Trois Couleurs #135 - octobre 2015

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le monde à l’écran

m. night shyamalan du 7 oct. au 3 nov. 2015

Rencontre avec le réalisateur de The Visit

hirokazu kore-eda Le cinéaste nous parle de Notre petite sœur

et aussi

Robert Zemeckis, L’Image manquante, Vald…

FATIMA

PORTRAIT LUMINEUX D’UNE FEMME DE L’OMBRE www.troiscouleurs.fr 1

no 135 – gratuit


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octobre 2015


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l’e ntreti e n du mois

Robert Zemeckis

© stéphane manel

Rencontre avec un cinéaste sur le fil

« je ne crois pas que notre industrie survivra si elle n’ose pas prendre des risques. » 4

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l’e ntreti e n du mois

Robert Zemeckis s’est imposé dès les années 1990 comme l’un des réalisateurs les plus enclins à intégrer les trucages numériques à sa mise en scène, des effets spéciaux invisibles de Forrest Gump ou Contact aux tournages virtuels du Pôle Express. Cinéaste audacieux et jusqu’au-boutiste, il ne pouvait que se reconnaître dans la folle performance du funambule Philippe Petit qui, en 1974, effectua une traversée sur un câble tendu entre les tours du World Trade Center – exploit que relate The Walk. Rêver plus haut. Au téléphone, le réalisateur, notoirement réfractaire à l’exercice de l’interview, s’est révélé passionné et loquace.

T

PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

he walk. rêver plus haut tient avant tout du film de hold-up : on y retrouve tous les poncifs du genre, de la formation d’une équipe hétéroclite de spécialistes à l’établissement d’un plan tarabiscoté, en passant par les impondérables de dernière minute. La structure et la caractérisation des personnages proviennent en effet totalement du caper movie. Mais ce film est aussi une fable, l’histoire d’une passion artistique, et enfin un ballet. La marche de Philippe sur le câble est très chorégraphiée, à la manière d’un danseur. diriez-vous que lorsque petit affronte le vide, c’est comme lorsque vous devez affronter la page blanche du scénario ? Faire ce premier pas, c’est une chose commune à tous les artistes. Il s’agit finalement de prendre un risque. Ce qu’a fait Philippe est extrême, il a risqué sa vie au nom de son art. En tant que cinéaste, je ne mets pas ma vie physique en danger, mais je mets mon œuvre et mon esprit en danger. Un artiste ne peut pas rester dans sa zone de confort. prendre des risques n’est pourtant pas le fort de hollywood… C’est vrai, et c’est très triste. Je ne crois pas que notre industrie survivra si elle n’ose pas prendre des risques. Ce fut d’ailleurs très dur de lever les fonds pour The Walk, j’ai travaillé plus de neuf ans sur ce projet avant que Tom Rothman, qui est aujourd’hui à la tête de Sony, accepte de me soutenir. Ce film n’est pas ce que l’on appelle un « titre pré-vendu », c’est-à-dire une suite, un remake ou un film tiré d’une franchise. vous avez songé à tourner le film en capture de mouvement, comme vous l’aviez fait pour la légende de beowulf ou le drôle de noël de scrooge. Il y a neuf ans, la technologie cinématographique n’était pas assez avancée pour que je tourne cette histoire comme je l’entendais, et opter pour un film intégralement en image de synthèse semblait être la seule option envisageable. Quelque part, je suis heureux d’avoir attendu tout ce temps. Le film n’aurait pas été aussi beau si je l’avais réalisé avant.

Mais, ceci étant dit, il y a beaucoup de capture de mouvement dans The Walk : les personnages y sont plusieurs fois figurés en image de synthèse. c’est totalement imperceptible. Cela fait très longtemps que je suis persuadé que nos outils vont devenir suffisamment performants pour que l’on ne distingue plus un film classique d’un film en image de synthèse. Et The Walk marque à mon sens une nouvelle étape dans cette évolution naturelle du cinéma. La traversée des tours, par exemple, a d’abord été conçue avec un brouillon de la séquence en image de synthèse. Nous avons fait une session de capture de mouvement avec Philippe Petit qui a rejoué en personne son numéro de funambule sur un câble de la même longueur que celui qui reliait les tours jumelles, en tâchant de répliquer pas à pas sa performance. C’est à partir de ces données que j’ai pu définir l’emplacement de ma caméra et les mouvements de celle-ci. Il s’agissait d’établir une danse entre la caméra et le personnage. Comme je vous le disais, ce film est aussi un ballet. le film est tourné en 3d relief. le relief est-il un langage visuel différent de celui d’un film à plat ? Oui je crois, de la même façon que vous ne tournerez pas de la même manière un film en couleur ou en noir et blanc. Mais le relief ne doit pas supplanter le reste. Faire mon précédent film – Flight – en relief aurait été une erreur. Le relief doit émaner organiquement de l’histoire. Or, dès le début du développement de The Walk, j’étais convaincu qu’il fallait raconter l’histoire de Philippe Petit en relief, que c’était le seul moyen de parvenir à retranscrire les émotions provoquées par son expérience. le relief permet évidemment d’accroître la sensation de vertige, mais aussi le caractère théâtral de petit. quand il s’adresse au spectateur, perché sur la statue de la liberté, il semble être sur une scène, devant nous. J’ai toujours voulu que le film ait un caractère fantasque, presque comme un conte de fées. C’est ainsi que Philippe aimerait raconter son histoire, qu’il souhaiterait se placer par rapport au lieu de sa performance. The Walk est le premier de mes films qui est basé sur une personnalité existante.

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l’e ntreti e n du mois

« il s’agissait d’établir une danse entre la caméra et le personnage. » J’ai donc passé des mois avec Philippe, je l’ai filmé en train de raconter toute la traversée, par exemple. Il fallait que je puisse le comprendre au mieux et que le ton du film s’adapte à sa personnalité, qui est elle-même très théâtrale. les tours jumelles sont des personnages à part entière de votre film. C’est une chose qui vient de Philippe – il les qualifie de « partenaires ». Pour lui, elles étaient des choses vivantes. Il a un respect immense pour ces tours, il les adore. Il fallait donc que je parvienne à les personnifier. cette caractérisation est particulièrement sensible dans la scène durant laquelle petit arrive pour la première fois au pied du world trade center. Dans ce plan-séquence, les tours sont évidemment recréées en image de synthèse. Autrement dit, nous filmions du vide sur le plateau. Mais comme leur présence était primordiale pour ma mise en scène, j’ai utilisé une SimulCam – cela s’apparente à de la réalité augmentée. Grâce à une batterie d’outils informatiques, un modèle numérique des tours apparaissait en direct dans le viseur de notre caméra. Nous savions ainsi où seraient les tours numériques dans l’espace vide que nous filmions. Or, ce qui est intéressant, c’est que j’ai découvert en calant mes plans que les tours vous provoquaient un violent choc viscéral lorsque vous les observiez du sol. Je ne m’attendais pas à ce que l’on soit béat d’admiration à leur pied, pas à ce point-là

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en tout cas. J’ai tâché d’intégrer cette sensation à ma mise en scène. votre cinéma a la particularité de prendre le parti du point de vue unique. retour vers le futur ne fonctionne que parce que le spectateur reste en permanence du côté du héros, marty mcfly. c’est la même chose dans the walk. quand, par exemple, petit prépare sa traversée, nous ne quittons jamais la tour nord, celle sur laquelle il se trouve. C’est une chose primordiale pour moi : je suis convaincu que les films doivent adopter un point de vue unique. Il est très facile et très tentant pour un réalisateur de casser cette règle. Pendant la préparation de la traversée, j’aurais, par exemple, pu faire des plans de coupe sur les gardes qui appellent les policiers. J’aurais ainsi donné à bon compte aux spectateurs des informations pour que l’histoire progresse. Mais c’est Philippe notre narrateur, et pour que l’on partage émotionnellement son aventure, il fallait que je reste avec lui. Si j’avais brisé cette subjectivité, les spectateurs auraient senti, même inconsciemment, que j’intervenais avec un regard omniscient, et leur empathie pour le personnage en aurait été brisée. En tant que cinéaste, je me dois de garder la pureté de ma narration.

The Walk. Rêver plus haut de Robert Zemeckis avec Joseph Gordon-Levitt, Ben Kingsley… Distribution : Sony Pictures Durée : 2h03 Sortie le 28 octobre

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Sommaire

Du 7 octobre au 3 novembre 2015

À la une… 4

en ouverture

portrait

Robert Zemeckis

L’audacieux cinéaste ne pouvait que se reconnaître dans la folle performance du funambule Philippe Petit qui, en 1974, effectua une traversée sur un câble tendu entre les tours du World Trade Center. Un exploit qu’il relate dans The Walk. Rêver plus haut.

©stéphane manel ; chean long / centre bophana ; pyramide ; antoine doyen ; d.r. ; philippe quaisse / pasco ; libitum ; sarker protick

entretien

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Rithy Panh Rescapé du terrifiant génocide cambodgien, le réalisateur affronte son passé dans L’Image manquante, un documentaire au dispositif intrigant.

en couverture 42

Fatima Toujours pudique et jamais misérabiliste, Philippe Faucon signe la lumineuse chronique d’une intégration réussie et rend hommage aux invisibles du quotidien.

M. Night Shyamalan

Après deux blockbusters mal-aimés (Le Dernier Maître de l’air et After Earth), l’auteur des inoubliables Sixième sens et Incassable avait à cœur de reconquérir ses fans. Avec The Visit, l’histoire de deux ados qui passent une semaine terrifiante chez leurs grands-parents, M. Night Shyamalan renoue avec ses premiers plaisirs : balader le spectateur tout en le clouant à son fauteuil. En entretien, le réalisateur est à l’image de son film : avec humour, il nous offre une leçon de cinéma ludique et captivante.

souvenirs de tournage

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portfolio

Mathieu Amalric Célébré par une rétrospective à la Cinémathèque française, le réalisateur et acteur nous a parlé de ses premiers courts métrages envers lesquels il éprouve à la fois tendresse et embarras.

entretien

48 Hirokazu Kore-eda Dans Notre petite sœur, le cinéaste japonais revient à son thème de prédilection, la famille à l’épreuve de l’absence, à travers la chronique, délicate et tendre, de l’adoption d’une orpheline par ses demi-sœurs.

portrait

88 Vald Gueule d’ange, flow de démon. En quelques singles provocants, Vald a imposé son rap violent de blanc-bec sous gaz hilarant. À 23 ans, le MC d’Aulnay-sous-Bois sort son deuxième EP, l’emballant NQNT2.

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Sarker Protick Avec Love Me or Kill Me, le jeune photographe dévoile les dessous de Dhallywood, l’industrie cinématographique de son pays, le Bangladesh.


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… et aussi Du 7 octobre au 3 novembre 2015

Édito 13 La forêt qui pousse Les actualités 14 Alex Prager, Raymond Cauchetier, « Séoul hypnotique » À suivre 20 Jules Benchetrit dans Asphalte l’agenda 22 Les sorties de films du 7 au 28 octobre 2015 histoires du cinéma 27 Blade Runner de Ridley Scott p. 30, les films de croque-mitaine p. 38, Polina d’Angelin Preljocaj et Valérie Müller p. 40

les films

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Les DVD Coffret Philippe Petit et la sélection du mois

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cultures

88

© rue des archives / everett ; collection christophel ; d. r.

Sicario de Denis Villeneuve p. 61 // Le Labyrinthe. La terre brûlée de Wes Ball p. 62 // Catch Me Daddy de Daniel et Matthew Wolfe p. 63 // Fever de Raphaël Neal p. 66 // Une jeunesse allemande de Jean-Gabriel Périot p. 67 // L’Homme irrationnel de Woody Allen p. 68 // C’est quoi ce travail ? de Luc Joulé et Sébastien Jousse p. 70 // Phantom Boy d’Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli p. 72 // Alphabet d’Erwin Wagenhofer p. 74 // Chronic de Michel Franco p. 75 // Le Chant d’une île de Joaquim Pinto et Nuno Leonel p. 76 // Mon roi de Maïwenn p. 78 // Seul sur Mars de Ridley Scott p. 80 // The Lobster de Yórgos Lánthimos p. 82 // Le Bouton de nacre de Patricio Guzmán p. 84 // Lolo de Julie Delpy p. 84

L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris

trois couleurs présente 108 Photoquai, « Osiris. Mystères engloutis d’Égypte »

l’actualité des salles mk2 Laure Vasconi

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ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière – Paris XIIe Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Raphaëlle Simon (raphaelle.simon@mk2.com) RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentin.grosset@mk2.com) Timé Zoppé (time.zoppe@gmail.com) DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) GRAPHISTE-MAQUETTISTE Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) STAGIAIRE Sirine Madani ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Hendy Bicaise, Louis Blanchot, Léa Chauvel-Lévy, Adrien Dénouette, Julien Dupuy, Yann François, Claude Garcia, Stéphane Méjanès, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Michaël Patin, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Claire Tarrière, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer ILLUSTRATEUR Stéphane Manel PHOTOGRAPHES Fabien Breuil, Antoine Doyen, Philippe Quaisse PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE DE LA RÉGIE PUBLICITAIRE Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) ASSISTANTE RÉGIE PUBLICITAIRE Caroline Desroches (caroline.desroches@mk2.com) CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) ASSISTANT PARTENARIATS CULTURE Florent Ott CHEF DE PROJET OPÉRATIONS SPÉCIALES Clémence van Raay (clemence.van-raay@mk2.com)

Illustration de couverture © Sam Green pour Trois Couleurs © 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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é dito

La forêt qui pousse PAR JULIETTE REITZER

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n 2012, La Désintégration de Philippe Faucon montrait le parcours vers la radicalisation religieuse et le terrorisme d’Ali, un jeune Français manipulé par un homme de dix ans son aîné – un parcours semé de frustration, d’ostracisme et de colère. Sorti en salles un mois avant l’affaire Merah, il avait fait l’effet d’une glaçante prémonition, avant de revenir dans les mémoires (et dans les médias) en janvier dernier, après l’attentat contre Charlie Hebdo. Attentif à déjouer les amalgames et les tentatives d’instrumentalisation, le film opposait à son jeune embrigadé des modèles d’intégration réussie (ses frères et sœurs) et des discours de tolérance (sa mère). Mais Philippe Faucon nous a confié avoir éprouvé le besoin d’offrir au film un vrai contrechamp : « Il y a une expression qui qualifie bien La Désintégration : “Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse.” En sortant de ce film, j’avais besoin de raconter aussi la forêt qui pousse. » C’est chose faite avec Fatima. Le film dit le courage et la dignité d’une immigrée qui élève seule ses deux

filles, nées en France, en cumulant plusieurs emplois de femme de ménage. Ce personnage de l’ombre, écartelé entre deux cultures, quasiment jamais montré au cinéma, cristallise les thèmes qui irriguent l’ensemble de l’œuvre du réalisateur, né au Maroc en 1958. Tous les films de Philippe Faucon parlent ainsi de déracinement, de racisme, du besoin de trouver sa place, et donnent à voir la diversité ethnique et culturelle française, qu’ils en fassent leur principal sujet (Samia, récit de l’émancipation d’une ado à Marseille ; La Trahison, chronique de la guerre d’Algérie par le prisme des rapports entre un sous-lieutenant et les harkis qui servent sous ses ordres ; Dans la vie, portrait croisé de deux sexagénaires amies, l’une musulmane, l’autre juive) ou non (L’Amour ; Sabine ; Muriel fait le désespoir de ses parents). Mais on aurait tort de réduire Fatima aux thèmes qu’il aborde sans louer sa mise en scène tendue et épurée, resserrée autour des personnages et se tenant toujours éloignée du pathos. C’est pour toutes ces raisons, et aussi parce qu’il fera sans doute moins de bruit que La Désintégration, que nous avons choisi de consacrer au film la couverture de ce numéro d’octobre.

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e n bre f

Les actualités PAR LÉA CHAUVEL-LEVY, JULIEN DUPUY, QUENTIN GROSSET, SIRINE MADANI, JULIETTE REITZER, TIMÉ ZOPPÉ ET ETAÏNN ZWER

> l’info graphique

Le found footage, un format juteux Le succès, en 1999, du Projet Blair Witch, qui a engrangé des recettes plus de quatre mille fois supérieures à son budget, a démontré que le found footage pouvait être exceptionnellement lucratif. Mais le genre n’a véritablement pris son envol que neuf ans plus tard avec le film espagnol [REC]. Ce mois-ci, M. Night Shyamalan revient au cinéma avec The Visit (lire page 34) en utilisant pour la première fois ce format, tandis que le cinquième volet de Paranormal Activity, la grande franchise du genre, sort sur les écrans. Petit comparatif de la rentabilité de quelques-uns des plus fameux exemples de found footage. T. Z.

le projet Blair Witch

[REC]

de Daniel Myrick et Eduardo Sánchez

de Jaume Balagueró et Paco Plaza

(2008)

(1999)

Cloverfield

Paranormal Activity

de Matt Reeves

d’Oren Peli

(2008)

(2009)

recettes environ

recettes environ

recettes environ

4 000 X

16 X

7 X

SUPÉRIEURES À SON BUDGET

SUPÉRIEURES À SON BUDGET

SUPÉRIEURES À SON BUDGET

SUPÉRIEURES À SON BUDGET

budget : 60 000 $ recettes : 248,6 M$

budget : 2 M$ recettes : 32,5 M$

budget : 25 M$ recettes : 170,8 M$

budget : 15 000 $ recettes : 193,4 M$

recettes environ

13 000 X

Sources : IMDB et Box Office Mojo

> EXPOSITION

Alex Prager

© courtesy the artist and lehmann maupin, new york and hong kong

Elle expose pour la première fois en France, mais les travaux d’Alex Prager font déjà partie des collections des plus grands musées mondiaux. Photographies ou courtes vidéos, on bascule avec aisance dans ses univers clos et soignés, dont le glamour fait écho à l’âge d’or du cinéma hollywoodien. « Je fabrique des images de films qui n’existent pas », nous avait-elle confié en 2013. Ses clichés sont puissants parce qu’ils nous racontent des histoires, laissant toujours le mélodrame affleurer : dans 3:14 pm, Pacific Ocean (2012), neuf personnages surnagent, tout habillés, dans une eau verte et menaçante, comme saisis juste après un naufrage ; dans Crowd (2013), une jeune femme semble perdue au milieu d’une foule pressée, vue d’en haut. Si elles donnent l’impression d’être prises sur le vif, ses compositions s’appuient en réalité sur un long travail de préparation et de retouche et témoignent d’une mise en scène méticuleuse. À découvrir absolument. L. C.-L. (avec J. R.) du 20 octobre au 23 janvier à la galerie des Galeries

Alex Prager, 3:14 pm, Pacific Ocean, 2012

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e n bre f

> LE CHIFFRE C’est, selon Médiamétrie, le pourcentage de Français âgés de 6 ans et plus qui sont allés au moins une fois au cinéma en 2014, soit 39,15 millions de personnes ; un chiffre en augmentation de près de 4 % par rapport à 2013 où ils étaient 37,65 millions. Q. G.

> DÉPÊCHES

tournageS

Katell Quillévéré tourne actuellement l’adaptation de Réparer les vivants de Maylis de Kerangal avec à l’affiche, notamment, Tahar Rahim • Benoît Jacquot, lui, filmera en novembre The Body Artist avec Mathieu Amalric et Jeanne Balibar, d’après le roman de Don DeLillo.

LivrE

EXPOSITION

Les éditions Gallimard publient Woody Allen. Film par film de Jason Solomons, qui retrace la prolifique carrière du cinéaste new-yorkais, de sa première apparition à l’écran dans Quoi de neuf, Pussycat ? (1965) à sa dernière réalisation, L’Homme irrationnel, qui sort en France le 14 octobre.

Jusqu’au 14 octobre, la galerie Cinéma d’Anne-Dominique Toussaint expose une série de photos en noir et blanc de Valérie Donzelli. « De Myrha à Babylone » documente le trajet d’une jeune femme qui accompagne chaque jour son fils de son lieu de travail jusqu’à l’école de celui-ci.

> LA TECHNIQUE

> LA PHRASE

© 20th century fox

La main verte « Greensman » est certainement l’un des métiers les plus méconnus du cinéma : ce poste consiste à s’occuper de toutes les sortes de plantes présentes à l’écran. Un emploi plus complexe que l’on ne pourrait le penser, puisque le cycle de vie des végétaux s’acclimate mal des impératifs d’un tournage. Pour Seul sur Mars, par exemple, le greensman Jon Colson a dû gérer la culture des pommes de terre que le personnage interprété par Matt Damon fait pousser sur la Planète rouge. Et comme le film n’a pas été tourné dans l’ordre chronologique, Jon Colson a dû cultiver en parallèle plusieurs séries de tubercules à différents niveaux de développement, pour que Ridley Scott puisse avoir en permanence sous la main des plants répondant à chaque stade de croissance des précieux légumes. J. D. Seul sur Mars de Ridley Scott Sortie le 21 octobre

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Jean-François Halin Dans une interview au magazine Première, le scénariste de la saga OSS 117 répondait à Jean Dujardin qui, sur RTL, avait déclaré que « l’humour d’OSS n’est pas propice à l’époque que l’on traverse ».

« LA CRISPATION ACTUELLE, LA CONFUSION MÊME, NE DOIT PAS EMPÊCHER LE RIRE, AU CONTRAIRE : LE RIRE PEUT DÉCRISPER, DÉNOUER. »

© nicolas guerin ; valerie donzelli / galerie cinema

PAR T. Z.


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e n bre f

> EXPOSITION

© raymond cauchetier

La Nouvelle Vague de Raymond Cauchetier La galerie de l’Instant réunit une cinquantaine de clichés (dont une vingtaine d’inédits) de Raymond Cauchetier, photographe sur les tournages de films de la Nouvelle Vague tels À bout de souffle de Jean-Luc Godard ou Jules et Jim de François Truffaut. Né en 1920, il a commencé dans le reportage, avant Jean-Luc Godard et Anna Karina sur le de bouleverser tournage d’Une femme est une femme (1961) la photographie de plateau, qui alors sert surtout au travail de la scripte, attentive aux raccords. Sur son site Internet, Raymond Cauchetier se souvient que sa présence envahissante n’a pas toujours été bien accueillie par les cinéastes : « On me reproche sévèrement mes initiatives, et mon style chasseur d’images, si éloigné des normes de la photo de plateau. » C’est précisément ce style qui a participé à donner à de fameux acteurs (Jean Seberg, Jeanne Moreau…) le statut iconique qu’on leur prête aujourd’hui. Q. G. jusqu’au 17 janvier à la galerie de l’Instant

> CYCLE

Séoul hypnotique

LIVRE

Brigitte Lahaie. Les films de culte s’annonce comme une épopée dans le cinéma d’exploitation français des années 1970 et 1980 rassemblant de nombreux entretiens et une iconographie riche, notamment des photos de plateau inédites et des dessins originaux. Pour que le livre de Guillaume Le Disez et Cédric Grand Guillot voie le jour, une campagne de financement participatif est organisée sur le site KissKissBankBank, jusqu’au 14 novembre. T. Z. www.kisskissbankbank.com/ fr/projects/brigitte-lahaie-lesfilms-de-culte/

©kofa

ANNIVERSAIRE

The Barefooted Young de Kim Ki-duk (1964)

Terre fertile pour le septième art, la capitale sud-coréenne a vu émerger, ces dernières années, une nouvelle génération de réalisateurs talentueux qui ont contribué à revigorer le cinéma national. Pour rendre compte de cette richesse, le Forum des images rassemble près de quatre-vingts longs métrages : des grands classiques, comme The Barefooted Young (1964) de Kim Ki-duk, et des films contemporains, comme ceux de Park Chan-wook (Old Boy, 2003), de Bong Joon-ho (The Host, 2006) ou de Hong Sang-soo (un week-end est dédié au prolifique cinéaste), mais surtout quantité d’œuvres inédites en France. Le cycle propose aussi plusieurs rencontres (avec les réalisateurs Jang Jin ou Leesong Hee-il) et des cours thématiques, comme « Les larmes du cinéma coréen » ou « Coréens au bord de la crise de nerfs ou le chaos selon Im Sang-soo ». S. M. jusqu’au 1 er novembre au Forum des images

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Quarante ans et toujours aussi déviant ! Midnight movie culte et musical mêlant joyeusement parodie SF, horreur de série B et provoc sexuelle, The Rocky Horror Picture Show de Jim Sharman s’offre la nef du Centquatre pour une nuit anniversaire démesurée : concert punk-glam des Bubblegum Screw, projection du film « bizutée » par une troupe de danseurs, set electro-rock signé DJ Moule, stands de maquillage et d’effeuillage burlesque. Viens danser le « Time Warp » avec le bon Dr Frank-N-Furter. E. Z. le 31 octobre au Centquatre


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à su ivre

Jules

Le fils de Samuel Benchetrit et de la regrettée Marie Trintignant tient son premier vrai rôle dans le dernier film de son père, le très drôle et inspiré Asphalte. Face à Isabelle Huppert, ce lycéen passionné de photographie s’impose grâce à son flegme adolescent. PAR QUENTIN GROSSET

Q

uand le photographe lui demande de poser pour la photo, Jules Benchetrit semble captivé par l’appareil. Le jeune acteur aux traits fins se prête volontiers au jeu du shooting et pose quantité de questions. C’est que le garçon de 17 ans est un passionné de photographie, qu’il étudie au lycée Brassaï. « Je m’y suis intéressé un peu par hasard. Puis je me suis mis à faire des portraits dans la rue. » Le comédien cite ses références : Josef Koudelka, Richard Avedon, Mike Brodie… « J’aimerais beaucoup pouvoir voyager grâce à mes photos. » Mais Jules aimerait surtout mener de front une vie de reporter et une carrière de comédien. Pour l’instant, on a pu le voir tenir des petits rôles dans Une rencontre (2014) de Lisa Azuelos ou dans un spot publicitaire pour la marque Yves Saint Laurent réalisé par Samuel Benchetrit, son père. Dans le cinquième long métrage de ce dernier, Asphalte, un film de banlieue au ton absurde, Jules Benchetrit irradie de nonchalance délicieusement renfrognée. Parmi les habitants du bâtiment d’une cité maussade qui peuplent le film, il campe Charly,

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un ado aux parents absents qui s’ennuie ferme. Une actrice solitaire (Isabelle Huppert) s’installe dans l’appartement avoisinant le sien, piquant alors la curiosité du jeune homme…

Dans Asphalte, il irradie de nonchalance renfrognée. « Charly voit cette comédienne connue arriver dans son quotidien, il se dit que, peut-être, il peut concevoir de faire le même métier. » Une rencontre qui, comme son personnage dans le film, a laissé Jules rêveur quant à son avenir, et s’est révélée parfois impressionnante. « Dans la première séquence, je suis en slip devant Isabelle Huppert. C’est un peu intimidant. » Asphalte de Samuel Benchetrit avec Jules Benchetrit, Isabelle Huppert… Distribution : Paradis Films Durée : 1h40 Sortie le 7 octobre

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© antoine doyen

Benchetrit


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ag e n da

Sorties du 7 au 28 octobre Le Nouveau Stagiaire de Nancy Meyers avec Robert De Niro, Anne Hathaway… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h01 Page 64

7 oct.

