A/R Magazine voyageur

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de voyage

l ia o éc t sp pho

cuba carnet

l to ie ho ér p at do  / M an es  R vr  / L i olio f rt Po

www.ar-mag.fr

aller retour N°14 — sept. /  oct. 2012

hawaï

nuits brûlantes sur un volcan

france

pêche miraculeuse à oléron

un autre regard sur :

marseille irlande palestine

entretien

antoine de maximy le comte des 1001 nuits

LL 13134 -1413134 - 14F:- 5,90 e F: 5,90- RD € - RD


carnet / A/R magazine voyageur — 5

Directeur de la publication Michel Fonovich mfonovich@ar-mag.fr Rédactrice en chef Sandrine Mercier smercier@ar-mag.fr

l’édito

Sandrine Mercier

Directeur artistique Albéric d’Hardivilliers alberic@ar-mag.fr grand Reporter Christophe Migeon cmigeon@ar-mag.fr Stagiaire Hélène Rocco Diffusion MLP Service des ventes (réservé aux professionnels) Vive la Presse 09 61 47 78 49 Publicité A/R publicité pub@ar-mag.fr Régie publicitaire M*I*N*T 125, rue du Faubourg Saint-Honoré 75008 Paris Fabrice Régy / Philippe Leroy / Lauréline Jouanneau 01 45 61 23 04 laureline@mint-regie.com Imprimeur Corelio Printing – Belgique

La rentrée des îles A/R magazine voyageur 1 rue du Plâtre — 75004 Paris 06 87 83 22 56 / www.ar-mag.fr Publication bimestrielle Prix de vente : 5,50 € Édité par les éditions du Plâtre SAS au capital de 10 000 € Siège social : 1 rue du plâtre — 75004 Paris R.C.S : 523 032 381 / ISSN : 2108-3347 CPPAP : 1015K90544 © A/R magazine voyageur La reproduction, même partielle, des articles et illustrations publiées dans ce magazine est interdite. Image de couverture : © Angelo Cavalli / Corbis

En l’an 1492, Christophe Colomb accoste sur l’île de Cuba en croyant poser le pied au Japon. Que celui qui ne s’est jamais trompé lui jette le premier œuf. Et de s’extasier : « Je n’ai jamais vu de plus beau pays, c’est la terre la plus belle que des yeux humains aient contemplée. » C’était il y a plus d’un demi-millénaire et le monde restait à explorer. Tous concours de beauté mis à part, Cuba reste aujourd’hui une île exceptionnelle dont le destin rebelle au XXe siècle s’est confondu pour le meilleur et pour le pire (c’est selon les appréciations) avec celui de Fidel Castro. Une île qui, grâce aux Cubains, reste séductrice malgré ses déboires économiques. A/R y a traîné ses guêtres. En l’an 1778, James Cook explore, le premier, les îles Hawaï. Il n’en reviendra pas. Bien que son intrépidité ne soit plus à prouver, il n’est pas allé jusqu’à brûler ses bottes sur les volcans fumants. A/R, oui. On ignore encore le nom de l’audacieux explorateur qui a bravé les flots pour découvrir l’île d’Oléron perdue à 1,86 miles des côtes. A/R l’a abordée pour faire le plein d’énergie. Je vous embrasse, Sandrine

Retrouvez la fine équipe d’A/R le mardi 25 septembre à partir de 19h à La Fine Mousse, un tout nouveau bar à bières artisanales avec 20 becs pression ! 6 avenue Jean Aicard, Paris XIe. Métro Saint-Maur ou Ménilmontant. Galopin offert aux amis lecteurs. n°14 / septembre — octobre 2012


6 — A/R magazine voyageur / carnet

au sommaire dans ce numéro

Abo en page 10

#14 — sept. / oct. 2012

Regards Agence Myop

Parc National Calanques / Marseille C’est quelqu’un  La bonne attitude Passage à l’acte Rando-photo en Irlande

008

Carnet L’entretien Antoine de Maximy Actus Nos adresses Bric-à-brac Livres Les meilleurs livres de photo  Culture Cinéma / Archi

012

Miam-miam Cambodge Tourista Grand bazar d’Istanbul Le guide du queutard La mariée était volée Carnettiste Julien Revenu Carte Postale Tout va bien à Montréal

