Journal de La Meute,N°06,La folie & Co.,Mars 2016

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Edito Une Meute littéraire, 10ème édition vous pré-sente le Journal de La Meute, Numéro 06. Le thème de ce nouveau numéro est « La folie & Co. ». Pourquoi la folie ? Pour la simple raison qu’il s’agit d’un phénomène social que nous pou-vons souvent observer autour de nous. Un sujet qui nous a donné du fil à retordre tant il est vaste et périlleux à traiter. Nous avons, humblement, tenté d’embrasser la folie dans sa globalité en abordant les axes nous ayant paru pertinents et importants, la situant au sein de la littérature et de la socié-té, de manière à donner des clés de lecture et de recherches aux lecteurs intéressés à développer ces derniers. Pour conclure, citons ceci : “La Raison c’est la folie du plus fort. La rai-son du moins fort c’est de la folie. ” –Eugène Ionesco-Journal en miettes“Jamais la psychologie ne pourra dire sur la folie la vérité, puisque c’est la folie qui dé-tient la vérité de la psychologie. ” –Michel Foucault- Maladie mentale et psychologieBonne lecture à tous !

Membres permanents : Lydia Saidi Lydia Ab Lyes Rezkini Aziz Salhi Djawad Rostom Touati

Contributions: Mirou Nassim Achour Wissem Aksouh Lyes Aimen Bennouna Fatiha Aberrane Nazim Alem M.Merad Nassim Mise en page WALID Francky

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Sommaire

Edito................................................................................................................................................. Sommaire...................................................................................................................................... Introduction ( Lyes Rezkini)................................................................................................... Petite histoire de la folie (Lydia Saidi)............................................................................... Étymologie/Sémantique (Lydia Ab)................................................................................

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La folie dans tous ses états

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En littérature Quelques fous dans la littérature étrangère ( Djawad Rostom Touati)......... La folie dans l’oeuvre de Rachid Boudjedra (Aziz Salhi)....................................... La figure du fou dans la littérature africaine et maghrébine (Lydia Ab)...... Tout se dissout dans le sommeil (Mirou).................................................................... Juché au sommet (Lyes).................................................................................................... Soleil noir ou la danse de la folie (Wissem Aksouh).............................................

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Dans l’art visuel et la musique La folie en photos (Aimen Bennouna)........................................................................ La folie en peinture (Aziz Salhi)....................................................................................... La folie au cinéma (Aziz Salhi)......................................................................................... La folie et la musique (Aziz Salhi)...................................................................................

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Sociologie, psychiatrie La folie: concept/fait (Lydia Ab) ...................................................................................... La psychiatrie moderne (Lydia Ab)................................................................................ Normal toi-même ! (Djawad Rostom Touati)............................................................ L’antipsychiatrie (Aberrane Fatiha)................................................................................ AKTION T4 ou l’holocauste psychiatrique (Lydia Saidi)....................................... La folie en Algérie (Lydia Ab)...........................................................................................

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Croyances et religions La figure du fou dans la religion (Lydia Ab)..............................................................

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Contributions La folie, le fou, le normal, l’anormal (Nassim Achour).......................................... Des hommes et des fous (Nazim Alem)..................................................................... Scénette: Le Banquet imaginaire (M.Mread)............................................................. Crépuscule (Nassim Alias Hugo Escobar)..................................................................

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INTRODUCTION Un bout de chemin pas tout à fait modeste. Tu es reconnu comme étant fou. Maintenant que cette phrase conventionnelle vient d’être larguée dans ton champ analytique de très estimé lecteur, tu es contraint, par courtoisie et par effet de réciprocité respectueuse, à aller plus loin explorer les quelques paragraphes qui vont constituer ce texte. Et comme janvier est le mois le plus saumâtre, le plus grumeleux, le moins pétillant de l’année, les plus sous-doués d’entre vous auront remarqué que jan-vier est passé, alors il n’est nullement besoin de prétendre que tu n’as point de temps à perdre vu que nous sommes en Mars. Merci pour ta compréhension et merci de m’épargner au maximum les assauts grotesques de tes en-thousiasmes hypocrites. C’est net, c’est sobre, et ça vole suffisamment bas pour que les grossiers trouvent ça vul-gaire.

Maintenant, mon ami(e), mon confident, prépare des tonnes de verveine et des quintaux de biscottes Bimo (sans vouloir offenser ta libido) et laisse de côté la mièvrerie d’un humanisme sanglotant, les miaulements effrayants, les brames emmêlés et ce monde facebookien entier qui glou-gloute sous la mélasse, la larme en crue et la honte sous le bras. Mais je sais, tu finiras par me bouleverser à force de ne jamais t’effondrer. Prends ma main cher lecteur et sombre avec joie, gaieté et nonchalance dans le monde acrobatique de la folie, la couronne au front, le sceptre a la main et la plume où tu vou-dras…Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, sache que moi aussi j’ai regardé « Fight Club », cela est dit uniquement dans le but de m’accrocher la sympathie du conglomérat gluant d’indécrochables sangsues qui prennent ce film pour une référence. Merci. Commençons.

Il n’y a pas de date fondatrice de l’histoire de la folie, mais tu as deviné qu’il existe des étapes. La Grèce classique fut l’une des premières à réfléchir sur la folie. Les «médecins-prêtres» de Babylone et de l’ancienne Perse pensaient que toutes les maladies étaient commandées par le démon, et les traitements fonctionnaient sur le modèle magico-religieux. La Grèce archaïque fonctionne aussi sur ce mo-dèle, subissant l’influence de l’Egypte ancienne. C’est à tra-vers l’ancienne Grèce que la réflexion sur la folie fut abor-dée à travers la mythologie et les poèmes Homériques : elle était vue comme le châtiment envoyé aux hommes en proie à la dé-viance. Le magico-religieux con-tinue de cheminer, les philo-sophes passant de la cosmogo-nie à l’anthropologie étudient la nature, l’organisation des corps ; la notion de maladie de l’âme repose sur une double prise de conscience : philosophique et médicale. C’est avec Hippocrate que l’on assiste à la véritable

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dissociation de la médecine et de la magie, et que les troubles mentaux sont expliqués sans faire appel à des causes surnatu-relles. Hippocrate pense que pour soigner la folie, il faut re-trouver l’équilibre des humeurs, et se doper à la plante de Man-dragore. Il a souligné l’importance des relations mé-decin-malade. Les concepts défi-nis dans la somme Hippocratique ont évolué au cours des siècles suivants, s’affinant mais aussi se compliquant. A partir du IIIème siècle après J.C, c’est un véritable arsenal thérapeutique qui est à la disposition des médecins. Pla-ton a étudié la déraison ou la démence dans les pages consti-tutives du « Timée ». Aristote prend en considération les rapports du moral dans l’explication des penchants des actes hu-mains. Il distingue, avec Platon, une folie mauvaise d’une folie bonne qui peut être créatrice. La réflexion théorique sur la folie ne progresse guère au Moyen Âge, il faut attendre le XIème siècle pour que les traductions faites à partir des traductions arabes redonnent

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vie à la réflexion théorique médicale, par suite à la folie. Peu désireux de s’attirer les foudres de l’Eglise, les méde-cins évitent de poser les problèmes de l’âme en termes médicaux. Pour ce qui est des pratiques de l’occident mé-diéval a l’égard de la folie, la charité et l’assistance sont deux valeurs centrales de la chrétienté médiévale, et les fondations hospitalières se multiplient en même temps que les villes se développent. Sauf envers le vieux cocker tordu d’arthrite et à moitié aveugle qui rêvasse au salon sur l’utopie de la charité, celleci dut se confronter aux con-traintes financières. Une ébauche de spécialisation s’esquisse à partir du XIVème siècle, ainsi qu’une laïcisation de la fonction et une grande médicalisation. Quelques communautés religieuses comme les abbayes Cisterciennes s’en étaient fait une spécialité…des fous… de leur interne-ment… avec une méthode fort atroce qui s’appelait le pèle-rinage thérapeutique. C’est un crève-coeur que de ne pou-voir aimer tous les hommes. Au XVIIIème siècle un contre-sens fut

véhiculé par les philanthropes, mais qu’on dit ne reposer sur aucune connaissance valable. Durant le moyen âge il y eut des représentations et récupérations de la folie à travers la littérature (roman courtois), les bouffons du roi, les fêtes des fous. La folie fut assimilée aux péchés ou à son opposée : la folie mystique qui conduit parfois aux « fous de Dieu ». Le moyen âge étant plein de pseudo-messies et de faux prophètes. Ce fut aussi la naissance d’une juridiction d’exception, l’inquisition. Allumez les feux. Le siècle d’or de l’aliénisme a vu le développement de la chirurgie et de la psychochirurgie. C’est plutôt de garder les fous que de soigner les malades dont il s’agit. La psychiatrie de la seconde moitié du XIXème siècle et du début du XXème affirme de nouvelles certitudes, en multiplie les classifications en créant de nouvelles entités. Siècle des travaux sur l’hypnose de Charcot, les découvertes de Freud, les troubles mentaux de l’alcoolisme, ceux liés à la toxico-manie née de l’enthousiasme provoqué par l’arrivée des analgésiques

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et anesthésiques. Puis vint le raz de marée antipsychiatrique des années 1960-1970. La révolution des thérapeutiques biologiques et des cures ambulatoires. L’élaboration d’une explication sociologique de la folie. Les causes de la folie ne seraient pas à rechercher dans le sujet mais hors de lui, dans un sys-tème de relation et dans un en-vironnement pathologique. A partir des années 1990 se déchainent des attaques en règle contre la psychanalyse. En 2002 ces attaques commencent à devenir féroces avec Jacques Bénesteau. Enfin, la folie a pris un état sim-plet et hyper médiatisé, comme le cliché new fashion de l’idiot du village crasseux et dépenaillé, à moins que ce ne soit des am-biances proches du Capharnaüm ou bien de la misère des petits annonces… pas forcément des petites annonces du coeur, du sexe ou de l’âme. Et puis c’est la fin. Faut pas exagérer non plus cher lecteur. Ça ne finit pas dans la nef des fous de Jérôme Bosch. Tourne la page et tu aimeras encore plus ce que tu découvri-ras. Comme le dit Des-proges : « Quoiqu’il en soit il faut qu’on cohabite, pour reprendre le cri d’amour du crapaud ». Par Lyes Rezkini

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Petite histoire de la folie « T’es fou ou quoi ? », « il a la folie des voitures… », « Baby, I’m crazy about you »…Folie, un mot qu’on déballe à tout bout de champ, qui pourtant change nos vies, nos

toire de la folie à l’âge classique », qui raconte les différentes perceptions que l’Homme a pu se faire à travers l’Histoire de cet état d’être qui lui est si proche et de ce fait si ef-frayant.

rapports, notre intimité, nous touche au plus profond de nous-mêmes. Un mot, qu’on ne cesse de trainer, de malmener, dont on modifie le sens comme bon nous semble, comme pour faire exprès, pour nous venger. Explorer la folie, c’est ex-

chez le psy. C’est dur d’aller chez le psy, vous rasez les murs, « le psy, c’est pour les fous ! ». Vous vous allongez, prêt à « confesser » et vous lui avouez non sans peine votre histoire de voix. L’homme vous répond ensuite avec une voix ferme, sobre, d’une distance cal-culée par des années de

plorer une face de notre humanité, qui longtemps est restée dans l’ombre et n’a jamais vu la lumière du jour. L’importance de cette historicité a été parfaitement saisie par Michel de Foucault quand il nous livrait en 1964 son « His-

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Un jour, tout d’un coup, vous en-tendez une voix, puis le lendemain deux, vous y ferez allusion et on vous répondra : quelle voix ? Deux deviennent trois et trois quatre et vous ne pouvez bientôt plus les compter. Tout semble être contre vous, votre famille, vos amis, votre conjoint… et vous décidez d’aller

Au fil des années, on pouvait basculer de « fou à lier » à « original », de « sorcier » ou « possédé » à « génie incompris » , tout était en proie à la spécula-tion : causes, traitement, et les définitions même s’entremêlaient.

re-cherches assidues que vous êtes schizophrène. Revenons des siècles en avant, vous affirmez entendre des voix, c’est la voix d’un démon si ce n’est celle du diable en personne. On appelle le prêtre, on vous troue la

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tète et si vous persistez, on prépare le bu-cher. La folie a été au cours de l’Histoire tantôt tolérée, tantôt dévalorisée et parfois même pri-sée, c’est le génie ! disait-on. Mais souvent, c’est la peur qui domine, car c’est l’inconnu qui développe chez l’Homme des craintes et par là-même des réactions souvent insaisissables une fois que l’on prend la peine de jeter un coup d’oeil sur ce qui se cache derrière le rideau. « La folie n’est pas dé-raison, mais une foudroyante luci-dité », disait Rejean Ducharme ; peutêtre est-ce pour cela qu’on les fuit ? Parce qu’ils voient ce que nous ne voyons pas ou ce que nous nous refusons à voir. La folie change, mais elle ne change qu’à travers les petits bouts de viande animés et pen-sants que nous sommes, nous la façonnons, nous lui changeons de termes, nous décidons quoi sous-traire d’elle et qu’en délaisser, mais ce n’est guère à tout le monde qu’est offert le luxe du choix. La folie est différente par sa quantité et son intensité, elle est en chacun de nous, dit-on, elle fait partie intégrante

de nous, une partie que nous acceptons sou-vent mais qui, à forte dose, nous dérange, nous handicape, nous fait souffrir, nous fait peur. Tou-jours cette peur… Selon Foucault, le fou évoquait la mort, la téte soi-disant vidée, rappelait le sort de chaque mortel, futur repas pour les vers. « Ce qu’il y a dans le rire du fou c’est qu’il rit par avance du rire de la mort… » . La peur de la folie a eu différentes causes et par là-même différentes réactions. La cause principale reste toujours la Différence, mais d’autres causes fondées ou non ont fait l’incroyable Histoire de la folie. Ce fut en premier lieu la Religion qui véhicula beaucoup de faux jugements. Monothéistes ou poly-théistes, c’étaient les Dieux ou le Dieu qui était (étaient) furieux, qui pour quelque péché, décidait de faire abattre sa colère. C’était le(s) Dieu(x) mais aussi souvent le Diable et compagnie qui prenaient possession du corps et qu’il fallait enchainer ou bruler. Ces histoires nous paraissent aujourd’hui bien loin, pourtant en prendre compte n’est

pas de moindre importance. Ce qui nous parait aujourd’hui abominable, était parfaitement plausible dans un certain temps, qui dit que notre postérité ne s’indignera pas de notre époque actuelle ? Après la Religion, ce fut au tour de la Raison de faire ses massacres. Dans « Histoire de la Folie à l’âge classique », Foucault examine le rôle de cette Raison qui déterminera la condition des fous. « Je pense donc je suis », le verdict tombe. Le fou pense-t-il ? Est-il ? Le fou devient inhumain, animal, il est donc impossible de traiter « inhumainement » ce qui relève déjà de l’inhumain. Commence alors la confrontation entre Raison et folie…Voyez-vous,

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j’écris folie et on lit « Progrès », « Humanité », ce n’est pourtant pas le cas, car une bien pire sauvagerie s’installa envers les fous. Un nouveau cirque est né : on paye pour voir les fous se contorsionner dans des cages, on est horrifiés, fascinés, c’est l’adrénaline qui monte ! Mais à une distance bien méditée. Ces barreaux fixent les limites avec la Raison qui les dévisagent de l’autre coté. La distance est parfaite, on ne se sent plus menacé par trop de ressem-blance. L’Histoire nous offre ainsi maints exemples codifiés, qu’il nous est nécessaire de déchiffrer, patiemment et méticuleusement car elle est tou-jours vouée à la répétition et nous en viendront avec l’exemple nazi des siècles plu tard. Les fous sont donc tantôt tolérés, tantôt empri-sonnés. S’ensuit la création des asiles, ces lieux où se reflètent toutes les conceptions de la folie dans la société. Étaient donc enfermés tous ses margi-naux, on y trouvait des chômeurs, des homo-sexuels, des prostituées, des mendiants… bref, tout ce qu’on voulait éloigner de sa vue. Foucault quali-fiera l’asile

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de « toute une Raison aménagée pour la folie ». Un pêle-mêle de théories sur la folie se développe : c’est une passion qui déborde, c’est une maladie du corps, non de l’esprit ! C’est une affaire de volonté, c’est la liberté excessive, c’est une création sociale…L’affaire de la culpabilité est aussi vue sous différents angles : le fou est tantôt coupable, tantôt innocent. Quoi qu’il en soit, un mouvement de protestation s’installe bientôt pour dénoncer l’internement qui mêle les fous et les pauvres et avec la révolution industrielle, la ré-serve de main d’oeuvre est prête à l’emploi, la folie est isolée. La lumière est donc jetée sur la folie seule, un tra-vail de classification est mis en place, certes subjec-tif et très peu rigoureux mais qui ouvre la porte aux recherches. Il est pour nous très étrange au-jourd’hui de constater combien il nous a fallu de temps pour traiter d’une façon « convenable », humaine (si toutefois nous ayons aujourd’hui réus-si) les personnes atteintes de troubles psy-chiques, et c’est bien le grand défi que nous impose l’étude de cette Histoire tumultueuse : la remise en compte continuelle de nos conceptions et leurs impacts souvent implicites mais fatals.