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Asphalte de Samuel Benchetrit avec Jules Benchetrit, Isabelle Huppert… Distribution : Paradis Films Durée : 1h40 Page 20

Sangue del mio sangue de Marco Bellocchio avec Roberto Herlitzka, Pier Giorgio Bellocchio… Distribution : Bellissima Films Durée : 1h47 Page 64

Blade Runner de Ridley Scott avec Harrison Ford, Rutger Hauer… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h57 Page 30

The Visit de M. Night Shyamalan avec Olivia DeJonge, Ed Oxenbould… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h34 Page 34

Les Chemins de Compostelle de Lydia B. Smith Documentaire Distribution : Jupiter Communications Durée : 1h24 Page 64

Une jeunesse allemande de Jean-Gabriel Périot Documentaire Distribution : UFO Durée : 1h33 Page 67

Fatima de Philippe Faucon avec Soria Zeroual, Kenza Noah Aïche… Distribution : Pyramide Durée : 1h19 Page 42

L’Étudiante et Monsieur Henri d’Ivan Calbérac avec Claude Brasseur, Noémie Schmidt… Distribution : StudioCanal Durée : 1h38 Page 64

Crimson Peak de Guillermo del Toro avec Mia Wasikowska, Tom Hiddleston… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h59 Page 67

Sicario de Denis Villeneuve avec Emily Blunt, Benicio del Toro… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 2h01 Page 61

Hôtel Transylvanie 2 de Genndy Tartakovski Animation Distribution : Sony Pictures Durée : 1h29 Page 64

L’Homme irrationnel de Woody Allen avec Joaquin Phoenix, Emma Stone… Distribution : Mars Durée : 1h36 Page 68

Le Labyrinthe. La terre brûlée de Wes Ball avec Dylan O’Brien, Ki Hong Lee… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 2h13 Page 62

Fever de Raphaël Neal avec Martin Loizillon, Pierre Moure… Distribution : Strutt Films Durée : 1h20 Page 66

C’est quoi ce travail ? de Luc Joulé et Sébastien Jousse Documentaire Distribution : Shellac Durée : 1h40 Page 70

La Forteresse d’Avinash Arun avec Amruta Subhash, Archit Deodhar… Distribution : Les Films du Préau Durée : 1h18 Page 62

Qui a tué Ali Ziri ? de Luc Decaster Documentaire Distribution : Zeugma Films Durée : 1h31 Page 67

Par accident de Camille Fontaine avec Hafsia Herzi, Émilie Dequenne… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h25 Page 70

Orage de Fabrice Camoin avec Marina Foïs, Sami Bouajila… Distribution : Rezo Films Durée : 1h23 Page 62

Je suis à toi de David Lambert avec Nahuel Pérez Biscayart, Jean-Michel Balthazar… Distribution : Outplay Durée : 1h42 Page 72

Tête baissée de Kamen Kalev avec Melvil Poupaud, Seher Nebieva… Distribution : Le Pacte Durée : 1h44 Page 70

Catch Me Daddy de Daniel Wolfe avec Gary Lewis, Sameena Jabeen Ahmed… Distribution : Bodega Films Durée : 1h47 Page 63

Les Animaux farfelus Collectif Animation Distribution : UFO Durée : 42min Page 95

Phantom Boy d’Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli Animation Distribution : Diaphana Durée : 1h24 Page 72

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ag e n da

Sorties du 7 au 28 octobre Belles familles de Jean-Paul Rappeneau avec Mathieu Amalric, Marine Vacth… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h53 Page 72

Pan de Joe Wright avec Levi Miller, Garrett Hedlund… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h51 Page 75

Notre petite sœur de Hirokazu Kore-eda avec Ayase Haruka, Nagasawa Masami… Distribution : Le Pacte Durée : 2h08 Page 48

Les Nouvelles Aventures d’Aladin d’Arthur Benzaquen avec Kev Adams, Jean-Paul Rouve… Distribution : Pathé Durée : 1h47 Page 72

Patries de Cheyenne Carron avec Jackee Toto, Augustin Raguenet Distribution : Carron Durée : 1h56 Page 75

Le Caravage d’Alain Cavalier Documentaire Distribution : Pathé Durée : 1h10 Page 80

Mune. Le gardien de la lune de Benoît Philippon et Alexandre Heboyan Animation Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h26 Page 94

Le Chant d’une île de Joaquim Pinto et Nuno Leonel Documentaire Distribution : Norte Durée : 1h43 Page 76

Paco de Lucía Légende du flamenco de Curro Sánchez Varela Documentaire Distribution : Bodega Films Durée : 1h30 Page 80

Adama de Simon Rouby Animation Distribution : Océan Films Durée : 1h22 Page 76

The Lobster de Yórgos Lánthimos avec Colin Farrell, Léa Seydoux… Distribution : Haut et Court Durée : 1h58 Page 82

L’Image manquante de Rithy Panh Documentaire Distribution : Les Acacias Durée : 1h32 Page 27

Ertan ou la Destinée d’Umut Da avec Murathan Muslu, Alechan Tagaev… Distribution : KMBO Durée : 1h45 Page 76

Le Dernier Chasseur de sorcières de Breck Eisner avec Vin Diesel, Rose Leslie… Distribution : SND Durée : N.C. Page 82

Alphabet d’Erwin Wagenhofer Documentaire Distribution : Zootrope Films Durée : 1h48 Page 74

Mon roi de Maïwenn avec Emmanuelle Bercot, Vincent Cassel… Distribution : StudioCanal Durée : 2h04 Page 78

Héritages de Philippe Aractingi Documentaire Distribution : Zelig Films Durée : 1h28 Page 82

Elser. Un héros ordinaire d’Oliver Hirschbiegel avec Christian Friedel, Katharina Schüttler… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h54 Page 74

Seul sur Mars de Ridley Scott avec Matt Damon, Jessica Chastain… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 2h21 Page 80

Regression d’Alejandro Amenábar avec Emma Watson, Ethan Hawke… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h47 Page 82

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La Glace et le Ciel de Luc Jacquet Documentaire Distribution : Pathé Durée : 1h29 Page 74

28 oct. The Walk. Rêver plus haut de Robert Zemeckis avec Joseph Gordon-Levitt, Ben Kingsley… Distribution : Sony Pictures Durée : 2h03 Page 4

Chronic de Michel Franco avec Tim Roth, Sarah Sutherland… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h33 Page 75

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Le Bouton de nacre de Patricio Guzmán Documentaire Distribution : Pyramide Durée : 1h22 Page 84

Lolo de Julie Delpy avec Julie Delpy, Dany Boon… Distribution : Mars Durée : 1h39 Page 84


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histoires du

CINéMA

M. NIGHT SHYAMALAN

Rencontre avec le réalisateur de The Visit, un found footage terrifiant p. 34

FATIMA

Philippe Faucon signe la chronique lumineuse d’une intégration réussie p. 42

HIROKAZU KORE-EDA

Le cinéaste japonais nous parle du délicat Notre petite sœur p. 48

« Mon enfance, je la cherche comme une image perdue, ou plutôt c’est elle qui me réclame. » Le cinéaste franco-cambodgien n’en a pas fini avec l’histoire de son pays d’origine. Rescapé du génocide qui a plongé le Cambodge dans la terreur de 1975 à 1979, le réalisateur de S-21. La machine de mort khmère rouge (2003) affronte son passé dans L’Image manquante, un documentaire au dispositif intrigant. Aux images propagandistes de l’époque, il confronte celles de ses souvenirs d’enfance, reconstitués avec des figurines en terre cuite. Cette forme hybride accouche d’un poignant témoignage. PAR ÉRIC VERNAY

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© chean long / centre bophana

Rithy Panh


h istoi re s du ci n é ma

L

e 17 avril 1975, sous l’impulsion de leur chef, Pol Pot, les Khmers rouges prennent Phnom Penh. La capitale est évacuée, ses habitants déportés vers les campagnes. Cette révolution va coûter la vie à près d’1,8 million de Cambodgiens, soit un cinquième de la population, sacrifiée dans des « zones de rééducation », affamée, torturée, exécutée. Rithy Panh a alors 13 ans. Il est envoyé dans l’un de ces camps de travail où il subit la famine, tout comme les membres de sa famille. Peu d’entre eux en sortiront vivants. L’Image manquante est l’occasion, pour le réalisateur franco-cambodgien, de se replonger dans l’histoire de son pays d’origine. Mais, cette fois, par le biais de son parcours personnel, percuté de plein fouet par une dictature génocidaire. En rescapé. Le film est donc une entreprise de reconquête de la vérité, menée contre un régime qui confisque les souvenirs et qui détruit les mémoires, en interdisant à ses sujets de posséder des objets personnels ou des photos et en abolissant leur identité – cheveux rasés, vêtements teints en noir, noms changés arbitrairement. « C’est absurde, nous confiait le cinéaste à Cannes, en 2013, où son film a remporté le Prix Un certain regard. On ne peut pas interdire de se souvenir. Malgré ces interdictions, les pensées restent. » Mais comment se réapproprier ce passé confisqué lorsque l’on ne dispose que d’images d’archives issues de la propagande de l’époque ? FORME ADÉQUATE

Rithy Panh a déjà prouvé sa capacité à trouver des dispositifs inédits dans ses films précédents, notamment avec S-21. La machine de mort khmère rouge (2003). Dans ce documentaire, il réunissait quelques rares rescapés avec leurs geôliers et bourreaux du centre de détention S-21 de Phnom Penh, là où 17 000 prisonniers furent torturés et exécutés. L’odeur de la mort était palpable, mais elle restait hors champ, au profit de la parole. C’était traumatisant. Pour L’Image manquante, le cinéaste avoue avoir mis du temps à débusquer la forme adéquate. Tout s’est éclairci après huit mois passés le nez dans les archives. « Je ne voulais pas refaire S-21…, car si le cinéma se répète, quel intérêt ? Un jour, j’ai commencé à reconstituer ma maison de l’époque

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avec l’aide d’un constructeur de maquettes. C’était dur, je devais fermer les yeux pour retrouver mes impressions d’il y a trente-cinq ans… Et puis, à un moment, je lui ai demandé de faire un petit bonhomme. “Avec quoi, du bois ?”, m’a-t-il demandé. “Non, de la glaise.” » Eurêka. Les figurines en terre cuite vont permettre à Rithy Panh d’incarner à l’écran ses parents, ses proches, ses compagnons de misère. Aucune image officielle n’a en effet capturé l’envers du décor de ce régime épris de pureté. Face à l’effrayante « perfection » militaire prônée par la propagande à travers de nombreux (mauvais) films dont on voit des extraits, le documentaire élabore donc un théâtre minimaliste, modeste, au dépouillement extrême. Les sculptures de glaise sont modelées et peintes à la main, devant nous, comme dans un making off. Elles ne sont mêmes pas animées, seule la caméra est en mouvement. Ces images sur le mode work-in-progress sont pauvres mais honnêtes. Malgré leur artifice intrinsèque, elles ne trichent pas. « Au commencement de tout totalitarisme, il y a le faux », philosophe la voix off. Et, en effet, les visages creusés dans la terre cuite paraissent paradoxalement plus authentiques que la mascarade articulée par l’imaginaire totalitaire dans les films de propagande, ici désamorcée. ESTHÉTIQUE HYBRIDE

Le texte en voix off, prononcé avec une douceur spectrale, est d’autant plus poignant que le cinéaste relate ses souvenirs à la première personne du singulier – une première dans sa filmographie. Adapté d’un livre coécrit avec l’écrivain Christophe Bataille (L’Élimination, 2012, Grasset), ce long récit à la rage sourde sert de commentaire critique aux images de propagande – mais aussi de fil narratif intime aux séquences des figurines en terre cuite. La fin de l’émotion voulue par les Khmers rouges, au profit de la révolution, trouve dans l’esthétique hybride du film son expression littérale : figée, argileuse, certes, mais secrètement spirituelle, telle un santon. Un vrai défi technique pour le réalisateur de 51 ans, reconnu pour ses talents de documentariste, mais qui n’a rien d’un spécialiste des arts plastiques. « Je ne sais pas sculpter. Si j’avais parlé de figurines de terre cuite à mes producteurs au départ, ils ne m’auraient pas donné

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© les acacias

portr ait

Les visages creusés dans la terre cuite paraissent plus authentiques que la mascarade articulée par l’imaginaire totalitaire dans les films de propagande. d’argent ! Ils auraient dit : “Mais qu’est-ce qui lui prend à vouloir faire de l’animation ?” En réalité, ce n’est pas de l’animation. Je ne comprends rien à l’animation en volume, donc j’ai décidé de ne pas animer les personnages. Du coup, il fallait que les sculptures soient très expressives. » Progressivement, ce monde ressuscité émerge en version miniature. « Mon sculpteur était de plus en plus habile. Je lui ai donc demandé de représenter un lac, avec des poissons vivants dedans, puis la pluie, le tonnerre… Tout ça sur une petite table. On était comme des gosses qui jouent avec leurs figurines », se souvient-il dans un sourire. L’enfance est au cœur du film. D’abord parce que les petits bonshommes sculptés convoquent l’esprit des contes, leur innocence brute et leur pouvoir d’évocation. Mais aussi, bien sûr, parce qu’il s’agit ici de la retrouver, cette enfance anéantie ; d’en soigner les blessures à l’aide d’images réparatrices. « Mon enfance, je la cherche comme une image perdue, ou plutôt c’est elle qui me réclame »,

nous dit Rithy Panh en voix off. Cette quête est donc autant un acte de résistance à l’oubli historique qu’une expiation personnelle. « C’est important que ces images reviennent, qu’elles puissent vivre. Je ne clame pas que c’est la vérité. C’est mon point de vue. Quelqu’un peut très bien me rétorquer que, sous les Khmers rouges, il a été bien nourri. Dans certaines régions, peu nombreuses mais bien réelles, les chefs Khmers rouges n’affamaient pas leur village, c’est vrai. Mais il arrivait aussi que celui qui gardait du riz pour son village soit exécuté », rappelle le cinéaste, qui ajoute : « C’est difficile de dire l’indicible. » Il aura fallu près de quarante ans à Rithy Panh pour élaborer le langage propre à cet étrange docu-poème ascétique, d’une poignante pudeur. L’Image manquante de Rithy Panh Documentaire Distribution : Les Acacias Durée : 1h32 Sortie le 21 octobre

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h istoi re s du ci n é ma

scène culte

Blade Runner Le détective retraité Rick Deckard (Harrison Ford) est rappelé par sa hiérarchie pour éliminer un groupe d’humanoïdes rebelles, les réplicants. Parangon du film culte, Blade Runner (1982) de Ridley Scott est de retour en salles dans sa version director’s cut restaurée.

© rue des archives / everett

PAR MICHAËL PATIN

C

omment extraire une scène culte d’un film dans lequel tout est culte ? Le snobisme critique invite à se détourner du final grandiose et lyrique dit des « larmes sous la pluie », au cours duquel Rick Deckard, suspendu au rebord du toit, est sauvé par Roy Batty (Rutger Hauer), qui ensuite monologue avec une colombe dans la main sur l’univers, la peur et l’oubli. En plongeant dans nos souvenirs, c’est alors la scène qui précède, soit l’affrontement entre Dekard et la réplicante Pris (sublime et ambiguë Daryl Hannah), qui s’impose, tant sa première vision fut traumatique. Deckard déboule, flingue à la main, dans l’appartement sinistre du généticien J. F. Sebastian. Quand il entre dans une pièce remplie d’automates flippants, un panoramique droite-gauche révèle immédiatement au spectateur la présence de Pris, au premier plan, grimée en figurine. En arrière-plan, un automate est lancé

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dans un interminable rire, métallique et glaçant. Le suspense, alimenté par des plans vifs et précis, est insoutenable. Deckard s’approche de Pris, lève le voile transparent qui la recouvre… et c’est l’attaque, athlétique et impitoyable. Dekard manque littéralement de se faire dévisser la tête. Quand il parvient enfin à tirer, Pris s’agite convulsivement au sol en poussant des cris suraigus. Ridley Scott insiste sur cette image, fait durer l’agonie, filme en contrechamp l’effroi de Dekard (identique au nôtre), qui achève la belle de deux balles. Rarement la grammaire du cinéaste aura atteint un tel niveau de sobriété et d’efficacité. Et c’est le souffle court que l’on aborde le fameux affrontement final. Blade Runner de Ridley Scott avec Harrison Ford, Rutger Hauer… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h57 Ressortie le 14 octobre

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h istoi re s du ci n é ma - souve n i rs de tou rnag e

Les Yeux au plafond

Mathieu Amalric Ce mois-ci, le réalisateur et acteur Mathieu Amalric est célébré par une rétrospective à la Cinémathèque française. Au café situé au pied de l’institution, sollicité toutes les deux minutes par des passants, il nous a parlé de ses premiers courts métrages, envers lesquels il éprouve à la fois tendresse et embarras. PAR QUENTIN GROSSET

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n ce début septembre, Mathieu Amalric est un homme très occupé. Débit speed, il fume clope sur clope et a l’air stressé. Alors qu’il doit bientôt présenter ses courts métrages de jeunesse à la Cinémathèque, il s’étonne d’une telle reconnaissance : « Au départ, c’était pas gagné ! » Hilare, il évoque Sans rires (1991), son troisième court métrage comme réalisateur : « On dirait un film de vieux sur des vieux, du Marcel Carné sans les mouvements de caméra. » Le film suit un vieux clown qui se rend aux funérailles d’une femme qu’il a quittée jadis. Alors qu’Amalric fustige le caractère trop écrit du film, un passant l’interpelle : « Magnifique, La Chambre verte ! » Malaise, pour celui qui a réalisé La Chambre bleue… Il revient sur la carrière en festival de Sans rires, qui lui a tout de même permis de resserrer ses liens avec le réalisateur Arnaud Desplechin. « Je l’avais déjà croisé dans les locaux de La Femis. Mais c’est au festival Premiers plans d’Angers, où je montrais le film, qu’il m’a proposé de faire des essais pour La Sentinelle. » Des Russes l’interrompent soudain et lui proposent de venir à Moscou, pour une rétrospective de son œuvre. Poliment, il coupe court à la conversation, avant de reprendre : « Deux ans après, j’ai réalisé Les Yeux

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au plafond. Je sortais d’une relation avec mon premier amour. Le film part de ce moment, après une rupture, où l’on se sent soudain léger… » Une dame le salue avant de rentrer dans la Cinémathèque. « C’est ma psy ! » s’étonne-t-il. Autobiographique, Les Yeux au plafond raconte donc le rétablissement d’un jeune homme après la fin d’une relation. On y croise notamment son père, le journaliste Jacques Amalric, ainsi que sa grand-mère. « Avant le tournage, je déjeune avec ma mère qui me dit : “Mamie ne va pas bien, il faut l’hospitaliser.” Ma première réaction, ça a été : “Non, elle doit tourner.” Je me suis levé pour aller la filmer tout de suite et, comme je ne trouvais pas l’acteur qui devait jouer le rôle principal, c’est moi qui l’ai fait. » Un fan vient lui demander un autographe et lui parler de sa collaboration avec Roman Polanski sur La Vénus à la fourrure. Au loin, on aperçoit Jeanne Balibar : ce soir-là, elle vient présenter une séance avec Amalric qui, sur le qui-vive, vient de s’engouffrer dans le bâtiment… De ses premiers courts métrages à aujourd’hui, on l’a senti au rythme effréné de notre conversation, il semble bien que ce soit l’état d’urgence qui le fasse avancer. Rétrospective Mathieu Amalric à la Cinémathèque française, jusqu’au 25 octobre

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THE VISIT

M. NIGHT SHYAMALAN

© antoine doyen

« Le terme de “twist” ne me plaît pas trop, l’histoire se dirige naturellement vers quelque chose d’inattendu, ou non. »  34

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e ntreti e n

Après deux blockbusters mal-aimés (Le Dernier Maître de l’air en 2010 et After Earth en 2013), l’auteur des inoubliables Sixième sens (2000) et Incassable (2000) avait à cœur de reconquérir ses fans. Avec The Visit, l’histoire de deux ados qui passent une semaine terrifiante chez leurs grands-parents, M. Night Shyamalan renoue avec ses premiers plaisirs : balader le spectateur tout en le clouant à son fauteuil. En entretien, le réalisateur est à l’image de son film : avec humour, il nous offre une leçon de cinéma ludique et captivante. PROPOS RECUEILLIS PAR HENDY BICAISE

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he Visit est un found footage, genre qui consiste à filmer en caméra subjective pour donner au spectateur le sentiment que les images ont été tournées par les protagonistes. En l’occurrence, c’est la jeune Becca qui tient le plus souvent la caméra. Y a-t-il beaucoup de vous en elle ? Becca, c’est en partie moi, c’est sûr. Quand j’avais 15 ans, je me baladais comme elle sans cesse avec ma caméra. J’essayais d’apprendre le métier, pour devenir un jour un grand réalisateur. Mes films les plus réussis, me semble-t-il, sont ceux dans lesquels j’intègre des éléments de ma propre vie. Comme dans Signes (2002), lorsque le personnage de Mel Gibson raconte successivement à sa fille et à son fils leur venue au monde. Ces deux histoires, ce sont celles des naissances de mes deux premiers enfants. Il me semble que c’est en insufflant, même fortuitement, cette forme de sincérité au sein de la fiction que l’on obtient quelque chose d’authentique. Faire semblant de déléguer la mise en scène à une adolescente vous a-t-il fait l’effet d’une cure de jouvence ? Disons seulement que j’aime raconter des histoires qui se demandent comment on raconte une histoire. Quand j’ai écrit Stuart Little [réalisé par Rob Minkoff en 1999, ndlr], je me souviens avoir imaginé une scène dans laquelle la petite souris commentait le fait qu’elle vive dans un conte de fées. La Jeune Fille de l’eau (2006) est aussi un film conscient de sa propre nature fictionnelle. Bob Balaban y joue un critique de films qui s’écrie : « Je suis un personnage secondaire… Celui qui se fait toujours tuer ! » La Jeune Fille de l’eau avait d’ailleurs comme particularité de feindre de s’écrire au fur et à mesure, les personnages semblant découvrir l’histoire en même temps que les spectateurs. Dans The Visit, les deux ados dirigent la mise en scène et modifient le cours de l’intrigue… La Jeune Fille de l’eau est un film qui évolue

en temps réel, du fait que les personnages comprennent petit à petit qu’ils font partie d’une histoire. The Visit se déploie aussi en pleine conscience de son état. On a d’un côté Becca, qui essaie de réaliser un documentaire sérieux sur ses grands-parents, et de l’autre son frère, qui veut l’obliger à faire de la télé-réalité. Les deux univers entrent en collision, ce qui fait de The Visit un film hybride. Une même scène ponctue vos œuvres récentes, After Earth, la série Wayward Pines (2015), et maintenant The Visit : celle d’une famille réunie autour d’un gâteau d’anniversaire. Le moment du gâteau d’anniversaire, c’est un rituel immanquable ! Les dîners en famille sont aussi très importants. C’est pourquoi on retrouve si souvent les deux dans mes films. Ma vie a toujours tourné autour de mes proches, que ce soit mes parents, quand je vivais encore avec eux, ou ma femme et mes filles, aujourd’hui. Il faut dire que je me suis marié très jeune. Si j’étais célibataire, les histoires que je raconterais seraient sans doute bien différentes. Ça pourrait, par exemple, être moi et ma copine du moment passant une journée horrible jusqu’à ce que… les extraterrestres de Signes débarquent ! (Rires.) Becca et Tyler, les deux enfants de The Visit, sont des personnages complexes. Comment les avez-vous imaginés ? Ils sont inspirés des enfants d’une amie qui ont été abandonnés par leur père. Les problèmes que ce manque a engendrés chez eux en grandissant, on les retrouve chez Becca et Tyler. Sans dévoiler s’il y en a un ou non dans The Visit, quel est votre regard aujourd’hui sur ces fameux twists auxquels votre cinéma a souvent été résumé ? Oui, il ne faut rien dire ! Le mieux, c’est de parler de « choses inattendues ». En réalité, le terme de « twist » ne me plaît pas trop, c’est devenu une sorte de gimmick. Je n’y pense pas à l’avance, l’histoire se dirige naturellement vers quelque chose d’inattendu, ou non.

