Place publique #55 (extraits à feuilleter)

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#55 Janvier Février

Place Publique

2016

Place #55 Publique

La passerelle qui réunifie la gare de Nantes

NANTES/SAINT-NAZAIRE

p. 108 LE PALMARÈS 2016 DES JEUNES ARCHITECTES LIGÉRIENS p. 119 APRÈS LE 13 NOVEMBRE, « DÉSOLATION » PAR JEAN-CLAUDE PINSON p. 125 RÉGIONALES : DES RÉSULTATS EN TROMPE-L’ŒIL

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LA REVUE URBAINE | Janvier-Février 2016

DOSSIER | P 7 | UNE STAR DE L’ARCHITECTURE AU CŒUR D’UN PROJET URBAIN

La passerelle qui réunifie la gare de Nantes INITIATIVES URBAINES | P. 141 | LES DÉCISIONS : BERGES, FRANCHISSEMENTS, NAVETTES FLUVIALES…

Après « la Loire et nous », débat sur la méthode 10E


Place 6 numéros 50 € Publique

Vient de paraître

www.revue-placepublique.fr

LA REVUE URBAINE NANTES / SAINT-NAZAIRE

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Un des réseaux les plus longs, un des plus fréquentés de France, qui assure 60 % des déplacements en transports publics dans l’agglomération. Le tramway nantais vient tout juste de fêter ses 30 ans en 2015. Même s’il possède une histoire beaucoup plus ancienne qui remonte au 19e siècle. Mais c’est du tramway moderne qu’il s’agit, celui que Nantes a été la première ville de France à relancer. Plus qu’un simple moyen de transport, le tramway est un outil qui permet de redessiner la ville, de la recoudre, de l’embellir, de rapprocher les communes et les quartiers périphériques du cœur de l’agglomération. En cela, le tramway a vraiment changé Nantes. C’est ce que montre, images, chiffres et témoignages à l’appui, ce numéro hors-série de la revue Place publique. Place publique En vente en kioque et en librairie au prix de 5 €


PLACE PUBLIQUE

Nantes/Saint-Nazaire. La revue urbaine Tour Bretagne Place Bretagne BP 72423 - 44047 Nantes Cedex 1 www.revue-placepublique.fr

Directeur de la publication :

DOSSIER

| SOMMAIRE ÉDITO 2 Place publique LA PASSERELLE QUI RÉUNIFIE LA GARE DE NANTES 6 Franck Renaud La gare réunifiée,

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Directeur : Franck Renaud renaud.placepublique@gmail.com Chargée de diffusion :

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Comité de rédaction :

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Marine Jaffrézic diffusion@revue-placepublique.fr Tél. 06 75 06 32 67 Pierre-Arnaud Barthel, Philippe Bataille, Goulven Boudic, Paul Cloutour, Alain Croix, Laurent Devisme, Benoît Ferrandon, Thierry Guidet, Philippe Guillotin, Didier Guyvarc’h, Marie-Hélène Jouzeau, Martine Mespoulet, Jean-Claude Pinson, Laurent Théry, Jean-Louis Violeau, Gabriel Vitré. Ont contribué à ce numéro : Hugues Archambeaud, Cécile Arnoux, Raïane Bas, Goulven Boudic, Jean-Claude Charrier, Paul Cloutour, Alain Croix, Xavier Debontride, Lionel Debus, Laurent Devisme, Stéphanie Dommange, Marc Dumont, Delphine Gillardin, Thierry Guidet, Véronique Guitton, Joëlle Kerivin, Nicolas de La Casinière, Lang Fan, Ali Mahfoud, Catherine Malleret, Cristiana Mazzoni, Franck Meynial, Thierry Mézerette, Daniel Morvan, Élisabeth Pasquier, André Péron, Emmanuel Pinard, Jean-Claude Pinson, Franck Renaud, Danielle Robert-Guédon, Stéphane Sacchi, Martine Staebler, Jean-Louis Violeau.

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Place publique est une revue éditée par l’association Mémoire et débats.

Administrateurs :

Soizick Angomard, Philippe Audic, Jo Deniaud, Suzy Garnier, Jean-Luc Huet, Jean-Claude Murgalé, Bernard Remaud, Françoise Rubellin.

Direction artistique : Bernard Martin éditions joca seria, Nantes. info@jocaseria.fr Concept graphique : Rampazzo et associés, Paris/Milan. Impression : Offset 5, La Mothe-Achard (85) ISSN 1955-6020

Place publique bénéficie du soutien de La Poste, de RTE et de la Chambre de commerce Nantes/Saint-Nazaire. Diffusion presse Nantes et Saint-Nazaire : SAD Diffusion librairie : Joca Seria/Pollen

du quartier de la gare 28 Le Nantes-Pornic d’Emmanuel Pinard 29 Élisabeth Pasquier La Passagère du TER

ses quartiers réaménagés

Philippe Audic

Fondateur : Thierry Guidet

23 Laurent Devisme Les énigmes

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Hier

Le projet

37 André Péron Quand le chemin de fer

Jean-Louis Violeau De l’opaque souterrain à la clarté de la maille ajourée CatherineMalleret La passerelle, « une nouvelle transversalité aérienne » Stéphanie Dommange « Un lieu de vie qui sublime la ville et facilite les transports » Avec l’auditorium de Rezé, les premières notes nantaises de Rudy Ricciotti

cisaillait la ville 41 À Saint-Nazaire, de la gare de voyageurs au Théâtre 43 Jean-Claude Pinson Romans de gare Ailleurs 49 Chritiana Mazzoni, Lionel Debus, Ali Mahfoud et Lang Fan Entre Europe et Chine, des gares insolites au carrefour des mondes

LA CARTE LE TERRITOIRE Hugues Archambeaud Le maillage de la Loire-Atlantique : tout a bougé, rien n’a changé LES FORMES DE LA VILLE Raïane Bas Place Viarme, de la foire à bestiaux à la brocante du samedi PATRIMOINE Maurice Digo Un Nantais dans la Grande Guerre Nicolas de La Casinière À sec le lac ! Thierry Mézerette Les roms de Rezé SIGNES DES TEMPS Le bloc-notes de Franck Renaud Critiques de livres Expositions par Danielle RobertGuédon La chronique de Cécile Arnoux Entretien avec Joëlle Kerivin La chronique de Stéphane Sacchi

108 L’architecture, deux ou trois choses

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133 135

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que je sais d’elle Jean-Louis Violeau CONTRIBUTIONS Jean-Claude Pinson Désolation Goulven Boudic Élections régionales : des résultats en trompe-l’œil INITIATIVES URBAINES L’après-débat la Loire et nous Franck Renaud Le temps des engagements Paul Cloutour La Loire, le débat et moi : bilan pour les dialoguosceptiques et les autres Jean-Claude Charrier D’abord une coproduction de Nantes Métropole Franck Meynial À Marseille, l’ombre du pont transbordeur sur le Vieux-Port Martine Staebler Marée basse pour le gardien de la Loire et de l’estuaire Marc Dumont Projets urbains

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ÉDITO |

Signée de l’architecte Rudy Ricciotti, la passerelle de la future gare de Nantes ne passera pas inaperçue, habillée de maille ajourée, point de vue sur la ville. Le cœur d’une opération urbaine d’ampleur qui voit ses quartiers nord et sud réaménagés en deux temps.

C

e n’était pas un concours d’architecture stricto sensu. Mais il y avait sélection et donc un « comité de sélection » pour se prononcer, composé des représentants des partenaires du projet – Sncf, Nantes Métropole, Région… Certains, dit-on en chuchotant, auraient préféré la passerelle aux lignes épurées de Marc Barani, l’autre finaliste, déjà auteur du pont Éric-Tabarly, ce passeur de Loire entre l’Île de Nantes et le quartier Malakoff.

Un tour de passerelle S’il avait décroché la réalisation de la passerelle qui donnera une seconde jeunesse et peut-être même une inspiration à la gare de Nantes, Marc Barani aurait alors signé deux des « repères » qui encadrent l’ambitieuse opération d’urbanisme conduite à Malakoff-Pré Gauchet, là où une ville dans la ville sort de terre. Si. Et en définitive, il n’y aura pas de si. Mais ne mégotons pas : l’officialisation en octobre dernier du choix de l’architecte et ingénieur Rudy Ricciotti, verbe haut et lyrique à souhait, pour réaliser la passerelle qui mariera les gares nord et sud de Nantes reste une excellente nouvelle pour l’agglomération. Pas seulement parce que la Sncf annonce une gare parfois saturée et que cette « rue-mezzanine » ouverte sur

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la ville lui donnera de l’air tout en lui faisant prendre de la hauteur. Pas seulement parce que Nantes invite le concepteur du célébré Mucem de Marseille, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Pas seulement parce que la passerelle de Rudy Ricciotti emploiera son matériau fétiche, ce béton fibré à ultra-hautes performances – pas moins, un béton bien dans son époque, quoi ! Pas seulement parce que l’architecte installé à Bandol a eu l’intelligence d’embarquer à bord de son projet les Nantais de Forma 6. Lisez le décryptage de Jean-Louis Violeau, professeur à l’École d’architecture de Paris-Malaquais, qui vous emmène découvrir la passerelle conçue par Rudy Ricciotti, vous détaille sa démarche et fait parler ses « associés » nantais : en 2019, au moment de la livraison, Nantes accueillera tout simplement un geste architectural fort et beau. Stéphanie Dommange, la directrice régionale de la Sncf, ne dit pas autre chose, qui évoque « une empreinte dans la ville ». Car, de fait, la passerelle déborde largement de la seule gare et l’enjeu demeure majeur pour Nantes Métropole : au nord d’abord, puis au sud ensuite, les quartiers en prise directe avec la gare seront remaniés en profondeur. Professeur en sciences sociales à l’École d’architecture de Nantes, Laurent Devisme s’y est promené pour comprendre ce qui se joue. La fonction première d’une gare, c’est de monter dans un train ou d’en descendre. La sociologue Élisabeth Pasquier, elle


aussi de l’École d’architecture de Nantes, a emprunté la ligne régionale Nantes-Pornic pour les besoins d’une recherche et s’est intéressée aux dix gares qui la jalonnent. Elle en a rapporté un livre, La Passagère du TER (Joca Seria, 2016), récit de voyage au présent de l’indicatif dont nous publions de larges extraits. La gare de Rennes se prépare à accueillir la Ligne à grande à vitesse qui mettra en 2017 la ville à moins d’une heure et demie de Paris. Xavier Debontride, rédacteur en chef de Place publique Rennes/Saint-Malo, explore les changements que cela implique pour la gare qui attend une fréquentation quotidienne doublée en 2018 par rapport à 2013, avec 128 000 voyageurs et utilisateurs. La passerelle que lancera Rudy Ricciotti au-dessus des voies ferrées nous renvoie aussi à l’histoire du rail à Nantes. André Péron nous la raconte : l’irruption du chemin de fer « cisaille » la ville d’est en ouest. Les trains et les tramways encombrent les quais. La circulation se transforme « en vrai cauchemar ». Ce n’est qu’en 1955 que le tunnel qu’utilisent toujours aujourd’hui les trains pour traverser le centre-ville est inauguré. La ligne de Nantes est prolongée jusqu’à Saint-Nazaire, gare terminus, en 1857. La gare y jouxte alors le quai d’embarquement pour les paquebots en partance vers le Mexique et Cuba. Et si la gare émerge des ruines de la ville à la fin de la Seconde Guerre, elle est « remplacée » par une nouvelle gare à l’entrée nord de la ville dans les années cinquante. Elle ne se

remettra pas de ce déclassement, jusqu’à la réhabilitation de ses vestiges pour la transformer en théâtre.

toire. Deux points de vue et un débat sur le débat en quelque sorte. Place publique est là pour ça.

