La Russie d'Aujourd'hui

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Produit de Russia Beyond the Headlines

Distribué avec

Staline continue de diviser les Russes Héros ou tyran : le mythe à deux faces du leader soviétique 60 ans après sa mort. P. 3

Un roman en écho à la révolution bolchevique La vie d’un émigré russe à Paris bascule lorsqu’il revit la tragédie du Potemkine dans le film d’Eisenstein.

Publié en coordination avec The Daily Telegraph, The Washington Post et d’autres grands quotidiens internationaux

P. 7 ITAR-TASS

Ce supplément de huit pages est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Russie), qui assume l’entière responsabilité de son contenu Mercredi 16 mai 2012

RENCONTRES

Programme présidentiel Poutine a défini les priorités de son troisième mandat, privilégiant les investissements

La poursuite du chantier inachevé

Diversité sous les couleurs russes aux JO

Pour son sextennat, Vladimir Poutine souhaite améliorer le quotidien des Russes. Au cours de ses deux précédents mandats, il n’avait réalisé qu’un tiers de ses promesses électorales.

ITAR-TASS

MAXIME TOVKAÏLO, PHILIPPE STERKINE VEDOMOSTI

Dès son investiture, le 7 mai, l’ex- et nouveau président a signé 11 décrets fixant les objectifs et les priorités de son nouveau mandat. Si la plupart reprennent les points annoncés dans son programme électoral, selon son porte-parole du Dmitri Peskov, les délais de réalisation y sont plus clairement énoncés. Vladimir Poutine a évalué son programme à 1,5% du Produit intérieur brut en dépenses supplémentaires annuelles. Le ministère des Finances vise plutôt 2%, et le Centre de recherches macroéconomiques de Sberbank chiffre le montant à 1,3 trillions d’euros entre 2012 et 2018. Le programme s’articule autour des axes suivants : l’économie (climat favorable aux investissements) ; le social (logement, santé, enseignement et science, démographie, règlement des conflits interethniques, problèmes administratifs) ; l’armée (réforme du service militaire, modernisation de l’industrie militaire) et la politique étrangère.

À l’approche des Jeux Olympiques de Londres, nous sommes allés à la rencontre de quatre sportifs russes de haut niveau issus de l’immigration. Ces garçons et filles, qui se sentent russes à part entière, ont toutes les chances de faire partie cet été d’une délégation nationale aux couleurs de la diversité. Ils nous parlent de leur pays, de leur identité et de leur culture russes ainsi que de leurs ambitions sportives. PAGE 8

OPINIONS

AP

L’heure des « gestionnaires de crise »

L’investiture de Vladimir Poutine pour un troisième mandat de six ans a été retransmise par six chaînes de télévision nationales.

PHOTO DU MOIS

Cinéma Des films russes programmés au Festival de Cannes

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

« Le cinéma russe souffre d’un double handicap : un manque de demande à l’étranger et une mauvaise commercialisation », constatait le producteur Evgueni Guindilis lors d’une table ronde le 20 avril à Moscou. « Nous voulons que le cinéma russe puisse être présenté aux publics étrangers. Nous voulons

voir nos stars sur les écrans européens et dans des productions américaines », ambitionne Elena Romanova, directrice du département international de « Fond Kino » (« Fonds pour le Ciné-

Les chevaux d’honneur

ma »), un organisme d’État chargé de la promotion du cinéma russe. On en est loin. La présence de celui-ci sur les écrans étrangers reste minimale à ce jour. Hormis quelques rares films d’art et d’essai comme Elena ou Faust qui, auréolés de prix dans les grands festivals, font une carrière honorable en salle, la production russe reste à consommation nationale. Le cinéma populaire est estampillé « inexportable » et la plupart des films d’art et d’essai passent à côté du radar des distributeurs internationaux. SUITE EN PAGE 7

EN LIGNE SUR LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR

Une cavalière de l’équipe conjointe de l’Escorte de la cavalerie d’honneur du Régiment présidentiel et de l’École d’équitation du Kremlin, invitée à participer aux célébrations de l’anniversaire du couronnement de la Reine du Royaume-Uni, Elisabeth II. Retrouvez sur notre site Web le reportage et le diaporama du village de Poutilkovo où l’équipe s’est préparée à l’événement : larussiedaujourdhui.fr/14559.

Un bastion reconverti

La « marche des Millions » du 6 mai en riposte à l’investiture de Poutine a débouché sur des affrontements sanglants entre manifestants et forces de l’ordre.

L’alliance franco-japonaise RenaultNissan prendra progressivement le contrôle du russe Lada d’ici à 2014 sur un marché qui se porte bien. Le prix a été fixé, mais les modalités du financement restent à préciser.

À la frontière Est du pays, Smolensk a protégé la Russie des envahisseurs à maintes reprises au fil de la longue histoire du pays... avant d’épouser une vocation touristique.

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ITAR-TASS

Lada roule pour Renault

© RIA NOVOSTI

La contestation se durcit

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© RAMIL SITDIKOV_RIA NOVOSTI

PAUL DUVERNET

REUTERS/VOSTOCK-PHOTO

Stratégie pour une place sur les écrans étrangers Les films russes s’exportent mal. Leur projection dans les grands festivals doit s’accompagner d’une amélioration de la formation et de la recherche de co-productions internationales.

Le politologue russe Boris Mejouev évoque, parmi trois orientations possibles de la politique russe sous Poutine 3.0, le besoin d’une « caste » dirigeante apte à gérer les crises.

LORI/LEGION MEDIA

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ALAMY/LEGION MEDIA

Le voilier géant Sedov fera le tour du monde en 394 jours LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR/14572


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Politique

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR COMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETA DISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

Poutine programme ses priorités jusqu’en 2018

« Pragmatique »

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Poutine a transmis à Medvedev le soin d’achever les privatisations. SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE

Pour Poutine, la priorité de son troisième mandat reste la politique sociale. D’ici à 2018, l’espérance de vie devrait passer de 69 ans actuellement à 74 ans et le revenu moyen du travail augmenter de 1,4-1,5 fois. Dès 2012, la rémunérarion des enseignants rejoindra la moyenne des salaires, tandis que celle des professeurs d’université et des médecins devrait doubler au cours des six prochaines années. Selon les estimations du Centre de recherches macro-économiques, ces deux seules mesures se chiffrent à 87,5 milliards d’euros. Pas question de hausse des retraites dans les décrets mais Poutine a décidé d’en augmenter le montant pour ceux qui continuent de travailler au-delà de l’âge minimum requis. Le recteur de l’École économique de Russie, Sergueï Gouriev, y voit une manière détournée de relever l’âge de la retraite. Non pas détournée mais délibérée, cor-

© ALEKSEI NIKOLSKI_RIA NOVOSTI

ILS L’ONT DIT

Poutine a toujours été un politicien pragmatique. Quand il est arrivé au pouvoir, la contrainte était la volonté de la classe dirigeante de conserver ses titres de propriété, ce qu’il a négocié. Aujourd’hui, la contrainte est de transformer la Russie en un État européen. Qu’il le veuille ou non, Poutine devra s’adapter.

rige Vladimir Nazarov de l’Institut Gaïdar : « C’est l’une des manières de lutter contre le déficit des caisses et pour qu’elle soit efficace, il faut motiver les citoyens et les encourager à continuer de travailler. Par exemple, par le biais de cette hausse de la pension pour quelqu’un qui travaille cinq ans de plus après l’âge légal ». D’ici à 2018, chacun doit pouvoir améliorer ses conditions de logement au moins tous les quinze ans, mentionne Poutine dans ses décrets. Pour cela, le taux de crédit immobilier ne doit pas dépasser le taux d’inflation de plus de 2,2%, tandis que le prix au mètre carré du logement doit diminuer de 20%, porté par un programme de construction de logements sociaux. Selon la Banque centrale, en avril, le taux de crédit immobilier était de 12,1% et l’inflation seulement de 3,1%. D’après le calcul de Poutine, les banques ne devaient pas proposer un taux supérieur à 5,8% annuels.

STANISLAV BELKOVSKI, POLITOLOGUE

"

Poutine présente la Russie comme un partenaire prévisible. C’est un important signal pour les Occidentaux : il n’y aura plus de coupures de gaz en Ukraine, d’expéditions blindées en Géorgie. Si l’Occident n’intervient pas dans les affaires intérieures russes. KONSTANTIN EGGERT, EXPERT

Selon le vice-président de la Raiffeisenbank, Andreï Stepanenko, seule la Sberbank peut assurer des crédits au taux exigé. Si l’on en croit les prévisions d’ici à 2014, le gouvernement espère maintenir l’inflation à 4-6%, le

© DMITRI ASTAKHOV_RIA NOVOSTI

taux maximum pour le crédit au logement devant alors tourner autour de 8%. Pour assurer ce taux, il faudrait mettre en place un véritable marché de l’épargne à long terme, considère Stepanenko : « Ce marché peut être créé à l’aide de l’argent des retraites ». Pour le directeur du département des ventes de Uniastrum Bank, Egor Chkerine, les grosses banques d’État peuvent émettre des obligations hypothécaires pour 5 à 10 ans, le taux atteignant alors 9-10%. Or, une augmentation des crédits immobiliers en l’absence de logements supplémentaires risque d’entraîner une hausse des prix. Poutine compte par ailleurs créer ou moderniser 25 millions de postes de personnel qualifié et augmenter la part des technologies de pointe dans le PIB (elle est actuellement de 11,6%). D’ici à 2018, la productivité devrait être multipliée par 1,5 par rapport à 2011 et la Russie grimper de la 120ème place à la 20ème dans le classement Doing Business. N’ayant pas exécuté, en tant que Premier ministre, le programme des privatisations, Poutine l’a renvoyé à son successeur Medvedev en le chargeant de le réaliser pour octobre 2012. La privatisation de Rosneft aura l’avantage d’apporter de la liquidité au marché russe, selon Denis Borissov, expert de Nomos bank. À ce jour, la capitalisation de la totalité des sociétés russes est égale à celle de deux américaines : Apple et Google. Gouriev se garde de tout pronostic sur la réalisation des projets de Poutine. Le programme précédent, connu sous le nom de « la stratégie de Gref », n’a été réalisé qu’à 36%, selon les chiffres du Centre des études stratégiques. Bilan : amélioration du niveau de vie, PIB doublé, un budget d’État dans le positif mais échec en matière d’institutions publiques et de gouvernance locale, de réforme juridique et de diversification économique.