024

028

Palestine : La voie de l’olivier (P.36) septembre — octobre 2012/ n°14

084

090 094 095 096 098

036 044 056

Contributeurs : Julien Blanc-Gras / Margot Boutges / Emma Chamard / Vanessa Chambard / Alex Crétey-Systermans / Laurent Delmas / Clément Ducreux / Jean-Luc Eyguesier / Antonio Fischetti / Christelle Geronimi / Nathalie Guyon / David Lefranc / Jean-François Mallet / Alexandre Martin / Agence Myop / Matthieu Raffard / Julien Revenu / Virginie Sueres / Albert Zadar /

Durable Actus Petites distances, grands plaisirs Le charme des vieilles pierres

082

Bazar

016 018 020 022

Partir Oléron  6 lettres & 6 passions Portfolio Virginie Sueres / Palestine Hawaii Nuits chaudes Cuba Carnets de voyage

076

072 074

Hawaï : Nuits chaudes (P.44)

Cuba : Carnets de voyage (P.56)


12 — A/R magazine voyageur / carnet

l’entretien

antoine de maximy le comte des mille-et-une nuits Avec les gens, il a un succès fou. Son truc : leur demander la permission de coucher chez eux. Après huit ans de rencontres cocasses pour son émission J’ir ai dormir chez vous Antoine de Maximy lève le pied pour se consacrer au long métrage. Rencontre avec un voyageur compulsif qui se soigne.

Entretien : sandrine mercier Photo : Nathalie Guyon

Tu reviens de San Francisco, chez qui as-tu dormi ? J’ai dormi chez cinq personnes en faisant le grand écart ! Entre un mec qui avait une super villa avec vue sur la mer et qui me disait avoir neuf maisons, un avion, et un autre qui travaillait dans une déchetterie et qui m’a permis de dormir dans son van dégueulasse. C’est pour une suite à « J’irai dormir chez vous » ? Je veux faire un long métrage dans la veine de J’irai dormir à Bollywood, c’està-dire un voyage de 90 minutes qui t’emmène loin, avec le souffle de la route … Huit ans à arpenter la planète, ça use ? Huit ans pour l’émission, mais depuis trente ans j’ai parcouru quatre-vingt-dix pays quand même. C’est moins que Nicolas Hulot, il doit en avoir fait presque le double. Pour ne pas être usé, il faut parfois s’arrêter. J’essaye de me renouveler pour ne pas m’emmerder, car si je m’emmerde je vais être mauvais et si je suis mauvais ça ne va pas durer longtemps. septembre — octobre 2012/ n°14

Est-ce que tu éprouves la joie du qui sont coupés. Finalement est-ce collectionneur avec tes 90 pays ? la majorité ? Oui, j’ai éprouvé la joie de celui qui accu- Loin de là, il y a eu quelques instants où mule les visas, les tampons sur le passe- j’ai craint pour ma santé, ma vie, mais port, mais ce n’est plus capital, j’en ai fait franchement pas plus de cinq ou six fois. assez pour être satisfait. J’ai encore envie Ce qui est infime au vu des trente-cinq d’aller en voyage, mais je ne suis plus pays que j’ai faits en huit ans. Mais, c’est dans la logique du toujours plus, je pré- vrai que j’ai l’habitude : je suis allé à Beyférerais faire un long métrage de fiction routh pendant la guerre, j’ai appris des maintenant. Parce que ça va être nou- choses sur la nature humaine, je peux veau pour moi, un défi plus grand et des repérer les situations où les gens sont en angoisses beaucoup plus grandes aussi ! dehors de la logique habituelle ! La chemise rouge est un hommage à Cousteau et son bonnet rouge ? Non. J’ai dit à mes producteurs que je m’habillerais pareil pour pouvoir utiliser des plans qui n’ont pas été tournés le même jour. On a choisi la couleur rouge comme emblème parce que ça se voit bien, qu’on n’avait vraiment pas de sous et que ma garde-robe comptait déjà plusieurs chemises rouges. Dans ton émission on voit les réussites, les moments drôles, émouvants, mais il y a aussi tous les autres, ratés, voire dangereux,

Tu as développé un sixième sens qui te guide ? Je n’appellerais pas ça un « sixième sens », j’appellerais ça une meilleure utilisation des cinq sens. C’est une plus grande sensibilité à un petit bruit, à des choses qui se passent. Quand tu as cinq personnes en face de toi et que tu sens que l’une d’elles commence à craindre ce que pourrrait faire une autre qu’elle connaît bien. Tu identifies le mec comme dangereux et tu te dépêches de t’éloigner. Tes pires souvenirs, c’est la Nouvelle Orléans et la Bolivie ?


