Russia Beyond The Headlines (France)

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Mercredi 30 décembre 2015

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Visions de la Russie Distribué avec

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C E C A H I E R D E H U I T PA G E S E S T É D I T É E T P U B L I É PA R R O S S I Y S K AYA G A Z E TA ( R U S S I E ) , Q U I A S S U M E L ’ E N T I È R E R E S P O N S A B I L I T É D E S O N C O N T E N U

LA TCHOUKOTKA, TOUT AU BOUT DU MONDE NORDIQUE

Nouvel An et Noël russe, ou l’histoire d’une rivalité oubliée Instaurée par Pierre le Grand, la célébration du Jour de l’An s’est effacée après le décès du tsar, avant de revenir en force et de supplanter celle du Noël orthodoxe (le 7 janvier) sous le régime soviétique hostile à la religion. Aujourd’hui, place aux deux fêtes et dès le 1er janvier, vacances jusqu’à Noël.

Région parmi les plus isolées et les moins peuplées de Russie, c’est l’authenticité pure. PAGE 6

LIRE EN PAGE 3

MÉMOIRE PÉRENNE DES ETHNIES SIBÉRIENNES Anne-Victoire Charrin explore avec nous la littérature des peuples autochtones. PAGE 7

L’OISEAU LIBRE DE LA SCÈNE LYRIQUE INTERNATIONALE La soprano russe Olga Peretyatko, qui se produira en janvier à Paris, retrace sa carrière qu’elle mène en toute indépendance.

MIKHAIL MORDASOV

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À lire en ligne

LES SPÉCIALITÉS DE L’ANNEAU D’OR

MODE Les couturiers russes se battent pour percer sur le marché mondial, sans tremplin dans leur capitale

Moscou a encore du chemin à faire pour monter sur le podium La renommée des stylistes russes va parfois bien au-delà des frontières. Comment se faire connaître à l’étranger sans soutien dans son pays ? Quelques grands noms de la mode s’expriment.

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ANNA KOUTCHMA RBTH

À Londres, les jeunes couturiers profitent du soutien du Conseil britannique de la mode. À NewYork, ils bénéficient de l’aide du Conseil des créateurs de mode américains (CFDA). En Russie,

SERVICE DE PRESSE

Parmi les bonnes raisons de visiter les villes de l’Anneau d’Or : la renaissance des traditions culinaires locales.

les stylistes en début de carrière ne sont épaulés par aucune structure, que ce soit au niveau des ressources ou de la mise à leur disposition d’espaces. Ils et elles doivent se frayer un chemin sans aucune aide, allant à Paris à leur frais pour prendre à bail des locaux afin de pouvoir présenter leurs collections.

« La capitale du ballet, mais du point de vue la mode... » Aujourd’hui, la marque de la créatrice russe Vika Gazinskaya est présentée à

Griffe russe avec un défilé Yudashkin.

San Francisco, Paris, Londres, Séoul et dans d’autres grandes villes aux quatre coins de la planète. Selon elle, les dépenses liées à la commercialisation et à la promotion des ventes représentent 500 000 dollars (455 000 euros) par an. La carrière deVika a pris son envol après que ses créations furent remarquées à la Semaine de la mode de Paris en 2009. « Les acheteurs et la presse ne viennent que dans quatre villes : Londres, Milan, Paris et New York, rappelle la styliste. Moscou est peut-être la capitale du ballet, mais du point de vue de la mode, c’est le bled », dit-elle. Vika a présenté sa première collection en 2007 à Moscou, alors qu’elle avait déjà des connaissances dans l’industrie de la mode grâce à un emploi dans la version russe de L’Officiel. Elle a trouvé dans son entourage celui qui lui est devenu partenaire et qui a investi environ 50 000 euros dans son entreprise. SUITE EN PAGE 4

un département de

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Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro

INTERNATIONAL

GÉOPOLITIQUE La communauté internationale confrontée à des défis d’un autre type

À REBOURS

L’équilibre mondial menacé et en pleine mutation

2015 A SOUVENT RÉUNI POUTINE ET HOLLANDE

REUTERS

L’émergence d’un nouvel ordre mondial est envenimée par la propagation de l’extrémisme islamique, le terrorisme et les conflits régionaux. Autant de menaces sur un équilibre déjà instable. SERGUEÏ STROKAN, VLADIMIR MIKHEÏEV POUR RBTH

Des combattants de l’organisation terroriste Daech (interdite en Russie) défilent dans les rues de la ville syrienne de Raqqa.

L’année 2015 aura vu la planète confrontée à des défis qui pâlissent en comparaison de la menace existentielle posée par la montée des extrémistes religieux au Proche-Orient. Le fondamentalisme islamique ne se limite d’ailleurs pas à la région – les débordements du terrorisme se sont fait sentir sur tous les continents. Ce sont trois coalitions, au lieu d’une, qui s’étaient formées en fin d’année pour combattre un ennemi commun, Daech (interdit en Russie). À celle menée par les États-Unis s’est ajoutée l’alliance dirigée par la Russie aux côtés de la Syrie, de l’Iran et de l’Irak. Récemment, l’Arabie saoudite a annoncé la formation d’un troisième groupement, celui-là réunissant des nations islamiques. L’idée d’une « union » mondiale de pays « responsables » visant à combattre les djihadistes s’est évaporée.

Pour de nouvelles règles du jeu Dmitri Polikanov, collaborateur du Centre d’études politiques, un groupe de réflexion indépendant installé à Moscou, considère qu’il n’y a pas lieu d’être

alarmiste : « Daech peut provoquer le chaos mondial. Mais il ne sera pas capable d’unir toutes les forces extrémistes du monde, ni même des pays islamiques. Le danger, c’est qu’on a affaire à des organisations-réseaux qui disposent de petits groupuscules actifs dans différents pays musulmans ». Ne s’agissant pas pour le moment d’une internationale du terrorisme, Daech n’est pas en mesure de « faire sauter le monde », tempère l’expert, mais a les moyens de nuire par le bais des activités illicites auxquelles il se livre, telles que le blanchiment d’argent, la contrebande et le trafic des stupéfiants, tout en provoquant des phénomènes indésirables comme une migration incontrôlable. La gestion de ces problèmes exige de nouvelles « règles du jeu », selon M. Poliakanov. « Les principaux acteurs doivent se mettre autour d’une table pour formuler ces règles. Quand nos partenaires disent "tout va bien, nous avons les accords d’Helsinki, nous avons les principes de la Charte de l’ONU", c’est une illusion. Le monde a changé. Les interprétations des principes fondamentaux divergent. Nous avons besoin d’un consensus global sur le nouvel ordre mondial qui se dessine ». Or, pour le moment, ce « consensus » n’existe pas. Le désir instinctif de simplifier les arcanes de la politique étran-

gère nous pousse à juxtaposer l’« ordre » mondial et le « chaos » et à juger les événements de 2015 à l’aune de ces deux étalons. Anton Fediachine, directeur de l’institut de culture et d’histoire russe à l’université américaine Carmel, met en garde contre la simplification excessive. « À mon avis, ce à quoi nous avons assisté avant tout, ce n’est pas une bataille entre l’ordre et le chaos, mais l’implosion de l’unilatéralisme américain et occidental. Quand un système passablement stable commence à se désagréger, le chaos est inévitable et c’est ce qui est en train de se passer. Ce qui est remarquable, c’est que le démantèlement de l’ordre en place s’est joué sur le théâtre du Proche-Orient. C’est malheureusement l’œuvre des États-Unis qui, avec l’invasion de l’Irak, ont ouvert la boîte de Pandore », estime l’expert. Selon M. Fediachine, nous assistons à un déplacement des principaux centres politiques qui ne sont plus ancrés à l’Ouest mais se répartissent désormais sur toute la planète. Jusqu’où et pour quel résultat : trop tôt pour le dire.

Les relations diplomatiques franco-russes ont connu en 2015 une année riche en entrevues au sommet. RBTH rappelle ici le calendrier des principales rencontres des chefs d’État des deux pays. 06/02 /2015

Négociations à Moscou entre François Hollande, la chancelière allemande Angela Merkel et Vladimir Poutine La rencontre était consacrée aux moyens de résorber la crise dans le Donbass. Les entretiens ont abouti à une ébauche du plan de paix qui a été examiné en détail moins d’une semaine plus tard à Minsk.

11/02/2015

Longues négociations dans le cadre du Format Normandie (Allemagne, Russie, Ukraine et France) à Minsk Rencontre entre la chancelière allemande, les dirigeants français, russe et ukrainien qui a débouché sur la signature des accords de Minsk-2 concernant la cessation des combats dans le Donbass.

24/04/2015

Rencontre Poutine-Hollande à Erevan à l’occasion du centenaire du génocide arménien Les chefs d’État ont examiné les relations bilatérales, notamment dans le domaine économique, les rapports entre la Russie et l’Union européenne ainsi que l’application des accords de Minsk.

02/10/2015

Rencontre à Paris dans le cadre du Format Normandie sur la question ukrainienne ; rencontre bilatérale Poutine-Hollande Des accords sont adoptés sur le retrait des armes légères de la ligne de désengagement dans le Donbass, sur la nécessité de reporter les élections en République populaire de Donetsk et en République populaire de Lougansk (toutes deux autoproclamées), ainsi que sur l’élaboration d’une nouvelle législation électorale pour les régions orientales de l’Ukraine.

26/11/2015

Visite de François Hollande à Moscou Les dirigeants ont évoqué la situation en Syrie. Ils ont décidé de procéder à un échange de données, de coordonner leurs efforts dans la lutte contre l’organisation extrémiste Daech et de se concerter sur la liste des groupes terroristes en Syrie.

Quel nouvel ordre mondial ? Les priorités dans la définition des défis mondiaux ont changé au fil des ans : à la menace de l’anéantissement nucléaire ont succédé la frustration générée par le sous-développement économique et social, puis les effets destructeurs du changement climatique. Daech semble s’imposer aujourd’hui comme une menace universelle dans tous les esprits. À la question de savoir si cette menace est susceptible d’unir ce que l’on considère comme le monde civilisé, M. Fediachine répond que « Daech est le plus grand test quant à la capacité du monde, dans ce kaléidoscope géopolitique changeant, à trouver un langage commun sur la tactique comme sur la stratégie. Ce sont ces détails qui détermineront si le monde civilisé sera capable de contenir cette force maléfique ». La tournure pour le pire qu’ont prise en 2015 les événements dans les zones de conflit a enraciné la notion de « désordre » entretenue par les extrémistes. La question est de savoir si ces forces destructrices qui se nourrissent du chaos vont redéfinir l’ordre mondial. Ce n’est pas une théorie abstraite, mais un défi majeur pour la défense des valeurs démocratiques et de notre mode de vie.

