Russia Beyond The Headlines (France)

Page 1

Mercredi 16 décembre 2015

fr.rbth.com

Visions de la Russie Distribué avec

Parmi les autres partenaires de distribution : The Daily Telegraph, The New York Times, The Washington Post, La Repubblica, etc.

C E C A H I E R D E H U I T PA G E S E S T É D I T É E T P U B L I É PA R R O S S I Y S K AYA G A Z E TA ( R U S S I E ) , Q U I A S S U M E L ’ E N T I È R E R E S P O N S A B I L I T É D E S O N C O N T E N U

CAFÉ POUCHKINE : TOUT EST PARTI D’UNE CHANSON

Moscou fait payer Ankara mais les frais risquent d’être partagés Les sanctions prises à l’encontre de la Turquie après la destruction du bombardier russe vont avoir des conséquences économiques pour les deux pays, tout en compliquant le projet de coalition sur la Syrie. Ci-contre, les présidents Poutine et Erdogan lors d’un point de presse il y a un an à Ankara.

MARK BOYARSKY

Le restaurateur Andrei Dellos a inventé son établissement en écho à Gilbert Bécaud. PAGE 8

LIRE EN PAGE 2

VILLE DIVISÉE ET ACCUEIL MITIGÉ POUR LES RUSSES Reportage spécial depuis Lattaquié, miroir d’une société syrienne déchirée. PAGE 3

L’INDUSTRIE AUTOMOBILE NÉGOCIE LA CRISE Face à la chute des ventes de voitures en Russie, les groupes français sont contraints de revoir leurs stratégies en profondeur.

REUTERS

PAGE 5

HISTOIRE L’église nommée en l’honneur de Saint Louis symbolise quatre siècles de présence française

À lire en ligne

Le « Panthéon » des Français de Moscou

LA MAGIE DE L’HIVER RUSSE

Érigée au XIXème siècle dans un style néo-classique qui rappelle l’antique édifice romain, Saint-Louis-desFrançais est au cœur d’une communauté présente dans la capitale russe depuis quatre cents ans. OLGA MAMAÏEVA POUR RBTH

TASS

Plongez dans un véritable conte de Noël à la russe grâce à notre rubrique spéciale « Fêtes de fin d’année ». FR.RBTH.COM/NOEL

À une vingtaine de minutes de marche du Kremlin et à deux pas de la célèbre place Loubianka, dans le quartier surnommé « français », les touristes découvrent une église en pierre dont le style évoque « l’architecture initiale du Panthéon de Rome », note Alexandre Mojaïev, spécialiste de l’histoire de Moscou. Orné d’un portique d’un blanc éclatant à six colonnes doriques et de deux modestes clochers, le bâtiment se détache sur la toile de fond des constructions environnantes. C’est l’église Saint-Louis-des-Français de Moscou : elle a été construite en 1833 d’après le projet de l’archi-

Photographie ancienne de l’église, prise en 1884.

tecte d’origine italo-suisse Alessandro Gilardi, avec la participation du sculpteur italien Santino Campioni, pour la communauté française locale dont l’histoire est vieille de plus de quatre cents ans. M. Mojaïev rappelle dans un article, La France à Mos-

cou : promenade historique, que les premières informations sur la présence des Français dans la capitale russe, essentiellement des marchands, datent du début du XVIème siècle, sous Ivan le Terrible. Le premier Français à se faire un nom à Moscou est Jacques Margeret, un mercenaire qui, après avoir accompli son service de six ans dans la cavalerie commandée par Boris Godounov, rédigea État de l’Empire de Russie et du Grand-duché de Moscovie, ouvrage de référence sur la Russie au début du XVIIème siècle. Comme tous les Européens arrivant à Moscou, jusqu’à la seconde moitié du siècle, les Français s’installèrent intra-muros, principalement dans les quartiers est. Mais, relate l’historien, les Moscovites de souche dénoncèrent l’apparition clandestine de salles de prière non orthodoxes dans la ville et, à partir de 1649, les étrangers durent déménager à Nemetskaïa sloboda (faubourg dit « allemand ») situé en dehors de Moscou. SUITE EN PAGE 7

un département de

Suivez-nous sur fr.rbth.com /larussiedaujourdhui /rbth_fr


Mercredi 16 décembre 2015

2

Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro

DOSSIER

COMMERCE INTERNATIONAL La riposte russe contre la Turquie vise le porte-monnaie

AVIS D’EXPERT

Sanctions : une arme à double tranchant

DEUX PAYS CONDAMNÉS À COOPÉRER

En représailles à la destruction d’un de ses avions militaires, Moscou a pris contre la Turquie des mesures de rétorsion économiques dont l’impact pourrait faire mal des deux côtés.

Les relations commerciales russo-turques

KSENIA ILIINSKAÏA POUR RBTH

Quatre jours après la destruction d’un bombardier Su-24 russe par la chasse turque, le président Vladimir Poutine signait un décret imposant des sanctions économiques contre la Turquie. Visant à « assurer la sécurité nationale et celle des citoyens russes », les pénalités vont de la fin de la dispense russe de visa à la limitation de l’activité des sociétés turques en Russie. Or, si ces mesures de rétorsion ont pour conséquence de priver l’économie turque de ressources importantes, elles ne seront pas sans effet sur l’économie russe, estiment les experts.

Le tourisme touché de plein fouet Immédiatement après l’incident de l’avion le 24 novembre, Moscou a recommandé aux citoyens russes de ne pas se rendre en Turquie. A suivi une interdiction totale des vols charters et de la vente de voyages organisés. La Russie a suspendu en outre le régime sans visa, dont l’accord a été signé en 2011. En cas de maintien des sanctions durant la saison touristique 2016, ces mesures occasionneront un manque à gagner considérable pour les stations balnéaires turques et les agences de voyage russes, la Turquie étant l’une des destinations favorites des Russes. L’an dernier, elle avait attiré 3,3 millions d’entre eux, soit un quart de tous les voyages organisés vendus en Russie. « Si l’interdiction des vols vers la Turquie est maintenue au-delà de mars, soit plus de trois mois, les pertes des touropérateurs pourraient s’élever à 275 millions d’euros. Il est peu probable que cela affecte les géants du marché, tous ayant diversifié leur programme, y compris à l’aide des stations balnéaires russes, mais seuls 15 à 20% des voyageurs pourraient se réorienter sur le marché local, contre les 30-40% nécessaires », calcule Maïa Lomidze, directrice exécutive de l’Association de tour-opérateurs russes (ATOR).

L

SERGUEÏ MARKEDONOV POLITOLOGUE Maître de conférences à l’Université des sciences humaines de Russie

Le gaz et le nucléaire en question

Les importations agroalimentaires en première ligne Ce sont surtout les tomates et les agrumes qui sont touchés par les sanctions, la Turquie étant l’un des principaux fournisseurs de ces denrées. C’est ainsi que 43% des importations de tomates en Russie proviennent en temps normal de Turquie. Au cours des dix premiers mois de 2015, ce pays a exporté en Russie des marchandises d’une valeur de 914 millions d’euros, constituées à 40% de fruits et de noix, 35% de légumes. Le ministère russe de l’Agriculture prévoit de remplacer ces livraisons de façon avantageuse par des importations venues d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Ioulia Tsepliaïeva, directrice du Centre d’études macroéconomiques de Sberbank, considère que « l’application de mesures restrictives aux importations turques créera en Russie des problèmes à court terme dans le secteur de la production de légumes : l’embargo sur les livraisons

tiers de Russie, et le chiffre d’affaires qu’elles réalisent sur le sol russe s’élève à environ 4,6 milliards d’euros par an. Les investissements turcs portent aussi sur quelques réseaux de vente de vêtements et des usines de production de matériaux de construction et d’emballages. Par ailleurs, le plus gros brasseur turc, Anadolu Efes, détient 13% du marché de la bière avec ses six usines en Russie. Les filiales de ces sociétés sont en principe autorisées à poursuivre leur activité, mais risquent de faire face à des tracasseries administratives : les entreprises du bâtiment devront signer de nouveaux contrats, les quotas de travailleurs turcs seront divisés par quatre et la quantité de licences délivrées aux chauffeurs routiers turcs sera réduite à 200. Dans le secteur immobilier, Sergueï Guipch, partenaire au sein de la société Knight Frank, explique que les promoteurs russes affectionnent les entreprises turques « car elles offrent un rapport qualité-prix très raisonnable. Leur surface de constructions sur le marché russe atteint le million de mètres carrés, et leur sortie brutale du marché pourrait provoquer des dépassements de délai dans les travaux et influer sur les prix ».

GAIA RUSSO

de légumes turcs ajoutera 0,4% à l’inflation sur la fin de l’année 2015 et le début de 2016. Cependant, ce choc ne mènera sans doute pas à une hausse de l’inflation à moyen terme ».

Tracasseries pour les entreprises turques en Russie Les restrictions touchent également l’activité des entreprises turques en Russie, en premier lieu sur le marché de la construction immobilière. Aujourd’hui, la part de marché des entreprises turques représente près d’un tiers de tous les chan-

Les restrictions toucheront également les investissements communs : la Russie a suspendu l’accord de défense des investisseurs et l’activité de la commission russo-turque a été gelée, tout comme les négociations en vue d’un accord de facilitation du commerce. Selon la Banque centrale, le volume des investissements directs russes en Turquie était de 4,9 milliards d’euros en 2014, les investissements turcs en Russie représentant pour leur part 529 millions d’euros. L’un des projets communs les plus importants concerne la construction par Gazprom du gazoduc Turkish Stream, d’une valeur de 11 milliards d’euros, pour lequel les négociations ont déjà été interrompues. Il était prévu que la première étape du gazoduc, conçu pour alimenter la Turquie (le pays reçoit aujourd’hui 60% de son gaz de la Russie), devait être achevée fin 2017. Pour la Russie, la Turquie représente le second marché gazier après l’Allemagne (les exportations en 2014 s’élevaient à 27,4 milliards de mètres cubes, et celles de minerais, à 14,9 milliards d’euros). « Si la Russie a l’intention de vendre du gaz à l’Europe, un gazoduc en Turquie sera nécessaire. Le gazoduc transanatolien (TANAP) ne peut pas répondre à la demande européenne, estime Mete Gueknel, expert en problèmes énergétiques, ancien directeur général de la compagnie pétrolière nationale turque Botas. La Turquie n’a pas de réelle alternative au gaz russe : tous les jours il passe par Blue Stream des volumes de gaz que ni les infrastructures de stockage de gaz liquéfié venant du Qatar, ni les achats de gaz algérien ne peuvent remplacer ». Un autre projet majeur dont les perspectives se trouvent bouchées est la construction par Rosatom de la centrale nucléaire d’Akkuyu au sud de la Turquie. Il prévoyait la réalisation de quatre réacteurs d’une puissance totale de 4 800 mégawatts, dont le financement devait être assuré par une filiale de Rosatom.