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© universal pictures

« Les personnages vont pouvoir suivre les règles, ou bien les briser. »

Il y a, en revanche, un élément qui ne doit rien au hasard dans vos films. Ce sont les règles qui encadrent l’intrigue, souvent des règles écrites, comme dans Le Village (2004), dans Wayward Pines et à nouveau dans The Visit. « Amusez-vous. » « Mangez ce que vous voulez. » « Ne sortez pas de votre chambre après 21h30. » Ces règles, dans The Visit, reposent sur une forme d’ironie que j’aime beaucoup. Mais ces règles, que doivent respecter les personnages, vous aident-elles aussi à construire le film ? Oui, les règles induisent d’emblée une liste de choses à faire ou à ne pas faire. Les personnages vont pouvoir suivre celles-ci ou bien les briser. C’est intéressant d’avancer ainsi. Le principe du found footage impose par ailleurs des règles strictes de mise en scène… Cela ne m’a pas vraiment posé de problème. Je passe beaucoup de temps à réfléchir à chaque plan, de toute façon, donc le fait qu’il s’agisse d’un found footage n’a pas changé grand-chose. À ce jour, je suis à la moitié du story-board d’un film que je tourne cet automne. Je passe mon temps à le parcourir, encore et encore. Ce genre d’habitude fait qu’il m’est très naturel de me poser la question de la position de la caméra, du mouvement de celle-ci ou de l’intention qui légitime ses déplacements. Ce nouveau film, est-ce celui de vos retrouvailles avec Joaquin Phoenix, plus de dix ans après Le Village ? Peut-être… Vos fans attendent aussi Incassable 2… Le problème, c’est que j’aime que mes films gardent une dimension intimiste. Le sujet d’Incassable 2

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serait forcément trop imposant. Si cela devait se faire un jour, cela ne pourrait pas ressembler à une suite, comme celle d’une production Marvel. Il faudrait que le film soit quelque chose d’unique, qui puisse exister en tant que tel. Il y a beaucoup d’humour dans The Visit, comme c’était le cas dans Signes ou dans La Jeune Fille de l’eau. Aimeriez-vous réaliser une vraie comédie ? Il y avait bien Stuart Little, seulement je ne l’ai pas réalisé. Mais pourquoi pas, ce serait amusant. Il est très agréable de tourner une scène comique, car cela met souvent l’équipe et les comédiens dans une dynamique très positive. S’agissant d’un found footage, il n’y a aucune musique originale sur la bande-son de The Visit, ce qui vous a contraint à vous passer des services de votre compositeur attitré, James Newton Howard. Ça n’a pas été trop dur ? J’ai su que vous alliez me poser cette question juste avant que vous ne le fassiez. C’est très étrange… Mais, pour répondre à votre question, c’était aussi très étrange de travailler sans James Newton Howard, c’est vrai ! Le fait de faire un film sans bande originale, c’est une expérience singulière, mais l’exercice m’attirait. Il n’y a aucune musique dans Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock, par exemple. Dans L’Exorciste, tout juste quarante-cinq secondes. J’aime l’idée de se passer de musique, car cela impose au spectateur d’être encore plus impliqué. Pensez-vous que cette année, à Noël, à cause de vous, moins de petits-enfants rendront visite à leurs grands-parents ? Si l’on pouvait briser ne serait-ce qu’une famille, tout cela aura valu le coup ! (Rires.)

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CRITIQUE

© universal pictures

The Visit

Mis à la porte du carré V.I.P. de Hollywood, M. Night Shyamalan revient par la fenêtre indé. L’auteur de Sixième sens creuse ses obsessions et fait des étincelles dans The Visit, un found footage aussi terrifiant qu’hilarant, d’une maîtrise totale.

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PAR ÉRIC VERNAY

omment repartir de rien, ou presque, quand on a été présenté comme le nouveau Spielberg au début des années 2000 ? Depuis La Jeune fille de l’eau (2006), M. Night Shyamalan déçoit au box-­ office et agace une partie grandissante du public. D’aucuns, dont nous ne sommes pas, estiment que l’Américain déchu a égaré son mojo de l’époque de Sixième sens (2000) et d’Incassable (2000). The Visit fait le pari d’une renaissance modeste, mais en toute indépendance. Zéro budget (ou presque : 5 millions de dollars), zéro compromis avec les studios, telle est l’équation sur laquelle repose son association avec le producteur roi des films d’horreur à petit budget, Jason Blum (Paranormal Activity). Si, économiquement parlant, M. Night Shyamalan ne boxe plus dans la même catégorie que les autres jeunes prodiges de sa génération (David Fincher, Christopher Nolan…), il a toutes les cartes en main pour opérer son retour en grâce sans renier son style. Le motif du retour fait d’ailleurs partie des obsessions du cinéaste américain. Chez lui, revenir n’est pas synonyme de régression, mais de nouveau départ. Dans The Visit, on ne revient pas d’entre les morts comme dans Sixième sens, ni sur Terre comme dans After Earth, mais simplement chez ses aïeux. Deux pré-ados sont

ainsi envoyés chez leurs grands-parents par leur mère, qui ne parle plus à ses géniteurs depuis de longues années. Dans la bicoque du couple de vieillards nichée dans un coin neigeux de Pennsylvanie, les gamins vont tenter de comprendre l’origine de cette brouille (tout thriller de Shyamalan couve un vibrant mélodrame familial) tout en documentant leur rencontre avec ces vieux inconnus. Les gamins se filment en effet eux-mêmes, dans la tradition des found footage à la façon du Projet Blair Witch (1999). L’occasion, pour Shyamalan, d’organiser son Hansel et Gretel 2.0, avec l’efficacité éprouvée de la caméra subjective, et en jouant brillamment sur le hors-champ – les grands-parents, qui se révèlent complètement tarés, peuvent surgir de n’importe où. C’est terrifiant. Le genre lui offre également un espace hautement ludique, propice aux mises en abyme comiques, car ces jeunes apprentis réalisateurs à la découverte des puissances du cinéma renvoient forcément à la jubilation du maestro Shyamalan à pratiquer son art sans star ni filet, comme à ses débuts. Une jubilation communicative. de M. Night Shyamalan avec Olivia DeJonge, Ed Oxenbould… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h34 Sortie le 7 octobre

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ÉPISODE 11

© collection christophel

Le film de croque-mitaine

Halloween. La Nuit des masques de John Carpenter (1979)

Sous le masque du croque-mitaine, il y a un adulte, et un enfant. 38

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nouveau g e n re

Film noir, mélodrame, road movie… mais encore ? Derrière les dénominations officielles retenues par les encyclopédies, nous partons régulièrement à la recherche d’un genre inconnu de l’histoire du cinéma. Ce mois-ci : le film de croque-mitaine.

© rda

PAR JÉRÔME MOMCILOVIC

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La Nuit du chasseur de Charles Laughton (1956)

ans Halloween. La nuit des mas­ ques (John Carpenter, 1979), un enfant interroge sa baby-sitter à propos du croque-mitaine. Et la baby-sitter, bien sûr, lui répond par ce mensonge éternel dont aucun enfant n’est dupe : le boogeyman n’existe pas, ce n’est qu’une histoire, ditelle, destinée à faire peur aux enfants. La baby-sitter a provisoirement oublié l’essentiel, elle a oublié l’effroyable tautologie des peurs enfantines : c’est parce qu’il fait peur que le croque-mitaine existe ; et c’est parce qu’il existe qu’il fait peur. Tout grand film d’horreur est avant tout un documentaire sur la peur, tourné là où gît son secret, dans les sous-sols de l’enfance. Et le croque-mitaine est le nom de ce secret, masqué sous d’autres noms – Michael Myers, Freddy Krueger. Qui se cache, derrière le masque ? De La Nuit du chasseur (Charles Laughton, 1956) au récent It Follows (David Robert Mitchell, 2015), les grands films du genre donnent à peu près tous la même réponse, apparemment paradoxale : sous le masque du croque-mitaine, il y a un adulte, et un enfant. Un enfant, parce qu’il n’y a de croque-­ mitaine qu’à la condition qu’un enfant soit là pour y croire : c’est l’enfant qui donne vie à l’ombre du croque-mitaine. Par exemple celui qui, dans

L’Homme léopard de Jacques Tourneur (1943), fait apparaître une panthère sur un mur en serrant son petit poing dans un rayon de lumière, pour effrayer sa sœur. La sœur doit sortir, il fait nuit et une panthère rôde, dit-on, aux abords du village. Elle finira dévorée, au pied de sa propre maison, parce que sa mère ne lui aura pas ouvert à temps. Autrement dit : c’est la mère qui a tué, beaucoup plus que la panthère. C’était elle, la mère, sous le masque. Si le croque-mitaine est une invention d’enfant, il a le visage de l’âge adulte, où se lisent deux choses. D’abord, l’inéluctable promesse de mort adressée à l’enfance par le temps qui passe, et qui fait de tout film de croque-mitaine un redoutable roman d’apprentissage. Ensuite, la trahison inévitable des parents : dans Les Griffes de la nuit (Wes Craven, 1985) comme dans L’Homme léopard, ce sont eux, les vrais coupables – tout comme c’est à leur père, dans La Nuit du chasseur, que les enfants doivent d’être à la merci d’un ogre. En imaginant à Michael Myers une enfance martyre dans son beau remake de Halloween en 2007, Rob Zombie non seulement n’a pas trahi l’original, mais il a pris soin au contraire de révéler une deuxième fois le secret qu’avait livré Carpenter près de trente ans plus tôt : le boogeyman, c’est le masque d’adulte que revêt un enfant, pour assassiner sa propre enfance.

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EN TOURNAGE

POLINA Le chorégraphe Angelin Preljocaj fait un pas de côté et se lance dans la réalisation avec sa compagne Valérie Müller. Adapté d’une bande dessinée de Bastien Vivès, Polina suit le parcours, de la Russie à la France, d’une danseuse russe qui se libère d’une discipline trop corsetée en tombant amoureuse. PAR QUENTIN GROSSET

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ans une salle nue, des ados en collant sautent comme des cabris devant un immense miroir, puis se mettent en cercle pour écouter leur prof de danse à l’air autoritaire. En russe, elle leur explique qu’ici, à l’école du Bolchoï, ils doivent désormais se soumettre à une discipline de fer. Au milieu de ces silhouettes fines se dégage celle, majestueuse, de Polina, incarnée par la jeune Russe Nastya Shevtzoda. Polina pose un regard distrait sur le bel Adrien (Niels Schneider), qui fait le mariole avec son voisin dès que l’austère enseignante a le dos tourné. « La trajectoire de Polina nous permettait de parler de tous les aspects du travail du danseur, notamment de sa formation, nous confie Valérie Müller entre deux prises. On voulait aussi filmer des corps dans des architectures différentes, entre la France, la Belgique et la Russie, pour voir quelle poésie cela pouvait générer. » Le scénario amènera ensuite Polina à suivre Adrien en France, où elle découvrira la danse contemporaine grâce à la professeure Lyria Elsaj, campée par Juliette Binoche. « Je lui ai écrit un solo qu’elle a magnifiquement

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interprété », affirme Preljocaj au sujet de l’actrice, qui s’est entraînée deux heures par jour pendant les six mois qui ont précédé le tournage. Le temps d’une pause clope, Niels Schneider nous raconte qu’il mémorise ses dialogues russes en phonétique et poursuit : « Angelin m’a d’abord appelé pour participer à son spectacle Retour à Berratham [en octobre au Théâtre national de Chaillot, après sa représentation au Festival d’Avignon cet été, ndlr]. Cela m’a permis de vivre avec la compagnie, d’apprendre avec eux. » Violette Echazarretta, la seconde assistante réalisation, nous confie : « Au début du tournage, Niels ne voulait pas enlever son jogging par-dessus sa tenue moulante. Par rapport aux autres danseurs, il se sentait trop mou. » En cette fin de tournage, le collant a prouvé qu’il avait des vertus raffermissantes, car c’est un Niels Schneider véloce et à l’aise dans ses chaussons qu’on a vu danser. Polina d’Angelin Preljocaj et Valérie Müller avec Nastya Shevtzoda, Niels Schneider… Distribution : UGC Sortie : prochainement

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Philippe faucon

FATIMA Avec son trait fin et épuré, Philippe Faucon s’est imposé comme un des grands portraitistes de femmes animées par leur besoin de s’affirmer (Sabine, Muriel fait le désespoir de ses parents, Samia). Dans Fatima, il s’adonne, avec un immense talent, au clair-obscur, en révélant une héroïne de l’ombre, soit une femme de ménage immigrée élevant seule ses deux filles. Toujours pudique et jamais misérabiliste, il signe ici la lumineuse chronique d’une intégration réussie et rend hommage aux invisibles du quotidien. Rencontre. PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËLLE SIMON

A

près La Désintégration, qui retraçait l’itinéraire de jeunes Français vers la radicalisation religieuse et le terrorisme, vous racontez l’histoire d’une intégration réussie avec Fatima. Ce film est-il le contrechamp du précédent ? Il y a une expression qui qualifie bien La Désintégration. « Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse. » En sortant de ce film, j’avais besoin de raconter aussi la forêt qui pousse… L’islamisme, l’intégrisme, les problèmes dans les quartiers sont des sujets surreprésentés au cinéma et dans les médias. En revanche, il y a des gens dont on ne parle jamais : ceux qui se lèvent à 5 heures du matin pour ramasser les poubelles, pour faire des ménages, des gens qui veulent à tout prix que leurs enfants trouvent une meilleure place qu’eux dans la société. Il y avait un décalage entre leur représentation et leur place réelle dans la société, et j’ai eu envie de rattraper ce retard. L’aspect politique et didactique du sujet n’a-t-il pas tendance à faire écran à la mise en scène ? L’écriture et la forme comptent beaucoup, c’est essentiel pour approcher et exprimer le fond et le sujet. C’est ce qui fait qu’on est dans une écriture cinématographique et pas dans une enquête journalistique. Vous découpez le film en séquences courtes, sans gras – on est loin du naturalisme contemplatif. L’épure est-elle pour vous une priorité de mise en scène ? La meilleure façon d’approcher une histoire, c’est de la débarrasser de tout ce qui l’encombre, donc j’essaie, pour chaque scène, de me demander : « Qu’est ce qui est vraiment important, qu’est ce qui ne l’est pas ? » Je suis très sensible à l’écriture de Kenji Mizoguchi, par exemple, à sa façon de raconter en un seul plan ce que d’autres découperaient en dix-huit.

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La mise en scène qui se donne à voir, ça ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est d’être attentif aux comédiens et aux personnages, au jeu, et de trouver l’axe, le cadre, le découpage qui va permettre au jeu de se déployer. Quand la productrice Fabienne Vonier vous a proposé d’adapter le livre Prière à lune de Fatima Elayoubi, avez-vous été tout de suite partant ? Le besoin vibrant de cette femme d’exprimer quelque chose qui n’était pas entendu a résonné en moi dès la première lecture. Mais ce n’était pas évident d’imaginer faire un film de ce livre qui est une sorte de journal écrit dans une forme introspective très littéraire. Il a fallu que je rencontre l’auteure pour comprendre comment en faire un film : par la force de ce personnage extraordinaire. C’est une femme qui a été déscolarisée assez tôt dans son pays, qui a suivi son mari en France sans savoir parler le français, qui a donné naissance à des filles qui ne parlaient pas la même langue

qu’elle. Cette séparation par la langue l’a beaucoup frustrée, et elle s’est mise à écrire en arabe les choses qu’elle n’était pas en mesure de dire en

« La mise en scène qui se donne à voir, ça ne m’intéresse pas. » français à ses filles. C’est aussi une femme qui a toujours vu se poser sur elle un regard réducteur, en tant que femme, immigrée, ne parlant pas français, faisant des ménages. Donc elle avait aussi besoin de dire des choses à la société, les pensées d’une femme immigrée qui essuie la poussière. En faisant les portraits de cette femme et de ses deux filles, vous dessinez trois modèles d’intégration différents. Ces trois femmes sont issues de générations différentes, elles ont des personnalités qui leur sont

PHILIPPE FAUCON

© fabien breuil

PORTRAITS DU FÉMININ

Auteur de huit longs métrages et trois téléfilms (lire aussi page 13), le cinéaste a signé de grands portraits de femmes qui sont aussi des chroniques de leur environnement culturel et social. Retour sur quatre de ces héroïnes en quête d’affirmation, comme autant d’aînées bienveillantes pour le trio féminin de Fatima. J. R.

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Soria Zeroual

propres. Fatima est accrochée à l’effort, elle n’a accès qu’à un type de travail déconsidéré et souspayé. Sa fille aînée, Nesrine, a un désir d’élévation sociale. Souad, la plus jeune, est dans une sorte de révolte adolescente un peu violente et désordonnée, mais elle a le même désir que sa mère de ne pas se laisser enfermer dans quelque chose qui n’est pas elle. Chacune d’entre elles a aussi son propre langage : Fatima, la mère, s’exprime en arabe, dans un registre souvent très poétique ; Nesrine, l’aînée, parle elle un français assez académique ; alors que Souad, la cadette, utilise un langage très urbain. Le langage de Souad et ses amis exprime une vitalité qui est celle de leur âge, de leur envie de rire, de vivre, de rester dans des attitudes de dérision par rapport à ce qu’ils considèrent comme dérisoire, ils ne s’ennuient pas dans la bienséance. Il y a aussi chez eux quelque chose de l’ordre de la représentation, du spectacle, voire de la compétition.

SABINE (1993)

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À SUIVRE

Kenza Noah Aïche

Aux côtés de Soria Zeroual, dans le rôle-titre, il faut retenir le nom des jeunes femmes qui interprètent les filles de Fatima. Regard de chat et sourire désarmant, Zita Hanrot confère une belle douceur au personnage de Nesrine, l’aînée, étudiante en médecine, responsable et déterminée. La jeune femme de 25 ans, découverte en 2012 dans Radiostars de Romain Levy, a étudié au Conservatoire national avant d’apparaître dans les récents Eden de Mia Hansen-Løve et Une nouvelle amie de François Ozon. Elle sera bientôt à l’affiche de De sas en sas de Rachida Brakni. Pour la première fois à l’écran, la toute jeune Kenza Noah Aïche, 16 ans, impressionne quant à elle dans le rôle de Souad, la tempétueuse benjamine. Derrière les vannes assassines, le sale caractère et l’indomptable chevelure noire, grâce à un talent comique et une présence rares, elle parvient à conférer une fragilité désarmante à cette ado révoltée. J. R.

MURIEL FAIT LE DÉSESPOIR DE SES PARENTS (1995)

Une succession de pertes et de renoncements conduit Sabine vers la drogue, la prostitution et la maladie. Le film baigne dans l’infinie tristesse de son héroïne (sidérante Catherine Klein) mais ne cède jamais au pathos, lui offrant même une lumineuse rédemption dans une scène magnifique de retrouvailles avec son fils.

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Faucon retrouve Catherine Klein dans la peau d’une ado fraîchement débarquée à Paris qui découvre son homosexualité auprès de Nora, charmante allumeuse. « Faut que tu l’admettes et que tu me prennes avec ça parce que je ne changerai pas », lance la déterminée Muriel à sa mère, abasourdie.


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L’école est un enjeu important du film : Fatima prend des cours du soir pour apprendre le français, Nesrine passe les concours de médecine, Souad est en échec scolaire… À condition d’y trouver sa place, ce qui n’est pas toujours le cas, l’école est un moyen d’avoir accès à quelque chose d’autre. Fatima voit d’ailleurs l’école comme la seule possibilité de sortir de l’enfermement social dans lequel ses filles sont confinées. Du coup, elle est sans doute surinvestie dans leur réussite scolaire. Elle a la hantise que la cadette soit reléguée socialement, et elle fournit énormément d’efforts pour que l’aînée réussisse médecine. Comment avez-vous trouvé Soria Zeroual, qui joue Fatima ? Je doutais qu’il existe une comédienne française capable de jouer quelqu’un qui ne parle pas bien le français… On a tout de même organisé un casting en France, mais ça sonnait faux, de l’avis même des intéressées. Du coup, on a fait un casting au Maroc, mais on n’a trouvé personne qui correspondait à

l’âge que je cherchais, environ 45 ans. On s’est donc tourné vers des interprètes non professionnelles. On a fait des essais avec des femmes rencontrées dans des associations de quartier, mais le résultat était souvent assez maladroit. Jusqu’au jour où on m’a montré l’essai de Soria. Elle avait une vraie présence à l’image, tout en étant calme. Elle était là avec certitude, sans pour autant en faire trop. Comment s’est passé le travail avec cette interprète non professionnelle ? Le premier jour de tournage, elle était un peu tendue, donc on a commencé avec des choses pas trop compliquées, pour lui permettre de rentrer dans le film. Ensuite, elle s’est vite adaptée, ce qui n’est pas évident pour quelqu’un de sa génération. C’est beaucoup plus facile pour les jeunes comédiens, car ils ont toujours une certaine culture cinématographique, ils ont vu des films, ils savent grosso modo comment ça se fait, ils ont un certain sens de l’analyse. Mais elle était très attentive. Du coup, elle comprenait très bien mes intentions, ce que

SAMIA (2001)

DANS LA VIE (2008) Contre l’avis d’une partie de sa famille, Halima finance son pèlerinage à La Mecque en s’occupant d’Esther, une femme juive handicapée originaire comme elle d’Algérie. Un portrait croisé bouleversant de justesse, de simplicité et d’humanité.

Le film chronique le quotidien de Samia et de ses sœurs, écartelées entre leur désir de vivre librement et les règles imposées par leur famille d’origine algérienne. Mâchoire serrée, regards furibonds, cette héroïne révoltée ressemble beaucoup à la Souad de Fatima.

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LA « VRAIE » FATIMA

Fatima Elayoubi

À l’origine du film, il y a Prière à la lune, un petit ouvrage, à mi-chemin entre le recueil de poésies et le journal intime, publié en 2006. Fatima Elayoubi y livre le récit d’une vie faite d’arrachements

successifs  : de l’école, d’abord, à seulement 10 ans, après trois ans d’étude qui lui laisseront le goût d’apprendre et « un regret sans fin » ; de son pays natal, ensuite, le Maroc, qu’elle quitte jeune mariée, en 1983, pour s’installer à Paris ; de ses enfants, enfin, qu’elle confie chaque jour à l’aube à une nounou pour aller faire des ménages, et qui ne parlent pas la même langue qu’elle. « Toutes les femmes immigrées sont des arbres déplantés,

transplantés, d’une terre à l’autre. Beaucoup se fanent », écrit-elle. Mais le livre dit surtout une renaissance : suite à un accident du travail, Fatima fait la rencontre d’un médecin qui la pousse à parler, puis à écrire et à trouver un éditeur pour ce premier ouvrage. Depuis, elle a publié un second livre au titre évocateur : Enfin, je peux marcher seule (2011). J. R. Prière à la lune et Enfin, je peux marcher seule de Fatima Elayoubi (Bachari)

« Fatima a toujours vu se poser sur elle un regard réducteur. » j’attendais d’elle. De là à réussir à les exprimer dans une situation fabriquée, en respectant les marques techniques, ce n’était pas évident, et je trouve qu’elle s’en est vraiment bien sortie ! C’est une femme qui vient d’un milieu et d’une culture où on est beaucoup dans la retenue, mais je trouve que dans le film elle offre une large palette de jeu, que ce soit dans la colère, la tristesse, le plaisir.

Fatima de Philippe Faucon avec Soria Zeroual, Kenza Noah Aïche… Distribution : Pyramide Durée : 1h19 Sortie le 7 octobre

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Existe-t-il des points communs entre Soria Zeroual et son personnage ? Oui, elle a des enfants pour qui elle a les mêmes inquiétudes que Fatima, avec qui elle a les mêmes difficultés à communiquer. Elle est dans la même situation de quasi-précarité, elle aussi fait des ménages à des endroits éparpillés, elle rentre sans doute tard le soir, elle n’est pas là à des moments

importants pour ses enfants, donc elle est en butte aux mêmes reproches de leur part… Je crois qu’elle a accepté de faire le film dans une volonté de s’engager par rapport à ce personnage, de le défendre. Comme Fatima, je pense qu’elle a besoin d’affirmer quelque chose de valorisant d’elle-même vis-à-vis de ses enfants. Quand elle est venue au Festival de Cannes pour montrer le film, elle n’a pas été bluffée plus que ça, ça restait quelque chose de très relatif au vu de son parcours chargé de difficultés. En revanche, ce qui a été fort pour elle, c’est quand ses enfants l’ont appelée pour lui dire qu’ils étaient fiers d’elle.