Par Lydia Saidi

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Etymologie/Sémantique

Son étymologie : Le mot « Folie » défini selon les dictionnaires. -1798- : 18ème siècle, terme emprunté du latin « Fo-liatus » ou « Folium ».Terme de Chimie, réduit ou préparé en petites feuilles. -1932- : -Troubles de la raison, dérangement de l’esprit. -Manque de jugement qui va jusqu’à l’extravagance. -Gaieté excessive. -Excès, écarts de conduite. 1- Le mot folie vient de fol, «enflure, bosse, gros-seur»,

puis de folis, «soufflet, sac, ballon, outre remplie de vide». Dans son sens étymologique, le fou désigne «celui qui est aveugle à la sagesse de Dieu et qui est acharné à sa perte». 2- Le mot « Mainomai » en Grec désigne le mot « fou » en français. Il vient du mot primaire « mao » : soupirer à travers le désir ardent insensé. 3- Le mot « fou » est le mot « ma-j-nou-n) en arabe, un adjectif venant de la racine « » (janna) qui veut dire : voilé

ou être couvert. Et « » (ra-ba-âk-lou-hou) correspond à l’expression en français : perdre la tête. Note : Alain Rey dans –Dictionnaire historique de la langue française- indique que pour l’ensemble des emplois du mot « fou », c’est l’idée de « hors norme » qui domine, le contraire de la raison. Au 11ème siècle, l’adjectif « fou » vient du latin « fol-lis » qui signifie « sac ou ballon gonflé d’air ». Ap-paru en français au Moyen-Âge, un fou est celui qui a du vide dans la tête. Au 20ème siècle, avec l’avènement de la psychiatrie, il est remplacé par les mots « malade mental ». Qu’en est-il de sa sémantique ? Le mot « folie » embrasse un champ sémantique vaste au Moyen-Âge, il n’y avait pas une mais plu-sieurs sortes de fous, distingués par des mots diffé-rents, parmi eux : - Dervé, forme picarde

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de desré, mot qui vient de derver : «rendre, devenir fou». - Forcené, c’est-à-dire «le fou furieux». Il est souvent dangereux, incontrôlable, se livrant à toutes sortes de violences. - Orgoil, du francique urgôli, signifie «fierté, démesure». - L’hybris grecque désigne «celui qui dépasse les règles de la société». - Descuidier est le «comportement original de celui qui perd la tête». - Desverie «folie plus ou moins violente». - Forsené, enragié «folie médiévale». Le desré, en ancien français est le fou de nature, le simple d’esprit, le sot, le niais, l’écervelé. Le fou d’amour est celui qui abandonne la réalité en faveur de l’adoration obsédante de sa dame. Le fol amour est l’amour impudique et bassement sensuel. Il existe aussi le fou professionnel, ou fou de la cour royale : « Le fou du Roi ». Cependant, il y avait une distinction dans le traitement des fous. Le fou avait le choix de finir soit en prison car il était considéré comme fou furieux et

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donc dangereux pour les autres ; soit à l’Eglise car il était possédé et donc avait besoin de se faire exor-ciser ; soit à l’hôpital car il était mélancolique ou victime d’humeurs. Parmi ces fous de mauvaise augure, il y avait aussi ce fou considéré comme un être inspiré, faisant l’objet d’illuminations, car il pouvait fournir une vision du monde qui échappe à la coutume : il dé-tenait la connaissance !

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Par Lydia Ab


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En littérature... Quelques fous dans la littérature étrangère. Dans une touche de folie, racontés en vers Camus, toqué d’absurde, chantre du non-sens Croit voir cette marotte chez Caligula Fou sanguinaire, sombrant dans la démence Après la perte de sa chère Drusilla Montherlant, pour qui l’action est une gale: «On se gratte et c’est tout», peint Jeanne la Folle De l’Espagne ébranler le puissant Cardinal Atterré de la vanité de son rôle Zola, ce vivisecteur des tempéraments Nous peint la folie engendrée par le remord Thérèse s’est crue libre d’aimer son amant: Le défunt mari les poursuit jusqu’à la mort Shakespeare nous montre la folie feinte Pour tromper son monde, par l’ingénieux Hamlet Tandis que Lear, roi mortifié des atteintes De l’ingratitude, perd vraiment la tête Cervantès, parodiant les récits romancés De la chevalerie, nous peint un songe-creux Contre des moulins à vents, furieux, s’élancer Quichotte, chevalier plus fantasque que preux Quant à Érasme, l’éloge de la folie Lui sert de meurtrière d’où l’on mitraille Sans crainte ni ménagements l’ordre établi En enduisant ses traits du fiel de la gouaille Hélas! aujourd’hui, combien de faux subversifs Histrions grotesques, posent aux fous créateurs Veules, sans talent, au fond soumis et passifs Marionnettes déguisées en agitateurs Bouffons du système, portés au pinacle Poseurs singeant la critique corrosive Aujourd’hui, dans la société du Spectacle Seule la raison demeure subversive. Par Djawad Rostom Touati Le Journal de La Meute, N° 06, La folie & Co. Mars. 2016

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En littérature...

La folie dans l’oeuvre de Rachid Boudjedra Rachid Boudjedra est sans doute l’un des auteurs algériens à avoir abordé la folie de manière récur-rente et abondante dans ses oeuvres. L’Insolation, l’Escargot Entêté, Journal d’une femme insom-niaque et bien d’autres romans sont caractérisés par le côté obsessionnel de leurs personnages. La Répudiation, son premier roman, présente dans sa première scène un protagoniste en cure psycha-nalytique qui, tout au long du récit, va revenir sur son passé mouvementé. On dira, pour l’anecdote, que cette scène préambulaire n’est que le prolon-gement de ses textes ultérieurs, ces der-

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niers étant souvent structurés autour d’un traumatisme en rapport avec l’enfance agitée du personnage ; ce qui conduit celui-ci, d’une manière finalement co-hérente, à produire des questionnements identi-taires et linguistiques troublants. L’Escargot Entêté, quant à lui, raconte l’histoire d’un responsable de la dératisation, un fonction-naire solitaire et maniaque qui s’intéresse de ma-nière obsessionnelle et drôle à la sexualité de l’escargot, en prenant soin de noter sur des bouts de papier tout ce qui lui passe par la tête. Ce ro-man, superficiel au premier abord, entraîne le lec-teur au fil des pages dans une vision critique bar-bare de la société, de l’administration et de la reli-gion. Une écriture teintée d’un humour burlesque qu’on confondrait facilement avec la folie. Dans un double jeu de la folie, d’autre part, l’Insolation se propose de combiner le clinique et le littéraire. Le personnage principal, un ancien en-seignant de philosophie enfermé dans un hôpital psychiatrique, essaye, à travers un récit où s’opère un dédoublement de la réalité, de saisir le monde

qui lui échappe. Son erreur : «avoir voulu déjouer le piège des traditions archaïques et des conventions sociales». La folie, ici, comme dans les autres textes de Boudjedra, n’est pas vraiment patholo-gique mais plutôt allégorique d’une conception, un moyen de dénoncer la gravité d’une situation. L’asile, par conséquent, serait le microcosme de la société que l’auteur veut dépeindre. Une autre dimension du texte est la division du monde en deux : il y a l’asile d’un côté, et le monde extérieur d’un autre. Cette opposition des deux mondes – si nous aussi voulons philosopher – va de pair avec l’opposition des valeurs ; car si l’on considère cet ancien enseignant comme homme d’esprit injus-tement marginalisé, se pose alors la question de la norme sociale. C’est un peu ainsi que la folie pour Rachid Boudje-dra constitue un outil dénonciateur des tares de la société.

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Par Aziz Salhi


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La figure du fou dans la littérature africaine et maghrébine : La présence du fou dans les sociétés africaines n’est pas considérée comme anormale. La figure du fou appa-rait comme un outil de détournement de la censure par exemple, l’auteur fait dire au fou ce qu’il ne pourrait dire lui-même car le fou est censé n’avoir pas toute sa tête et donc tout ce qui pourrait venir de lui est fantai-siste. Le fou permet à l’écrivain nigérien Wole Soyinka de contourner la censure de la langue puisqu’il le fait parler dans le dialecte de sa tribu. Le fou a ceci de particulier qu’il est un moyen de dépassement de soi. Au Maghreb, nous citerons Ben Jelloun, écrivain marocain, ayant joint la sagesse à la folie dans son oeuvre -Moha le fou, moha le sage- où l’écrivain expérimente cette écriture assimilée au Surréalisme d’André breton ; le texte n’étant pas chronologique, le lecteur peut s’y perdre et trouver dans le fou une nouvelle réalité,

celle de la sagesse. Ce que j’ai pu retenir de mes recherches est que la figure du fou est jointe au Sacré et que les deux vont en-semble. Le fou est cet illuminé de Dieu, Lequel, à travers lui, Parle et s’Exprime, comme le confesse Ibn Arabi lorsqu’il explique sa manière d’écrire. Il est aussi ce moyen de transgression des règles de la bienséance ou de dicta-tures de la pensée. Il est aussi ce sage à qui, dans le village, nous allons demander des conseils ou qui nous conte la philosophie de la vie. Il n’est pas écarté ni marginalisé, il apparait comme

un personnage respecté et écouté. Il apparait aussi comme une représentation de l’errance, de la fuite ou d’une quête mystique à travers un voyage ou un pèlerinage. A travers lui, les expériences d’écritures peuvent se faire sans crainte, ainsi l’écriture automatique prend tout son sens dans le non-sens. La folie n’est plus qu’un état d’esprit, auquel on s’adonne pour produire une oeuvre qui se veut engagée et réaliste car comme disait Blaise Cendras, « la folie est le propre de l’homme ».

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Par Lydia AB

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En littérature... Contributions

Folie sans nom « Tout se dissout dans le sommeil, la joie comme la douleur », a écrit Goethe dans Faust. Mais le sommeil de la raison crée des monstres ! Rétorquai-je. Je ne me rappelle plus quand est-ce que j’ai commencé à ne plus dormir, je sais que ça dure depuis assez long-temps pour que ça devienne un fâcheux trait de caractère… A vif, j’ai décidé de mourir les yeux grands ouverts car l’effet de surprise me terrifie… Il me semble que tout est surmontable du moment où j’en suis avisée la seconde qui précède l’horreur… Aussi absurde que cela puisse sembler de l’extérieur… Mais si j’en suis arrivée à ça, à un certain croisement de ma vie ce sont de mauvaises rencontres que j’ai faites… N’empêche, chaque soir tombant, je sécurise mon milieu absurdement… Je canalise ces démons qui virevoltent autour de mon spectre… J’essaie du moins, Et j’attends ! Ce satané tartare qui ne se pointe pas ! Le plus effrayant étant la solitude de l’âme Se retrouver seule est une situation anxiogène Du coup je baisse rarement la garde quand je la joue solo Mes heures de repos et de rêves anéantis, je m’épuise en conséquence mais ma peur du terrible est invincible Éreintée, ma raison tangue entre deux mondes C’est alors que mes cauchemars et mes rêves se confondent pour engendrer une chimère abominable « C’est comme cela, quand ma vie et l’enfer s’envoient en l’air » Je m’y habituerai je pense, forcément, mais comment ; et à quel prix ? Celui des déboires de santé assurément, Car la folie me guette j’en suis persuadée, Elle m’attend de pied ferme au bout de ce tunnel qui s’étire vers la fin L’important est de tout anticiper n’est-ce pas ! Surprise ! Je me prends à voir en éveil cette foutue chimère « M’adonner avec joie à cette ordure qui fait la haine » Je le charme, je le séduis, lui, ce monstre qui dévore les poupées ! Coup de massue ! Je dégueule ! Le réveil est dans la Mort tant souhaitée, m’arrive-t-il de délirer Le malheur marche côte à côte avec moi Mais il ne m’aura que Révoltée ! Par Mirou

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Juché au sommet de mon Afrique J’observe les bizarreries du monde de mes yeux globuleux. Je ne me reconnais plus entre ma folie et celle d’autrui. Le matin je sors prendre l’air, question de surmonter mes angoisses. Je lève la tête vers le haut, en essayant de voir le croissant et l’étoile, mais je comprends très vite que la Grande Ourse joue à cache-cache ces matins-ci ! Je murmure quelques prières en espérant une réponse. Soudaincoup mes deux globuleux aperçoivent le ciel déconner en goutte-à-goutte. « C’est impoli de cracher sur les gens, fou ciel ! » J’aperçois le goéland révolté posé sur le gros câble. Il ne craint point la mort. Lance merde et injures sur autrui : « Pute ! Pute ! Pute ! » « Heureusement ma mère est absente. » Dans mon quartier le pissenlit pousse sur le goudron, les sacs de plastique à la place des mimosas… Et les ca-méras de surveillance dans les balcons de mes voisins. Chaque jour, mon beau Rousseau pisse sur chacune des portes de mon immeuble. Aujourd’hui, Rousseau viole la belle siamoise juste sous ma fenêtre. « Encore heureux ma mère est absente. » « Tu satisfais ton ventre et ton bas ventre ! fou chat » Plus haut dans la campagne je jette au singe des cacahuètes. Après les avoir dégustées, il me remercie en me montrant son sexe ! Dans les bois, le chien lépreux lèche la crotte de la chèvre. Et les moutons boivent la pisse de leurs égaux en crispant leurs lèvres comme des chiqueurs. « Une fois de plus ma mère est absente. » Tout être, et à plus forte raison tout animal, a sa propre folie… Mais celle des hommes dépasse de loin celle des animaux. En tous les cas, moi, je ne suis pas fou. Mais vous devriez savoir que les fous ne savent pas qu’ils sont fous. J’aurais aimé vous raconter ma folie mais j’ai dit assez de conneries comme ça. « Je déchire cette feuille ma mère arrive. » Par Lyes