«

La Russie et la Turquie reconnaissaient des divergences sur certains dossiers sans mettre en doute la nécessité d’intensifier la coopération économique »

En ligne

Tout savoir sur les sanctions russes fr.rbth.com/549953

e spécialiste turc Bülent Araz a qualifié les relations russo-turques de « partenariat concurrentiel ». En effet, les avis de Moscou et d’Ankara étaient loin de coïncider sur tous les dossiers politiques. Notamment sur le conflit du Haut-Karabakh ou sur la Géorgie, dont la classe politique turque a toujours soutenu l’intégrité territoriale. Ces différends ont pu être pendant longtemps surmontés grâce au développement de relations économiques mutuellement avantageuses. Le pragmatisme semblait devoir permettre de reléguer au second plan les désaccords. D’autant que les rapports de Recep Tayyip Erdogan avec les États-Unis et l’Union européenne (UE) laissaient à désirer. Ankara désapprouve les relations de Washington avec les mouvements kurdes du Proche-Orient, tandis que la demande persistante de la Turquie à être admise au sein de l’UE n’enthousiasme pas vraiment Bruxelles. Les parties n’ont pas réussi à s’entendre sur le dossier chypriote. Ainsi, la Russie et la Turquie reconnaissaient des divergences sur certains dossiers sans pour autant franchir la « ligne rouge » ou mettre en doute la nécessité d’intensifier la coopération économique. Preuve en était le projet de gazoduc Turkish Stream. Mais cette logique de « statu quo » a commencé à se fissurer bien avant 2015. Les sources remontent à 2011, année où la vague du « printemps arabe » déferle sur le Proche-Orient. Si Moscou y voyait un défi lié à l’effondrement d’États laïcs, la Turquie le considérait comme une chance de rétablir son influence dans une région qu’Ankara ne considérait plus comme prioritaire depuis longtemps. D’où le soutien de la Turquie au chef des Frères musulmans égyptiens, Mohamed Morsi, une brusque volte-face par rapport à Israël, ainsi que la lutte contre le régime du président syrien Bachar el-Assad. Finalement, les deux puissances eurasiatiques ont vu leurs divergences politiques s’accentuer. Pour la Russie, la menace principale en Syrie est Daech [ou État islamique, organisation interdite en Russie, ndlr]. La Turquie appréhende un éventuel renforcement des positions des Kurdes et des alaouites et la défaite de ses « clients » désireux de consolider l’influence turque dans la région. Il est évident que la destruction du bombardier russe a mis en péril les relations. Mais, premièrement, les deux pays possèdent d’ores et déjà une certaine expérience de sortie de situations complexes, voire d’impasses. Deuxièmement, aucun des deux ne désire aider des forces tierces en affaiblissant l’autre. Et, troisièmement, Erdogan réalise qu’aussi grande que soit son antipathie pour Assad, la déstabilisation du pays voisin risque d’avoir un effet boomerang sur la société turque. En effet, il existe au sein de celle-ci des islamistes radicaux prêts à lutter contre le régime indépendamment de ses relations avec la Russie. Erdogan n’obtiendra rien de ce genre de forces tierces, ni apaisement ni soutien, même en cas de dégradation de la situation avec Moscou. Tout ceci laisse prudemment espérer que les deux pays trouveront un modus vivendi dans un nouveau contexte.

fr.rbth.com/tag/tensions russo-turques

RUSSIA BEYOND THE HEADLINES (RBTH) PUBLIE 37 SUPPLÉMENTS DANS 29 PAYS POUR UN LECTORAT TOTAL DE 28,4 MILLIONS DE PERSONNES ET GÈRE 21 SITES INTERNET EN 17 LANGUES. LES SUPPLÉMENTS ET CAHIERS SPÉCIAUX SUR LA RUSSIE SONT PRODUITS ET PUBLIÉS PAR RUSSIA BEYOND THE HEADLINES, UNE FILIALE DE ROSSIYSKAYA GAZETA (RUSSIE), ET DIFFUSÉS DANS LES QUOTIDIENS INTERNATIONAUX SUIVANTS: • LE FIGARO, FRANCE • LE SOIR, BELGIQUE• THE DAILY TELEGRAPH, GRANDE BRETAGNE • HANDELSBLATT, ALLEMAGNE • EL PAÍS, ESPAGNE • LA REPUBBLICA, ITALIE • NOVA MAKEDONIJA, MACÉDOINE • NEDELJNIK, GEOPOLITIKA, SERBIE • LE JEUDI, TAGEBLATT, LUXEMBOURG • THE WASHINGTON POST, THE NEW YORK TIMES, FOREIGN POLICY, INTERNATIONAL NEW YORK TIMES ET THE WALL STREET JOURNAL, ÉTATSUNIS • THE ECONOMIC TIMES, THE NAVBHARAT TIMES, INDE • MAINICHI SHIMBUN, JAPON • HUANQIU SHIBAO, CHINE • LA NACION, ARGENTINE • EL PAÍS, CHILI • EL PERUANO, PÉROU • EL PAÍS, MEXIQUE • FOLHA DE S.PAULO, BRÉSIL • EL OBSERVADOR, URUGUAY • LA RAZON, BOLIVIE • JOONGANG ILBO, JOONGANG SUNDAY, CORÉE DU SUD • GULF NEWS, AL KHALEEJ, ÉMIRATS ARABES UNIS • AL-AHRAM, ÉGYPTE • THE NATION, PHUKET GAZETT, THAÏLANDE • THE AGE, SIDNEY MORNING HERALD, AUSTRALIE. COURRIEL : FR@RBTH.COM. POUR DE PLUS AMPLES INFORMATIONS, CONSULTER FR.RBTH.COM. LE FIGARO EST PUBLIÉ PAR DASSAULT MÉDIAS, 14 BOULEVARD HAUSSMANN 75009 PARIS. TÉL: 01 57 08 50 00. IMPRESSION : L’IMPRIMERIE, 79, RUE DE ROISSY 93290 TREMBLAY-EN-FRANCE. MIDI PRINT 30600 GALLARGUES-LE-MONTUEUX. DIFFUSION : 321 101 EXEMPLAIRES (OJD PV DFP 2011)


Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro

Mercredi 16 décembre 2015

INTERNATIONAL

3

SYRIE À Lattaquié, entre espoir et désespoir suivant les factions

Ville divisée et accueil mitigé pour les Russes L’arrivée de l’aviation russe en Syrie a rebattu les cartes dans la région de Lattaquié. Mais elle est différemment perçue dans une société syrienne profondément fragmentée. DMITRI VINOGRADOV POUR RBTH DEPUIS LATTAQUIÉ

À l’aéroport de Lattaquié, sous le bruit assourdissant des Su russes, Amir, 25 ans, attend l’avion du ministère des Situations d’urgence qui l’emmènera en Russie. « Je pars pour Saint-Pétersbourg où je vais poursuivre mes études d’architecte à l’École des mines. J’espère que quand j’aurai terminé mes études, la guerre en Syrie sera finie, que les architectes seront de nouveau demandés et que nous allons reconstruire tout ce qui a été détruit », explique ce jeune homme issu d’une famille russo-syrienne. Toutefois, il est bien difficile d’imaginer quand une telle situation se présentera – les affrontements se poursuivent à 30 km à peine au nord de Lattaquié, où l’armée syrienne tente de reprendre le contrôle de la frontière turque par laquelle les combattants reçoivent des renforts et des munitions.

Des quartiers très contrastés Dans la ville maritime de Lattaquié, aucun signe de guerre n’est visible, bien qu’en août 2011, elle ait été le théâtre de combats de rue. Le soir, les habitants locaux se réunissent dans les cafés ; le week-end, ils organisent des soirées ou des banquets et célèbrent des mariages. Les femmes vêtues à la mode déambulent dans les ruelles encombrées de voitures. Elle sont nombreuses sur les plages et se baignent librement en maillot de bain. Il est évident que ces gens n’ont aucune envie de voir débarquer les islamistes, sous peine d’être contraints de fuir dans d’autres pays ou de revêtir le niqab. Ghadir Ouassouf, professeur d’histoire, explique ainsi l’ambiguïté de la population à l’égard du régime syrien. « Nous avons de nombreux griefs contre Assad. Mais tout cela n’est rien face à la menace que présentent Daech et le Front Al-Nosra [organisations interdites en Russie,

Il l’a dit

«

Tous les opposants ne sont pas des terroristes. C’est pourquoi il est possible que l’arrivée de la Russie accélère le processus politique. Les gens ont enfin de l’espoir. Sontils heureux ? C’est difficile à dire. Il n’y a pas d’argent, peu de travail et l’hiver approche ».

SARGON HADAYA JOURNALISTE RUSSE

ndlr]. En plusieurs années de crise, l’opposition syrienne n’est pas parvenue à proposer une alternative à Bachar, nous n’avons pas vu de zones qu’elle aurait libérées et où elle aurait établi une vie normale "sans Assad". Ainsi, le président syrien, qui était un homme politique avec ses forces et ses faiblesses, est devenu le symbole de résistance aux terroristes étrangers qui convergent ici du monde entier. Aujourd’hui, il faut les chasser, puis nous allons construire une vie normale et alors le temps sera venu de critiquer Assad », conclut le professeur. Et pourtant, les journalistes et militaires russes qui travaillent à Lattaquié sont prévenus : il faut éviter les quartiers sunnites et palestiniens, car l’opposition à Bachar el-Assad et, par voie de conséquence, aux frappes de l’aviation russe, y est bien plus forte que parmi les alaouites (minorité au pouvoir en Syrie). En août 2011, les quartiers palestiniens de Lattaquié ont été le théâtre de manifestations armées contre le gouvernement. Pour les écraser, le pouvoir a envoyé des canonnières sur les rives de Lattaquié et bombardé les insurgés.

Une ville meurtrie Aujourd’hui, Lattaquié est beaucoup plus calme. Seuls les postes de contrôle renforcés autour des quartiers palestiniens et les impacts de balles sur les bâtiments alentour rappellent les événements d’il y a quatre ans. Mais derrière les postes de contrôle, Lattaquié affiche un tout autre visage : disparus, les hauts bâtiments avec une vue magnifique sur la mer ; à la place, des rues poussiéreuses, des étales vides et des femmes en hidjab avec leurs nombreux enfants. « Nous sommes condamnés à être pauvres, la plupart d’entre nous ne peuvent espérer un bon travail ni un salaire élevé », confie un habitant local qui m’invite chaleureusement dans son petit commerce pour un café fort à la cardamome. C’est de là que sont parties les manifestations, explique-t-il. Et de s’inquiéter : « évidemment, les manifestants ne voulaient pas la guerre. Les radicaux étrangers ont profité de l’agitation pour venir en Syrie "aider leurs

TASS

RIA NOVOSTI

1 - Des étudiantes syriennes à la sortie d’un cours. 2 - Moment de détente pour des musulmanes syriennes à Lattaquié.

frères", mais en réalité, ils poursuivent leurs propres objectifs. Cela étant, nous craignons désormais que, dans le cas d’une victoire d’Assad, tout redevienne comme avant ». Pour les habitants de ces quartiers l’aviation russe est l’un des facteurs capables de renverser le cours de la guerre en faveur du gouvernement central. « Tout le monde est las de la guerre. Notre économie, nos vies sont détruites. Mais qu’arrivera-t-il après la victoire d’Assad ? La même chose qu’avant ? Ou Assad en tirera-t-il des conclusions pour changer sa politique ? Personne ne le sait », s’interroge mon interlocuteur.