Les présidents lors du sommet du 26 novembre 2015 au Kremlin.

REUTERS

JUSTICE La Russie se donne les moyens de déclarer inapplicables certaines décisions des tribunaux internationaux

Quand le droit national a... force de loi Après le gel d’avoirs russes à l’étranger dans le cadre de l’affaire Ioukos, Moscou adopte une mesure constitutionnelle visant à préserver sa souveraineté dans des cas exceptionnels. EKATERINA SINELCHTCHIKOVA RBTH

Le président russe Vladimir Poutine a signé une loi accordant à la Cour constitutionnelle du pays le droit de reconnaître les décisions des tribunaux internationaux inapplicables – les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en premier lieu – si celles-ci « sont contraires à la Constitution russe ». La Cour constitutionnelle peut donc, à la demande du président ou du gouvernement, statuer sur l’inapplicabilité des décisions prises par des instances internationales. La Douma (Chambre basse du parlement russe), qui a approuvé les amendements à la Loi constitutionnelle début

En ligne

Une percée entre la Russie et les États-Unis ? fr.rbth.com/551543

décembre, estime qu’il ne s’agira que de quelques « cas isolés » où il convient de ne porter aucun préjudice ni à « l’activité d’investissement ni à la protection de la propriété privée » en Russie. Pour le législateur, cette décision s’inscrit dans la pratique mondiale, des dispositions équivalentes existant déjà dans les pays européens, dont la Grande-Bretagne. La question de la primauté du droit national sur le droit international a été soulevée en Russie l’été dernier, suite à la décision de la CEDH dans l’affaire Ioukos en faveur des actionnaires qui exigent des compensations financières pour la liquidation de la compagnie pétrolière jadis contrôlée par l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski. Cette décision a entraîné un gel d’avoirs russes à l’étranger, notamment en Belgique et en France, pour le règlement des lourdes pénalités demandées. Les députés ont alors sollicité l’avis de la Cour constitutionnelle qui a donc estimé que la Russie n’était pas

tenue d’exécuter des décisions de la CEDH qu’elle juge non conformes à la Constitution.

Le principe de précaution L’adoption de cette loi s’explique principalement par la situation compliquée que rencontre le pays à l’intérieur comme hors de ses frontières, explique Alexandre Manov, avocat auprès de la Cour européenne et professeur associé de l’Université d’État de droit de Moscou. « Malheureusement, la pratique juridique est trop politisée en Russie. Je pense que le pouvoir prend des précautions supplémentaires contre les tentatives de pression extérieure, non sans raison », estime-t-il. La CEDH ne dispose pas d’instance exécutive et agit via le Comité des ministres du Conseil de l’Europe avec lequel la Russie entretient actuellement des relations assez tendues. M. Manov évoque par ailleurs un conflit entre le droit international et la souve-

À savoir La Russie, qui a ratifié la Convention européenne des droits de l’homme en 1998, a comparu à plusieurs reprises devant la CEDH et la Cour a souvent statué au détriment du pays. La décision la plus importante portait sur l’octroi d’une compensation aux anciens actionnaires du groupe pétrolier Ioukos fondé par Mikhaïl Khodorkovski.

raineté nationale. « Oui, les droits de l’homme sont souverains, mais l’État l’est aussi. C’est une garantie contre des exigences qui pourraient compromettre le bien-être d’une partie de la population. Cela concerne notamment la décision qui contraint la Russie à verser 1,87 milliard d’euros aux actionnaires de la compagnie pétrolière Ioukos », explique-t-il. Artur Zourabian, responsable des litiges et arbitrages internationaux au sein du cabinet Art DeLux, estime qu’il n’y a pas lieu de redouter une série de décisions jugées « inapplicables » par la Russie. Ce droit ne sera selon lui utilisé qu’avec de grandes précautions, dans le cas où une décision du tribunal international est jugée clairement politique et préjudiciable à la Russie. « Ce mécanisme servira sans doute de facteur de dissuasion, une sorte d’arme nucléaire », estime-t-il. Un mécanisme similaire est d’ailleurs en place dans d’autres systèmes juridiques, comme en Allemagne (l’affaire Görgülü – un différend familial) ou en Angleterre (l’affaire Hirst sur l’interdiction du droit de vote des détenus), rappelle M. Zourabian, et il a été utilisé au moins une fois dans chaque cas.

RUSSIA BEYOND THE HEADLINES (RBTH) PUBLIE 37 SUPPLÉMENTS DANS 29 PAYS POUR UN LECTORAT TOTAL DE 27,2 MILLIONS DE PERSONNES ET GÈRE 22 SITES INTERNET EN 17 LANGUES. LES SUPPLÉMENTS ET CAHIERS SPÉCIAUX SUR LA RUSSIE SONT PRODUITS ET PUBLIÉS PAR RUSSIA BEYOND THE HEADLINES, UNE FILIALE DE ROSSIYSKAYA GAZETA (RUSSIE), ET DIFFUSÉS DANS LES QUOTIDIENS INTERNATIONAUX SUIVANTS: • LE FIGARO, FRANCE • LE SOIR, BELGIQUE• THE DAILY TELEGRAPH, GRANDE BRETAGNE • HANDELSBLATT, ALLEMAGNE • EL PAÍS, ESPAGNE • LA REPUBBLICA, ITALIE • NOVA MAKEDONIJA, MACÉDOINE • NEDELJNIK, GEOPOLITIKA, SERBIE • LE JEUDI, TAGEBLATT, LUXEMBOURG • THE WASHINGTON POST, THE NEW YORK TIMES, FOREIGN POLICY, INTERNATIONAL NEW YORK TIMES ET THE WALL STREET JOURNAL, ÉTATSUNIS • THE ECONOMIC TIMES, THE NAVBHARAT TIMES, INDE • MAINICHI SHIMBUN, JAPON • HUANQIU SHIBAO, CHINE • LA NACION, ARGENTINE • EL PAÍS, CHILI • EL PERUANO, PÉROU • EL PAÍS, MEXIQUE • FOLHA DE S.PAULO, BRÉSIL • EL OBSERVADOR, URUGUAY • LA RAZON, BOLIVIE • JOONGANG ILBO, JOONGANG SUNDAY, CORÉE DU SUD • GULF NEWS, AL KHALEEJ, ÉMIRATS ARABES UNIS • AL-AHRAM, ÉGYPTE • THE NATION, PHUKET GAZETT, THAÏLANDE • THE AGE, SIDNEY MORNING HERALD, AUSTRALIE. COURRIEL : FR@RBTH.COM. POUR DE PLUS AMPLES INFORMATIONS, CONSULTER FR.RBTH.COM. LE FIGARO EST PUBLIÉ PAR DASSAULT MÉDIAS, 14 BOULEVARD HAUSSMANN 75009 PARIS. TÉL: 01 57 08 50 00. IMPRESSION : L’IMPRIMERIE, 79, RUE DE ROISSY 93290 TREMBLAY-EN-FRANCE. MIDI PRINT 30600 GALLARGUES-LE-MONTUEUX. DIFFUSION : 321 101 EXEMPLAIRES (OJD PV DFP 2011)


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SOCIÉTÉ

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FESTIVITÉS Célébré avec faste par des feux d’artifice et des réveillons, le début d’année ouvre aussi une période de congés

Nouvel An et trêve jusqu’au Noël russe Les Russes fêtent dignement la nouvelle année, autour d’une table bien garnie et dans la chaleur de l’amitié. Des étrangers ayant vécu l’événement nous livrent leurs impressions.

En chiffres

58%

IGOR ROZINE RBTH

des Russes passeront cette année les vacances du Nouvel An à la maison. Seuls 4% voyageront à l’étranger, selon une enquête de Levada.

Savez-vous qu’en Russie, c’est bien à l’occasion du Nouvel An et non de Noël que l’on décore le sapin et ouvre des cadeaux à minuit ? Et que c’est bien le 31 décembre qu’un vieux barbu au sac rouge est guetté par les bambins ? Essayons d’y mettre de l’ordre. Le Nouvel An, fête adorée par les Russes et associée aujourd’hui aux arômes de sapin et de mandarines, est une tradition récente dans le pays. C’est Pierre le Grand (1672-1725) qui, par son oukase (décret) du 20 décembre 1699, en a fixé la date au soir du 31 décembre, enjoignant au peuple de décorer ses maisons de branches de pin et de genévrier. Malgré l’importance que lui accordait le souverain, après lui, la fête sera reléguée au second plan au profit de Noël. GETTY IMAGES

Deux fêtes séparées par une même tradition Ce n’est que sous le régime soviétique que le Nouvel An revient au premier plan, l’observation de la Nativité et des traditions religieuses étant interdite dans les républiques de l’URSS. Dès lors, le Jour de l’An reprend à son compte une partie des traditions de Noël et domine les festivités au pays des Soviets. Noël redevient jour férié officiel en 1991, après la chute de l’Union soviétique, sans entamer la popularité du Nouvel An, désormais bien ancrée. Célébré en Russie le 7 janvier, le Noël orthodoxe conclut la période de vacances du « Nouvel An » qui commence le 1er janvier. « Un moment d’intimité, où l’on se retrouve en famille, et un moment de partage avec les autres, amis ou incon-

Feu d’artifice sur la place Rouge à l’occasion du Nouvel An.

nus : les inévitables feux d’artifice à la sauvette, la joie sur les visages et les illuminations dans les rues », résume la Française Chloé Valette qui possède une riche expérience du Nouvel An en Russie après avoir vécu plusieurs années à Moscou. Mais la célébration de cette fête universelle est loin d’être standardisée. Bastien Blanc, entrepreneur installé en Russie, distingue deux sortes de Nouvel An, l’un « touristique » et l’autre « plus rustique, plus proche des réalités de la vie russe ». Le premier correspond aux soirées fastes et aux grands dîners de Moscou ponctués par le somptueux feu d’artifice de minuit sur la place Rouge. Parallèlement, « il existe un Nouvel An plus authentique. Je l’ai vécu en Sibérie, à Omsk avec des amis russes. C’est

bien là que j’ai pu éprouver la chaleur et la générosité des Russes », dit-il. Mais il est des « rituels » très largement partagés : vieux films que repasse la télé, plats traditionnels et vœux du chef d’État – coutumes de l’ère soviétique qui gardent leur charme désuet. Chloé dit aimer « la tradition croisée du Père Gel [le Père Noël russe] et de Snegourotchka [Princesse des neiges n’existant que dans la tradition slave, ndlr], qui apporte une touche de féminité et de tendresse, ainsi que l’incontournable comédie L’Ironie du Sort diffusée chaque année à la télévision, comme un prélude à la fête ». Elle ajoute que son premier Nouvel An russe « l’a marquée parce qu’à minuit, [ses] hôtes ont monté le son de la télévision pour écouter les vœux du président avant de

trinquer et de se souhaiter la bonne année ». Bastien Blanc considère d’ailleurs que l’allocution présidentielle « rapproche les Russes de l’est à l’ouest de ce gigantesque pays ».