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Soleil noir ou la danse de la folie. Dans la Sierra Tarahumaras, dans ce Mexique fantasmé et fantasmagorique, un Blanc se livre à un rêve éveillé, à son rêve. Voici que les croix s’embrasent, frôlent la Terre rouge, elles en appellent au Dieu-Soleil, elles forment un cercle, un système autour duquel le feu sacré se consume, invoquant au banquet des mortels, le Soleil noir. Le Blanc est fasciné, son rêve païen affolant fuit une Europe maté-rialiste et ruinée, n’offrant plus qu’une poussière de culture, selon ses dires, un ersatz comme mode de vie, dépouillée d’une matière spirituelle, fossoyeuse des esprits. Cet homme n’est personne d’autre qu’Antonin Artaud : voulant réinventer le théâtre et la poésie, voulant vivre la poésie du plus profond de ses tripes et de son âme, il s’enlisa dans une série d’échecs, goûta aux trips étourdissants de la drogue, sombra dans sa propre folie. Pourtant, las d’un échec programmé, d’une excommunica-tion du groupe surréaliste par André Breton, il décida de faire prendre racine à son rêve, et ce fut cette Terre

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rouge, si puissamment poétique, où les morts valsent et revivent en envahissant les rues dans un carnaval de couleurs (El Día de los muertos) et où les mythes incarnent son idéal : celui de retrouver une unité transcendante avec le monde des esprits. Comme un refuge avant le naufrage, son rêve prit forme lors de cette danse du peyotl, brouillant les limites de sa folie, de la folie tout simplement, ce n’était plus cet homme rongé par la maladie et la drogue, c’était cet être purifié qui allait assister à l’arrivée de Tutuguri, le Dieu-Soleil. Certains historiens doutent de l’au-

thenticité de ce voyage anthropologique parmi les Tarahumaras, quoiqu’il en soit, Antonin Artaud en fut profondément marqué, à jamais, consacrant sa période post-mexicaine enfermé dans son rêve, de sorte à le revivre en boucle, à le retranscrire sans cesse, occupé à réinter-préter l’appel du Dieu-Soleil. Il se fît prophète de son rêve avant de sombrer, inévitablement, dans sa folie – ou dans son rêve, se faisant chaman, sage d’une époque où l’art perdit de son innocence, de sa virginité. Ce fut l’asile, les électrochocs. Le Diagnostic ? « Syndrome délirant de structure para-noïde,

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idées actives de persécution, d’empoisonnement, dédoublement de la personnalité, excitation psychique par intervalle, toxicomanie ancienne ». Sous d’autres cieux, dans une contrée tellement lointaine de notre Méditerranée, dans la Pa-trie du Rugby et des hommes (et femmes) tatoués, a vu le jour une écrivaine qui doit sa vie à l’écriture. L’écriture comme thérapie, donc. Janet Frame, néo-zélandaise, a souffert toute sa vie d’une condamnation inique envers sa différence. Trop timide, trop

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« freaky », trop conditionnée par un milieu familial qui lui refusait son envol. Institutrice tu seras, institutrice elle fut. Et vint le jour où la sentence tomba, cette âme sensible et introvertie fut condamnée pour schizophrénie. Huit ans à subir des électrochocs, une lobotomie programmée. L’écriture fut salvatrice, elle continua d’écrire et remporta un concours pour son recueil de nouvelles « The Lagoon and other stories», finalement il fut décidé de la libérer, elle quitta cette Nouvelle-Zélande qui s’acharna à lui imposer une identité factice, et découvrit en Angleterre qu’elle n’avait jamais souffert de schizophrénie. Peut-être que ces auteurs que nos sociétés s’acharnent à définir comme « fous », ne sont en réalité que des chercheurs de rêves dans une société si hermétiquement close aux flux oniriques, à l’amour et la liberté. Comme une menace à sa propre folie et à sa morne « réalité ». C’est ainsi que Janet

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Frame écrivit : « Je sus que j’étais une rêveuse, simplement parce que la réalité m’apparaissait trop sordide, soumettant année après année nos rêves à un déclin impitoyable. » Pourtant, cette société ressemble à cette fable qui raconte qu’il y a très longtemps vivait un roi et son épouse, aimés de tous. Un homme jaloux et envieux de l’amour que le peuple vouait au roi, tenta d’empoisonner le roi avec une potion qui rendait fou. Il y avait là une rivière divisée en deux, l’une coulant vers le château du souverain, et l’autre au reste du royaume. Mais l’homme empoison-na la mauvaise rivière. Le roi découvrit l’auteur de cet empoisonnement, et pour punir l’envieux et rester toujours auprès de son peuple, but de cette eau : seul l’auteur du projet malsain n’y eut pas droit et passa pour fou auprès des gens du royaume, voué à être banni de la société. Auteurs fous ? Ou simplement des êtres éveillés, vivant leur rêve. Par Wissem Aksouh

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Dans l’art visuel…et la musique La folie et la photographie La folie, avec ce qu’elle englobe comme pathologies, a des causes, qui mettent en confit l’esprit d’une personne ; des hallucinations, ou encore entendre des voix inexistantes, sont les fabrications de l’esprit malade qui se manifeste par l’expression du Corps. Autrefois et précisément au Moyen-Age, on croyait que c’était l’âme qui était atteinte par une force maléfique, démon ou diable selon les interprétations, car l’expression des corps ressemblait aux cas de possessions dont l’institution religieuse s’occupait. L’exemple le plus étudié du conflit intérieur de l’esprit traduit par son expression corporelle était l’hystérie, comme on peut le voir sur l’image :

Afin de mieux comprendre ce genre de phénomène, des Aliéniste, plus couramment appelés psychiatres, ont décidé d’introduire la photographie dans le traitement des patients, afin de mieux comprendre leur compor-tement, et mieux arriver à l’expliquer, car s’introduire dans l’esprit d’une personne n’est pas chose facile, voire quasi-

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il faudra parler de Odilon Redon (1840-1916), l’un des maitres dans l’art moderne ; alors que les artistes de l’époque s’intéressaient aux couleurs et à la conquête de la lumière, Redon lui utilisait la mine de plomb, des dessins en noir et blanc, sombres, exploraient les tréfonds de l’âme humaine, il imaginait l’obscurité de l’intérieur humain, l’esprit prisonnier de sa pensée, comme illustré dans ses diverses représenta-tions carcérales. On peut le voir dans ce dessin très représentatif de cette folie imaginée par Odilon Redon :

ment impossible. On citera parmi ces psychiatres Jean Martin Charcot (18251893), le premier à avoir introduit la photographie dans le domaine psychiatrique ; les photographies comprenaient les visages, les corps, les regards, et sont devenues tout un art qu’on appellera l’art brut dans la photographie. Mais pour le comprendre

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En littérature... Contributions

C’est dans cet esprit qu’on fait connaissance avec Hugh Welch Diamond (18091886), l’un des pionniers de la photographie en Angleterre, surintendant du département des femmes au County Lunatic Asylum du Serrey. Diamond a dû côtoyer un grand nombre de malade mentaux, qu’il a mis sur pellicule avec leurs regards vides, l’expression neutre de leurs visages. On peut voir sur ces photographies à quel point le monde extérieur est insignifiant à l’esprit du patient, et que ce qui entoure l’enveloppe physique du fou lui est indiffèrent, comme on peut le voir sur cette photo prise par Diamond, qui montre l’une de ses folles :

Bien sûr de nos jours la folie n’est presque plus un mystère, elle n’a plus rien de mystique, la science a évolué et la compréhension des malades aussi, mais les expressions du visage des fous sont à ce jour restées les mêmes que celles des clichés photographiques magnifiquement sombres, reflets des tréfonds encore plus sombres de l’âme ou de l’esprit… Par Aimen Bennouna

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La folie dans l’art Nous aborderons dans ce dossier la folie dans l’art et les rapports qu’entretiennent entre elles ces deux notions. La folie a laissé des empreintes dans tous les arts ; en peinture, en mu-sique, en cinéma, comme en littéra-ture, on peut facilement citer des centaines d’oeuvres qui font réfé-rences aux troubles mentaux. Ce thème a de tout temps exercé une influence sur les artistes, cela s’est manifesté soit par une volonté repré-sentative, soit parce que les artistes eux-mêmes, dans certains cas, sont atteints de folie. Nous verrons à travers l’esquisse de certaines oeuvres comment les diffé-rentes formes de la folie, comprise au sens le plus large et le plus usuel, se sont manifestées dans l’art à travers les âges, de l’antiquité aux temps modernes.

La folie en peinture Difficile de faire un portait historique complet de la représentation de la folie en peinture quand on sait que beaucoup d’oeuvres – peut-être l’essentiel, qui sait ? – ne nous sont pas parvenues. Parce que ni l’art ni les troubles mentaux ne sont le propre d’une époque ou d’une géo-graphie. Affirmer le contraire relève-rait de la divagation. Ce serait donc un travail d’historien que de faire cette investigation à laquelle sans prétention on compte s’atteler. Faire une analyse et dégager des lois générales serait un travail ambitieux, mais on estime qu’en manquant d’éléments cela n’aurait pas de sens. Les travaux entrepris dans ce domaine ne se sont

pen-chés que partiellement sur la question, sinon de manière sélec-tive et monocorde en vue de tirer des thèses ou d’élaborer un sens historique. Il serait, par conséquent, plus judicieux et plus prudent d’exposer des oeuvres, des personnages et des faits de façon juxtaposée sans essayer d’en tirer forcément une théo-rie. Après, le lecteur est libre de s’en faire sa propre opinion. L’une des rares illustrations qui se rapportent à la folie nous parvient de l’antiquité, c’est une peinture sur un cratère en calice éturien datant VIe siècle av J-C, réalisé par Exékias, sur le vase est représenté le suicide d’Ajax,

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fils de Télamon, figure majeure de la guerre de Troie. L’oeuvre se veut un arrêt sur image. Le suicide du guerrier survient suite au refus des chefs de l’armée salaminienne de lui remettre les armes d’Achille. De colère, il perd ses esprits et se précipite hors de sa tente et va massacrer de vengeance un troupeau de moutons, les ayant pris pour ses chefs... Reprenant ses esprits, Ajax a honte. Il se suicidera avec l’épée qu’il avait reçue d’Hector, et c’est cette scène qui sera décrite sur le récipient. On passera d’Athènes à Nejd, et de la folie de l’honneur à celle de l’amour. C’est la terre d’Arabie qui attirera notre attention

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avec l’histoire de Qaïs et Leila. Un point commun entre Ajax et Qaïs : le désenchantement. Le refus de la famille de Leila d’accorder la main de leur fille à Qaïs poussera ce dernier à la folie. Il sera connu dans la région sous le nom de Majnoun Lei-la. L’histoire inspirera beaucoup d’artistes, et des centaines de peintures illustrant les péripéties tragiques des jeunes amants seront réalisées ;parmi les plus célèbres sont celles qu’utilisera le poète persan Nizami Ganjavi dans son recueil Khamseh, qui illustrent ses poèmes de manière hautement artistique et dont on attribue la réalisation, comme l’indique des notes sur un manuscrit original, à Behzâd et Mïrak, grands maîtres de la miniature persane, et d’autres à des auteurs moins connus comme Abdar-Razzâq et Qâsim Alï. Un peu plus tard, vers la renaissance – et c’est sur cette pé-riode que les critiques se sont le plus étalés – on retrouvera plusieurs tableaux appartenant à l’école flamande mettant en scène la folie ; les plus célèbres sont celles de Jé-

rôme Bosch qui se veulent une critique sociale et moraliste. Avec sa Nef des fous, il fait la représentation d’un groupe de personnes navi-gant sur une barque, parmi lesquelles figurent des membres du clergé jouant de la mandoline et jouissant dans la luxure. Inspiré de l’ouvrage de Sébastien Brant, le ta-bleau illustre de manière symbolique comment l’éloignement de Dieu en-traîne la dérive des hommes. L’égarement des âmes, ici, est expri-mé symboliquement par la folie qui laisse la barque voguer à sa perte. L’Extraction de la pierre de folie, un autre tableau de Bosch, plonge dans le même esprit. On voit sur le tableau un moine et une religieuse assister à la scène – pour le moins grotesque – de l’extraction d’une pierre du crâne d’un homme, dont la naïveté le fait se soumettre à l’approbation de l’église, et aux conseils d’un charlatan dont la folie semble plus grande que celle dont on accuse le patient. Plusieurs tableaux se rattachant au même thème furent peints à la même

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époque, tous d’origine flamande. On citera à titre représentatif Adriaen Brouwer, Pieter Huys, Andries Dirksz Both, Jan de Bray et bien d’autres. S’étaient-ils inspirés de la réalité ? Ou était-ce, de leur part, une tentative de reproduire Bosch ? Des questions sujettes à controverse. Quelques siècles plus tard, Antoine Wiertz, ce philosophe au pinceau, nous offre un tableau glacial et ma-gistral : Faim, folie et crime. Ce peintre humaniste, qui souscrit au mouvement des Lumières, incarne sur sa toile l’effroyable scène d’une mère que la misère conduit à la folie et au meurtre de son enfant. Le titre de la toile dépeint assez bien le che-minement tragique de la condition du personnage. Son contemporain, Fran-cisco Goya, fera des portraits à l’intérieur d’asiles d’aliénés, dont les plus marquants sont sans doute sa Maison de fous et son Enclos des fous, qui dénoncent froidement le mauvais trai-tement que subissaient les internés. Dès le début du XIXe siècle, beaucoup de tableaux qui

traitent du trouble mental seront fait, cela coïncidera avec la grande révolution des sciences sociales et notamment l’essor de la psychiatrie. A l’image de Goya, d’autres artistes feront ce travail. Théodore Géricault exécutera une série de portraits réalistes sur la mo-nomanie qui constituent une sorte d’historiographie artistique. Les critiques les inscrivent au croisement de l’art et de l’institution psychiatrique, de l’idée qu’on a de la maladie et sa représentation picturale. Du côté des expressionnistes, contemporains de la psychana-lyse, c’est tout un mouvement qui semble s’imprégner des troubles psychiques. Les thèmes souvent abordés, chers à l’expressionnisme allemand, sont la peur, l’angoisse, et la folie. Le Cri d’Edward Munch est un exemple parfait de la peinture expressionniste. Chez ses voisins autrichiens, on rencontre Egon Schiele qui convertit le déséquilibre de l’âme en déséqui-libre du corps, faisant comme seul figure décorative des ex-pressions

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toujours théâtrales, grinçantes et troublantes. On ne peut pas conclure ce portrait sans citer le surréalisme, qualifié, à son apparition, de mouvement fou. S’inspirant, comme l’a indiqué André Breton, de la psychanalyse, les sur-réalistes cherchent, par divers techniques, à libérer l’homme des contraintes qu’imposent ses valeurs reçues. Dans ses pro-cédés, le surréalisme exploite la vie intérieure de l’homme pour la transformer en manière artistique. Le rêve, le délire, l’automatisme, l’inconscient, sont ses thèmes majeurs. Ainsi, les techniques employées dans cet art rendent, à certains égards, étroites les frontières séparant le fou du créatif. Selon Freud, les fous « savent plus long que nous sur la réalité inté-rieure et peuvent nous révéler certaines choses qui, sans eux, seraient restées impénétrables ».