Libérateurs ici, complices là Étant donné le grand nombre de groupes armés se battant contre le gouvernement central, mais aussi parfois entre eux, ainsi que les divisions ethniques et religieuses qui se sont accentuées au fil de la guerre civile, il n’est guère étonnant que l’attitude de la population envers les Russes soit diverse et variée. À Lattaquié, les Russes sont perçus comme des protec-

teurs. Les chauffeurs de taxi, épiciers et serveurs disent tous la même chose en anglais au fort accent local : « Thank you, Russia ! Welcome to Syria ! ». À l’inverse, dans les zones non contrôlées par le gouvernement central, on accuse l’aviation russe et syrienne de bombarder les infrastructures civiles, photos et vidéos à l’appui. Pour l’opposition, ce sont de nouvelles preuves du « caractère criminel du régime ». Pour les fidèles à Assad, il s’agit d’une forme d’« intox ». En ce moment, tous les soirs, des coups de feu résonnent dans le centre de Lattaquié, des balles et des fusées éclairantes fusent dans l’air. Ce sont les soldats syriens qui saluent ceux de leurs collègues qui ont passé deux ans assiégés à la base aérienne de Kweires dans la banlieue d’Alep (nord de la Syrie). Dernièrement, l’armée syrienne, avec l’appui de l’aviation russe, a chassé les combattants qui ceinturaient la base et fait lever le siège. Les soldats ont pu rentrer chez eux, alors que les combats entre l’armée régulière et les terroristes se poursuivent dans les environs d’Alep.

DIPLOMATIE Turquie, Syrie, Ukraine, Iran... autant de dossiers sur lesquels Moscou aura besoin d’« alliés objectifs »

2016, année charnière sur tous les fronts Si le Kremlin boycotte la Turquie, vers quels partenaires alternatifs la Russie pourra-t-elle se tourner dans un contexte où les relations avec l’Ouest sont loin d’être florissantes ? PAVEL KOCHKINE RBTH/RUSSIA DIRECT

L’incident du bombardier Su-24, abattu le 24 novembre dernier par la Turquie a engendré de graves tensions entre Moscou et Ankara, alors que les relations avec l’Occident ne sont pas exactement au beau fixe. Toutefois, face à la menace terroriste, l’Occident semble avoir atténué sa rhétorique à l’égard de Moscou. Quelles perspectives pour 2016 ?

Le facteur turc Selon Aurel Braun, professeur de relations internationales et de sciences politiques à l’Université de Toronto, la Russie continuera d’amplifier sa coopération avec le régime du président syrien et avec l’Iran. Cependant, cette coopération sera problématique à long terme selon lui, « les intérêts de l’Iran, en matière de promotion de l’islamisme et dans son désir ultime de devenir une

La réparation des relations entre la Russie et l’Occident “exige une volonté de compromis sur toute une série de sujets” »

puissance nucléaire étant incompatibles avec les intérêts nationaux russes ». De façon ironique, la confrontation de la Russie avec la Turquie rapproche l’Union européenne et l’Alliance atlantique du régime du président turc, celui-là même que l’UE a lourdement critiqué dans le passé pour ses violations grossières des droits de l’homme, estime l’expert. « Le courroux russe envers Ankara, même s’il est justifié, a des effets délétères non seulement sur les relations économiques, mais à long terme, sur les relations avec les États-Unis et l’Union européenne, qui sont tous les deux poussés dans les bras de la Turquie, poursuit-il, soulignant pourtant le fait que les véritables intérêts nationaux russes se trouvent à l’Ouest et en Europe, et non [dans la coopération, ndlr] avec l’Iran, la Syrie, et auparavant avec Erdogan ». Réparer les relations avec l’Occident devrait être la priorité de la Russie, estime M. Braun. Or, ceci « exige une volonté de compromis sur toute une série de sujets allant de l’Ukraine au Proche-Orient ». Mikhaïl Troïtski, un analyste politique et spécialiste de relations internationales basé à Moscou, est cependant très

sceptique sur la possibilité d’un compromis entre la Russie et l’Occident. « La coopération avec les autres grands pays sera difficile pour la Russie en 2016, pratiquement tous ces pays y ayant posé des conditions préalables », dit-il.

Les facteurs syrien et ukrainien

En ligne

Comment le second pilote du Su-24 a été retrouvé fr.rbth.com/544387

Andreï Tsygankov, professeur de relations internationales et sciences politiques à l’Université d’État de San Francisco, prévoit des problèmes croissants en Ukraine. « Les chances que l’Ukraine cède aux pressions européennes ne sont pas très bonnes, étant donné l’incapacité de Kiev à réformer son économie et une dépendance accrue au nationalisme anti-russe pour la survie du régime », explique-t-il. Il considère que la diplomatie en 2016 sera largement déterminée par la situation en Syrie. « 2016 devrait être une année charnière, pouvant basculer d’un côté comme de l’autre : vers la construction de nouvelles fondations pour formuler de nouvelles règles acceptables par tous, ou bien vers encore plus d’instabilité », prévient-il. Selon lui, les principaux dossiers de la politique étrangère russe en 2016 res-

teront le Proche-Orient, l’Ukraine, l’Asie centrale, l’Afghanistan, les prix du pétrole et l’état de l’économie russe. La plupart des experts se montrent réservés sur l’avenir des relations entre la Russie et l’Occident en 2016, car tout rapprochement exigera énormément de volonté politique de la part des différentes parties, alors que leurs intérêts géopolitiques divergent. M. Tsygankov voit cependant une lueur d’espoir. Il pense que les relations entre la Russie et les Occidentaux pourraient s’améliorer face à des menaces communes comme Daech [organisation interdite en Russie, ndlr] et une possible désescalade du conflit ukrainien. « S’il y a un progrès dans l’engagement antiterroriste russe avec les Occidentaux en Syrie, s’il n’y a pas d’escalade majeure du conflit en Ukraine et que tous les autres aspects (Asie de l’est en particulier) demeurent inchangés, la vision russe de l’ordre mondial pourrait être reconnue, suppute-t-il, ébauchant un scénario optimiste pour l’élaboration du calendrier international en 2016. Cette vision est basée sur le respect de la souveraineté, des sphères d’influence et du multilatéralisme ».


Mercredi 16 décembre 2015

4

Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro

SOCIÉTÉ

TRADITIONS Une condition féminine ancestrale qui évoque le sort de Prométhée dans la mythologie grecque

Le destin obligé des femmes du mont Caucase Depuis des siècles, les femmes tchétchènes vivent dans un monde traditionnel très spécifique. Dans la république de Tchétchénie, le conservatisme est considéré comme l’un des piliers de l’identité nationale. MARINA AKHMEDOVA SOUVENIR DE REPORTAGE À OGONYOK

Un pont chancelant traverse une rivière de montagne. En bas, le fond d’un ruisseau asséché. Devant, les versants. Sur la colline, elle et lui. Ils se tiennent à distance, elle se détourne, lui fixe le sol. C’est la coutume. Ce rendez-vous est le premier pas des femmes tchétchènes dans un cercle vicieux dont il est impossible de s’échapper. Et même si la vie promise se veut un poème d’amour, la rime est toujours la même : c’est la tradition.

Gardiens des coutumes Chaque week-end, le village tchétchène d’Atchkhoï-Martané est le théâtre d’un ou deux mariages. En scène : de la danse et des tirs de mitraillette. La mariée, le personnage le plus invisible de cette célébration, passe sa journée debout et silencieuse dans un coin de la maison du marié. Une génération plut tôt, sa mère a fait de même ; deux générations auparavant, sa grand-mère l’avait fait aussi, et un jour, ses filles et ses petites-filles passeront par là. Ou peut-être pas. Nous sommes chez une femme tchétchène, Amina. Elle sermonne les jeunes Tchétchènes d’aujourd’hui qui se maquillent, portent des mini-jupes. Paraîtil qu’à Grozny, les mariées dansent parfois à leur propre mariage... Les vêtements féminins provocants attirent l’attention d’hommes inconnus et entraînent des tensions entre les clans, juge-t-elle. La belle-fille d’Amina a préparé des galettes de maïs. Elle met la table. Quand le fils d’Amina a jeté son dévolu sur la jeune femme, sa mère est allée la « voir ». Amina ne s’intéressait pas à son physique, elle voulait savoir si la jeune femme était modeste et qui étaient ses parents. Lorsque je demande à Amina si elle est dure avec sa belle-fille, elle répond : « Non, mais il le faut. Autrement, nos coutumes disparaîtront ». Amina s’est mariée à 18 ans. Les parents du marié sont venus la demander en mariage. Le père de la jeune femme a donné son accord. « Je n’aimais pas mon fiancé. Mais j’ai été forcée. Je venais de terminer l’école, je rêvais de continuer mes études – je voulais devenir couturière. Personne ne s’empresse de se marier, c’est une épreuve difficile. Quand on est venu me chercher, j’ai pleuré. J’ai mis deux ans à m’y faire. Je lavais leur linge, je leur mettais la table, mais au fond de moi, je maudissais ma vie ». Amina estime que son cœur est désormais le muscle le plus fort de son organisme – il est devenu dur comme une pierre. « Vous ne pouvez imaginer ne serait-ce qu’un jour de notre vie, dit-elle calmement, sans le moindre soupçon d’amertume. Quand nos enfants mouraient pendant la guerre, nous gardions notre visage de pierre. On ne peut pas crier. Tout doit rester à l’intérieur. Ainsi le veut la coutume… ».

Une femme rare Dans le salon Ciseaux d’or au centre de Grozny, on entend des voix féminines, des rires et le bruit des sèche-cheveux. Le salon emploie principalement des

OKSANA YUSHKO(3)

Des étudiantes en théologie musulmane à Grozny.

Un mariage tchétchène.

En ligne

Grozny, miracle et réalité fr.rbth.com/14341

Une femme tchétchène se prépare à la prière du soir.

veuves et appartient à une veuve également. Elle s’appelle Nourbika. C’est une femme d’affaires tchétchène, phénomène rarissime. Nourbika a travaillé comme directrice dans une école pendant 25 ans. Avant la guerre, son mari, enseignant également, est mort dans un accident de voiture. Quand la guerre a commencé, Nourbika s’est précipitée à Moscou où le ministère de la Santé l’a « aidée » en plaçant sa fille aînée à l’Université de médecine de Rostov. Elle a loué un appartement dans cette ville et y a déménagé ses cinq enfants. Puis, elle est retournée en Tchét-

chénie pour vendre sur le marché des produits importés de la région voisine. Traditionnellement, avant l’arrivée du pouvoir soviétique dans le Caucase, les femmes tchétchènes ne travaillaient jamais hors de la maison. Une femme qui travaille est un déshonneur pour un homme, car cela veut dire qu’il n’est pas capable de la nourrir. Dès la fin de la guerre, Nourbika a ouvert un salon et un club de billard avec de l’argent mis de côté. Tous ses enfants ont fait des études supérieures. Elle a construit une nouvelle maison à la place de sa demeure détruite. Les hommes la respectent. Les voisines ne l’aiment pas : leur maris la citent toujours en exemple. Deux filles de Nourbika sont mariées. Personne ne lui a demandé sa bénédiction, elles ont simplement été « volées ». Sa fille Malka l’a été directement à son travail, à la clinique dentaire : un copain a toqué sur sa fenêtre et lui a demandé de sortir deux minutes. Quand elle est sortie, on l’a « jetée dans une voiture ». « J’ai appelé la police, ils ont rigolé : "Mais elle s’est mariée !" », se souvient Nourbika. Elle a alors couru à la maison du « marié », s’est battu pour sa fille, ça s’est même terminé en bagarre : « Tout le monde m’est tombé dessus, les femmes, les hommes. Mes bras étaient noirs de coups ». Mais Malka a décidé de rester – elle avait trop peur : la famille du marié lui a dit que si elle refusait, les deux familles pourraient entrer en guerre. Je demande à la fille de Nourbika qui travaille désormais dans le salon de sa mère : « Malka, maintenant que tu es femme d’affaires, comment agirais-tu ? ». Malka cache ses yeux. Elle a déjà deux enfants. « Aujourd’hui, je ferais ce que je voudrais moi-même… », finit-elle par répondre. Le vol des fiancées n’est romantique qu’au cinéma. En réalité, une femme volée est déjà « souillée » aux yeux du public. Rares sont les familles prêtes à les reprendre. Les jeunes femmes le savent et ne reviennent généralement pas chez leurs parents. Dans la famille du mari, loin de leurs proches, elles sont totalement sans défense.