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NOTRE PETITE SŒUR

Avec Tel père, tel fils en 2013, Hirokazu Kore-eda confirmait, après Nobody Knows (2004), son immense talent pour filmer les enfants, en captant au plus juste l’intensité des expressions de son jeune héros rejeté par son père. Dans Notre petite sœur, le réalisateur japonais se penche cette fois sur les états d’âme de trois toutes jeunes femmes qui, à l’occasion de l’enterrement de leur père – qui les a abandonnées quinze ans plus tôt – rencontrent leur demi-sœur adolescente et décident de l’accueillir dans leur maison. PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËLLE SIMON

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’un des motifs récurrents de vos films, que l’on retrouve dans Notre petite sœur, c’est l’absence ou la défaillance de la figure parentale. Autrefois, au Japon, la famille se composait d’un père très autoritaire et d’une mère très douce qui choyait ses enfants. Je pense que ce modèle patriarcal est en train de s’effondrer. À mon sens, il n’est pas très réaliste, et pour ce qui me concerne j’ai plutôt une image de parents défaillants. Ce qui explique que j’ai beaucoup d’affection pour les personnages qui

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sont obligés d’endosser un rôle de parents de substitution, comme la sœur aînée ici. Le film est adapté d’Umimachi Diary de Yoshida Akimi. Qu’est-ce qui vous a plu dans ce manga ? Je suis un lecteur inconditionnel de cet auteur. Je me suis donc précipité sur le livre dès sa parution. L’histoire de ces trois sœurs abandonnées par leurs parents, qui décident de recueillir leur demi-sœur, elle aussi abandonnée, m’a tout de suite interpellé car elle avait des résonnances avec les thèmes de mes films. J’ai donc eu envie de l’adapter assez

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© philippe quaisse / pasco

HIROKAZU KORE-EDA


© le pacte

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« J’ai beaucoup d’affection pour les personnages qui sont obligés d’endosser un rôle de parents de substitution. »  naturellement. Et puis j’aimais aussi le côté entreprenant de ces personnages, qui jamais ne se posent en victimes. Certaines scènes ou images reviennent à plusieurs reprises dans le film : la floraison des cerisiers, la célébration des morts, la cueillette des prunes… L’idée du cycle, des rituels est importante dans le film. Cette conception non linéaire du temps, c’est ma perception de la vie : on fait des boucles et on revient toujours au même point ; même s’il est un peu décalé, c’est comme ça qu’on évolue. Du coup, j’ai construit le film autour de ce motif de la répétition, avec des scènes qui reviennent, comme les funérailles, ou ce plan pendant lequel les sœurs empoignent tour à tour la bouteille de liqueur de prune pour la contempler. La maison familiale tient une place centrale dans l’histoire. L’aînée va jusqu’à dire : « J’ai une responsabilité, protéger ce lieu. » Que représente cette maison ? C’est un film sur le temps, et cette maison est le symbole de ce temps qui passe, comme en témoignent les poutres sur lesquelles on mesurait la taille des enfants, ou le vieux prunier du jardin. Cette maison est très importante dans le film, on a eu énormément de mal à la trouver. On voulait se rapprocher le plus possible de celle du manga, une maison traditionnelle, avec un étage, un couloir-véranda qui

donne sur un jardin intérieur, avec un prunier. Ca faisait beaucoup de conditions ! Toute l’équipe de production s’est démenée et a ratissé la préfecture de Kanagawa jusqu’à trouver, au dernier moment, cette vieille maison qui remplissait tous les critères, en dehors du prunier dans le jardin ! La maison est aussi un lieu de mémoire, puisqu’elle abrite un autel dédié aux défunts. On trouve ce type d’autel dans les maisons traditionnelles, comme celle du film, qui a plus de 80 ans. Dans la culture japonaise, on s’imagine que l’esprit des défunts revient visiter la maison au moment de la fête des morts – l’équivalent de la Toussaint en France –, qui au Japon a lieu en été. En Europe, on peut avoir des photos de ses parents décédés dans sa maison, mais cette tradition d’avoir un autel qui leur est dédié, d’y déposer chaque matin un petit bol de riz, d’y faire brûler un bâtonnet d’encens et de joindre ses mains pour présenter ses respects aux défunts, c’est encore autre chose, on a vraiment l’impression que les disparus continuent à vivre près de nous. J’avais moi-même cette habitude quand j’étais petit, et, maintenant que je ne l’ai plus, je me rends compte combien elle était importante. Les personnages du film continuent de respecter cette tradition, mais elle se raréfie, car les vieilles maisons de ce type sont de plus en plus rares, elles sont souvent détruites et reconstruites sans autels familiaux. Peut-être que ces histoires de fantômes vont disparaître avec elles…

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CRITIQUE

© le pacte

Notre petite sœur

Après Nobody Knows (2004), Still Walking (2009) ou Tel père, tel fils (2013), Hirokazu Kore-Eda revient à son thème de prédilection, la famille à l’épreuve de l’absence. Dans une veine moins tragique et plus tendre, il livre ici la délicate chronique de l’adoption d’une orpheline par ses demi-sœurs. PAR RAPHAËLLE SIMON

Rien de grave », lance avec un sourire espiègle une jeune fille à son mec au petit matin, alors qu’elle se rhabille à la va-vite après avoir reçu un texto. Rien de bien grave : son père est mort, mais elle ne l’a pas vu depuis quinze ans. Accompagnée de sa cadette et de son aînée – Sachi, qui a repris les rênes de la maison depuis que leur mère est partie –, elle se rend nonchalamment aux funérailles de son père, comme elle irait au mariage d’une lointaine cousine. Une fois sur place, les trois jeunes femmes font la connaissance de Suzu, leur demisœur de 14 ans devenue orpheline, et décident de la recueillir. Sachi a maintenant trois sœurs à materner, tout comme la petite Akira dans Nobody Knows, qui à 12 ans à peine devait veiller sur ses frères et sœurs après que leur mère les eut abandonnés. Familles inversées (les enfants livrés à euxmêmes tenant le rôle des parents absents), décomposées (les parents souvent séparés), amputées (le fils décédé dans Still Walking) ou même erronées (les bébés échangés à la maternité entre deux familles dans Tel père, tel fils, sorte de version dramatique de La vie est un long fleuve tranquille) :

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le réalisateur japonais fait souvent voler en éclats les liens familiaux, mais c’est généralement pour mieux les ressouder ensuite. L’arrivée de la petite Suku – aussi aimable soit-elle – ravive les blessures de ses trois sœurs (ce père parti il y a quinze ans pour suivre une femme, cette mère qui les a abandonnées à son tour quelques années plus tard) et bouleverse le fragile équilibre qu’avait trouvé la fratrie. Amertume, jalousie, non-dits, les rancœurs enfouies remontent à la surface lors de querelles prétexte souvent très drôles – on se dispute pour des broutilles, au lieu de parler des choses qui fâchent, ou plutôt qui blessent, réellement. Mais ces règlements de comptes sont surtout l’occasion de réconciliations et de pudiques rapprochements – voir la déclaration d’amour alcoolisée mais si délicate entre les deux aînées. Comme une pièce ajoutée à un puzzle qui trouve ainsi une composition plus harmonieuse, la petite sœur a su gagner sa place tout en douceur. de Hirokazu Kore-eda avec Ayase Haruka, Nagasawa Masami… Distribution : Le Pacte Durée : 2h08 Sortie le 28 octobre

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portfolio

SARKER PROTICK ©sarker protick

PAR TIMÉ ZOPPÉ

Avec Love Me or Kill Me, le jeune photographe Sarker Protick dévoile les dessous de Dhallywood, l’industrie cinématographique de son pays, le Bangladesh. Via Skype, depuis la capitale Dhaka, il nous a expliqué le fonctionnement de cette proche parente de Bollywood qui fabrique des films pittoresques, reflets naïfs des espoirs et des frustrations de la population.

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arker Protick connaît Dhaka, la capitale du Bangladesh, comme sa poche : il y est né en 1986, puis y a étudié le marketing, avant d’opter pour l’école de photographie de la ville. À partir de juin dernier, il a été autorisé à pénétrer les coulisses de Dhallywood – contraction de « Dhaka » et de « Hollywood ». Il a alors découvert l’ampleur de cette machine à rêves. « C’était hallucinant, se souvient-il. J’ai décidé d’oublier un moment mes autres travaux en cours pour ne plus photographier que ça. Les décors artificiels m’intéressent beaucoup. » Sa surprenante série Love Me or Kill Me montre en effet l’omniprésence de l’artifice sur ces plateaux : costumes traditionnels cheap au possible, faux pistolets grossiers, machine à fumée tournant à plein régime en intérieurs… Dhallywood semble cultiver l’art du décalage. On

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est d’ailleurs frappé par la ressemblance avec les grosses productions indiennes, et ce malgré l’interdiction, depuis 1965, par le Bangladesh, de la diffusion de films bollywoodiens, pour assurer la survie du cinéma national. C’est que la taille des deux industries n’a rien de comparable : Bollywood produit plus de mille films par an et rayonne à travers le monde, quand Dhallywood ne fabrique chaque année qu’entre cinquante et cent longs métrages qui ne sont vus qu’à l’intérieur du pays. « Actuellement, l’industrie est en difficulté. À part à Dhaka et dans quelques autres grandes villes, les cinémas ont disparu. » Dans sa série, le photographe saisit la théâtralité des plateaux sans la tourner en dérision, en se focalisant sur les éclaboussures de faux sang et les teintes vives, quasiment irréelles et accentuées par la surexposition des décors et des costumes. Il joue de cette imagerie savoureusement

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kitsch en juxtaposant, par exemple, le cliché d’un faux couteau planté dans une jambe avec celui d’une blanche colombe tenue dans une main pour souligner une symbolique naïve. En montrant des hommes tenant quasiment tous un pistolet et des femmes apprêtées et lascives, l’artiste parvient également à rendre compte des stéréotypes qui emprisonnent les genres : « C’est un cinéma qui objective les femmes. Globalement, les femmes séduisent, les hommes se battent. » Presque tous les scénarios dhallywoodiens sont basés sur le même modèle. « Un garçon tombe amoureux d’une fille, puis leurs familles s’en mêlent, ainsi que des politiciens corrompus, ou bien un homme d’affaires. À la fin, le héros se bat contre eux et gagne. Et le public ne s’en lasse pas. » Sarker Protick explique ce phénomène par le fait que les films visent en priorité la classe ouvrière issue de milieux pauvres et ruraux. « Les spectateurs

veulent tous être des héros, avoir de l’argent. Il ne faut pas que le méchant gagne, parce que le peuple est victime de ces mêmes pourritures dans la vraie vie. » L’année dernière, l’industrie dhallywoodienne a redémarré en trombe. Agnee d’Iftakar Chowdhury, pour une fois centré sur une femme fichant des raclées aux méchants, et Hero. The Superstar de Bodiul Alam, qui reprend, lui, la figure du héros traditionnel, se sont hissés en tête du box-office national. Ce nouveau souffle pourrait inspirer Sarker Protick, qui n’a pas terminé sa série et compte, à terme, en faire un livre. « Je voudrais que les ingrédients de ces films transparaissent, garder l’idée de ce monde fantasmé qui contient aussi une certaine dose d’humour. »  Une sélection de photos de la série Love Me or Kill Me de Sarker Protick est exposée dans le cadre de Photoquai, sur les berges du musée du quai Branly, jusqu’au 22 novembre

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© sarker protick – musée du quai branly – photoquai 2015

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les F I L M S du 7 au 28 octobre CATCH ME DADDY

Le Britannique Daniel Wolfe réussit un séduisant thriller brutal aux couleurs pop p. 63

FEVER

Le premier long métrage de Raphaël Neal sème le trouble avec une belle énergie p. 66

L’HOMME IRRATIONNEL

Woody Allen signe l’un de ses meilleurs films depuis Match Point p. 68

Sicario En installant son film (en compétition au dernier Festival de Cannes) à la frontière américano-mexicaine, le Canadien Denis Villeneuve orchestre la rencontre au sommet d’un thriller sur fond de cartels de drogue et d’un revenge movie désenchanté. PAR JULIETTE REITZER

Le nouveau film de Denis Villeneuve, auteur notamment des remarqués Incendies (2011) et Prisoners (2013), s’avance d’abord comme un thriller policier classique et revêche au centre duquel Kate (Emily Blunt, convaincante dans un rôle proche de celui qu’elle campait dans Edge of Tomorrow, la fébrilité en plus), une agent du FBI basée dans l’Arizona, se bat contre la violence des cartels mexicains. L’impressionnante séquence d’ouverture expose bien la profondeur du bourbier : après une irruption musclée dans une maison, Kate et ses hommes tombent sur des dizaines de cadavres en décomposition planqués à l’intérieur des murs, puis, littéralement, sur une bombe. La première d’une longue série de déflagrations violentes pour la jeune femme, qui se retrouve bientôt enrôlée pour participer à une mission aux contours troubles visant à mettre la main sur le chef d’un cartel. Ladite mission est commanditée par la C.I.A. et pilotée par un improbable consultant portant tongs et bermuda (génial et hirsute Josh Brolin, tout en cynisme et en vannes assassines). Terre fertile pour la fiction (on pense notamment à l’excellente série The Bridge), la frontière américano-­ mexicaine est une nouvelle fois ici exploitée pour sa

valeur symbolique que l’on médite le temps de plans de coupe aériens sur les paysages désertiques séparant les deux pays, et qui prend une dimension hypnotique lors d’une scène dans un tunnel clandestin filmée en visée nocturne. L’ambiguïté et la violence des relations entre les deux nations s’incarnent dès lors, de façon un peu attendue, dans le face-à-face entre Kate, l’Américaine animée par un idéal de justice très éloigné de la réalité du terrain, et le Mexicain Alejandro, un ancien procureur de Juárez, hanté par le meurtre de sa famille, que le malheur a rendu insensible et brutal, et qui rejoint rapidement la mission. Joué par un Benicio del Toro impeccable, il s’impose comme l’autre héros de ce film bicéphale – le « sicario » du titre, terme employé par les cartels pour désigner un tueur à gages, c’est lui. En dévoilant la raison de la présence d’Alejandro au sein de l’équipe, le film aborde vite les terres arides et désenchantées d’un pur revenge movie, classique mais furieusement bien mené. de Denis Villeneuve avec Emily Blunt, Benicio del Toro… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 2h01 Sortie le 7 octobre

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Orage PAR Sirine Madani

Dans cette adaptation d’un roman de Marguerite Duras, Marina Foïs campe Maria, une femme qui noie la fin de son amour pour Pierre dans l’alcool. Après un violent orage, elle se retrouve bloquée dans une petite ville du sud de la France. Elle y rencontre un meurtrier en cavale (Sami Bouajila) et décide de s’enfuir avec lui… Fabrice Camoin filme ses personnages dans des espaces ouverts, comme autant de potentiels points de fuites pour ceux-ci. de Fabrice Camoin avec Marina Foïs, Sami Bouajila… Distribution : Rezo Films Durée : 1h23 Sortie le 7 octobre

Le Labyrinthe

La Forteresse PAR S. M.

La terre brûlée PAR TIMÉ ZOPPÉ

Le deuxième volet de la franchise pour ados délaisse le casse-­tête labyrinthique pour s’engouffrer furieusement dans un tunnel de péripéties rectiligne. Et ce sans rien perdre de son efficacité jouissive. À la sortie, il y a un an, de l’adaptation du premier tome de L’Épreuve de l’Américain James Dashner, on s’était surpris à apprécier ce qui s’annonçait comme un ersatz de Hunger Games. Ce nouvel opus est un peu plus bas de plafond – l’aspect psychologique a dû se perdre quelque part dans le labyrinthe –, mais les épreuves épiques s’y succèdent toujours à vive allure. Cette fois, la poignée de braves jeunes gens parvenus à s’extirper du dédale, après y avoir

mystérieusement atterri dans le premier volet, se retrouve transférée dans un centre ultra protégé, au milieu d’une terre ravagée par l’apocalypse. Quand le groupe comprend que l’agence qui régit les lieux est pétrie de troubles intentions à son égard, il prend la fuite et fonce tête baissée dans l’inconnu. La saga opère alors un virage vers le film de zombies (les gamers retrouveront des ambiances proches de celles de The Last of Us, chef-d’œuvre du jeu vidéo) et continue de fonctionner à plein régime grâce à un sens du rythme sans faille.

En Inde, Chinmay fait sa rentrée scolaire dans une petite ville du bord de mer. En compagnie de quatre garçons de sa classe, il appréhende le difficile passage de l’enfance à l’adolescence… Avinash Arun (directeur de la photographie de Masaan, primé cette année à Cannes) signe un film à l’esthétique soignée traitant avec humour et finesse de thèmes chers au nouveau cinéma indien indépendant tels que la condition féminine et les castes.

de Wes Ball avec Dylan O’Brien, Ki Hong Lee… Distribution : 20th Century Fox Durée : 2h13 Sortie le 7 octobre

d’Avinash Arun avec Amruta Subhash, Archit Deodhar… Distribution : Les Films du Préau Durée : 1h18 Sortie le 7 octobre

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Catch Me Daddy Pour son premier long métrage, après une carrière courte mais remarquée de réalisateur de clips musicaux (Plan B, Duffy, The Shoes…), le Britannique Daniel Wolfe réussit un séduisant thriller, brutal et relevé aux couleurs pop. PAR ÉRIC VERNAY

Le clip choc de « Time to Dance » de The Shoes, c’était lui. Mais si, rappelez-vous, ce mauvais trip gore à la American Psycho dans lequel un gendre idéal (Jake Gyllenhaal) se révélait être un tueur en série au masque d’escrimeur. Même si l’on aperçoit un aigle menaçant (entre autres bêtes sauvages) dans le premier film de Daniel Wolfe, ses héros ne sont plus les prédateurs mais les proies. Laila et Aaron fuient les hommes de main du violent paternel de la jeune fille. Comme ces Bonnie and Clyde du Yorkshire, leurs poursuivants sont d’origines mixtes (anglo-­pakistanaises), ce qui n’est pas sans générer quelques tensions. Ainsi l’un d’eux n’hésite pas à se pisser volontairement sur la main avant d’aller serrer la pogne d’un de ses acolytes trop asiatique à son goût, par pure bêtise raciste. Le Britannique Daniel Wolfe croque ses personnages ainsi, en quelques

de Daniel Wolfe avec Gary Lewis, Sameena Jabeen Ahmed… Distribution : Bodega Films Durée : 1h47 Sortie le 7 octobre

PROPOS RECUEILLIS PAR é. v.

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3 QUESTIONS À DANIEL WOLFE

plans minimalistes, avec humour et sens du détail, alors que se dessinent dans les landes brumeuses des trajectoires dignes d’un western. S’il respecte les codes du genre (le film de cavale), son rythme (binaire) et sa tonalité (ultra violente et désespérée), le cinéaste n’oublie pas de les relever de sa palette maison, soit quelques beaux intermèdes musicaux, mais aussi des éclats colorés, arcs en ciels improbables, néons flashy et autres inserts pop seyants, qui s’invitent ainsi dans l’habituelle grisaille british, telle une mixture psychotrope imbibant le quotidien moribond des mobile homes. D’où un séduisant petit polar, tendu et racé.

De quel désir est né ce premier film ?

Je voulais faire un western moderne, en utilisant les paysages de mon enfance dans le Yorkshire, au nord de l’Angleterre. Ma grand-mère habite dans le village qu’on voit au début du film. Je souhaitais aussi avoir un personnage principal féminin fort. Son histoire m’a été inspirée par un fait divers.

C’est un film sur un couple en cavale. Vous aimez Bonnie and Clyde d’Arthur Penn ? L’affiche est au-dessus de mon lit ! Je vais devoir la décrocher avant que mon fils soit en âge de comprendre son slogan – « Ils sont amoureux et ils tuent des gens ». J’adore Penn, le Nouvel Hollywood, les westerns de Sergio Leone et de Sam Peckinpah, mais aussi Elephant d’Alan Clarke…

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Comme celui d’Alan Clarke, votre cinéma est avare en explications psychologiques.

Oui, le spectateur peut mieux se projeter dans les situations. Je n’aime pas les personnages qui disent ce qu’ils pensent constamment. On ne sait pas ce qu’il se passe dans le crâne de nos meilleurs amis. On a écrit le film avec mon frère ; pourtant on ne sait pas ce qu’il y a dans la tête l’un de l’autre.


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> L’ÉTUDIANTE ET MONSIEUR HENRI

Le Nouveau Stagiaire PAR Quentin Grosset

Retraité, Ben Whittaker (Robert De Niro) s’ennuie ferme. En désespoir de cause, il postule donc à une annonce de stage à vocation sociale, pour seniors, dans une start-up Internet où il est vite intégré. D’abord réticente à l’idée de s’embarrasser d’un tel stagiaire, la PDG Jules Ostin (Anne Hathaway) va peu à peu se rendre compte que

l’expérience de Ben est un atout… Si le film pâtit de son portrait exagérément idyllique du monde de l’entreprise, il profite de savoureux traits d’humours sur le conflit de générations.

Un vieil homme acariâtre (Claude Brasseur) souhaite se débarrasser de son insupportable belle-fille. Pour parvenir à ses fins, il demande à sa jeune locataire de séduire son fils en échange de la gratuité du loyer… Une comédie convenue mais délicate et attachante. d’Ivan Calbérac (1h38) Distribution : StudioCanal Sortie le 7 octobre

de Nancy Meyers avec Robert De Niro, Anne Hathaway… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h01 Sortie le 7 octobre

> HÔTEL TRANSYLVANIE 2 Dracula profite de la venue de son petit-fils, Dennis, pour lui apprendre comment devenir un méchant vampire. Mais Dennis est à moitié humain et se révèle beaucoup trop gentil… Un deuxième opus toujours aussi divertissant, grâce à son charme macabre et délirant. de Genndy Tartakovski (1h29) Distribution : Sony Pictures Sortie le 7 octobre

Sangue del mio sangue PAR Raphaëlle Simon

Un homme se rend dans un couvent pour réhabiliter la mémoire de son frère, un prêtre séduit par une nonne, en tentant de prouver que celle-ci l’a ensorcelé. Des siècles plus tard, le couvent, habité par un mystérieux comte qui ne sort que la nuit, est réquisitionné par un inspecteur… Après Vincere et La Belle Endormie, Bellocchio raconte

à nouveau l’Italie, mais dans une veine plus fantastique, faisant se croiser dans un joyeux bordel spatiotemporel des dirigeants corrompus, des sorcières et des vampires. de Marco Bellocchio avec Roberto Herlitzka, Pier Giorgio Bellocchio… Distribution : Bellissima Films Durée : 1h47 Sortie le 7 octobre

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> LES CHEMINS DE COMPOSTELLE

La documentariste américaine Lydia B. Smith filme six pèlerins de différentes nationalités parcourant les chemins de Compostelle. Entre fatigue, doute et dépassement de soi, elle parvient à saisir la dimension spirituelle de cette fameuse marche. de Lydia B. Smith (1h24) Distribution : Jupiter Communications Sortie le 7 octobre


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Fever Deux jeunes lycéens tuent une femme qu’ils ne connaissent pas. Seule une opticienne, qui passait par là, les voit fuir après le meurtre… Dans son premier long métrage, un thriller aux nombreux échos philosophiques, librement adapté du roman du même nom de Leslie Kaplan, Raphaël Neal sème le trouble avec une belle énergie. PAR QUENTIN GROSSET

L’argument du film peut rappeler celui de La Corde d’Alfred Hitchcock (1948), qui voyait deux étudiants en assassiner un troisième après avoir interprété de façon erronée une théorie philosophique supposée les autoriser à commettre un homicide. Ici, au début des années 2000, Damien et Pierre, deux jeunes garçons sur le point de passer le bac, sont les auteurs d’un meurtre sans mobile : pour eux, du moment que celui-ci est commis au hasard, ils ne seront pas retrouvés ni punis. Mais Zoé, une opticienne qui travaille à côté du lieu du crime, a aperçu les deux amis s’enfuir… La force du premier film du photographe et acteur Raphaël Neal est de se confronter à une matière philosophique assez conséquente – le concept de « banalité du mal », défini par Hannah Arendt en 1963 dans son ouvrage

de Raphaël Neal avec Martin Loizillon, Pierre Moure… Distribution : Strutt Films Durée : 1h20 Sortie le 7 octobre

PROPOS RECUEILLIS PAR Q. G.

©d.r.

3 QUESTIONS À RAPHAËL NEAL

Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, est cité dans le film – sans jamais être hermétique ou trop littéraire. Au contraire, Fever est traversé par un souffle et un dynamisme charmeurs, portés par les révélations Martin Loizillon et Pierre Moure. À mesure que le film avance, il se fait de plus en plus troublant ; notamment parce que le personnage de Zoé ne dénonce pas les meurtriers. Ceux-ci semblent exercer un pouvoir de fascination morbide sur la femme qui les suit à la trace sans jamais intervenir. Cette filature finit alors par interroger le spectateur sur ses propres penchants voyeuristes.

Comment as-tu découvert le roman de Leslie Kaplan ?

Le nom de l’auteure m’a interpellé. Il me rappelait le personnage de George Kaplan dans La Mort aux trousses. Il y avait une dimension cinématographique assez forte qui m’évoquait un peu La Corde d’Alfred Hitchcock. La différence, c’est que Damien et Pierre assassinent une femme. Il y a une dimension misogyne dans leur démarche.

Comment s’est déroulée l’adaptation ?

J’ai d’abord envoyé le livre à Caroline Eliacheff, dont j’admire le travail de scénariste pour Claude Chabrol. Elle a m’a conseillé de collaborer avec l’écrivaine Alice Zeniter qui pouvait m’aider à apporter de la vitalité au scénario. On s’est vraiment éloignés du roman : le personnage de Zoé, par exemple, a été créé de toutes pièces.

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Que crée la confrontation, dans le film, du thème de la banalité du mal avec celui de l’adolescence ?

C’était l’occasion de parler du rapport des jeunes à l’histoire. C’est à l’adolescence que l’on commence à avoir une conscience du monde. Pour Damien et Pierre, la Seconde Guerre mondiale est un concept vague et flou. Il aura fallu qu’ils éprouvent le crime pour comprendre ce passé.


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Qui a tué Ali Ziri ? PAR T. Z.

En 2009, Ali Ziri, 69 ans, décède après lors d’un contrôle de police en banlieue parisienne. « Arrêt cardiaque d’un homme au cœur fragile », déclare le procureur de Pontoise. La contre-enquête officielle révélera vingt-sept hématomes sur le corps d’Ali Ziri… Pugnace, Luc Decaster retrace dans son documentaire cinq ans de la lutte démente du collectif « Vérité et justice pour Ali Ziri » face à la justice française. de Luc Decaster Documentaire Distribution : Zeugma Films Durée : 1h31 Sortie le 7 octobre

Une jeunesse allemande

Crimson Peak PAR J. R.