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par Aziz salhi

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La folie au cinéma Pour traiter la folie au cinéma, un retour sur l’histoire de ce septième art s’impose. Parler de la folie reviendrait à dresser un portait d’un peu plus d’un siècle d’expérience, avec comme influences réciproques la conception évolutive de cette notion dans les autres do-maines et dans la culture populaire. Les approches de ce thème par les cinéastes sont parfois hétérogènes, mais on pourrait néanmoins distinguer trois phases successives qui, si l’on voudrait aborder le sujet de ma-nière chronologique, ont constitué les ten-dances essentielles suivies par les réalisateurs. Si ces derniers se sont intéressés à ce thème, c’est que la folie, d’une certaine manière, a de tout temps été un objet étrange, singulier et sensationnel. Voilà un premier constat. On pourrait croire que ce n’est pas un hasard que des réalisateurs tels qu’Hitchcock, Jodorows-ky, Kubrick, Scorsese et bien d’autres aient adopté la folie dans leurs oeuvres.

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Si l’on se réfère à la popularité d’un film pour saisir les dimensions de son impact sur le spectateur, cela révèlerait à quel point le per-sonnage du fou, traité abondamment, joue sur les affects des spectateurs. Un survol historique mettrait en exergue trois phases essentielles qui caractérisent le chemin parcouru par la folie, du drap du lit à l’écran plasma. Commençons par le réveil, en saisis-sant le drap du lit. Du début du 20e siècle jusqu’aux années quarante, le cinéma incarne souvent le personnage du fou dans des films d’horreur et des films fantastiques. Plongé dans un univers chaotique, le fou est considé-ré de manière appréhensive. Le trouble men-tal du personnage est un sujet de fascination et d’horreur. Cela illustre peut-être, pour psy-chanalyser un peu, les angoisses de l’imaginaire collectif et ses rejets instinctifs de tout ce qui n’est pas «commun». Le film de Fritz Lang, M le maudit, sorti en 1931 offre, sinon à titre exhaustif, du moins de manière exemplaire, la façon dont le fou était perçu par la société et le monde cinéma-tographique de l’époque. Le film raconte l’his-

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toire d’une grande ville plongée dans l’horreur après le meurtre d’une fillette ; le coupable, on l’aura deviné, n’est qu’un aliéné. Dans la même période paraîtra Frankenstein de James Whale : le fou, encore une fois, ne sera pas épargné. Inspiré du roman éponyme et de sa pièce de théâtre parue quelques an-nées auparavant, c’est l’histoire d’un savant excentrique qui souhaite créer un être humain à partir des morceaux de cadavres, et c’est le cerveau d’un détraqué mental que va fournir à ce corps l’assistant du savant. Le docteur comme sa créature sont tous les deux consi-dérés comme fous, il y a là aussi matière à spéculer sur l’inconscient collectif et le traite-ment qu’on faisait subir aux fous dans les asiles psychiatriques. Le film fait sensation et sera considéré comme l’un des plus impor-tants de sa période. Dans la même trame, on citera le Cabinet du docteur Caligari, où le directeur d’un asile psychiatrique se révèle n’être qu’un psychopathe. L’histoire est ra-contée par

Francis, un récit chaotique où se mêlent des rêves étranges et des visions folles, un décor bien fidèle à l’expressionnisme allemand. Vers la fin du film, on se rendra compte que Francis est lui aussi un fou. Début des années quarante, la représentation change. La psychanalyse progresse et se pro-page dans les milieux artistiques, son in-fluence sera manifeste dans les productions cinématographiques. L’inconscient est à la mode et rien de mieux qu’un personnage souffrant d’un trouble mental pour le repré-senter, c’est ce qu’on

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verra dans la Maison du docteur Edwardes d’Alfred Hitchcock : un film qui se déroule, une fois encore, dans un monde de fous. Hitchcock fera appel à Salva-dor Dali pour le décor surréaliste de certaines scènes, et à Ben Hecht, un scénariste très porté pour la psychanalyse. Pour la première fois, Hitchcock fera grand usage des enseigne-ments psychanalytiques tels que les souvenirs, les fantasmes et l’interprétation des rêves. Dans le même registre, on pourrait aussi citer Frenzy, où le protagoniste est un maniaque sexuel, l’Obsé-

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dé de William Wyler ou Psychose ; dans ce dernier, comme pour la Maison du docteur Edwardes, Hitchcock fera mention – d’abord dans le titre – des notions psychia-triques en illustrant, dans l’horreur et le sus-pens, le dédoublement de la personnalité. Bien que le fou, durant cette période, soit considéré à travers une optique un peu scien-tifique, il demeure toutefois un objet sensa-tionnel, un «singe de cirque» exploité par les grandes maisons de production comme Hollywood, qui trouvent plus rentable de repré-senter le malade mental comme criminel, obsédé sexuel ou psychopathe, que comme une personne souffrant d’un trouble et qui nécessite, plutôt qu’une stigmatisation spec-taculaire et constante, un regard humain et une aide psychiatrique. Ce changement de procédé chez les réalisa-teurs ne va s’opérer chez eux que vers le dé-but des années soixante-dix, et se manifestera par l’introduction de la psychiatrie, la psycho-thérapie et la

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psychanalyse dans leurs oeuvres comme éléments de soutien à la personne malade. Même si les lectures manichéennes demeurent présentes, le cinéma s’appuiera de plus en plus sur le milieu dans lequel évolue le personnage pour essayer de le comprendre. Le fou est enfin réhabilité au cinéma. Cela coïncidera avec la naissance des mouvements antipsychiatriques à la fin des années soixante. Ce coup de force radical qu’ont pro-duit des philosophes comme Foucault ou des psychiatres comme Basaglia ou Cooper, appelait à la fermeture des asiles psychiatriques car, étant des individus à part entière, les fous devraient être intégrés normalement dans la société. Le coup était brusque et avait soulevé d’énormes débats ; et DOSSIER SPECIAL LA FOLIEJournal n° 6 Mars 2016 6 13 POINT DE LECTURELa Meuterefusé, cela a permis néanmoins de repenser le rôle de l’institution soignante et le regard que porte la société à l’égard de ses malades. Cette effervescence aura

des répercussions sur l’écran. La mise en scène du fou au cinéma des années soixante-dix sera aux antipodes de celle des années trente. Depuis, la figure du fou au cinéma a beaucoup changé, dans le sens où il est de plus en plus admis, et cela essentiellement grâce à l’évolution des sciences et des techniques de production, et aux bouleversements qu’a tra-versés la société.

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Par Aziz Salhi


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La Folie dans la peinture

Peintre b ritannique populaire par s es peintures r eprésentant t oute une société de chats à la fin du 19e – début du 20e. Wain aurait commencé à présenter des symptômes de schizophrénie dès 1910 e t a été admis à l’hôpital psychiatrique e n 1924. L ’évolution d e sa peinture démontre l’influence de l a maladie sur sa r eprésentation du monde. Celle-ci se déstucture de plus en plus, devient étrange, inquiétante, menaçante.

Louis Wai n

Gustave Courbet (1819-1877) Le désespéré, 1843-1845 Huile sur toile - 45 x 54 cm Collection particulière

Vincent Van G ogh – V ieil homme t riste, mai 1890, Kröller-Müller Museum, Otterlo

Bosch me ô r Jé

Gogh

Vin cen tV an

Go gh

cault, Géri

Jérô me B o sc h La L ithotomie, également appelé La Cure de l a folie ou plus rarement L 'Extraction (ou Excision) d e la p ierre d e folie, est un tableau du peintre néerlandais Jérôme Bosch.

re do éo Th

Jérôme Bosch - l e jardin des délices (détail ) .

tave Cou Gus rb et t Van cen Vin

Jan Ma tejk o

Tableau du peintre polonais Jan Matejko (1838-1893), intitulé Stanczyk.

Vincent Van G ogh- l a cour de prison

Théodore Géricault, La Monomane de l'envie (vers 1821). La Monomane d e l'envie d e Théodore Géricault est une œ uvre appartenant au courant d u romantisme. C'est le portrait d 'une vieille femme atteinte d'une maladie mentale, la monomanie: une folie qui ne se manifeste que dans une situation précise, sur un seul point de sa personnalité.


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La folie et la musique Que serait la vie s’il n’y avait pas de musique ? Nietzsche dirait : une erreur, une fa-tigue, un exil. Et peut-être aussi, plaisantera-t-on, un monde sans folie... Musique et folie ont de tout temps entretenu des rap-ports étroits. La folie aura traversé tous les genres musicaux, n’épargnant ni fans ni compositeurs ; on retrouvera ses thèmes dans le raï, le RnB, le chaâbi, le rock, le pop, le metal, la musique psychédélique, soufie, classique, etc. Qu’elle soit romantique, colérique, mystique ou tout simplement relevant de la pathologie, la folie musicale entraîne les gens, à travers mélodies contrastées ou tempos singulierset désor-donnés, dans des univers de passions oscillant entre plaisir simple et état de transe. Le manque de ressources nous laisse un peu réduc-teurs en abordant ce sujet, en raison notamment d’une histoire centrée qui ne tient pas

compte de la réalité globale ; on ne prétendra doncd’emblée ni à l’exhaustivité ni à larigueur scientifique, espérant ainsi que le scepticisme du lec-teur sera plus bénéfique que le dogmatisme confor-table de l’auteur. On fera remonter les racines de la folie en musique à l’antiquité, on la retrouve dans la tradition homérique avec Ulysse qui entend le chant des sirènes dont le talent exceptionnel avait pour effet d’envoûter les marins qui, captivés par la magie

de leur chant, per-daient le sens de l’orientation, conduisant leurs bateaux jusqu’aux récifs pour être fracassés et dévorés ensuite par ces créatures. Et si la musique avait pour effet d’ensorceler les marins, on sait aussi qu’elle servait, dans la mythologie grecque, à guérir les gens. Il serait intéressant faire le lien entre Apollon, dieu du chant et de la musique, et son pouvoir de purification et de guérison, une croyance qui poussa les romains dès le Ve siècle av. J-C à lui élever des temples

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pour traiter, entre autres, les « maladies de l’âme » qu’on qualifiera, plus tard, de « troubles mentaux ». Asclépios, le fils d’Apollon et le dieu de la médecine, sera également vénéré, et des temples où l’on célébrait des rituels accompagnés de musique seront édifiés à son honneur. On croisera en Europe du Moyen-âge les bouffons du roi qui amusaient la galerie dans la musique et le vin, créant, pour ainsi dire, dans un langage familier : une « ambiance de fous », s’ins-pirant justement de la Fête des fous qu’étrangement organisait le clergé où, du-rant le jour du Nouvel An, toutes les conventions so-ciales tombaient pour lais-ser le peuple s’amuser de manière libre et satirique. Les origines de cette tradi-tion remontent aux Satur-nales, durant lesquelles les romains célébraient le dieu Saturne dans une grande réjouissance populaire ac-compagnée de musique et de poésie. Mais la folie et la musique ne sont pas propre à l’Europe, dans les cultures amérindiennes, austra-liennes, africaines et

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asia-tiques, on pratique depuis quelques millénaires la mu-sique durant certains rituels pour pouvoir accéder à un état de transe, qu’on peut considérer comme folie passagère. Ainsi, dans les sociétés traditionnelles, des cérémonies rituelles ani-mées par la musique sont pratiquées pour pouvoir « communiquer avec les esprits », tel que le chama-nisme chez les amérindiens. Des pratiques analogues sont observées chez d’autres peuples comme les Turcs, les Mongols, les Magyars, les Chinois et les Japonais. En Afrique du Nord, notamment en Algérie et au Maroc, sont pratiqués des rituels mystico-religieux qui tirent leur essence de l’Islam, dont les plus connus sont ceux que célèbrent les confréries des Aïssawa et des Gnawa. Durant des cérémonies où l’on chante et danse à l’honneur de Dieu et du prophète, beaucoup de personnes qui participent à la danse entrent dans un état second et sont dites possédées, grâce à une musique caractérisée par l’utilisation de la ghaïta chez les uns et le goumbri chez les autres et d’un ensemble polyrythmique d’instruments de percussion. L’état de transe n’entretiendrait pas un rapport causal avec la musique utilisée mais serait plutôt un médiateur sensible du phénomène observé. A ce propos, Gilbert Rouger explique que pour qu’une musique produise cet effet, « il faut réunir un ensemble de faits réglemen-

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tés par la société ». Dans les milieux de la contre-culture américaine, parallèlement au mouvement hippie, apparaît dans les années 1960 le mouvement psychédélique qui influencera largement l’univers musical. On n’accède plus au monde sensoriel par la ghaïta et le bandir comme on peut le faire ailleurs dans le monde, mais en utilisant des substances hallucinogènes telles que le LSD ou les champignons ma-giques, suite à quoi il apparaîtra plusieurs sous-genres musicaux dont le rock, le pop, la soul et la trance, respectivement psychédéliques. De tous les arts, disait Gilbert Rouger, la musique est sans doute celui qui a la plus grande capacité d’émouvoir, l’émotion qu’elle suscite pouvant aller jusqu’au bouleversement… voire à la folie. Par Aziz Salhi

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La folie comme concept et la pathologie men-tale comme fait Parler d’un sujet tel que la folie nécessite un basculement dans une autre temporalité, où les notions communes sont une sorte de miroir afin de mieux comprendre cet alter ego qu’est le fou. Au fil des siècles, le visage de la folie a changé ; selon les cultures et les sociétés la folie est devenue un masque, porté par nombre de gens qui ne répondaient pas à la norme so-ciale de leur époque. Depuis les Grecs qui ont découvert la « bile noire » jusqu’à nos jours, le fou fascine, effraye et intrigue. Cependant, partant du fait qu’au 21ème siècle, ce mot n’a plus véritablement le même sens qu’avant, et qu’il est malgré tout toujours associé aux maladies mentales, nous vou-drions définir la folie comme « concept », et l’opposer à la névrose pathologique comme « fait ». Un concept est par définition une chose con-çue, une création de l’esprit et selon le lan-gage de Kant, c’est toute idée qui est générale sans être absolue. En partant de là, la folie ne peut avoir de définition

définitive, bien que les dictionnaires aient dû lui en donner une. Le mot « folie », tel qu’il est défini de nos jours, est une invention récente, qui, certes, a perdu son sens originel (feuille), mais qui anime notre vocabulaire ordinaire et quoti-dien. Il peut tout aussi bien définir un compor-tement sortant de la norme sociale ou un comportement inconvenant, tout en signifiant un malade mental ou un génie en mathéma-tique. La folie ne se résume pas à la maladie et bien qu’il y ait eu des tentatives pour assoir ce mot comme maladie mentale, il n’est est rien dans le vocabulaire médical. Après avoir séparé la folie de la maladie, qu’en est-il des pathologies mentales et de leur trai-tement par notre société contemporaine et moderne ?