Des coutumes impossibles à expliquer Edilbek Magomadov est ethnographe au ministère de la Culture, directeur de la Bibliothèque nationale et spécialiste des traditions tchétchènes. Il remonte loin en arrière : « L’ethnie tchétchène moderne s’est formée après le déclin de la Horde d’or. Vers le XVème siècle, les Tchétchènes commencent à quitter les montagnes pour retourner dans les plaines. Les plaines appartenaient nominalement aux tribus koumyks et kabardes. La colonisation de la plaine jusqu’au XVIIème siècle est une guerre quotidienne épuisante, à laquelle chaque famille participe ». Les relations familiales étaient basées sur l’autorité incontestée des aînés. Pour préserver cette autorité, une distance immense séparait les membres de la famille de différentes générations. Particulièrement avec le père. La femme est devenue un intermédiaire dans la famille. Pour conserver son autorité, le père devait garder sa distance avec ses enfants, dit M. Magomadov. « De nombreuses coutumes tchétchènes remontent si loin qu’on ne peut plus les expliquer. Il existe un tabou des prénoms. La femme n’a pas le droit d’appeler son mari pas son prénom. Mais tout cela est compensé. Chez nous, tout un système de compensation existe pour les femmes : si elles cèdent sur quelque chose, elles obtiennent des privilèges ailleurs. Nos femmes ont toujours su profiter de ces exceptions. Et si un homme ne demande pas l’avis de sa femme, il est bête – tout le monde sait cela », explique l’ethnographe. Par ailleurs, cette distance ne se limite pas aux relations entre les hommes et les femmes, souligne M. Magomedov. « Quand je suis invité chez mon beaupère, je reste toujours debout tant qu’il ne m’a pas proposé de m’asseoir. Si je suis étranger dans une maison, je ne vais pas m’asseoir, même si mon beau-père me le propose, poursuit-il. Les Tchétchènes ne sont pas le seul peuple à avoir de telles traditions. Ne croyez pas tout ce qui vous saute aux yeux ».

Le cercle tchétchène Un sol en béton. Une haute clôture. Un éclairage électrique terne. Les hommes forment un cercle serré – ils sont 50 ou 100, je n’arrive pas à distinguer. Un gémissement masculin résonne audessus du cercle et celui-ci prend vie – il commence à avancer lentement dans le sens des aiguilles d’une montre. Les hommes boitent légèrement de la jambe droite. On tape dans les mains. On pousse des cris. Le rythme s’accélère. Les hommes courent en rond. Au-dessus, des voix masculines grondent : « Lâ ilaha ilâ Allah ! ». On aperçoit des jambes, des bras. La chanson rythmée, semblable à un écho, fait battre le cœur. Les hommes sont en transe. Les spectateurs sont en transe. Les traditions tchétchènes ne mourront sans doute jamais tant que les garçons apprendront à danser le zikr. Une vieille femme est morte dans cette maison. Pendant la journée, elle a été enveloppée dans un tapis et enterrée. Des centaines de proches sont réunis. Les hommes exécutent pour elle leur danse d’adieu. « Hier, la grand-mère a quitté cette maison, dit le mollah. Elle gardait sa paix. Elle était plus importante que quiconque, plus importante que les hommes. Elle est partie, mais elle a laissé plein de bonnes œuvres derrière elle. Elle n’a rien emporté, au contraire, elle a laissé…Vous savez pourquoi elle était plus importante que quiconque ? Parce qu’elle se levait même quand lui entrait dans la pièce » – le mollah indique un garçon de six ans, son petit-fils. C’est la coutume. La grand-mère tchétchène est déjà ailleurs. La coutume tchétchène est toujours ici. Tels mari et femme, ils ont vécu toute leur vie ensemble. Du premier rendez-vous jusqu’à la dernière coutume universelle – celle de mourir.

E N S AV O I R P L U S S U R L A V I E D A N S L E C A U C A S E R U S S E L’HISTOIRE DANS TOUTE SA RICHESSE SUR LES MURS DE LA PLUS ANCIENNE FORTERESSE DE RUSSIE fr.rbth.com/29011

MARIAGE AU DAGUESTAN : FAITES LA FÊTE AVEC LES AUTOCHTONES fr.rbth.com/26185


Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro

Mercredi 16 décembre 2015

5

ÉCONOMIE INDUSTRIE AUTOMOBILE Nouveaux modèles pour relancer la demande, plans sociaux pour abaisser les coûts

Les constructeurs s’adaptent à la crise Sur un marché en perte de vitesse, les groupes français réduisent la voilure et lancent de nouveaux modèles. Mais il faudra des années pour retrouver le niveau des ventes de 2012.

change, réduire les coûts logistiques et garder la possibilité d’adapter les modèles aux conditions locales de conduite et préférences des clients. Démarreurs, ceintures et airbags, amortisseurs... « Une longue liste de composants » seront bientôt achetés dans le pays.

pré-retraite l’an prochain. Il envisage même de réduire périodiquement la semaine de travail à quatre jours après avoir supprimé cette année le treizième mois pour tous et indexé le salaire des responsables sur les ventes.

JEANNE CAVELIER POUR RBTH

Nouvelle génération de Lada

Troisième année consécutive de baisse. Les ventes de véhicules neufs en Russie ont chuté de plus d’un tiers sur les onze premiers mois de 2015 par rapport à la même période en 2014, se chiffrant à 1,5 million environ. Les Franç a i s n e s o n t p a s é p a rg n é s . S i Renault-Nissan-AvtoVAZ reste dans la moyenne, avec un recul de 31% en volume, les ventes de PSA Peugeot Citroën s’effondrent de 72%, selon l’Association of European Business (AEB). Plans d’optimisation, économies sur l’énergie et les matériaux, négociations avec les fournisseurs... Ces mesures ne suffisent pas et les groupes ajustent leur production pour écouler les stocks. La co-entreprise de PSA et Mitsubishi à Kalouga (160 km de Moscou) a déjà stoppé ses machines du 27 avril au 17 août et supprimé une centaine de postes. Le site de Renault à Moscou s’est arrêté du 16 février au 6 mars. Contrôlé par l’alliance Renault-Nissan, le premier constructeur automobile russe AvtoVAZ suspendra sa production du 1er au 17 janvier. « Ce sont les congés usuels » [les fêtes du Nouvel an, du 1er au 10 janvier, ndlr], affirme son porteparole, assurant que l’arrêt n’est pas lié à la baisse de la demande. L’interruption totale de trois semaines l’été, cependant, n’existait pas avant la crise. Les effectifs ont fondu de 15% depuis le début de l’année, pour descendre à 45 000 salariés, après une baisse de 20% en 2014. Le Conseil d’administration a décidé le 30 novembre d’inciter encore aux départs volontaires en retraite et

AvtoVAZ ne renonce pas à son objectif de capter 20% du marché russe à moyen terme, avec ses nouveaux modèles de Lada. L’américain General Motors a retiré cette année sa marque Opel, une chance pour sa concurrente. La Lada Vesta a été lancée le 24 novembre : un millier de véhicules sont partis le premier jour. D’après AvtoVAZ, c’est la berline la plus équipée dans son segment, même en version de base. La production de la Xray, un crossover compact, devait quant à elle débuter le 15 décembre à Togliatti (Volga), pour une commercialisation en février 2016. Ces deux voitures accéléreront le « changement d’image de Lada sur le marché russe et aideront à renforcer les positions de la marque dans les principales villes », indique le groupe. Quatre autres modèles sont attendus pour fin 2018. PSA Peugeot Citroën planche aussi sur de nouvelles voitures, qui seront produites en Russie « à moyen terme ». Pour atteindre l’équilibre financier en 2017 sur la zone CEI (Communauté des États indépendants), le groupe compte resserrer son offre « vers les segments où la demande est forte et où [il] dispose de bonnes positions ». Le tout accompagné d’une « nouvelle politique de prix avantageuse ». L’entreprise concentre ses efforts marketing sur des modèles clés produits localement : la Peugeot 408 et la Citroën C4 Sedan. Pour le moment, les voitures assemblées à Kalouga contiennent seulement 35% de composants locaux. PSA vise 50% en 2017, afin de limiter les risques de

L’export en ligne de mire

En chiffres

2 700 000 véhicules avaient été vendus en Russie en 2012, niveau qu’on ne retrouvera pas avant 6 ou 7 ans selon le cabinet d’audit PwC.

PSA souhaite en outre développer ses ventes à l’étranger, de voitures mais aussi de composants fabriqués en Russie. Profitant de la faiblesse du rouble, AvtoVAZ a déjà augmenté ses exportations de 20% au cours des trois premiers trimestres 2015. Les deux nouvelles Lada attendent la certification à la norme européenne d’émission Euro 6. Le marché automobile européen affiche une croissance de plus de 8% sur les dix premiers mois de l’année. Or la Vesta coûte 514 000 roubles en Russie, soit moins de 7 000 euros au taux actuel, un prix très attractif. L’alliance Renault-Nissan pourrait

En ligne

Les Russes boudent les voitures européennes fr.rbth.com/545771

répéter avec la Lada le succès de sa Dacia roumaine, désormais connue dans toute l’Europe. Autre moyen de stimuler les ventes : les produits bancaires. La branche financière de PSA offre jusqu’à trois ans de crédit gratuit pour ses modèles phares. Elle a aussi lancé un prêt spécifique pour les PME en septembre. En novembre, plus de 60% des Peugeot 408 et Citroën C4 Sedan ont été achetées à crédit. Ces offres s’ajoutent au programme gouvernemental : l’État subventionne depuis l’automne 2014 les rabais, les crédits, la location. Ces mesures ont bénéficié à 482 000 voitures cette année, soit 30% du marché. Le soutien à l’industrie automobile pourrait atteindre 50 milliards de roubles en 2016, contre 43 milliards en 2015. La décision sera prise en janvier.