Dans un texte écrit pour ce numéro, le philosophe et poète Jean-Claude Pinson part sur les traces de l’imaginaire des gares, entre souvenirs personnels et poésie ferroviaire. Enfin, pour clore ce dossier, nous avons fait le choix d’un pas de côté, d’un voyage dans plusieurs gares européennes inscrites dans des projets urbains, puis d’un grand bond jusqu’en Chine, sous la conduite de Cristiana Mazzoni, professeur à l’École d’architecture de Strasbourg, et de trois de ses doctorants.

Nous sommes là aussi pour, aussi souvent que possible, jouer le décalage, montrer comment ça se passe ailleurs. Il ne s’agit pas forcément de comparer, mais d’éclairer les évolutions de la métropole Nantes/ Saint-Nazaire. Vous lirez donc un article en provenance de Marseille qui raconte comment l’architecte nantais Paul Poirier s’y prend pour, à défaut de convaincre à Nantes, essayer d’imposer son projet de pont transbordeur à l’entrée du Vieux-Port.

Ce numéro de Place publique Nantes/ Saint-Nazaire comporte un second dossier, en fin de revue, consacré à l’aprèsdébat « Nantes, la Loire et nous ». Alors que Johanna Rolland, a annoncé courant décembre ses trente choix et engagements pour le fleuve et la métropole, nous avons choisi de porter deux regards sur cette inédite séquence de démocratie participative nantaise – appelée à se répéter. Ce que nous avons nommé « la méthode en débat » en couverture de ce numéro. D’abord un regard de l’intérieur, puisque Paul Cloutour, membre de notre comité de rédaction, était aussi un des concepteurs et organisateurs de ce débat pour Nantes Métropole. Ensuite, le regard d’un participant actif et engagé, celui de Jean-Claude Charrier, membre du Conseil de développement et militant du pont transbordeur, qui ne raconte pas tout à fait la même his-

Nous terminons ce dossier avec un long texte de Martine Staebler qui fut longtemps directrice du Groupement d’intérêt public Loire Estuaire – et, accessoirement, viceprésidente de la commission du débat sur la Loire –, initiatrice d’une pétition pour sauver cette structure fragilisée par le désengagement financier de l’État. Or, créé voilà dix-sept ans alors que les indicateurs de l’état de santé de l’estuaire avaient tous viré au rouge, Loire Estuaire accumule et diffuse la connaissance sur le fleuve afin que les décisions soient prises pour le préserver. Si le gardien de l’estuaire se découvre mal en point, qui veillera sur la Loire ? Un dernier mot, la période étant propice aux vœux, Place publique Nantes/SaintNazaire vous souhaite une belle année 2016 !  n

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LE DOSSIER

LE DOSSIER LA PASSERELLE QUI RÉUNIFIE LA GARE DE NANTES

6 Franck Renaud La gare réunifiée,

ses quartiers réaménagés Le projet 9 Jean-Louis Violeau De l’opaque

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souterrain à la clarté de la maille ajourée CatherineMalleret La passerelle, « une nouvelle transversalité aérienne » Stéphanie Dommange « Un lieu de vie qui sublime la ville et facilite les transports » Avec l’auditorium de Rezé, les premières notes nantaises de Rudy Ricciotti Laurent Devisme Les énigmes du quartier de la gare Le Nantes-Pornic d’Emmanuel Pinard Élisabeth Pasquier La Passagère du TER Hier

37 André Péron Quand le chemin de fer

cisaillait la ville 41 À Saint-Nazaire, de la gare de voyageurs au Théâtre 43 Jean-Claude Pinson Romans de gare Ailleurs 49 Chritiana Mazzoni, Lionel Debus,

Ali Mahfoud et Lang Fan Entre Europe et Chine, des gares insolites au carrefour des mondes


L A PA S S E R E L L E QU I R É U N I F I E LA GARE DE NANTES


DOSSIER | LA PASSERELLE QUI RÉUNIFIE LA GARE DE NANTES

La gare réunifiée, ses quartiers réaménagés RÉSUMÉ > Une opération peut en cacher une autre. La désignation de l’architecte Rudy Ricciotti pour réaliser la passerelle au-dessus des gares nord et sud s’inscrit dans un projet urbain plus large. Nantes Métropole réaménage en profondeur les abords de la gare.

TEXTE > FRANCK RENAUD

FRANCK RENAUD est journaliste, directeur de Place publique

La répartition des initiatives Sncf Réseau : Schéma directeur de l’infrastructure ferroviaire, les transferts du CREM, du centre voies, du centre telecom et de l’école de transports. Sncf Gares et connexions : la gare voyageurs (mezzanine, bâtiments voyageurs nord et sud), les transferts du parcotrain, des loueurs et des parkings agents. Nantes Métropole : les réaménagements des parvis, des abords et la création du pôle d’échange sud.

Lorsqu’elle sera livrée, fin 2019 si le chantier ne prend aucun retard, la nouvelle gare de Nantes marquera une étape importante de la fabrique de la ville. Une pièce majeure du puzzle qui se met en place et remodèle en profondeur son cœur « historique » (le château et son miroir d’eau, le futur musée des Arts, le Jardin des plantes…) au nord, tout en s’arrimant à l’opération Malakoff-Pré Gauchet au sud, la ville nouvelle qui pousse en bord de Loire et prend chaque jour de la hauteur donnant à Nantes un semblant de début de skyline. En choisissant Rudy Ricciotti pour réaliser cette passerelle ajourée, les partenaires de l’opération1 savent également qu’ils offrent à Nantes un peu plus qu’une gare réunifiée par la grâce d’un belvédère signé d’une star de l’architecture. Ils sortent d’abord cette dernière d’un relatif anonymat architectural et la transforment en marqueur de la ville : à partir de 2019, hauteur aidant, la gare de Nantes sera identifiée de loin.

1. Nantes Métropole, la Région, SNCF-Gares et Connexions, le Conseil départemental, l’État, le Fonds européen de développement régional et SNCF-Réseau : le montant total des travaux d’extension de la gare et d’aménagement des espaces publics s’élève à 123 millions d’euros, Nantes Métropole et la Région apportant chacun 38,9 millions d’euros.

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LA PASSERELLE QUI RÉUNIFIE LA GARE DE NANTES | DOSSIER

Pas d’architecte maison pour la gare

L’histoire aurait pu être tout autre. Car contrairement à ses habitudes, la SNCF n’a pas gardé la main sur l’extension de la gare en la confiant à sa propre agence d’architecture. Et pour la première fois, il lui a fallu externaliser ce projet en utilisant la procédure dite de « conception-réalisation ». Nantes Métropole, principal financeur de l’opération avec la Région – pour l’aménagement de la gare et des espaces publics – n’y voit pas que des inconvénients et lui reconnaît même quelques vertus. Dont celles « d’une plus-value architecturale et d’une maîtrise des coûts et des délais. » Car la ville joue-là un moment important du projet urbain nantais : le parvis nord de la gare devra s’articuler avec le Jardin des Plantes (comment, la question n’est pas tranchée) et, à l’ouest, c’est toute l’allée Charcot qui sera intégrée à la liaison piétonne vers le château et le centre-ville.

Regarder ce projet de gare se réaliser et avancer, c’est aussi prendre conscience du temps nécessaire à la décision, puis à sa mise en œuvre et à l’engagement des travaux. Alors que la gare nord avait été réhabilitée en 1998, Nantes accueillant plusieurs rencontres de la Coupe du monde de football, moins de dix ans plus tard, dès fin 2007, la métropole commence à travailler sur une nouvelle gare : « Au sud, la ville arrivait autour avec l’urbanisation de Pré Gauchet et comme des installations techniques importantes de la SNCF sont aussi implantées de ce côté-là et qu’il faudrait les déménager pour que Nantes Métropole puisse acquérir le foncier, il ne fallait pas perdre de temps. » Dans quatre ans maintenant, la majestueuse passerelle de Rudy Ricciotti contemplera ces années de tractations, d’échanges, de discussions. Encore quelques mois et Nantes Métropole engagera les travaux d’aménagement des espaces publics au sud pour une durée de deux années. L’opération gare de Nantes devrait être achevée pour 2023. n

La fréquentation des gares en Pays de la Loire (22,7 millions de voyageurs en 2013)

La répartition des voyageurs à Nantes Voyageurs régionaux Voyageurs nationaux

Nantes Angers Le Mans Laval Saint-Nazaire La Roche-sur-Yon La Baule

Le montant global du projet et espaces publics (123 M€) TER (300 trains/jour) TGV (60 trains/jour Intercités et fret

Millions d’euros

Le trafic en gare de Nantes

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LE PROJET 1

En haut, la coupe montre comment les piliers de béton émergent des quais et viennent en arborescence transpercer la passerelle. En bas, détail de l’arrivée de la passerelle sur la gare sud profondément remodelée.


LA PASSERELLE QUI RÉUNIFIE LA GARE DE NANTES | DOSSIER

De l’opaque souterrain à la clarté de la maille ajourée RÉSUMÉ > « La main ferme et le cœur tendre, lyrique en somme » : Jean-Louis Violeau, professeur à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Malaquais, passe au crible la rue-passerelle de l’architecte Rudy Ricciotti, conçue avec les Nantais de Forma 6. Un pont jeté entre les deux gares, sans concession pour l’accès sud tellement daté années 1980 et intégrant une gare nord qui résiste au temps.

TEXTE > JEAN-LOUIS VIOLEAU

Rudy Ricciotti (ex)pose derrière son opus bien nommé L’architecture est un sport de combat (photo Jean-Philippe Somme, librairie L’Âge d’homme, Paris, mars 2015).

Le Bernin, Viollet-le-Duc, Le Corbusier, Bofill, Nouvel, aucun architecte n’aura impunément conquis les lauriers de la célébrité. Le malentendu guette, en permanence. La nouvelle gare de Nantes, copie du Mucem, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille, ou vrai projet répondant aux nouveaux usages ? C’est un peu la fausse alternative qui parcourt certains esprits sceptiques face à l’arrivée à Nantes de notre star nationale, l’architecte Rudy Ricciotti. Imaginez-donc, être connu par tout un tas de personnes que vous ne connaissez pas et que vous ne connaîtrez jamais, cela expose, forcément. À toutes les incompréhensions… En revanche, une bonne réputation, connu et reconnu par vos pairs pour vos compétences, cela vous préserve en quelque sorte. C’est ce qui crée la distance entre Alexandre Lacazette et Zinedine Zidane, par exemple, ou entre Bernard Reichen, qui réfléchit en ce moment à l’avenir du Bas-Chantenay et qui avait imaginé un projet pour le futur Chu, et donc Rudy Ricciotti – qui l’aura bien cherché diront certains, même si chacun peut comprendre aussi pourquoi un Romain Gary décida un jour de « retourner la gueule qu’on lui avait faite » en écrivant sous le pseudo d’Émile Ajar.

JEAN-LOUIS VIOLEAU est professeur de sociologie à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Malaquais. Il est membre du comité de rédaction de Place publique et de la revue Urbanisme. Il est notamment l’auteur de Nantes. L’invention d’une île (Autrement, 2012).