La fête et ses lendemains Les festivités débutent en fait le 24 décembre avec l’arrivée à Moscou, dans le parc de Gorki, du Père Gel venu de sa résidence officielle à Veliki Oustioug à 150 km de la capitale. Et le pays plonge dans la liesse. Louis Bonaventure, journaliste, se dit impressionné par la table du réveillon, « qui déborde de victuailles ». Les convives installés, « les toasts commencent pour dire au revoir à l’année qui s’en va, trinquer à ses événements marquants, à celles et ceux qui sont partis, celles et ceux qui sont arrivés ». Et de noter que « toute l’effervescence qui entoure le passage à l’an neuf est liée aussi au fait qu’il ouvre dix jours de congés officiels. L’occasion de se promener en famille ou avec des amis dans un parc enneigé, de faire du patinage sur un étang glacé, histoire de sentir le froid mordre ses joues et la vie couler dans ses veines… Il ne reste alors que neuf jours pour en profiter, avant le retour des tracas du quotidien ».

Calendrier julien et « ancien » Nouvel An La Russie n’est passée au calendrier grégorien qu’en 1918, sous le pouvoir soviétique. L’Église orthodoxe russe ayant gardé le calendrier julien (décalé de deux semaines par rapport au calendrier international), la Russie honore, contrairement à la plupart des pays du monde, non pas les fêtes de fin d’année, mais celles du début de l’année nouvelle : le Jour de l’An précède la fête de la Nativité, célébrée dans la nuit du 6 au 7 janvier. Les Russes observent en outre la curieuse tradition de fêter l’ancien Nouvel An – manifestation non officielle qui intervient le 1er janvier selon le calendrier julien, soit le 14 janvier.

ANIMATIONS DE SAISON Pendant les fêtes, les étalages – commerces ou ventes caritatives – s’installent dans la rue

Moscou adopte une tradition européene Les marchés de Noël à l’européenne ont conquis la Russie. Si vous découvrez la toute récente tendance des foires moscovites, vous en rencontrerez quatre variantes. PEGGY LOHSE, IOULI A CHANDOURENKO POUR RBTH

À Moscou, le coup d’envoi des marchés de Noël a été donné alors que leur équivalents français ont sans doute fermé leur portes. Certes, le Noël orthodoxe se fête une semaine après le Nouvel An, mais les traditions venues d’Europe sont de plus en plus présentes durant la période de l’Avent.

Le grand classique L’image sera mondialement familière. C’est celle du grand magasin GOuM sur la place Rouge qui se pare de guirlandes lumineuses, où des sapins de Noël s’alignent à l’intérieur et au dehors, aux côtés de patinoires et de stands proposant des boissons chaudes, des cadeaux, des souvenirs et des gourmandises sucrées ou salées. Ici, on privilégie l’artisanat traditionnel, les spécialités culinaires russes et les manifestations culturelles. Les touristes et les expatriés y vivent une expérience particulière dans ce décor bigarré, noyé dans un océan de lumière, où le kitsch à la russe est soigneusement

Il l’a dit

mis en scène sur fond de bâtiments historiques.

«

Le marché européen

On organise de beaux marchés de Noël, mais ils ne sont pas authentiques, [ce sont] des copies des foires occidentales »

VICTOR TIMOFEEV RÉDACTEUR D’UN SITE D’ÉCHANGES CULTURELS

Depuis quelques années, Moscou accueille également des foires européennes – danoises, lituaniennes, belges et, depuis 2012, le marché de Noël de Strasbourg. La place du Manège devant l’entrée du Kremlin se transforme du 24 décembre au 7 janvier en un village festif éclairé par des guirlandes, avec un manège et l’odeur alléchante de marrons grillés, d’épices et de boissons chaudes à base d’orange et de miel. Contrairement à son modèle européen, le marché de Noël de Strasbourg à Moscou n’est pas assailli par le public, mais il lui ressemble beaucoup : on y trouve tout ce qui alimente les festivités traditionnelles de Noël en Alsace – les serviettes rondes rouge-blanc aux motifs nationaux comme les brioches Mannele en forme de petits hommes, servies avec du chocolat chaud.

Le marché solidaire En Russie comme ailleurs, Noël est aussi l’occasion de faire preuve d’altruisme. C’est pourquoi certains marchés jouent la carte de la solidarité. Le magazine consacré au style de vie Seasons Project vient d’organiser pour la septième fois

PLONGEZ DANS UN VÉRITABLE CONTE DE NOËL À LA RUSSE fr.rbth.com/tag/fête

RIA NOVOSTI

un marché de Noël caritatif dans le jardin de l’Ermitage (Karetny riad, 3), dont le thème était cette année « Motifs de Russie ». Les visiteurs ont pu y acheter des châles traditionnels, des valenki (bottes fourrées en feutre), des manteaux de cuir ou de fourrure et des moufles en laine. Le bénéfice des droits d’entrée et des ventes est reversé à l’organisation caritative Noujna Pomochtch (On a besoin d’aide, en français), afin d’assurer la publication continue d’un magazine destiné aux malvoyants et aux malentendants. Entre les objets souvenirs imaginés par des artisans d’art résonnent des chants de Noël russes et européens, interprétés par la chorale de l’école de Seasons. Une troupe de théâtre fait revivre un cirque antique au sein du marché.

Depuis 2012, Moscou accueille une version de la célèbre foire alsacienne.

Le marché aux bibelots En matière d’antiquités précisément, le marché aux puces Na Tichinke (situé place Tichinskaïa, 1) est incontournable pour ceux qui recherchent des cadeaux chargés d’histoire. Ici, des collectionneurs du monde entier vous invitent à flâner entre bijoux, cartes postales, photos, vinyles, livres, objets en porcelaine et autres accessoires – « bref, c’est un lieu unique et charmant ayant sa propre histoire », nous raconte la Moscovite Zoya Glazatchova. À l’époque soviétique, de si belles choses étaient plutôt rares. On n’osait sans doute pas les montrer. Mme Glazatchova en parle avec humour : « on laissait par exemple la vaisselle en porcelaine allemande dans l’armoire au lieu de l’utiliser pour manger ».


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ÉCONOMIE

La ruée vers les podiums parisiens SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE

Il faut aujourd’hui environ 60 000 euros pour la création et la présentation d’une collection. Les candidats versent un pré-paiement de 30% à 50% au moment de leur demande »

Quand les collections étaient « une profusion d’arts appliqués »

Vika Gazinskaya arbore une robe portant sa griffe.

En chiffres VIKA GAZINSKAYA STYLISTE

20

«

Pendant longtemps, nous avons eu recours à l’externalisation, notamment pour la réalisation du patron, du premier échantillon et de toute la collection. C’était plus avantageux »

ANDREÏ ARTIOMOV STYLISTE

SERVICE DE PRESSE

« Pour que la production soit rentable, il faut augmenter le nombre de collections – il en faut au moins quatre par an », indique Andreï Artiomov, créateur de la marque WalkOfShame. Le styliste a sorti sa première collection en 2011 et a rapidement réussi à se hisser au niveau international. Ses vêtements sont vendus aujourd’hui dans les boutiques Opening Ceremony aux États-Unis et au Japon, ainsi que dans des magasins de Londres, de Corée du Sud et également à Colette. « Le pré-paiement de la part des acheteurs ne couvre que partiellement les achats de textiles. Dès que la confection de la collection reçoit le feu vert, il faut entamer la création de la collection suivante : c’est à ce moment qu’on

«

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« Entre deux collections, il y a toujours un déficit budgétaire »

photos véhiculées sur les blogues sont le meilleur moyen d’attirer les clients. « C’est un monde très étroit. Il arrive souvent que quelqu’un annonce la présence d’une nouvelle marque "à l’angle de la rue" lors d’un défilé », conclut-il.

Ils l’ont dit

GETTY IMAGES

« Une collection moyenne compte entre 30 et 35 modèles. Il faut y ajouter le prix de la présentation, en l’occurrence un show, car un défilé ordinaire revient trois fois moins cher. Mes cinq premières présentations ont été qualifiées de créatives. Ce qui a coûté 50 000 euros », dit la styliste. Vika Gazinskaya a dû cependant se maintenir à flot par ses propres moyens. Et comme le hasard fait bien les choses, elle est partie à la Semaine de la mode à Paris de 2009 en tant que spectatrice. Portant des vêtements de sa propre griffe, elle a été remarquée par les célèbres blogueurs Scott Schuman et Tommy Ton. « Ceux qui sont élégamment vêtus finissent toujours par se retrouver sous les flashs. C’est ainsi que depuis, je suis de la partie », se souvient-elle. Un an plus tard, Vika présentait sa collection à Paris. Elle reconnaît que pendant toutes ces années intermédiaires, elle a été soutenue par son entourage, ses relations, et même ses clients : certains ont financé ses déplacements, d’autres l’ont aidée à trouver un appartement en France. « Une des mes clientes moscovites m’a débloqué des fonds. Grâce à ses 30 000 euros, j’ai pu louer un local, acheter des machines à coudre ainsi qu’embaucher des tailleurs », dit-elle. En 2010, Vika a conçu la vitrine du concept store Colette. Elle y est revenue en 2014 avec sa propre collection réalisée en collaboration avec &OtherStories. Elle est aujourd’hui l’une des créatrices russes les plus prisées à l’étranger.

Andreï Artiomov.

Valentin Yudashkin.

voit surgir un déficit budgétaire », poursuit Andreï Artiomov, qui avoue que les sommes principales consacrées à l’élaboration de la collection sont issues de ventes au détail, par exemple de la réalisation de vêtements sur mesure. « Je couvre mes besoins vitaux par mes activités de styliste et j’essaie de ne pas toucher à l’argent tiré des affaires », explique Andreï. Le métier de styliste l’a aidé dans sa carrière, car ses premiers clients étaient des starlettes qu’il connaissait. Ce sont elles

qui présentaient ses modèles aux soirées et sur les comptes des réseaux sociaux. Un premier client international n’a pas tardé à réagir aux photos sur Instagram : « J’ai reçu une commande la part d’Оpening Ceremony qui a retenu ma première collection d’après les photos. À ce moment-là, nous n’avions aucun showroom ». Plus tard, Andreï Artiomov est parti pour Paris pour présenter sa collection sur podium. Il considère que le bouche-à-oreille fonctionne merveilleusement et que les

villes russes accueillent des boutiques et magasins multimarques avec des produits signés Yudashkin. La griffe est également présente à l’étranger, notamment en France.