SERVICE DE PRESSE

TOURISME Des destinations favorites qu’il faudra remplacer

TRANSPORTS L’État russe prélève une nouvelle taxe contestée

Vers une redistribution La grogne des des cartes du voyage routiers contre les péages

L’interdiction de la vente de séjours en Égypte et en Turquie, ajoutée à un rouble affaibli, torpille les résultats de l’industrie touristique, qui pourra se rabattre en partie sur le marché intérieur. ANNA KOUTCHMA RBTH

Suite à l’attentat à bord de l’Airbus A321 au-dessus du Sinaï, la Russie a mis en place un embargo sur les vols vers l’Égypte et interdit la vente de séjours touristiques dans ce pays. Fin novembre, après la destruction d’un bombardier Su-24 russe en Syrie, la Turquie a rejoint l’Égypte sur la liste noire. Un coup dur pour l’industrie touristique nationale, ces deux pays étant les principales destinations de vacanciers russes, toujours avides de soleil bon marché. En 2014, ils pesaient près d’un tiers de tous les séjours touristiques, soit 5,8 millions de personnes (3,3 millions en Turquie et 2,5 millions en Égypte), selon l’Agence fédérale russe du tourisme (Rostourizm). Désormais, les pertes cumulées de l’industrie touristique liées à l’interdiction des vols vers l’Égypte pourraient atteindre 280 millions d’euros, estiment les acteurs du marché. Une chute pire que lors du « printemps arabe ». En outre, les voyagistes devront rembourser quelque 190 millions d’euros aux clients qui ont prépayé leur séjour. Les pertes issues de l’arrêt des ventes de séjours en Turquie peuvent également atteindre des millions d’euros, fait remarquer l’Association des tour-opérateurs russes (ATOR). Selon les prévisions de cette dernière, un voyagiste sur trois parmi les 1 380 sociétés du secteur pourrait être contraint de mettre la clé sous la porte.

Moins de demandes vers la France La situation est aggravée par la baisse générale dans l’industrie du tourisme.

Avec la dévaluation du rouble, le flux s’est contracté de 40% en moyenne depuis le début de l’année. Ainsi, selon les statistiques de Rostourizm, au premier semestre 2015, l’Espagne a perdu 43% des touristes russes, l’Italie, 34% et la Thaïlande, 53%. Les destinations à bas prix ont été moins touchées : la Turquie est à moins 25%, le Montenegro à 14,5% et l’Égypte à 13%. La tendance reste la même à l’approche des fêtes de fin d’année. « Les ventes de billets d’avion à destination de l’Europe n’ont pas grandement chuté, mais la conjoncture subit des changements : si jusqu’ici les destinations privilégiées étaient la France, l’Autriche et l’Italie, aujourd’hui les voyageurs optent plutôt pour la Hongrie, la Tchéquie et la Pologne », commente Konstantin Parfenenok, directeur des communications extérieures d’Andgo.travel. La raison principale est le prix des voyages, affirmet-il, en relevant une demande accrue pour les déplacements à l’intérieur du pays, notamment à destination de Sotchi, de la Crimée ou d’Irkoutsk en Sibérie. « Pour les fêtes de Noël et du Nouvel an, les Russes resteront probablement chez eux ou iront passer des vacances dans le pays », confirme Pavel Salas, directeur général du réseau social international eToro en Russie. Il constate que l’effondrement du tourisme vers l’étranger cette année est contrebalancé dans une large mesure par le développement du tourisme interne : à l’issue des dix premiers mois de 2015, le nombre de Russes passant des vacances en Russie a crû de 30%. Toutefois, la « fermeture » de l’Égypte et de la Turquie aura un impact négatif sur le marché du tourisme interne également, poursuit M. Salas. En effet, le prix de ces séjours pourrait grimper de 10% à 15% en raison de l’augmentation de la demande, conclut-il.

Répercussion sur les prix ?

Le système de péage électronique pour les camions de fort tonnage a été mal reçu par les routiers, mais les experts soulignent ses retombées positives pour l’entretien du réseau. OLEG EGOROV POUR RBTH

Nouvelles destinations Les plages du sud-est de l’Asie devraient bénéficier de cette conjoncture. Les voyagistes constatent en outre une hausse moyenne de 13 à 15% de l’intérêt pour Chypre, la Crète et Goa. Israël est aussi déterminé à se battre pour récupérer une partie des touristes russes. Le ministère du Tourisme du pays a exprimé son souhait de subventionner les vols charters depuis la Russie à hauteur de 45 euros par personne, soit 21% du coût du vol pour un avion complet.

La Russie dispose depuis le 15 novembre d’un système de péage routier baptisé taxe Platon (contraction de « paiement à la tonne ») et appliqué sur les routes nationales pour les camions de plus de 12 tonnes. L’élaboration du système a pris huit ans. Il doit permettre de rapporter jusqu’à 40 milliards de roubles (540 millions d’euros) par an au budget de l’État. L’argent collecté ira à l’entretien des routes et à l’amélioration des infrastructures. Des systèmes analogues ont déjà été mis en place depuis longtemps dans plusieurs pays. Le schéma du fonctionnement est simple. Les sociétés de transport doivent enregistrer leurs véhicules sur le site de Platon et y ouvrir un compte qu’ils devront créditer. Chaque chauffeur paie soit en utilisant une carte spéciale, soit en installant un dispositif électronique embarqué qui détecte le camion par satellite et déduit automatiquement la somme d’argent nécessaire.

Geste limité du gouvernement Avant même son entrée en vigueur, Platon a suscité une vague de protestations. Le gouvernement a réagi et accepté de baisser le montant de la taxe – de 3,73 roubles (0,05 euro) à 1,53 rouble (0,02 euro) par kilomètre –, ainsi que le montant de l’amende, égale pour les personnes physiques et morales et se chiffrant à 70 euros. Mais à partir du 1er mars prochain, le tarif sera de 0,04 euro par

kilomètre. Nombreux sont les chauffeurs de poids lourds qui protestent actuellement contre la nouvelle taxe, l’estimant trop élevée. Le dirigeant de l’Agence des routes, Roman Starovoït, affirme pourtant que les manifestations sont organisées par des chauffeurs qui transportent souvent des chargements « au noir ».

En chiffres

58% de l’usure des routes sont causés par les poids lourds de plus de 12 tonnes.

5 milliards de tonnes par an, c’est le volume du transport routier en Russie. Les dégâts subis par la chaussée s’élèvent à 2,5 milliards d’euros.

Autre problème lié à Platon : la hausse du coût des transports pour les chaînes de grande distribution entraînera une inflation des prix à la consommation, selon les experts. Ce point de vue est soutenu par Ksénia Bourdanova, spécialiste de l’Association des sociétés du commerce de détail. « L’application de ce péage supplémentaire a fait baisser l’offre des transporteurs de 30% à 40%, entraînant la hausse des tarifs du transport, jusqu’à 28% pour certains réseaux. Ce qui se répercutera obligatoirement sur les prix », estime-t-elle. Toutefois, Ekaterina Rechetova, du Centre de l’économie des transports, ne pense pas que la mise en place de la nouvelle taxe provoquera des hausses sensibles. « S’il s’agit uniquement du paiement pour le transport, le prix de revient des produits n’augmentera pas considérablement. C’est autre chose si les sociétés de transport font sciemment flamber les prix », indique-t-elle.

Retombées attendues Selon les statistiques de l’Agence des routes, plus de 650 000 véhicules sont d’ores et déjà enregistrés dans le système qui a collecté plus de 12 millions d’euros au 4 décembre. Les recettes de Platon doivent permettre de financer des infrastructures en partenariat public-privé dans les régions, notamment la construction de ponts, l’aménagement de passages à niveau et la construction de routes de désenclavement. Mme Rechetova reste prudente en évaluant les perspectives de Platon, mais estime juste le principe même du système. « Ce n’est que dans un an qu’il sera possible de dire si les ressources collectées sont utilisées à bon escient. L’objectif essentiel du système est de répartir plus uniformément la responsabilité de l’état du revêtement de la chaussée ».


Mercredi 16 décembre 2015

6

Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro

OPINIONS

TOUS CONTRE DAECH, MAIS EN ORDRE DISPERSÉ L FEDOR LOUKIANOV POLITOLOGUE Président du Conseil pour la politique étrangère et la politique de défense

es attentats perpétrés à Paris et dans le Sinaï et, auparavant, l’engagement de la Russie dans la guerre civile en Syrie ont multiplié les enjeux de la crise régionale. Et voici que la lutte internationale contre Daech [ou État islamique, organisation terroriste interdite en Russie, ndlr] réunit des acteurs toujours nouveaux, extérieurs à la région. Au cours des deux dernières semaines, la Grande-Bretagne et l’Allemagne ont rejoint la coalition, alors qu’elles n’avaient jamais manifesté jusqu’ici l’intention d’y participer. Est-ce la formation d’une coalition antiterroriste unique dont tout le monde parle ? Peu probable, car les objectifs et les tâches de ceux qui doivent en faire partie ne coïncident pas. La situation devient paradoxale. Malgré les énormes différences de vision entre les acteurs internationaux (France, ÉtatsUnis, Russie, Grande-Bretagne, etc.), ils s’accordent dans l’identification de l’ennemi principal, Daech qui doit, idéalement, être anéanti et au minimum arrêté. Pour que l’objectif soit atteint, il est vital d’associer les acteurs régionaux, tant internes (syriens) que proche-orientaux dans leur ensemble. Dans cette logique, ce sont eux qui doivent déployer les plus gros efforts militaires. Or, il s’avère que leurs priorités sont franchement divergentes. La Turquie voit dans la question kurde un risque nettement plus important que celui posé par Daech. L’Arabie saoudite craint davantage une expansion iranienne (chiite) que les partisans d’al-Baghdadi (chef de Daech). L’Iran se livre à un jeu régional compliqué où Daech n’est que l’une des pièces de l’échiquier. Le président syrien Bachar el-Assad fait face à un large front d’ennemis

que par les États-Unis soutenus par leurs alliés. En intervenant militairement, Moscou a rebattu les cartes d’un conflit international majeur, bien que l’opération ne lui apporte aucun bénéfice. Or, il s’agit là d’une prérogative réservée aux puissances qui sont en première ligne politique et militaire, celle qui permet d’imposer à tout le monde l’ordre du jour. Autre point important : le conflit en Syrie marque sans doute la fin du recours au « droit d’ingérence humanitaire » pour le règlement des crises locales. Jusqu’ici, l’élément clé de tout débat au sujet d’une guerre civile était l’accusation de crimes contre son propre peuple. Mais aujourd’hui, le composant humanitaire semble laisser la place à une approche plus réaliste. Voir le monde en noir et blanc ne peut conduire que dans une impasse.

Un triple défi

«

VALERIU KURTU / KURTUKUNST.COM

qui comprend les islamistes radicaux sans pour autant se limiter à eux. Cette situation exclut pratiquement toute possibilité de création d’un front unique contre Daech.

Moscou a porté un coup au monopole Les intentions russes dans un jeu dont les règles ont changé des ÉtatsLes motifs de la campagne syrienne de Unis dans la Russie sont multiples. Le danger d’une expansion incontrôlée du terrorisme est, leur rôle de bien entendu, le mobile numéro un. Les “gendarme relations avec le pouvoir syrien officiel, du monde” » qui est un partenaire de longue date, sont aussi à prendre en compte.