Environnement Les règles vont se durcir

Le Kremlin fait le lien écologieintérêts du pays Les activistes, journalistes et particuliers pourront désormais accéder plus facilement aux informations des entreprises et agences gouvernementales en matière d’environnement. ROLAND OLIFANT

THE MOSCOW TIMES

Pour la première fois, le Kremlin reconnaît que « les problèmes écologiques mondiaux liés au changement climatique, à une perte de biodiversité, à la désertification et à d’autres processus environnementaux négatifs » ont un impact sur les intérêts de la Russie. Un rapport publié juste avant que Dmitri Medvedev ne quitte la présidence note aussi le mauvais traitement des eaux, la dégradation des terres agricoles et les quantités croissantes de déchets comme des défis majeurs auxquels le pays se trouve confronté. Les propositions incluent la promotion « d’une croissance économique axée sur l’environnement », en réduisant radicalement la pollution industrielle pour atteindre les niveaux « d’autres pays développés » et en renforçant considérablement l’éducation en matière d’environnement dans les programmes scolaires. Les entreprises pourraient se voir imposer des contrôles d’impact sur l’environnement pour tous leurs projets de développe-

ment, l’introduction progressive d’un système d’audit environnemental et le tri de tous les déchets. Le document n’offre aucune estimation des coûts de cette transition vers des normes plus strictes, mais précise que de tels projets seront financés par les budgets fédéral et régionaux, ainsi que par des partenariats public-privé. Les écologistes ont salué l’initiative tout en précisant que même si la stratégie promet des évolutions, elle offre peu de détails. « Nous accueillons favorablement tout document visant à mettre en place un système de protection de l’environnement », commente ainsiVladimir Tchouprov, directeur du programme énergétique de Greenpeace Russie. « Malheureusement, le document est très incomplet : même s’il contient de bonnes propositions, aucun passage n’explique concrètement comment elles seront appliquées. Aucun organe ministériel n’est nommé pour superviser ces politiques ; par exemple, le texte est entièrement écrit à la voix passive ». Mais Tchouprov a chaleureusement salué l’engagement d’inclure les problèmes environnementaux dans les nouvelles mesures d’éducation nationale, point qu’il considère comme une des priorités de la stratégie.

Contestation L’investiture de Vladimir Poutine entachée par des manifestations qui ont dégénéré dans la violence et la répression

L’opposition ne baisse pas les bras, la police non plus D.KARTSEV ET G.TARASSEVITCH RUSSKI REPORTER

En approchant de la place Bolotnaïa, destination finale de ce qui avait été présomptueusement baptisé « la marche du million », la foule s’est arrêtée subitement. Une chaîne d’OMON (troupes antiémeutes) barrait le passage vers le pont de Pierre, qui mène au Kremlin, mais il restait un couloir vers la place. Les rangs en tête du cortège ont cessé d’avancer et l’opposant Alexeï Navalny a appelé les manifestants à s’assoir sur le sol jusqu’à ce que l’accès à la place soit complètement dégagé. Par la suite, ce « sit-in » sera qualifié de provocation. Puis l’information s’est répandue dans la foule selon laquelle la place

était ouverte : la marche pouvait reprendre.Tout le monde s’est levé. Et c’est là que la cohue a commencé : quelqu’un est tombé à terre alors que des manifestants tentaient d’enfoncer les lignes de l’OMON sur le pont… Les heures qui ont suivi ont été indescriptibles. Les opposants les plus ardents se jetaient sur les OMON, lançant dans leur direction des pierres et des fumigènes, recevant en retour une pluie de coups de matraque. Entre-temps, la durée autorisée de la manifestation s’était écoulée, mais la police a mis 40 minutes avant de commencer à disperser la foule. Ceux qui étaient plus éloignés de l’épicentre ont pu quitter les lieux. Les autres se sont retrouvés encerclés par la police. Les coups pleuvaient, même sur ceux qui ne participaient pas aux violences : de vieilles femmes ou des étudiants étrangers de pas-

que l’humeur sur Bolotnaïa dimanche 6 mai n’était plus du tout celle des manifestations massives précédentes. La créativité amusée a laissé place à la colère.

Une marche autorisée tourne mal sous les yeux de 50 000 personnes rassemblées au centre de Moscou AP

L’appel du 6 mai a provoqué des affrontements à défaut d’une large mobilisation contre l’investiture présidentielle.

sage. Bilan : plus de 400 personnes interpellées, plusieurs dizaines de blessés parmi les manifestants et la police, et sur le fond, une polarisation croissante entre le pouvoir et l’opposition, voire des tiraillements au sein de cette opposition. La question

centrale étant : comment est-on arrivé à un si triste résultat ? La plupart des manifestants n’avaient pas du tout prévu de se battre avec la police, ni de marcher sur le Kremlin ou de camper dans le centre de Moscou voir plus loin. Mais il est clair aussi

Les premières manifestations étaient toujours précédées de querelles autour du choix des orateurs : Navalny, Sobtchak, Akounine, Koudrine, Nemtsov, Prokhorov, Oudaltsov, Tchirikova… Mais le 6 mai, la plupart d’entre eux n’étaient pas présents sur Bolotnaïa. Le cortège n’est pas arrivé à destination, occultant le fossé entre ceux qui mènent et ceux qui suivent.

À noter aussi que très peu de nationalistes étaient présents le 6 mai. C’est encore une preuve de la dissolution des alliances politiques de circonstance que favorisait l’humeur antipoutinienne générale. Le dialogue entre les opposants modérés et le pouvoir ne n’a pas eu lieu. Le mouvement contestataire reste massif, même s’il a perdu des partisans en raison de la simplification des slogans. Ce n’est plus un mouvement citoyen, mais politique. Depuis le 7 mai, plusieurs centaines de contestataires se sont engagés dans une « manifestation itinérante » ininterrompue dans le centre de Moscou. Malgré des interpellations en masse, la police n’a pas réussi à endiguer la « promenade ». Les manifestants poursuivent leurs actions en ayant etabli un campement dans le square de la capitale.

LES SUPPLÉMENTS SPÉCIAUX ET SECTIONS SUR LA RUSSIE SONT PRODUITS ET PUBLIÉS PAR RUSSIA BEYOND THE HEADLINES, UNE FILLIALE DE ROSSIYSKAYA GAZETA (RUSSIE), DANS LES QUOTIDIENS INTERNATIONAUX : • LE FIGARO, FRANCE•THE DAILY TELEGRAPH, GRANDE BRETAGNE • SÜDDEUTSCHE ZEITUNG, ALLEMAGNE •EL PAÍS, ESPAGNE •LA REPUBBLICA, ITALIE•LE SOIR, BELGIQUE •DUMA, BULGARIE •GEOPOLITICA, SERBIE •AKROPOLIS, GRÈCE •THE WASHINGTON POST ET THE NEW YORK TIMES, ÉTATS-UNIS • ECONOMIC TIMES, INDE •YOMIURI SHIMBUN, JAPON• CHINA BUSINESS NEWS, CHINE •SOUTH CHINA MORNING POST, CHINE (HONG KONG) •LA NATION, ARGENTINE•FOLHA DO SAO PAOLO, BRÉSIL • EL OBSERVADOR, URUGUAY. EMAIL REDAC@LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR. POUR EN SAVOIR PLUS CONSULTEZ LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR. LE FIGARO EST PUBLIÉ PAR DASSAULT MÉDIAS, 14 BOULEVARD HAUSSMANN 75009 PARIS. TÉL: 01 57 08 50 00. IMPRESSION : L’IMPRIMERIE, 79, RUE DE ROISSY 93290 TREMBLAY-EN-FRANCE. MIDI PRINT 30600 GALLARGUES-LE-MONTUEUX. DIFFUSION : 321 101 EXEMPLAIRES (OJD PV DFP 2011)


Dossier

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR COMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETA DISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

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Société Tyran ou héros ? Le souvenir du dirigeant soviétique continue de hanter et de diviser la mémoire collective russe

Staline : le mythe à deux faces LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Les murs du Kremlin dominent une place sur laquelle, il y a plus de vingt ans, des centaines de milliers de Moscovites manifestaient contre le régime soviétique. Aujourd’hui, au même endroit dans la galerie marchande souterraine « Okhotniy riad », des touristes se font prendre en photo pour quelques roubles avec des personnages transformés en faux Lénine ou Staline. « C’est moi qui suis le plus demandé. Il m’arrive de gagner jusqu’à 500 euros par jour », se vante Staline. Ses clients : surtout des provinciaux. Il arrive aussi que des nostalgiques du communisme défilent sous des bannières à l’effigie de leur grand homme.