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Oléron

OLéROn 6 LETTRES & 6 PASSIONS

La plus grande des îles atlantiques émerge de l’océan vert sombre tel un diamant brut. Moins léchée, moins proprette que ses camarades, elle ne semble s’accommoder que de personnages passionnés prêts à s’investir sans tricher et sans compter sur une authentique terre marine. Christophe Migeon — Textes & photos

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Le mystère des huîtres d’Oléron tiré aux claires Les huîtres sont affinées dans des claires, d’anciens marais salants irrigués en eau de mer. Cette opération primordiale pour le goût et la texture du mollusque se pratique toute l’année sauf l’été. Il y a trois appellations : la fine de claire reste au moins 28 jours à raison de 20 huîtres au m² ; la spéciale de claire passe trois mois en compagnie d’une dizaine de collègues au m² ; enfin, la pousse en claire, Rolls des Marennes-Oléron, engraisse pendant presque 6 mois avec 2 ou 5 privilégiées au m². Avec un tel régime, la bête est presque aussi grosse qu’une escalope. Il n’empêche que les Français s’obstinent à préférer les huîtres de taille moyenne.

ostréiculteur ——

Le nom d’Oléron, généralement associé à celui de Marennes, évoque immanquablement une assiette garnie de bivalves verdâtres à l’agonie, consommés un soir de fête entre deux renvois de champagne. De fait, les deux tiers de la production sont écoulés aux fêtes de Noël et de Nouvel An. Ce qui n’empêche nullement l’ostréiculteur de rester tout au long de l’année aux petits soins de ces mollusques bien fragiles. Avec le développement de l’élevage, la fable selon laquelle il ne faudrait manger des huîtres que pendant

les « mois en R » a été reléguée au panthéon des niaiseries de l’almanach Vermot. Tous les jours ou presque, Benoît Massé enfile ses cuissardes, et se glisse dans l’eau fraîche pour rendre visite à ses pensionnaires qui baillent à s’en décrocher la noix dans l’eau turbide de ce qu’il est convenu d’appeler l’estran vaseux. La subtile combinaison de l’Atlantique et de l’estuaire de la Seudre leur rend les joues bien fraîches. Mais le teint n’est pas encore suffisamment vert. « Pour cela, il faut encore les affiner dans les claires, où elles rencontrent la navicule bleue, une algue microscopique qui leur donne cette couleur si particulière » expliquet-il. Un travail parfois ingrat quand il s’agit de retourner un millier de poches remplies de 10 à 15 kg

d’huîtres en une après-midi. Et puis il y a les vols, comme cette trentaine de tonnes volatilisées l’été dernier sur tout le bassin. Le prix moyen de 3 500 euros la tonne a de quoi aiguiser l’appétit des coquins. Mais le plus dur, ce n’est pas tant les poches disparues, les tours de rein ou les doigts gelés. « Le froid, le chaud, la fatigue … on peut y faire quelque chose, mais on reste démunis devant les caprices de la nature. Une tempête, un virus et tout est perdu ! » Voilà 5 ans qu’un genre d’herpès ravage les naissains. « On en perd 80 % chaque année, une vraie catastrophe. » Des tentatives d’introduction de nouvelles espèces ont été étudiées et c’est l’huître de l’estuaire de la Gironde qui semble tenir la corde. n°14 / septembre — octobre 2012


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nuits brûlantes à

HawaII Au risque de décevoir le lecteur, cette histoire au titre prometteur, ne traite que de phénomènes géologiques extraordinaires et de gens suffisamment dingues ou passionnés – selon les versions - pour aller s’y frotter. Les coulées ne sont que de lave, les lèvres désignent de très honnêtes bords de cratère et les points chauds demeurent embusqués plusieurs kilomètr es sous terre. On vous aura prévenu. Christophe Migeon — Textes & photos

n°14 / septembre — octobre 2012



partir / A/R magazine voyageur — 57

cuba carnet de voyage

Cuba ! Est-ce sa forme intriguante de crocodile aux aguets qui m’a toujours attirée ? Ou le béguin adolescent pour le Che ? Je l’avoue, jai toujours rêvé d’un pèlerinage à Santa Clara. Ou alors est-ce l’effet du Buena Vista Social Club qui depuis des années fait pousser les ailes du désir ? Je n’allais pas attendre que Raúl Castro passe la main pour m’y rendre. Emma Chamard — Textes Alexandre Martin — Photographies

