Marie de Gandt : Quand la politique veut séduire

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Marie de Gandt « Quand la politique veut séduire » Les Idées en scène, 6 mars 2015

Texte écrit par Marie de Gandt dans le cadre du débat «Quand la politique veut séduire» Cycle de débats «Les idées en scène» organisé par la Villa Gillet, le Théâtre de la Croix-Rousse et l’Opéra de Lyon Tous droits réservés


Que la politique cherche à séduire, c’est dans la nature même d’une parole qui vise, depuis l’Antiquité, à « plaire et émouvoir » afin de susciter l’adhésion des citoyens et de les faire communier dans l’amour des mêmes valeurs. Mais à l’époque moderne, cet effet de séduction s’est paradoxalement exacerbé : le politique cherche à resserrer le lien affectif avec les citoyens, afin de pallier la faiblesse du lien idéologique née de la fin d’une croyance collective aux « grands récits ». Tentative d’autant plus forcenée qu’elle est désespérée : chacun constate le désamour dont la politique, et ceux qui la pratiquent, sont désormais victimes. Mais ce dont souffre la politique aujourd’hui, ce n’est pas seulement de ne plus inspirer la passion, c’est même de susciter la défiance, d’être considérée comme un univers fonctionnant à son propre service, une activité menée par les praticiens d’une parole de manipulation et de charlatanisme, ou une stérile agitation incapable d’avoir prise sur la transformation du monde, réduite à n’être que la chambre d’enregistrement d’évolutions sociales et économiques qui la dépassent. Cette défiance empêche toute parole politique d’être entendue comme porteuse de sens, d’engagement et d’efficacité. Pour retrouver une crédibilité, et pas simplement susciter un effet de croyance par quelques tours de passe-passe rhétoriques, la politique doit faire ses preuves sur le terrain. Et ce terrain est aussi de l’ordre du discours. Il ne s’agit pas de faire avec condescendance la « pédagogie » des réformes, car jamais les citoyens n’ont été aussi informés, jamais ils n’ont été aussi au fait des discours et des enjeux, mais de leur proposer un constat lucide et sincère sur les limites, mais alors aussi sur l’empire réel, du volontarisme politique. A en croire les stratèges politiques, énoncer les impasses, les revirements forcés, les échecs de sa propre action politique est un danger démocratique. De même, exposer lucidement ce qu’on garde de ses prédécesseurs et ce qu’on ne défera pas, parce qu’au fond on est d’accord, qu’on aurait fait la même chose et qu’on n’a critiqué que pour dramatiser la dualité de la vie politique, serait un choix suicidaire face aux élections qui arrivent. Mais tout ce jeu puéril il faut y renoncer, fût-ce au péril de faire monter l’extrême droite qui y verra un boulevard pour crier à « l’UMPS ». Car cela permettra alors de faire à nouveau appel à l’intelligence des citoyens : à charge pour eux de repérer des éléments plus petits que la grande théâtralisation des affiliations, plus symboliques peut-être, mais pas moins importants pour la façon dont se bâtit une cohésion collective, dans la différence entre « identité nationale » et identité républicaine. Alors les mots retrouveront du poids, du lien, de la force, au lieu d’être instrumentalisés dans un discours émotionnel délié de tout rapport à une action et à une intention. Idéalisme ? Oui, mais il faut l’assumer. Idéalisme bien peu lyrique face aux séductions d’un grand et beau récit de rupture et d’emportement identitaire ? Il faut renoncer aux grandes espérances mensongères de la parole emphatique si l’on veut renouer avec l’élan des convictions qui poussent un peuple à voter, à débattre, à s’investir, à agir. On cherchera alors une rhétorique mesurée, qui fasse appel à la raison plus qu’aux émotions. Une rhétorique de la conviction, de la rationalité, des beautés logiques. Texte écrit par Marie de Gandt dans le cadre du débat «Quand la politique veut séduire» Cycle de débats «Les idées en scène» organisé par la Villa Gillet, le Théâtre de la Croix-Rousse et l’Opéra de Lyon Tous droits réservés


Renoncer aux séductions superficielles, c’est renoncer à un régime politique qui oscille entre, d’un côté, le duce qui veut se-ducere, éloigner du droit chemin qu’est le bien collectif, et, de l’autre, l’éparpillement des engouements démagogiques, afin de cumducere, conduire le changement ensemble, justement parce qu’on ne prendra pas les citoyens pour ce qu’ils ne sont pas !

Texte écrit par Marie de Gandt dans le cadre du débat «Quand la politique veut séduire» Cycle de débats «Les idées en scène» organisé par la Villa Gillet, le Théâtre de la Croix-Rousse et l’Opéra de Lyon Tous droits réservés


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