Ambivalence

En réalité, les sociologues du Levada-Centre, un institut spécialisé dans la recherche sur la société russe contemporaine, constatent que la cote de popularité de Staline a légèrement baissé ces dix dernières années, à 30%. Aimeriez-vous vivre sous Staline ? Les Russes ne sont que 3% à dire oui. La division manichéenne entre anti et pro-Staline a elle aussi vécu : 60% des Russes ont une double vision du personnage ; d’une part, le tyran cruel qui a fait des millions de victimes et d’autre part, le chef d’État avisé qui incarnait la grandeur de l’Union soviétique. En Occident, Staline est associé à la terreur du Goulag et à la collectivisation de l’agriculture qui a conduit à la famine. Mais en Russie, cette image est pour certains effacée par celle du vainqueur du nazisme. Boris Doubine, directeur des recherches socio-politiques au Levada-Centre, résume l’inévitable conflit : mettre en avant les réalisations de l’URSS sous Staline, c’est une façon de justifier ses crimes ; mettre l’accent sur la terreur, c’est attenter à l’identité des Russes qui sont fiers de leur passé. « Nombre de mes camarades dont des parents furent victimes de la répression affirment sans regret que leurs proches étaient des criminels ! », écrit Alexandre, 15 ans, dans une rédaction sur le thème de Staline organisée à la demande de La Russie d’Aujourd’hui dans un lycée de Moscou. Les dirigeants actuels tiennent un discours ambivalent eux aussi. « À mon avis, on ne peut pas juger de manière générale », a déclaré Vladimir Poutine lors d’une allocution officielle en 2009, soulignant que sous Staline, l’URSS est devenue une véritable puissance industrielle, côté pile d’un régime qui a fait aussi de trop nombreuses victimes. Doubine considère que ces deux images de Staline sont indissociables dans la conscience collective et peuvent se réveiller séparément, selon le contexte.

Le héros du peuple

Les sociologues expliquent la popularité de Staline de nos jours par le phénomène du « mythe ». Staline n’est pas un personnage historique concret mais le symbole héroïque du peuple soviétique. C’est l’image du vainqueur de la Seconde Guerre mondiale et de la Russie érigée en puissance militaire et industrielle, explique Boris Doubine. Le mythe était déjà très affirmé sous Brejnev dans les années

lée dans un coin. Il n’y a ni monument, ni plaques commémoratives, ni musées, rien », confirme Arseni Roguinski, directeur de l’association Memorial, chargée de réhabiliter les victimes des répressions politiques. Selon le Levada-Centre, la tendance la plus marquée des dix dernières années face à Staline et son régime, c’est l’indifférence. Entre 2001 et 2012, la part des « indifférents » a augmenté de 12% à 47%. « Ce n’est pas de l’indifférence, c’est un refus de comprendre qui était vraiment Staline », conclut Lev Goudkov, le directeur de Levada.

SONDAGE

Troisième tentative

En 2011, sous le président Medvedev, on a soulevé pour la troisième fois en 60 ans la question des crimes de Staline. « Ce n’est pas vraiment la déstalinisation, mais plus un hommage à la mémoire des victimes de la répression politique », précise Mikhaïl Fedotov, chef du Conseil présidentiel des droits de l’homme, à l’origine de cette campagne. Le Conseil a proposé, entre autres, de rendre publiques les dernières archives secrètes, d’ouvrir des centres du souvenir pour les victimes à Moscou et à Saint-Pétersbourg, et de créer un Institut national de la Mémoire. En d’autres termes, le Conseil veut mettre l’accent non pas sur la condamnation de Staline mais sur ce qui doit réunifier la société : la mémoire des victimes. Selon Mikhaïl Fedotov, l’avenir du programme est incertain. « Il n’est pas à exclure que Vladimir Poutine considère qu’il y a des affaires plus importantes dans la société que ce programme », affirme Fedotov, soulignant par ailleurs que Dmitri Medvedev devenu Premier ministre, il est probable qu’une suite sera donnée : « Pour l’instant, la réalisation du programme est ralentie en raison de la prise de fonctions du nouveau président ». Il est évident que la société devra tôt ou tard ouvrir le débat. « Une société normale ne peut pas se développer sans un consensus social autour des valeurs essentielles. Il faut les énoncer : le totalitarisme, c’est le mal, car il tend à considérer l’être humain comme un moyen utilisé par le régime pour atteindre ses objectifs », affirme Fedotov. Il n’empêche que pour l’instant, en Russie, la norme veut que l’homme soit au service du gouvernement et non pas le contraire.

Dans les années 2000, la société russe se serait réconciliée avec son passé soviétique, selon les sociologues La déstalinisation passera par la réintégration des victimes dans la conscience collective d’histoire, commandés en 2008 par le Kremlin, Staline est décrit comme un « dirigeant efficace » et un « modernisateur ». Selon les sociologues, l’image de Staline-tyran est aussi porteuse des notions d’ordre et de l’aura du redresseur de torts. « Cette corruption, cette criminalité... Sous Staline, il n’y avait pas tout ça car les gens avaient peur ! », déclare Victoria Soultanova, jeune activiste du mouvement pro-Poutine Nachi.

La mémoire occultée

Pour les sociologues, dans les années 2000, la société russe s’est réconciliée avec son passé soviétique. « Or, cela s’est fait par l’élimination de la mémoire de toute les notions de répression liées au régime totalitaire : les massacres, le Goulag, la déportation de populations entières, sans parler de l’Holocauste, qui est quasiment absent de la conscience collective », explique Doubine. « En Russie, la mémoire de la terreur, c’est une mémoire refou-

Le buste de Staline réalisé par Nikolaï Tomski et installé en 1970 surplombe la tombe du personnage historique sur la Place Rouge à Moscou.

« Les ignominies de Staline dépassent de loin tous ses mérites » Fils et petit-fils de victimes de la répression stalinienne, Boris Drozdov évoque son histoire personnelle et son engagement en faveur de la déstalinisation. VLADIMIR ROUVINSKY

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Alexeï Kouzmitch, grand-père de Boris Drozdov, fut le premier touché par la vague de répression. En dépit du fait qu’il était bolchevique, Kouzmitch fut accusé d’avoir résisté à la révolution et au pouvoir soviétiques en Crimée. Il fut fusillé en 1921, 18 jours après son arrestation et sa mémoire ne fut réhabilitée par un décret ukrainien qu’à la fin des années 90. « En 1924, ce fut au tour de mon père, Pavel Alekseevitch, raconte Boris Drozdov. Il avait perdu sa mère en 1920 et

son père en 1921. À peine âgé de 15 ans, il a commencé à travailler. Infirmier, coursier, là où il pouvait ». Il fut arrêté en 1924 sous le même chef d’accusation : organisation d’une insurrection armée contre le pouvoir soviétique. Il fut déporté pour trois ans dans l’Oural. Libéré en 1927, il resta sur place pour participer comme beaucoup d’autres à la construction d’une usine de cellulose et de papier, dans laquelle il travailla ensuite comme comptable, domaine où il excellait. « C’est sûrement ce qui l’a sauvé », note son fils.Pavel voit sa vie s’améliorer petit à petit. Il se marie et a une fille. En 1932, il est appelé à rejoindre son patron dans la Kolyma, la région des goulags les plus durs, comme adjoint du chef comptable de Dalstroï,

l’organisation chargée de travaux publics ayant recours aux travailleurs forcés. Boris Drozdov naît à Moscou, tandis que son père se trouvait à Vladivostok. « Ça allait plutôt bien, dit-il, jusqu’à la nouvelle vague de purges qui a suivi le meurtre de Kirov (chef du Parti à Leningrad) en 1934 ». En 1937, Epstein, chef comptable et patron de Drozdov, est arrêté. « Pas mon père car il fallait faire le bilan annuel de Dalstroï », explique Boris. L’arrestation intervient le travail terminé, en juin 1938. « Je n’ai su que mon père était vivant qu’en 1951, quand il fut libéré. Ma mère et ma sœur le savaient, mais toute correspondance était interdite ». En 1954, Boris rentre à Moscou afin de poursuivre ses étu-

des. Sa sœur y était déjà et mult i p l i a i t l e s l e tt r e s p o u r convaincre les autorités que son père avait été condamné injustement. « En 1956, trois ans après la mort de Staline, la condamnation de mon père touche a sa fin et il est réhabilité cette même année ». Boris s’inscrit à l’Université de Moscou en faculté de mécanique et mathématiques. Mais il est renvoyé en tant que fils d’un « ennemi du peuple ». Dans les années 2000, Boris Drozdov décide de se documenter sur son père et son grandpère. Il trouve de l’aide auprès de l’ONG Memorial. Il veut la déstalinisation du pays : « Les ignominies commises par Staline dépassent tous ses mérites. La construction du communisme s’est effectuée sur les sque-

SERVICE DE PRESSE

VLADIMIR ROUVINSKY

1960-70, qui ont vu Staline condamné pour ses crimes mais le stalinisme en tant que système, non remis en cause. À l’époque, les gens se divisaient en deux catégories : « Ceux qui n’ont pas subi la répression considéraient que Staline était un génie. Ceux qui en ont été victimes le voyaient comme l’incarnation du mal », raconte Boris Drozdov, un Moscovite de 78 ans dont le grandpère fut fusillé et le père déporté dans les camps. Cette image mythique est toujours présente de nos jours dans la conscience collective. Les défenseurs des droits de l’homme considèrent que le pouvoir a beaucoup contribué à entretenir cet amalgame, prenant les avancées soviétiques comme modèle de référence. Et même dans les manuels destinés aux professeurs

AFP/EASTNEWS

Soixante ans après la mort de Joseph Staline, son image est conspuée, adulée, exploitée, mais surtout ignorée. Une nouvelle campagne vise à refermer la fracture.

Boris Drozdov : un témoignage en forme d’un « J’accuse ».

lettes des déportés, tandis que la guerre a été remportée avant tout grâce au peuple, juge-t-il. Je n’en veux ni au pays, ni aux gens ». Les personnes touchées directement par la répression, prêtes à la raconter aux jeunes générations, se raréfient : « Reste cette impression que cette tragédie peut se répéter. Notre pays est si imprévisible », s’inquiète Boris.


