Christian Delporte : Quand la politique veut séduire

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Christian Delporte « Quand la politique veut séduire » Les Idées en scène, 6 mars 2015

Texte écrit par Christian Delporte dans le cadre du débat «Quand la politique veut séduire» Cycle de débats «Les idées en scène» organisé par la Villa Gillet, le Théâtre de la Croix-Rousse et l’Opéra de Lyon Tous droits réservés


La séduction porte en elle le mensonge, la ruse, la manœuvre. Seducere, en latin, c’est « tirer à l’écart », détourner quelqu’un de son chemin, l’extirper de son lieu d’existence et, dans le sens le plus fort de l’action, « amener à soi », sans ou contre la volonté de l’intéressé(e). Longtemps, elle fut considérée comme démoniaque. Au XVIIIe siècle, pourtant, le mot changea de registre, en basculant dans l’imaginaire de la volupté, pour simplement signifier la volonté de plaire. Au XXe siècle, on admit même qu’entre deux êtres la séduction pouvait être réciproque ! Mais en politique, la séduction n’a pas suivi pas ce chemin : elle sent encore l’intrigue, la tromperie, la manipulation ; au mieux, la futilité. Elle est toujours l’arme de l’adversaire qui cherche à abuser de la naïveté de ses auditeurs. Elle s’oppose à la bonne façon de faire de la politique : dire ce qui est, parler à la raison, faire partager ses convictions, démontrer, argumenter, pour convaincre. Séduire et convaincre seraient donc intrinsèquement contradictoires, comme si Jaurès, Churchill ou De Gaulle, donnés en modèles des grands hommes, n’avaient jamais usé des émotions, jamais cherché à plaire, jamais joué sur le registre affectif pour conduire leurs compatriotes à penser comme eux. Convaincre grandirait la politique, tandis que séduire l’avilirait. Mais peut-on prétendre sérieusement que Jaurès, à la tribune, ne recherchait pas l’effet théâtral pour enflammer les imaginations et que le « V » de la victoire, utilisé par Churchill bien après la fin de la guerre, n’était pas un geste calculé pour raviver l’affection des Britanniques, peu à peu émoussée ? On sait qu’Abraham Lincoln, le vertueux et austère Lincoln, exigeait de ses portraitistes qu’ils lui raccourcissent le cou sur leurs toiles, pour se montrer à son avantage. Sa coquetterie atteste la volonté de plaire. « Quand on veut passionner les foules, disait-il, il faut d’abord parler à leurs yeux ». Plus que jamais, à l’heure de la communication, l’homme politique cherche à tisser un lien affectif avec une opinion par nature versatile, à la prendre dans la toile de son imaginaire. Pour qu’elle s’identifie durablement à lui, pour éviter qu’elle n’aille butiner ailleurs, il doit donner de sa personne, la charmer par les apparences, mettre à profit toutes les ressources sensibles de son corps : ses qualités physiques, l’harmonie de son visage, l’élégance de sa silhouette, la vitalité de son allure. Le verbe est là pour provoquer chez son auditeur les vibrations émotionnelles qui le désarmeront et le conduiront à lui. Comme tout séducteur, l’homme politique déploie aussi l’éventail des expressions non verbales, sourire, gestes, mimiques, ondulations de la voix, puissance et variations du regard, propres à favoriser l’attention. Peu importe qu’il soit beau ou laid, pourvu que l’homme politique puisse, au bout du compte, incarner les vertus du pouvoir, l’énergie, le dynamisme, la volonté, et inspirer l’indispensable confiance. Oui, la séduction est inséparable des stratégies politiques pour capter les faveurs du peuple, pour s’en faire aimer, pour conquérir le pouvoir et s’y maintenir. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Qu’on se réfère au De petitione consulatus, étonnant petit manuel de campagne électorale écrit au 1er siècle avant Jésus-Christ par Quintus Cicéron

Texte écrit par Christian Delporte dans le cadre du débat «Quand la politique veut séduire» Cycle de débats «Les idées en scène» organisé par la Villa Gillet, le Théâtre de la Croix-Rousse et l’Opéra de Lyon Tous droits réservés


(frère du grand orateur Cicéron). Un candidat à une magistrature, nous dit-il, doit avoir le « sens de la flatterie » et surtout savoir adapter son « visage » et son « discours » à l’interlocuteur du moment, « selon ses idées et ses sentiments ». Eloge de la démagogie ? Cynisme politique ? Bien plus, peut-être, l’idée qu’en politique l’électeur attend qu’on le séduise.

Texte écrit par Christian Delporte dans le cadre du débat «Quand la politique veut séduire» Cycle de débats «Les idées en scène» organisé par la Villa Gillet, le Théâtre de la Croix-Rousse et l’Opéra de Lyon Tous droits réservés


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