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DOSSIER | LA PASSERELLE QUI RÉUNIFIE LA GARE DE NANTES

La passerelle doit supporter voyageurs et consommateurs ainsi que les espaces commerciaux qui leur sont dévolus : la fonction commerciale est vitale pour les gares.

ouverture. D’ailleurs Ricciotti et Forma 6 ont tout simplement fait le pari d’une destruction partielle, le hall principal essentiellement, pour retrouver une meilleure symétrie de la gare-pont avec l’accès nord. Ce choix a été apprécié par Johanna Rolland qui devrait pouvoir inaugurer cette nouvelle gare à la toute fin de son actuel mandat. D’ici là, la scène nantaise attend avec impatience la livraison au public du premier édifice « nantais » de Rudy Ricciotti, le nouvel auditorium de Rezé, c’est pour ce mois-ci, mi-janvier 2016. Pour la nouvelle gare, il faudra attendre (au moins) 2019. Il y avait deux alternatives majeures sur ce projet : d’abord, la question des accès nord et sud, y toucher ? Violemment, ou plutôt en douceur ? Emboîter sagement la passerelle dans l’existant, ou choisir une atterrissage plus franc permettant une restructuration claire des volumes existants ? Ricciotti et Forma 6 ont tranché pour un atterrissage rude et en hauteur, symbolisé par les deux porte-à-faux. Seconde alternative majeure : où placer les nouveaux commerces, stratégiques nous l’avons dit ? Plutôt dans les cheminements et les accès à la passerelle au sud et au nord ? Dans ce cas-là, la

passerelle elle-même pouvait être plus légère et aérienne, n’accueillant que des passagers en transit. Ou alors suivant un modèle s’inspirant autant de l’aéroport que d’une rue urbaine plus banale où l’on flâne, sur le plancher de la passerelle elle-même ? Alors la structure doit supporter les voyageurs et les consommateurs, ainsi que les espaces commerciaux qui leur sont dévolus. Elle se doit donc d’être plus robuste. C’était le choix gagnant qui signe l’importance désormais vitale de la fonction commerciale pour les gares de notre futur proche. n

L’ÉPURE DE MARC BARANI C’était le projet « finaliste » face à Rudy Ricciotti, celui du Niçois Marc Barani, auteur du pont Tabarly reliant l’Île de Nantes et Malakoff : une passerelle épurée, offrant de vastes baies ouvertes sur la ville. Venu à Nantes mi-novembre, à quelques jours de recevoir le Grand prix d’urbanisme 2015, Gérard Penot, l’homme qui aménage Malakoff-Pré Gauchet, le nouveau quartier au contact de la gare sud, juge les deux projets à la hauteur des ambitions pour la gare : « Je suis vachement content que la bagarre finale se soit déroulée entre eux deux. Ils se sont écartés du programme initial de la Sncf

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[qui prévoyait une passerelle en triangle]. Le principe urbain est le même, pas de différence entre le nord et le sud, la même attention de part et d’autre. Ce sont deux hommes du Sud qui proposent la même attitude, se projettent vers le sud et ce quartier nouveau. »


LA PASSERELLE QUI RÉUNIFIE LA GARE DE NANTES | DOSSIER

La passerelle, « une nouvelle transversalité » aérienne RÉSUMÉ > L’agence nantaise d’architecture Forma 6 est partenaire de Rudy Ricciotti pour mener le projet de la gare. Catherine Malleret, co-fondatrice de l’agence, raconte comment les deux équipes ont réfléchi ensemble et se sont partagé le travail.

PROPOS RECUEILLIS PAR > JEAN-LOUIS VIOLEAU PLACE PUBLIQUE > Comment les liens se sont-ils tissés avec Rudy Ricciotti ? CATHERINE MALLERET > C’est l’entreprise mandataire, Demathieu & Bard, qui nous a invités tous deux à nous rencontrer. Elle avait pressenti que la Ville et la Sncf attendaient une signature. Étant elle-même une entreprise de construction implantée régionalement – et non l’une des trois majors internationales du Btp – elle a également tenu à souligner cet ancrage local dans la composition de l’équipe. Mais nous avions déjà croisé Rudy Ricciotti, à Nantes et ailleurs. Nous savions qu’il appréciait notre travail, et l’estime était réciproque. Nous n’avons pas été mariés de force ! Nous avons commencé par échanger sur le projet, et un terrain commun s’est rapidement dessiné. Contrairement aux idées reçues, Rudy Ricciotti est un architecte qui écoute ses confrères.

CATHERINE MALLERET est architecte, diplômée de l’Ensa Nantes en 1987 où elle a commencé à enseigner deux ans plus tard. Elle est co-fondatrice, avec cinq autres associés, de l’agence nantaise Forma 6, partenaire de Rudy Ricciotti pour le projet de nouvelle gare.

PLACE PUBLIQUE > Des parentés « naturelles » existaient déjà, je pense en particulier au rapport que vous entretenez tous deux avec la question de l’ornement, redevenue centrale ces dernières années en architecture… CATHERINE MALLERET > Nous partageons en effet une passion pour l’ornement, mais retranscrite chez lui à travers l’emploi d’un matériau spécifique, le béton et en particulier ce béton fibré qui sera mis en œuvre dans la nouvelle gare. Pour notre part, nous utilisons moins JANVIER-FÉVRIER 2016 | PLACE PUBLIQUE | 17


Avec l’Auditorium de Rezé, les premières notes nantaises de Rudy Ricciotti

Photo © Valery Joncheray Ville de Rezé

Il y aura donc la gare, livrée fin 2019 si le chantier ne prend aucun retard. Et avant le projet de passerelle lancée au-dessus des gares nord et sud de Nantes, pour laquelle il a été officiellement choisi à l’automne dernier, l’architecte Rudy Ricciotti signe une autre création remarquée à Rezé, avec l’Auditorium, inauguré en sa présence le 19 janvier. Si, pour le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille et la future passerelle nantaise, Rudy Ricciotti n’a pas craint de miser sur l’ornement et la « maille ajourée » (lire l’analyse du projet nantais p. 9), l’Auditorium de Rezé, s’habille de simplicité, bardé de bois verni – il évoque ainsi la caisse de résonance d’un violon… de taille respectable : 40 mètres de long pour 20 mètres de large et près de 7 mètres de

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haut, avec des angles arrondis. « L’écriture architecturale de l’Auditorium ne sera pas alambiquée, au profit d’une narration juste et élégante, tel sera son aphorisme », avait annoncé Rudy Ricciotti qui l’a souhaité semi-enterré afin de garantir une efficacité acoustique optimale. Car le lieu est dédié aux musiques non amplifiées. Posé sur un terrain de 3 500 mètres carrés, la superficie de l’Auditorium atteint 1 200 mètres carrés, sur trois niveaux. La salle de concert et d’enregistrement compte 300 places assises et offre une capacité scénique en configuration d’orchestre de 80 choristes et 55 musiciens. Cet équipement se veut d’abord de proximité. Il est notamment destiné à l’École municipale de musique et de danse et aux chœurs et groupes de musique locaux. Sa

gestion est confiée à̀La Soufflerie, nouvel Établissement public de coopération culturelle (Epcc) créé́ par Rezé pour y réunir L’Arc, scène conventionnée « Voix » par le ministère de la Culture, l’Académie de recherche et d’interprétation ancienne (baroque), le théâtre municipal, et la Barakason, salle de concert des musiques actuelles. Sachant la magie du verbe, Rudy Ricciotti promet de jolis réveils aux Rezéens : « À l’orée du jour, les brumes matinales investiront le site afin de révéler le vaisseau de bois à la carène vernie. Le futur auditorium de Rezé ne se posera pas telle une réminiscence des attributs de la bourgeoisie. Il sera a contrario un condensé philosophique de l’épistémé du 18e et du 19e siècle soucieuse de justesse et de belle ouvrage. » n


LA PASSERELLE QUI RÉUNIFIE LA GARE DE NANTES | DOSSIER

Les énigmes du quartier de la gare RÉSUMÉ > Que peut dire un promeneur des alentours de la gare de Nantes en 2015 ? Car le rapport entre ville et gare à Nantes est tout sauf immédiat. Il se signale d’abord de deux côtés du fleuve ferroviaire et déploie différents visages : quartier d’affaires, quartier de gare en transition, concentré d’espaces routiers.

TEXTE > LAURENT DEVISME La gare est probablement l’un des meilleurs révélateurs d’urbanité que l’on connaisse. L’historien Georges Duby écrivait ainsi en introduction à l’Histoire de la France urbaine : « La gare ne fut-elle pas, à la fin du 19e siècle, par ses proportions orgueilleuses et par l’ensemble de signes qu’elle exposait, l’équivalent de ce qu’avait été, sept cents ans plus tôt, la cathédrale gothique, l’expression architecturale majeure de la fierté urbaine et, par ses membrures métalliques, par la glorification qu’elle affirmait de la vapeur et de la vitesse, l’éclatante contradiction des vieilles cultures terriennes ? ». Cela semble aujourd’hui très grandiloquent. Pourtant, la gare a continué d’inspirer de nombreux textes évoquant la puissance de son imaginaire, contrastant fortement avec une actualité déchue. Il colle à la gare une poétique chargée : « Il fut un temps où les habitants d’une ville se rendaient presque quotidiennement à la gare : l’arrivée des voyageurs, la puissance des locomotives leur fournissaient un divertissement agréable mais il entrait dans ce rite autre chose : une fidélité, un pèlerinage à un lieu consacré », écrit ainsi Pierre Sansot dans Poétique de la ville1. Ainsi « chargé », l’explorateur de Nantes ne peut aussi que déplorer une forme de retrait de la gare. Si,

LAURENT DEVISME est professeur de sciences sociales à l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes. Il est membre du comité de rédaction de Place publique. Il a notamment dirigé l’ouvrage collectif Nantes. Petite et grande fabrique urbaine, Parenthèses, 2009.

1 . Disponible dans la Petite bibliothèque Payot, 2004.

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Le Nantes-Pornic d’Emmanuel Pinard

Photographe, Emmanuel Pinard a embarqué avec des chercheurs géographes, architectes, sociologues et urbanistes dans un projet consacré à l’analyse des espaces de moindre visibilité dont les espaces périurbains font partie. Il s’est attaché à produire une série photographique « Nantes-Pornic » en 2012-2013, prolongeant des expérimentations photographiques menées dans la périphérie parisienne1. L’esprit est clairement documentaire. La ligne de train Nantes-Pornic a imposé son itinéraire : les dix gares du parcours ont structuré les sites de prises de vue. Les images témoignent toutes d’une focale normale à hauteur du regard. Elles visaient également à accompagner les récits ambulatoires d’Élisabeth Pasquier et l’exploration des bords de la voie de chemin de fer dans laquelle je m’étais lancé à vélo.

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À propos de cette série, Emmanuel écrivait : « J’ai tenté de représenter ces espaces ordinaires en me concentrant sur l’épaisseur naturelle des choses, afin d’éviter toute échappée dans une représentation poétique du merveilleux de la vie quotidienne, sans association inconsciente, même si ce qui motive le choix de cette photographie plutôt qu’une autre reste mystérieux. L’image n’est pas composée, elle s’impose comme un tout, comme une évidence. » Emmanuel Pinard est décédé en septembre 2014, à l’âge de 51 ans. n LAURENT DEVISME 1. Voir le site www.emmanuelpinard.com.


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BONNES FEUILLES

La passagère du TER RÉSUMÉ > Les trains n’ont pas que vocation à transporter des voyageurs ou des marchandises. Il demeurent aussi un poste et terrain d’observation. Dans le cadre d’un projet de recherche, la sociologue Élisabeth Pasquier a embarqué à bord du train express régional qui assure la ligne Nantes-Pornic, scandée de dix gares. Elle en a rapporté un récit dont nous publions des extraits.

TEXTE > ÉLISABETH PASQUIER Gare centrale de Nantes. Le TER pour Pornic part le plus souvent de la voie numéro 10. La ligne prend un court instant la direction de Paris, puis effectue presqu’un demi-tour à travers la petite Amazonie, épouse la double courbe du grand ensemble de Malakoff et part franchement cap au sud. Elle enjambe le bras de Loire de la Madeleine, traverse les quartiers de Beaulieu et de Mangin en passant sous quatre boulevards portant les noms du Général-de-Gaulle, des Martyrs nantais de la Résistance, de Victor-Hugo et de Pierre-Benoni-Goullin, négociant nantais, consul de Belgique, président du Tribunal de commerce, membre du Conseil municipal de Nantes, mais tout ça au xixe. Puis la ligne franchit le bras de Pirmil par le pont de fer et passe sous le boulevard du Généralde-Gaulle, on est à Rezé cette fois, c’est un effet de l’odonymie gaullienne. Premier arrêt gare de PontRousseau. La ligne traverse sans s’y arrêter le quartier de la Neustrie à Bouguenais, passe au-dessus du périphérique et rejoint Bouaye, après avoir évité soigneusement l’aéroport Nantes-Atlantique. Elle reste au sec en se tenant à distance du lac de Grand-Lieu, enjambe l’Acheneau et chemine un moment avec la route de Pornic qui file plus directement vers sa destination. L’arrêt suivant est un PANG, Point d’arrêt non géré dans la campagne entre Port-Saint-Père et Saint-Mars-

ÉLISABETH PASQUIER est sociologue, enseignante à l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes. Son livre, La passagère du TER (Joca Seria, 2016, 160 pages, 16 €) est né de la recherche « PériVille invisible : enjeux et outils d’un urbanisme descriptif » mené de 2011 à 2014 dans le cadre du programme Plan urbain construction architecture « Du périurbain à l’urbain ». Elle a publié en 2011, toujours chez Joca Seria, Comme dit ma mère.