La Havane : vieilles voitures Le 7 mai 2012 Dès le premier pas pour sortir de l’aéroport, on est dans le bain ! Dans le bain de vapeur pour être exact. Subitement le t-shirt colle à la peau et on se dit que le type qui a laissé ouverte la porte du four n’est pas très sérieux. Bienvenue sous les tropiques. Sur le ciel qui s’obscurcit déjà, les silhouettes des palmiers dessinent des points d’exclamation à l’envers. À l’espagnole en fait ! Par la fenêtre du taxi qui roule jusqu’à la Vieille Havane, le décor défile et raconte par bribes la révolution, le socialisme, la pauvreté, l’histoire coloniale et aussi l’Amérique. Des Cadillac, Chevrolet, Oldmobile … importées dans les années 40 et 50 rendent encore service grâce au dévouement de leurs propriétaires qui les bichonnent comme les reliques les plus sacrées. Seul le Che a droit à plus d’égards. Quelle majesté quand elles fendent le flot du trafic jamais excessif faut-il le préciser, paquebots parmi l’humble flottille constituée de tous les autres véhicules au premier rang desquels on trouve

la Lada soviétique et souvent déglinguée. Sur le Malecón, la célèbre avenue du front de mer, on s’est arrêté avant que le soleil ne parte se coucher pour de bon. Il n’était pas encore 20 heures. La Havane : une ville fatiguée Le 8 mai 2012 Impossible de résister au charme de la Vieille Havane. Entre la plaza de Armas et la plaza de la Catedral, le XVIe siècle espagnol parade. Les édifices sont si bien restaurés qu’ils paraissent faux un peu comme ses vieilles Américaines, pas les voitures, qui passent leur retraite en Floride toute proche et abusent de Botox et de lifting. Mais il faut ce qu’il faut pour se montrer digne du classement au patrimoine mondial de l’Unesco. Quelques rues plus loin, les apparences s’effritent en même temps que les murs. La ville se relâche, mais je reste sous le charme, cette fois de la décadence. Dans la fissure d’une façade, un arbre a entrepris de pousser, j’aperçois par la porte entrouverte d’un immeuble, dans le couloir, des n°14 / septembre — octobre 2012


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Parc national

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TOUCHE PAS à MES CALANQUES ! Parc National des Calanques, Marseille

Depuis le 18 avril, les calanques entre Marseille et Cassis ont été élevées au rang de Parc national, le premier en Europe à être à la fois terrestre, marin et péri-urbain. Le défi est immense : il va falloir préserver un patrimoine naturel exceptionnel et fragile aux portes d’une ville d’un million d’habitants. Texte : camille rustici photos : David Lefranc

«

Terminus ! » lance le chauffeur à l’attention des passagers du bus n°22, tout en se garant à quelques mètres de la prison des Baumettes avant de rajouter « pour les calanques, suivre la route du feu ». Me voilà dans le IXe arrondissement de la deuxième ville de France, à l’entrée du nouveau Parc National des Calanques, le premier parc métropolitain depuis le Mercantour en 1979. Drôle de quartier qui abrite une prison et constitue en même temps le point d’accès d’un des plus beaux et des plus vieux trésors de la Méditerranée.

Un joyau naturel J’emprunte donc la route du feu toute en lacets, bordée de pins d’Alep et creusée dans le calcaire. Tout en bas, à une heure de marche, se trouve la calanque de Morgiou. Calanque, du provençal calenco, signifie escarpé et il faut mouiller la chemise pour les découvrir. Cent millions d’années d’érosion ont été nécessaires pour sculpter ce relief échancré et tourmenté et offrir le spectacle exceptionnel que l’on peut admirer aujourd’hui en prenant un simple ticket de bus : des falaises d’un calcaire blanc aveuglant qui plon-

gent dans une eau turquoise, cette même eau qui en rongeant la roche a dessiné de somptueuses criques. En s’enfonçant dans le massif, je réalise à quel point la vie a dû ruser pour parvenir à se développer sur ces falaises soumises à des conditions climatiques extrêmes. En dépit du vent, de la sécheresse et des embruns, une centaine d’espèces endémiques uniques au monde sont parvenues à s’adapter. Là où l’astragale de Marseille, la sabline de Provence, l’aigle de Bonelli ou le molosse de Cestoni, une chauve-souris typiquement méditerranéenne, ont élu domicile, les hommes se sont tenus à l’écart à l’exception d’une poignée de pêcheurs qui ont bâti au fond de quelques calanques de petits cabanons, des hébergements de fortune qui aujourd’hui, avec l’explosion du tourisme, valent de l’or.