CAP SUR L’ASIE La crise réduit les échanges sino-russes

« La mode, c’est avant tout un secteur d’affaires si elle est considérée non pas comme un hobby ou un tremplin pour entrer dans le monde du luxe, mais comme un moyen de se créer une image », affirme pour sa partValentinYudashkin, maître de l’industrie russe de la mode qui a commencé sa carrière à la fin de l’URSS. Il estime que les stylistes actuels possèdent le potentiel requis pour créer leur propre griffe : des avantages fiscaux et surtout une formidable ouverture sur le monde. Mais ce n’est pas tout. « Par le passé, on créait des collections sans avoir un grand choix de tissus. Il n’y avait que des petites fleurs et du crêpe. C’est pour cette raison que les collections russes présentent une profusion d’arts appliqués : les magasins ne vendant que des tissus noirs, on en achetait pour faire quelque chose d’original en brodant et en appliquant », rappelle-t-il. Sa première collection de 150 modèles a été créée en 1987. « J’ai dû vendre ma voiture », précise-t-il. Dans les années 1990, après l’ouverture de la Maison de modeYudashkin, il a dû travailler ferme dans son atelier pour investir dans de nouvelles collections. Sa première apparition à la Semaine de la mode de Paris remonte à 1991, sur invitation d’une équipe française. C’était la collection de Fabergé, un projet commun avec la société éponyme française. « Pour eux, c’était une publicité pour un parfum, pour moi, l’occasion de présenter ma première collection, se souvientil. Nous sommes venus à Paris pleins d’entrain : si la collection ne plaît pas à Paris, nous irons en Pologne ou en Bulgarie. On ne comprenait pas la différence, c’était de toute façon l’étranger ». Aujourd’hui, la MaisonYudashkin, ce ne sont pas seulement des vêtements et des accessoires. C’est aussi une vaste gamme de produits de luxe allant de la vaisselle et des parfums jusqu’aux papiers peints. Le chiffre d’affaires annuel de la marque atteint désormais 16 millions de dollars (près de 14,5 millions d’euros), un chiffre sans précédent en Russie. La mode mène à tout, y compris à Moscou.

sur le rôle de cette organisation. « Les experts russes avaient longtemps assuré que l’OCS était principalement un atout politique et stratégique, alors que leurs homologues chinois soulignaient que pour Pékin, elle représentait un outil économique fortement souhaitable de projection de ses intérêts dans la région », rappelle l’expert. La Russie a modifié sa position pour placer l’accent sur l’aspect économique, et l’ordre du jour de la visite de Dmitri Medvedev en Chine a été établi en ce sens.

Le virage stratégique vers la Chine ne tient pas ses promesses

Internet, terrain d’entente AP

Le fort ralentissement économique en Russie a réduit les échanges commerciaux et l’intérêt de Pékin pour les investissements chez son voisin du nord. Un réajustement s’impose. SERGUEÏ STROKAN, VLADIMIR MIKHEÏEV POUR RBTH

Alors que la Chine présente à la fois un défi et une chance pour le développement économique de la Russie, la visite de quatre jours, mi-décembre, du premier ministre Dmitri Medvedev chez le géant voisin faisait figure de test pour un partenariat tant vanté l’an dernier.

Des objectifs trop optimistes En 2014, le volume des échanges entre les deux pays a atteint le niveau record de 88,4 milliards de dollars ; depuis, les opérations commerciales ont plongé et leur montant est retombé bien en dessous de l’objectif annoncé par Moscou dans le cadre de son « virage asiatique ». Le volume d’échanges devait atteindre 100 milliards de dollars avant 2015 pour être doublé à l’horizon 2020, rappelle Alexandre Lomanov de l’Institut des études économiques d’extrême orient.

Les projets d’envergure (infrastructures de transport, aéronautique et nucléaire) devraient à terme porter leurs fruits »

« Le premier objectif est clairement hors de portée à cause de la forte dévaluation du rouble. Tout cela met également en doute les chances d’atteindre le second objectif fixé pour 2020 », explique-t-il. Néanmoins, Moscou semble soucieux de conserver son statut de coopération économique privilégiée avec la Chine. Au cours de sa visite, Dmitri Medvedev a mené des négociations visant à attirer « des investissements à long terme, mettre en place des mécanismes permettant de simplifier et encourager le commerce et rapprocher les pratiques en matière de normes, d’exigences techniques et de réglementation douanière ». Pourtant, dans le contexte économique déprimé qu’elle connaît actuellement, la Russie peut difficilement compter sur une forte reprise de la coopération avec la Chine. Mais les projets d’envergure concernant les infrastructures de transport, l’industrie aéronautique et l’énergie nucléaire ne sont pas remis en cause et devraient à terme porter leurs fruits. Certes, la Russie fait face au défi de réduire sa dépendance à l’égard de ses revenus pétroliers, mais elle « peut désormais offrir un nouveau service efficace

de transport pour les exportations et les importations à destination et en provenance de Chine, en la reliant avec l’Europe de l’Est via le corridor de transport eurasien, soit par voie terrestre, soit par la Route maritime du Nord », explique M. Lomanov. Et d’en préciser l’intérêt : « La Chine étudie actuellement la mise en œuvre du projet One Belt, One Road. One Belt porte sur le transport et la coopération économique à travers l’Eurasie, y compris en Russie. One Road est la nouvelle Route de la soie, essentiellement une voie maritime reliant la mer de Chine méridionale à l’océan Indien puis à l’Europe. Mais Pékin réalise que cette route n’est pas complètement sécurisée. Aussi la Chine étudie-t-elle une alternative : la route du Nord ».

Les premiers ministres russe et chinois, Dmitri Medvedev et Li Keqiang.

Fin des divergences au sein de l’Organisation de Shanghai

En ligne

Dans son message de décembre 2015 au Parlement, Vladimir Poutine a indiqué explicitement qu’il espérait que l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) jouerait un rôle économique plus important dans la région, mettant ainsi fin aux divergences entre Moscou et Pékin

Pour tout savoir sur les sanctions russes fr.rbth.com/459953

Sur un terrain plus politique, il est cependant un sujet crucial sur lequel Moscou et Pékin sont tombés d’accord : la régulation d’Internet. Les deux nations considèrent injuste que l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN), qui gère les adresses Internet Protocol (IP), l’allocation d’espace, l’attribution des identifiants de protocole, les codes pays, etc., demeure dépendante du gouvernement américain et agisse comme un organisme non élu dépourvu de toute responsabilité légale devant la communauté Internet mondiale. Formulée fin 2013, la proposition de Moscou et Pékin de remplacer l’ICANN par une institution internationale a été torpillée en mai 2015 par le Congrès américain. M. Medvedev a sans doute évoqué avec le président chinois Xi Jinping des moyens de briser ce monopole lors de sa visite. Mais en fin de compte, le consensus politique affiché ne peut faire oublier la question de la stimulation des interactions économiques bilatérales, qui reste toujours l’otage de ce que M. Lomanov qualifie d’« absence de modèle de croissance durable en Russie ».


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OPINIONS

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SYRIE : PERCÉE POLITIQUE, DÉFI SUR LE TERRAIN

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VLADIMIR FROLOV POLITOLOGUE Expert en relations internationales

e Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé à l’unanimité, la semaine dernière, la résolution 2 254 définissant l’ébauche d’un processus de transition politique en Syrie. Et bien que le texte de la résolution ne contienne aucune idée novatrice, ne faisant que codifier les éléments de règlement élaborés au cours des deux rencontres précédentes du Groupe de contact international sur la Syrie, le fait même de son adoption à l’unanimité reflète une nouvelle détermination des principaux acteurs à mettre fin au conflit syrien. Cette volonté d’arriver à un règlement est autant un résultat de l’intervention militaire russe en Syrie en 2015 qu’un défi qu’il faudra relever en 2016. Les objectifs politiques primaires du « gambit syrien » ont été atteints. L’allié régional, qui était au bord d’une défaite militaire, est sauvé, le danger d’un renversement armé du président syrien Bachar el-Assad est écarté, l’équilibre des forces militaires penche en sa faveur. Le siège diplomatique que Washington voulait faire subir à la Russie depuis février 2014 a été levé. Le dialogue stratégique au plus haut niveau a été relancé, quoique non sans difficultés, et son ordre du jour ne se limite plus au dossier ukrainien. Moscou a su s’imposer en qualité de partenaire doté de moyens et prêt à des actions décisives dans la lutte contre un danger mondial. Important facteur du succès : la détermination que la Russie et les États-Unis ont affichée à Moscou au cours de la récente visite de John Kerry pour parvenir à des décisions communes sur les questions internationales les plus épineuses. Le Kremlin a toutes les raisons de se féliciter des résultats des négociations avec le secrétaire d’État américain.

Elles ont été menées selon le paradigme des relations russo-américaines que Moscou proposait depuis longtemps, mais sans succès, celui de la parité géopolitique : deux superpuissances, plus responsables que les autres de la sécurité mondiale, examinent dans un climat de confiance, en tête-à-tête, un problème aigu et trouvent une solution commune, avant de mobiliser en sa faveur les autres pays dans le cadre d’une décision du Conseil de sécurité de l’Onu. Il est clair que pour Washington, c’est pour l’instant une vision purement instrumentale limitée à la Syrie et à la lutte contre le groupe terroriste Daech [interdit en Russie]. Mais il faut bien commencer quelque part. Aucun nouveau « redémarrage » n’est en vue, mais Moscou n’en a plus besoin. Le format d’un « partenariat déterminé par la situation, mais sur un pied d’égalité » est préférable. Selon John Kerry, les États-Unis et la Russie doivent rechercher ensemble des solutions aux problèmes internationaux. Et quand ils y parviennent, le climat politique mondial s’améliore. Il s’améliorera encore plus dans le cadre de la coopération sur la Syrie et d’une lutte commune contre Daech. Kerry a même déclaré que les États-Unis n’insistaient pas sur le changement de régime en Syrie. La Russie a apprécié cette inflexion dans la rhétorique américaine et donné son accord à la convocation de la conférence ministérielle du Groupe de contact international sur la Syrie, qui s’est tenue le 18 décembre à NewYork, même si deux jours plus tôt elle l’avait qualifiée de prématurée. C’est cela, le nouveau format et la « nouvelle norme » : une confrontation respectueuse. Les succès militaires semblent plus modestes. À l’issue de trois mois de frappes,