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Quand le chemin de fer cisaillait la ville RÉSUMÉ >  Et si en lançant sa rue-mezzanine audessus des gares nord et sud, l’architecte Rudy Ricciotti s’était aussi mêlé d’histoire. Un peu comme s’il raccommodait symboliquement une ville coupée en deux au 19e siècle par l’essor du rail.

TEXTE > ANDRÉ PÉRON Dans l’après-midi du 17 août 1851, la foule se presse sur la Prairie de Mauves pour l’inauguration de la ligne de chemin de fer. Mais le Paris-Nantes n’entre pas en gare : celle-ci n’est pas encore construite. Ce contretemps est à l’image des hésitations et des revirements des Nantais sur le dossier du chemin de fer depuis que l’ordonnance royale du 31 juillet 1833 a autorisé l’étude d’une ligne Paris-l’Océan. Ceux-ci craignent la concurrence faite par le rail au trafic fluvial et s’interrogent sur les enjeux de sa greffe sur le système urbain à un moment où la ville de négoce est engagée dans une reconversion industrielle et où elle est confrontée à la création d’un avant-port à la fois souhaité et redouté. Après avoir temporisé, Nantes revendique une desserte ferroviaire en 1837 par crainte de la concurrence des ports de Rouen et du Havre bientôt reliés eux-mêmes à la capitale. Après la loi du 26 juillet 1844 qui lui donne satisfaction, c’est la question de l’emplacement de la gare qui va catalyser tous les débats. En effet, si les exigences d’un port de transit plaident pour une étroite articulation gare-voie maritime, en va-til tout à fait de même dans la perspective d’un port industriel ? Faut-il implanter la gare sur la Prairie-auDuc avec la création d’un quartier urbain en prise sur un nouvel espace portuaire et industriel ? Mais un tel projet est-il en phase avec la spécialisation croissante

ANDRÉ PÉRON a enseigné la philosophie à Rezé. Il est un des spécialistes de l’histoire et du patrimoine nantais auxquels il a consacré de nombreux ouvrages, dont Nantes, ville de Far West. Le train, la ville et le fleuve, Ressac, 1989.

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Les convois de marchandises et de voyageurs perturbent la circulation sur les quais.

des espaces portuaires ? Ne faut-il pas plutôt l’installer plus en amont, sur la Prairie-de-Mauves par exemple, ce qui permettrait de rééquilibrer le développement urbain vers l’est et de freiner son glissement vers l’aval ? Une autre possibilité, proposée par la Compagnie d’Orléans, est fermement écartée par la Chambre de commerce : contourner la ville par le nord et installer la gare près des entrepôts des Salorges, à l’ouest du quai de la Fosse. En effet, la hantise de la Chambre de commerce est de voir Saint-Nazaire devenir, grâce à une liaison directe avec Tours, un redoutable concurrent et non un simple « avant-port ».

niveau ! Les visiteurs découvrent le spectacle insolite d’un train partageant les quais avec les piétons, les véhicules hippomobiles et bientôt les tramways ! Comment s’étonner, dès lors, que les gares implantées sur cet axe est-ouest soient elles-mêmes d’un accès difficile ? La gare d’Orléans est enclavée entre le boulevard longeant le Jardin des plantes au nord, le coude formé par le bras nord de la Loire vers l’ouest et la gare fluviale établie sur son flanc sud. Une pétition datée du 18 avril 1897 évoque « une situation intolérable » et constate que « nulle part en France n’existe une gare ayant des abords aussi difficiles ». Quant au quartier Malakoff, situé au sud de la Prairie de Mauves, il est lui-même enclavé entre le bras majeur de la Loire et les équipements ferroviaires. Sur le quai de la Fosse, ouverte à tous vents, la verrière de la gare de la Bourse s’appuie sur un modeste bâtiment qui surplombe la cale aux Oranges. Là aussi les accès sont périlleux pour des piétons qui doivent affronter la circulation très dense du « quai », puis traverser la voie du tramway et la voie ferrée elle-même. C’est dans cette gare que stationne « le train de Bre-

Quai de la Fosse, station de la Bourse Le quai de la Fosse à la hauteur de la gare de la Bourse : commerces au rez-dechaussée des immeubles, axe est-ouest de circulation urbaine avec véhicules hippomobiles et ligne du tramway, voie ferrée avec locomotive sortant de la gare de la Bourse, quai proprement dit et cales où l’on devine la présence de bateaux-lavoirs. De l’autre côté du fleuve, l’île Gloriette. Le pont transbordeur (1903) n’est pas encore construit (carte-postale ND). La gare d’Orléans Locomotive sortant de l’ancienne gare d’Orléans pour emprunter la voie ferrée des quais qui coupe la ville en deux (carte postale Vasselier).

Le rail coupe Nantes en deux

Après une nouvelle vague de projets en 1847, le site de la Prairie-de-Mauves est finalement choisi et la gare achevée en 1853, l’année où est mis en service un raccordement portuaire la reliant aux Salorges. En 1857, la ligne de Saint-Nazaire, puis celle de Redon-Quimper en 1863 empruntent à leur tour les quais de Loire. Une gare-voyageurs, annexe de la gare d’Orléans, est établie non loin de la Bourse et lui emprunte son nom. Ainsi, voilà Nantes coupée en deux par une grande ligne ferroviaire ! Les convois de marchandises et de voyageurs perturbent la circulation tant au débouché des ponts de Loire que sur l’ensemble d’une ligne de quais désormais jalonnée de nombreux passages à

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tagne » et que débarquent ceux que la presse nantaise appelle les « Bretons ». Ceux-ci iront souvent grossir le flot des ouvriers, domestiques, journaliers, portefaix, calfats, chiffonniers… qui habitent les quartiers pauvres d’une ville devenue industrielle et dont le chemin de fer renforce l’attractivité. Malgré son éloignement du centre de la ville, la gare maritime des Salorges subit, elle aussi, de lourdes contraintes. Elle doit composer avec le passage des trains de voyageurs et celui des tramways dont le rail coupe la voie ferrée au passage à niveau de l’Hermitage ! En outre, l’inondation du quai en période de crue perturbe gravement son activité. Les locaux de la gare ferroviaire sont installés dans d’anciens entrepôts et le quai est aménagé pour permettre le stationnement des wagons au plus près des steamers et des voiliers. Dockers, matelots, rouliers, douaniers et cheminots s’activent sur ce quai où les sacs de sucre ou de café éventrés, voire les barriques de vin un peu malmenées, sont une aubaine pour ceux qui tentent d’améliorer leur maigre ordinaire.

La multiplication des gares

Le nœud ferroviaire qui se met en place au rythme de l’ouverture des lignes entraîne la construction de nouvelles gares. C’est le cas, en 1877, à Saint-Josephde-Porterie, sur la ligne Nantes-Châteaubriant de la Compagnie d’Orléans. Un abri-voyageurs y sera édifié en 1890. En 1887 la gare de l’État remplace le baraquement provisoire établi en 1876 sur la Prairie au Duc par la Compagnie des chemins de fer nantais dont l’État a racheté le réseau. Plus à l’est, dans la Prairie d’Aval, la Compagnie nantaise des chemins de fer à voie étroite installe la modeste gare de Legé (1893). En 1899, la gare du « Petit Anjou » (ligne des chemins de fer départementaux de l’Anjou) s’installe sur le flanc nord de la gare d’Orléans et aggrave encore les difficultés d’accès à cette dernière. En 1908, les gares de Doulon et de Chantenay deviennent nantaises par l’annexion de ces deux communes. La gare d’Orléans reprend une symbolique déjà adoptée par ces nouvelles entrées de ville que sont les gares. Côté ouest, l’aspect classique de son fronton de maçonnerie percé d’une grande arche centrale tranche avec la modernité de sa grande halle où triomphent le verre et la fonte. Surmonté de trois statues, allégories de la Ville, de la Loire et de l’Océan, ce fronton arbore aussi l’indispensable horloge qui rappelle le culte de la ponctualité célébré dans cette cathédrale de l’ère industrielle. Construite plus d’une trentaine d’années plus tard, la gare de l’État est bien différente. Son imposant corps central édifié parallèlement aux voies évoque davantage une mairie de la IIIe République. Il est flanqué de deux bâtiments de plainpied et deux grandes ailes en retour qui encadrent son unique cour. Le projet initial avait été revu, par décision ministérielle, « dans le sens d’une recherche plus marquée de l’effet architectural, comme il convient à la gare d’une des plus grandes villes de France ». Le doublement de la voie ferrée dans la traversée de Nantes en 1917, à la demande des troupes américaines, aggrave encore une circulation devenue « un vrai cauchemar » sur les quais et, notamment, aux abords des gares. Les projets avancés avant la guerre de 14-18 (viaduc ou souterrain dans la traversée de Nantes, ou encore contournement vers le nord avec déplacement de la gare d’Orléans) se prolongent, après la guerre, par l’étude d’un remaniement global de l’équipement fer-

La gare du « Petit Anjou » aggrave encore les difficultés d’accès à la gare d’Orléans.

Le fronton arbore l’horloge qui rappelle le culte de la ponctualité célébré dans cette cathédrale de l’ère industrielle.

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Vue des quais de la Fosse  La gare maritime des Salorges : voiliers à quai, wagons de marchandises, véhicules hippomobiles, tramway et voie ferrée Nantes-Saint-Nazaire. Au loin, le pont transbordeur (carte postale R. Guénault).

Endommagée par les bombardements de mai 1944, la reconstruction de la gare n’est achevée qu’en 1968.

roviaire. C’est alors que le comblement des bras nord de la Loire offre l’opportunité de faire passer le train par une tranchée et un tunnel. Après la création de la Sncf le 1er janvier 1938, le plan de 1939 remplacera celui adopté en 1934 et abandonnera le projet de déplacer la gare d’Orléans vers l’est. La gare de la Bourse, elle, sera supprimée. Les travaux seront retardés par la Seconde Guerre mondiale et le tunnel sera inauguré le 17 décembre 1955. Endommagée par les bombardements de mai 1944, la gare d’Orléans est tardivement reconstruite sur les plans des architectes Henri Madelain et Pierre Lefol et achevée en 1968. Une nouvelle fois, la Ville a renoncé à la déplacer vers l’est malgré ses abords enclavés et toujours encombrés. À la verticalité du bâtiment administratif érigé perpendiculairement au boulevard répond l’horizontalité du bâtiment d’accueil des voyageurs étiré le long des voies. Des aménagements successifs tentent d’en améliorer l’accès : trémie sur l’axe de circulation est-ouest en 1973, station de tramway en 1985, plateau piétonnier en 1996. En 1997-1998, le bâtiment des voyageurs est rénové.