Un trésor menacé Me voici enfin arrivée au bas de la calanque de Morgiou, une calanque qui a tout du village. Des petits cabanons perchés sur les rochers, une plage de galets, un petit port, un restaurant. Je ressens le sentiment d’un isolement total. Impossible de s’imaginer au cœur d’une ville. n°14 / septembre — octobre 2012


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durable / A/R magazine voyageur — 85

Passage à l’acte

j’ai testé la rando photo objectif irlande Comment « brûler » une photo ? En exposant le capteur de l’appareil à une lumière trop forte. Pour qu’on ne me dise plus jamais « tu as encore cramé ton ciel », je suis partie en rando-photo pour gagner mes galons de photographe. L’Irlande m’attendait pour essuyer les plâtres. Textes &Photos: margot boutges

les commentaires du pro : sylvain dussans Ce qui marche Tu as osé sortir l’appareil alors que le brouillard et la pluie en aurait rebuté plus d’un, résultat, tu as capté l’essence même de l’ambiance d’un paysage irlandais. Ce qui pourrait être amélioré Tu as fait le choix d’intégrer le bâtiment agricole, mais en bougeant un peu, tu aurais pu le supprimer du cadre pour donner plus de force au mouton.

septembre — octobre 2012/ n°14

j’

ai longtemps réalisé des clichés sans vraiment me soucier de l’endroit où je posais mon œil et mes mains. Le temps du jetable fut celui des portraits aux regards écarlates tendance lapin aveuglé par les phares d’une voiture et des paysages masqués par des morceaux de chairs rosâtres : mes doigts. Contrairement à mes attentes, le passage au numérique n’a rien arrangé. « Et si tu testais la rando-photo ? », m’a proposé A/R, alerté de ma furieuse envie de progresser. Voila comment j’ai atterri à l’ouest de Irlande, baskets pourries aux pieds et réflex flambant neuf sur l’épaule en compagnie d’un groupe placé sous la houlette de Sylvain Dussans. Depuis dix ans, ce savoyard de 36 ans conjugue son métier de photographe avec celui d’accompagnateur de montagne en proposant aux trekkeurs amoureux du huitième art de marcher au rythme des temps de pose de l’appareil. Il avoue une franche obsession pour les grands espaces.

La marque du Mayo Accolé au Connemara, le comté de Mayo n’a pas bénéficié comme son voisin d’un John Wayne au sommet de sa forme dans le film de John Ford L’homme tranquille, ni d’un Michel Sardou beuglant sur un air de gigue quelque chose à propos de lacs et de terres brûlées pour sortir de l’anonymat. Et pourtant, lui aussi offre au promeneur des paysages dramatiques où le vert se déploie à l’infini. Sur l’île Achill, soudée par un petit pont au Mayo, le jaune et le mauve contestent ce monopole. Finalement, le rhododendron a le dernier mot sur l’ajonc. Ses fleurettes prospèrent sans craindre les salissures de la tourbière. Imitant les gestes du prof, les photographes en herbe se sont alignés en rang d’oignon pour apprivoiser le tableau. Je me bats avec une purée de poix zébrée qui parasite le ciel blanc de mon écran. Verdict du maître : « Surexposition, il faut baisser l’exposition. ». Je m’exécute, mais cette fois, c’est le trou noir. « Sousexposition, explique Sylvain. L’appareil n’est pas aussi subtil que ton œil. Si tu veux avoir un paysage aux contrastes harmonieux sans passer par une série de retouches, il te faudra parfois choisir entre la terre et le ciel. » Alors