DMITRI DIVINE

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Aucun nouveau redémarrage n’est en vue, mais Moscou n’en a plus besoin. Le format d’un partenariat (...) sur un pied d’égalité est préférable »

nous en sommes à peu près là où nous étions début octobre, tandis que les délais de l’achèvement de cette campagne sont repoussés à une période indéterminée. L’état et la capacité de combat de l’armée syrienne et de ses « alliés iraniens » ont été surestimés. La « libération des territoires » se compte en kilomètres. Les infrastructures militaires des rebelles ont été endommagées, sans véritable percée. Les Iraniens ont subi d’énormes pertes et réduisent leur contingent terrestre. L’armée syrienne connaît de graves problèmes d’effectifs. Les victimes parmi les civils augmentent et, avec elles, le danger terroriste pour la Russie. Il s’agit maintenant de faire un choix. Ainsi, les forces russes pourraient continuer de « s’entraîner », selon l’expression deVladimir Poutine, en maintenant le statu quo et en prolongeant la guerre, car les pertes et les dépenses ne sont pas très importantes pour le moment. Du point de vue tactique, cela pourrait présenter des avantages, aussi cynique que cela puisse paraître : la poursuite de la guerre rend la Russie « utile » à l’Occident en tant que partenaire. Il est possible également de se donner les moyens d’une victoire militaire totale, en gonflant le contingent russe. Mais « le prix » peut monter en flèche dans le cas d’un seul attentat ou d’une percée des rebelles contre les bases russes en

Syrie ou encore à la suite d’une intervention terrestre de la Turquie. Il est possible enfin de se concentrer entièrement sur les efforts diplomatiques et de tenter, à partir des positions du plus fort, d’arrêter la guerre dans des conditions de dignité. C’est là que se situera le grand défi de 2016. Pas question de compter sur un succès rapide. L’ordre des étapes à franchir et les délais à tenir tels que les prévoit la résolution du Conseil de sécurité sont trop ambitieux. Les négociations prendront vraisemblablement plus de temps que les six mois prévus. Pour le moment, les principaux acteurs ont décidé de ne pas se focaliser sur leurs différends au sujet de certains aspects du règlement. La grande question repoussée à plus tard est celle de savoir si le président Assad sera présent au sein du nouveau pouvoir en Syrie. Le fait qu’il reste au pouvoir pour la période de transition est admis par presque tous. La résolution du Conseil de sécurité ne dit rien à ce sujet : Moscou ne pouvait pas accepter qu’un tel document renvoie à une décision extérieure pour écarter du pouvoir le président d’un État souverain. Mais ce flou est une forme de compromis qui permet d’avancer. Version intégrale disponible sur le site d’informations GAZETA.RU

COP21 : CE QUE LA RUSSIE DOIT EN RETENIR

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VLADIMIR TCHOUPROV ÉCOLOGISTE Directeur du programme Énergie à Greenpeace Russie

eux documents ont été adoptés à la 21ème Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques : la décision de la Conférence des parties et l’Accord de Paris, chacun ayant un impact sur la situation géopolitique dans le monde et donc en Russie. L’accord entrera en vigueur après 2020 et remplacera le Protocole de Kyoto à condition d’être ratifié par au moins 55 pays responsables d’au moins 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les conditions de cette ratification seront sans doute remplies, car l’Accord de Paris est peu contraignant. On en veut pour preuve le fait qu’il est déjà sérieusement considéré comme un facteur devant être intégré dans la politique des gouvernements nationaux et dans la conduite des entreprises. Quelles en sont les incidences pour la Russie ? Plusieurs éléments détermine-

ront pour le pays la portée des documents adoptés le 12 décembre 2015. En premier lieu, l’accord laisse des zones d’ombre. Par exemple, on ne trouvera pas dans le texte d’engagements chiffrés par pays sur le volume de la réduction des émissions concernant tel ou tel pays ou sur l’aide quantitative qu’il doit fournir à d’autres pays. En second lieu, contrairement au Protocole de Kyoto, les engagements de réduction des émissions et d’aide aux pays en voie de développement inscrits dans l’Accord de Paris se définissent « de bas en haut » sur la base du volontariat. Ainsi, chaque pays choisit ses propres engagements en fonction de ses capacités économiques au premier chef. De ce fait, la Russie et ses dirigeants ne perdent ni n’obtiennent quoi que ce soit à ce stade. Le pays conserve son scénario « business as usual » et pourra hélas continuer à parier sur l’industrie gazière et pétrolière ainsi qu’à subventionner les

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La bonne nouvelle est qu’il s’agit d’un point de départ pour les instances concernées [comme le ministère des Ressources naturelles] qui conçoivent déjà les programmes climatiques du pays »

énergies fossiles au détriment de l’efficacité énergétique. Toutefois, la Russie devra, dans tous les cas, assurer sa participation administrative et financière, dans le bon sens du terme, à l’application de l’Accord. À court terme (de cinq à dix ans), le gouvernement devra mettre en œuvre au moins trois procédures : réviser et présenter des plans de réduction des émissions, élaborer un plan d’adaptation au changement climatique et constituer un ensemble de mesures d’aide financière aux pays sous-développés. La bonne nouvelle est que, dans le premier comme dans le deuxième cas, il s’agit d’un bon point de départ pour les instances concernées – en premier lieu, le ministère des Ressources naturelles – qui conçoivent déjà les programmes climatiques du pays, notamment en matière de comptabilisation et de réglementation des gaz à effet de serre, malgré la résistance active d’une partie

L E CO U R R I E R D E S L E C T E U R S , L E S O P I N I O N S O U D E SS I N S D E L A R U B R I Q U E “ O P I N I O N S ” P U B L I É S DA N S C E S U P P L É M E N T R E P R É S E N T E N T D I V E R S P O I N T S D E V U E E T N E R E F L È T E N T PA S N É C E S S A I R E M E N T L A P O S I T I O N D E L A R É D A C T I O N D E R U S S I A B E Y O N D T H E H E A D L I N E S O U D E R O S S I Y S K AYA G A Z E TA . MERCI D’ENVOYER VOS COMMENTAIRES PAR COURRIEL : FR@RBTH.COM RUSSIA BEYOND THE HEADLINES EST PUBLIÉ PAR LE QUOTIDIEN RUSSE ROSSIYSKAYA GAZETA. LA RÉDACTION DU FIGARO N’EST PAS IMPLIQUÉE DANS SA PRODUCTION. LE FINANCEMENT DE RBTH PROVIENT DE LA PUBLICITÉ ET DU PARRAINAGE, AINSI QUE DES SUBVENTIONS DES AGENCES GOUVERNEMENTALES RUSSES. RBTH A UNE LIGNE ÉDITORIALE INDÉPENDANTE. SON OBJECTIF EST DE PRÉSENTER DIFFÉRENTS POINTS DE VUE SUR LA RUSSIE ET LA PLACE DE CE PAYS DANS LE MONDE À TRAVERS UN CONTENU DE QUALITÉ. PUBLIÉ DEPUIS 2007, RBTH S’ENGAGE À MAINTENIR LE PLUS HAUT NIVEAU RÉDACTIONNEL POSSIBLE ET À PRÉSENTER LE MEILLEUR DE LA PRODUCTION JOURNALISTIQUE RUSSE AINSI QUE LES MEILLEURS TEXTES SUR LA RUSSIE. CE FAISANT, NOUS ESPÉRONS COMBLER UNE LACUNE IMPORTANTE DANS LA COUVERTURE MÉDIATIQUE INTERNATIONALE. POUR TOUTE QUESTION OU COMMENTAIRE SUR NOTRE STRUCTURE ACTIONNARIALE OU ÉDITORIALE, NOUS VOUS PRIONS DE NOUS CONTACTER PAR COURRIER ÉLECTRONIQUE À L’ADRESSE FR@RBTH.COM. SITE INTERNET FR.RBTH.COM. TÉL. +7 (495) 7753114 FAX +7 (495) 9889213 ADRESSE 24 / 4 RUE PRAVDY, ÉTAGE 7, MOSCOU 125993, RUSSIE. EVGENY ABOV : DIRECTEUR DE LA PUBLICATION RUSSIA BEYOND THE HEADLINES (RBTH), PAVEL GOLUB : DIRECTEUR DE LA PUBLICATION ADJOINT, VSEVOLOD PULYA : RÉDACTEUR EN CHEF DES RÉDACTIONS INTERNATIONALES, TATIANA CHRAMTCHENKO : RÉDACTRICE EXÉCUTIVE, FLORA MOUSSA : RÉDACTRICE EN CHEF, JEAN-LOUIS TURLIN : DIRECTEUR DÉLÉGUÉ, DIMITRI DE KOCHKO : CONSEILLER DE LA RÉDACTION, ANDREÏ CHIMARSKI : DIRECTEUR ARTISTIQUE, MILLA DOMOGATSKAÏA : DIRECTRICE DE LA MAQUETTE, MARIA OSHEPKOVA : MAQUETTISTE, ANDREÏ ZAITSEV, SLAVA PETRAKINA : SERVICE PHOTO. JULIA GOLIKOVA : DIRECTRICE DE LA PUBLICITE & RP (GOLIKOVA@RG.RU) OU EILEEN LE MUET (ELEMUET@LEFIGARO.FR). © COPYRIGHT 2015, AFBE "ROSSIYSKAYA GAZETA". TOUS DROITS RÉSERVÉS. ALEXANDRE GORBENKO : PRÉSIDENT DU CONSEIL DE DIRECTION, PAVEL NEGOITSA : DIRECTEUR GÉNÉRAL, VLADISLAV FRONIN : DIRECTEUR DES RÉDACTIONS. TOUTE REPRODUCTION OU DISTRIBUTION DES PASSAGES DE L’OEUVRE, SAUF À USAGE PERSONNEL, EST INTERDITE SANS CONSENTEMENT PAR ÉCRIT DE ROSSIYSKAYA GAZETA. ADRESSEZ VOS REQUÊTES À FR@RBTH.COM OU PAR TÉLÉPHONE AU +7 (495) 7753114. LE COURRIER DES LECTEURS, LES TEXTES OU DESSINS DE LA RUBRIQUE “OPINIONS” RELÈVENT DE LA RESPONSABILITÉ DES AUTEURS OU DES ILLUSTRATEURS. LES LETTRES DE LECTEURS SONT À ADRESSER PAR COURRIEL À FR@RBTH.COM OU PAR FAX (+7 (495) 775 3114). RUSSIA BEYOND THE HEADLINES N’EST PAS RESPONSABLE DES TEXTES ET DES PHOTOS ENVOYÉS. RBTH ENTEND OFFRIR DES INFORMATIONS NEUTRES ET FIABLES POUR UNE MEILLEURE CONNAISSANCE DE LA RUSSIE. CE SUPPLÉMENT A ÉTÉ ACHEVÉ LE 26 DÉCEMBRE 2015.