Mais il existe d’autres considérations. Par exemple, l’aspiration à élargir le champ du dialogue avec l’Occident, dialogue qui se résume depuis les deux dernières années presque uniquement au dossier ukrainien et aux accords de Minsk. Toutefois, l’engagement de la Russie en Syrie doit être examiné aussi dans un contexte international plus large. Moscou a porté un coup inattendu au monopole des États-Unis dans leur rôle de « gendarme du monde ». Monopole que Washington détient depuis 25 ans. Dans un monde « unipolaire », les guerres « au nom de la paix » ne sont menées

La Russie va devoir réussir un tour d’équilibriste. Premièrement, garantir sa présence géopolitique en Syrie sur le long terme, quel que soit le pouvoir en place dans le pays. Deuxièmement, éviter de torpiller les relations en gestation avec l’Iran, qui deviendra un partenaire régional très important ; le maintien du régime actuel en Syrie est vital pour Téhéran qui estime, non sans fondement, que tout changement de pouvoir à Damas serait fatal pour la prédominance iranienne en Syrie. Troisièmement, ne pas devenir une grande puissance servant les intérêts régionaux de l’Iran de la même manière que les États-Unis ont, par exemple, longtemps été instrumentalisés par l’Arabie saoudite. Mais la montée d’un cran de la tension et les événements déstabilisants de ces dernières semaines font ressortir une autre perspective peu réconfortante. Aujourd’hui, il s’agit non plus de la Syrie, mais de l’avenir de toute la région : le règlement de la question syrienne est impossible sans une réorganisation politique du Proche-Orient. Or, c’est là un objectif qui est bien plus large et qui recèle bien plus de risques. On ne peut que constater que la Russie actuelle semble prête à braver tous les risques.

CE QUE POUTINE A DIT ET N’A PAS DIT

R

LEONID RADZIKHOVSKI POLITOLOGUE Chroniqueur à Rossiyskaya Gazeta

éagissant au discours du président russe prononcé le 3 décembre devant le Parlement, les journalistes ont bien sûr noté ce qui a été dit, mais aussi ce qui a été passé sous silence. Le silence sur l’Ukraine en dit long. Vladimir Poutine semble dire que ce dossier n’est pas prioritaire aujourd’hui. Sans doute a-t-il voulu aussi éviter de prononcer le moindre mot qui limite son champ d’action sur ce dossier. Les accords de Minsk fixent à fin 2015 leur mise en application. Or, ces documents sont élaborés de telle manière qu’ils permettent à chaque camp d’accuser l’autre de ne pas avoir respecté les délais. L’Ukraine doit rétablir son contrôle sur la frontière russo-ukrainienne, tandis que tous « les contingents armés étrangers, les matériels et les mercenaires » doivent être retirés sous l’observation de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) d’Ukraine, notamment des « régions ukrainiennes de Donetsk et de Lougansk », soit les Républiques populaires autoproclamées de Donetsk et de Lougansk (RPD et RPL). En outre, il est convenu de « désarmer

«

Vladimir Poutine a proposé à l’Occident un autre terrain de coopération [en dehors de l’Ukraine]... “Un front anti-terroriste commun” »

tous les groupes illégaux ». Mais tout ceci ne peut être réalisé qu’après une profonde réforme politique et constitutionnelle qui élargira les droits de ces territoires, en concertation avec eux. Il est évident que les responsables des RPD et RPL rechignent à adopter des mesures conduisant à la disparition de leurs entités, tandis qu’aucun effort n’est à attendre du président Petro Porochenko, dont le combat contre la RPD et la RPL est au cœur de son programme. La Russie, elle, possède les moyens d’influer sur les RPD et RPL. Mais le ferat-elle ? Et si oui, comment ? L’enjeu pour Moscou est la levée ou l’atténuation des sanctions occidentales. Bien sûr, leur levée n’est pas un remède universel pour l’économie russe. Nos problèmes ne sont dus que partiellement aux sanctions et bien plus à la chute des prix du pétrole, et encore plus aux problèmes structurels, tels que la dépendance des matières premières. Or, l’exécution de changements structurels exige du temps. Dans notre situation actuelle de déficit budgétaire, la levée des sanctions et la relance des relations économiques avec l’Union européenne au niveau d’avant 2014, sans être cruciales, apporteraient

L E CO U R R I E R D E S L E C T E U R S , L E S O P I N I O N S O U D E SS I N S D E L A R U B R I Q U E “ O P I N I O N S ” P U B L I É S DA N S C E S U P P L É M E N T R E P R É S E N T E N T D I V E R S P O I N T S D E V U E E T N E R E F L È T E N T PA S N É C E S S A I R E M E N T L A P O S I T I O N D E L A R É D A C T I O N D E R U S S I A B E Y O N D T H E H E A D L I N E S O U D E R O S S I Y S K AYA G A Z E TA . MERCI D’ENVOYER VOS COMMENTAIRES PAR COURRIEL : FR@RBTH.COM RUSSIA BEYOND THE HEADLINES EST PUBLIÉ PAR LE QUOTIDIEN RUSSE ROSSIYSKAYA GAZETA. LA RÉDACTION DU FIGARO N’EST PAS IMPLIQUÉE DANS SA PRODUCTION. LE FINANCEMENT DE RBTH PROVIENT DE LA PUBLICITÉ ET DU PARRAINAGE, AINSI QUE DES SUBVENTIONS DES AGENCES GOUVERNEMENTALES RUSSES. RBTH A UNE LIGNE ÉDITORIALE INDÉPENDANTE. SON OBJECTIF EST DE PRÉSENTER DIFFÉRENTS POINTS DE VUE SUR LA RUSSIE ET LA PLACE DE CE PAYS DANS LE MONDE À TRAVERS UN CONTENU DE QUALITÉ. PUBLIÉ DEPUIS 2007, RBTH S’ENGAGE À MAINTENIR LE PLUS HAUT NIVEAU RÉDACTIONNEL POSSIBLE ET À PRÉSENTER LE MEILLEUR DE LA PRODUCTION JOURNALISTIQUE RUSSE AINSI QUE LES MEILLEURS TEXTES SUR LA RUSSIE. CE FAISANT, NOUS ESPÉRONS COMBLER UNE LACUNE IMPORTANTE DANS LA COUVERTURE MÉDIATIQUE INTERNATIONALE. POUR TOUTE QUESTION OU COMMENTAIRE SUR NOTRE STRUCTURE ACTIONNARIALE OU ÉDITORIALE, NOUS VOUS PRIONS DE NOUS CONTACTER PAR COURRIER ÉLECTRONIQUE À L’ADRESSE FR@RBTH.COM. SITE INTERNET FR.RBTH.COM. TÉL. +7 (495) 7753114 FAX +7 (495) 9889213 ADRESSE 24 / 4 RUE PRAVDY, ÉTAGE 7, MOSCOU 125993, RUSSIE. EVGENY ABOV : DIRECTEUR DE LA PUBLICATION RUSSIA BEYOND THE HEADLINES (RBTH), PAVEL GOLUB : DIRECTEUR DE LA PUBLICATION ADJOINT, VSEVOLOD PULYA : RÉDACTEUR EN CHEF DES RÉDACTIONS INTERNATIONALES, TATIANA CHRAMTCHENKO : RÉDACTRICE EXÉCUTIVE, FLORA MOUSSA : RÉDACTRICE EN CHEF, JEAN-LOUIS TURLIN : DIRECTEUR DÉLÉGUÉ, DIMITRI DE KOCHKO : CONSEILLER DE LA RÉDACTION, ANDREÏ CHIMARSKI : DIRECTEUR ARTISTIQUE, MILLA DOMOGATSKAÏA : DIRECTRICE DE LA MAQUETTE, MARIA OSHEPKOVA : MAQUETTISTE, ANDREÏ ZAITSEV, SLAVA PETRAKINA : SERVICE PHOTO. JULIA GOLIKOVA : DIRECTRICE DE LA PUBLICITE & RP (GOLIKOVA@RG.RU) OU EILEEN LE MUET (ELEMUET@LEFIGARO.FR). © COPYRIGHT 2015, AFBE "ROSSIYSKAYA GAZETA". TOUS DROITS RÉSERVÉS. ALEXANDRE GORBENKO : PRÉSIDENT DU CONSEIL DE DIRECTION, PAVEL NEGOITSA : DIRECTEUR GÉNÉRAL, VLADISLAV FRONIN : DIRECTEUR DES RÉDACTIONS. TOUTE REPRODUCTION OU DISTRIBUTION DES PASSAGES DE L’OEUVRE, SAUF À USAGE PERSONNEL, EST INTERDITE SANS CONSENTEMENT PAR ÉCRIT DE ROSSIYSKAYA GAZETA. ADRESSEZ VOS REQUÊTES À FR@RBTH.COM OU PAR TÉLÉPHONE AU +7 (495) 7753114. LE COURRIER DES LECTEURS, LES TEXTES OU DESSINS DE LA RUBRIQUE “OPINIONS” RELÈVENT DE LA RESPONSABILITÉ DES AUTEURS OU DES ILLUSTRATEURS. LES LETTRES DE LECTEURS SONT À ADRESSER PAR COURRIEL À FR@RBTH.COM OU PAR FAX (+7 (495) 775 3114). RUSSIA BEYOND THE HEADLINES N’EST PAS RESPONSABLE DES TEXTES ET DES PHOTOS ENVOYÉS. RBTH ENTEND OFFRIR DES INFORMATIONS NEUTRES ET FIABLES POUR UNE MEILLEURE CONNAISSANCE DE LA RUSSIE. CE SUPPLÉMENT A ÉTÉ ACHEVÉ LE 14 DÉCEMBRE 2015

un résultat palpable. Mais il est patent que le pouvoir russe n’acceptera jamais de rapprochement avec l’Occident au prix de reculs sur les principes [qu’il défend sur le dossier ukrainien, ndlrl]. Dans son message Vladimir Poutine a proposé à l’Occident un autre terrain de coopération : la Syrie, la guerre contre le groupe terroriste Daech, un « front anti-terroriste commun », une « coalition anti-hitlérienne » du XXIème siècle. On a enregistré certaines avancées comme « le protocole d’intention » sur la coalition pendant la visite de Hollande à Moscou. Mais après que la Turquie eut abattu un bombardier russe, la situation s’est brusquement détériorée. Le ton dur de Poutine sur « la clique au pouvoir en Turquie » prouve qu’il n’est pas question de rétablir des relations tant qu’Ankara ne se sera pas excusé. Or, le président et le premier ministre turcs ont refusé toute excuse. Ainsi, la montée de la tension (du moins dans la rhétorique) est inévitable. Poutine a laissé entendre que les sanctions économiques pourraient être accentuées. Toutefois, la Russie et la Turquie sont trop étroitement liées pour que ni l’une ni l’autre ne prenne le risque de ruiner leurs économies réciproques. La