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Économie

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.larussiedaujourdhui.fr communiqué DE ROSSIYSKAYA GAZETA distribué AVEC LE FIGARO

Automobile L’alliance franco-japonaise va prendre le contrôle du constructeur russe en 2014

Lada passe les clés à Renault-Nissan Le couple Renault-Nissan débourse 570 millions d’euros pour obtenir indirectement une part majoritaire dans le capital de l’ancien géant soviétique, dont les ventes ont ralenti.

dat présidentiel deVladimir Poutine a sans doute joué. Début avril, ce dernier, encore en qualité de Premier ministre, a inauguré une nouvelle chaîne de montage de 350 000 voitures par an à l’usine AvtoVAZ de Togliatti. Cette ligne assemble la Lada Largus, le premier véhicule d’AvtoVAZ basé sur la plateforme Dacia Logan, qui fait depuis plusieurs années un tabac dans toute la Russie. Le gouvernement russe, etVladimir Poutine en particulier,

Paul Duvernet

la russie d’aujourd’hui

La Russie devrait très bientôt détrôner l’Allemagne et devenir le premier marché automobile européen

AFP/eastnews

À l’issue d’une réunion le 3 mai à Paris entre les principaux actionnaires d’AvtoVAZ (marque Lada), les constructeurs français et japonais ont annoncé la formation d’une coentreprise avec le holding d’État RosTekhnologii qui, jusqu’ici, contrôlait la majorité des actions du constructeur russe. La coentreprise détient désormais 74,5% d’AvtoVAZ. Le montage financier complexe stipule que Renault et Nissan apporteront des fonds par étapes jusqu’à la fin 2014, date à laquelle l’alliance aura consolidé une part de 67,13% de la coentreprise, soit exactement 50,01158% du constructeur russe. Renault, qui a déjà déboursé 750 millions d’euros en 2008 pour une part de 25% d’AvtoVAZ, va financer 225 millions d’euros supplémentaires. Au total, le groupe français aura investi 1,22 milliards d’euros depuis 2008. De son côté, le constructeur japonais y contribuera pour 337,5 millions d’euros. La banque d’investissement Troika Dialog, qui détient un quart du capital d’AvtoVAZ, va progressivement vendre ses parts à la coentreprise entre RosTekhnologii et l’alliance Renault-Nissan. Rostekhnologii prend à sa charge (en réalité, il s’agit du

Chaîne d’assemblage de la Lada Largus, le premier véhicule d’AvtoVAZ basé sur la plateforme Logan.

en Chiffres

1,2

miliards d’euros, c’est la somme totale dépensée par Renault dans le constructeur Lada.

31% 2,9 Part de marché de l’alliance Renault Nissan AvtoVAZ en Russie.

millions de véhicules neufs devraient être vendus cette année, contre 2,65 en 2011.

budget d’État) d’éponger la dette du constructeur russe (1,35 milliards d’euros). L’acquisition d’une part de contrôle par l’alliance était attendue pour le mois dernier, mais les dernières négociations ont traîné. Du côté de l’investisseur, la volonté d’avoir une meilleure vision de la politique gouvernementale lors du troisième man-

Technologie Premières avancées concrètes financées par la « Silicon Valley » russe

Interface entre cerveau humain et ordinateur : c’est pour demain Le rêve favori des écrivains de science-fiction se réalisera très bientôt. Des chercheurs russes sont en train de mettre au point un logiciel d’interface neuronale, grâce à une bourse offerte par la technopole de Skolkovo.

Urbanisme Skolkovo annonce le futur

La technopole conçue comme une vraie ville Skolkovo, la cité du futur consacrée à la science, la recherche et l’innovation, telle une « Silicon Valley » russe, s’apprête à sortir de terre. Projet utopique ou visionnaire ? Tatiana Hachimi

Le système peut taper des lettres sur un écran et diriger un objet mobile, par exemple un fauteuil roulant

Tatiana Toropova

eastnews

Spécialement pour la russie d’aujourd’hui

La technologie « Interface Cerveau-Ordinateur » permet à des gens qui ont perdu la vue ou l’ouïe de voir et d’entendre grâce à l’implantation, dans le corps humain, d’un dispositif qui transmet l’information biologique de l’homme à un micro-processeur et inversement. Cela s’appelle implants cochléaires et implants rétiniens. Cette technologie - l’interface neuronale directe (IND) - permet également de saisir un texte sur un clavier, diriger des objets mobiles et pratiquer des jeux vidéo, le tout à l’aide de stimuli que le cerveau envoie à un dispositif électronique. En Russie, les programmeurs projettent, dans un avenir proche, de créer des neuro-communicateurs pour que le cerveau dirige la main, qui agit de manière indépendante, ou tout autre prothèse qui sera mise en mouvement par l’effort de la pensée. « Au fondement de cette technologie repose le décryptage des intentions de l’homme via les ondes cérébrales, une mé-

pas d’expérience d’utilisation d’un clavier peut, avec deux doigts, taper 90 lettres à la minute. Nous avons tout optimisé pour obtenir une vitesse de 15 lettres par minute. Cela nous a permis aussi de comprendre quelles sont les perspectives d’avenir. Il est important également de tenir compte de la rapidité de l’apprentissage. On peut retenir nos algorithmes en trois minutes, et près de 80-90% des personnes qui ont appris ces algorithmes peuvent taper un texte à l’aide de la pensée, les bras croisés », détaille le professeur Kaplan.

priaient depuis plusieurs années l’alliance de monter au capital et d’accélérer les investissements dans un constructeur automobile stratégique pour le pays. Les économistes estiment à un million les Russes qui vivent plus ou moins directement de la production et de la distribution d’automobiles Lada. D’où la volonté politique de garantir la survie d’une usine qui est aussi le poumon économique de la ville de Togliatti. Moscou espère que l’industrie automobile russe dans son ensemble profitera des technologies apportées par l’alliance franco-japonaise. Une partie des experts voient d’un bon œil l’approfondissement des liens capitalistiques dans le cadre du partenariat.

thode appelée électroencéphalogramme », explique Alexandre Kaplan, docteur en sciences biologiques, professeur, directeur du laboratoire de neurophysiologie et d’interfaces neuronales de l’université d’État de Moscou (MGU). Et d’expliquer que « grâce au système d’interface neuronale, les gens ont déjà appris à taper des lettres sur un écran, diriger un objet mobile, par exemple une voiturejouet ou un fauteuil roulant, en modifiant par leur volonté leur activité bioélectrique. On en fait déjà un large usage dans le domaine médical, mais pas encore dans la vie de tous les jours. Le matériel est encore trop massif et trop cher, toujours imparfait ». Et c’est précisément à

en Chiffres

15

C’est le nombre des lettres par minute que peut taper le logiciel élaboré par les chercheurs de l’Université d’État de Moscou. Soit deux fois plus que les concurrents.

l’utilisation des IND au quotidien que travaillent actuellement les scientifiques de MGU. « En matière de frappe, les logiciels élaborés avant nous permettaient de taper huit lettres à la minute, tout au plus. En comparaison, quelqu’un qui n’a

Les chercheurs travaillent aussi sur un autre type de manipulateur. « Vous êtes assis à votre bureau en train d’écrire et tout à coup le téléphone sonne. Dès que vous y avez pensé, le bras manipulateur saisit le téléphone à l’autre bout de la table. Ça a l’air drôle et futile. Mais par la suite, on peut doter le manipulateur de chenilles ou de roulettes, et il aura un champ d’action élargi. Nous travaillons aussi sur les exoprothèses. Si l’on dotait ces dernières de mécanismes pour les diriger par la pensée, cela résoudrait les problèmes de millions de gens », selon le scientifique. « Dès la fin de l’année 2012, nous avons prévu de fabriquer de tels manipulateurs », poursuit le professeur Kaplan. « Nous aurons encore besoin de six mois pour le robot qui exécutera les commandes envoyées par le cerveau de l’homme. Et notre priorité reste évidemment la prothèse ».

« L’optimisation de la structure du groupe et de sa direction opérationnelle va continuer à porter ses fruits », juge Kirill Markine, analyste chez Investkafe. Mais pour Alexeï Zakharov, expert chez Finam, l’accord signé le 3 mai est une déception. « Il ne s’agit que d’un protocole d’intention sans obligation juridique ». L’expert souligne que « les espoirs de voir Carlos Ghosn [patron de Renault-Nissan] prendre la direction opérationnelle d’AvtoVAZ sont de nouveau repoussés à plus tard ». Le 3 mai, Carlos Ghosn a déclaré que les constructeurs uniront leurs efforts et leurs compétences afin de potentialiser leurs ressources sur le marché russe, qui connaît une croissance très soutenue. La Russie devrait très bientôt détrôner l’Allemagne pour devenir le premier marché automobile européen. Les prévisions pour cette année sont de 2,9 millions de véhicules. Pour l’alliance, la Russie est déjà le troisième marché mondial après les États-Unis et la Chine. Renault, Nissan et AvtoVAZ ont ensemble vendu 878 990 voitures en Russie l’année dernière, dont 578 387 sous la marque Lada. Le constructeur russe est en fait en chute libre sur un marché qu’il dominait il y a encore six ans et qui était en hausse de 13% au premier trimestre 2012 ; or, les ventes d’Avtovaz y ont baissé de 15% à 109 388 unités, avec une part de marché de 18%. Mais l’alliance Avtovaz-Renault-Nissan représente à ce jour une pénétration de 31%.

la russie d’aujourd’hui

Alors que fin 2012 devrait marquer le début de la phase de construction suivant un plan d’urbanisme développé par le bureau français AREP, comme le souligne David Chipperfield du Conseil urbain de la Skolkovo Foundation, le défi de ce projet consiste à inventer une ville à partir d’une feuille blanche, à passer sans transition et sans histoire de l’idée à la réalité. La marge de manœuvre est réduite. Le risque est élevé. Est-il possible de tout prévoir, de tout anticiper pour concevoir un tissu urbain dans toute sa complexité, tant au niveau des interactions humaines que de ses infrastructures ? De tout temps, des utopies urbanistiques ont vu le jour : Brasilia, Auroville, Astana, Ordos... Certaines se sont révélées des réussites. D’autres non. Skol­kovo, elle, se singularise par son objet, l’innovation. Les futurs chercheurs qu’elle ambitionne d’attirer travaillent déjà en réseau. La ville conçue comme une cellule s’étire à partir d’un noyau central structuré autour de l’université et du Technopark, pièces maîtresses de la cité. Sa superficie totale de 400 hectares divisée en quatre districts comporte

des espaces de logements, de commerces, de loisirs et de services entrecoupés de nombreuses zones vertes. La réalisation des bâtiments conçus dans une optique d’économies d’énergie a été confiée à une série de bureaux d’architecture, dont Her­ zog & de Meuron, OMA ou Sanaa. Pour rendre la ville attractive pour ses usagers (26 000 personnes, dont 6 000 chercheurs qualifiés, 2 500 étudiants ou personnels académiques et 10 000 entrepreneurs), l’innovation y sera non seulement générée, mais aussi présente au quotidien. Comme l’explique Jack Bennet, directeur adjoint à la Skolkovo Foundation, « nous voulons mettre en œuvre un concept de « Smart City » en partenariat avec l’entreprise CISCO ». Le projet bénéficie déjà de quelque 250 millions d’euros d’investissement de leaders mondiaux dans des secteurs de pointe tels que Boeing, EADS ou IBM, et d’un partenariat avec le Massachusetts Institute of Technology - un premier signe positif de la part du marché pour le projet dont le coût total est estimé entre 4 et 5 milliards d’euros. Si la Russie réussit ce pari risqué, elle pourrait enclencher une dynamique de nature à diversifier durablement son économie. Dans cette perspective, Skol­ kovo était représentée au premier New Cities Summit, qui vient de se tenir cette semaine à Paris (du 14 au 16 mai), pour échanger sur les défis des centres urbains au XXIème siècle.