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des entreprises, notamment celles que représente l’Union russe des industriels et des entrepreneurs. À l’évidence, l’Accord de Paris est un instrument dans les mains des gouvernements qui ont déjà les moyens, la technologie et la volonté de conquérir de nouveaux marchés dans des secteurs de pointe, surtout celui de l’énergie propre. Au lieu d’être appliqué directement au niveau mondial, il pourrait servir de fondation sur laquelle s’appuieraient différentes initiatives dans le cadre d’institutions internationales très diverses – les accords bilatéraux, le G20, les banques internationales de développement, etc. L’outil qu’il constitue peut être utilisé ou rangé dans un placard. Pour le moment, tout porte à croire que c’est le premier scénario qui l’emportera. À long terme, il en découle pour la Russie une accélération du processus de réduction des marchés d’énergies fossiles qui alimentent en priorité son économie et sa prospérité.


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RÉGIONS

DÉCOUVERTE Aux confins de l’Eurasie, l’une des contrées les plus isolées au monde

TRADITIONS L’os, support artistique

Tel le papyrus des Nordiques Depuis plusieurs milliers d’années, les peuples arctiques du nord-est de la Russie inscrivent leur vision du monde et sculptent leur univers par le biais d’un art singulier : la gravure sur os. IRINA RECHETOVA RBTH

La Tchoukotka, vaste terre de l’authenticité ANDREY SHAPRAN

L’une des régions les moins peuplées et fréquentées du pays, la Tchoukotka revêt de vives couleurs l’été et dégage de nombreux parfums avant de se plonger dans la nuit hivernale, éclairée par d’envoûtantes aurores boréales.

mouths et aux bisons. En ces temps préhistoriques, la Tchoukotka et l’Alaska n’étaient pas encore séparées par la mer et la Béringie, aujourd’hui engloutie, unissait l’Eurasie à l’Amérique du Nord.

Terre des grands froids IRINA RECHETOVA RBTH

Située à l’extrémité nord-est de l’Eurasie et enclavée entre l’océan Arctique et le Pacifique, la Tchoukotka est la plus difficile d’accès, la plus rude et la plus hostile des régions de Russie. Mais sur cette terre lointaine, le visiteur lambda peut profiter de la fraîcheur des vents, découvrir la beauté et la diversité de la faune et de la flore arctiques, observer les sanctuaires énigmatiques des peuples anciens et voir un nouveau continent s’offrir à ses yeux depuis le rivage de la mer de Béring.

Grands espaces, rares humains Sur une superficie de 721 500 km2 – soit plus grande que celle de n’importe quel État européen –, la Tchoukotka figure parmi les régions les moins peuplées du pays. L’homme n’est qu’un petit point perdu dans un désert de neige hivernal – seuls 50 000 habitants se partagent d’immenses étendues. Près de 33% d’entre eux appartiennent à des tribus des peuples du Nord – Tchouktches, Esquimaux, Évènes et Tchouvanes. Leurs ancêtres peuplaient déjà cette région à l’Âge de pierre. Dans des conditions climatiques particulièrement dures, leurs principales occupations étaient la pêche et la chasse aux mam-

La Tchoukotka est recouverte par la toundra. Des paysages vallonnés à perte de vue offrent un tapis de mousse, d’herbe et d’arbres nains, dont des petits bouleaux et des saules. Pendant les courts étés polaires, grâce aux baies arctiques, aux champignons et aux fleurs, la toundra se transforme littéralement en une tapisserie multicolore où de vives teintes s’associent à d’innombrables odeurs. Dès la fin octobre, après la saison des pluies et du brouillard, la neige commence à tomber. Elle ne s’arrêtera qu’en juin. Les zones situées au-delà du Cercle polaire glissent alors dans la longue nuit septentrionale. Le soleil ne brille que quelques heures par jour. En hiver, la Tchoukotka promet des sensations fortes. Ceux qui s’y aventurent peuvent observer de splendides aurores boréales dont les couleurs varient à l’infini. Le printemps n’arrive que fin juin. La fonte des neiges commence doucement, provoquant de véritables mares dans les villages. La toundra se transforme en un labyrinthe de marécages que survolent des milliers d’oiseaux migrateurs. En juillet-août, l’été polaire, assez tiède, peut enfin commencer, apportant avec lui couleurs et senteurs. Au sud-est de la région, sur l’île d’Yttygran, se dresse l’un des monuments les plus surprenants de la culture arc-

Élaboré à l’aide d’informations fournies par notre partenaire TRIPADVISOR

Pour s’y rendre Pour rejoindre Anadyr, capitale de la Tchoukotka, prendre l’avion au départ de Moscou. Sur place, mieux vaut utiliser l’avion ou l’hélicoptère.

Où se loger Réalisé en style classique, le mini-hôtel Tchoukotka, situé en plein centre d’Anadyr, est le meilleur de la ville. 24 chambres, à partir de 120 euros la nuit.

tique : l’allée des baleines, formée de carcasses vieilles de plus de cinq siècles. Deux rangées de squelettes et de crânes sont plantées dans le sol de cette île où personne n’a jamais habité. Les carcasses atteignent près de 5 mètres de haut.

Sanctuaire ? Mystère On sera étonné d’apprendre que ces restes osseux ont été délibérément transportés jusqu’à cet endroit précis. Un chemin dallé conduit jusqu’à une place circulaire en forme d’anneau de pierres entourant les cendres d’un ancien feu de bois. Les chercheurs pensent qu’il s’agit d’un sanctuaire confectionné par les ancêtres des Esquimaux. Pour autant, les Esquimaux d’aujourd’hui, peuple très respectueux des vestiges de ses ancêtres, avouent n’avoir aucune idée de la signification de cet assemblage. L’allée des baleines ne figure dans aucune légende de la tradition orale des autochtones. Les pétroglyphes de Pegtymel constituent un autre joyau de la région. Ces dessins ont été gravés dans la roche à une hauteur de 20 à 30 mètres. Datant de deux mille ans, ils représentent des scènes de chasse ainsi que des créatures qui ressemblent à des hommes ayant un champignon à la place de la tête. Le sens de ces représentations donne encore lieu à des débats au sein de la communauté scientifique. Certains spécialistes les comparent aux illustrations mayas et pensent qu’elles ont été composées sous l’influence de champignons hallucinogènes. D’autres sources (non autorisées) spéculent que ces fresques ont été réalisées au contact d’une civilisation extraterrestre...

Sur des défenses de morse sont représentées des scènes de vie des peuples nomades.

Les ancêtres des Tchouktches et des Esquimaux utilisaient les os des animaux dans le quotidien depuis des temps préhistoriques, confectionnant des aiguilles, de la vaisselle et des pointes de harpons en ivoire de morse et en os de baleine et de renne.Vers le premier millénaire avant notre ère, ils commencèrent à orner ces objets de motifs ayant trait à leurs croyances, à leurs idées sur les bons et les mauvais esprits. Par la suite, aux objets du quotidien réalisés en os gravés sont venus s’ajouter des figurines de différents animaux qui servaient d’amulettes. Ainsi, un petit canard en ivoire de morse cumulait deux fonctions : un jouet pour les enfants et en même temps un porte-bonheur renfermant les bons esprits. À la fin du XIXème siècle, la région a vu apparaître des objets d’art uniques en leur genre, n’existant nulle par ailleurs : les habitants locaux taillaient des défenses de morse entières, représentant des scènes de la vie des chasseurs, des pêcheurs et des éleveurs de rennes. Aujourd’hui, les artistes de la Tchoukotka restent fidèles à la tradition de la gravure. Presque tous les objets ont un trait particulier : leur « polyvalence ». Il suffit de prendre dans la main une figurine en os pour y voir sous différents angles un animal, un homme et un dieu, car les peuples arctiques croient fermement aux profonds liens entre la nature, l’homme et les esprits. En outre, cette « polyvalence » traduit la foi des chasseurs et des pêcheurs arctiques en la capacité des hommes et des animaux à se réincarner les uns dans les autres.

ANDREY SHAPRAN

VIE NORDIQUE À la rencontre des chasseurs de baleines, qui exploitent depuis toujours une source alimentaire essentielle

Gardiens obligés d’une tradition ancestrale que des produits alimentaires sont livrés dans les villages de la région par navire. Toutefois, pendant l’hiver qui dure d’octobre à juin, les voies maritimes sont coupées par les glaces. L’isolement géographique de la Tchoukotka fait que certaines régions éloignées ne disposent ni de routes, ni de voies ferrées. La population reste isolée du reste du pays pendant neuf mois. Fatalement, la traditionnelle chasse à la baleine devient tout simplement un enjeu de survie pour certains villages.

La chasse à la baleine, activité traditionnelle pour les Tchouktches, est moins un hommage aux ancêtres qu’un combat pour la survie de la population. Cruelle et dangereuse mais nécessaire, cette chasse leur est toujours autorisée. MARINA OBRAZKOVA RBTH

La chasse commerciale à la baleine est interdite presque partout dans le monde, mais certains peuples dont le régime alimentaire se fonde historiquement sur la chair de ces cétacés y ont toujours droit. C’est le cas des habitants du Grand Nord de la Russie, les Tchouktches.

Un combat sans merci

Indispensable baleine Cette chasse, cruelle et dangereuse, n’est pas un caprice des peuples du Grand Nord : dans un contexte d’absence totale de fruits ou de légumes et de terres permettant une véritable activité agricole, ce sont les baleines et d’autres mammifères marins qui sont depuis des millénaires la principale source alimentaire des Tchouktches et des Esquimaux peuplant les régions arctiques. Au fil de l’évolution, leur corps s’est adapté pour tirer les vita-

GEOPHOTO

mines et oligo-éléments que recèlent la chair et de la graisse des morses et des baleines. Les Tchouktches affirment que sans chair de baleine, leur état de santé se détériore rapidement. Ils commencent déjà à perdre des dents vers le milieu de leur courte vie – c’està-dire vers 20 ans, car la longévité moyenne des Tchouktches n’est que de 45 ans. Il est vrai que les temps ont changé et

Des chasseurs de baleines en mer.

Principaux centres de la chasse à la baleine, les localités de Lavrenti et Lorino sont situées au bord de la mer de Béring. Selon la Commission baleinière internationale (CBI), les habitants de la région ont le droit de capturer un maximum de 140 baleines par an, qui doivent servir exclusivement à la nourriture et dont il est strictement interdit de revendre les organes. En outre, l’utilisation d’armes à feu n’est pas autorisée. Par conséquent, la chasse à la baleine continue de se pratiquer depuis des siècles au moyen de harpons, l’unique signe de modernité étant le moteur qui équipe les bateaux.

En chiffres

140 C’est le nombre de baleines que les peuples nordiques de Russie ont le droit de chasser par an, selon la Commission baleinière internationale.