« Nantes passe la très grande vitesse »

En 1989, l’inauguration d’une deuxième gare, établie au sud des voies, avait marqué l’arrivée du Tgv à 40 | PLACE PUBLIQUE | JANVIER-FÉVRIER 2016

Nantes et permis de désengorger l’accès nord. Cette gare sud, dessinée par Jean-Marie Duthilleul, présente un grand hall d’accueil alliant béton, verre, haubanage en acier et toile enduite de téflon, tandis qu’un passage couvert permet l’accès au tunnel desservant les voies ferrées. La municipalité récemment élue avait fait réaliser une affiche proclamant : « Nantes passe la très grande vitesse ». L’arrivée du Tgv catalysa les interrogations et les espoirs d’une ville qui était encore sous le choc de la fermeture de ses chantiers navals et confrontée à une crise d’identité portant sur son héritage portuaire et industriel. C’est au cours de cette même année 1989 que la gare de l’État, fermée aux voyageurs dès 1959 et dont les bâtiments étaient désaffectés depuis 1980, fut sauvée de justesse de la démolition par la mobilisation de nombreux Nantais. Sur ce qu’on appellera bientôt l’Île de Nantes, elle sera reconvertie, entre 1998 et 2001, en Maison des syndicats. En 2012, dans le cadre d’une utilisation de l’étoile ferroviaire nantaise pour faciliter les déplacements urbains et péri-urbains, le pôle d’échanges multimodal Haluchère-Batignolles est construit sur le site de la gare de Saint-Joseph-de-Porterie dont la fermeture, en 1980, avait succédé à la destruction, en 1979, de son bâtiment-voyageurs. Cette nouvelle gare, signée par les architectes Luc Davy et Stéphane Geffard, est desservie par le tramway, le chronobus et, depuis 2014, par le tram-train de la ligne Nantes-Châteaubriant. Si la gare sud a soulagé la pression exercée sur la gare nord, les difficultés d’accès subsistent tandis que le nombre de voyageurs ne cesse de croître. D’où le projet d’une gare-mezzanine lancée au-dessus des voies et regroupant espaces d’attente, guichets, commerces et services divers. Dans une ville que le train a longtemps coupée en deux et qui rêve encore de son pont-transbordeur, cette gare-mezzanine n’est pas sans rappeler l’idée des gares-ponts de l’architecte Claude Parent dont, selon Michel Ragon, « les dessins de gare se proposaient de montrer la capacité du rail à susciter des activités et à franchir, à relier ce que le chemin de fer du 19e siècle avait séparé1 ». N’est-ce pas aussi le défi que la nouvelle gare de Nantes doit relever ? n

1. Michel Ragon, L’architecture des gares, Éditions Denoël, 1984, p. 93.


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À Saint-Nazaire, de la gare des voyageurs au Théâtre RÉSUMÉ > Dans le prolongement de la ligne de Paris à Nantes, Saint-Nazaire a découvert le rail au milieu du 19e siècle. Avec une gare terminus qui s’est installée tout contre le port : à la fois pour y assurer le transport des marchandises déchargées et l’embarquement des voyageurs sur les paquebots. Si elle a résisté aux bombardement alliés durant la Seconde Guerre, elle a fini par être remplacée par une nouvelle gare à l’entrée nord de la ville. Elle revit depuis 2008, transformée en théâtre municipal.

TEXTE > PLACE PUBLIQUE Saint-Nazaire est relié à Paris en 1857, en même temps qu’Arcachon et La Rochelle. Et l’inauguration de ce nouveau tronçon s’effectue avec l’arrivée du premier train à Saint-Nazaire le 10 août 1857. L’ouverture à la navigation du premier bassin à flot l’année précédente et la construction d’une ville nouvelle à proximité des quais du port provoquent une accélération de l’utilisation des moyens de transports terrestres. La Compagnie des chemins de fer de Paris Orléans, concessionnaire de la ligne et des lieux, gère l’exploitation du site de la gare terminus de Saint-Nazaire sous deux formes. D’abord comme gare de transport de marchandises puisqu’elle est grande importatrice de charbon arrivant dans le port. Ensuite comme gare de transport de voyageurs avec un fret croissant depuis l’ouverture de la ligne reliant Paris à Saint-Nazaire via Orléans et Nantes. Pour accueillir ces premiers voyageurs, un bâtiment provisoire en bois est édifié dès l’ouverture de la ligne et fait office de gare. Celui-ci laisse la place à un bâtiment définitif construit en 1865 et 1866 d’après des plans des ingénieurs des Ponts et Chaussées qui s’inspirent d’un modèle simplifié des gares haussmanniennes de Paris. Car il s’agit alors de donner à cette gare de voyageurs le reflet de son importance symbolique et réelle à travers son architecture. Elle exerce une triple fonction. JANVIER-FÉVRIER 2016 | PLACE PUBLIQUE | 41


AILLEURS 3 La nouvelle halle de la gare King’s Cross à Londres est mise en avant comme l’icône du renouveau des infrasctuctures ferroviaires anglaises.


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Entre Europe et Chine, des gares insolites au carrefour des mondes RÉSUMÉ > Nouvellement bâties ou réaménagées, les gares européennes s’inscrivent dans un projet urbain travaillé et incarnent de nouvelles valeurs où chacun bâtit sa propre mobilité, son temps. À l’autre bout d’un autre continent, en Chine, les gares restent d’abord des lieux de connexion, au gigantisme assumé. Il ne s’agit pas de traîner, mais d’attraper un train.

TEXTE > CRISTIANA MAZZONI, LIONEL DEBUS, ALI MAHFOUD ET LANG FAN Arrivé à destination dans l’une des gares récemment réaménagées pour accueillir la grande vitesse, il est rare de rester insensible à sa nouvelle spatialité éclatée, aux matériaux, couleurs, lignes déployés, à ses ambiances insolites, mélange de flux anonymes et de singularités possibles. Gares insolites au sens d’inhabituelles, étonnantes sinon extraordinaires, compte-tenu des usages qui s’étaient installés dans ces types de bâtiments, en Europe, à partir de l’entredeux-guerres et jusqu’aux années 1980. En effet, par définition, la grande gare urbaine fait partie de ces objets qui impactent la ville et ses habitants en profondeur. Aujourd’hui, comme il y a un siècle et demi, elle renoue avec les grands enjeux sociétaux de son temps. En cela, la gare contemporaine cristallise en essence comme en substance, si ce n’est le Zeitgeist1 du 21e siècle, au moins les changements paradigmatiques qui caractérisent nos sociétés urbaines, à la rencontre de différents mondes culturels. On sait qu’installée bien souvent en lieu et place des anciens remparts, ou en limite de la ville historique,

CRISTIANA MAZZONI est architecte-urbaniste et professeur à l’École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg où elle dirige le laboratoire Architecture, morphologie, morphogenèse urbaine et projet (Amup). Elle est co-responsable scientifique de la Chaire franco-chinoise de Mobilités métropolitaines innovantes qui associe l’Ensa de Strasbourg, l’Université de Tongji à Shanghai et le groupe Systra. LIONEL DEBUS et ALI MAHFOUD sont architectes-urbanistes, LANG FAN est architecte. Ils sont doctorants au laboratoire Amup.

1. Soit « l’Esprit du temps ».

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Place Publique

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LA CARTE ET LE TERRITOIRE


LA CARTE ET LE TERRITOIRE | LE MAILLAGE DE LA LOIRE-ATLANTIQUE : TOUT A BOUGÉ, RIEN N’A CHANGÉ

Le maillage de la Loire-Atlantique : tout a bougé, rien n’a changé

RÉSUMÉ > Plus de deux cents ans après la création du département, les hiérarchies urbaines installées après la Révolution n’ont guère été modifiées. Même si la montée en puissance de Nantes et l’urbanisation du littoral ont apporté quelques retouches.

TEXTE > HUGUES ARCHAMBEAUD

HUGUES ARCHAMBEAUD est directeur prospective du département de LoireAtlantique.

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À sa création après la Révolution, le Département de Loire-Atlantique comptait moins de 400 000 habitants. Ce nombre n’a cessé de progresser mais il a fallu cent cinquante ans pour que le double soit atteint. Et vingt-cinq ans de plus pour dépasser le million d’habitants. Cette progression s’est encore accélérée à l’aube des années 2000, avec un gain d’environ 14 000 habitants chaque année. Pourtant, dès le premier découpage en neuf districts de 1790, on voit apparaître une hiérarchie urbaine qui n’est pas très différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. Les grandes et petites villes qui ancrent le territoire assurent déjà leur rôle et l’expansion industrielle va respecter la hiérarchie existante, que ce soit à Nantes ou Châteaubriant, Ancenis, Clisson et Guérande. La seule exception est le développement de Saint-Nazaire aux dépens notamment de Paimboeuf qui finit par perdre sa fonction de sous-préfecture.


LE MAILLAGE DE LA LOIRE-ATLANTIQUE : TOUT A BOUGÉ, RIEN N’A CHANGÉ | LA CARTE ET LE TERRITOIRE

du

Département

Ille et Vilaine

Districts de Loire-Inférieure définis en 1790

Fercé Ruffigné

Derval

Avessac

Jans

Nozay

Plessé Le Gâvre

St-Gildasdes-Bois

Guenrouet

Missillac

La Chapelledes-Marais

St-Molf

Piriacsur-Mer

StLyphard

La Turballe

Campbon

Crossac

Batzsur-Mer

Le Pouliguen

Bouvron

St-Malode-Guersac

Trignac

La BauleEscoublac

La ChapellePrinquiau Launay

Donges

LavausurLoire Bouée

St-Nazaire

Paimboeuf

Pornichet Corsept St-Brévinles-Pins

TranssurErdre

Le Templede-Bretagne Cordemais

Frossay

Treillières

Sautron

La ChapellesurErdre

Orvault

Couëron

Océan Atlantique

La Plainesur-Mer Préfailles

Chauvé

10

20 km

Les Moutiersen-Retz

St-Hilairede-Chaléons

Bourgneufen-Retz

Découpage en districts de Février 1790

Brains PortSt-Père

Cheméré

Pornic La Bernerieen-Retz

0

Rouans

ArthonenRetz

Fresnayen-Retz

StePazanne

St-Mêmele-Tenu

Cette organisation va perdurer après la Deuxième Guerre mondiale, malgré la concentration urbaine assez vive vers le pôle nantais. Mais cet exode rural va faire craindre l’affaiblissement des communes rurales et amener une méfiance réciproque entre ville et campagne qui avaient peu de relations jusque-là. C’est ce qui a conduit le Comité d’expansion de LoireAtlantique et Vendée à confier au début des années soixante à Robert Caillot, du centre d’études Économie et Humanisme de Lyon, la rédaction d’un rapport sur l’avenir de ces départements.

