, le 1er mai au Salon du Livre. , La démarche évolue et sera montrée dans d’autres lieux, en d’autres occasions, avec d’autres partenaires comme le Centre FLE de l’UPJV...

La Forge (www.laforge.org) : collectif d’artistes et de scientifiques uni.e.s pour produire des regards partagés, croisés, pour tenter de faire entendre ceux qui sont tus. Leurs créations sont issues de ce qui advient après un temps long d’échanges répétés, de rencontres imprévues. Depuis 2010, le collectif a commencé à explorer la notion d’» habiter » : habiter un bord de fleuve, la Somme, Nous sommes ici*, un bord de ville, Amiens-Nord, Hors la République ?*, et un bord de monde, là-bas, avec des réfugiés palestiniens en Palestine, et maintenant ici, avec des jeunes exilés, isolés, étrangers, à Amiens. * Éditions Dumerchez

avec le soutien de : avec le soutien de : avec le soutien de :

Nous Travaillons Ensemble 19

Avec les professeur.e.s d’arts appliqués, Sabine Zazzali, et de métallerie, Moussa Chergaoui et les membres du collectif : Mickael Troivaux, photographe, et Sophie Douchain, auteure, (atelier photos) ; Denis Lachaud, écrivain, metteur en scène, comédien, (atelier écriture-lecture) ; Marie Claude Quignon, plasticienne, Alex Jordan, graphiste, photographe (atelier métallerie).

Nous Travaillons Ensemble.2019

Les partenaires du Lycée : Kanté, Bamory, Jeffery, Mathéo, Clément, Boubarar, Lucas, Oriakhil, Hamidou, Mohamed, Boukahary, Yacou, Ibrahim, Franck, Lamine, Rossy, Roberto, Mahama, Kniaz, Quentin, Mathéo, Clément, Diallo-Mamadou, Souleyman, Hayatullah, Djakaridja, Yeo, Maxime, Bangaly, Guentin, Jordan, Camerone…


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