Régions

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR COMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETA DISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

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Destination Smolensk au-delà de l’histoire qui en a fait un fief contre les envahisseurs

Un bien joli bastion sur le front de l'Est

Voir notre diaporama sur larussiedaujourdhui.fr

NATALIA KRAINOVA THE MOSCOW TIMES

Interrogez les habitants de Smolensk sur ce qu'ils estiment être le problème numéro un de leur ville, et ils vous parleront de la voirie, en piteux état, surtout au début du printemps et vers la fin de l’automne. Les rues « ne sont pas entretenues du tout ! », se plaint la vendeuse de journaux au kiosque de la gare. Mais la ville située à 60 km de la frontière biélorusse n’a rien perdu de sa fierté, et ses habitants espèrent que la célébration du mille cent cinquantième anniversaire de Smolensk en 2013 donnera lieu à d’importantes améliorations. De fait, la Mairie a prévu de restaurer les vieux immeubles et de réparer la chaussée en vue du jubilé. Les origines de Smolensk prennent racine dans le commerce. La légende rapporte que la cité se trouvait sur la route commerciale utilisée par les Vikings et les Grecs et qu'elle a été fondée à l’endroit même où les marchands faisaient porter leurs navires du fleuve Dvina au Dniepr. La première grande bataille de l’histoire de Smolensk date de 882, quand la ville fut prise par le prince russe Oleg et intégrée à la « Rus de Kiev » (région). De 1127 à 1243, Smolensk fut la capitale de la Grande principauté du même nom, l’une des plus puissantes en Russie. Au tournant du XIIIème siècle, la ville abritait plus d’églises en pierre que n’importe quelle autre cité russe. Deux d’entre elles, érigées au XIIème siècle, s o n t e n c o re e n b o n é t a t aujourd’hui : l’église de l’Archange Michael et celle de Saints-Pierre-et-Paul. Smolensk a été prise par un prince lithuanien au XIVème siècle puis conquise, en 1514, par la Grande principauté de Moscou. En 1611, après un siège de 20 mois, la Pologne s’en est emparée pour l’annexer à la République des Deux Nations. Mais la Russie a réussi à la récupérer en 1654. La cathédrale de l’Assomption élevée alors commé-

more la résistance héroïque face à l’envahisseur polonais. En 1812, la plus grande partie de la ville a été détruite lors des combats féroces qui ont duré deux semaines au moment où l’armée napoléonienne, tenue en échec à Moscou, battait en retraite. La bataille est commémorée dans le Parc mémorial des héros par un monument de 1912 représentant deux aigles perchés sur un rocher qu’escalade un guerrier armé d’une épée. Et la guerre de nouveau, quand les troupes nazies ont envahi la ville, en route vers Moscou, à 380 km au nord-est. Les combats à Smolensk et dans les environs ont duré de juillet à septembre 1941, retardant l’armée d’Hitler de deux mois et demi sur le chemin de la capitale.

À Smolensk, les batailles du passé n’occultent pas les origines marchandes de la capitale du diamant Malgré cette longue histoire guerrière, Smolensk reste plus connue aujourd’hui pour ses origines marchandes. La ville est souvent appelée la capitale russe des diamants, et Kristall, un important producteur de diamants européen (et le plus grand de Russie) y est d'ailleurs installé.

Que voir en deux heures ?

Prenez un taxi ou un bus de la gare pour rejoindre en dix minutes la cathédrale de l’Assomption (Ouspenié), au 5, oulitsa Sobornaïa Gora. C’est le joyau de la ville. Construite entre 1677 et 1772 pour honorer la résistance de la cité aux Polonais, cette église magnifique est restée intacte en 1812 et pendant la Deuxième Guerre mondiale. Elle s’élève à 70 m, des fondations au sommet de la croix. Après avoir escaladé le grand escalier qui mène aux portes principales, n’oubliez pas de vous retourner pour une vue époustouflante sur la ville. La surface de l’église couvre 2 000 m2 et l’iconostase luxueuse s’élève à 31 m. Les plus précieuses reliques sont un suaire du Christ du XVIème siècle et deux icônes miraculeuses, Notre-Dame de Smolensk et Saint Séraphin de Sarov, ainsi qu’une

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CHOSES À SAVOIR SUR LA VILLE

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On trouve à Smolensk l’un des plus longs murs fortifiés au monde (6,5 kilomètres) avec la Grande Muraille de Chine (4 500 à 6 700 km selon les sources) et les Murailles de Constantinople (5 630 km).

2

Il existe plusieurs versions concernant l'origine du nom de la ville de Smolensk. Selon l’une d’entre elles, la ville tire son nom de la tribu antique Smolyan. Une autre mentionne « La route des Varègues aux Grecs ». La ville se situait au bout de la route, là où les navires étaient transportés depuis la Dvina occidentale jusqu'au Dniepr. Le portage se faisait sur le site d'origine de Smolensk (aujourd'hui Gnezdovo) où les artisans locaux couvraient les bateaux de résine (« smola » en russe).

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Le 30 septembre 1933, en montant à 19 000 mètres, le ballon stratosphérique soviétique « URSS-1 » battait le record du Belge Albert Picard, qui avait atteint les 16 000 mètres l'année précédente. La cabine du ballon stratosphérique a été construite à Smolensk et le commandant de l'aéronef Gabriel Prokofiev venait également de cette ville.

croix de bois attribuée au célèbre artiste du XIXème siècle,Victor Vasnetsov. L’icône de Notre-Dame de Smolensk est une copie de l’une des reliques les plus vénérées en Russie. L’original aurait été peint par l’apôtre Luc, du vivant de la Mère de Dieu. En 1101, le prince russeVladimir Monomakh a rapporté l’icône à Smolensk et érigé la première cathédrale de l’Assomption, sur le site de l’actuelle, pour honorer la sainte image. Mais l’édifice a été presque entièrement détruit pendant le siège de Smolensk par les Polonais en 1609-1611, et démonté dans les années 1670. L’icône originale a disparu en 1943 quand la ville a été libérée des Allemands. En sortant de la cathédrale, traversez la route et tournez à

Pour s’y rendre

Où se loger

Où se restaurer

Smolensk est à 6h30 en train de Moscou. Le billet coûte 21 euros en 3ème classe et 48 euros en compartiment. Le train de nuit, qui quitte quotidiennement Moscou à 23h54 et arrive à Smolensk à 6h35, vous évite de perdre une journée à voyager tout en vous offrant quelques heures de sommeil.

L’hôtel "Novi", situé dans l’un des vieux quartiers pittoresques de Smolensk, est un lieu de séjour privilégié pour de prestigieux visiteurs, dont le groupe de hard rock écossais Nazareth. "Smolenskhotel" propose 133 chambres de style européen dans le centre ville historique et le quartier des affaires.

“Smolenskaïa Krepost” sert des repas traditionnels russes préparés selon les recettes du Prince Dmitri Pojarski, libérateur de Moscou. La brasserie Hagen offre une large gamme de bières brassées sur place. Les habitants affichent leur préférence pour Russki Dvor et Mandarinovi Gous.

Katyn se souvient des victimes

ENTRETIEN

Une industrie très prisée La Russie d'Aujourd'hui a posé quelques questions à Nikolaï Afanasiev, directeur général adjoint de Kristall — un important producteur de diamants européen et le plus grand de Russie.

Pourquoi l’entreprise Kristall estelle installée à Smolensk ? C’est le gouvernement soviétique qui en a donné l’ordre en 1961. À l’époque, Smolensk n’avait que deux usines et pas assez d’emplois pour tous les ouvriers. Ensuite, la ville est bien située géographiquement, sur la voie ferrée de Moscou et l’autoroute Moscou-Brest (en Biélorussie), avec un accès aux marchés diamantaires européens. Enfin, l’usine ne consommait pas beaucoup d’électricité, en ces années de pénurie énergétique.

droite jusqu’au premier carrefour, puis à gauche et longez le mur de la forteresse jusqu’au Musée de la vodka russe (4, Studentcheskaïa oulitsa), qui exhibe de l’alcool de contrebande du début du XXème siècle, des bouteilles de vodka soviétique, des affiches originales de campagnes soviétiques anti-alcool et autres curiosités. Le musée occupe une seule pièce — le droit d’entrée coûte moins d’un euro.

Que faire si vous avez deux jours ?

Le village de Flyonovo, à 18 km au sud de Smolensk, abrite les bâtisses d’une ancienne école agricole et d’une bibliothèque pour les enfants paysans, fondées et dirigées à la fin du XIXème et au début du XXème

Qui vous approvisionne en diamants ? Notre principal fournisseur est Alrosa, qui nous procure les deuxtiers de nos diamants bruts. Nous travaillons avec ces diamants de Sakha depuis bientôt 50 ans et ne prévoyons pas de rompre cette tradition. Le reste vient du marché secondaire.