Indre La Montagne

St-Légerles-Vignes

Bouaye

Rezé

Bouguenais

St-AignanGrandlieu

St-Marsde-Coutais

Mésanger

Ancenis

Les Sorinières

Le Bignon

StColomban

Le Cellier

Le LorouxBottereau

St-Herblon

La ChapelleSt-Sauveur

Varades

Anetz

Montrelais Le Fresnesur-Loire

La BoissièreLa du-Doré Remaudière

Le Landreau La Regrippière Vallet

Maisdon- Monnières sur-Sèvre Gorges

Maine et Loire

Mouzillon

Clisson

Montbert

Belligné

La Rouxière

La ChapelleBasseBarbechat Mer

La La Haie- ChapelleFouassière Heulin St-FiacreLe Pallet sur-Maine

ChâteauThébaud

StGéréon

Oudon

Maumusson

La RocheBlanche

MauvessurLoire

ThouaréSte- sur-Loire Lucesur-Loire St-Juliende-Concelles BasseSt- Goulaine Sébastiensur-Loire HauteGoulaine

PontSt-Martin

Geneston St-Philbertde-Grand-Lieu

Carquefou

Vertou

La Chevrolière

St-Luminede-Coutais

PouilléLesCôteaux

AigrefeuilleSt-Luminesurde-Clisson Maine St-Hilairede-Clisson Remouillé

Gétigné Boussay

La Planche

Machecoul

La Marne

Paulx

Cartographie © Avril 2013 Réalisation : Service cartes et données Fonds de carte : BD Carto ® IGN Source des données : "La Loire-Atlantique des origines à nos jours" Fabrice ABBAD (Dir.), Editions Bordessoules, 1984

Pannecé Teillé

Ligné

St-Marsdu-Désert

Nantes

St-Herblain Cheixen-Retz

Petit-Mars

Sucé-surErdre

St-Jeande-Boiseau

Le Pellerin

Vue

St-MichelChef-Chef

St-Marsla-Jaille

Les Touches

Couffé Grandchampsdes-Fontaines

Vigneux-deBretagne

St-Etiennede-Montluc

St-Viaud

St-Pèreen-Retz

Bonnoeuvre

Mouzeil Casson

NotreDamedes-Landes

Malville

Vritz

St-Sulpicedes-Landes

Riaillé

Joué-sur-Erdre

Héric Fay-deBretagne

Savenay

MontoirdeBretagne

Le Pin GrandAuverné

Saffré

Nort-surErdre

St-Joachim

St-Andrédes-Eaux

Puceul

La Chevallerais

Blain

Quilly Ste-Annesur-Brivet

Pontchâteau

Besné

Guérande Le Croisic

Dréfféac

Ste-Reinede-Bretagne

La Grigonnais

La ChapelleGlain

PetitAuverné

La MeillerayedeBretagne

Abbaretz

Vay

Herbignac

JuignédesMoutiers

Erbray

Moisdonla-Rivière

Issé

Treffieux

§

St-Juliende-Vouvantes

Marsacsur-Don

Sévérac

Assérac

Louisfert

St-Vincentdes-Landes

Guémené Penfao

Fégréac

Mesquer

Soudan

St-Aubindes-Châteaux Lusanger

Conquereuil

StNicolasdeRedon

Villepôt

Châteaubriant

Mouais Pierric

Massérac

NoyalsurBrutz

Rougé

Sion-les-Mines

Morbihan

Mayenne

Soulvache

St-EtiennedeMer-Morte

Touvois

La Limouzinière

Corcoué-sur-Logne

Vieillevigne

Legé

Vendée

Si ce rapport a été enterré par ses commanditaires, il est remarquable de noter son étonnante modernité puisqu’il fixait déjà comme objectif de « réaliser le développement harmonieux des zones urbaines et rurales en faisant du “réseau urbain” hiérarchisé l’armature même du monde rural, et non son succédané. » Il incitait à infléchir les tendances à l’œuvre en structurant un maillage urbain, « conçu comme le moyen de diffusion de tous les avantages sociaux, culturels et économiques de la civilisation moderne. Dès lors, chaque ville, suivant la fonction (intercommunale, JANVIER-FÉVRIER 2016 | PLACE PUBLIQUE | 61


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LES FORMES DE LA VILLE


LES FORMES DE LA VILLE | PLACE VIARME, DE LA FOIRE À BESTIAUX À LA BROCANTE DU SAMEDI

Place Viarme, de la foire à bestiaux à la brocante du samedi TEXTE > RAïANE BAS

RAïANE BAS est archiviste à l’Auran, l’Agence d’urbanisme de la région nantaise.

Comprendre l’agencement de la place Viarme, c’est avant tout se plonger dans son histoire. Pour cela, faisons un bond en arrière. Nous sommes au 16e siècle. Le site est alors occupé par des fortifications et des fossés. Le but ? Protéger les quartiers du Marchix (actuels quartiers des places Viarme et Bretagne) et du Bourgneuf. Cependant, d’autres projets se profilent pour la ville. Exit donc la fonction défensive ! Les édifices dédiés sont abandonnés. Des travaux de comblement et d’aplanissement sont menés en 1752 par l’intendant Pointcarré de Viarme dont le nom sera par la suite donné à la place. D’abord triangulaire ; elle est bordée par des maisons sur un côté et des jardins maraîchers sur les autres. Cet aménagement lui vaudra le nom de « place des agriculteurs » durant la Révolution française, appellation qui sera renforcée par l’organisation de foires à bestiaux, à grains et à légumes au cours de cette même période. Cette nouvelle fonction entraîne quelques changements notamment en termes de vie et d’animation. Des cafés et artisans, permanents ou non, s’installent sur la place et près d’une quarantaine d’auberges et cabarets la composent désormais. Néanmoins, cette agitation n’est vraie que les jours de marchés. En dehors, la place apparaît vaste et du coup bien vide limitant ainsi les contacts humains. En effet, n’étant pas située dans le centre de la ville mais en zone périphérique, au Marchix, l’un des quartiers les plus anciens de Nantes

66 | PLACE PUBLIQUE | JANVIER-FÉVRIER 2016

et les plus populaires, la place n’a pas pour objectif d’être belle mais d’être utile. De fait, aucun travaux d’embellissement n’a été prévu à l’époque. De 1830 à 1875, Viarme devient même la place des exécutions des condamnés à mort. Finalement, seul le monument commémorant l’exécution du général vendéen de Charrette en mars 1796 orne le site, faisant de lui un lieu de mémoire au 19e siècle. Au cours du 20e siècle, la foire à bestiaux tend à disparaître progressivement du fait de l’arrivée de l’automobile. En matière d’urbanisme, les choses changent également. Des travaux d’agrandissement et de rectification de ses bords sont conduits au début de ce siècle. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, elle sera également fortement touchée. Toutefois, seule la partie sud de la place sera concernée par le plan d’aménagement et de reconstruction de 1945. Au cours des années 2000, Viarme change de visage. Des immeubles de bureaux, des commerces et des logements sont notamment construits en lieu et place de la Caisse d’allocation familiale dont le bâtiment, sorti de terre en 1956, était jusqu’alors le seul édifice public de la place. Ces mêmes années marquent également l’apparition du tramway dont la ligne longe aujourd’hui le parking qui abrite dorénavant les brocantes du samedi matin en plus d’une grande brocante annuelle. Ces jours où la place renoue avec cette animation qui finalement, ne l’a jamais vraiment quittée. n


La place Viarme a reçu son nom de l’intendant qui a mené des travaux de comblement et d’aplanissement au 18e siècle : elle accueille des foires à bestiaux jusqu’au 20e. © Archives de Nantes

La brocante du samedi matin, de part et d’autre de la ligne de tramway, redonne vie à la place. © Cédric Robergeaud


PATRIMOINE

69 Maurice Digo Un Nantais dans la Grande guerre 72 Nicolas de La Casinière À sec le lac ! PORTFOLIO 74 Thierry Mazerette Les Roms de Rezé


MAURICE DIGO, UN NANTAIS DANS LA GRANDE GUERRE | PATRIMOINE

MAURICE DIGO, UN NANTAIS DANS LA GRANDE GUERRE

« S’arracher à la famille et repartir, les yeux secs, à l’abattoir » Dimanche 9 janvier1916 : Messe matinale avec Gustave (jour de communion des enfants). L’après-midi grande promenade dans le bois de Plaimont, la vieille tour de Vaudémont, le Signal. Un vent rapide comme le vent de mer pousse vers le sud, un splendide décor de nuages, le paysage un peu triste est profondément émouvant. Visité au retour l’église Saint-Gengoult. Après les pénible heures de Champagne, je n’arrive pas à satisfaire ma fringale de mouvement en liberté. J’entraîne Gustave dans le clocher de Saint-Gengoult ensuite nous escaladons les ruines romaines de la Tour Brunehaut, nous dévalons les pentes et grimpons aux arbres. Dîner dans une petite auberge de Vaudémont et retour à la nuit.

RÉSUMÉ >  Nous poursuivons la publication des carnets de guerre du Nantais Maurice Digo, tout juste un siècle après leur rédaction, mois pour mois. Après une permission à Nantes, le soldat Digo rejoint son régiment. Un mot est sur toutes les lèvres, Verdun. Ces passages ont été sélectionnés par Véronique Guitton et Delphine Gillardin, des Archives municipales de Nantes où est conservé le manuscrit.

Lundi 10 janvier : Proposé pour « Caporal ». Je refuse. Avec le capitaine Cochin, jeux toute la journée. Barre et ballon. Mercredi 12 janvier : Tir sur la colline. Marche par la ferme Florentin, La Cense rouge, Forcelles-sous-Guigney, They, Vaudémont, Sion. Les villages sont sales, les façades des maisons masquées par d’énormes tas de fumier dont l’importance indique le niveau financier de la ferme. Par contre, les cultures sont parfaitement entretenues. Dimanche 16 janvier : Départ à nouveau au petit jour. Arrêt à Neufchâteau qui doit héberger un gros état-major ou un QG car une importante garde de police nous bloque dans la gare d’où il est impossible de sortir. JANVIER-FÉVRIER 2016 | PLACE PUBLIQUE | 69


PORTFOLIO | PHOTOGRAPHIE

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Les roms de Rezé PHOTOS > THIERRY MÉZERETTE

Chaque caravane abrite de trois à quatre personnes.

Les sablières de Trentemoult ont cessé leur activité fin 2011. C’est courant 2013 que les premières familles roms se sont installées sur le terrain. Le campement compte aujourd’hui une cinquantaine de caravanes.


SIGNES DES TEMPS

80

Bloc-notes de Franck Renaud

82

Critiques de livres

100

Expositions par Danielle Robert-Guédon

104

La chronique de Cécile Arnoux

107

La chronique de Stéphane Sacchi

108

L’architecture, deux ou trois choses que je sais d’elle par Jean-Louis Violeau


SIGNES DES TEMPS | BLOC-NOTES

LE BLOC-NOTES FRANCK RENAUD directeur de Place publique

Avant, après et un monde ouvert aux autres

V «

OICI UNE DOCTE ASSEMBLÉE qui se salue en français, en anglais et, si l’on tend l’oreille, dans quelques autres langues. Chacun écoute poliment les discours de bienvenue depuis l’étage de l’Institut d’études avancées (IEA) de Nantes perché en bord de Loire, là où autrefois se dressait une rugueuse tribune de béton du stade Marcel-Saupin. Samuel Jubé, le directeur, présente la huitième promotion de chercheurs résidents dans ce lieu « conçu dès l’origine comme un lieu à part ». Ils arrivent d’Argentine, du Sénégal, d’Allemagne, de Palestine, des États-Unis, d’Inde, d’Afrique du Sud, de Tunisie, du Pakistan… et de France. Ils s’installent à Nantes pour quelques mois afin d’y réfléchir à un projet de recherche. Réfléchir, mais pas seulement. Partager, aussi. Partager surtout, puisque c’est en quelque sorte la seule obligation à laquelle est soumise cette trentaine d’universitaires – et quelques artistes – brillants : partager leurs interrogations avec leurs collègues, partager le cheminement de leur réflexion, partager un intérêt pour l’autre. n

Réfléchir, mais pas seulement. Partager aussi. »

LES PAGES DE L’ANNUAIRE édité pour l’occasion tracent des parcours éclectiques et des recherches inscrites dans le tumulte de l’Histoire et des sciences, de toutes les sciences. Andreas Eckert, de l’université Humbolt de Berlin, s’intéresse à « Connecter les histoires du travail et du non-travail. L’histoire du travail en Afrique dans une perspective globale. » Viren Murthy, de l’université du Wisconsin, se penche sur « Le pan-asianisme et le casse-tête de la modernité postcoloniale ». Radhika Singha, de l’université Jawaharlal Nehru en Inde, travaille sur « Retour au pays : les leçons de la Grande Guerre pour les soldats et travailleurs indiens »…

n LE MONDE ET SA COMPLEXITÉ (se) croisent à Nantes et les mondes de demain et aprèsdemain s’y esquissent. Les conversations se nouent autour du buffet. Discussion avec un ancien résident : « Mon séjour m’a aussi permis de mesurer mon ignorance ». Le vertige de l’humilité. Les mots employés par Samuel Jubé s’incarnent dans les propos échangés avec les uns et les autres : l’Institut d’études avancées se veut « soumis à une autre loi que celle de la compétition ». La seule loi qui vaille ici, « celle de l’écoute et du dialogue ». n J’OUVRE UNE DERNIÈRE FOIS l’Annuaire 20152016 des résidents de l’IEA et tombe sur la présentation de Sudhir Chandra, historien de l’université de Mizoram en Inde. L’intitulé de son projet : « Au-delà de la modernité : religion, culture, nation et le rêve de non-violence ». Nous étions alors le 3 novembre 2015 en compagnie d’hommes – et de quelques femmes, encore un effort pour la parité… – qui croient toujours au progrès de l’humanité par la connaissance. n

82 | PLACE PUBLIQUE | JANVIER-FÉVRIER 2016


SIGNES DES TEMPS | LIVRES

QUESTIONS URBAINES

De l’épuisement des territoires et du capitalisme en réseaux QUESTIONS URBAINES 84 86 87

Martin Vanier, Demain les territoires. Capitalisme réticulaire et espace politique Marie-Pierre Lefeuvre (direction), Faire métropole, de nouvelles règles du jeu ? Revue 303 arts, recherches, créations n° 138

HISTOIRE 88 90

Henri Charpentier, Noël Vandernotte. Aurélien Lignereux, Chouans et Vendéens contre l’Empire. 1815.