PAR ADRIEN DÉNOUETTE

« Est-il est encore possible de faire des images en Allemagne ? » C’est avec cette question, lancée par Jean-Luc Godard, qu’Une jeunesse allemande entame son histoire de damnés. En une quinzaine de courts métrages éclairants, Jean-Gabriel Périot est devenu l’auteur d’une petite archéologie de la répression en archives. Son premier long métrage se penche sur le cas de la Bande à Baader et remonte le fil d’un renversement politique manqué durant les années 1970 ; dressant au passage le procès mérité d’un ordre moral que les médias d’alors couronnèrent sans équivoque. Des premières interviews télévisées d’Ulrike Meinhof – rédactrice en chef de la revue

Konkret et activiste politique – à la radicalisation terroriste, en passant par l’impuissance cruciale des cinétracts, Une jeunesse allemande narre l’infanticide d’une génération pour qui vivre dans l’héritage des pères – anciennes jeunesses hitlériennes, aveugles de leur propre passé – représentait un compromis impossible. À ce titre, Jean-Gabriel Périot ne cache pas son amertume et rend hommage à celles et ceux qui emportèrent dans une violence désespérée l’idéal d’une Allema­ gne du peuple – plutôt que d’une Allemagne du pouvoir.

Une jeu ne i ngé nue ( M ia Wasikowska) tombe sous le charme d’un ténébreux entrepreneur. Elle s’installe avec lui et sa machiavélique sœur (Jessica Chastain, brune pour l’occasion) dans leur manoir délabré. Guillermo del Toro hésite entre l’épouvante teintée de mélancolie façon roman gothique et la naïveté du conte. Reste une réalisation soignée et inventive, notamment dans son exploration de la figure balisée de la maison hantée.

de Jean-Gabriel Périot Documentaire Distribution : UFO Durée : 1h33 Sortie le 14 octobre

de Guillermo del Toro avec Mia Wasikowska, Tom Hiddleston… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h59 Sortie le 14 octobre

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L’Homme irrationnel De son terne Magic in the Moonlight (2014), Woody Allen conserve l’impeccable Emma Stone et la télescope dans un nouveau jeu de dupes, signant l’un de ses meilleurs films depuis Match Point (2005). Le magicien a beau donner la sensation de ne plus y croire, la magie continue d’opérer. PAR LOUIS BLANCHOT

Qu’est-ce qui peut pousser un homme à l’assassinat ? Qu’est-ce qui peut pousser une fille à s’aveugler sur un monstre ? On sait combien le mâle allenien est devenu ce personnage qui ne peut exister qu’après avoir signé un contrat avec le meurtre ou la culpabilité. Au milieu de ce carrousel dostoïevskien, la jeune fille est cet être de désir et de questionnement venant arbitrer le scénario libertaire que l’homme avait décidé de mener dans son coin. Dans L’Homme irrationnel, Joaquin Phoenix campe un écrivain et professeur de philosophie déprimé qui atterrit dans une petite université où il tentera de retrouver l’inspiration. Il y fera surtout la connaissance d’une jeune étudiante (habitée par les grands yeux clairs d’Emma Stone), laquelle se piquera d’un vif intérêt pour ce quinqua aigri mais séduisant. On connaît l’horizon de ces rencontres dépareillées – une fausse ingénue, un vieux cynique : qui fera la leçon à l’autre ? Mais ce train romanesque lancé à pleine vitesse (tout se fait de plus en plus vite chez Allen), un grain de sable viendra inévitablement le faire dérailler. Car le réalisateur new-yorkais ne mettra pas longtemps avant d’ajouter à cette équation amoureuse usée jusqu’à la corde une variable prompte à relancer le face-àface, en la personne d’un sombre inconnu dont le

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personnage de Phoenix planifiera le meurtre. Il y a, chez Woody Allen, un art de la narration absolument inégalé consistant à faire avancer ses canevas romantiques sur des rails de thriller sophistiqué et déviant. De quoi manœuvrer ses récits dans une zone morale à la fois trouble et feutrée, où le champagne des dialogues, le swing du jazz et la lumière printanière enrobent d’un habillage séduisant un récit – dans le fond – cafardeux. On reproche souvent aux derniers films du cinéaste new-yorkais une dévitalisation apparente (sensible ici dans une mise en place et une résolution délibérément abruptes), pouvant laisser croire que le cinéaste se contente de tourner en pilote automatique. Or, en libérant ses films du bruit mondain habituel, en ne se laissant jamais aller à quelques arabesques hitchcockiennes, la mise en scène atteint une sorte de pragmatisme transparent. Résultat : la mécanique allenienne offre à la visibilité du spectateur tous ses engrenages. Paradoxe : le secret de son fonctionnement reste plus que jamais entier. Irrationnel, on vous dit.  de Woody Allen avec Joaquin Phoenix, Emma Stone… Distribution : Mars Durée : 1h36 Sortie 14 octobre

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Par accident PAR S. M.

Amra (Hafsia Herzi) renverse accidentellement un homme en voiture. Répondant à l’appel à témoin lancé par la police, une femme (Émilie Dequenne) l’innocente avec un faux témoignage puis se fait de plus en plus envahissante… En s’inscrivant dans un cadre social (Amra et son mari, algériens, espèrent obtenir leurs papiers), Camille Fontaine signe un premier long métrage maîtrisé, thriller traversé par une tension émotive palpable. de Camille Fontaine avec Hafsia Herzi, Émilie Dequenne… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h25 Sortie le 14 octobre

Tête baissée

C’est quoi ce travail ?

PAR T. Z.

PAR TIMÉ ZOPPÉ

Luc Joulé et Sébastien Jousse (Les Réquisitions de Marseille, Cheminots) continuent d’infiltrer le monde ouvrier. Ils filment l’usine P.S.A. de SaintOuen en donnant la parole aux travailleurs et en laissant les machines s’exprimer. À voir le premier portrait qui ouvre le documentaire, le travail à l’usine de nos jours semble agréable : un homme modèle une pièce métallique presque sensuellement, cherchant la forme parfaite, et affirme trouver son activité gratifiante. Sauf qu’il a probablement l’un des postes les plus avantageux de l’usine, puisqu’il lui est demandé de créer. Pour les autres, si l’on en croit la suite des témoignages, il ne s’agit que de répéter

à l’infini un même mouvement. Certains trouvent même cela pire que le travail sur les lignes de montage de leur précédente usine, car leur tâche est désormais tellement déconnectée de la chaîne qu’ils n’arrivent pas à l’associer au produit fini. À la bande-son, les bruits des machines forment une musique presque agréable. C’est aussi ce que se disait une ouvrière, avant de la trouver assourdissante… Tout le projet ici est d’observer le rapport des engins et de ceux qui les actionnent, en questionnant la possibilité d’une harmonie entre les deux.

Afin d’échapper à une condamnation pour sa participation à un trafic de fausse monnaie, Samy aide la police française à démanteler un réseau de prostitution en Bulgarie… Si le réalisateur est parfois un peu démonstratif, il révèle son talent dans la composition d’un univers sombre et poisseux dans lequel s’opère un déplacement de la virilité – la violence et la domination ne sont pas le propre de Samy, mais des maquerelles avec qui il doit traiter.

de Luc Joulé et Sébastien Jousse Documentaire Distribution : Shellac Durée : 1h40 Sortie le 14 octobre

de Kamen Kalev avec Melvil Poupaud, Seher Nebieva… Distribution : Le Pacte Durée : 1h44 Sortie le 14 octobre

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Phantom Boy Après Une vie de chat (2010), Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli remettent le couvert avec un dessin animé sur la maladie déguisé en polar fantastique. Une petite merveille. PAR ÉRIC VERNAY

En même temps que sa grave maladie, Léo découvre son pouvoir secret. Le petit garçon de 11 ans est en effet capable de s’échapper de son enveloppe corporelle sous la forme d’un double fantomatique lévitant au-dessus des toits de New York. Sa rencontre avec Alex, un policier immobilisé comme lui sur un lit d’hôpital, va lui permettre de se lancer à la poursuite d’un gangster lors d’une enquête digne d’un thriller. Visuellement, on retrouve avec plaisir la patte douce en 2D et le graphisme jazzy d’Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli, talentueux représentants, avec Jacques-Rémi Girerd (La Prophéties des grenouilles), du studio français Folimage. Après avoir réinventé Paris dans Une vie de chat, le tandem croque cette fois la Grosse Pomme avec des craies à la cire sur papier. Sensualité du grain apparent, élégance des perspectives altérées façon cubisme, c’est

> JE SUIS À TOI

Lucas, un jeune Argentin sans ressources, quitte Buenos Aires pour s’installer en Belgique avec Henry, un boulanger, plus âgé et très seul, rencontré sur Internet… Si les ruptures de ton sont déboussolantes, on se laisse embarquer dans cette drôle d’aventure, loufoque et tendre. de David Lambert (1h42) Distribution : Outplay Sortie le 7 octobre

un vrai festin pour l’œil. Sous cette gangue séduisante bat un cœur plus tragique, bien sûr, comme nous le rappelle par exemple ce gros plan glaçant sur une seringue enfoncée dans le bras de Léo, ou bien son crâne rasé avant la chimio. La mort est omniprésente – même l’alter ego spectral du gamin dispose d’une jauge de vie. Mais son combat, plutôt que de piéger le récit dans une étouffante nasse funèbre, sert au contraire de moteur à l’action. Car à l’instar des super-héros qu’il admire dans les comics, Léo tire sa force de son handicap. Rythmé comme une série B et truffé de clins d’œil cinéphiles, ce polar fantastique pétille. d’Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli Animation Distribution : Diaphana Durée : 1h24 Sortie le 14 octobre

> LES NOUVELLES AVENTURES D’ALADIN

Des enfants prennent en otage deux cambrioleurs. Pour s’en tirer, ces derniers leur racontent l’histoire d’Aladin… Kev Adams prête ses traits au célèbre héros dans cette adaptation, comique et riche en rebondissements, du conte des Mille et une nuits. d’Arthur Benzaquen (1h47) Distribution : Pathé Sortie le 14 octobre

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> BELLES FAMILLES

Quand il débarque de Shanghai pour présenter sa fiancée à sa mère, Jérôme apprend que la maison familiale est au cœur d’un affrontement entre différents héritiers… Retour en forme après dix ans d’absence de Jean-Paul Rappeneau avec une séduisante comédie chorale. de Jean-Paul Rappeneau (1h53) Distribution : ARP Sélection Sortie le 14 octobre


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Elser. Un héros ordinaire PAR Q. G.

Le 8 novembre 1939, la tentative d’attentat menée en solitaire par le menuisier Georg Elser contre Hitler à Munich échoue… Très classique mais efficace dans sa narration, qui alterne des scènes de torture pendant les interrogatoires subis par Elser et des flashback sur sa vie avant l’attentat, le film d’Oliver Hirschbiegel se penche sur une figure méconnue de la résistance contre les nazis. de Oliver Hirschbiegel avec Christian Friedel, Katharina Schüttler… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h54 Sortie le 21 octobre

La Glace et le Ciel

Alphabet

PAR S. M.

PAR ÉRIC VERNAY

Élèves déprimés dès le CP, suicides en hausse et baisse de la créativité. Voilà le constat que l’on peut faire en Chine. « Nos enfants gagnent au départ, mais perdent à l’arrivée », résume un professeur pékinois, spécialiste de l’éducation. L’esprit de compétition, sanctionné par de perpétuels classements, fait aujourd’hui autorité dans le système scolaire du pays du « socialisme de marché ». C’est aussi le cas dans la plupart des pays modernisés. Mais s’il prépare sans doute très efficacement la jeunesse à l’âpreté du monde professionnel capitaliste, ce type d’enseignement, axé sur la performance, n’est-il pas à courte vue ? Quel type d’humains est-on en train de façonner ? Alphabet

clôt la « trilogie de l’épuisement » du documentariste Erwin Wagenhofer qui, après We Feed the World (sur le péril alimentaire) et Let’s Make Money (sur la crise financière), se penche sur l’enseignement. L’Autrichien part aux quatre coins de la planète questionner des chercheurs, mais aussi des élèves, des autodidactes ou des chefs d’entreprise quant aux autres options possibles. Car elles existent, semble-t-il. La force du documentaire réside dans son refus d’assener une réponse unique, en multipliant les pistes. Très stimulant.

Le nouveau documentaire de Luc Jacquet (La Marche de l’empereur) retrace le parcours du glaciologue Claude Lorius qui, le premier, a mis en évidence l’impact des activités humaines sur le réchauffement climatique et a prédit ses funestes conséquences. Le film confronte images d’archives et plans du célèbre chercheur au milieu des terres encore vierges mais fragiles de l’Antarctique.

d’Erwin Wagenhofer Documentaire Distribution : Zootrope Films Durée : 1h48 Sortie le 21 octobre

de Luc Jacquet Documentaire Distribution : Pathé Durée : 1h29 Sortie le 21 octobre

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Chronic Dans le nouveau long métrage du Mexicain Michel Franco (Después de Lucía), couronné du Prix du scénario au dernier Festival de Cannes, Tim Roth incarne un aide-soignant qui s’occupe de patients en phase terminale. Le film aborde son sujet avec puissance et sobriété. PAR QUENTIN GROSSET

Dans son quatrième long métrage, Michel Franco évite les pièges dans lesquels tombent parfois les cinéastes qui regardent la mort en face – tendance au spectaculaire, fascination morbide, effusions lacrymales… Dans un style dépouillé, Chronic déborde d’humanité et d’empathie, avant tout grâce à l’interprétation tout en retenue de Tim Roth qui trouve là l’un de ses plus grands rôles. L’acteur campe David, un aide-soignant qui assiste des personnes en fin de vie, leur apportant un soutien moral et une qualité d’écoute que, souvent, leurs familles ne peuvent pas leur donner. Mais ce personnage taiseux porte une meurtrissure : il n’a pas vu sa fille depuis des années et tente de renouer avec elle. Suivant le fil chronologique de ses journées, le film répète les mêmes gestes, les mêmes situations – David aide pour la

> PARANORMAL ACTIVITY 5. GHOST DIMENSION

Dans sa nouvelle maison, une famille découvre d’étranges cassettes vidéo ainsi qu’une caméra capable de capter des apparitions surnaturelles… Found footage et spectres furtifs sont toujours les ingrédients de cette suite de la franchise horrifique. de Gregory Plotkin (1h35) Distribution : Paramount Pictures Sortie le 21 octobre

toilette, le repas, le coucher… Le film n’est pas répétitif pour autant, Michel Franco laissant le temps à chaque personnage de se déployer, de partager sa douleur avec le spectateur. Le cinéaste sait surtout filmer le corps à l’agonie sans pathos et avec une distance respectueuse. Seule la fin nous paraît ratée : avec un artifice scénaristique saugrenu, Franco fait dévier soudainement vers l’ironie son long métrage empreint jusqu’alors d’une très belle solennité. Néanmoins, Chronic reste, avec Amour de Michael Haneke (2012), l’un des films les plus profonds sur la mort qu’il nous a été donnés de voir récemment. de Michel Franco avec Tim Roth, Sarah Sutherland… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h33 Sortie le 21 octobre

> PAN

Joe Wright propose un prequel au roman de J. M. Barrie en imaginant la manière dont le jeune orphelin devient le héros connu de tous à travers un tas d’aventures dans le Pays imaginaire, notamment la rencontre avec le capitaine Crochet, qui a encore ses deux mains. de Joe Wright (1h51) Distribution : Warner Bros. Sortie le 21 octobre

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> PATRIES

Le jeune Sébastien (Augustin Raguenet) vient d’emménager en banlieue parisienne. Alors qu’il devient ami avec Pierre, il subit le rejet de la bande de celui-ci… Si le film cumule les clichés sur les jeunes de banlieue, il révèle l’acteur solaire et spontané Jackee Toto. de Cheyenne Carron (1h56) Distribution : Carron Sortie le 21 octobre


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Adama PAR Q. G.

Un jour de 1916, en Afrique de l’Ouest, le petit Adama, 12 ans, fuit son village reculé pour retrouver son frère parti en France pour combattre… Visuellement éblouissant (le film est le résultat d’un mélange de différentes techniques d’animation : dessin, peinture, encre magnétique et 3D), ce récit d’émancipation touchant, premier long métrage de Simon Rouby, célèbre la mémoire des troupes coloniales indigènes engagées dans la Grande Guerre. de Simon Rouby Animation Distribution : Océan Films Durée : 1h22 Sortie le 21 octobre

Le Chant d’une île

Ertan ou la Destinée PAR Q. G.

PAR ADRIEN DÉNOUETTE

La pêche en haute mer n’en finit plus d’inspirer aux cinéastes des films parcourus de références mythologiques. Deux ans après Leviathan de Lucien CastaingTaylor et Véréna Paravel, qui infiltrait les entrailles d’un chalutier prométhéen, Le Chant d’une île caresse un projet voisin. À ceci près qu’en plaçant un petit village de pêcheurs au centre de leur univers, Joaquim Pinto et Nuno Leonel opposent aux images infernales de la pêche industrielle la douceur d’un petit Eden. Tourné à cheval sur deux siècles, au large de l’archipel des Açores, Le Chant d’une île est d’abord l’histoire d’une remontée dans le temps. Le tempo éternel des vagues, au rythme desquelles s’affairent les habitants du bout du monde, le

temps des mythes, alors que l’on dit d’un orphelin trouvé sur une île déserte qu’il est le fils de Zeus et d’un dauphin, enfin le temps des pêcheurs, ce fantasme d’un univers primitif dont les résurgences, de Robert Flaherty au Visconti de La terre tremble, traversent l’histoire du documentaire comme un fil d’Ariane. D’un charme anachronique, bien qu’en prise directe avec les difficultés du peuple – et tout particulièrement celles de l’équipage de Pedro, jeune pêcheur indépendant –, Le Chant d’une île ne cultive pas son paradoxe pour autant : il s’y dépose, comme par accident.

Ertan, qui vient de passer dix années en prison, doit réapprendre à vivre, alors que certains de ses anciens amis l’incitent à se remettre au deal de drogue. Il croise Mikail, un ado perdu qui lui fait penser à lui au même âge, et à qui il veut éviter de faire les mêmes erreurs… L’Autrichien Umut Dağ apporte un regard sensible sur une jeunesse gangrenée par la drogue.

de Joaquim Pinto et Nuno Leonel Documentaire Distribution : Norte Durée : 1h43 Sortie le 21 octobre

d’Umut Da avec Murathan Muslu, Alechan Tagaev… Distribution : KMBO Durée : 1h45 Sortie le 21 octobre

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les fi lms

Mon roi Maïwenn ne fait pas dans la demi-mesure. Ainsi, quand elle décide, quatre ans après Polisse, de filmer une histoire d’amour, c’est une passion dévorante qu’elle met en scène, sans ménagement, jusqu’au vertige. On ressort de Mon roi fatigué mais exalté. PAR RAPHAËLLE SIMON

Chez Maïwenn, on rit fort, on crie fort, on s’aime fort, on chiale fort, on jouit fort. Depuis ses débuts en 2006, la réalisatrice n’a pas peur de montrer ses tripes et celles de ses personnages, dans des films souvent très intimes (les autofictions Pardonnezmoi et Le Bal des actrices) ou assez éprouvants (Polisse, qui suivait le quotidien d’une brigade de protection des mineurs), quitte à en écœurer certains. Mais aussi dérangeante soit-elle, cette impudeur est la condition d’une mise à nu qui permet de s’approcher au plus près de la vérité des émotions et des sentiments. Reste alors le problème du dosage, que la réalisatrice, aussi excessive que ses personnages, a du mal à mesurer, faisant parfois chavirer l’exaltation des sentiments dans l’hystérie. Récit d’une passion dévorante et dévastatrice, Mon roi en est l’illustration. Après une grave chute de ski, Tony (Emmanuelle Bercot, qui a reçu le Prix d’interprétation féminine à Cannes pour son jeu à fleur de peau) se retrouve dans un centre de rééducation. L’occasion, pour elle, de tenter de panser les blessures, plus profondes encore, provoquées par une histoire d’amour ravageuse qui nous est contée par flash-back. Il y a dix ans, elle a rencontré Giorgio,

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un homme séduisant, riche, drôle, généreux. Difficile de ne pas se laisser envoûter par ses numéros de charme – menés par un Vincent Cassel en très grande forme – qui donnent lieu à quelques scènes d’anthologie. Sur les pas de son don Juan, Maïwenn sort le grand jeu et filme cette idylle en grande pompe, avec une vitalité folle et sans mièvrerie, rappelant malicieusement au passage que l’amour, c’est avant tout de la comédie. Ainsi, le prince charmant se révèle être un pervers narcissique, et la passion dévorante devient toxique. Si le charme opère dans ce récit exalté, l’esbroufe et les crises de larmes en viennent à nous épuiser autant que le couple maudit. Tout comme le schéma de séduction de ce grand manipulateur, le film finit par tourner en boucle, de disputes en réconciliations, d’étreintes fiévreuses en crises de nerfs. Mais en avançant fébrilement sur le chemin de la guérison et du pardon, Tony nous libère avec elle de ce cercle vicieux, laissant derrière elle le souvenir d’un puissant film d’amour. de Maïwenn avec Emmanuelle Bercot, Vincent Cassel… Distribution : StudioCanal Durée : 2h04 Sortie le 21 octobre

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Le Caravage PAR Q. G.

Après Le Paradis, Alain Cavalier promène sa petite caméra numérique dans les répétitions du théâtre équestre Zingaro. Discret, il y filme le rapport tendre qu’entretient Bartabas avec son cheval, qui porte le nom du célèbre peintre. Se rapprochant peu à peu, Cavalier parvient à capter la profondeur du regard de l’animal et à cerner le caractère de son dresseur. Un seul regret : que l’on n’entende pas plus la voix malicieuse, que l’on aime tant, du réalisateur. d’Alain Cavalier Documentaire Distribution : Pathé Durée : 1h10 Sortie le 28 octobre

Paco de Lucía PAR S. M.

Seul sur Mars PAR LOUIS BLANCHOT

Ancien maestro de la science-­ fiction (Alien, Blade Runner), Ridley Scott a par la suite toujours alterné le bon et le moins bon, au fil d’une carrière inégale faite de polars boiteux et d’épopées à gros sabots. Le réalisateur britannique surprend ici son monde, un an après le catastrophique Exodus. Marchant sur les pas des récents succès du genre (Gravity, Interstellar), Seul sur Mars se démarque de la concurrence en adoptant un ton délibérément dédramatisé. Adapté d’un best-seller d’Andy Weir, le film met aux prises un astronaute (Matt Damon) avec les affres de la solitude et de la survie en terrain hostile. Cloué sur la planète rouge après une tempête

de sable, abandonné par ses collègues, ce néo-Robinson se retrouve obligé de développer des trésors de malice et d’intelligence pour assurer sa survie, dans l’espoir d’un hypothétique sauvetage. Or, la roue de la fortune aura beau ne pas toujours tourner en sa faveur, ce premier Martien ne se départira jamais d’un flegme irrésistible, lequel embarque cet énième survival de l’espace dans une drôle d’interzone, quelque part entre le nanar fifties et le blockbuster scientifique, entre un épisode de Man vs. Wild et un numéro de C’est pas sorcier.