À qui vendez-vous ?

La population locale est fière de notre travail mais la plupart de nos diamants sont vendus à l'étranger. Le plus gros des ventes russes va à Moscou et Saint-Pétersbourg. Mais les touristes viennent spécialement à Smolensk pour visiter notre usine et nos boutiques de diamants locales. Nous vendons aussi via l’Internet.

par la Princesse Maria Tenicheva, une éminente bienfaitrice locale. La bibliothèque a été dessinée par le peintre Sergueï Malioutine, au début du XXème siècle, en forme de « teremok », le palais des contes russes. La partie inférieure est faite de briques et la partie supérieure de rondins, décorés d’animaux et de frises de bois sculpté et peint. L’école et la bibliothèque appartiennent aujourd’hui au musée, tout comme l’église du Saint-Esprit (début du XXème siècle) et son icône de la Sainte Face. Aucun office n’a jamais été célébré dans l’église car le célèbre peintre Nicolas Roerich a enfreint les canons de la construction et le clergé a refusé de bénir l’édifice. Actuellement fermée pour reconstruction, l’église vaut

PHOTOXPRESS

Malgré ses magnifiques églises anciennes et ses sept collines pittoresques, la ville porte encore les marques du champ de bataille qu’elle fut au cours de sa longue histoire guerrière.

ALAMY/LEGION MEDIA

LORI/LEGION MEDIA (3)

Un lieu qui concentre les drames. À 15 km de Smolensk, le village de Katyn est l’endroit où sont enterrés 4 241 officiers polonais, exécutés secrètement par la police soviétique en 1940, ainsi que 6 500 victimes des purges staliniennes des années 1930, et 500 prisonniers de guerre soviétiques fusillés par les Allemands en 1943. En avril 2010, le président polonais Lech Kaczynski et 88 dignitaires de l’État polonais qui se rendaient au mémorial ont péri dans l’accident de leur avion dans les environs de Smolensk. Depuis, l'enquête sur les causes de la catastrophe alimente les tensions entre Varsovie et Moscou. L’entrée coûte 1,20 €, ou 20 € avec un guide parlant anglais ou polonais.

tout de même le détour pour ses extérieurs impressionnants. Au Teremok (nom officiel de la bibliothèque), les visiteurs peuvent admirer les travaux sur bois exécutés par les élèves de Tenicheva et créés par des peintres éminents du tournant du XXème siècle, dont Roerich, Repine, et Vroubel.


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Opinions

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.larussiedaujourdhui.fr communiqué DE ROSSIYSKAYA GAZETA distribué AVEC LE FIGARO

un Troisième mandat qui ne fait pas rêver

redistribution des cartes Fedor Loukianov

Boris Mejouev

C

izvestia

omment sera le troisième mandat présidentiel de Poutine ? Sans surprise. Le style du nouveau président est déjà défini : conservateur, sans à-coups, sans « bond en avant », sans défi à proposer pour l’avenir, sans exaltation de gauche (progressiste) ni de droite (libérale). On ne nous prépare plus à une modernisation à grande échelle mais à de dures épreuves, à des dangers que nous devrons surmonter ensemble et faire en sorte que les événements ne prennent une mauvaise tournure. Le conservatisme a imprégné toute la rhétorique électorale de Poutine. Durant la campagne, il s’est obstinément affiché en gestionnaire de crise expérimenté qui vient toujours à temps pour sauver la situation. Cette image qu’il cultive correspond à la vision que le nouveau président a de lui-même, mais le conservatisme de sa feuille de route n’est pas qu’une affaire d’image. Aucun domaine de la politique nationale ne devrait être sujet à des changements importants. Les experts redoutent pour l’automne, l’hiver au plus tard, une deuxième vague de la crise économique, qui pourrait déboucher sur la chute de la zone euro, l’écroulement des cours du pétrole, et par conséquent replonger une grande partie des Rus-

ses dans une forte inquiétude. Il est évident que personne ne parlera de « modernisation technologique » et d’affectations budgétaires à cette fin tant que la deuxième vague ne se sera pas abattue sur la Russie, ou qu’elle ne nous aura pas, miraculeusement, contournés. Pas de changements prévus en politique étrangère non plus. Les Américains ne vont pas renoncer à leur bouclier anti-missile en Europe - l’invulnérabilité stratégique est un objectif primordial de la politique de défense étasunienne. Sur ce front, une trêve maximale a été atteinte et l’avenir ne réserve que des ennuis. Pas tout de suite, car la crise touchera aussi les ÉtatsUnis, mais tôt ou tard, les difficultés commenceront. Enfin, à l’intérieur du pays, l’accalmie semble durable mais sans véritable perspective d’apaisement. Les « citadins en colères » ont été enfermés dans un ghetto de velours, celui de la « classe créative », séparés ainsi de la province mécontente. Dans le passé, le pouvoir travaillait à l’amadouer, cette classe, en lui organisant fondations, maisons d’éditions, magazines ; en essayant de prouver qu’il œuvrait pour son bien-être. Désormais, le pouvoir ne compte sur aucune affection particulière de la part des « créatifs » et ne s’attend à aucune amélioration. Dans une situation aussi délicate, lorsque sur aucun front personne ne prévoit de passer à

l’offensive, mais en revanche tout le monde est prêt à se faire attaquer par l’ennemi, il n’y a que trois lignes stratégiques possibles. Premièrement, une réforme du système politique russe, qui ne peut pas survivre dans sa forme actuelle. Dans le système existant, le rôle des partis politiques est totalement incompréhensi-

La réforme politique, la place des régions et le rôle des gestionnaires sont les clés des six prochaines années ble. Cependant le processus de formation rapide de partis est déjà en cours et devrait porter ses premiers fruits aux élections régionales. Les partis vont se renforcer et finir par exiger des pouvoirs, comme il se doit pour une formation politique. Dans l’état actuel des choses, le conflit entre les partis et la bureaucratie est presque programmé d’avance. Le pouvoir peut et doit agir dans cette direction. Deuxièmement, la politique régionale. Quand les ressources centrales s’épuiseront, la classe politique active s’intéressera peu à peu aux régions. C’est là que commencera la vraie vie. Après la décentralisation de Medvedev, les régions obtiendront une plus grande liberté politique et finan-

cière, et la question sera de savoir comment elles l’utiliseront. Deux possibilités : soit elles évolueront vers plus d’indépendance dans le cadre de la fédération, soit chacune cherchera à y augmenter son poids. Il va de soi que la fédération ne se renforcera que si le second processus domine le premier. Enfin, il existe un troisième axe, celui du rôle des cadres. L’un des principaux problèmes de ces dernières années, c’est le triomphe ultime d’un ordre que l’on peut appeler « les boyards des ressources ». Il ne s’agit pas seulement des propriétaires des sous-sols riches en ressources minières : dans notre société, tout est devenu ressource, de la terre en friche à la contestation urbaine. Et à chaque ressource, naturellement, son détenteur. On peut obtenir un budget pour n’importe quoi et tout peut être, d’une manière ou d’une autre, capitalisé et exploité. Reste un problème dans ce monde : y vivent mal ceux dont les seules ressources sont leurs capacités personnelles. Précisément, ces « gestionnaires de crise » parmi lesquels voudrait se voir l’actuel président. Ces gens débarquent au moment critique pour tout rectifier et repartir, en ayant conservé en guise de ressource leur seule réputation. Ces gens-là se sentent abandonnés par le pouvoir qui a préféré s’acoquiner avec les boyards des ressources. Difficile à dire de quelle façon, mais le pouvoir va devoir s’attirer la reconnaissance de cette caste, et à cette fin, former une sorte de « noblesse méritocratique », prête a exécuter n’importe quelle tâche, pour le succès du pouvoir, et le sien propre, et non pas pour s’approprier des richesses. Seule une telle catégorie de personnes, si elles se sentent indispensables et unies, pourra, tôt ou tard, nous sortir des marécages de la corruption systémique. En additionnant ces trois lignes d’attaque et en les complétant par un programme concret, nous obtiendrons l’axe d’une bonne présidence. Mieux vaut repousser les autres plans et stratégies au mandat suivant.

La presse russe s’étonne dans son ensemble sur le choix des Français pour un François Hollande au style dépeint comme discret, sobre, voire franchement ennuyeux. Un style tout en contraste avec celui d’un Nicolas Sarkozy hyperactif et tapageur. La victoire du candidat socialiste est expliquée par des promesses économiques et sociales populistes qui ont fait mouche en temps de crise.

Préparé par Veronika Dorman

On reste amis

Épouse ou compagne ?

SLON.RU

KOMMERSANT

komsomolskaya pravda

On ne peut pas dire que Hollande soit un leader charismatique, même en forçant le trait : lors du débat avec Sarkozy, il faisait plus penser à un instituteur qui sermonne un mauvais garnement. Sarkozy s’énervait, Hollande n’était pas convaincant mais restait calme. La plupart des Français semblent préférer un Hollande équilibré et un peu ennuyeux, à un Sarkozy brusque et furieusement actif. Hollande est comme un parent attentif qui ne promet peut-être pas des montagnes d’or, mais du moins la certitude du lendemain. Le socialiste a trouvé un équilibre entre ce que voulaient entendre les électeurs et la réalité objective.

La France, après avoir célébré ou pleuré la victoire du candidat socialiste, s’est tue, effrayée, parce que tout le monde comprend qu’avec le départ de Sarkozy les problèmes ne disparaîtront pas, voire s’aggraveront. Sarkozy a tout mis en œuvre pour se réconcilier avec son adversaire. Son discours d’adieu et l’invitation adressée à Hollande pour les cérémonies du 8 mai témoignent de sa volonté d’un transfert du pouvoir en douceur. En France, il est normal de ne pas achever un adversaire qui a perdu dans un duel honnête, mais d’utiliser plutôt son savoir-faire. C’est d’autant plus vrai de Hollande, connu pour sa capacité à trouver des compromis.