C’est une activité dangereuse. La baleine est souvent deux fois plus grosse que le bateau. D’un coup de queue elle peut être fatale à tout l’équipage. Jadis, un homme tombé par-dessus bord n’était jamais repêché : la manœuvre risquait de faire perdre la baleine, condamnant peut-être du même coup un village entier à mourir de faim. Les baleines harponnées, qui peuvent être poursuivies ainsi pendant plusieurs heures, sont tractées dans l’eau vers la côte où tout le village se rassemble. Dès que le cétacé est à quai, les habitants commencent à le découper en morceaux. Ce qui reste est placé dans un entrepôt spécial aménagé dans le pergélisol. Il est ainsi possible de distribuer la chair sur une longue période, non seulement aux habitants du village mais également à ceux des localités voisines. Selon la tradition, un morceau de chair de baleine est toujours jeté à la mer dans l’espoir de faire renaître un nouveau cétacé qui reviendra vers les hommes. « Si les baleines vivent, nous vivons, dit Vladimir Ietyline, président de l’Association des chasseurs de baleines du Tchoukotka. Si elles disparaissent, nous disparaissons ».


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Mercredi 30 décembre 2015

CULTURE

QUESTIONS & RÉPONSES

CHRONIQUE LITTÉRAIRE

La mémoire des ethnies sibériennes dans l’écrit

LIVRES : LES GRANDES TENDANCES DE 2015

CHRISTINE MESTRE CHRONIQUEUSE LITTÉRAIRE

Anne-Victoire Charrin, docteur en anthropologie arctique et spécialiste des cultures des peuples de la Sibérie et de l’extrême orient russe, fondatrice des études sibériennes à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), explique sa passion pour la littérature des peuples autochtones. Qu’est-ce qui a suscité votre intérêt pour les peuples du Nord, leur culture puis leur littérature ? C’est l’aboutissement d’une longue route. Pendant mes études de russe, à 20 ans, en regardant les cartes, je me posais la question : pourquoi, parmi mes camarades et mes professeurs, est-ce que personne ne s’intéressait à ce qui se passe au-delà de l’Oural, à ce que font les gens qui vivent sur ces vastes territoires ? En cherchant des réponses, j’ai découvert les mythologies des peuples d’Asie, le folklore, la littérature orale. J’ai trouvé des transcriptions de productions des Koriaks, le peuple du Kamtchatka dont il ne reste que 9 000 personnes. J’ai passé une année à l’Université de Moscou en 1967 et mis la main, à la bibliothèque Lénine, sur beaucoup de sources intéressantes. La première chose que j’ai publiée en français était une petite traduction de certains de ces textes koriaks. En 1978, je suis allée dans le Grand Nord à la recherche des poèmes d’un jeune poète russe de Iakoutie pour ma thèse d’État. Ensuite, j’ai travaillé sur l’image de ces peuples de Sibérie dans la littérature russe de la première moitié du XIXème siècle. Et finalement, je suis passée à la littérature contemporaine. Qu’est-ce que vous a enthousiasmé dans cette littérature ? J’ai découvert par le biais de cette littérature tout ce que ces peuples avaient pu vivre depuis le début de XXème siècle. Leur production littéraire avait comme base la mythologie. Les premières œuvres ont été réalisées par des gens nés à la fin du XIXème siècle, comme le Nenets Tiko Vilka, qui était un excellent conteur oral et qui, après avoir appris l’écriture, a rédigé ouvrages sur la vie des Nenets. Une deuxième génération, née dans les années 30 et représentée par des auteurs commeVladimir Sangui et Iouri Rytkheou, va prendre position dans ses écrits par rapport à ce qui s’était passé pendant la période soviétique. Sangui (un écrivain nivkhes de l’île de Sakhaline) a écrit un livre que je trouve très symbolique, Le mariage des Kevongs. C’est l’histoire d’un clan, dont il montre le début de la fin. On y trouve beaucoup de détails sur la

Spécialiste de didactique des langues, traductrice, coordonnatrice du prix Russophonie, fondatrice des Journées du livre russe

Une femme nenets de la péninsule de Yamal, en Sibérie. ALAMY/LEGION MEDIA

À noter

DIVERSITÉ ETHNIQUE DE SIBÉRIE Anne-Victoire Charrin, fondatrice des études sibériennes à l’INALCO, interviendra dans le cadre des Journées du livre russe et des littératures russophones prévues du 5 au 6 février 2016 à Paris, dont un volet sera consacré aux écrivains sibériens, notamment Moldanova, Aïpine et Doïdou. › journeesdulivrerusse.fr

vie quotidienne du clan, les travaux, le mariage, la condition de la femme. Il y a une description de la chasse à l’ours et des jeux de l’ours, un grand rituel des Nivkhes. L’auteur s’adressait à son peuple : voilà ce que nous étions, ce que nous ne sommes plus et peut-être ne serons plus jamais. À la fin, le héros principal crie à la nature : « Hommes, que nous êtes-il arrivé ? ». Et c’est surtout la troisième génération, née après la guerre, qui a un regard beaucoup plus distant, beaucoup plus froid sur ce qui s’est réellement passé. Parmi eux, Érémeï Aïpine a un souffle épique indéniable dans ses œuvres, que ce soit L’Étoile de l’aube, traduit par Dominique Samson Normand de Chambourg, ou La mère de Dieu dans les neiges de sang, que j’ai traduit. Il y a chez lui le regret de cette oralité qui a été délavée, de la nature qui a été complètement broyée. Chez cet autre écrivain qu’est Tatiana Moldanova, où l’on voit une nature vivante écrasée par l’exploitation pétrolière, il y a un regret de la véritable histoire des Hantis qui a été complètement effacée par l’histoire russe, comme si auparavant, ces peuples n’avaient pas d’histoire. Une littérature bien tourmentée... Pour les peuples autochtones, un moment très dur fut l’instauration des internements par le pouvoir soviétique – les enfants arrachés à leur parents pour une année entière. Au retour, il y a eu une rupture totale entre les générations. Un écrivain comme la Nenets Anna Nerkagui montre dans un de ses livres, Aniko du clan Nogo, son héroïne qui rentre de Leningrad après ses études et rend visite aux membres de son clan. Son père l’em-

brasse, et elle s’essuie, dégoûtée par cet homme qui n’est pas propre à ses yeux : il est pour elle un sauvage, un arriéré. On perçoit tous ces sentiments qui les séparent à jamais. Parmi les œuvres qui parlent de cette rupture des générations, Anna Nerkagui a atteint sur le plan littéraire un sommet. Quel est l’avenir de cette littérature ? Il y a eu des moments où j’ai pensé qu’elle allait se tarir, je ne la voyais pas se développer sur le terrain. Puis mes dernières missions en Sibérie m’ont démontré tout le contraire. Depuis un an, je ne cesse d’allonger ma liste de jeunes écrivains très intéressants. Il y a quelques mois, j’ai lu une nouvelle sur une femme mantsi qui parle de sa mère, de sa richesse intérieure d’une manière très originale, que je n’ai pas vue depuis bien longtemps dans notre littérature française actuelle. C’est une littérature plus personnelle qu’avant. Il y a aussi un antimatérialisme qui transparaît dans toutes les œuvres de cette jeune génération. Peut-être parce que cette société nouvelle, très mercantile, a touché les grandes villes de la Russie et moins les provinces, et encore moins les taïgas et les toundras. En plus de l’intérêt des livres, il y a celui des personnalités qui se cachent derrière. Ce sont des hommes et des femmes très attachants qui allient ce côté ouvert et chaleureux des Russes, qu’en Occident nous avons un peu perdu. Et puis il y a la richesse de leur culture tout à fait originale et qu’il ne faudrait surtout pas perdre. Propos recueillis par MARIA TCHOBANOV

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EN BREF

Deux grands axes se dégagent dans les parutions de l’année. On note l’importance grandissante accordée aux textes qui ont trait à la religion, avec pour chef de file, les éditons des Syrtes, qui publient notamment deux textes qui se font écho et réjouiront le cercle étroit des lecteurs deVassili Rozanov, penseur orthodoxe et scandaleux, qui a influencé les intellectuels de son temps et révolutionné l’écriture : Dernières feuilles de Rozanov et Koukkha le tombeau de Rozanov d’Alexeï Remizov qui construit, en reprenant la forme du collage de documents divers de Rozanov, la sépulture du penseur. Le second axe est celui de la Grande guerre patriotique. Deux romans puissants mettent en scène des jeunes gens pris dans le tourbillon absurde et cruel de la guerre : Viens et Vois du Biélorusse Ales Adamovitch (Piranha), et La joie du soldat de Victor Astafiev (le Rocher), l’un des plus grands prosateurs russes de la fin du XXème siècle. Notons parmi les nombreux livres qui échappent à ces deux axes, trois ouvrages très différents qui rendent compte de la grande diversité de la production littéraire en russe. Tout d’abord, le très beau livre Les écrits de Kazimir Malévitch (Éditions Allia) où l’on découvre que l’auteur du Carré blanc sur fond blanc, peintre fondateur du suprématisme, est peut-être surtout un théoricien. Ses écrits, rassemblés et traduits par Jean-Claude Marcadé, regroupent ses cours, ses traités et ses manifestes ; ils permettront au lecteur de comprendre le cheminement du père de l’Avant-garde russe et son influence sur la peinture du XXème siècle. Elena Botchorichvili poursuit quant à elle sa route singulière. L’écrivaine géorgienne installée au Québec revient avec un bref roman, Belle vie (Naïve), qui raconte l’amitié improbable, pleine de poésie et de pudeur, de deux hommes, un vieux chanteur russe qui s’achemine vers la mort et un jeune fermier niçois qui cherche sa vie. Ensemble ils se déplacent de ville en ville, achètent et revendent des hôtels qu’ils nomment toujours « Belle Vie », car au-delà des souvenirs douloureux, des pertes et des cheminement, la quête ultime est celle du bonheur. À son habitude, Elena Botchorichvili conduit une narration syncopée, pleine de nondits, de dialogues décalés qui ravira le lecteur par sa légèreté. Saluons enfin la sortie de La conjuration des anges (Gallimard), troisième roman d’Igor Sakhnovski qui creuse son sillon loin des enjeux sociétaux et politiques qui passionnent ses compatriotes. Au départ, une « bévue divine » : « Au risque de rompre un pacte honteusement silencieux autour d’une bévue divine, je souhaiterais évoquer ici la première épouse d’Adam, dont les droits, plus invisibles que des rayons X, demeurent à ce jour universellement bafoués ». Déclinant le mythe à travers des histoires de femmes qui s’enchevêtrent dans des époques et des lieux différents, de Lilith à Eurydice, en passant par Anne Boleyn ou Jeanne la Folle, reine de Castille et d’Aragon, Sakhnovski met en scène des héroïnes qui partagent le même désir farouche d’être maîtresses de leur vie. Mais il réalise aussi l’exploit de poser la vie de son narrateur au centre de cette trame, lui donnant ainsi une toute autre résonance. CHRISTINE MESTRE

L’ERMITAGE VEUT RESTAURER PALMYRE Le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg rassemble les documents de sa collection concernant antiquités de Palmyre, en Syrie, en vue de la future restauration des monuments détruits par les terroristes de Daech (interdit en Russie), rapporte l’agence TASS, citant le directeur général du musée, Mikhaïl Piotrovski. « Actuellement, nous réunissons tous les documents et pièces consacrés à ces monuments que nous avons en notre possession. Quand tout se calmera, il faudra les restaurer, comme nous avons entièrement reconstruit les environs détruits de Saint-Pétersbourg », précise M. Piotrovski. La collection de l’Ermitage consa-

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SHUTTERSTOCK/LEGION-MEDIA

crée à Palmyre comprend dix reliefs funéraires, plusieurs fragments de sculptures, une grande dalle avec des inscriptions en grec et en araméen – le tarif douanier de Palmyre, ainsi que plusieurs petits objets – des tessères et des pièces de monnaie.