Ce documentaire sur le génie andalou, disparu en 2014, a été réalisé de son vivant par son fils. De son enfance à Algésiras, où il fut initié à la guitare, à son succès planétaire, grâce à son flamenco enrichi de sonorités jazz et bossa nova, le film nous plonge dans l’intimité d’un musicien discret et charismatique. Il offre aussi une réflexion plus large sur la création, ainsi qu’un témoignage précieux de l’effervescence artistique dans l’Espagne postfranquiste.

de Ridley Scott avec Matt Damon, Jessica Chastain… Distribution : 20th Century Fox Durée : 2h21 Sortie le 21 octobre

de Curro Sánchez Varela Documentaire Distribution : Bodega Films Durée : 1h30 Sortie le 28 octobre

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The Lobster Après les radicaux Canine et Alps, le Grec Yórgos Lánthimos revient avec un film à la distribution cosmopolite – Colin Farrell, Léa Seydoux, Ben Whishaw, Ariane Labed… Dans un registre absurde, il trouve le juste équilibre entre rire et malaise pour livrer sa vision pessimiste du couple. PAR QUENTIN GROSSET

David (Colin Farrell) doit choisir l’animal en lequel il se réincarnera si, d’ici à quarante-cinq jours, il n’a pas trouvé l’âme sœur. Ce sera un homard. C’est le sort promis à tout célibataire dans le monde inquiétant et dystopique de The Lobster. En rejoignant un groupe de rebelles qui refusent ce destin, les Solitaires, David va se mettre en danger, mais il va aussi trouver l’amour, ce qui est totalement interdit par ces résistants à la conjugalité… L’injonction à trouver quelqu’un, la pression subie par les personnes qui ne sont pas en couple, les rapports toxiques entre concubins sont des thèmes abordés par cette sombre satire qui va puiser dans la mythologie (l’idée d’une métamorphose en animal comme punition) pour dresser un portrait cruel de la société contemporaine. Société dans laquelle chaque individu est mû

> HÉRITAGES

Lorsqu’éclate le conflit israélo-libanais de 2006, le cinéaste Philippe Aractingi trouve refuge en France avec sa famille. Ce documentaire intimiste met en perspective des images d’archive et le témoignage des enfants du réalisateur qui racontent la façon dont ils ont vécu leur exil. de Philippe Aractingi (1h28) Distribution : Zelig Films Sortie le 28 octobre

par son propre intérêt – une question de survie. En deux parties très contrastées (un hôtel dont la direction contrôle les relations amoureuses de ses occupants pour la première, une échappée sauvage dans la seconde), Lánthimos impose un rythme languissant et instille une violence sourde sous des atours de comédie angoissée. Avec une mise en scène clinique et un humour grinçant, le cinéaste pousse les situations jusqu’à l’absurde. Colin Farrell, en moustachu coincé, ou Léa Seydoux, en amazone solitaire et antiromantique, apportent une étrangeté supplémentaire à un film déjà bien tordu. de Yórgos Lánthimos avec Colin Farrell, Léa Seydoux… Distribution : Haut et Court Durée : 1h58 Sortie le 28 octobre

> Le Dernier chasseur de sorcières

Vin Diesel ressort ses muscles pour incarner Kaulder, un chasseur de sorcières immortel. Il devra faire équipe avec sa pire ennemie (Rose Leslie), au caractère bien trempé, et avec un prêtre (Elijah Wood) pour endiguer l’invasion de sorcières qui menace New York. de Breck Eisner Distribution : SND Sortie le 28 octobre

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> REGRESSION

Un homme (David Dencik) avoue avoir abusé sexuellement de sa fille (Emma Watson), mais jure n’en garder aucun souvenir. L’inspecteur Kenner (Ethan Hawke), aidé d’un psychologue (David Thewlis), découvre que cette amnésie cache un complot d’envergure nationale. d’Alejandro Amenábar (1h47) Distribution : Metropolitan Filmexport Sortie le 28 octobre


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Le Bouton de nacre PAR TIMÉ ZOPPÉ

Dans Nostalgie de la lumière, en 2010, le Chilien Patricio Guzmán se penchait sur les femmes qui fouillent le sol du désert d’Atacama en quête des restes des victimes de la dictature de Pinochet. Le Bouton de nacre est l’occasion pour lui d’explorer à nouveau la question de la disparition des corps, en s’intéressant cette fois à la mer. Pour en arriver à ce lourd sujet, le documentariste dessine de nombreuses circonvolutions, aussi gracieuses qu’instructives. Il prend pour point de départ deux boutons de nacre retrouvés au fond de l’océan Pacifique, au large du Chili. Ces objets a priori insignifiants permettent de relier des tragédies de différentes époques : l’extermination progressive par les colons des peuples nomades de Patagonie à partir du xvie siècle

et l’assassinat de centaines d’opposants à Pinochet dans les années 1970, dont une partie des corps a été jetée à la mer. Par sa voix off – calme même quand elle revient sur ces horreurs –, ou en ralentissant de sublimes images de vagues déchaînées, Guzmán tente de calmer les angoisses pour

mieux les appréhender. Jamais lassé de triturer les terres et l’histoire de son pays, il nous offre un nouveau documentaire aux strates riches de mémoire. de Patricio Guzmán Documentaire Distribution : Pyramide Durée : 1h22 Sortie le 28 octobre

Lolo PAR JULIETTE REITZER

Osci l lant ent re l’humour potache et le psychodrame, la nouvelle comédie romantique de Julie Delpy (Two Days in Paris, Two Days in New York) a pour premier mérite de s’intéresser à un personnage peu représenté au cinéma – la femme de 45 ans. En thalasso à Biarritz

avec son amie Ariane (Karin Viard, toujours géniale dans le registre comique), la très parisienne Violette (Julie Delpy) rencontre Jean-René, modeste informaticien (Dany Boon, toujours crédible en beauf de province candide et mal habillé). Leur histoire d’amour résistera-t-elle à la

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relation fusionnelle que Violette entretient avec son fils adolescent, Lolo (Vincent Lacoste) ? Avant d’atteindre son véritable sujet (la tyrannie imposée aux parents par leurs enfants rois, devenus ados), le scénario prend le temps d’aborder de nombreux thèmes, quitte à égarer un peu le spectateur – la rencontre improbable de la snob et du plouc, l’amitié entre filles, le plaisir féminin, la peur de vieillir… Avec une liberté de ton tantôt jouissive, tantôt déroutante – « Il a une grosse bite », répète un peu trop souvent Violette à Ariane au sujet de son amant –, ce récit d’émancipation pétaradant confirme en tout cas le sens aigu du détail et de l’autodérision de Julie Delpy. de Julie Delpy avec Julie Delpy, Dany Boon,… Distribution : Mars Durée : 1h39 Sortie le 28 octobre


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Danger Dave (2014)

Philippe Petit La sortie en DVD de Danger Dave (2014), son portrait sensible d’un skateur en fin de carrière, accompagné de deux autres de ses films, Insouciants (2004) et Buffer Zone (2014), tout aussi déglingués, permet de découvrir un cinéaste qui sait sublimer la débâcle et valoriser les paumés. PAR QUENTIN GROSSET

Lors de sa sortie en salles l’an dernier, son documentaire Danger Dave, portrait furieux d’un vieux routard du skateboard professionnel, nous avait séduits par son caractère brut, en parfaite adéquation avec son sujet. Mais ce qui étonnait surtout, c’était la témérité du projet : Philippe Petit avait suivi David Martelleur aux quatre coins du monde pendant cinq ans. Antihéros total, Martelleur essayait tant bien que mal de rester dans le coup, malgré l’émergence d’une nouvelle génération de skateurs… Surtout, Philippe Petit ne rendait jamais son héros pathétique, et la relation du filmeur avec le filmé n’était jamais condescendante. Au-delà de ce drôle de portrait, le film était bouleversant quand il abordait avec un certain fatalisme la question du vieillissement au sein d’une contre-culture qui exalte la jeunesse et réclame toujours plus de performance. Un même état d’esprit sauvage règne dans Insouciants, le premier long métrage du cinéaste, une fiction dans laquelle une bande de potes vole un tableau très coté. Tourné dans l’appartement du réalisateur, avec ses propres

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amis, le film les montre surtout en train de flemmarder entourés de cendriers pleins et de cadavres de bouteilles. L’intrigue est un prétexte pour délivrer un manifeste de la glande, grâce à un récit assez punk car presque dénué d’enjeu dramatique. Dans Buffer Zone, Petit choisit la voie de la science-fiction pour se mettre lui-même en scène. Il incarne un voyageur intersidéral largué sur une planète Terre désertée. Comme les personnages de ses précédents films, la dimension comique est ici produite par le contraste entre un corps et l’espace dans lequel il évolue : les paysages sont figés, mais lui est toujours mouvant, car il se téléporte au hasard dans des zones en friche (les lieux de tournage sont multiples : Chypre, Italie, États-Unis…), tentant de se repérer sans jamais savoir où il va. Tout au long de ces trois films, c’est cet état d’errance, à la fois charmeur et terrifiant, que Petit parvient avec brio à appréhender. Coffret Philippe Petit (Shellac) Disponible

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dvd

LES SORTIES DVD

> LA SAPIENZA

> COFFRET LUMIÈRE !

> INTÉGRALE JANE CAMPION

Le cinéma d’Eugène Green (La Religieuse portugaise) est affaire de langage : ses personnages ont la diction théâtrale et la parole libératrice. La Sapienza joue toujours sur les mots, mais aussi sur la lumière, mettant en scène un architecte qui, parce qu’il ne voit plus clair dans sa vie, part en Italie avec sa femme pour se ressourcer au pied de l’œuvre de son maître, Francesco Borromini. Le couple y fait la rencontre d’un jeune Italien et de sa sœur souffrante… Passé et présent, érudition et intuition, ombre et lumière : les opposés s’attirent et s’entrechoquent délicieusement dans ce film baroque sur la transmission. R. S.

La collection institut Lumière, dirigée par Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier, édite ce coffret en hommage aux pionniers du cinéma. Un premier DVD présente une centaine de « vues » prises par les frères Lumière et leurs opérateurs à travers le monde entre 1895 et 1905. Analysés par les commentaires denses de Frémaux, ces plans font bien plus que documenter une époque : ils montrent que la mise en scène et le trucage sont nés en même temps que le cinéma. Le disque de suppléments permet de revenir sur l’influence de ces films, avec notamment un documentaire de 1968 d’Éric Rohmer qui interviewe Jean Renoir et Henri Langlois. T. Z.

Toute l’œuvre de la cinéaste néo-zélandaise est réunie dans ce coffret. Soit sept courts métrages (dont l’inédit Tissues, son tout premier film, qui évoque la pédophilie, et le superbe et radical A Girl’s Own Story, portrait intime, par le prisme de sa sexualité, d’une jeune fille des années 1960), et huit longs métrages (dont Two Friends, inédit en DVD, l’incontournable La Leçon de piano, Palme d’or en 1993, et Un ange à ma table, biopic exalté, tout en clair-obscur, de l’écrivaine Janet Frame). Sans oublier la récente série Top of the Lake et, en bonus, des making of et des entretiens avec la réalisatrice. Indispensable. J. R.

d’Eugène Green (Blaq Out)

> TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE d’Arnaud Desplechin (Blaq Out)

Dans son dernier film, Arnaud Desplechin réussit une synthèse de deux de ses œuvres antérieures, La Sentinelle (1992) et Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) (1996). De la première, il garde le genre du film d’espionnage ; de la seconde, les personnages, Paul et Esther, ainsi que leurs atermoiements. Alors qu’il revient du Tadjikistan, Paul est arrêté à la frontière française. On lui affirme qu’un autre Paul Dédalus existe. Pour résoudre cette énigme, il se plonge dans ses souvenirs de jeunesse… Le cinéaste revient avec romantisme sur les années d’adolescence, radieuses et douloureuses, de ses héros. Q. G.

(France Télévisions)

(Pathé)

> LES RÈGLES DU JEU

> LA VEINE D’OR

Quatre chômeurs sans diplôme d’une vingtaine d’années font appel à des coachs pour réussir leur entretien d’embauche. Langage, comportement, allure : tous les codes de bonne conduite pour décrocher un emploi sont détaillés. Montrant les postulants alors qu’ils se préparent lors de simulations d’entretien, le documentaire prend des allures de pièce de théâtre, démontrant ainsi l’artificialité et l’absurdité des règles du monde du travail. Après Les Arrivants (sur les demandeurs d’asiles), Bories et Chagnard complètent avec tendresse leur galerie de portraits d’individus laissés à la marge. S. M.

Pour la première fois éditée en DVD, cette rareté du cinéma classique italien, tournée en 1955 et jamais sortie sur les écrans français, raconte la difficile acceptation par un adolescent, Corrado, de la nouvelle relation qu’entretient sa mère, veuve, avec un professeur en archéologie. Le tout jeune Mario Girotti, 16 ans, qui deviendra plus tard le roi du « western fayot » sous le pseudonyme de Terence Hill, interprète avec fougue ce Corrado rendu possessif et capricieux par un œdipe entretenu par sa mère. Mauro Bolognini signe un mélodrame à l’intrigue épurée, dans une mise en scène qui souligne l’exaltation des sentiments. T. Z.

de Claudine Bories et Patrice Chagnard (Blaq Out)

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de Mauro Bolognini (M6 Vidéo)


cultures MUSIQUE

KIDS

LIVRES / BD

SÉRIES

SPECTACLES ARTS

Vald RAP

Gueule d’ange, flow de démon. En quelques singles provocants comme « Shoote un ministre », « Autiste » ou « Bonjour », Vald a imposé son rap violent de blanc-bec sous gaz hilarant. À 23 ans, le MC d’Aulnay-sous-Bois sort son deuxième EP, l’emballant NQNT2. PAR ÉRIC VERNAY

N êt us es

ici

vo

© libitum

i queue ni tête. C’est sous cette bannière (« NQNT ») que Vald part à la conquête du rap hexagonal. Le morceau « Bonjour » raconte ainsi comment un simple couac entre mecs de cité peut dégénérer en un déchaînement de violence essentiellement dirigée contre leurs semblables (les pauvres) et leurs proches (leurs mamans, et même leurs grands-mères, qu’ils n’hésitent pas à aller déterrer au cimetière). Pourquoi tant de haine ? L’un d’entre eux a omis de dire « bonjour » et, pire encore, il n’a pas regardé son interlocuteur dans les yeux… « C’est parti de pas grandchose / Ça rend nos parents chauves », rappe le MC, sur un ton outrageusement inquiet, avant de « Fermer la parenthèse / En charentaise ». L’humour de Vald est

XVIIIe XVIIe

XIXe VIIIe

IXe

Xe IIe

Ier

XVIe VII

IIIe

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XIe

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e

VIe XVe

XIVe

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XIIe

SPECTACLE Models Never Talk du 7 au 15 octobre au Centre national de la danse p. 100

XIIIe

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EXPOSITION « Élisabeth Louise Vigée Le Brun » jusqu’au 11 janvier au Grand Palais p. 102


LIVRES

KIDS

Mune. Le gardien de la lune : la chronique d’Élise, 7 ans p. 94

SPECTACLES ARTS

Les miscellanées culinaires du romancier James Salter p. 96

JEUX VIDÉO

FOOD

provocant, mi-ironique, mi-absurde. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’on entend des samples de la voix de Michel Houellebecq et des dialogues du film Buffet froid de Bertrand Blier dans NQNT2. Sur Internet, certains fans s’échinent à élaborer des explications rationnelles à ces lyrics nonsensiques, au premier comme au douzième degré. Du coup, plus personne ne sait vraiment démêler ce qui est sérieux et ce qui ne l’est pas là-dedans, y compris le principal intéressé. « Honnêtement, j’ignore à quel degré il faut prendre mes chansons, donc il y a de quoi se prendre la tête ! » botte-t-il en touche avec un sourire en coin, une énième clope au bec. Plus sérieusement, sa vision des choses, acide, transparaît dans son rap, mais de manière fragmentaire, fantasque, et finalement très pudique. Le rap donneur de leçon, le tout cuit, très peu pour lui. « Je n’aime pas qu’on réfléchisse pour moi. Par exemple, quand Philippe Katerine fait des morceaux, il ne dit presque rien, mais je me prends la tête dessus. Quel enfoiré ! (Rires) Pareil avec Christine and the Queens. Ses phrases n’ont parfois aucun rapport entre elles. Ça me pousse à réfléchir, à tenter de comprendre ce qu’elle a voulu dire. C’est interactif. Et donc plus excitant. Dans le rap, on n’est pas beaucoup à faire ça. » TERRIBLEMENT ACCROCHEUR

Valentin a grandi à Aulnay-sous-Bois, dans le 9-3. Là-bas, tout le monde l’appelle Vald. « C’est plus facile à prononcer. » De son enfance, il a gardé ses vieux potes, mais quasiment aucun souvenir. « Je m’ennuyais. Partout, pas seulement à l’école. Et puis alors, en banlieue, c’est le paroxysme. Pour m’occuper, je jouais à la console. Je tuais le temps. Un ennui

JEUX VIDÉO

Mad Max, road-trip débordant de fureur mécanique p. 104

MODE

présente

« Honnêtement, j’ignore à quel degré il faut prendre mes chansons, donc il y a de quoi se prendre la tête ! » fracassant. » Il veut d’abord être prof de maths, mais les études le font bâiller, et les perspectives salariales ne l’enthousiasment pas vraiment. Il tente médecine, puis une école d’ingénieur du son, dans laquelle il rencontre une partie de son entourage actuel. « Du coup, en studio, je maîtrise un peu plus que la moyenne des rappeurs, techniquement. Mais je ne produis pas moi-même mes instrumentaux, parce que je n’ai pas d’oreille. C’est un calvaire pour chanter, je dois mettre de l’Auto-Tune à toute berzingue ! » C’est le cas pour sa chanson « Selfie », confectionnée grâce au célèbre logiciel de correction vocale. Et le résultat est terriblement accrocheur, avec sa mélodie rose bonbon enrobant des paroles « carré blanc ». Parmi les trois clips du morceau, il y a d’ailleurs une version X avec des acteurs porno. On s’y amuse, sans verser dans la franche parodie. « C’est avant tout une ballade hardcore. Je ne suis pas dans la guignolerie. Je ne veux pas non plus blesser les gens. Je veux les choquer avec de la qualité. » CQFD. NQNT2 de Vald (Barclay/Universal) Disponible

le PARCOURS PARISIEN du mois

FOOD Antoine 10, avenue de New York Paris XVIe p. 106

MODE Salon du Vintage les 17 et 18 octobre au Carreau du Temple p. 107

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EXPOSITION « Osiris. Mystères engloutis d’Égypte » jusqu’au 31 janvier à l’Institut du monde arabe p. 110


© steve gullick

cultures MUSIQUE

Irmin Schmidt musique de film

L’œuvre solo d’Irmin Schmidt est à nouveau disponible, grâce au coffret Electro-Violet, dans lequel figure notamment sa Film Musik Anthology. L’occasion de rencontrer ce grand monsieur, déjà révéré en tant que claviériste du groupe de krautrock Can. PAR MICHAËL PATIN

Installé dans le sud de la France depuis des années, le septuagénaire Irmin Schmidt s’exprime avec malice dans un français irréprochable. Pour une fois, ce n’est pas juste au groupe Can que l’on s’intéresse, mais à sa carrière de musicien à l’image, entamée quand il était encore élève de Karlheinz Stockhausen et qu’il signait les bandes-son des courts métrages « culturels » diffusés dans les salles allemandes. Enfin réédités, les six volumes de sa Film Musik Anthology regroupent la crème de ses travaux pour le cinéma et la télévision, dynamitant les frontières entre classique et jazz, pop et avant-garde. « Je ne me plie jamais à un programme. Chaque pièce est conçue pour exister par elle-même. Ce qui m’intéresse le plus dans la musique de film, c’est le travail sur l’architecture et la dramaturgie. Il faut créer une structure qui participe à la narration sans la redoubler, produire du sens en se plaçant sous un angle différent. » Revenant sur les étapes de sa vie, il ne se montre pas avare en anecdotes : sur sa mère, malheureuse d’avoir été jugée trop petite pour l’opéra, qui lui chantait Mozart et Puccini ; sur son premier long métrage, enregistré de nuit à l’opéra de Cologne

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avec son futur partenaire Jaki Liebezeit, dont les bandes ont été perdues ; sur la collaboration étroite de Can avec le réalisateur Jerzy Skolimowski pour son film Deep End ; sur les 350 000 exemplaires du single « Spoon », devenu le générique de la série Das Messer ; ou sur un épisode culte de Tatort signé Samuel Fuller. Il évoque aussi son amitié de quarante ans avec le cinéaste Wim Wenders, imprimée dans les musiques de nombre de ses films, d’Alice dans les villes (1977) à Rendez-vous à Palerme (2008), et son regret de ne pas avoir composé celle des Ailes du désir (1987) ; mais aussi l’importance du film Le Couteau dans la tête (Reinhard Hauff, 1979), qui lui permit de s’affranchir de Can, enregistrant seul une multitude d’instruments, du synthé au baglama grec. Pour monsieur Schmidt, la musique est toujours liée aux événements de sa vie et aux images associées. Ce sont les souvenirs d’un génie musical du xxe siècle que nous avons la chance de pouvoir (re)visionner. Electro-Violet d’Irmin Schmidt (Mute/[PIAS]) Sortie le 20 novembre

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sélection PAR Wilfried Paris

HOLDING HANDS WITH JAMIE

de Girl Band

(Rough Trade/Beggars)

Après quelques singles remarqués (dont le très abrasif « Lawman ») et moult concerts (comme autant de claques brûlantes), le quatuor post-punk irlandais (et masculin, à rebours de son nom) sort un album ambitieux, exigeant, violent, tout en tambours battants, stridences noise et basses saturées. Les logorrhées schizos hurlées au fond du garage réveilleront les fans de Liars, de The Fall, ou du danger en général.

COMPLETE WORKS

de Harmonia

(Grönland Records)

De 1973 à 1976, les Allemands Dieter Moebius et Hans-Joachim Roedelius (Cluster) et Michael Rother (Neu!) ont produit cinq albums (ici réunis) qui, avec Kraftwerk ou Can, ont défini ce que l’on a appelé le krautrock : un rock répétitif mariant l’électronique de Karlheinz Stockhausen et le psychédélisme de Grateful Dead, le romantisme allemand et la musique extra-occidentale, la ritournelle cosmique et l’idéal hippie. Un must.

CAP WALLER

de Bertrand Belin (Cinq 7/Wagram)

Produire, c’est réduire. Au fil des albums (celui-ci est son cinquième), l’écriture de Bertrand Belin s’affine et s’épure, entre ellipses et silhouettes, en quête du mot juste, et de l’intonation, précise, qui en révélera les sens multiples. La production est à l’avenant de cette sonore poésie, toute en pulsations, concentrée en dub suspendu ou krautrock africaniste, ballades et exils, lointains ou intérieurs. Un cap.

B’LIEVE I’M GOIN DOWN…

de Kurt Vile

(Matador/Beggars)

Le chanteur folk-rock de Philadelphie creuse son beau sillon americana, entre Neil Young (ballades solaires et épiques), John Fahey (picking de guitares virtuoses) et rock indé à guitares (il a cofondé The War on Drugs). Mélodies mélancoliques ou lumineuses, chant nonchalant d’éternel adolescent, arrangements variés (banjo, piano, guitares steel ou à resonateur, farfisa), déploient un classicisme laidback joliment maturé.


cultures MUSIQUE

© tonje thilesen

agenda PAR ETAÏNN ZWER

POP

Julia Holter PAR WILFRIED PARIS

Délaissant les pérégrinations intello-arty (ses trois précédents albums s’inspiraient de textes d’Euripide, de Virginia Woolf ou de Colette), Julia Holter produit ici son disque le plus pop et le plus personnel, tant dans sa teneur poétique (flux de pensées, récits de voyages intérieurs) que dans sa dimension sonore (moins de réverbérations et d’échos sur la voix). Entre chant baroque, pop synthétique et jazz étrange, désormais plus Kate Bush que Julee Cruise, l’ancienne étudiante en art de Los Angeles, dont on avait découvert les compositions élégantes, éthérées et élégiaques en 2011 avec le très lo-fi Tragedy, sort de son théâtre lynchien pour voir la lumière, marcher dans les rues et en rapporter des chansons. De factures plus traditionnelles, quoique rapidement décons­truites, déroutantes, celles-ci marient bon goût et plaisirs coupables, en poupées de Frankenstein au syncrétisme aussi mutant que, parfois, freaky : clavecins renaissance, boîtes à rythmes syncopées, cordes en envolées ou en pizzicatos, contrebasses de club de jazz, nappes synthétiques années 1980, chœurs angéliques, bruitages électroniques, harpes réverbérées, solos de saxophones dégoulinants, tout cela emmêlé en synthèses audacieuses sur des ritournelles oniriques. Julia Holter chante les rapports amoureux, de confiance ou de pouvoir d’une voix également protéiforme, changeant de timbre (rauque ou évanescent) et de hauteur (de très haut à très grave). Désormais plus proche de Linda Perhacs (avec qui elle joue) ou de Nite Jewel (avec qui elle joue aussi) que de Laurie Anderson, Holter délivre une musique puissamment synthétique (c’est-à-dire qui opère une synthèse) aussi lyrique que spectrale dans laquelle le présent est toujours hanté par l’histoire. Have You in my Wilderness de Julia Holter (Domino) Disponible En concert le 16 novembre au New Morning

DU 14 AU 16 OCT.

LE 21 OCT.

MAMA FESTIVAL Trois jours, quinze lieux, cent vingt concerts et une programmation joliment métissée pour cette 7e édition : Saul Williams, Acid Arab, K. Flay, Rozi Plain, Tahiti Boy, l’élégant Sage, Isaac Delusion et La Mvuerte (DJ sets), l’acid pop des Las Aves, Grand Pianoramax, Chapelier Fou…

JAMIE xx Tête pensante de The xx, producteur et DJ surdoué, l’Anglais livre son premier opus solo, In Colour (Young Turks), qui croise dubstep, garage et jungle, guitares baléariques et nappes solaires, légèreté et mélancolie au fil de morceaux planants (« Girl », « Sleep Sound »). Euphorie garantie.

dans divers lieux parisiens

LE 16 OCT.

DU 24 OCT. AU 31 JANV.

BEATING DRUM NIGHT Maître d’œuvre de l’attachant label Beating Drum, Piers Faccini a chiné ici et là les pépites folk du xxie siècle : l’envoûtante Suédoise Jenny Lysander, les chansons vagabondes du duo Horsedreamer (qu’il forme avec le poète anglo-trinidadien Roger Robinson), la folk kabyle de Yelli Yelli. Douce nuit…

PARIS MUSIQUE CLUB Rock, noise, electro, pop, musique africaine… Focus sur la scène parisienne avec cette exposition augmentée qui donne carte blanche (projections, écoutes, concerts) à des collectifs ou labels hyper actifs : Antinote, Barbi(e)turix, Born Bad, Clekclekboom, Garage MU, Infiné, In Paradisum, Mawimbi, SNTWN…

au Centquatre

LES 18 ET 19 OCT.

Bob Dylan Après Shadows in the Night – son 36e album studio, un surprenant hommage au grand crooner Frank Sinatra, sorti en février dernier – et une tournée européenne cet été, le poète-héros du folk et son band réveilleront l’esprit des années 1960, entre rock rebelle et ballades country, lors de ces deux concerts. Revival. au Palais des sports

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à La Cigale

octobre 2015

à La Gaîté Lyrique

DU 5 AU 8 NOV.

TRANSIENT FESTIVAL Signé Sinchromatic, le festival electronica/arts numériques soigne sa deuxième édition avec une programmation techno-acid-geek aussi excitante que pointue : les icônes Monolake, µ-Ziq, Richard Devine, Neil Landstrumm, Lucy, Space Dimension Controller, Murcof, Paskine, Rude 66… Sors tes machines.

aux Instants Chavirés et à l’Espace Pierre Cardin



cultures KIDS

CINÉMA

Mune Le gardien de la lune

l’avis du grand

« J’ai un livre sur les étoiles et en plus j’écoute bien la maîtresse, donc je connais les trucs de l’espace », a prévenu Elise, avant de découvrir cette fantaisie astronomique. Des connaissances qui ne l’ont pas empêchée d’adhérer à cette vision poétique de l’univers. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

Le petit papier « Mune, c’est un jeu de mot, parce qu’il mélange “lune” et “moon”. Dans le film, c’est le nom d’un garçon qui garde la lune et calme les cauchemars des petits. On voit donc un peu les rêves et, contrairement au reste du film, qui est très bien fait, les rêves sont comme dessinés par des enfants : ils sont moins réels, parce qu’il y a des traits noirs pour faire les personnages. Or, dans la réalité, personne n’a de trait noir autour de lui. Chez nous, la lune et le soleil tournent autour de la Terre, qui est attirée par l’espace. Mais dans le film il n’y a pas d’attraction, alors des ficelles attachées à des bestioles font tourner la lune et le soleil autour de la planète. Ces bestioles sont géantes. Elles

d’ Élise, 7 ans font quatre-vingt-quatorze fois la taille de la tour Eiffel. Comme elles sont très grandes, elles peuvent avoir les maisons du gardien de la lune et du soleil dans leur ventre. Et dans la maison de la lune il y a plein de petits compagnons qui aident. Ils ressemblent à des Chibi Totoro : ce sont des petits choux poilus, avec huit pattes, comme les araignées. Bref, Mune. Le gardien de la lune, c’est pas du tout la vérité. Mais on s’en fiche, car les films, c’est fait pour rêver. » Mune. Le gardien de la lune d’Alexandre Heboyan et Benoît Philippon Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h26 Sortie le 14 octobre Dès 6 ans

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octobre 2015

Il faut saluer la double audace de Mune, le gardien de la lune. Cette grosse production tricolore ose en effet proposer un univers totalement original, soutenu par une direction artistique étonnante, fruit de l’influence combinée de la japanimation et des figures de proue de la revue Métal Hurlant – on pense, par exemple, aux planches de Richard Corben. Et puis, comme le récent Petit Prince, produit par la même équipe, Mune. Le gardien de la lune mélange les techniques d’animation, avec, en l’occurrence, une alternance entre des images de synthèse foisonnantes et des dessins animés épurés, dans leurs graphismes comme dans leurs mouvements. Pour toutes ces raisons, Mune. Le gardien de la lune fait souffler un vent de fraîcheur bienvenu dans le long métrage d’animation, souvent trop formaté. J. D.