CONVERTIR LE MONOLOGUE EN DIALOGUE

situation se stabilisera donc, mais quand ? La Turquie est membre de l’OTAN. Et les pays de l’Alliance sont contraints de la soutenir, ne serait-ce que passivement. Une coalition avec la Russie en Syrie en contournant Ankara est une démarche très difficile pour eux. D’autant plus que la Turquie est l’un des grands acteurs régionaux et l’un des principaux participants à la guerre en Syrie au sein de l’actuelle « coalition molle » dirigée par les États-Unis. La « drôle de guerre » menée par cette coalition est très peu efficace, mais elle est indispensable politiquement pour Washington. Enfin, l’Arabie saoudite « est plus turque que la Turquie » dans la mesure où elle suit une ligne encore plus radicalement opposée au régime du président syrien Bachar el-Assad. Dans le même temps, les États-Unis, la Grande-Bretagne et surtout la France mettent en avant l’importance d’une « coopération productive » avec Moscou en Syrie, espérant aussi que la Russie et la Turquie se réconcilieront bientôt. Nous voici en présence d’une situation très floue, tout à fait caractéristique de notre monde moderne. Article initialement publié dans ROSSIYSKAYA GAZETA

U NE P U BL ICATIO N RE GRO U PANT DE S ANALYSE S E XCLU SIV E ME NT CO NSACRÉ E S AUX DÉ FIS E T AUX CH ANCE S CO MP L E XE S Q U I DÉ TE RMINE NT L E S RE L ATIO NS AMÉ RICANO - RU SSE S

Dernier rapport mensuel

RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE : LE DÉGEL DES CONSCIENCES EN RUSSIE Ce rapport examine l’évolution des préoccupations russes après la percée du réchauffement climatique en tête des sujets internationaux. Pour la Russie, qui était focalisée sur sa politique étrangère et ses problèmes économiques, les questions liées au changement climatique deviennent prioritaires, car le réchauffement sur son territoire se manifeste à un rythme beaucoup plus élevé que dans le reste du monde. I N S CR IVEZ-VOUS AUJ OUR D' H UI ET OBTENEZ : • 30% DE R ÉDU C T IO N S U R VOT R E AB O NNEMENT ANNU EL • 12 NU MÉR O S PAR AN • ACC ÈS TOTAL AUX AR C HIVES DES P U B LIC AT IO NS

RUSSIA-DIRECT.ORG/SUBSCRIBE


Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro

Mercredi 16 décembre 2015

MAGAZINE

7

Une église au cœur de l’histoire SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE C’est d’ailleurs dans ce faubourg que la ville voit apparaître la première église catholique de Moscou qui a existé dans ce lieu jusqu’à la fin du XIXème siècle. Les Français avaient commencé à revenir dans l’enceinte de la ville au début du XVIIIème siècle, après le transfert de la capitale du pays à Saint-Pétersbourg. La communauté française s’est concentrée aux abords du Kremlin, là où se situe aujourd’hui l’église Saint-Louis-desFrançais. Des témoignages en subsistent. Ainsi, non loin de l’église, la ruelle Fourkassovski doit son nom au tailleur français Pierre Fourcassé, dont l’atelier était situé tout proche. La rue voisine, Kouznetski most (Pont des forgerons), devenue avec le temps la principale rue commerçante de Moscou, était celle où les marchands français vendaient des vins, des fromages, des tissus et des chapeaux. Sous Élisabeth Ière et Catherine II, qui signa un document concédant des privilèges aux étrangers, la ville accueillit des médecins, des précepteurs, des musiciens et des artisans. Après la Révolution française, de nombreux aristocrates gagnèrent Moscou, fuyant Napoléon. À la fin du XVIIIème siècle, la communauté française comptait environ 500 membres. Les démarches successives formulées par ses représentants pour construire une église catholique avaient été systématiquement rejetées. Ce n’est qu’en 1789, trois ans après la signature de l’accord sur une entière liberté de religion des ressortissants français en Russie, que la demande fut satisfaite par l’impératrice Catherine II et qu’une petite église en bois vit le jour. Le bâtiment fut béni en 1790 et baptisé en l’honneur de Saint Louis de France. La minuscule église sans clocher, construite sur des terres prises à bail, pouvait tout juste accueillir la communauté française qui ne cessait pourtant de s’agrandir. Cette église en bois ne dura pas longtemps. Pendant la guerre de 1812 contre Napoléon, Moscou fut la proie d’un énorme incendie et l’église française dévorée par les flammes comme la plupart des bâtiments en bois de la ville.

Passage du bois à la pierre Une nouvelle église ne fit son apparition que vingt ans plus tard. « Cette église est un exemple du style néo-classique, très populaire alors en Russie, qui nous vient d’ailleurs de France. À l’époque, toutes les églises catholiques d’Europe ont cet aspect », indique un autre historien de Moscou, Nikita Broussilovski. « Dans l’alcôve de l’autel dédié à NotreDame-de-Lourdes, une peinture murale reproduisait la fresque de Raphaël, La Transfiguration. D’autres étaient consacrées aux principaux protecteurs de la France : Saint Louis, Antoine de Padoue ou Jeanne d’Arc. Les fenêtres demi-lune étaient garnies de vitraux, mais ces der-

SHUTTERSTOCK/LEGION-MEDIA

niers ont été détruits pendant la Seconde guerre mondiale. Un seul a survécu : celui qui représente Saint Joseph ». L’extérieur de l’église était bien plus modeste que son décor intérieur. Alexander Mojaïev l’explique par le fait que la communauté française avait des moyens, mais cherchait à ne pas trop attirer l’attention des Moscovites. À la fin du XIXème siècle, l’église s’élargit à plusieurs bâtiments voisins, occupés par un gymnase pour garçons et un autre pour filles, l’hospice de Sainte Dorothée et la maisonnette de l’organiste. La communauté put profiter du patronage d’hommes d’affaires français venus vivre en Russie, comme le célèbre commerçant de vins Léger. La paroisse enregistra l’arrivée de nouveaux paroissiens, tant des catholiques d’autres pays européens que des Moscovites convertis au catholicisme, très en vogue à l’époque.

Vitrine de la liberté pendant l’ère soviétique En 1917, année charnière de l’histoire russe, l’église comptait un peu plus de 2 500 fidèles. Durant les vingt années qui suivirent la Révolution d’Octobre, les prêtres et les paroissiens furent régulièrement victimes de la répression, tandis que l’église était au bord de la ruine. « Tout comme les autres Moscovites, les membres de la diaspora française subissent les fléaux de l’époque, comme la famine, les bouleversements de la guerre

2

FAITS MARQUANTS

1

Avant que les fonds nécessaires à la construction de l’église soient réunis, les Français célébraient leurs offices dans la maison du viceconsul.

2

Les offices y ont été célébrés même pendant la Seconde Guerre mondiale alors que le bâtiment avait été gravement endommagé.

civile et la densification de la population, raconte Nikita Broussilovski. Tous les bâtiments lui sont confisqués, il ne leur reste que l’église. La police politique tente à plusieurs reprises de fermer la paroisse, mais sans succès ». La communauté française a semble-t-il rassemblé toutes ses ressources pour « racheter » l’église aux autorités soviétiques. En 1938, Saint-Louis-des-Français se retrouva seule représentante du culte après la fermeture des deux autres églises catholiques de Moscou. Elle le resta jusqu’à la perestroïka, après avoir été l’une des deux seules églises catholiques de la république socialiste soviétique de Russie, faisant office de « vitrine de la liberté de religion » en URSS.

Un nouveau départ Dans les années 1990, après la mise en place de l’administration apostolique pour les catholiques de rite latin de la partie européenne de Russie, Saint-Louisdes-Français tourne une nouvelle page de son histoire : un nouveau curé est nommé, les travaux de restauration sont achevés et l’église accueille de nombreux Européens venus vivre et travailler en Russie. L’un d’eux est Bruno Bisson, professeur de français à l’Institut des relations internationales de Moscou et à l’Université de l’amitié des peuples, qui vit en Russie depuis douze ans. Pour lui, SaintLouis-des-Français est le centre de la

1 - Vue extérieure de Saint-Louisdes-Français. 2 - Vitrail représentant saint Joseph. 3 - Vue intérieure de l’église.

ELENA KAZACHKOVA(2)

vie française dans la capitale russe. « À Moscou, il n’existe que deux endroits pour les catholiques : la cathédrale de l’Immaculée-Conception et l’église SaintLouis-des-Français. Le trait particulier de cette dernière est qu’elle accueille ceux qui étaient paroissiens à l’époque soviétique. Tous les Français qui habitent Moscou ou qui y viennent provisoirement » y convergent, constate-t-il. Car le gros de la communauté française se retrouve à Saint-Louis-des-Français où l’on peut certes prier, mais aussi écouter de la musique, converser avec ses compatriotes, collecter des dons, initier les enfants à la culture française et même perfectionner sa langue, fait remarquer Bruno Bisson. Il reste qu’aujourd’hui, l’église ne compte que quelque 500 paroissiens, dont la moitié sont des enseignants et des élèves du lycée français Alexandre Dumas, prestigieux établissement de la capitale russe. Mais ce « noyau dur » entretient une présence historique porteuse d’espoir.

BRICOLAGE

FABRIQUEZ VOUS-MÊME UNE PAIRE DE VALENKI À OFFRIR POUR NOËL Fabriquées en pure laine de mouton, les valenki – bottes en feutre qui gardent les pieds bien au chaud pour affronter les rudes hivers russes – font partie intégrante du costume national hivernal et sont incontournables sur la liste des souvenirs à rapporter de Russie, ou à fabriquer vous-même. Disponibles en gris, marron ou blanc dans la vieille Russie ou à l’époque soviétique, les valenki reviennent en force aujourd’hui : les bottes reprennent des couleurs au sens propre du mot, portent des broderies, sont ornées de fourrure ou incrustées de strass. Quant à la tradition russe d’offrir des valenki miniatures comme cadeau de Noël ou du Nouvel an, elle est aussi vieille que la technique de fabrication des chaussures d’hiver en laine et prend sa source à l’époque médiévale. Selon la légende, les vœux susurrés dans une paire de valenki sont à tous les coups exaucés ! Temps de fabrication d’une paire : 30 minutes 1. Commencer par la forme : décou-

per dans le caoutchouc mousse la forme de deux bottes réunies horizontalement par leur tige. Il ne faut pas oublier la dimension : même si vous comptez fabriquer de minuscules bottes de 5 cm, la forme devra être de 30% à 40% plus grande, étant donné que la laine va rétrécir en séchant. 2. Étaler le papier bulle, les bulles vers le haut et poser la forme dessus. Pulvériser l’eau savonnée à l’atomiseur. L’étape suivante est celle de la préparation : prendre une fine couche de laine, d’environ 2-3 mm, sans aucun nœud et la répartir uniformément dans le même sens, le long de la forme. Mouiller largement avec l’eau savonnée et presser avec le grillage. Enlever ce dernier. Rabattre derrière la forme les fils de laine qui dépassent. Retourner la forme et répéter l’opération. 3. Répéter l’opération encore deux fois de chaque côté en alternant la direction des poils. Respecter strictement les étapes : d’abord étaler la laine, ensuite pulvériser l’eau savonnée et appuyer la laine sur le grillage, retourner.

Vous aurez besoin : • d’une pelote de laine à feutrer (50 grammes) • d’eau savonneuse • d’un atomiseur • de papier bulle • de grillage en plastique (moustiquaire) • d’un petit morceau de caoutchouc mousse (d’une épaisseur d’environ 0,5 cm) • de décorations à votre goût (grains de verre, rubans, ou autres).