Le philosophe Foucault, dans « Histoire de la folie »1 traite de la notion d’enfermement, le sort réservé aux fous était de les enfermer, dans ce qu’on appelait, au 17ème siècle, l’Hôpital général ou les maisons de correction (asiles). (La médecine, à cette époque, parlait de ma-ladie des nerfs, de maladie des humeurs ou simplement de maladie de la tête.) Il étudia l’évolution de ces paramètres qui s’est faite de manière à ce qu’à la fin du 18ème siècle et au début du 19ème, se produise ce qu’on présente comme la libération des fous. 1 Michel Foucault, « Histoire de la folie à l’âge clas-sique ».

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Pinel, un mythe sublimé, loin de la réalité Nombreuses ont été les critiques à l’encontre de Pinel qui a, certes, libéré les fous de leurs chaines mais qui a aussi instauré leur isolement dans des asiles pour mieux les traiter …L’aliéniste aliénant… Philipe Pinel est un médecin généra-liste fraichement débarqué à l’hôpital de Bicêtre, il y mettra en oeuvre le traitement de l’aliénation mentale, qui deviendra la psychiatrie, en libé-rant de leurs chaines les fous et deux ans plus tard, les folles de la Salpêtrière. Cela aurait pu être un acte héroïque s’il n’avait pas été le point de départ du « grand enfermement », en effet, c’est à partir de là qu’au nom des Droits de l’Homme, il est plus aisé aux médecins de décider de qui détient la raison et de qui ne la détient pas, suivant la définition occidentale en générale et française en particulier de ce que l’Homme et la Raison sont censés être au temps des Lumières.

Notion de pouvoir : Michel Foucault nous donne une piste de réflexion intéressante quant à la notion de la folie comme prétexte légal pour exercer un pouvoir sur l’individu. Encore un, je dirai. En institutionnalisant l’enfermement des aliénés, il a été question, à mon sens, d’une volonté d’écarter le fou de l’humanité raisonnable et de le rétrograder au rang d’aliénés qui n’ont plus aucun droit fors celui d’être enfermés ; l’aliéné n’est plus considéré comme étant tout à fait un homme raisonnable mais plutôt une charge sociale qu’il est nécessaire de mettre de côté.. Les fous ont perdu leur humanité et les Lumières ont engendré leur misère, alors qu’on en garde une image bien plus sublimée, celle de ce que l’humain avait pu faire de mieux (peinture, écriture, politique…etc.)

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La psychiatrie moderne : Tout commence au 19ème siècle, dans les asiles de fous, les psychiatres étaient alors rien de plus que des soigneurs promettant de guérir le malade mental grave. La médecine traditionnelle ne les regardait pas comme de vrais docteurs et afin d’être pris au sérieux, il leur a été nécessaire d’avoir une approche plus scientifique et ainsi ils prescrivirent des médicaments à tout va. Les premières substances psychotropes utili-sées furent la morphine et l’opium. Ceci a engendré plus de méfaits que de réelles solutions de guérison puisque leur consomma-tion a engendré un état de dépendance élevé. Au début du 20ème siècle, l’héroïne fait son apparition comme étant la nouvelle substance qui guérirait tous les maux, mise sur le marché par les laboratoires MERCK et PARKE DAVIS et dont Sigmund Freud a loué les vertus.

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Dans les années 50, les amphétamines appa-raissent. En 1954, les firmes pharmaceutiques introdui-sent sur le marché la Thorazine, un véritable fléau mondial. Et pour finir cette liste, le Valium mais surtout le Prozac ont été introduits dans les années 60’-70’, ce dernier affirmant soigner la dé-pression a eu un succès sans précédent. Le processus est simple, les psychiatres com-mencent par promouvoir la nouvelle subs-tance puis des rapports dénonçant leurs mé-faits apparaissent dans les médias, s’ensuivent des années de démentis, le temps que ces mêmes psychiatres puissent trouver une nou-velle substance pour enfin finir par

le retrait de l’ancienne et placer la nouvelle sur le mar-ché. Ouf, un vrai travail de chef de produit. Ce très bref historique est suffisant pour étayer la théorie que les psychiatres et labora-toires pharmaceutiques n’avaient guère de prétentions vertueuses, à savoir aider le pa-tient à moins souffrir, mais qu’ils avaient plu-tôt des enjeux économiques et financiers à maintenir. Les campagnes de publicités qui ont été réalisées et les éminences comme Freud ou d’autres qui ont été sollicités pour argumenter en leur faveur montre à quel point ils étaient loin de l’éthique médicale (Freud recommande l’héroïne ! Sacré Sig-mund ! ). De nos jours, rien n’a vraiment changé, sauf qu’il est interdit de faire de la promotion mé-dia pour les psychotropes ou des médica-ments dont la prescription médicale est obli-gatoire. Cela n’arrête pas les firmes, évidemment, un bon marqueter est celui qui trouve toujours une solution pour écouler la marchandise. La solution qu’ont choisie

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ces firmes est de transformer les problèmes quotidiens de tout un chacun et donc communs au genre hu-main, en troubles psychiatriques qu’il est né-cessaire de soigner à coup de prescription médicamenteuse. Nous pouvons aisément constater qu’il existe une pilule pour chaque mal dont peut souffrir un être humain. D’ailleurs, dans le manuel DSM, le trouble dépressif majeur représente la perte d’un proche, un trouble d’angoisse de séparation remplace la nostalgie et la suspicion est deve-nue un trouble de la personnalité paranoïde. A en juger ainsi, nous sommes tous malades. Les problèmes émotionnels des gens sont bien réels, cependant, ce qui est intrigant est de constater que les psychiatres ont réussi le pari de convaincre ces gens que leurs problèmes quotidiens et ordinaires étaient des symptômes d’une maladie mentale, et qu’ils néces-sitaient un traitement médical à base de drogues ou plus communément appelés « psychotropes ».

Certains psychiatres pensaient que la maladie mentale découlait d’un déséquilibre des hu-meurs et qu’elle devait se traiter par des sai-gnées. D’autres pensaient qu’elle provenait d’organes comme les amygdales, l’estomac ou la rate et pour la traiter, ils les enlevaient. De nos jours, elle doit se traiter par le moyen de pilules censées rétablir un équilibre chi-mique dans le cerveau. Les psychotropes sont la nouvelle solution pour soigner la maladie mentale, cependant ils ne visent aucune anormalité physique vi-sible et mesurable. A tâtons, les psychiatres prescrivent des médi-caments sans réellement connaitre les maux dont souffrent leurs patients et sans connaitre les méfaits qu’engendrerait la prise de ces psychotropes. Aucun psychiatre d’ici ou d’ail-leurs ne peut déclarer connaitre les réels ef-fets que peuvent avoir ces pilules sur le cer-veau humain. Ainsi, pareil qu’avant, la maladie mentale est forcément située dans le corps

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humain, de nos jours, elle est localisée dans le cerveau. Seu-lement, les psychotropes qui sont un mélange de produits chimiques, risquent fortement de bouleverser tout le système nerveux du cerveau et l’organisme en entier. Les effets se-condaires liés à la consommation de ces pi-lules vient souvent du fait que ces dernières changent l’organisme et qu’il est difficile d’en connaitre les risques en amont. Pour faire un diagnostic de bipolarité par exemple, le psy-chiatre a besoin d’une dizaine d’années pour connaitre les symptômes de son patient et pouvoir ainsi le «traiter», une démarche basée sur une supposition (de maladie mentale), et un désordre chimique qui n’est pas prouvé puisque les médecins ne connaissent pas de quoi est fait l’équilibre chimique dit « normal » du cerveau. En serait-on arrivé à banaliser à ce point la prise de ces pilules ? Est-ce qu’en Algérie, la société souffre aussi de ces maux ? Des maux qui me paraissent avoir été fabriqués par une société occidentale

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Image par Amina Benboureche

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qui est dite moderne. Je ne cherche pas à remettre en question la présence de réels troubles mentaux dont les gens souffrent et n’arrivent pas à se délivrer, il est question plutôt de se demander pourquoi les firmes utilisent les maux psychiques des autres pour en faire des affaires. Penchons-nous un peu sur la société actuelle, celle dans laquelle nous vivons : Y a-t-il un lien avec le mode de vie ? La société dans laquelle nous vivons actuelle-ment est une société basée principalement sur la consommation. L’individu est constam-ment sollicité afin d’acheter des biens ou services qui lui sont présen-

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tés comme néces-saires à son confort ou à son bien-être. L’industrie pharmaceutique spécialisée dans les psychotropes a utilisé la même démarche que celle des produits de grande consomma-tion (alimentaire, logement, voyage…etc.), c’est-à-dire prôner leur indispensabilité en faisant de ces médicaments des pilules du bonheur. Le rythme effréné des sociétés dites modernes dans lesquelles nous évoluons a ses effets néfastes : le stress, l’anxiété, les insomnies… etc. La personne est fatiguée et se sent op-pressée, elle pense à survivre, payer son loyer, se loger décemment ou gravir l’échelle de Maslow. Elle est constamment sous pression. L’industrie pharmaceutique spécialisée dans les

psychotropes est un business florissant tant le système économique dans lequel nous évoluons a rendu notre rythme de vie accéléré et épuisant, il a bouleversé la nature de l’homme, d’un être social il est devenu un être solitaire. L’isolement est une conséquence directe de la société individualiste actuelle, prenons le cas de la démence sénile qui est curable, selon les psychiatres, par le simple fait d’entourer la personne âgée d’une présence familiale, l’isolement est souvent une source prépondé-rante aux troubles psychiques. L’aliénation provoquée par un mode de vie qui ne correspond pas à l’individu nous laisse pen-sif quant à la folie, car ne serait-ce pas ceux qui souffrent réellement de pathologies men-tales qui sont les plus sains d’esprit, car ils n’arrivent pas à supporter les contraintes liées à la société de consommation dans laquelle ils ont été plongés ? Krisnamurti le dit sans am-bages : « Ce n’est pas un signe de bonne santé mentale que d’être adapté à une société ma-lade. » Serait-ce alors que la pathologie men-tale est finalement le symptôme d’un esprit sain qui ne peut s’adapter à un mode de vie qui lui est néfaste, tout comme un corps sain ne peut suppor-

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ter l’atmosphère enfumée dans laquelle les fumeurs se sentent comme un poisson dans l’eau ? Bien que la folie ait existé depuis plusieurs âges, remarquons qu’elle a souvent été la manifestation d’un refus (inconscient ou cons-cient) de la norme dominante de chaque époque. Il n y a pas de camp à prendre, seulement des problématiques à poser, car malgré l’existence de psychiatres (devenus pour la plupart simples commerciaux des psychotropes), on ne peut pas affirmer qu’il existe une vérité générale sur la folie ou la maladie mentale. Nous verrons plus tard comment le fou a été utilisé dans la littérature et comment il est traité dans le milieu médical comme objet d’expérimentation. En définitive, il n’est pas question, ici, de re-mettre en cause les réels troubles mentaux que peut vivre une personne, -car il y a une différence réelle entre la pathologie et la névrose- , il s’agit plutôt de mettre l’accent sur ce que peut engendrer un système écono-mique dans lequel l’être humain n’est considé-ré que comme un outil et un moyen d’engendrer du profit, de se poser des ques-tions sur notre mode de vie de plus en plus loin de nos

valeurs traditionnelles qui nous permettaient encore d’avoir des repères, de chercher les liens qui peuvent exister entre les points abordés et notre abyssal sujet : la folie. Je ne saurai conclure sans citer Michel Clous-card, qui dans son livre « Le Capitalisme de la Séduction » traite ce sujet de manière limpide, je vous soumets ces quelques extraits : - « La surconsommation mondaine – l’abus – est une névrose objective qui débouche sur la psychose. Et elle peut se localiser et se mesu-rer par l’arythmie sociale.» Note: Clouscard définit le rythme originel du corps comme étant « (…) la forme à priori du sensible. C’est le lieu originel de l’expression corporelle. Structure d’accueil de toute percep-tion et sensation. Voie d’accès à la consomma-tion. Et par conséquent, aussi en puissance, structure d’accueil de « la société de consom-mation ». - « Il n’y a pas d’escalade, mais un cycle; ce qui accroche, ce n’est pas le produit mais son usage, le cycle, le rythme de l’arythmie.» - « Telle est l’origine de la pathologie de « la société de consommation ». De la vraie socié-té de consommation. De la consommation mondaine. Alors cette

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dialectique, de ce rythme à la drogue : 1. Le vécu est réduit à la seule temporalité du rythme. 2. Exaspération de ce rythme : sur-consommation libidinale, ludique, marginale. 3. Cassures et rattrapage par la drogue ; le remède entretient la maladie : la drogue soigne la drogue. 4. Accoutumance à la drogue ; celle-ci refait le rythme, celui de l’arythmie.» - «La pharmacopée occidentale répond à l’animation machinale: elle est devenue l’industrie de la drogue. De même que le capi-talisme fabrique la pollution et l’industrie an-tipollutive, il fabrique la pathologie mentale et ses remèdes.» - «Entre les drogues du drogué contestataire et celles de la thérapeutique « normale » il n’y a pas de différence de nature. Mais de dose. De degré dans l’accoutumance. C’est la même maladie, le même syndrome, la même théra-peutique. La drogue cause la maladie, puis la drogue « soigne » l’effet de la maladie ! La vraie différence entre le drogué « anti-système » et le petit usager de la drogue est le passage du modèle sélectif à l’usage de masse. Extraordinaire paradoxe, certes : la drogue, de mar-

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ginalité subversive devient norme et pres-cription médicale. Mais ces renversements de sens ne font que témoigner des manipulations idéologiques. Et de leur extraordinaire pou-voir.» - «Naguère, le temps de travail et le temps de non-travail s’organisaient autour de la cellule familiale. Et celle-ci dans la communauté villa-geoise. Le temps de loisir, en tant que tel, n’existait pas : les temporalités de la famille et de la communauté l’impliquaient, le contenaient, l’organisaient. Tel était le rythme du vécu, à partir de la cellule familiale. Mode de production sans productivisme systématisé, aux temporalités informelles, vacantes, fluides.» - «Deux systèmes spatio-temporels : le temps de travail et le temps de loisir. Et entre les deux, ce monstrueux cancer spatio-temporel : le temps de transport.» Pour finir, je laisse Clouscard conclure : - «La conquête du plaisir s’achève à l’infirmerie.» - «On achète, dans le même acte, la maladie et le remède. C’est le même produit. A la fois cause de la maladie et moyen de la guérison. La drogue permet d’atteindre la perfection diabolique du dressage du corps : la meilleure soumission au

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système par la plus grande tromperie sur la marchandise vendue. Par Lydia Ab

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Normal toi-même !