« Le célèbre Tarif de Palmyre n’existerait plus s’il n’avait pas, à une époque, été transféré à l’Ermitage », rappelle le directeur du musée. Située entre Damas et l’Euphrate dans l’oasis du désert syrien, Palmyre est l’une des villes les plus riches de l’Antiquité tardive. Selon la légende, le ville fut fondée par le roi biblique Salomon. Les ruines de Palmyre ont été inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Les djihadistes de Daech se sont emparés de la ville le 20 mai dernier et ont détruit plusieurs monuments de l’Antiquité, dont la statue du Lion Al-Lât, vieille de deux mille ans, le temple de Baalshamin, érigé à l’époque de l’Empire romain au Ier siècle ap. J.C., ainsi que le plus grand édifice de la ville, le temple de Baal, érigé sous l’empereur Tibère en 32.

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Mercredi 30 décembre 2015

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Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro

MAGAZINE

ENTRETIEN AVEC OLGA PERETYATKO

À L’AFFICHE

Un oiseau libre sur la scène lyrique internationale

SALON RUSSKAYA LITERATURA DU 8 AU 10 JANVIER MAIRIE DU 16ÈME, PARIS

LA SOPRANO RUSSE, QUI A CHANTÉ SUR TOUTES LES GRANDES SCÈNES D’OPÉRA DU MONDE, INTERPRÉTERA DES EXTRAITS D’OPÉRAS DE ROSSINI AU THÉÂTRE DES CHAMPS-ÉLYSÉES Lors d’une courte visite en Russie, la cantatrice Olga Peretyatko a accordé un entretien à RBTH dans lequel elle évoque sa vie à l’étranger et sa production sur les scènes mondiales. Elle revient sur un moment charnière de sa carrière, lorsqu’elle a décidé de tourner le dos aux troupes d’opéra pour chanter en soliste indépendante.

La seconde édition du salon Russkaya Literatura (littérature russe) se déroulera cette année pendant la période du Nouvel An russe. Elle mettra en avant la très dynamique prose des minorités et des régions, tout en poursuivant son objectif de populariser la littérature russe contemporaine. Parmi les invités, une vingtaine d’auteurs russes de renommée internationale sans compter les nombreux auteurs russophones installés en Europe.

Vous rêviez de devenir chanteuse dès l’enfance ? Pas du tout ! Je voulais être danseuse. À Saint-Pétersbourg on habitait près de la célèbre Académie de ballet Vaganova. Mon père chantait dans le chœur du Théâtre Mariinski. Tout le monde se connaissait et on se rendait souvent visite les uns aux autres. J’ai commencé à chanter à l’âge de quatre ans : on me faisait monter sur une chaise lors des fêtes en famille. J’ai toujours aimé me produire en public. Et j’aime toujours.

› russkayaliteratura.fr

7ÈMES JOURNÉES DU LIVRE RUSSE DU 5 AU 6 FÉVRIER, MAIRIE DU 5ÈME, PARIS

Vous avez suivi une formation de chef d’orchestre. Pourquoi ? Je suis entrée à l’école du Conservatoire à quinze ans, ce qui est trop tôt pour suivre des cours de technique vocale. Quant à ma formation de chef d’orchestre et de chorale, ces études musicales de base m’aident beaucoup. Tout comme la capacité de m’accompagner au piano, la connaissance des règles de l’harmonie et les exercices de solfège. Vous êtes partie en Allemagne à 21 ans. Était-il difficile de vivre à l’étranger ? L’essentiel, c’est d’intégrer le mode de vie européen. Au début, c’était très dur. Entrée au Conservatoire, je suis allée suivre des cours d’allemand à partir de zéro. Je me suis sentie plus ou moins à l’aise après neuf mois environ. Une sorte d’enthousiasme se développe avec le temps. J’ai formé avec des amis un quatuor pour me faire de l’argent de poche en donnant des petits concerts dans des hôpitaux et des asiles : surtout Bach, Mozart et Haendel, ce qui se joue facilement. Je me souviendrai toujours d’un chiffre : 10 euros. C’était mon budget hebdomadaire pour l’alimentation. Je n’avais jamais 30 centimes de libres pour acheter un café dans un distributeur. Une telle expérience vous apprend beaucoup de choses. Quand avez-vous commencé à vous produire sérieusement ? À la même époque. Mon premier projet sérieux (de jeunesse bien entendu) remonte à 2004 avec Harry Kupfer. On chantait Haendel en allemand, rien que des jeunes. On a répété pendant deux mois dans un château près de Berlin puis on a donné des spectacles. J’ai récemment retrouvé un DVD avec ces enregistrements et j’ai pensé : « Mon Dieu, pourvu que personne ne puisse le visionner ! ». Mais à l’époque, forte de trois ans d’études au Conservatoire, j’ai décidé qu’il était temps de chercher à donner des concerts. J’ai compris qu’il était inutile d’y rester six ans et j’ai passé de nombreuses auditions pour des studios d’opéra et des spectacles en version de concert. Cela existe dans chaque théâtre,

DANIIL RABOVSKY

Biographie Née en 1980 à Saint-Pétersbourg, Olga Peretyatko a débuté sa carrière musicale à l’âge de 15 ans dans le chœur du Théâtre Mariinski. Elle a suivi une formation de direction de chœur et a ensuite étudié le chant à la Hanns EislerHochschule für Musik de Berlin. La soprano a retenu l’attention internationale en 2010, dans le rôle titre du Rossignol de Stravinski, au Festival d’Aixen-Provence.

surtout aujourd’hui, en pleine crise : les jeunes chanteurs sont souvent très bons et leurs cachets sont très peu élevés. Les théâtres profitent de belles voix presque gratuitement. Nous, nous gagnons de l’argent et nous accumulons une expérience d’interprétation en public. L’Opéra d’État de Hambourg est devenu une étape importante dans ma carrière. J’y ai chanté pendant deux ans. En été 2006, je suis allée à l’Accademia Rossiniana à Pesaro. L’année suivante, j’ai eu l’occasion de jouer Desdémone avec Juan Diego Florez. En 2007 également, j’ai interprété chez Daniel Barenboim une des filles-fleurs dans Parsifal. Entre ces spectacles, je me rendais par train de nuit à Paris, à Operalia. Au lendemain de ce concours, je suis allée à Pesaro, en Italie, complètement malade, parce qu’il est impossible de vivre longtemps à un tel rythme. Mon corps m’a dit : ça suffit. J’estime que j’ai percé à Pesaro. C’est à ce moment que j’ai décidé de me lancer en indépendante. Voudriez-vous être sous contrat avec une troupe précise ? Non. S’il est possible de travailler comme soliste indépendante, il faut en profiter. En étant attaché à une troupe, on est dans l’obligation de chanter tout le répertoire. Les chanteurs optent habituellement pour cette formule en fin de carrière. Le public, est-il différent dans des pays différents ? Pas vraiment. Aux États-Unis, le public aime tout, il n’est pas trop exigeant. En revanche, les spectateurs américains

Agenda

CONCERTS EN FRANCE Théâtre des Champs-Élysées Concert Accademia Bizantina et Olga Peretyatko, Récital Rossini 11 janvier 2016 Opéra Bastille Interprétation du rôle de Gilda dans Rigoletto de Verdi Du 09 avril au 30 mai 2016

réagissent vivement et rient très fort, comme au cinéma. En Allemagne, le public est le plus averti : avec 80 théâtres, il a tout vu, tout entendu, rien ne peut l’étonner. Les Autrichiens sont des amateurs fervents. La France possède un public raffiné qui exige des œuvres moins connues, des perles rares… Les Français sont de fins mélomanes, très subtils.

En ligne

Les secrets des costumes du Bolchoï

Vous avez déjà chanté sur toutes les grandes scènes du monde. Reste-t-il un lieu, une œuvre, des partenaires qui vous fassent rêver ? L’essentiel, c’est la santé. Tout le reste viendra s’y joindre. Pour ce qui est des rêves… Ce ne sont pas des rêves, mais des projets. Mon agenda est rempli jusqu’en 2020. Mais si, j’ai quand même un rêve : faire quelque chose avec un groupe de musique électronique semblable à Air. Je ne sais pas encore ce qu’on pourrait faire ensemble, mais je voudrais tant.

fr.rbth.com/536695

L’ANNÉE 2015 EN IMAGES

DU DÉSERT DU SINAÏ AUX FORÊTS DE SIBÉRIE retour sur les temps forts de l’année qui s’achève

fr.rbth.com/longreads/retrospective2015

Propos recueillis par OLEG KRASNOV

De tout temps, la nature, la campagne, les étendues immenses, ont été au cœur de la littérature russe... C’est justement pour cette raison que les organisateurs des Journées du livre russe ont choisi de placer ce thème au centre de la 7ème édition de cette grand-messe de la culture russe et de la langue russes. La Sibérie, région de grande diversité ethnique et culturelle, sera également à l’honneur. Tables rondes et rencontres, ateliers et concours, ainsi que nombre d’autres manifestations culturelles exceptionnelles vous attendent. Parmi les invités, de nombreux écrivains de renom, dont la Biélorusse Svetlana Alexievitch, Prix Nobel de Littérature 2015. Comme il est de coutume, la cérémonie de remise du Prix Russophonie, récompensant la meilleure traduction littéraire du russe vers le français, viendra clôturer ces Journées. › journeesdulivrerusse.fr

À NOTER UN NOUVEAU ROMAN DE MAXIM KANTOR 7 JANVIER AUX ÉDITIONS LOUISON Dans Feu rouge, son deuxième roman, l’écrivain russe Maxim Kantor dévoile, à la manière du peintre renommé qu’il est, une fresque philosophique sur trois générations dans une Europe en quête d’identité. L’écrivain avait été révélé en 2006 par son premier roman, Manuel de dessin, sur la Russie post-soviétique.


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