L’arrivée au pouvoir du nouveau président est un casse-tête pour le service du protocole. François Hollande est le premier président français entrant à l’Élysée avec une concubine. Le protocole ne sait pas comment présenter la première dame : Mme Valérie Trierweiler, la compagne du président de la République, ou Mme Valérie Trierweiler-Hollande ? L’intéressée a déclaré récemment que ses relations avec Hollande ne posaient aucun problème, sauf pour une visite au Vatican, mais les spécialistes prédisent des remous lors de déplacements en Inde, Indonésie ou Arabie saoudite. Or, le couple présidentiel ne compte pas se marier tout de suite.

Alexexei Tarkahnov

L’ex-président Medvedev pourrait servir de relais diplomatique à son successeur Dmitri Medvedev va assumer un rôle croissant en politique étrangère, se faisant en quelque sorte le représentant diplomatique spécial de Poutine, vu ses facilités pour communiquer avec les dirigeants internationaux. À cet égard, la petite phrase d’Obama à Medvedev entendue par les journalistes à Séoul, et qui a fait tant de bruit aux ÉtatsUnis, annonce peut-être le mode de communication politique à venir, somme toute réaliste, entre la Russie et l’Occident : « Dis bien à Vladimir... » – « Je lui transmettrai ! ». Fedor Loukianov est le rédacteur en chef du journal « Russia in Global Affairs ».

Article déjà publié dans Izvestia

Le choix de la stabilité Tatiana Makarova

D

ifficile de qualifier Vladimir Poutine de « nouveau » président. Il est devenu le visage de la Russie, populaire à sa façon, mais diabolisé, avec tous les effets positifs et négatifs qui en découlent pour le pays. Comment voitil maintenant sa relation avec les autres chefs d’État ? Il est de coutume de considérer que Poutine est doué pour la recherche d’un terrain d’entente - passé professionnel oblige - et sa politique extérieure est basée sur les relations privées. Son amitié avec Gerhard Schröder et Silvio Berlusconi est connue et il n’y a rien d’étonnant à ce que l’Allemagne et l’Italie soient devenues les deux premiers partenaires européens de la Russie. Bien sûr, on est en droit de se poser la question : cette bienveillance de l’Allemagne et de l’Italie envers la Russie, est-ce l’œuvre des ex-dirigeants de ces pays, ou est-ce la conséquence de la politique propre à ces mêmes pays ? Il est indéniable que la personnalité joue ici un grand rôle, que cette « alchimie » sert de catalyseur pour des processus qui obéissent à leur logique interne. Mais elle ne peut aller à contre-courant. Pourtant, ni Berlusconi, ni Schröder ne sont à l’origine des liens avec la Russie, ils n’ont fait que renforcer ceux qui existaient déjà. L’Italie a été la première, avec l’Allemagne, à acheter le gaz sibérien acheminé en Occident dès la fin des années 60. Les milieux d’affaires italiens et allemands, même en pleine Guerre froide, considéraient le marché soviétique avec grand intérêt, quels que soient les gouvernements. L’amitié avec Berlusconi et Schröder n’a fait que potentialiser une dynamique préexistante.

Encore un exemple flagrant : Nicolas Sarkozy. La ressemblance se retrouve dans le même intérêt pour la réalisation de grands projets et la volonté d’affirmer « la grandeur du pays ». Les relations de Nicolas Sarkozy avec la Russie sont marquées par deux réalisations d’ampleur historique : son rôle dans l’arrêt de la guerre dans le Caucase et la vente à la Russie des navires de guerre Mistral. Il semble néanmoins que l’époque des grandes amitiés soit révolue. Depuis longtemps déjà, on devine chez Poutine comme une lassitude de la routine diplomatique ; l’homme affiche un plus grand empressement à rencontrer les représentants du monde des affaires - moins de protocole et des résultats plus visibles. Du coup, il est probable qu’une fois devenu Premier ministre,

Boris Mejouev est politologue.

lu dans la presse comment hollande a convaincu

Spécialement pour La russie d’Aujourd’hui

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Zakhar Radov

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Culture

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Chronique LitTÉraire

Inaccessible rédemption

AFP/eastnews

suite de la première page

À L’AFFICHE

l’industrie à assister à des projections privées du 15 au 20 octobre prochain dans l’enceinte du GUM, les célèbres galeries commerciales bordant la Place Rouge. Selon Elena Romanova, « en élaborant le concept de « Red Square Screenings », les organisateurs ont pris en compte l’expérience d’Unifrance ». « Le cinéma n’est pas un simple produit, c’est une part essentielle de notre culture », martèle Guindilis. « C’est pour cette rai-

Les journées de l’histoire Européenne

Musique sacrée et classique russe

Du 1 au 2 juin, Centre Malesherbes Sorbonne, Paris

Du 20 mai au 3 juin, Ottmarsheim

La manifestation consacrée à l’histoire des relations entre la France et la Russie de 1812 à 2012 propose un vaste programme de conférences sur l’histoire, l’art et la géopolitique, en marge du 9ème Salon européen du livre d’histoire et du Prix du livre d’histoire de l’Europe.

Sergeï Moushtakoff (balalaïka) et Alexeï LavrentIev (accordéon) interprètent des œuvres écrites pour des orchestres symphoniques par de célèbres compositeurs russes et ouest-européens, avec le barython du Théâtre Bolchoï à Moscou, lgor Morosow.

›› www. association.histoire.free.fr

›› www.scherzo.ch

« Le cinéma n’est pas un produit comme un autre. C’est une part essentielle de notre culture »

Une scène du film « Dans le brouillard » (ci-dessus) réalisé par Sergueï Loznitsa (à droite) rivalisera pour la Palme d’or de Cannes.

de financements, mais aussi de compétences ». Andreï Plakhov attire l’attention sur le fait qu’il « n’existe pas de politique gouvernementale claire. Regardez ce que fait la France par exemple avec les Journées du cinéma français à Paris. [L’agence de promotion] Unifrance fait un travail très efficace du point de vue commercial, ne se limitant pas à promouvoir les grandes stars comme Gérard Depardieu ou Catherine Deneuve, mais aussi toute la jeune génération ». Or, la Russie n’a rien à envier à la France en terme de jeunes réalisateurs talentueux. Pourtant, on reste dubitatif en regardant la liste de films russes sélectionnés et aidés par « Fond Kino » ces dernières années. Hormis la réussite indubitable de Elena, les autres productions sont d’un niveau médiocre, entre comédies adolescentes,

© ekaterin chsnokova_ria novosti

Pour remédier à cette situation, « Fond Kino » lance plusieurs initiatives. Un stand « Cinéma russe » sera présent au Marché du cinéma se déroulant en parallèle au Festival de Cannes (du 16 au 27 mai) avec pour objectif de vendre les dernières productions russes : Doukhless, adaptation d’un best-seller moscovite, La Dame de pique, le dernier film de Pavel Lounguine, Baba Yaga, co-production franco-russo-belge, animation 3D réalisée par Dan Creteur avec un budget de 15 millions d’euros, ainsi que plusieurs films déjà sortis en Russie. L’intégration du film Dans le brouillard, de Sergueï Loznitsa, à la sélection principale de Cannes cette année peut éventuellement braquer les projecteurs sur le cinéma russe. « C’est un film plein de talent », juge Andreï Plakhov, président de la fédération internationale des critiques de cinéma FIPRESCI. « Rien à voir avec son précédent film, « Mon bonheur », qui avait divisé le public au point de presque susciter des bagarres. « Dans le brouillard » renvoie au ciné-

son que nous avons créé « Red Square Screenings ». Ce doit être l’ultime instrument pour la promotion de notre cinéma à l’étranger. Nous devons offrir un confort maximum aux invités. La concurrence est très dure ; par conséquent, nous devons mettre en valeur le cinéma russe d’une manière exceptionnelle, à deux pas de la Place Rouge ». Dans les milieux cinématographiques russes, on reconnaît qu’il reste beaucoup à faire à domicile avant de réaliser les objectifs internationaux désirés. « Il faut une stimulation fiscale pour les producteurs et les distributeurs », souligne Romanova, ajoutant que l’industrie russe est défavorisée par rapport à d’autres pays comme le Canada ou la France. Tous soulignent l’urgence d’améliorer la formation des professionnels. « La crise actuelle est provoquée par un déficit de personnel compétent », remarque Ilia Batchourine, directeur général de Glavkino, un studio de tournage. « Il faut multiplier les échanges avec les studios étrangers, attirer les tournages de films étrangers chez nous. Nous n’avons pas uniquement besoin

ma classique soviétique et ne provoquera pas de scandale ». Romanova précise que Dans le brouillard a « déjà trouvé un distributeur international et « Fond Kino » est prêt à aider le film s’il rencontre des difficultés à être distribué en Russie ». Une autre initiative, baptisée « Red Square Screenings » consiste à inviter les principaux représentants internationaux de

service de presse

Une stratégie pour aider le cinéma russe à s’exporter

films de guerre « patriotiques » brouillons et reconstitutions historiques dispendieuses et ennuyeuses. Plakhov conclut : « Nous avons besoin de créer une mode du cinéma russe, comme l’ont fait les Coréens. La dernière fois que le cinéma russe a été à la mode, c’était en 1990 avec « Taxi Blues » de Pavel Lounguine ». Encore faut-il que « Fond Kino » ne se trompe pas de sélection.

en bref édition nice : 17ème Festival du Livre du 8 au 10 juin Des écrivains et des artistes participeront à ce véritable « Festival de textes et de voix » où, entre autres rencontres proposées, des comédiens liront des extraits de textes d’écrivains russes. Parallèlement, un concert de

musique classique en hommage aux grands écrivains russes sera donné par les élèves du Conservatoire de musique de Nice. Le programme complet est disponible sur le site : ›› nice-livre.com