Laissez-moi mes folies. Une petite flamme de folie, si on savait comme la vie s’en éclaire ! » Montherlant, Malatesta. Suite à la lecture d’un Essai d’Avodah Offit, sur l’interaction entre tendance névrotique et tendance sexuelle, il m’est apparu qu’il n’y a pas de forme particulière de folie, mais diffé-rentes pathologies

qui, de la névrose «gérable» et qui détermine le caractère, devien-nent pathologies nécessitant la thérapie. Je vous soumets ces extraits du livre d’Avodah Offit: «Le Moi Sexuel», qui suggère cette con-clusion. Voici ce que dit Offit sur les schi-zoïdes: «Les schizoïdes, ou les personnes qui présen-tent certains traits schizoïdes,

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représentent un pourcentage élevé des «intellectuels» et des «artistes» du monde entier. Après tout, qu’est-ce qu’un «intellectuel» ou un «artiste» sinon quelqu’un qui préfère, dans la plupart des cas, se retirer du commerce avec l’ordinaire et métamorphoser ses phantasmes en histoires, en théories, en tableaux.» Sur les compulsifs: «Connaître ses heures, ses saisons et ses lieux les plus propices à l’amour, choisir la musique et redonner des couleurs à l’âme, voilà des occupations qui correspon-dent au plus beau rêve d’un compulsif. Pren-dre plaisir au détail, à l’exactitude dans le con-fort mystique du rituel, ce n’est pas une mala-die, c’est le droit de chacun.» Sur les histrioniques: «Le théâtre lui aussi est un élément consacré de la vie. Les tragédiens talentueux peuvent capter et révéler l’essence de notre être. Exprimant avec force les émo-tions, transmettant la sensualité avec l’art de l’acteur et le coeur d’un poète, ils peuvent nous plonger dans des extases qui nous pré-parent à l’immortalité.» Sur

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les paranoïdes: «La paranoïa est peut-être une intempérance de l’esprit torturé. C’est à ces esprits-là que l’on doit toutes ces rumina-tions délicates que nous appelons introspec-tion: la dissection élégante des mobiles, le don étrange de pénétrer les caractères, la mé-fiance protectrice qui permet de choisir en fin de compte un lieu sûr où placer sa confiance. Etre convenablement paranoïde, c’est être à la fois sélectif à l’extrême et totalement pragma-tique, c’est à dire ne se fier qu’à ce qui peut être démontré.» Et Offit de conclure : «Nous pouvons être ex-centriques, être déformés dans un sens ou dans l’autre par nos convictions sur ce qui est important dans la vie, mais il n’est pas indis-pensable que des bizarreries deviennent ou demeurent des névroses.» Ce que l’on peut comprendre des extraits ci-dessus et de la conclusion d’Offit est que tout est dans la mesure, tout est question du bond dialectique de la quantité (degré plus ou moins important de névrose qui

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conditionne le rapport avec le monde extérieur) à la quali-té (folie au sens pathologique, incapacité à établir un rapport sensible avec l’extérieur). Ainsi l’excès de rire qui devient sanglot ner-veux, etc. C’est-àdire la quantité qui opère un saut qualitatif, règle de dialectique bien connue. Je pense que le fond de notre interrogation se trouve là: à partir de quel degré de névrose le marginal/fou qui demeure dans un « dérègle-ment » quantitatif (hypersensible, excen-trique, lunatique, etc.) change de qualité et devient bon pour la camisole, si on ne veut pas qu’il se suicide (comme Gérard de Nerval, pour prendre un exemple frappant). La seule mesure en la matière, à mon sens, c’est le danger que peut représenter le névrosé pour luimême ou pour autrui, et non pas une inca-pacité à s’adapter à une société aliénée, mais qui considère comme inadapté et donc proche de la folie quiconque ne trouve pas son bon-heur dans un système de production lui-même producteur de

névroses. Autrement dit : la névrose objective qui se moque du sujet conscient de son aliénation. La folie, acte de di-vorce de la raison d’avec un modèle social déraisonnable ? Le fou, être lucide qui ne sup-porte pas l’image choquante, traumatisante, d’une société minée par la contradiction du système de production dont elle est issue ? C’est alors que le fou, forme objective de la nature aliénante de ce système, preuve à charge contre ce dernier, devient, par un ren-versement dialectique, son alibi : par sa mise au ban, en décrétant son anomalie, il conforte la société dans la légitimité du système qui berce sa fausse conscience, et la dédouane de sa responsabilité aussi bien envers le mal-être du fou qu’envers le sien propre. Raison pour laquelle on lui permet d’assener les plus dures vérités, et qu’on met dans sa bouche, au cinéma et dans la littérature, les critiques les plus radicales, pour mieux les aseptiser : par la magie de l’argument ad ho-minem, on se permet de sourire des

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vérités crues qui sortent de la bouche du soi-disant fou : qu’importe la justesse de ses propos, puisque proférés par un être fantasque, ils ne peuvent être que fantaisistes. On a même beau s’extasier parfois sur sa fine lucidité, et se demander, faussement humble : « n’est-ce pas nous qui sommes fous, et non pas ce pauvre malheureux ? », à partir du moment où nous avons décrété la déraison du fou, son anomalie, la vérité la plus limpide que puisse asséner le fou perd tout caractère normatif, énoncée par un anormal ; il ne s’agit que d’extirper le refoulé – la sensation latente de sa propre aliénation – sous une forme détour-née, un message manifeste tarabiscotée dont la fonction est d’édulcorer, en le codifiant, le message latent. Ainsi le fou devient le signe tragi-comique dont la bizarrerie élude la vérité tragique du signifié, il est le rêve éveillé d’une société pétrie de refoulements névrotiques, la soupape de soulagement qui proteste au nom de tous de la déraison de la vie aliénée, et permet aux dits « normaux » la même révolte par procuration, formelle, éphémère et sans conséquence. La catharsis comme fonction sociale du fou ! … Mais c’est là une toute autre histoire. Djawad Rostom Touati

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Antipsychiatrie… dites-vous ?! Si on venait à proposer une définition de ce que pouvait être l’antipsychiatrie, on aurait choisi celle que nous propose le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales) qui remonte à 1982 et qui stipule ceci : « Antipsychiatrie, anti-psychiatrie, subst. fém. Mouvement mettant en cause la psychiatrie traditionnelle, en particulier sur le plan social. Ce qu’on retiendra de certains principes de l’antipsychiatrie, c’est la nécessité de respecter le plus possible la liberté du patient, sa créati-vité, son droit à affirmer une destinée mais sans pour autant renoncer à l’assister, à le protéger et à éliminer les troubles les plus spectaculaires (Méd. Biol. Suppl.1982, p. 24).V.anti-psy rem. s.v. psy ex. de Actuel. » On ne pourra pas cerner cette notion d’antipsychiatrie si nous nous ne faisons pas un petit tour dans le passé : A travers l’histoire de l’humanité, le con-cept de

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folie a été entouré de beaucoup d’incompréhensions et de superstitions. La religion l’incombait au manque de foi, à la sorcellerie. Les malades mentaux ont été victimes d’enfermements, d’enchainements, de bannissements ou d’exorcisme. Il a fallu attendre la révolution française de 1789 pour espérer quelques changements humanistes. Elle a apporté non seulement des notions nouvelles, dont la liberté (de parole, d’écriture et de croyance) mais aussi un nou-veau souffle pour les dits malades mentaux. Philippe Pinel, « Père fondateur de la psy-chiatrie en France », réussit à libérer les alié-nés de leurs chaines. Il inventa le « Traitement moral » et donna une nouvelle vision de l’hospitalisation des dits malades mentaux. On pourrait même être optimiste et dire qu’il a été précurseur de l’antipsychiatrie. L’approche de la maladie mentale continuait à attirer des comportements des plus alié-nants, tels les électrochocs, les condamna-tions aux chambres à gaz (nazis) et aux di-verses lobotomies (notamment en Suisse). Plus tard, dans les années 50 et 60 un mou-vement appelé « antipsychiatrique » a vu le jour à travers l’Europe. Prenant naissance en Angleterre, Cooper et Laing remettent en cause la notion même de folie et de normalité. Ce mouvement a été suivi simultanément en France par Guattari et Oury. L’« Histoire de la folie » de Foucault connut un immense succès lors de ces bouleversements, il fut même ré-cupéré spontanément par le mouvement an-tipsychiatrique, ainsi que par ses voisins les anglais et devint le livre indispensable de la contestation de tout enfermement. En Italie et en Allemagne, Basaglia et Jervis ainsi que le Socialistich Patient Kolectif (SPK) l’avaient abordé sur un terrain purement politique. Le phénomène traversa même les frontières continentales jusqu’à arriver aux Etats-Unis avec Bettelheim. On aura compris que tous visaient le renver-sement de la psychiatrie. D’où les patients qui sont sortis des asiles pour être suivis en ville. L’approche de la prise en charge des patients changea

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et des hôpitaux de jour, des centres médico-psychologiques, des foyers, des centres d’accueil et des appartements ont vu le jour dans le but de resocialiser le patient. Je ne pourrai pas clôturer mon discours sans évoquer un personnage important de la cause antipsychiatrique en Algérie, Frantz Fanon.4 Qui mieux qu’un spécialiste en la matière pour parler de lui, le Dr BENOUNICHE Abdelhak (SERVICE DE PSYCHIATRIE, C .H.U. BAB-EL-OUED), qui dit : « A travers ses oeuvres, Fanon tenta l’analyse de l’impact psychologique de la colonisation aussi bien sur le colonisé que sur le colonisa-teur. Il incrimina le racisme et les différences culturelles sociales qui font que l’approche psychiatrique sévissant alors était loin d’être la bonne. La révolution qu’opère Fanon dans le champ des idées, c’est l’invalidation du primat du biologique dans la culture et l’articulation de celle-ci à une subjectivité en souffrance. En s’appuyant sur la théorie de la constitution et

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son rejeton, la dégénérescence, Porot et ses élèves médicalisent le social en le référant à une norme. Fanon humanise le social en le référant à une situation, la colonisation. ». Par Aberrane Fatiha

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Aktion T4 ou l’ho- Quand on lit Foucault malades mentaux. Ce locauste psychia- dans son « Histoire de la qu’il faut savoir par contre, folie », on se rend compte avant de tomber dans une trique. En Allemagne nazie, la mort pour les malades mentaux avait été décrétée. Une action organisée pour les éliminer au moyen de chambres à gaz a pris forme entre 1940 et 1941, une action connue aujourd’hui sous le nom de « Aktion T4 ». « La construction d’un asile d’aliénés coûte six millions de marks. Combien de nouvelles habitations à 15 000 marks pourrait-on construire avec cette somme ? » C’est avec ce genre de « problématiques » que s’occupaient des enfants allemands dans l’Allemagne nazie. En effet la question est retrouvée dans le manuel de mathématiques destiné aux élèves des écoles primaires supérieures pour l’année scolaire 1936. Mais pas seulement. Des affiches de propagande mettent en garde contre ces « poids » pour la société. Des films sont également réalisés, qui présentent des scènes où l’horreur est à retrouver dans les asiles psychiatriques.

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du pouvoir de la Raison. La Raison tue, la Raison n’a pas de pitié. Pourtant, cette fois c’est l’Économie qui joue le bourreau. Les fous ne travaillent pas + les fous n’achètent pas + les fous coutent de l’argent. Une équation qui n’est pas très difficile à résoudre. Le travail est encore une fois mis à l’honneur en tant que critère de survie. Dans les asiles, des fonctionnaires remplissaient des formulaires sur les malades en cochant « apte au travail » ou « pas apte au travail », on les appelait les « Kreuzelschreiber » (les faiseurs de croix). Cette croix, ma parole, pouvait attester de la longueur de votre vie ! Une nouvelle perception du fou voit le jour, on parle d’ « existences superflues » (Alfred Hoche). Donc, des êtres humains, faibles, malades…certes. Mais qui nous coutent à nous en occuper. En Allemagne nazie, ils coutent surtout à la Race, à la Nation. Deux notions qui vont accélérer le processus de mise en action de mesures qui seront bientôt fatales pour les

diabolisation gratuite et « impartiale » des nazis, c’est que le régime national socialiste a été le rêve de beaucoup de scientifiques pour réaliser leurs expérimentations les plus farfelues, il a donné libre cours à des théories qui existaient déjà auparavant et qui faisaient fureur en Amérique et en Europe. Ces théories inspirées d’un social darwinisme naissant, aspirant à une lutte des espèces et à l’application de la loi du plus fort, tendent vers un eugénisme, où la solution serait tout simplement de supprimer le « génétiquement incorrect » afin de créer un monde sans troubles mentaux, un monde parfait, parfait au sens le plus macabre du terme. Des dégâts que le nationalisme radical peut engendrer, nous en avons maints exemples dans l’Histoire. L’Allemagne nazie nous offre par contre un champ des plus fertiles pour la réflexion, car c’est d’une époque mo-

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derne dont il est question, une époque de laquelle on aurait tort de nous en distancier tellement, car beaucoup de ses lois régissent encore nos sociétés. Prenons seulement l’exemple du cinéma et la propagande de l’image du fou, qui a été complice de crimes atroces. Qui nous dit aujourd’hui que nous avons retenu la leçon ? Absolument rien du tout. Par Lydia SAIDI

Image : Affiche de propagande : « Tu les portes avec toi ! Un malade mental coute jusqu’à ses 60 ans en moyenne 50.000 Marks.

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Patiente enchainée dans un a sile p sychiatrique au 18éme siécle. E n 1792, l e physicien f rançais Philippe Pinel a é té l e premier a réaliser qu’une t elle privation de mouvement et de l umière e mpirait la condition mentale des malades.

La camisole de force était un instrument de contention dans les asiles psychiatriques, très utilisé avant l'invention des neuroleptiques. Par extension, elle a aussi été utilisée dans les prisons, voire les camps de prisonniers politiques ou des orphelinats.

En cas de stress, le patient est attaché à une chaise et tournoyé rapidement. Un patient normal en serait pris de vertiges, un psychotique non. (Herbert Gehr 1949, Life Magazine)

L’hystérie des femmes a été longtemps associée à une insatisfaction sexuelle. Pour cette raison. Le traitement était donc des messages. Durant ces sessions, le docteur stimulait manuellement les parties génitales de la femme jusqu’à obtention d’un “paroxysme hystérique” (orgasme)


Mutilation n.f., opération chirurgicale qui consiste à retirer du corps du fou une partie infectée qui serait la cause de sa folie. Depuis le début des temps, on a tenté d'extraire la folie du corps humain. Les purges, les saignées, l'administration de produits émétiques (qui font vomir) et le maintien de plaies ouvertes ont été utilisés jusqu'au début du 20e siècle. Le bain surprise fut le premier traitement d'une longue série de thérapies par le choc qui vont être utilisées dans le but de «rebooter» le cerveau du fou.

L’apparition de l’anti-dépresseur “Prozac” ou “la pillule du bonheur”.