LITTÉRATURE 91 92 93 94 94 94 95

Yan Gauchard, Le cas Annunziato

95

Guy Lorant, À Dieu ne plaise

Jean-Loup Trassard, L’exodiaire Jules Verne, Les voyageurs du XIXe siècle Sylvain Coher, Trois cantates policières Teodoro Gilabert, La mort en beauté

Traduire la vie, Meeting n° 13 Des élèves du lycée Alfred-Nobel de Clichy-sous-Bois avec Tanguy Viel, Autour il y a les

arbres et le ciel magnifique…

DANSE 96

Claude Brumachon, Benjamin Lamarche. 25 ans de danse au Centre chorégraphique national

AUTOBIOGRAPHIE 98 99

NOUS AVONS REÇU

84 | PLACE PUBLIQUE | JANVIER-FÉVRIER 2016

« La bataille des clouds, c’est-à-dire des standards et des réseaux de stockage numérique globalisé, surplombe la vieille bataille des territoires » : voilà un extrait qui peut légender le dernier ouvrage de Martin Vanier, géographe associant à sa connaissance pratique et théorique des territoires une réflexion, ici, sur la portée des entreprises de réseau et les manières envisageables de les réguler. S’il est un auteur associé à la question territoriale voire aux « sciences du territoire » (qui ne se limitent pas à la géographie) en France, c’est bien Vanier, sur les deux fronts du travail académique et de la consultance. Cet ouvrage peut, de prime abord, surprendre puisqu’il nous invite quasiment à quitter ce paradigme, du moins à le dépasser. Les lecteurs attentifs se souviendront toutefois du livre collectif qu’il avait dirigé, paru en 2009, et qui, sous le titre Territoires, territorialité, territorialisation. Controverses et perspectives (Presses universitaires de Rennes). Il y questionnait les ressources théoriques contemporaines d’une notion qu’il fallait tantôt augmenter, tantôt déborder mais qui invitait les jeunes chercheurs à en faire une prospective décomplexée incluant l’hypothèse de l’obsolescence de la notion. Ici, dans un essai très clair et dont il faut recommander la lecture à l’ensemble des élus de tous les échelons d’administration constituant la res publica, l’auteur continue certes de réfléchir en compagnie de collègues des sciences de l’espace social, mais il cherche de nouvelles voies en articulant trois registres de réflexion : l’un relatif à la démocratie (et à la promesse d’une république des réseaux), l’autre à l’action publique et un dernier en rapport à la pensée aménagiste (dont il faut plus que jamais se féliciter qu’elle se théorise à nouveaux frais).


LIVRES | SIGNES DES TEMPS

Des territoires surjoués

Le premier acte du livre cerne « le grand débordement » des territoires en montrant à quel point des notions qui lui sont liées comme une identité collective spécifique, une solidarité interne au groupe qui l’occupe et un ensemble cohérent de ressources pour ceux qui l’habitent ne tiennent plus solidement. Plusieurs exemples viennent étayer cet essoufflement et accréditent l’idée que les territoires sont aujourd’hui très largement surjoués. Aussi « les territoires étaient la promesse aux sociétés locales de les faire “tenir ensemble”, notamment par l’offre de services d’intérêt collectif. C’est désormais aux réseaux de relayer la responsabilité de la solidarité » (p. 52). L’égalité des territoires, bannière retenue pour fondre les ex-Délégations interministérielles à la ville (Div) et Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar), est à ce titre épinglée comme un mythe fondateur impropre à décliner des actions en mesure de « rééquilibrer » – souvenons-nous de cet âge d’or de l’aménagement du territoire dans la foulée de la pensée de Jean-François Gravier. Deuxième acte, Vanier insiste sur l’épuisement du rapport entre politique et territoire après plus de trente ans de décentralisation qui semble aujourd’hui « tourner en rond ». Cela concerne d’abord la quête régulière de « la bonne taille », celle de l’optimum territorial qui donne plutôt l’image d’une action publique qui serait toujours « à la traîne » des acteurs économiques et des habitants partis ailleurs, plus loin, sans attendre de certificat de résidence ou d’autorisation d’établissement ! Évidemment, la réforme des périmètres des régions est ici vue comme sans intérêt et l’auteur montre bien que les systèmes d’action collective ne peuvent être régulés que par des réseaux d’acteurs et d’alliances qui n’ont souvent pas de problème avec la discontinuité géographique. Cela concerne ensuite l’injonction à la simplification du « millefeuille territorial », quand bien même ce qui se réalise sous cette injonction n’a généralement rien d’économe. L’inter-territorialité verticale, c’est-à-dire la coopération entre différents échelons territoriaux, reste aux portes des pratiques, comme les conférences territoriales d’action publique incluses dans la loi Maptam (Modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles) auxquelles les élus préfèrent des « territoires autonomes ». Cela concerne enfin la compensation dont le géographe montre que le territoire joue désormais un rôle très à la marge dans les processus de redistribution. Dans la foulée des travaux de Laurent Davezies1, Vanier rappelle ainsi que « les droits sociaux pèsent quarante fois plus lourd dans l’effort national que les droits territoriaux » (p. 96). Selon lui, ces trois figures d’épuisement précipitent dans un essoufflement de la participation démocratique.

Le troisième acte fait alors logiquement route vers la puissance du capitalisme réticulaire. Introduisant la réflexion de manière plus référencée que les temps précédents, l’enjeu est d’abord de bien différencier réseaux d’infrastructure et réseaux d’organisation puis de distinguer les parts de socialisation et de marchandisation dont les réseaux sont l’objet. L’un des grands intérêts de cette partie tient à l’identification de phases (marchandisation, socialisation) qui est plus percutante que celle de domaines étanches que seraient le public et le privé : « Toute l’histoire du capitalisme réticulaire se lit dans un jeu permanent entre phases de marchandisation de domaines de services de masse, par leurs infrastructures et/ou leurs organisations, et phases de socialisation des pertes ou de (re) conquête favorable à l’économie sociale et solidaire » (p. 115). Les pages qui suivent sont très utiles à la connaissance plus tangible des opérateurs de réseaux, à leurs présences et stratégies sur les territoires. Les oligopoles de l’eau et des transports sont ainsi présentés, certes déjà abordés par d’autres chercheurs mais ici remis en perspective avec les nouveaux marchés du durable notamment. Les entreprises de réseau, ex-monopoles de l’État (La Poste, SNCF, EDF), apparaissent quant à elles au cœur des injonctions contradictoires contemporaines et les discours à leur sujet sont presque toujours des plus caricaturaux. On aboutit en somme à cette idée double du discrédit politique des territoires et de l’anesthésie politique des réseaux.

Réimpliquer les citoyens

Il faut alors une dernière partie pour proposer une utopie concrète : elle met en avant le principe de l’hybridation et ce à différents niveaux d’organisation. Il est d’abord question de l’enjeu démocratique que représente la démocratie contributive qui peut venir s’hybrider avec les deux autres démocraties que sont la représentative et la participative. Vanier sait bien que le capitalisme peut digérer des pratiques contributives qui tablent sur des solidarités de petite échelle. Il évoque rapidement le fait que les réseaux ne développent pas spontanément une personnalité politique. Selon lui, les biens communs (une notion en plein redéploiement) appellent précisément à une ré-articulation entre territoires et réseaux. La démocratie contributive revient à une révolution anthropologique qui consiste à faire des pratiques démocratiques des productions de solutions. Dans le prolongement, il s’agit de conférer aux citoyens de nouveaux droits politiques qui s’incarneraient dans des scrutins 1. Voir à ce sujet la critique de l’essai de Laurent Davezies Le nouvel égoïsme territorial. Le grand malaise des nations, Seuil, 2015, dans Place publique Nantes/Saint-Nazaire n°51, mai-juin 2015 et encore celle de La République et ses territoires. La circulation invisible des richesses, Seuil-La République des idées, 2008, dans Place publique Nantes/Saint-Nazaire n°8, mars-avril 2008.

JANVIER-FÉVRIER 2016 | PLACE PUBLIQUE | 85


SIGNES DES TEMPS | LIVRES

HISTOIRE d’autres mouvements. On songe par exemple aux parentés entre le critical design et le surréalisme voire le situationnisme. Actualisons l’enjeu : le détournement en novembre 2015 de 600 affiches publicitaires par le mouvement Brandalism (néologisme créé par la contraction du branding et du vandalisme) dans les rues de Paris à l’occasion de la Cop 21 est une très intéressante performance qui n’aurait pas déplu aux complices Hans Haacke et Pierre Bourdieu concernant les manières de porter la critique au système politicoéconomique… Un autre texte général (Pierre Litzler) trace les évolutions du design vers l’attitude, une philosophie en prise avec la vie quotidienne mais aussi vers la production utopique : « Le concepteur pourrait alors revendiquer le factice, la fable et le scénario comme des dispositifs pour modeler et transformer la vision présente et envisager l’utopie ». Du côté des éclairages plus spécifiques, on trouve pêle-mêle un récit de l’agence de béton fibré installée à Montreuil-Juigné, la manière dont le design a pu transformer un lieu patrimonial comme l’abbaye de Fontevraud, un retour sur l’expérience d’enseignement à l’École de design Nantes Atlantique (où l’on voit les intérêts et limites d’une visée de formation d’hybrides managers-créatifs-techniciens, où l’on voit le contraste des parcours et les risques pour ceux qui ne parviennent pas à « infiltrer des réseaux » ou à développer suffisamment de charisme) ou à l’École des beaux arts du Mans (master design sonore), le récit d’un composteur implanté dans le quartier Malakoff et pensé par l’agence Faltazi (tout contre les institutions publiques plutôt qu’en contre d’ailleurs…), mais encore le positionnement de l’agence d’architecture Fichtre ou celui de la plateforme régionale d’innovation Design’In dirigée par Olivier Ryckewaert. Un autre « coup de sonde » est à mentionner qui esquisse une comparaison intéressante entre les tuners et les makers : deux rapports distincts à l’esthétique, à la transformation des choses mais un intérêt commun pour le do it yourself et l’indice de possibles rapprochements au-delà d’univers culturels très contrastés (renvoyons, pour la réhabilitation du monde du tuning au petit ouvrage de Stéphanie Maurice, La passion du tuning aux éditions du Seuil). Retenons pour terminer l’enjeu de « la réappropriation nécessaire du monde matériel » évoquée par Julie Gayral pour situer un numéro dans lequel les lecteurs trouveront bien des ressources pour à la fois historiciser et relativiser les portées du design. Que ce numéro soit en outre « richement illustré » n’est pas pour déplaire et relève d’une accointance entre fond et forme qui est précisément l’un des points cardinaux du design. n LAURENT DEVISME Revue 303 arts, recherches, créations n° 138, Design, 15 €.