Les Animaux farfelus PAR SIRINE MADANI

Cette sélection de six courts métrages français et étrangers met en vedettes des animaux vraiment pas comme les autres : des girafes qui exécutent des figures acrobatiques dans une piscine olympique parisienne, des poules disgracieuses et maladroites qui jouent dans une reconstitution de la cour de Louis XIV, un chat qui rêve de devenir chanteur lyrique… Les techniques d’animation sont variées, à l’image du trait tout en délicatesse du mélancolique L’Oiseau rare, sur la solitude d’un jeune homme, et sa rencontre improbable avec un petit oiseau, ou du réalisme en trois dimensions d’Oktapodi, conte burlesque sur deux poulpes en fuite dans les rues d’un village grec. Collectif Animation Distribution : UFO Durée : 42min Sortie le 7 octobre Dès 2 ans

et aussi PAR S. M.

CINÉMA

CINÉMA

Après MinoPolska, sorti il y a tout juste un an, cette nouvelle compilation rassemble cinq films polonais des années 1960, l’âge d’or de l’animation dans ce pays. Des dessins surréalistes de La Souris et le Chaton au folklore pictural d’Au fond des bois, en passant par les charmantes figurines en papier du Petit Corniaud, autant de témoignages de l’extraordinaire créativité de l’époque. MINOPOLSKA 2 Collectif Animation Distribution : Malavida Durée : 46min Sortie le 7 octobre Dès 3 ans

Une course de voitures est organisée. Le gagnant recevra cent pièces d’or. Une aubaine pour le petit corbeau Chaussette, qui doit racheter de la nourriture pour l’hiver, ayant lui-même détruit son stock par accident. Avec ses amis, il devra affronter les meilleurs pilotes automobiles, dont le redoutable Rinaldo… Un petit bijou au graphisme classique mais raffiné. LA COURSE DU SIÈCLE d’Ute von Münchow-Pohl et Sandor Jesse Animation Distribution : Gebeka Films Durée : 1h13 Sortie le 21 octobre Dès 4 ans


cultures LIVRES / BD

Salter en cuisine © illustration de floc’h

GASTRONOMIE

Les miscellanées culinaires du grand romancier James Salter : un régal pour la bouche et pour l’esprit. PAR BERNARD QUIRINY

Une certaine image d’Épinal voudrait que les écrivains soient des êtres pâles et faméliques, tournés vers leur monde intérieur, indifférents aux nourritures terrestres. Mais le cliché contraire est tout aussi justifié tant sont nombreux les littérateurs amis de la bonne chère, de Samuel Johnson à ce glouton de Balzac en passant, plus proches de nous, par des œnophiles comme Jay McInerney ou Gérard Oberlé. Le grand James Salter était de ceux-là. Disparu le 19 juin dernier, à 90 ans, cet ancien pilote de l’armée américaine, auteur des inoubliables Cassada et Un sport et un passe-temps, était aussi un cuisinier émérite, curieux de tout ce qui touche aux arts de la table. Avec sa femme, Kay Salter, il avait publié en 2006 une déclaration d’amour à la gastronomie sous forme d’agenda aujourd’hui traduit en français : un petit texte par jour pendant un an, sur des sujets en lien avec la cuisine. Le résultat peut se lire de diverses façons, dans la continuité, comme un dîner, ou en picorant, comme un buffet. On y trouve de tout, en vrac, avec l’humour ironique et tendre qui caractérise le style de l’auteur (et de son épouse) : des considérations sur le bretzel, le fromage et l’ananas ; des minibiographies de gastronomes célèbres tels Brillat-Savarin, Vatel ou M. F. K. Fisher ; des visites au Grand-Véfour, au Ritz ou dans des gargotes anonymes sur une route en

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Bourgogne ; des conseils sur l’accord vins-­f romages, le choix d’une pastèque ou d’une place au restaurant ; des recettes simples (le bloody-mary) ou sophistiquées (un somptueux poulet à la française)… Outre le plaisir de promeneur que procure ce genre de miscellanées, l’intérêt du recueil tient au fait que la littérature y est omniprésente, grâce aux citations dont Salter assaisonne ses notices (de Montaigne à Samuel Pepys), ainsi qu’à la qualité de ses anecdotes, toujours piquantes, jamais banales. Saviez-vous, par exemple, que les bars new-yorkais, jadis, servaient gratuitement du caviar de l’Hudson aux clients, parce que sa teneur en sel leur donnait soif ? Que le mot « sorbet » vient de l’arabe « sharbah » ? Que les « tips » anglais (« pourboires ») signifient « to insure prompt service » ? Et que le grand chef Carême inventa l’actuel boutonnage des vestes de cuisiniers dans le but… de cacher les taches ? Un peu d’érudition aide à mieux goûter ce que l’on mange, surtout quand cette érudition est offerte, sans pose et sans façon, par un écrivain de ce calibre. On passe à table ? Le dîner est servi. Dans la bibliothèque ! « Chaque jour est un festin » de James Salter et Kay Salter, traduit de l’anglais (États-Unis) par Sophie Brissaud (Éditions de La Martinière)

octobre 2015


sélection Par b. q.

MARIENBAD ÉLECTRIQUE

d’Enrique Vila-Matas (Christian Bourgois)

Enrique Vila-Matas a écrit ce petit livre pour accompagner l’expo que consacre actuellement le Centre Pompidou à Dominique Gonzalez-Foerster. L’occasion pour lui d’approfondir une réflexion sur l’art contemporain commencée dans Impressions de Kassel, mais aussi de dériver vers d’autres sujets, comme le roman, l’écriture, la lenteur et les livres de Robert Walser, avec l’humour, l’érudition légère et le goût du paradoxe qu’on lui connaît.

RETOUR À DUVERT

ARCHIVES DU VENT

de Pierre Cendors (Le Tripode)

Le cinéaste Egon Storm, usant d’un procédé révolutionnaire, a réalisé trois films mythiques avant de disparaître. Mais il en existe peut-être un quatrième, sur la piste duquel se lance le narrateur… Le discret Pierre Cendors avait déjà témoigné d’un goût certain pour le canular avec L’Homme caché en 2006, dans lequel il inventait un vrai-faux écrivain disparu, Endsen. Il persévère ici avec ce brillant jeu de miroirs à lire comme une sorte de polar cinéphilique, mâtiné d’uchronie et de fantastique.

L’AMÉRIQUE

de Gilles Sebhan

de Frédéric Martinez

Dans L’Enfant silencieux, Gilles Sebhan composait un tombeau littéraire pour Tony Duvert, écrivain maudit et sulfureux, mort dans la solitude en 2008. Depuis, il a découvert de nouvelles lettres de l’auteur, recueilli d’autres témoignages : presque obsessionnellement, il creuse le sillon dans ce livre inclassable, à la fois enquête biographique, portrait d’une époque, étude littéraire et recueil de documents. Le résultat, captivant, intéressera les lecteurs de Duvert, mais pas seulement.

Drôle de petit livre que cette Amérique. « Ce serait un livre sur nos vies rêvées, nos envies d’ailleurs », dit l’auteur, qui l’intitule « roman ». En fait, il s’agit de neuf nouvelles liées entre elles, qui font le procès de notre monde étouffant (architecture standardisée, consumérisme, etc.) et célèbrent l’évasion sous toutes ses formes (retour à l’enfance, fuite, subversion…). Neuf exercices de style, raffinés et splendidement écrits, comme un petit condensé de littérature ironique et décalée.

(Le Dilettante)

(Les Belles Lettres)

« Un des spectacles les plus courus cette année » Le Monde « Étourdissant » Le Canard Enchainé

« Comédie délirante » JDD

« Le malicieux catalan emballe son monde » L’Express

« C’est inouï » France Inter

« Les spectateurs jubilent » Les Échos


cultures LIVRES / BD

BANDE DESSINÉE

Arsène

sélection

PAR STÉPHANE BEAUJEAN

PAR S. B.

Les Intrus

de Minetar Mochizuki

Adrian Tomine (Scènes d’un mariage imminent ; 32 histoires…) est de retour, et il n’a rien perdu de sa capacité à croquer, en quelques pages, le quotidien morne de ses contemporains. Dans ce nouveau recueil, il introduit l’utilisation de la couleur, l’hommage aux formes classiques, le regard introspectif, mais conserve la sobriété qui le caractérise. Pudique et modeste, tout chez lui se place au service de la peinture de la condition humaine.

Les amateurs de l’œuvre de Jirō Taniguchi s’en voudraient de passer à côté de ce portrait du Japon contemporain, si attentif au moindre détail qu’il provoque une forme d’hypnose chez le lecteur. Derrière cette transposition d’une nouvelle de Shūgorō Yamamoto, auteur adapté plusieurs fois au cinéma par Akira Kurosawa, se dévoile une ode habitée et sincère à l’artisanat et au geste – artistique – parfait.

(Éditions Cornélius)

La grande histoire de la Belgique et la petite histoire familiale travaillent l’œuvre d’Olivier Schrauwen, plasticien virtuose qui construit toute sa symbolique autour de l’idée de filiation. Avec Arsène, il détourne l’aventure coloniale de son grand-père pour livrer une épopée grotesque et surréaliste. Si l’humour repose sur une mécanique fragile et mystérieuse, force est de constater que celle d’Olivier Schrauwen est parfaitement huilée. Avec son penchant pour l’absurde et son langage inventif, Arsène est absolument hilarant. Prenant pour prétexte la vie de son grand-père, l’auteur brosse l’épopée délirante d’un colon particulièrement naïf au cœur d’une jungle mystérieuse. Alors qu’il doit retrouver son cousin et bâtir avec lui une ville utopique, oasis de civilisation au cœur de la sauvagerie, Arsène s’entiche dès le premier regard de la femme de ce lointain parent et perd peu à peu la tête, sous l’influence de l’amour ou d’une fièvre tropicale, personne ne sait… Sans aucune méchanceté, Schrauwen s’attaque à la bêtise, que ce soit avec le portrait de son grand-père vaniteux ou avec les descriptions complètement loufoques de ce projet d’utopie dans la jungle. En toile de fond, tapie sous les tableaux extravagants, c’est la question des origines qui gronde, puisqu’au cours de ce voyage son grand-père pourrait avoir engrossé, les hallucinations empêchant d’en être certain, la femme de son cousin. Ceci ne serait rien si Olivier Schrauwen n’était pas un poète exceptionnellement doué qui utilise toutes les ressources que la bande dessinée met à sa disposition pour créer des scènes éblouissantes. Conjugué aux techniques d’impression de la risographie, qui produisent des superpositions de couleurs si particulières, l’imagier d’Arsène se décline page après page en variations d’orange et de bleu d’une infinie beauté. Arsène d’Olivier Schrauwen (L’Association)

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ChiisakobÉ

d’Adrian Tomine

Transperceneige Terminus

de Jean-Marc Rochette et Olivier Bocquet (Casterman)

L’odyssée du Transperceneige se conclut, après plus de trente ans d’errance, sur une apothéose. De loin le meilleur épisode, moderne dans sa mise en scène et actuel dans ses problématiques sociales, au sommet de sa virtuosité graphique et de son geste pictural (que c’est beau !), Terminus se révèle un divertissement épique comme peu d’auteurs français savent en produire.

octobre 2015

(Le Lézard noir)

Blackface Babylone

de Thomas Gosselin (Atrabile)

Jusqu’ici prometteur, Thomas Gosselin trouve avec Blackface Babylone le livre de la maturité. Ce conte sur le monde du blackface, ce spectacle de théâtre dans lequel des acteurs blancs se maquillent en Noirs, fait preuve d’une belle réflexion formelle sur l’altérité. La maîtrise est totale : questionnements philosophiques, compositions de pages en quatre cases tout en équilibres et déséquilibres. Une belle découverte.


cultures SÉRIES

DOCUMENTAIRE

The Jinx

Robert Durst, triple assassin le plus roublard d’Amérique ou innocent le plus poissard de l’histoire, se confie dans une série documentaire produite par HBO. Au-delà des révélations, ahurissantes, le portrait fascinant d’une énigme faite homme.

©hbo

© gregg duguire / wireimage

PAR GUILLAUME REGOURD

LE CAMÉO HELENA BONHAM CARTER CHEZ NICK HORNBY

Tout commence avec Love and Secrets, un drame criminel sorti en 2010 qui s’inspire de l’histoire vraie de Robert Durst, soupçonné de deux meurtres et emprisonné pour avoir démembré le corps d’une troisième personne tuée « en état de légitime défense ». Un film pas vraiment resté dans les mémoires, si ce n’est celle de Durst lui-même qui un beau jour contacte son réalisateur Andrew Jarecki, le félicite et lui propose un entretien. Résultat : une minisérie passionnante consacrée à ce riche héritier newyorkais. En trente ans, Durst aura été entendu par la justice pour la disparition de sa femme en 1982, l’assassinat de sa meilleure amie en 2000 et une rixe fatale

avec un voisin en 2001. Accusé du pire, il s’en est à chaque fois tiré. Jarecki l’aborde avec bienveillance, mais, de reconstitutions balourdes en révélations, le réalisateur finit par se croire procureur. Dans le final, il cède au sensationnel pour décrocher ce qui restera l’un des moments de télé les plus ahurissants (et les plus polémiques) de 2015. Au-delà du buzz, restent tous ces passages posés où Durst se livre. Face caméra, ce type honni par tout un pays répond poliment. Précis ou bien plus évasif. Touchant, pathétique et inquiétant. Insondable. Comme l’âme humaine. The Jinx, sur Planète+ CI, à partir du 22 octobre

© d. r. ; amc

sélection

MR. SLOANE En décembre 1969, Mr. Sloane, archétype de l’Anglais moyen, rate son suicide. Un signe. Ses aventures tragi-comiques, alors qu’il tâche de remettre sa vie en ordre, inspirent quelques amusantes saynètes à Robert B. Weide, venu de Curb Your Enthusiasm. La sympathie naturelle qu’inspire Nick Frost (connu pour ses duos avec Simon Pegg) fait le reste. Intégrale en DVD aux Éditions Montparnasse

PAR G. R.

AINSI SOIENT-ILS Dernière saison pour les jeunes prêtres d’Ainsi soient-ils. Après le séminaire, les voilà pour la plupart en charge d’une paroisse… Un changement de décor bienvenu pour continuer à questionner l’engagement personnel de ces hommes de foi. Trois ans après le lancement de la série, l’audace que montre Arte en explorant un thème aussi austère impressionne toujours autant. Saison 3 sur Arte

www.troiscouleurs.fr 99

La comédienne britannique sera à l’affiche de Love, Nina, première série créée par son compatriote Nick Hornby pour la BBC, soit l’adaptation des lettres adressée à sa sœur par Nina Stibbe alors qu’elle était la nounou des deux enfants de l’auteure Mary-Kay Wilmers et du cinéaste Stephen Frears. On retrouvera aussi Bonham Carter au générique de la série Codes of Conduct que prépare Steve McQueen pour HBO. Le réalisateur de 12 Years a Slave mettra lui-même en scène les six épisodes de ce drame sur l’ascension d’un jeune Noir du Queens au sein de la grande bourgeoisie new-yorkaise. G. R.

The Leftovers Au moment même où la série revient pour une saison 2 placée sous le signe du changement (on quitte la ville de Mapleton pour le Texas), sa saison 1 sort en DVD. L’occasion de rappeler quelle puissante réflexion sur le deuil Damon Lindelof (Lost) propose en se basant sur un roman de Tom Perrotta. Une série aussi essentielle, sur le sujet, que Six Feet Under. S. 1 en DVD (Warner) et s. 2 sur OCS City


© giovanni gianonni

cultures SPECTACLES

Models Never Talk PERFORMANCE

Animé par la charge émotive et historique des vêtements, le directeur du Palais Galliera – musée de la Mode de la ville de Paris, Olivier Saillard, donne la parole sur scène à d’ex-mannequins dans Models Never Talk. PAR ÈVE BEAUVALLET

La plupart du temps, la mode est une industrie bruyante, accro au renouvellement et éreintée par la surproduction. Parfois, cependant, dans quelques recoins plus silencieux de la création, elle parvient à nous raconter d’autres histoires. Ce sont elles que débusque depuis des années, avec érudition et poésie, Olivier Saillard, historien de la mode et directeur du Palais Galliera – musée de la Mode de la ville de Paris, dans des ouvrages unanimement salués (comme Histoire idéale de la mode contemporaine, 2009, Textuel), mais aussi, et de manière tout à fait inattendue, du côté de la chorégraphie et de la mise en scène. Cet esthète, respecté du milieu de la mode comme de celui de l’art, conçoit des performances, parce que « la mode qu’on disait visionnaire est devenue borgne », écrivait-il déjà en 2013 pour le Festival d’automne à Paris ; comme s’il fallait s’affranchir du podium pour construire un contre-récit salvateur, attentif non plus seulement au renouvellement des tendances, mais aussi à la façon dont les corps incarnent les vêtements et en font vivre la mémoire. Avec Eternity Dress (2013) ou Cloakroom, vestiaire

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obligatoire (2014), deux pièces conçues avec l’actrice écossaise Tilda Swinton, Saillard s’attachait déjà à réinscrire les vêtements dans le champ de la poésie et de l’intime. Aujourd’hui, dans Models Never Talk, il s’entoure de sept ex-mannequins emblématiques des années 1980 et 1990 qui ont défilé pour Saint Laurent, Mugler, Lacroix ou Montana. « Je leur ai demandé de se souvenir de certains vêtements, explique-t-il. C’est un travail très nostalgique sur elles-mêmes. Et ce sont en fait les gestes qu’elles ont effectués pour me décrire telle ou telle pièce qui nous ont servi de matériau de base. » Entre document sur les coulisses de la couture, poème sur le vieillissement du corps et chorégraphie de gestes types qui ont marqué l’histoire du mannequinat, Models Never Talk s’annonce donc comme un ovni dans le champ policé des podiums. Une façon, pour cet archéologue de la mode, de combattre l’hystérie du présent qui gangrène, selon lui, sa discipline. du 7 au 15 octobre au Centre national de la danse (Festival d’automne à Paris)

octobre 2015


agenda PAR È. B.

JUSQU’AU 10 OCT.

ANTOINE DEFOORT On l’a vu tenter de rejouer, en une heure chrono, l’histoire des techniques et des sciences de la communication depuis l’origine de l’homme. Ça s’appelait Germinal (gros carton depuis 2013) et ça nous donne vraiment envie d’en savoir plus sur Un faible degré d’originalité. Annoncé comme une « causerie-in-progress » (ne pas prendre au premier degré) sur la question du droit d’auteur, ça promet d’être très différent d’un cours de droit. au Centquatre

© ignacio iasparra

JUSQU’AU 16 OCT.

Reprise de sketches classiques, mais aussi apparition d’une poignée de nouveaux personnages, inspirés par tout ce sur quoi la comédienne n’a pas eu l’occasion de gloser depuis six ans – les selfies, les messages d’optimisme, la GPA, entre autres choses. au Théâtre du Châtelet

DU 10 OCT. AU 21 NOV.

IVO VAN HOVE Accueilli en mode triomphal à Londres depuis deux saisons, Vu du pont d’Arthur Miller, mis en scène par l’excellent directeur d’acteurs belge Ivo van Hove, s’affirme comme une tragédie ordinaire en forme de plan large sur le milieu des dockers du New York des années 1950.

aux Ateliers Berthier – Odéon-Théâtre de l’Europe

au Théâtre de la Bastille (Festival d’automne à Paris)

JUSQU’AU 8 NOV.

VALÉRIE LEMERCIER Le cahier des charges du one-woman-show le plus attendu de la rentrée ?

JUSQU’AU 4 JANV.

© rudy sabounghi

Federico León Figure du milieu alternatif de Buenos Aires, le cinéaste et metteur en scène de théâtre Federico León a récemment vécu un crash d’ordinateur qui lui a fait perdre toutes ses données. Une tragédie toute contemporaine qui lui a donné l’idée de Las Ideas, un portrait de l’artiste au travail confronté à des accidents dont il choisit de faire la matière même du jeu.

ARNAUD DESPLECHIN La Comédie-Française, qui entame une nouvelle ère avec la nomination du comédien Éric Ruf à sa tête, ouvre sa saison avec deux gestes forts : l’accueil d’un projet porté par la jeune metteure en scène Marie Rémond, Comme une pierre qui…, et l’invitation faite au réalisateur Arnaud Desplechin de créer sa première mise en scène de théâtre, Père d’August Strindberg. à la Comédie-Française


© galleria degli uffizi, florence, italy / bridgeman images

cultures ARTS

agenda PAR ANNE-LOU VICENTE

JUSQU’AU 22 NOV.

EXPOSITION

Élisabeth Louise Vigée Le Brun PAR juliette reitzer

Elle fut le témoin privilégié des bouleversements majeurs qui ont agité la France et l’Europe, de la fin du xviiie au début du xixe siècle. À l’occasion de cette première rétrospective française, le Grand Palais rassemble plus de cent cinquante œuvres de cette peintre brillante, dessinant en creux le portrait intime de l’artiste. Élisabeth Vigée Le Brun (1755-1842) fut l’une des grandes portraitistes de son époque, mais elle demeure méconnue, en dépit de son parcours aussi atypique que fulgurant – à seulement 23 ans, elle a été propulsée peintre officielle de Marie-Antoinette. Dans une scénographie épurée, l’exposition se vit comme un roman d’initiation, au fil d’un parcours thématique et chronologique en douze salles (« Les années de formation », « L’élégance à la française »…). Tout en composant avec les conventions de l’époque – les femmes n’avaient pas le droit de dessiner d’après des modèles nus masculins –, elle développe, avec obstination, un style personnel et audacieux. Mais au-delà des admirables portraits officiels, c’est au fil des nombreux autoportraits qui jalonnent l’exposition que se révèlent avec le plus de force son tempérament et la qualité de son trait. On y découvre une femme au visage harmonieux, plein d’une saine assurance et baigné de joie de vivre, parfois accompagnée de sa fille. Autant d’images qui montrent que l’artiste n’a eu de cesse d’affirmer, avec fierté, son statut de femme et de mère. jusqu’au 11 janvier au Grand Palais

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au Centre culturel suisse

Ai Weiwei, Stacked, 2012 FOLLIA CONTINUA ! La galleria Continua fête son 25e anniversaire avec une exposition à Paris. Fondée en Toscane, cette galerie, résolument ancrée en dehors des sentiers battus de l’art, s’est installée à Pékin en 2005, puis deux ans plus tard en Seine-et-Marne. De Daniel Buren à Anish Kapoor, en passant par Ai Weiwei, les plus grands créateurs internationaux figurent parmi la liste des artistes qu’elle représente. au Centquatre

DU 17 OCT. AU 23 NOV.

OLIVIER MOSSET ET MAI-THU PERRET Après l’exposition inaugurale du Camerounais Pascale Marthine Tayou, au printemps dernier, la VNH Gallery, installée dans les anciens locaux de la mythique galerie Yvon Lambert, présente « Balthazar » : un dialogue entre les œuvres de Mai-Thu Perret et d’Olivier Mosset, deux artistes suisses dont le travail s’inscrit dans la lignée duchampienne et minimaliste. à la VNH Gallery

JUSQU’AU 13 DÉC.

PERFORMANCEPROCESS Pour célébrer ses 30 ans, le Centre culturel suisse a vu les choses en grand. Il imagine un (vaste) projet protéiforme consacré à la performance en Suisse depuis 1960. Des focus d’une durée de cinq jours

octobre 2015

JUSQU’AU 18 DÉC.

Martin Boyce, A Partial Eclipse, 2014 THOUGHTS THAT BREATHE Chaque année, la Fondation Hippocrène met la création contemporaine européenne à l’honneur. Pour la 14e édition de la manifestation « Propos d’Europe », elle convie la Fondation Haubrok, basée à Berlin, et présente une sélection d’œuvres de Carol Bove, Martin Boyce, Bojan Šarčević et Markus Schinwald. à la Fondation Hippocrène

JUSQU’AU 8 NOV.