Les traitements de la folie

Sources: Pinterest.com Life Magazine lapresse.ca


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La folie en Algérie

Il serait incomplet de parler de la folie à tra-vers l’Occident et d’omettre de parler de notre pays, l’Algérie. La maladie mentale existe chez nous aussi, le genre humain est soumis à des bouleversements et à des chan-gements dont il ne maitrise pas toujours les rouages. Qu’en est-il de la condition mentale en Algé-rie ? D’après des statistiques, plus de 300.000 ma-lades

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mentaux ont été recensés en 2012 et toujours peu de structures psychiatriques pour accueillir tout ce monde « fou ». Pour commencer, parlons de pathologies et de la vision des psychiatres : Depuis quelques années, la cellule familiale a changé et des psychiatres se sont penchés sur le sujet pour suggérer une raison à la crois-sance de plus en plus grande des troubles

mentaux. D’après eux, la femme a cessé de s’intéresser uniquement à sa famille pour s’occuper de sa carrière professionnelle et la figure du père n’est plus ce qu’elle était puisqu’ils considèrent qu’elle a rendu l’âme en perdant son pouvoir d’autrefois, son autorité. Une thèse facilement réfutable, et pourtant il est intéressant de se pencher dessus pour comprendre le processus des

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maux sociaux, car notre pays n’importe pas que des produits étrangers, il en importe les maux sociaux éga-lement. L’Hôpital de Drid Houssine, selon cer-tains psychiatres algériens, est obligé, chaque année, par manque de places, de faire sortir des patients ; bien qu’ils soient remis à leurs familles, très souvent ces patients se retrou-vent à la rue, car beaucoup de ces familles n’ont pas les moyens ni la patience de les prendre en charge. Le fou en Algérie a le choix entre un hôpital peu charitable, la prison ou la rue. Comment est vécue la maladie mentale ? En Algérie, ce genre de choses sont parfois vécues comme une tare que la famille tente tant bien que mal de cacher ; cependant, ca-cher une évidence n’est pas forcément la meil-leure des solutions car un psychotique est capable de se faire du tort et d’en faire à au-trui ; dans ces conditions les proches ont le devoir de le protéger de lui-même et des autres. Le cacher ou le laisser à la rue n’est pas l’aider à vivre décemment.

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La maladie mentale est surtout vécue avec beaucoup de souffrance de la part des ma-lades et de leurs familles, plus encore dans les familles qui ont cédé à la modernité en en-fermant leurs proches dans des hôpitaux, les privant de toute la bienveillance d’un entou-rage familial et de la sécurité qui en découle. Nous ne parlerons pas ici de ce qu’a pu en-gendrer la décennie noire comme lot de folies et nous nous contenterons de le souligner pour que le lecteur, si le sujet l’intéresse, puisse se renseigner et comprendre que le sujet de la folie n’aurait pu être traité uni-quement d’un point de vue littéraire et artis-tique au risque de le sublimer en occultant le vrai mal qu’il abrite. Nous verrons autre part comment la figure du fou est traitée dans les romans algériens, on adopte moins un langage médical qu’un lan-gage populaire teinté de traditions et de croyances.

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Croyances...Religions... La figure du fou dans la religion : Peu importe la religion, les croyances et les pratiques qu’on a pu faire de cette première, le fou n’a pu échapper au verdict de la possession ou de la démence. Celui qui a perdu la raison n’est pas atteint que physiquement, il est aussi atteint d’un autre mal, celui d’un esprit malveillant qu’il faut exor-ciser… Les films dans ce sens influencent notre opinion et bien qu’ils soient devenus caricatu-raux, et que les temps modernes en font un fait imaginaire, cette pratique a réellement existé et existe encore. On y apprend qu’un exorcisme ne peut plus se faire sans la consultation d’un psy-chiatre, afin de déterminer s’il s’agit d’un mal psychique qu’il faut traiter par des psycho-tropes ou d’un mal surnaturel qu’il est néces-saire d’extraire de la personne. Longtemps a été considérée l’Hystérie comme étant une possession démoniaque, des années après, nous découvrons qu’il s’agit là de l’une des plus ridicules inventions de la psychiatrie moderne.

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Dans ce volet « religieux », nous survolerons la figure du fou dans l’Islam, on y trouve des ré-ponses différentes quant au traitement du fou. Nous apprenons, en y trouvant une réponse, que le fou est celui qui a perdu la raison et donc que la folie est réelle et qu’elle existe. Nous apprenons également qu’elle est curable, selon le Hadith, traduit directement en français, suivant : «La responsabilité est levée pour trois per-sonnes : celui qui dort jusqu’à ce qu’il se ré-veille, l’enfant jusqu’à ce qu’il devienne pubère, et le fou jusqu’à ce qu’il recouvre la raison », [rapporté par Abôu Dâwôud]5. Comme nous avons pu le voir dans l’étymologie du mot « fou » en arabe « », il s’agit d’avoir l’esprit voilé. C’est cette phrase soulignée qui a retenu mon attention, car nous pouvons aisément com-prendre que la folie est curable et que cet esprit voilé peut se dévoiler de nouveau. Ceci est in-terprété par le fait que le fou ait perdu la notion des responsabilités envers son

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Créateur car son esprit est possédé par une déraison, qu’elle soit psychique ou surnaturelle. Mais encore, on retrouve la figure du fou dans le Soufisme, ou de ce qu’il est devenu de nos jours, on parle de « majdhub » qui vient de la racine « J-dh-b » et qui signifie « Fou de Dieu ». Il est nommé ainsi car dans les croyances sou-fies, l’on dit que sa raison a été « ravie » par Dieu, et le plus souvent de manière abrupte. Pour Ibn Arabi, le vrai « majdhub » n’est pas déficient : son esprit est plutôt saisi et retenu auprès de Dieu et jouit de la contemplation divine. Ce qui le caractérise est son insouciance des normes sociales et religieuses : ceci sous-entend qu’on a le droit de faire ce qu’on veut pour atteindre la Hakika (la vérité). Petit parallèle : Lorsque la psyché, de façon générale, charrie trop d’émotions négatives, le système cognitif ou le cerveau, préfère se mettre « en pause », disons que c’est une extinction cognitive. Ceci pour échapper à une réalité oppressive et

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peu (ou pas) supportable. Prenons un exemple plus commun, celui de quelqu’un de dépressif qui aura tendance à dormir beaucoup plus que d’habitude, et pour qui nous prêterons les mots de se couvrir de sommeil. Peu importe la pratique avec laquelle il se couvre l’esprit : drogues, léthargie, l’essentiel étant d’échapper à une réalité diffi-cile à supporter. Comme mécanisme de défense, nous nous cou-vrons l’esprit momentanément, par la consom-mation par exemple, devenue un biais émo-tionnel et psychologique à la névrose objective de l’aliénation moderne ; puis nous chercherons une couverture plus permanente qui pourrait être assimilée à la folie. Nous paraissons sous-entendre par ici qu’elle est volontaire mais il n’en est rien, car l’individu n’est pas toujours conscient de ce que ses actes induisent immé-diatement ou ultérieurement. Il ne fait, la plu-part du temps, que réagir à son environnement. Il s’imbrique dans des ressentis qui l’entrainent dans des cercles vicieux où il se retrouve seul – ou du moins c’est ce qu’il pense – à affronter les agressions d’un monde extérieur qu’il ne sup-porte plus. Croyances : Je prends le risque d’étayer une thèse selon laquelle la folie n’est pas un « mal du siècle » en Algérie, de par les croyances et traditions reli-gieuses des algériens. Je m’explique : Ce qu’on pourrait qualifier de « fatalité » pour-rait correspondre au « mektub » auquel croit la majorité des algériens. Il est vrai que la croyance est difficile à cerner tant elle est propre

à chacun, mais nous pouvons remarquer le caractère particulier de celle-ci envers les maladies, les aléas de la vie en général ; le fait de soumettre son malheur à Dieu aide à se ré-concilier avec soi et permet d’agir sur son pré-sent pour aller mieux. Percevoir son malheur comme une épreuve à surmonter, et non plus un « coup du sort » arbitraire et absurde, permet, en l’expliquant, en le rationnalisant, d’agir sur

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lui : ce que les esprits bornés et imbus des Lumières considèrent dédaigneusement comme fatalisme, est pourtant ce qui génère le volonta-risme. La maladie mentale est psychique avant d’être neurologique car pour ce volet, des avis de spé-cialistes sont nécessaires et le sujet est traité ailleurs dans le journal. Qui dit psychique dit « âme », et qui dit « âme » dit « corps », en partant du fait que ces deux entités sont indissociables, il est important de mettre l’accent sur l’équilibre qui devrait exister entre elles afin que l’individu en entier puisse se sentir heureux ou amoindrir ses maux. La psyché est une notion plus scientifique que l’âme qui a des connotations souvent reli-gieuses mais qui existe malgré cette censure volontaire, et qui a permis à Carl-Gustav Jung et à Sigmund Freud d’étudier la notion d’inconscient. La folie est-elle consciente ou inconsciente ? Le débat reste ouvert bien qu’il y ait des théories et des études qui confirment ou infirment cette question.

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Pour en revenir aux croyances, à mon avis, l’esprit est une entité puissante et lorsque l’individu croit en quelque chose, il arrive à avoir de l’influence sur elle, il arrive à agir sur son environnement et sur lui-même et ainsi choisit ce qu’il veut être. Les rites et rituels : Après la religion et les croyances viennent les rites. Il existe, chez nous et ailleurs dans le monde, des rituels de toutes sortes, pour diffé-rents types de problèmes. Celui dont je voudrais parler dans le cadre de la folie est cette pra-tique qui consiste à se purger de son mal en se baignant dans une eau censée être bénite, puisqu’elle se trouve dans les grottes des mau-solées, comme celle de Sidi M’hamed à Cons-tantine. Il est intrigant de voir des rituels de « j-a-dh-b », des femmes et des hommes qui entrent en transe pour se délivrer du mal, mais quel mal ? Nos croyances nous font admettre que la pos-session des « djinns » existe, mais en y regar-dant de plus près, il

s’agit souvent d’un grand moment de défoulement, c’est ce qu’on pour-rait appeler « les issues », lorsque les traditions villageoises n’admettent pas certains tabous susceptibles d’apporter la honte ou la colère de Dieu. Prenons le cas d’un père de famille obligé de partir pour subvenir aux besoins d’une famille aux conditions précaires, revenir après une an-née et trouvant sa femme enceinte. Se deman-dant d’où viendrait l’enfant, on l’assomme de : « l’enfant dormait » (raison pour laquelle il a mis plus de neuf mois à sortir : le sommeil sup-posé de l’enfant dans le ventre de sa mère, qui explique sa longue gestation, permet de situer sa conception avant le départ du mari). Voici donc une issue qui rend ce genre de situations plus gérables, oserons-nous dire.

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La folie, le fou, le normal, l’anormal Se démarquer des désirs collectifs, qui peuvent être résumés au travail, mariage, amitié, sympa-thie, popularité, argent, avoir des enfants...etc. - faire partie d’un groupe, permet d’intégrer une sorte de normalité perverse qui pousse à beau-coup plus jouer avec les normes sociales qu’avec ses propres désirs. Perverses parce qu’elles suggèrent à l’individu des repères utiles qu’en présence du groupe, à les oublier se re-trouvant seul, en intimité. Se constitue alors un voile qui trouble la vue et l’accès à une person-nalité bien construite et saine, c’est-à-dire en accord avec les préceptes et les désirs person-nels, ces derniers invitant à la tranquillité et à la quiétude d’être, fâcheusement oubliées dans la folle quête de la normalité. C’est à force de vouloir s’accaparer la normalité que l’on devient instable psychologiquement. Les sociétés telles américaines, européennes mais aussi maghrébines et asiatiques, russes et sud-américaines à présent

- poussent vers un mécanisme de normalisation et d’homogénéisa-tion qui induit à se forger l’idée que si l’on ne fait/est pas comme cela, l’on est faible, mau-vais, bon à rien, inutile. Un américain de base qui n’a pas la voiture que son voisin a réussi à avoir, ou la pelouse verte que son autre voisin a, ou la célébrité d’untel, pourrait bien être porté vers l’asthénie, même légère, dans le cas où le but n’est

pas atteint. Viser la normalité dans les sociétés modernes enrobe la personne et propose le dépassement de soi, qui dans la plupart des cas conduit au délaissement de soi. J’ai parlé de normalité et d’homogénéisation dans les sociétés dites modernes laissant penser que c’est un trait qui lui est propre. Toute socié-té joue de ses stratégies pour normaliser et ‘impersonnaliser’; la différence entre les socié-tés

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historiques (passées) et la nôtre (moderne), est que la dernière pousse à la folie en tant que pathologie. Le fou en liberté existe chez nous, et c’est avec une grande contemplation que je m’en réjouis. Plus poussés à l’absurde que les prisons algé-riennes qui n’arrivent plus à emboîter tous les délinquants, trafiquants, malfaiteurs, les hôpi-taux et asiles psychiatriques sont quasi inexis-tants. Nos rues sont comme fleuries par ces imperfections tant importantes pour recon-naître le parfait, car c’est à travers l’anormal que l’on arrive à situer le normal. Jouissant de la totale liberté de leur corps, c’est vagabonds de l’âme résident entre les foules compactes d’algériens affairés, chômeurs, passants, tristes, heureux. Le fou en Algérie a une stature quasi enviée, mais les envieux ne le savent pas. Être muni de raison est synonyme de compréhen-sion. Celui qui sait sa condition, subit sa condi-tion. Le fou dans la plupart des cas, déconnecté de la réalité communément admise,

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se déprend de son statut de citoyen pour épouser l’état de nature : ne jouissant d’aucun droit ni d’aucune contrainte, son sort est lié à ce léger du rien. Le fou, l’aliéné, le malade mental, n’est pris sous aucune tutelle si sa propre famille ne s’en charge pas directement. Pour ceux sortis des hôpitaux tel que Franz Fanon à Blida – où un petit département psychiatrique existe encore -, ils sont remis complètement drogués et tota-lement apathiques à leurs familles qui ne savent plus quoi en faire. Un fou heureux, parce qu’ayant une vérité qui lui parle, se retrouve alors plongé dans une léthargie qui assomme par coup de psycho-tropes toute manoeuvre de quelque sourire qui soit. En Algérie, on drogue les fous au lieu de leur parler, ou on leur parle complètement drogués, on les enferme au lieu de les comprendre, on les libère à la rue au lieu de les libérer d’eux-mêmes. L’Algérie n’a aucune structure pour accueillir ceux que l’on nomme malades, parce qu’avant tout, elle

n’a aucune structure pour prévenir les maladies de l’esprit. Tout converge vers l’idée que nos gouvernants ne prendront aucune mesure sérieuse pour pallier à ce fléau social qui rôde de plus en plus à mesure que nous avançons dans le temps et la modernité. Ce qu’avait commencé le Pr. Mahfoud Boucebci pour la psychiatrie en Algérie, fut brutalement interrompu par un coup de poignard le 15 juin 1993, qui précipita par cette folie meurtrière de la décennie noire, toute l’Algérie dans le chaos des aliénés anonymes. Le Pr. Farid Kacha, l’actuel président de la Société Algérienne de Psychiatrie, est aussi sceptique qu’impuissant devant les faits délétères que subit ce secteur de la santé, tout particulièrement le malade. Dénoncer à travers les diverses interventions, notamment dans la presse, est le seul exutoire, pense le Pr. Kacha. De ce fait, le fou traîne la jambe de rue en rue, de café en café, ne cherchant du tout un but à sa vie dépouillée, essayant

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plutôt de contenir son être dans la quête de ce peu de contact avec le monde, avec ce qu’il perçoit d’humain, parce qu’intimement convaincu qu’il est bête immonde. Il se penche donc sans trop de succès sur le processus d’humanisation, de normalisa-tion, de rectification de sa propre personne parce qu’il est persuadé, on l’a persuadé, de son état de déviance. La promesse de la folie est de rappeler aux dits normaux que la mort rôde, que la fêlure du temps viendra prendre chaque âme là où elle se niche. L’éternel et le sentiment d’intemporalité qu’a l’Homme raisonnable au cours de sa vie, de son quotidien, fermentent à même le concept de folie pour exploser en pleine face de chaque témoin qui caresserait du bout des yeux le fou errant, symbole d’infamie, de chute, de tré-fonds noirâtres, crasse boueuse mêlée à du sang impur, lombric rase-mottes, fou qui croule sous les lazzis. En se moquant, on feint la peur glabre, toute dénudée ; si l’on enlevait les masques à

ces histrions, on en apercevrait la crapuleuse nature. Riez misérables ! Dit le fou. Riez jusqu’à la fin, car après le rire, surviendra l’hécatombe. Comme cité dans l’Histoire de la folie, la figure de fou est figure de vérité à la Renaissance, et les représentations ne man-quent pas à l’appel. Dans la Nef des fous de Jérôme Bosch, tableau dépeignant avec blasphème un groupe de fous vaquant à leur folie dans la plus grande insouciance au bord de ce navire qui a pour mât un arbre. Ledit arbre re-présentant l’arbre de la connaissance, l’arbre de la vérité, l’arbre interdit en somme, dérobé au paradis terrestre, le voici gisant au milieu de la nef, déraciné, accaparé, statué fixant le ciel comme pour se moquer de Dieu. La vérité est au centre du fou.6 De même, dans notre culture populaire, le fou est possédé par le djinn, ce dernier ayant accès à des vérités interdites. Là encore, le fou fait orbiter autour de lui la figure de vérité. Le 17ème siècle européen fut le siècle du grand renfermement pour le fou.