Tous les détails sur notre site

larussiedaujourdhui.fr

service de presse (2)

pétition pour le russe comme langue de l’union européenne Une pétition-sondage visant à faire reconnaître le russe par l’Union européenne vient d’être mise en ligne. L’objectif est de réunir 54 000 signatures en France et ainsi de lancer une initiative citoyenne qui sera exami-

née par la Commission européenne si le million de signataires est atteint à l’échelle européenne. La reconnaissance permettra une prise de conscience de la dimension continentale de l’Europe. Pour y prendre part, consultez notre site.

titre : Potemkine ou le troisième coeur Auteur : Iouri Bouïda Édition : Gallimard Traduit par Sophie Benech

C’est la fin des années 20, à Paris. Dans cet entre-deux guerres défini par Bultmann comme « une halte douloureuse entre la Crucifixion et la Résurrection ». Le jazz mêle ses accents à ceux de La Madelon, les cicatrices laissées par la grande guerre sur les hommes et sur toute la société sont profondes. Dans ce Paris léger et tragique, Dali croise Mademoiselle Channel et Berdiaev Teilhard de Chardin ; Théo le Russe blanc, croise Mado l’adolescente unijambiste, psychopathe, cynique et pleine de hargne tout droit sortie de la Cour des miracles d’Hugo. Théo, Fiodor Zavalichine, est un de ces nombreux Russes qui peuplent Paris et sa banlieue. Ancien militaire, médaillé de la grande guerre, c’est la photo pornographique qui lui assure une existence prospère. Théo et ses amis évoquent leur vie à la lumière de la pensée inévitable de Dostoïevski, mais aussi de celle de Pascal, de Spinoza, de la Bible et de la mythologie grecque. Un jour, la vie de Théo bascule. Il revit, à travers le film d’Eisenstein, la tragédie du Potemkine à laquelle il prit part lors de son service militaire à Odessa. Il réalise soudain qu’il a tiré sur d’innocentes victimes, des femmes et des enfants et, tel le héros de Dostoïevski, Zossime, rattrapé par la culpabilité, il court se dénoncer à la police. Mais la justice des hommes ne peut juger un crime qui remonte à 20 ans et Dieu, « ce marchand de honte », demeure silencieux… « Le châtiment est inexorable uniquement dans le cas ou Dieu existe ».Théo devra faire seul son chemin expiatoire. Le médecin qui soigne sa soudaine épilepsie le met en garde contre « le sentiment de culpabilité (… ) il est fréquent qu’il oblige un homme à commettre des actions fatales, qu’il fasse de lui un esclave et un monstre ». Justement, un curieux engrenage transforme notre héros en quête de rédemption en tueur en série... Il quitte Paris avec Mado, couple improbable dans un road movie qui doit les conduire à Lourdes où un charlatan a promis à Mado de faire repousser sa jambe. Sur son chemin de croix,Théo sent palpiter dans sa poitrine un autre cœur à côté du sien, puis un troisième : le cœur de Jésus, de l’amour, seule rédemption. Iouri Bouïda livre un roman dense, complexe, raffiné et cru sur ses thèmes de prédilection, le bien, le mal, le silence de Dieu, le cercle vicieux de la vie et de ses souffrances, « un labyrinthe dans lequel se cogne et se débat une conscience stupide qui tente de trouver une sortie là où il n’y a pas d’entrée… ». Christine Mestre

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Rencontres

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Entretiens Avec des sportifs nés de l’immigration, prêts pour les JO

Propos recueillis par Timour Ganeev

« J'ai honte pour Le premier athlète mon pays quand noir en sélection je vois le racisme »

Comment te sens-tu en Russie ? Je me sens très bien ici. C’est mon pays, je suis née ici.

Je n’ai jamais été confrontée à des actes racistes mais quand je vois des supporters lancer des bananes aux footballeurs noirs sur le terrain, j’ai honte pour mon pays. À cause de ces individus, on peut se voir bêtement refuser l’organisation de grandes compétitions internationales et tout le monde sera perdant. Comptes-tu participer aux JO ? Pour le basket, les Jeux Olympiques sont l’événement sportif majeur. J’ai très envie d’aller à Londres et de ramener une première médaille olympique.

A s - t u déjà été confrontée au racisme ?

© aleksandr wilf_ria novosti

Ekaterina Keyrou suit le trajet de son frère Victor, le basketteur qui a connu sa première participation aux Jeux Olympiques sous les couleurs russes en 2008. Elle avait l’habitude de l’accompagner aux entraînements : on lui a proposé de montrer son propre talent. Depuis, la jeune basketteuse reproduit les succès de son frère. Pas à pas, elle a intégré la Superligue, tout en poursuivant ses études musicales. Capitaine junior, elle a été appelée trois fois à rejoindre l’équipe nationale.

Lyukman Adams est le premier athlète noir à intégrer l’équipe nationale russe. De père nigérian et de mère russe, Lyukman a grandi dans un bas-quartier de Saint-Pétersbourg et il aurait pu mal tourner si le sport n’était apparu dans sa vie. Après un bref passage par le basket-ball, Adams s’oriente vers l’athlétisme, où il affiche un très bon niveau en triple saut. En 2006, il quitte Saint-Pétersbourg pour la capitale et dans l’année qui suit, il remporte le championnat d’Europe junior. En 2010, Adams atteint l’âge requis pour intégrer l’équipe nationale. Les Championnats du monde en salle marquent, pour le moment, le sommet de la carrière de ce sportif de 23 ans, mais on peut affirmer

La Russie est le pays où je suis né. J’y ai grandi, et j’ai été éduqué selon les traditions russes. Il y a quelques années, je suis devenu orthodoxe. Je suis à moitié nigérian mais je n’ai jamais été là-bas et n’ai jamais pensé à émigrer. Je représente l’équipe nationale russe, j’habite la capitale, quoi de plus pour être heureux ?

avec certitude que ce n’est qu’un début. Comment te sens-tu en Russie ? N’as-tu jamais pensé à émigrer ?

Raconte-nous ta prestation aux Championnats du monde d’athlétisme de cet hiver. L’année dernière, j’ai pour la première fois franchi la barre des 17 mètres (17,32). Ensuite, j’ai été obligé de m’arrêter tout l’été suite à une blessure. En novembre, j’ai repris l’entraînement et je me sentais beaucoup mieux qu’en hiver 2011. J’ai été sélectionné et j’ai conservé la forme jusqu’à Istanbul, où j’ai établi mon record personnel et remporté une médaille. Je ne pense qu’aux J. O. J’ai envie de réjouir les supporters de l’équipe de Russie et ma famille.

Une chance de plus après Pékin ? Comment te sens-tu en Russie ? N’as-tu jamais pensé à émigrer ? J’ai vécu toute ma vie en Russie. Mon père est de la Sierra Leone, mais moi, je n’ai jamais mis les pieds en Afrique. Bien sûr, j’aimerais bien jouer pour la NBA américaine, mais il n’en est pas question pour le moment. Ma famille et moi, nous sommes très bien à Saint-Pétersbourg. C’est une très belle ville européenne. Je me consacre entièrement au Spartak et à l’équipe nationale.

itar-tass

imago/legion media

Victor Keyrou a déjà connu les honneurs olympiques aux Jeux de Pékin. Le père de ce natif de Rostov-sur-le-Don était venu en Russie avec l’équipe nigérienne d’athlétisme aux Jeux Olympiques de Moscou en 1980. Victor a décidé de suivre ses traces et s’est lancé dans le basket-ball. Il a d’abord fait partie de l’équipe des Unics de Kazan, avant d’être très vite transféré en première division, où il s’est fait remarquer et a bientôt été engagé par l’un des meilleurs clubs d’Europe, le CSKA de Moscou. Il a alors intégré naturellement l’équipe nationale dont il est devenu une valeur sûre. Il est actuellement capitaine du Spartak de Saint-Pétersbourg.

Penses-tu participer aux J. O. de Londres ? David Blatt (entraîneur de l’équipe russe) croit en moi. Je suis au meilleur de ma forme et espère être dans le cinq de départ.

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20 Juin

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Aux JO pour la revanche

service de presse

Les sportifs mondiaux se préparent pour les Jeux Olympiques à Londres cet été. Deux ans avant le grand rendez-vous des Jeux d'hiver à Sotchi, la Russie se met à l’heure des jeux d’été où elle a des atouts pour briller. La Russie d’Aujourd’hui a rencontré les espoirs olympiques russes qui se démarquent par la couleur de leur peau. Nés en Russie, ils n’ont jamais songé à changer de nationalité. Nous en avons choisi quatre : la sœur et le frère Ekaterina et Victor Keyrou qui jouent au basket, l'athlète Lyukman Adams et Emilia Tourey, capitaine de l’équipe russe féminine de hand-ball. Ils ont toutes les chances d’être retenus pour défendre les couleurs russes.

getty images/fotobank

Diversité sous les couleurs russes

Emilia Tourey, meneuse de l’équipe russe féminine de hand-ball, a des racines sierraléonaises : la couleur de sa peau la faisait passer pour une étrangère à Astrakhan, sa ville natale. Après ses débuts dans le club local, elle a été recrutée par de grands clubs danois (Slagelse et Copenhague) ou espagnol (Itxaco). Mais c’est avec l’équipe russe qu’elle a triomphé. Championne du monde 2005, 2007 et 2009, médaillée d’argent aux Jeux de 2008, médaillée d’argent (2006) et de bronze (2008) aux Championnats d’Europe, meilleur ailier gauche aux Championnats du monde de 2011, elle n’attend plus que l’or aux prochains Jeux. Quelles sont vos chances de ramener la médaille d’or à la Russie ? Nous allons tout faire pour ça. La défaite en finale à Pékin m’a marquée à jamais. Nous nous sommes réveillées trop tard en seconde mi-temps. Notre équipe, en quatre ans, a fait de gros progrès. Nous sommes sûres de nos forces et nous voulons la victoire finale.


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