SLAVA PETRAKINA(2)

Les préparatifs sont achevés. 4. Passons au plus intéressant : le feutrage ! Recouvrir la forme « enrobée » de laine avec le grillage et la frotter contre les bulles en faisant très attention, sans mouvements brusques. Armez-vous de patience : selon la technique, chacune des faces doit être frottée au moins 50 fois. Le frottement deviendra de plus en plus vigoureux au fur et à mesure du feutrage de la laine. 5. Voici venu le temps de vérifier si nos bottes miniatures sont prêtes : pour ce, il suffit de tirer doucement la laine avec les doigts. Si les fils ne se détachent pas, coupez les valenki. 6. Enlever la pièce brute et continuer le feutrage en donnant la forme nécessaire avec les doigts, en rajoutant de l’eau savonnée. 7. Rincer à l’eau chaude – la laine rétrécira de 30% à 40% – et poursuivre le feutrage. Rincer à l’eau froide, essorer et faire sécher directement sur le radiateur. Pour que les bottes gardent leur forme, glisser du papier froissé à l’intérieur. Il ne reste qu’à orner les valenki de motifs choisis et vous êtes fin prêt(e) à offrir un cadeau typiquement russe. Préparé par IOULIA CHANDOURENKO, RBTH


Mercredi 16 décembre 2015

8

Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro

ART DE VIVRE

ENTRETIEN AVEC ANDREI DELLOS

RECETTE

LE « MEDOVIK », GÂTEAU AU MIEL

Le créateur du Café Pouchkine entre le poète et le chanteur

Biographie

D’ORIGINE FRANÇAISE L’arrière-grandpère maternel d’Andrei Dellos était un couturier parisien. Suite à un conflit personnel, il est venu à la fin du XIXème siècle s’installer dans l’Empire russe où il a ouvert une maison de couture et est même devenu « fournisseur de Sa Majesté Impériale ». Le père d’Andrei Dellos, Constantin, a combattu dans les rangs de la Résistance française et a été nommé Chevalier de la Légion d’Honneur.

LE RESTAURATEUR FRANCO-RUSSE S’EST INSPIRÉ D’UNE CHANSON DE GILBERT BÉCAUD POUR LA RÉFÉRENCE LITTÉRAIRE DE SON ENSEIGNE Andrei Dellos s’est longtemps cherché avant de trouver le domaine où il s’est fait un nom. Né à Moscou dans une famille franco-russe, il fait d’abord les Beaux-Arts, puis des études d’ingénieur, suivies de cours d’interprétariat à l’ONU avant d’être artiste-peintre à Paris. En 1991, une compagnie russe achète plusieurs de ses tableaux. Il s’engage à les livrer en personne. Hasard du destin, ses papiers lui sont volés et, venu à Moscou pour trois jours, le voici contraint d’y rester plus que prévu. Il n’en repartira pas. Aujourd’hui, son nom est associé à plusieurs restaurants haut de gamme, dont les célèbres Café Pouchkine à Moscou et à Paris, Turandot à Moscou, ainsi que Betony à NewYork, doté d’une étoile au Michelin depuis 2014. Comment est né le Café Pouchkine ? Le nom trottait dans ma tête depuis mes 18 ans. C’est grâce à la chanson Natalie de Gilbert Bécaud, dans laquelle il invite son guide russe, une jeune femme dont il tombe amoureux à Moscou, à boire un « chocolat de chez Pouchkine ». Avec Delanoë, ils ont écrit cette chanson il y a un peu plus de cinquante ans, ce café n’existait que dans leur imagination. Tous les Français venant à Moscou cherchaient le café de la chanson. J’ai compris qu’il y avait quelque chose à faire. Gilbert Bécaud lui-même est venu à l’inauguration du restaurant. Sa première phrase fut : « J’étais certain que je ne vivrais pas jusqu’à ce moment ! ». Nous avons chanté cette chanson à trois en formant un trio exotique : Gilbert s’est assis au piano, et avec le maire [de Moscou de l’époque, ndlr] Iouri Loujkov, nous nous sommes levés pour chanter. La marque a alors pris son envol et les intermédiaires les plus divers s’en sont fait les ambassadeurs, la série américaine Suits, Zeffirelli, Zaz contribuant ainsi à sa renommée internationale. Le maire Loujkov vous a aidé à trouver un emplacement pour le Café Pouchkine ? En effet, Loujkov appréciait mes restaurants et s’est intéressé à mes projets à venir. Je lui ai bien entendu parlé de mon projet de toujours autour de Pouchkine et de la chanson de Bécaud, mais aussi de la difficulté à trouver un emplacement digne de ce nom dans le quartier qui semblait s’imposer de lui-même de la place Pouchkine. Aussitôt il m’a encouragé, évoquant la proximité du bicentenaire du poète [il a eu lieu en 1999, ndlr] et, dès le lendemain, il me

proposait un emplacement dans le quartier convoité à la seule condition que le café soit ouvert pour le bicentenaire. La passion aidant, nous avons réussi à boucler le chantier en moins de six mois, qui plus est, dans les règles de l’art. Un exploit pour mener à bonne fin la construction de ce bâtiment exceptionnel qui s’apparente à un hôtel particulier. Onditqu’AlexandrePouchkinearésidédans cet hôtel particulier. Est-ce une légende ? Le Café Pouchkine est une création totale. En revanche, il est exact que le poète se rendait dans la maison contiguë. Il s’y trouvait une école des bonnes manières, les jeunes femmes de bonne famille y apprenaient à faire la révérence. Pouchkine, qui était dans les bonnes grâces de tous, était autorisé à y entrer et c’est d’ailleurs là qu’il a vu Natalia Gontcharova [l’épouse de Pouchkine, ndlr] pour la première fois.

Une table qui fait honneur au poète

MARK BOYARSKY(2)

Qui a imaginé la décoration ? Tout a été réalisé d’après mes esquisses. L’intérieur a été réalisé de toutes parts par des artisans russes contemporains, mais il était important que le lieu respire l’atmosphère de l’époque et nous l’avons meublé d’objets des XVIIIème et XIXème siècles.

du medovik [gâteau au miel, ndlr] ne se dément pas auprès des Français euxmêmes. Quels choix recommanderiez-vous à vos clients du Café Pouchkine pour leur faire partager les goûts de la noblesse russe ? D’abord, il faut absolument essayer le bortsch [soupe aux betteraves, ndlr] ! Ensuite, bien sûr, la côtelette « pojarski ». En entremets, des pelmenis [raviolis russes, ndlr]. C’est un must, c’est ce que nous servons à Paris, c’est tout simplement incontournable. En dessert, le medovik.

Votre restaurant Turandot choque certains par l’exubérance de sa décoration. .. J’avais envie d’expliquer aux Moscovites et au monde entier ce que sont les « chinoiseries », qui existent à SaintPétersbourg, mais pas à Moscou. J’aime la réaction des Américains, comme Johnny Depp par exemple. C’était très amusant de voir sa réaction quand on lui a parlé des chinoiseries, du baroque et des influences de l’art français, allemand et italien sur l’art russe. Le lieu abrite aussi en permanence une petite école d’art : le personnel doit être en mesure de répondre aux questions les plus diverses que l’aménagement intérieur peut susciter aux visiteurs. C’est d’ailleurs l’une des épreuves que doivent passer tous ceux qui souhaitent travailler ici. Avec le Café Pouchkine, vous avez aussi conquis Paris . La France, c’est un peu comme une gigantesque pâtisserie, alors en ouvrir une à Paris avait tout de la provocation, une façon originale de se suicider. La chose à ne pas faire ! Et pourtant, nous sommes installés depuis déjà quatre ans, et le succès est au rendez-vous, celui

Et à combien s’élèvera l’addition ? À Moscou vous n’en aurez pas pour plus de 50 euros. À Paris, je tiens à ce que nous maintenions un niveau de prix abordable. Je veux que les gens puissent goûter à tout. Par ailleurs, je suis très fier du fait que des professeurs, des intellectuels, des écrivains fréquentent le premier étage du Café Pouchkine.

En ligne

Le marmiton et les sanctions fr.rbth.com/394131

En seulement 15 ans d’existence, le Café Pouchkine est devenu un des restaurants les plus réputés de la capitale russe. Il est fréquenté aussi bien par des célébrités que par des hommes d’affaires et des touristes. Installé dans un hôtel particulier en plein cœur de Moscou, le Café Pouchkine propose un menu de l’époque impériale. Le personnel est vêtu à la mode du XIXème siècle et l’atmosphère des salles plonge les clients dans le passé. Son fondateur, Andrei Dellos, explique le succès de l’établissement par l’harmonie entre le concept et le décor.

Quel est le public étranger le plus enthousiaste à l’égard des subtilités de votre cuisine russe ? Si l’on prend l’Europe, les Français, les Italiens et les Allemands sont les plus enthousiastes, mais nous allons désormais nous intéresser de plus près aux Anglais. Propos recueillis par OLEG KRASNOV, RBTH

MAÏA PLISSETSKAÏA :

LA MUSE DANSANTE

D’autres histoires magiques mais vraies dans la rubrique « Longread ».

fr.rbth.com/tag/longread

L’histoire du medovik trouve ses racines au XIXème siècle : un confiseur l’a créé pour la grande princesse Élisabeth Alexeïevna, épouse de l’empereur Alexandre Ier, qui ne supportait pourtant pas le miel – ce que le confiseur ignorait. Le dessert fut apprécié. Depuis, le medovik est devenu l’un des gâteaux les plus prisés en Russie. Cette recette vous est offerte par le Café Pouchkine.

Ingrédients Gâteau au miel : 520 g de sucre • 300 g d’œufs • 420 g de miel de sarrasin • 100 g de beurre ramolli • 38 g de bicarbonate de soude • 700 g de farine • 10 g de jus de citron Garniture à base de crème fraîche : 400 g de crème fraîche • 160 g de sucre en poudre Garniture à base de lait concentré sucré : 400 g de beurre • 100 g de lait concentré sucré

Préparation Biscuit au miel : 1. Chauffer le sucre, les œufs, le miel et le beurre au bain-marie jusqu’à 80 degrés. 2. Ajouter le mélange de bicarbonate de soude et de jus de citron que vous aurez fait mousser. 3. Ajouter la farine tamisée. 4. Étaler rapidement avec une spatule sur une feuille de cuisson antiadhésive. Attention car le biscuit se dessèche très vite ! Ou verser dans un moule de 22 cm de diamètre sur 2 mm d’épaisseur. 5. Faire cuire le biscuit à 180 degrés dans un four à convection : 6 minutes pour 22 cm de diamètre et 4 minutes pour 12 cm de diamètre. 6. Ôter l’excédent de biscuit dès la sortie du four avec une spatule en plastique. 7. Garder les chutes. Garniture à base de crème fraîche : Battre les ingrédients. Attention car la crème risque de se désagréger ! Garniture à base de lait concentré sucré : Battre les ingrédients pendant 10 minutes

Assemblage 1. Assembler le gâteau dans un plat creux pendant qu’il est encore tiède. 2. Poser une couche de biscuit à la base. 3. Étaler 100 g de crème au lait concentré. 4. Recouvrir d’un autre biscuit. 5. Étaler 180 g de garniture à la crème fraîche. 6. Répéter l’opération pour obtenir cinq couches de biscuit en terminant par de la crème au lait concentré. 7. Retirer du plat et égaliser la surface. 8. Parsemer de miettes de biscuit. 9. Parsemer le dessus de sucre glace.


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.