L’Hôpital général dont la Salpêtrière, Bicêtre, la Pitié…etc. fonc-tionnèrent comme réceptacle à insensés, à pauvres, à invalides, à criminels, à vagabonds, à oisifs, que ces derniers se présentent d’eux-mêmes ou envoyés par les autorités royales. Les grandes figures qui furent précurseurs de la psychiatrie, tel Philippe Pinel, découvrent ces lieux contenant la lie de la société à la fin du XVIIIe siècle. Les fous y étaient enchaînés, pour-rissants. Pinel les déchaîne. J’exploite cet exemple français du fou parce qu’en Algérie nous en avons peu ou pas, d’histoire de la folie. La nôtre est toute récente, comme notre République algérienne. L’histoire de la folie algérienne ne s’est pas écrite, parce que l’on ne veut sûrement pas entendre parler de plus de folie que l’on en vit au quotidien Par Nassim Achour

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DES HOMMES ET DES FOUS L’adaptation au cinéma d’oeuvres littéraires déçoit le plus souvent, le fait que le lecteur fasse travail-ler son imagination à plein régime, en bâtissant des décors, en confectionnant des costumes et en mettant en scène des situations, lorsqu’il invente des corpulences et des traits de visages et par-dessus tout, le lecteur a l’avantage, au gré des plumes bien évidemment, de s’introduire dans le for intérieur des personnages. De ce fait le cinéma s’en trouve plus suggéré, plus universel et moins intimiste. Les images par contre donnent une sorte de 3ème dimension au roman, mais elle ne s’approche que très rarement de ce que notre vécu, notre expérience et même nos désirs con-ceptualisent en « notre » for intérieur. Vol au dessus d’un nid de coucou (One Flew Over the Cuckoo’s Nest), du réalisateur Jan Tomáš For-man (né le 18 février 1932, connu sous le nom de Miloš Forman, est un

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professeur de cinéma, un scénariste et un réalisateur américain d’origine tchécoslovaque), film sorti en 1975, réussit haut la main le pari de transposer d’une manière inégalée, les para-graphes d’un roman captivant et riche de par le sens, sur une oeuvre cinématographique. Le réalisateur bénéficie certes de l’avantage de la situation, car l’essentiel du long métrage se dé-roule entre les murs d’un asile de fous, le décor donc, est de facto planté, murs blancs, grilles et portes hermétiques, le génie de l’oeuvre est donc ailleurs, à commencer par le sujet principal : la folie et « l’incarcération » psychiatrique. A signaler que le casting de ce chef d’oeuvre au cinq oscars, est particulière-

ment éclairé, bon nombre de se-conds rôles particulièrement bien interprétés sont devenus des figures du cinéma, même plusieurs décennies après. La folie suscite moult réactions chez l’être humain quel qu’il soit, cela peut aller de la peur à la curio-sité, de la répulsion a l’empathie, de la fascination au mépris, mais nul ne reste indifférent, c’est le caractère improbable et totalement imprévisible du fou qui nous perturbe, qui nous déstabilise. Réaliser un film qui traite de la folie est compa-rable à la création d’un dessin animé, tout est possible, on peut tout oser, on peut briser des barrières ou même briser des tabous, interpeller, provoquer ou même choquer, on se doit de l’accep-

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ter, tant que ça vient d’un fou on est rassu-ré, quand même. Dans ce film confiné dans un hôpital, le réalisateur traite des sujet sensibles, comme la liberté, mais aussi la résistance à l’oppression, représentée en la personne de l’infirmière en chef Miss Ratched, autoritaire et cynique, elle symbolise l’ordre éta-bli, elle impose des règles strictes qui privent les patients de toute liberté de décision ou de ré-flexion, pire elle les pousse dans leur retranche-ments et se délecte presque de leurs malheurs lors de séances de thérapie de groupe humiliantes et dégradantes. C’était sans compter l’entrée en scène de l’exubérant et incontrôlable Randle Mc Murphy (joué par un Jack Nicholson prodigieux), criminel multi récidiviste interné pour une évalua-tion psychologique, et qui va bousculer de fond en comble le quotidien de ces marginalisés bourrés de pilules chimiques, et domptés, pour les plus téméraires, à coup d’électrochocs. Le tempérament impétueux et rebelle de Mc-

Mur-phy se heurte d’entrée de jeux, au caractère fleg-matique et méprisant de Miss Ratched, et la lutte s’engage entre les deux protagonistes, une lutte pour l’émancipation de ces oubliés, non seulement du système, mais de la société toute entière, une lutte dont le porte étendard est l’exemple type de l’anti héro, McMurphy. Condamné pour viol et plusieurs agressions, anti social convaincu, anarchique et velléitaire, mais qui est sensible à la condition humaine, même à celle d’un fou. Vous me direz que c’est un combat perdu d’avance, et j’en conviens, au risque de paraître dépourvu d’une case, il est clairement antinomique de mettre folie et émancipation dans une même phrase, ou déficience mentale et révolution, pour-tant, l’évocation du principe de liberté n’implique-t-il pas son universalité à tout un chacun ? Je suis intimement convaincu que si la psychiatrie était réellement efficace, ça aurait été notoire, et ce depuis des lustres, la triste réalité est que ces marginalisés sont généralement,

comme de com-mun accord dans toutes les sociétés du monde, soit ignorés et travestis en clochard ou en vaga-bond, ou alors pour faire très politiquement JT, en SDF, acronyme inventé par le marketing émotion-nel, soit ils sont assignés à résidence au sein de familles dites de tradition « tiers-mondistes », ou comme c’est plus souvent le cas, confinés dans des centres, où l’industrie pharmaceutique a tou-jours eu une impunité totale et absolue au détri-ment de soins alternatifs qui ont prouvé une effi-cacité relative, selon les cas, tels que le jeûne pro-longé ou l’art thérapie. McMurphy voulait réveiller les consciences… de gens inconscients, y-a-t-il plus noble finalement ? Il en a payé le prix, un prix très amer, mais d’autres en ont récoltés le fruit, le temps de quelques semaines d’internement Par ALEM Nazim.

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Scénette jouée lors de l’événement « Une Meute littéraire, 10ème édition, La folie & Co. » Le banquet imaginaire Personnages Hiempsal : riche propriétaire Aramidas : fidèle ami de Hiempsal et administra-teur de ses terres Sarandapalès : serviteur de Hiempsal Xeryphon : philosophe et ancien ami de Hiempsal

La scène se passe sur la terrasse de l’imposante villa de Hiempsal, par une fin de soirée radieuse, quelque part, au bord de la méditerranée méridio-nale. Hiempsal, qui n’a pas fini de bousculer tout son entourage, s’est mis en tête qu’il organisait un grand banquet à sa villa avec des convives de choix venant des quatre coins du royaume… Hiempsal (furieux) : mais quelle infamie, quoi, on me fait attendre sans motif aucun, que devien-nent tous les préparatifs que j’avais ordonnés ! Sarandapalès (montrant de ses mains les appar-tements intérieurs de la villa) : maître, les convives se bousculent aux portes de votre palais, les cuisi-niers et les pages, sollicités à l’occasion, se bous-culent pour parer aux somptuosités de ce festin, qui n’aura pas son pareil de sitôt. Hiempsal (regardant ironiquement vers la mer) : mais comment cela se fait-il ? Je ne hume nuls parfums de rôtisseries fumantes, de grillades bou-canées, de fritures ensaucées, de desserts fruités, quoi ? A mes oreilles ne parvient aucun bruisse-ment d’invités impatients de victuailles, à s’en empêtrer jusqu’à l’évanouissement ; mes sens ne goûtent présentement qu’aux habituelles odeurs d’un jardin exhalant ses soupirs embaumés, en cette journée ensoleillée qui meurt, et de quelques roucoulements bien distincts, d’oisillons nous enchantant d’un délicieux hymne vespéral ! Sardanapalès (se retournant pour voir Hiempsal en inclinant la tête) : certes, certes, mais sans me permettre une telle audace, que de douter de vos facultés sensitives - car je me dois d’avouer leur finesse des plus évidentes - je flaire comme un insaisissable obstacle qui fait barrage à ces der-nières, mais n’ayez crainte, maître, ce ne pourrait-être que de courte durée, vous allez vous en rendre compte tantôt avec la plus agréable des surprises.

Sardanapalès prend congé de Hiempsal, et se dérobe discrètement dans la villa, à ce moment, il rencontre Aramidas, l’administrateur du fils de Anbal. Sardanapalès (s’arrêtant de marcher et fixant Aramidas) : Vous voilà juste à temps, Aramidas, pour rendre mon maître à la raison, ses lubies prennent un empire des plus malsains sur son bon sens, qui faiblit de jour en jour ; il est persuadé que le prétendu banquet imaginaire qu’il a organi-sé pour fêter je ne sais quoi, a été contrecarré par

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de mystérieuses combinaisons voulant lui nuire, en sapant cette occasion de gueuletonner et de festoyer… Aramidas (parlant d’un air distrait) : pauvre Hiempsal, j’ai bien l’impression que la folie va finir par avoir raison du peu d’entendement qu’il avait sauvé de sa glorieuse sagesse d’antan.

Aramidas pénétrant dans la terrasse….. Hiempsal (avec un regard goguenard) : Ah, voilà mon cher régisseur, alors comment vont mes con-vives, comment se présentent les dispositions pour ce grand soir ! Pour cette occasion inouïe de nous réjouir hautement et franchement ! Aramidas (en affectant toujours une posture dis-traite) : le bien bonsoir à vous, cher Hiempsal, mais cela se présente sous les meilleures augures, n’ayez crainte, il suffit de s’armer d’un peu de patience et tout sera cuit à point…. Hiempsal (marchant dans tous les sens) : Ne me dites pas que vous-êtes également complice de cette mascarade que l’on joue à mon insu ! Le soleil est déjà derrière les montagnes, on ne re-marque plus que les dernières lueurs de l’astre couchant, et vous me signifiez d’encore attendre ces préparatifs interminables ! Allons, pas vous mon bon Aramidas, je puis m’attendre à cela, et me méfier d’un malhonnête serviteur, mais vous me désolez, vraiment.

Un homme d’un certain âge, portant une longue barbe blanche, et une tunique en soie entre de façon inopinée et se dirige instinctivement vers Hiempsal en l’embrassant très convivialement. Hiempsal (mimant une figure de contentement subit) : mon cher ami ! Mon vieil acolyte ! Quelle belle surprise, vous devez être le premier convié, mais vous-êtes bien en retard ! Xeryphon (regardant tantôt Hiempsal tantôt Ara-midas, imperturbable) : mon retard s’explique par la traversée en mer, un peu agitée, car je viens d’Athènes, où j’ai assisté aux conférences de Pla-ton au Lyceum. Hiempsal (ouvrant grandement les yeux) : très intéressant, très intéressant ! Et Pour quelles mer-veilleuses discussions êtes-vous allé à l’épicentre du monde hellénique chez ce…, ce… comment vous dites déjà? Plaintoin ou je ne sais qui ? Pour-riez-vous dire en quoi consistait le sujet du mo-ment là-bas ? Xeryphon (avec une prononciation sèche) : on parlât de Folie ! Hiempsal (avec l’expression la plus naturelle et spontanée qui soit) : tant que ça ? Allons flâner dans le jardin alors, je n’ai rien prévu de bien par-ticulier ce soir……. Fin. M.Merad

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Aurore Africaine La folie, c’est de perdre son humanité En restant indifférent aux drames du prochain Quand des femmes sont violées, infâme indignité Et qu’on détourne la tête, occupé de son train-train Quand des enfants sont réduits à la mendicité La morgue des cœurs froids est leur pain quotidien On déplore, agacés, qu’ils aient envahi nos cités Réfugiés ? Ils n’ont eu pour refuge que notre dédain La folie c’est de n’évoquer Frantz Fanon Que pour désigner un hôpital psychiatrique L’hospice ! Voilà à quoi se réduit le nom De celui qui a tant fait pour nous et l’Afrique On oublie les fines fleurs de ce continent Qui a tant souffert de l’impérialisme inique Ainsi Aimé Césaire, poète de grand talent Reste ignoré, inconnu auprès du grand public Révoltons-nous ! Et tournons nos yeux Vers nos frères d’armes, qui subissent encore les guerres Que mène le Capital, conquérant, impérieux Au nom de ses « valeurs » faussement humanitaires Regardons vers le Sud, vers cette fière terre Qui a vu sacrifiés tant de ses braves enfants Refaisons d’Alger la Mecque des révolutionnaires Rendons-lui sa gloire et son lustre d’antan Faisons nôtre le mot d’ordre : « L’Afrique aux africains ! » (1) La liberté comme but, l’impérialisme pour cible Unissons nos forces, marchons main dans la main « Soyons réalistes, exigeons l’impossible. » (2) Soyons dignes de l’héritage de Sankara De Mandela, Ho Chi Minh, et Che Guevara (1) Sankara. (2) Che Guevara. Par Nassim Bahmed et Djawad Rostom Touati

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