que ce dernier me tombe sur la tête sous le poids de la révélation des limites de la technologie, je choisis la terre. Celle-ci a gardé l’empreinte de la grande famine. De 1846 à 1849, la maladie de la pomme de terre a contraint une grande partie de la population à l’exil. En témoignent les ruines d’un village abandonné qui s’accrochent encore aux pentes du mont Slievemore. Les vieilles pierres ne se laissent pas facilement photographier et pour ne rien arranger les semelles de mes vieilles baskets ont rendu l’âme dans la tourbière. C’est en chaussettes que je gravis le Croagh Patrick, une montagne pas comme les autres où, en l’an 441, Saint Patrick, l’évangélisateur de l’Irlande, passa 40 jours et 40 nuits à prier, à jeûner et en profita par une ruse à sa façon pour chasser de l’île tous les serpents. Pour l’ensemble de son œuvre, chaque 17 mars, jour de fête nationale, on le célèbre à coups de pintes de Guinness tandis que le der-

les commentaires du pro : sylvain dussans Ce qui marche La composition et le cadrage sont bons, avec une perspective qui fuit vers le bout du fjord. Les lignes de bouées renforcent cet effet qui donne de la profondeur à l’image.

nier dimanche de juillet, ici même, des millers de pèlerins partent à l’assaut de la montagne, certains pieds nus. Avec mes chaussettes, je ne risque pas d’émouvoir grand monde. Au sommet, une petite chapelle et surtout un panorama magistral sur l’Atlantique, sorte de balayage à 180° d’un vaste tapis d’îles. Manque de bol, le brouillard grignote l’horizon. Quand une heure plus tard, le bleu troue enfin les nuages, on mitraille à s’en luxer le pouce tout en caracolant sur l’arête escarpée de la baie de Clew.

Là-bas au Connemara Qui va de Mayo au Connemara doit emprunter la route de Doo Lough dans un décor de commencement du monde. De-ci de-là, quelques indices de présence humaine s’avèrent pratiques : panneaux jaunes et monuments aux morts aident le photographe à rentrer dans un paysage trop immense pour se laisser encadrer. Je l’ignore encore mais c’est le lendemain que je ferai ma plus belle rencontre. Je le regarde. Il me regarde. Décidément ce mouton a de l’allure. Le voilà qui pose pour moi, bien campé au milieu des champs, fier de ses bouclettes immaculées quand la plupart de ses compères ont écopé d’une tâche de peinture sur leur toison avant d’être livrés à l’aventure de l’errance. Lui, sans doute plus casanier et ne quittant pas les abords de sa bergerie a été épargné.

Ce qui aurait pu être amélioré Un coup de chiffon microfibre pour enlever les gouttes d’eau de la lentille frontale ! La scène est assez contrastée et tu n’as pas pu avoir une exposition correcte pour le premier plan et le ciel. Le ciel est donc surexposé, sans matière.

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Passage à l’acte

j’ai testé la rando photo objectif irlande Comment « brûler » une photo ? En exposant le capteur de l’appareil à une lumière trop forte. Pour qu’on ne me dise plus jamais « tu as encore cramé ton ciel », je suis partie en rando-photo pour gagner mes galons de photographe. L’Irlande m’attendait pour essuyer les plâtres. Textes &Photos: margot boutges

les commentaires du pro : sylvain dussans Ce qui marche Tu as osé sortir l’appareil alors que le brouillard et la pluie en aurait rebuté plus d’un, résultat, tu as capté l’essence même de l’ambiance d’un paysage irlandais. Ce qui pourrait être amélioré Tu as fait le choix d’intégrer le bâtiment agricole, mais en bougeant un peu, tu aurais pu le supprimer du cadre pour donner plus de force au mouton.

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j’

ai longtemps réalisé des clichés sans vraiment me soucier de l’endroit où je posais mon œil et mes mains. Le temps du jetable fut celui des portraits aux regards écarlates tendance lapin aveuglé par les phares d’une voiture et des paysages masqués par des morceaux de chairs rosâtres : mes doigts. Contrairement à mes attentes, le passage au numérique n’a rien arrangé. « Et si tu testais la rando-photo ? », m’a proposé A/R, alerté de ma furieuse envie de progresser. Voila comment j’ai atterri à l’ouest de Irlande, baskets pourries aux pieds et réflex flambant neuf sur l’épaule en compagnie d’un groupe placé sous la houlette de Sylvain Dussans. Depuis dix ans, ce savoyard de 36 ans conjugue son métier de photographe avec celui d’accompagnateur de montagne en proposant aux trekkeurs amoureux du huitième art de marcher au rythme des temps de pose de l’appareil. Il avoue une franche obsession pour les grands espaces.