TAKE ME (I’M YOURS) En 1995, l’artiste Christian Boltanski et le critique d’art Hans Ulrich Obrist présentent l’exposition « Take Me (I’m Yours) » . L’originalité du projet tient au fait (remarquable) que les visiteurs sont priés de toucher voire d’emporter les œuvres présentées ! Vingt ans plus tard, ils proposent moins un remake qu’une relecture, une mise à jour de ce parti pris curatorial à rebours des conventions du genre. à la Monnaie de Paris

© courtesy- galleria continua, san gimignano / beijing / les moulins / habana - photo by - ela bialkowska, okno studio ; jens ziehe courtesy fondation haubrok

L’Artiste exécutant un portrait de la reine Marie-Antoinette, 1790

consacrés chacun à un artiste (Jean Tinguely, Roman Signer…) accompagnent une exposition ainsi qu’une série de performances se tenant in situ et hors les murs.



cultures JEUX VIDÉO

COMBAT MOTORISÉ

Mad Max

Après le cinéma, le héros de George Miller connaît une renaissance en jeu vidéo. Résultat : un road-trip, débordant de bruit et de fureur mécanique dont on ressort complètement sonné. PAR YANN FRANÇOIS

L’EXPÉRIENCE DU MOIS UNTIL DAWN

(Supermassive Games/PS4)

Perdu dans le Wasteland, Max veut à tout prix se venger de Scrotus, un seigneur de guerre qui l’a dépouillé et l’a laissé pour mort. Pour ce faire, il doit construire l’Opus Magnum, la voiture de combat suprême qui lui permettra d’affronter Scrotus en duel. Mais, au préalable, il va lui falloir reconquérir les routes, pourchasser les pillards qui terrorisent la région et s’emparer de leur butin, pour pouvoir customiser son engin… Plutôt que de copier les films de George Miller, ce Mad Max cherche à proposer une autre approche de son univers, une nouvelle expérience de la route, propre au jeu vidéo. Sa première réussite tient à l’équilibre constant entre

balade contemplative et action furieuse. Avec ses paysages grandioses et ses ambiances hallucinées, son Wasteland est une prouesse picturale et sonore que l’on sillonne inlassablement. Plus la conduite devient instinctive, plus elle permet des joutes mécaniques d’une rare intensité, comme si le jeu cherchait à concentrer toute la sauvagerie punk de l’univers de Mad Max en une seule et longue virée en bagnole lancée à tombeau ouvert sur le sable et l’asphalte. Étalée sur une trentaine d’heures, cette débauche d’énergie ne lasse jamais, donnant ainsi un des jeux d’actions les plus intenses de l’année.  Mad Max (Warner Bros./PC, PS4, One)

sélection ACT OF AGGRESSION

(Eugen Systems/PC)

Fier hommage à Command & Conquer et au jeu de stratégie à l’ancienne, Act of Agression en profite pour rénover celui-ci de fond en comble. Avec ses trois factions au potentiel bien différencié mais parfaitement équilibré, son écriture de techno-thriller et sa multitude de choix tactiques, ce jeu français a tout d’une nouvelle référence du genre.

PAR Y. F.

BLOOD BOWL II

(Cyanide/PC, PS4, One)

Blood Bowl II imagine une compétition de football américain opposant des personnages issus de Warhammer dans laquelle tous les coups sont permis. Pensé comme une partie d’échec (au tour par tour), le jeu, derrière son imagerie paillarde, cache un véritable exercice de stratégie. Bien plus pointue et spectaculaire que son aîné, cette suite marque un nouveau touchdown.

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Coincés dans un chalet en haute montagne, des ados doivent échapper à un tueur masqué… Partant de ce scénario classique, les créateurs d’Until Dawn signent pourtant un slasher d’un nouveau type. Non seulement le jeu s’amuse à détourner les codes du genre, mais il nous force à faire des choix cornéliens face à des situations de plus en plus cruelles. Basé sur l’effet papillon, le scénario évolue en fonction de nos décisions et questionne notre propre éthique. Une fable morale et gore, c’est une première. Y. F.

TEARAWAY UNFOLDED

(Media Molecule/PS4)

Remake d’un jeu sorti sur Vita, Tearaway Unfolded propose d’incarner un petit avatar dans un monde fait de papier mâché. Pour l’aider, les diverses fonctionnalités de la console (gyroscope, caméra…) nous permettent d’interagir directement sur le décor. Derrière le trip enchanteur et la mise en abyme se cache une subtile ode à la créativité artisanale.


4 perles indés par Y. F.

VOLUME

(Mike Bithell/PC, PS4, Vita, Mac)

Aux commandes d’un simulateur de braquage, un jeune hacker doit s’échapper de labyrinthes quadrillés par des sentinelles sans attirer leur attention… Si Volume n’invente rien, il le fait au moins avec de belles formes. Constitué de cent niveaux, d’un gameplay ultra pointilleux et d’un design épuré tendant à l’abstraction, Volume s’amuse à réunir Metal Gear Solid et Pac-Man dans un même tableau. Combinaison gagnante.

DEAD IN BERMUDA

(CCCP/PC)

Sur une île déserte, les rescapés d’un crash aérien tentent de survivre. Chaque jour, il faut assigner les bonnes tâches à chacun, trouver de quoi manger, veiller à la santé et au repos de tous, et, surtout, gérer les conflits entre des personnages aux caractères souvent incompatibles. Entre Koh-Lanta et Lost, cette expérience de survie se démarque par sa sobriété (des illustrations et des plans fixes uniquement) et son gameplay cartésien où tout n’est que statistiques et choix rationnalisés.

CROOKZ. THE BIG HEIST

(Skilltree Studios/PC)

Des braqueurs s’allient pour réaliser une série de cambriolages. Face à des cibles de mieux en mieux protégées, il va falloir jongler entre les personnages et leurs capacités spécifiques, puis synchroniser leurs actions pour réussir le casse parfait. Rythmé par une somptueuse bande-son funk, le gameplay de Crookz est au braquage ce que celui de Civilization est à la stratégie : une science rigoureuse qui offre une quantité inépuisable d’options.

STASIS

(The Brotherhood/PC, Mac)

Un homme se réveille, amnésique, dans un vaisseau spatial à la dérive et rempli de cadavres. Plus il avance, plus il découvre les terribles secrets de cet espace monstrueux. Stasis a beau recycler des motifs bien connus de la science-fiction, ce point ’n’click possède une identité unique et dérangeante. À la fois minimaliste (graphismes 2D, en vue isométrique) et sophistiqué (les décors fourmillent de détails), l’aventure navigue parfaitement entre réflexion et horreur, grâce à une écriture très maîtrisée.


cultures FOOD

POISSON

Sous les pavés, la mer Le plus viandard des mangeurs ne reste pas insensible face à une lotte parfaitement nacrée ou à une sole à la peau dorée. Sain et goûteux, le poisson, souvent boudé dans l’enfance, est un mets qui se mérite. À consommer avec modération néanmoins : les ressources s’épuisent.

TROYON-SUR-MER

© archifoodrock par cyril zekser

© annabelle schachmes

PAR STÉPHANE MÉJANÈS

Thibault Sombardier a toutes les raisons d’être heureux. Il va être papa, il ouvre à la mi-octobre un bistrot baptisé Mensae (23, rue Mélingue – Paris XIXe), avec aux fourneaux Kévin d’Andréa, finaliste de Top Chef 2015, et il vient de retrouver son restaurant étoilé, Antoine, après un bon lifting. Plus lumineuse, plus chaleureuse, la salle se tourne davantage vers la cuisine, visible à travers une grande vitre. Dans l’assiette, Thibault, lui aussi finaliste de Top Chef, en 2014, accentue les associations terre-mer. Mais l’océan reste son terrain de jeu. Le Lyonnais a acquis une grande maîtrise techni­ que chez Alain Dutournier (Carré des Feuillants) et Yannick Alléno (Meurice)

sans que cela ne bride son imagination. À 30 ans, il s’éclate avec des poissons issus de pêches de petits bateaux. La carte évolue au gré des arrivages et des envies du chef, mais son menu déjeuner est une aubaine (48 €). On se régale d’un effiloché d’aile de raie avec un sabayon câpres et persil et d’un merlu de ligne étuvé, avec des pommes de mer pressées (purée de pommes de terre, en vrai) et une émulsion de champignons. C’est vif, brillant, les cuissons sont dingues, on est comme un poisson dans l’eau. Antoine 10, avenue de New York – Paris XVIe Tél. : 01 40 70 19 28 www.antoine-paris.fr

sous le signe du poisson LA MARÉE JEANNE On passera rapidement sur le jeu de mot pour s’enthousiasmer sur ce bistrot ouvert au printemps 2015. Le poisson au restaurant reste souvent cher ; pas ici. Le menu déjeuner est à 18 €, et les assiettes (demi-portion possible), entre 7 € et 26 €. Mention spéciale au croq’homard, sandwich au homard avec brioche gratinée au parmesan, tomate et pesto. 3, rue Mandar – Paris IIe Tél. : 01 42 61 58 34

LE DUC L’établissement fêtera ses 50 ans en 2017. C’est ce que l’on appelle une institution. Fréquenté par quelques personnalités, le lieu, avec ses allures de vieux gréement, défend une cuisine de la mer traditionnelle et rassurante : coquilles Saint-Jacques au naturel, langoustine à la nage ou pavé de turbot à la vapeur. Le menu déjeuner en quatre plats à 55 € est un incontournable. 243, boulevard Raspail – Paris XIVe Tél. : 01 43 20 96 30

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LEROY DES OCÉANS En quittant son fief historique de la rue Troyon pour la Monnaie de Paris, Guy Savoy a offert un superbe écrin à son chef-associé, Clément Leroy. Dans l’intervalle, ce dernier s’était fait la main en face, à l’Huîtrade. Mais c’est à Étoile-sur-Mer que son talent s’exprime le mieux, dans cette petite artère désormais très marine. Les tarifs sont en rapport avec le quartier, mais on oublie ce vil aspect matérialiste face à une lotte rôtie-laquée, un rouget croustillant ou un merlu feu d’enfer à la graine de moutarde. Menus déjeuner : 42 € et 58 €. S. Mé. Étoile-sur-Mer 18, rue Troyon – Paris XVIIe Tél. : 01 53 81 72 50 www.etoile-sur-mer.com

PAR S. M.

LES FABLES DE LA FONTAINE Coup de jeune pour le restaurant créé par Christian Constant et étoilé depuis 2006. Julia Sedefdjian, 21 ans, prend la tête de la cuisine, dans un décor rénové et pour une carte à prix doux (menu midi entrée-plat : 25 €). L’occasion de découvrir des poissons parfois délaissés dans la haute gastronomie – haddock, anchois ou hirondelle de mer. 131, rue Saint-Dominique – Paris VIIe Tél. : 01 44 18 37 55


cultures MODE

© olivier châtenet ; officieldelamode1970

DÉFILÉ

EXPOSITION

La saharienne d’Yves Saint Laurent À l’occasion du 18e salon du Vintage, le collectionneur Olivier Châtenet a fouillé dans ses placards pour concocter une exposition autour de la saharienne, pièce maîtresse d’Yves Saint Laurent.

COURRÈGES C’était un moment très attendu de la fashion week parisienne : le défilé Courrèges, ou la promesse de la renaissance d’une marque mythique des sixties quelque peu endormie depuis les années 1980, confiée au duo de jeunes créateurs Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant, fondateur du label pointu Coperni. Résultat à la hauteur, simple et efficace : quinze modèles (jupes, vestes, pantalons, tops) déclinés en autant de matières (maille kimono, cuir, vinyle) et couleurs pop, soit quelque deux cent cinquante pièces présentées à l’opéra Bastille dans un ballet rétro-futuriste. R. S. ÉGÉRIE

Après l’esprit british, c’est à la « collectionnite aiguë » que le salon du Vintage consacre sa nouvelle édition, au Carreau du Temple, où seront présentés 2 000 m 2 de stands de mode, d’accessoires, de mobilier et de design vintage. C’est naturellement à Olivier Châtenet, l’un des plus grands collectionneurs au monde de pièces de créateurs, et notamment d’Yves Saint Laurent, que les organisateurs ont donné carte blanche. Parmi les six mille pièces de créateurs que le styliste a chinées aux puces, aux enchères ou dans les boutiques de la côte ouest américaine, bon nombre sont signées du créateur français – dont un impressionnant arc-en-ciel de huit cents chemisiers archivés par couleurs –, à tel point qu’une grande partie des tenues du Saint Laurent de Bertrand Bonello, auréolé du César des meilleurs costumes, provient de sa collection personnelle.

« Pour le salon, j’ai choisi de faire l’exposition autour de la saharienne, parce que c’est une pièce emblématique de Saint Laurent, tirée, comme le smoking ou le caban, du vestiaire masculin, et dont il aimait le côté utilitaire, durable. Et puis il y a beaucoup de variations possibles : j’ai pu constituer une quinzaine de silhouettes. » Déclinée par la suite dans différents coloris et modèles, la tunique à laçage et grandes poches a été aperçue pour la première fois en 1968 dans les pages du magazine Vogue sur le mannequin Veruschka. « C’est la période que je préfère chez Saint Laurent, ce moment où il a voulu descendre dans la rue. C’est une mode porteuse d’espoir, à une époque on pensait qu’on allait changer le monde. » « La saharienne Yves Saint Laurent de 1969 à 1980 par Olivier Châtenet », les 17 et 18 octobre, au Carreau du Temple (salon du Vintage)

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© louis vuitton

PAR RAPHAËLLE SIMON

XAVIER DOLAN POUR VUITTON Louis, James et Xavier sont sur une photo… Pour sa nouvelle campagne de maroquinerie, Louis Vuitton a fait appel à l’acteur-réalisateur qui prend une pose à la James Dean sous l’œil du photographe Alasdair McLellan. À 26 ans seulement, celui qui a déjà réalisé cinq films et remporté un Prix du jury à Cannes (pour Mommy en 2014) devient le premier ambassadeur québécois de la maison française, rejoignant Matthias Schoenaerts, David Bowie ou Sean Connery sur la liste des égéries Vuitton. R. S.


pré se nte

PHOTOQUAI La biennale de photographie, installée en plein air sur le quai Branly, présente les travaux de quarante artistes venus du monde entier. Pour sa cinquième édition, elle clame haut et fort : « We Are Family. »

D

© stefan ruiz - musee du quai branly - photoquai 2015

© omar victor diop – musee du quai branly – photoquai 2015

PAR CLAUDE GARCIA

Omar Victor Diop, Don Miguel de Castro, 2014

e pu is sa c réat ion en 2007, Photoquai tâche de mettre en lumière des photographes peu ou pas connus en France. Cette année, un directeur artistique (Frank Kalero, déjà aux commandes de l’édition 2013), six commissaires, ainsi qu’un comité de programmation interne au musée du quai Branly, organisateur de l’événement, ont œuvré pour dénicher les quarante artistes exposés. Pour contrebalancer quelque peu la domination de l’art occidental, ils ont sélectionné des personnes nées ou travaillant dans les zones géographiques représentées au sein des collections du musée : Amérique latine, Asie, Océanie, Afrique, Proche-Orient, MoyenOrient et Russie. Le thème de

Stefan Ruiz, Cholombianos, 2011

cette édition (la famille) permet, de manière ostensible, de rassembler toutes les nationalités sous la tutelle de l’art. Mais ce sont aussi les sujets choisis par chaque photographe qui déclinent cette notion de famille – au sens de communauté – en prenant parfois de surprenants aspects. À ce titre, la série Cholombianos de Stefan Ruiz décroche la palme de l’étrange. De manière neutre, l’Américain a tiré le portrait d’ados membres de gangs mexicains qui s’étaient inventé un look tape-à-l’œil et inédit puisqu’ils se rasaient l’arrière du crâne et se plaquaient, à l’aide d’une bonne couche de gel, de longues mèches de cheveux sur le visage. Le Sénégalais Omar Victor Diop s’est lui aussi frotté à l’art du portrait.

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Diaspora rassemble des autoportraits de l’artiste qui, pour l’occasion, incarne des personnalités africaines ayant joué un rôle majeur dans le monde à partir du xve siècle, et rend ainsi hommage aux acteurs d’une partie de l’histoire rarement racontée. En se baladant dans l’exposition, le long des quais de Seine, devant le musée du quai Branly, on peut aussi découvrir Dhallywood, la grande famille du cinéma bangladais, à travers la série Love Me or Kill Me de Sarker Protick (voir notre portfolio page 52). Pour rejoindre la famille des visiteurs de Photoquai, pas besoin de montrer patte blanche : l’accès est libre et se fait de jour comme de nuit. jusqu’au 22 novembre au niveau du 37, quai Branly – Paris viie (en face du musée du quai Branly)


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© photo : christoph gerigk © franck goddio/hilti foundation

exposition

Divinités osiriennes posées sur les fonds sous-marin de la baie d’Aboukir. Statuettes en bronze découvertes sur le site de Thonis-Héracléion, Égypte, vie-iie siècle av. J.-C.

EXPOSITION

Osiris

jusqu’au 7 février au musée Marmottan Monet

L’Institut du monde arabe célèbre les figures majeures de la mythologie égyptienne et notamment le dieu Osiris, gardien du Nil, à travers une exposition qui nous plonge au cœur des cités englouties de Thônis-Héraclion et de Canope. Un voyage contemplatif et spirituel dans les trésors de l’Égypte antique. PAR SIRINE MADANI

une logistique considérable », nous confie Franck Goddio, commissaire de l’exposition. L’immersion se poursuit avec une brève reconstitution d’un temple présentant de nombreuses amulettes et momies à l’effigie des dieux égyptiens. La fin du parcours, plus théorique, interroge la postérité du mythe d’Osiris. Franck Goddio explique : « La légende d’Osiris a de fortes résonances avec le christianisme ; il fut tué par son frère Seth [ce qui fait écho à l’histoire de Caïn et Abel, ndlr], et son épouse, Isis, est souvent représentée allaitant son enfant, à l’image de Marie. » Autant de vestiges d’une richesse incomparable, à la grande portée méditative. jusqu’au 31 janvier à l’Institut du monde arabe

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THÉÂTRE

© christophe vootz

Mystères engloutis d’Égypte

L’exposition « Osiris. Mystères engloutis d’Égypte » dévoile quelque deux cent cinquante œuvres découvertes lors de fouilles archéologiques sous-marines ces vingt dernières années. Celles-ci côtoient une quarantaine d’objets de la vie quotidienne égyptienne exposés d’habitude au Caire et à Alexandrie. Envoûtante, la scénographie plonge le visiteur dans une lumière bleutée pour découvrir sur des parois en verre poli des animations autour du mythe d’Osiris. L’émotion est vive lorsque se dresse devant nous Hâpy, dieu de la fertilité, colosse de 5,4 mètres. Nappée d’un halo de lumière verdâtre et bercée par de légers reflets d’eaux, la statue semble surgir du Nil, dont elle incarne l’abondance et la crue. « Son transport a exigé

Félix-Édouard Vallotton, La Blanche et la Noire, 1913 Villa Flora Les temps enchantés Le musée Marmottan Monet revient sur le parcours hors du commun des époux Arthur et Hedy Hahnloser-Bühler, dont la demeure fut un haut lieu de la vie artistique au début du xxe siècle. L’exposition présente soixante-quinze chefs-d’œuvre de la peinture occidentale (Vallotton, Bonnard, Cézanne…) ayant appartenu à ce couple de collectionneurs passionnés. S. m.

© hahnloser/jaeggli stiftung, winterthur. photo reto pedrini, zürich

pré se nte

Le Poisson belge Assis sur un banc, un homme solitaire attend désespérément son rancard. Lorsqu’une gamine espiègle nommée Petit Fille se pointe et décide de s’incruster chez lui, l’homme est touché par son audace qui lui rappelle sa propre enfance… Un conte poétique dans lequel le duo Marc Lavoine/Géraldine Martineau fonctionne à merveille. S. m. à partir du 23 septembre à La Pépinière théâtre

exposition Fragonard amoureux Galant et libertin Près de quatre-vingts œuvres de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) sont réunies dans une exposition qui révèle la gamme de nuances du sentiment amoureux proposée par le peintre. Témoins des mœurs et coutumes de l’époque, ces œuvres abordent également des thématiques atemporelles comme les affres de la séduction dans L’Enjeu perdu ou le Baiser gagné, ou les délices de l’étreinte charnelle dans L’Instant désiré. S. m.

jusqu’au 24 janvier au musée du Luxembourg


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L’actualité DES salles PHOTOGRAPHIE

LAURE VASCONI La photographe française a visité six studios de tournage mythiques aux quatre coins du monde. Elle en a tiré Villes de cinéma, une série d’images hantées, exposée jusqu’à la fin du mois au MK2 Bibliothèque.

© laure vasconi

PAR TIMÉ ZOPPÉ

D’abord lancée dans des études d’architecture, Laure Vasconi bifurque vers la photo quand elle se rend à l’évidence : « Je crois que j’avais un problème à imaginer les choses en 3D, alors que je les voyais très bien en 2D. » Elle s’envole alors pour New York et intègre l’ICP (International Center of Photography), ce qui, une fois revenue à Paris, lui permet de devenir assistante de quelques photographes de la prestigieuse agence Magnum. Après des années de reportages pour des institutions et pour la presse, elle commence à exposer en parallèle ses travaux personnels. « J’ai débuté par du noir et blanc. La couleur est venue avec la pellicule kodachrome 25 qui, du fait de sa sensibilité très basse, me permettait d’avoir des images très en mouvement en basse lumière. » En 2000, elle est envoyée à Los Angeles par Les Inrockuptibles pour faire le portrait de David Lynch et photographier le tournage de son nouveau film, Mulholland Drive. « J’ai découvert la ville, ses studios, ses nuits… Plus tard, je suis retournée à Los Angeles pour commencer ce travail sur les villes de cinéma. » Songeant à d’autres studios, Laure Vasconi en

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vient à faire des choix « historico-sentimentaux. J’ai fait mon tour à moi, celui qui correspondait à mes amours de cinéma. Ce n’est pas un reportage exhaustif. » Elle a ainsi photographié les studios du Caire en Égypte – « C’était le berceau du cinéma arabe dans les années 1930, mais aujourd’hui il ne reste quasiment plus rien… » –, de Bollywood en Inde, de Mosfilm en Russie, de Babelsberg en Allemagne, et de Cinecittà en Italie. La photographe explique son parti pris : « Même si c’était une contrainte technique, j’ai choisi de montrer ces lieux de nuit, pour rester dans l’imaginaire, dans la magie. » À l’avenir, Laure Vasconi repartira peut-être découvrir d’autres studios. Mais, pour le moment, elle photographie l’hôpital Saint-Vincentde-Paul (Paris, xiv e), en partie désaffecté. « Là encore, l’ambiance est fantomatique. Ça revient souvent dans mon travail. » « Villes de cinéma » jusqu’au 31 octobre au MK2 Bibliothèque du 10 octobre au 7 novembre à la galerie Sit Down Traqueuse de fantômes de Laure Vasconi (Mediapop éditions), 2014 / Laure Vasconi. Photographe de Serge Kaganski et Laure Vasconi (Éditions de l’œil), 2004

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L’actualité DES salles

CYCLES

AVANT-PREMIÈRES

CONFÉRENCES

06/10

JE SUIS À TOI Avant-première en présence du réalisateur David Lambert. >MK2 Odéon à 20h30

08/10

TRIBUNAL POUR LES GÉNÉRATIONS FUTURES « Pour ou contre un revenu universel ? » >MK2 Bibliothèque à 20h

09/10

ROCK’N PHILO « Le réel est-il ce que je perçois ? Le rock, une métaphysique du son. » >MK2 Grand Palais à 20h

10/10

NOS ATELIERS PHOTO « Sur les traces de Willy Ronis », animé par Aurélie Lecarpentier. >MK2 Bibliothèque toute la journée

12/10

RENCONTRES

EXPOSITIONS

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Faut-il se ressembler pour s’assembler ? » >MK2 Hautefeuille à 18h15

13/10

CONNAISSANCES DU MONDE « Londres. » >MK2 Nation à 14h

20/10

HISTOIRE DE L’ART GÉNÉRAL « L’art gothique. » >MK2 Grand Palais à 20h

02/11

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Qu’est-ce que “bien se comporter” ? » >MK2 Hautefeuille à 18h15

03/11

CINÉMADZ En partenariat avec le site madmoiZelle.com, projection de Persepolis de Marjane Satrapi. >MK2 Bibliothèque à 20h

JEUNESSE

08/11

Ciné BD À l’occasion de la sortie de L’Original, le huitième tome des aventures de Pico Bogue, rencontre avec les auteurs, projection du film Mon voisin Totoro et ateliers pour les enfants. > MK2 Quai de Loire à 10h30

jeunesse

14/10 (jusqu’au)

MK2 BOUT’CHOU Au programme : Clochette et le Secret des fées, Clochette et la Fée pirate et Winnie l’ourson. Bienvenue dans la forêt des rêves bleus. >MK2 Nation, Quai de Loire et Bibliothèque les mercredis, samedis et dimanches en matinée

14/10 (jusqu’au)

MK2 JUNIOR Au programme : Blanche-Neige et les Sept Nains, Les Aristochats et Le Roi Lion. >MK2 Grand Palais, Gambetta et Quai de Seine les mercredis, samedis et dimanches en matinée

UN IGLOO DANS LA VILLE Frozen Yogur t : glaces au yaourt

THE SUNKEN CHIP Fish & Chips : poisson frais servi

KORRIGANS Crêpes : dégustation sur le pouce

SEÑOR BOCA Mexicain : tacos, burritos et autres

LA BRIGADE Carnivore : viande tranchée fine-

LE CAMION QUI FUME Burgers : burgers réalisés avec du

à 0 % de matière grasse et à base de lait écrémé, à déguster nature ou agrémentées d’une garniture.

plats mexicains cuisinés selon des recettes authentiques avec des produits importés du Mexique.

dans une panure croustillante, accompagné de frites maison et de purée de petit pois.

ment sous vos yeux, accompagnée de frites fraîches ou de courgettes et de salade.

de produits bretons de qualité : galettes, crêpes, caramel au beurre salé, saucisses...

pain de boulanger, du cheddar, de la viande hachée menu, accompagnés de frites maison.

RETROUVEZ LES JOURS ET HORAIRES DE SERVICE DE TOUS LES FOOD TRUCKS SUR WWW.MK2.COM

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