La marque du Mayo Accolé au Connemara, le comté de Mayo n’a pas bénéficié comme son voisin d’un John Wayne au sommet de sa forme dans le film de John Ford L’homme tranquille, ni d’un Michel Sardou beuglant sur un air de gigue quelque chose à propos de lacs et de terres brûlées pour sortir de l’anonymat. Et pourtant, lui aussi offre au promeneur des paysages dramatiques où le vert se déploie à l’infini. Sur l’île Achill, soudée par un petit pont au Mayo, le jaune et le mauve contestent ce monopole. Finalement, le rhododendron a le dernier mot sur l’ajonc. Ses fleurettes prospèrent sans craindre les salissures de la tourbière. Imitant les gestes du prof, les photographes en herbe se sont alignés en rang d’oignon pour apprivoiser le tableau. Je me bats avec une purée de poix zébrée qui parasite le ciel blanc de mon écran. Verdict du maître : « Surexposition, il faut baisser l’exposition. ». Je m’exécute, mais cette fois, c’est le trou noir. « Sousexposition, explique Sylvain. L’appareil n’est pas aussi subtil que ton œil. Si tu veux avoir un paysage aux contrastes harmonieux sans passer par une série de retouches, il te faudra parfois choisir entre la terre et le ciel. » Alors

que ce dernier me tombe sur la tête sous le poids de la révélation des limites de la technologie, je choisis la terre. Celle-ci a gardé l’empreinte de la grande famine. De 1846 à 1849, la maladie de la pomme de terre a contraint une grande partie de la population à l’exil. En témoignent les ruines d’un village abandonné qui s’accrochent encore aux pentes du mont Slievemore. Les vieilles pierres ne se laissent pas facilement photographier et pour ne rien arranger les semelles de mes vieilles baskets ont rendu l’âme dans la tourbière. C’est en chaussettes que je gravis le Croagh Patrick, une montagne pas comme les autres où, en l’an 441, Saint Patrick, l’évangélisateur de l’Irlande, passa 40 jours et 40 nuits à prier, à jeûner et en profita par une ruse à sa façon pour chasser de l’île tous les serpents. Pour l’ensemble de son œuvre, chaque 17 mars, jour de fête nationale, on le célèbre à coups de pintes de Guinness tandis que le der-

les commentaires du pro : sylvain dussans Ce qui marche La composition et le cadrage sont bons, avec une perspective qui fuit vers le bout du fjord. Les lignes de bouées renforcent cet effet qui donne de la profondeur à l’image.

nier dimanche de juillet, ici même, des millers de pèlerins partent à l’assaut de la montagne, certains pieds nus. Avec mes chaussettes, je ne risque pas d’émouvoir grand monde. Au sommet, une petite chapelle et surtout un panorama magistral sur l’Atlantique, sorte de balayage à 180° d’un vaste tapis d’îles. Manque de bol, le brouillard grignote l’horizon. Quand une heure plus tard, le bleu troue enfin les nuages, on mitraille à s’en luxer le pouce tout en caracolant sur l’arête escarpée de la baie de Clew.

Là-bas au Connemara Qui va de Mayo au Connemara doit emprunter la route de Doo Lough dans un décor de commencement du monde. De-ci de-là, quelques indices de présence humaine s’avèrent pratiques : panneaux jaunes et monuments aux morts aident le photographe à rentrer dans un paysage trop immense pour se laisser encadrer. Je l’ignore encore mais c’est le lendemain que je ferai ma plus belle rencontre. Je le regarde. Il me regarde. Décidément ce mouton a de l’allure. Le voilà qui pose pour moi, bien campé au milieu des champs, fier de ses bouclettes immaculées quand la plupart de ses compères ont écopé d’une tâche de peinture sur leur toison avant d’être livrés à l’aventure de l’errance. Lui, sans doute plus casanier et ne quittant pas les abords de sa bergerie a été épargné.

Ce qui aurait pu être amélioré Un coup de chiffon microfibre pour enlever les gouttes d’eau de la lentille frontale ! La scène est assez contrastée et tu n’as pas pu avoir une exposition correcte pour le premier plan et le ciel. Le ciel est donc surexposé, sans matière.

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