88 | PLACE PUBLIQUE | JANVIER-FÉVRIER 2016

Vandernotte, une biographie tombe à l’eau

L’enthousiasme ! Quand le comité de rédaction de Place publique a appris la publication de la biographie du Nantais Noël Vandernotte, rameur et plus jeune médaillé de l’histoire olympique, l’idée surgit très vite d’en rendre compte, de publier en complément un article sur le héros, ou bien encore un entretien avec lui, puisque, bon pied bon œil, il vit aujourd’hui en Provence : j’avais découvert l’histoire du personnage en travaillant au Dictionnaire de Nantes. Notre revue travaillant sérieusement, la première étape était donc de lire l’ouvrage. Et ce compte rendu explique pourquoi, au final, nous ne publierons ni article, ni entretien. Il ne m’est jamais arrivé de connaître une telle désillusion. Passons, car là n’est pas l’essentiel, sur la médiocrité du livre, visiblement écrit bien trop vite, ce qui explique quelques erreurs suffisamment grossières pour jeter un doute sur l’ensemble. Passons sur une construction étonnante, qui conduit l’auteur à replacer un dossier qu’il a déjà plusieurs fois traité auparavant, l’histoire de l’olympisme


LIVRES | SIGNES DES TEMPS

avant 1936, ce qui nous vaut six chapitres qui n’ont vraiment rien à voir avec le sujet, l’ami Vandernotte. Difficile en revanche de passer sur un choix d’écriture absurde : l’auteur écrit à la première personne, comme s’il était Vandernotte, si bien qu’il est impossible de savoir si les multiples appréciations ou jugements de valeur émanent de lui ou représentent l’opinion du héros, sans compter que les multiples compliments appuyés passent évidemment très mal quand ils semblent formulés par celui qui en est l’objet. Il reste, quand même, un magnifique sujet : l’histoire d’un tout jeune homme pratiquant l’aviron, médaillé aux Jeux olympiques de Berlin en 1936, puis résistant à Nantes. Deux angles déjà très séduisants, auquel s’ajoute un troisième, bien moins mis en valeur mais sur lequel l’ouvrage livre des éléments qui renvoient à l’histoire du sport et de l’olympisme en général, sans rapport avec la situation actuelle. Double médaillé olympique en tant que barreur, le jeune Vandernotte quitte en effet l’école très tôt pour contribuer à la vie d’une famille très modeste et éprouvée – la mère passe les sept dernières années de sa vie, à partir de 1936, dans le service psychiatrique de l’hôpital Saint-Jacques. Il est donc médaillé et ouvrier… Les Jeux, il les vit à l’âge de 12 ans et demi, et ce qui nous en est rapporté, disons-le clairement, n’a pas grand intérêt. Ici tout particulièrement, nous souffrons en effet de la confusion entre points de vue et apports de l’auteur et témoignages du gamin. Une confusion qui aggrave beaucoup la faiblesse classique de ce genre de souvenirs qui mêlent, en toute bonne foi, traces de ce qui a été vécu près de quatre-vingts ans plus tôt et influence de réflexions et de lectures bien postérieures. N’était le mythe qui entoure les Jeux de Berlin, ne resteraient sans doute que des anecdotes qui ne s’inventent pas : l’embarcation qui arrive à Berlin avec huit jours de retard et donc presque à la veille des épreuves et, surtout, cette remise des médailles ratée, puisqu’elle a lieu en l’absence des récipiendaires qui n’ont pas songé à en demander le moment précis, et que personne dans la délégation française n’a songé à prévenir… Jusque-là donc, une histoire très surfaite, mais qui peut se lire avec sympathie, et même une grande indulgence pour son héros.

Des erreurs historiques

Arrivent alors les cinq chapitres consacrés à la Seconde Guerre mondiale et aux activités de résistant du héros. Là, le livre n’est plus seulement médiocre, il est scandaleux. Passe, en effet – et c’est banal – qu’un nonagénaire commette quelques erreurs dans le récit de ses souvenirs. Mais que l’auteur, présenté comme un journaliste émérite, n’exerce pas le moindre esprit critique, sur un sujet comme celui-là, nous semble inexcusable. Illustrons d’un

simple exemple. Il nous est expliqué que le héros participe à la résistance au sein de l’Armée secrète du général Audibert, et le propos est illustré de la photographie de la plaque apposée sur l’immeuble où ont lieu les réunions, 49, chaussée de la Madeleine à Nantes, avec légende qui étaye le discours. Nous sommes à l’automne 1940 (le héros quitte Nantes en janvier 1941). Le seul « petit » problème est que l’Armée secrète d’Audibert est créée en 1942, ce que rappelle d’ailleurs la plaque photographiée. L’invraisemblance est criante dans ce cas précis, mais le récit est semé de bien d’autres… Le père de Noël, Henri, a bien été un résistant, déporté à ce titre. Noël a très certainement fréquenté à la fin de 1940 un milieu hostile à l’occupant, a – nous n’avons aucune raison de le mettre en doute – porté des messages, peut-être participé à des réunions (même si les précisions fournies laissent un doute important), vu accueillir chez lui des gens de passage qu’on peut supposer être des soldats alliés évadés (encore que la seule référence précise renvoie à un « déserteur anglais » qui laisse perplexe). C’est sans doute beaucoup, mais c’est tout : après son départ de Nantes, Noël « s’est calmé », de son propre aveu. Après le 6 juin 1944, il aurait aussitôt « contacté son réseau », mais on se demande bien quel réseau. Et, selon les propos que lui prête l’auteur, « je n’hésite pas une seconde », il s’engage dans l’armée, le 8 janvier 1945. Il serait facile, trop, d’ironiser sur la seconde la plus longue de l’histoire : peu de Français, finalement, ont fait plus que Noël Vandernotte, qui fut aussi réfractaire au STO. Cela aurait pu être l’honorable parcours d’un jeune Français certainement proche en esprit de la Résistance, et qui eut quelques actions discrètes dont chacune représentait un risque réel. Au lieu de cela, nous avons un récit ridicule, « survendu », comme l’évocation de cette visite de Feldgendarmes qui sonnent poliment à la porte de l’immeuble, font bien sûr un grand « vacarme »… pas suffisant pour réveiller les sœurs du héros, et quittent l’appartement non sans avoir aimablement discuté après avoir découvert sa participation aux Jeux de Berlin, ce qui donne un chapitre intitulé « Ma carte olympique me sauve la vie » ! Noël Vandernotte abandonne l’aviron en 1948, profondément déçu de ne pas avoir été sélectionné pour les Jeux de Londres. Et nous abandonnons ce livre, qui est parvenu à nous convaincre du presque exact contraire de ce qu’il prétend démontrer. n ALAIN CROIX Henri Charpentier, Noël Vandernotte. L’extraordinaire destin du plus jeune médaillé olympique de l’histoire, éditions Atlantica, 328 pages, 22 €.

JANVIER-FÉVRIER 2016 | PLACE PUBLIQUE | 89


SIGNES DES TEMPS | LIVRES

CULTURE

96 | PLACE PUBLIQUE | JANVIER-FÉVRIER 2016


LIVRES | SIGNES DES TEMPS

DANSE

Lamarche et Brumachon : la cérémonie des adieux

Ce livre est une célébration. De Claude Brumachon et de Benjamin Lamarche, chorégraphe et danseurs, il brosse un portrait en majesté. Avec les splendeurs et les pudeurs du genre. « Pourquoi cette belle histoire d’amour entre la compagnie Brumachon et la ville de Nantes ? Parce que Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, son fidèle compagnon de route et de cœur, ont su porter cette ville au-delà d’elle-même grâce à leur poésie chorégraphique et grâce aux liens quasi organiques qu’ils ont tissés, jour après jour, avec elle. » Dès les premières lignes de cet avant-propos joliment tourné (il est signé de Jean-Marc et de Brigitte Ayrault, mais mon petit doigt me dit que c’est « l’inconditionnelle aficionada » plus que l’ancien maire qui a tenu la plume), on saisit les enjeux du livre. Brumachon et Lamarche sont des artistes (quasi) organiques de la ville, comme jadis on parlait d’intellectuels organiques de la classe ouvrière. « Ils ont, poursuit l’avant-propos, participé à l’effervescence de cette ville en marche que nous voulions pour les Nantais. Et ils ont œuvré, pris leur part dans cet élan culturel que nous souhaitions flamboyant, politique, avant-gardiste » Retour en arrière. Jean-Marc Ayrault est élu maire de Nantes en 1989. Il use immédiatement du levier de la culture pour faire remonter la pente à une ville en crise qui, deux ans plus tôt, avait vu disparaître ses chantiers navals. Royal de Luxe arrive de Toulouse. Jean Blaise lance les Allumées. René Martin invente La Folle Journée. La Ville affrète un cargo qui, pour le cinq centième anniversaire de la découverte de l’Amérique, traverse l’océan avec une pleine cargaison d’artistes…

Ces années-là

Claude Brumachon, lui, met le pied à Nantes en 1990 et devient, deux ans plus tard, directeur du Centre chorégraphique national fraîchement créé. Yannick Guin, alors adjoint à la Culture ; Pierre Leenhardt, qui fut le directeur du développement culturel de la ville ; Jean-Louis Jossic, élu de 1989 et ultime adjoint à la Culture de Jean-Marc Ayrault nous content tous trois ces années-là qui furent des années d’exception. Non seulement on demandait aux artistes d’enchanter la ville et de porter sa réputation hors les murs. Mais on attendait d’eux qu’ils associent à leur travail des élèves de quartiers populaires ou des handicapés physiques. Il y a, dans ce livre, de beaux témoignages sur ces compagnonnages féconds. En ce début 2016, Claude Brumachon et Benjamin Lamarche quittent la direction du Centre chorégraphique et passent le relais à Ambra Senatore. Rien sans doute de surprenant au bout d’un quart de siècle. On aimerait toutefois que les choses soient dites plus clairement. Qu’on nous explique ce que Brumachon et Lamarche vont aller faire à Limoges où ils deviennent artistes associés des centres culturels municipaux. Qu’on ne se contente pas d’allusions sur « le ministère, enfermé dans un formalisme antinomique des réalités locales de la création [qui] voulait en 2012 les pousser précipitamment vers la sortie » (Jean-Louis Jossic). Il n’y a pas de raison de douter de l’avenir nantais « d’une danse à la fois exigeante et accessible » que nous promet le maire Johanna Rolland. Mais tant qu’à faire l’histoire de Brumachon-Lamarche et de Nantes, autant la faire jusqu’au bout. Seulement voilà, l’ambition du livre réside ailleurs : plutôt que d’écrire une histoire, il s’agit d’entretenir une mémoire. Et l’on s’en voudrait de gâcher cette cérémonie des adieux qu’est au fond ce bel ouvrage. Texane, Icare, Folie… chacun des nombreux spectacles fait l’objet d’une évocation prolongée par d’admirables photos. Des pairs, des admirateurs, des critiques… c’est un chœur, en somme, qui se dresse pour louer les artistes, partager un peu de l’émotion ressentie devant la vibration des corps à peu près nus. Pour élever une stèle, faite de souvenirs, aux danseurs qui s’en vont. n THIERRY GUIDET Philippe Coutant, Louisette Guibert, Benjamin Lamarche, Bernard Martin, Francis Sastre, Anttar Tehami (comité éditorial), Claude Brumachon, Benjamin Lamarche. 25 ans de danse au Centre chorégraphique national, Joca Seria/Centre chorégraphique national de Nantes, 260 pages, 25 €.

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SIGNES DES TEMPS | EXPOSITIONS

Étienne Cournault, l’éclectique prompt au merveilleux Le monde imaginaire, vers 1930 . Objet décoratif Nancy, Musée des Beaux-Arts Cliché Ville de Nancy

service militaire de 1912 à 1914. Il restera encore quatre ans sous les drapeaux à des postes relativement éloignés du conflit. Incorporé comme dessinateur à la 10e section de photographie aérienne, il doit identifier et interpréter des milliers de photos. Il dessine également pour le magazine L’Illustration et gardera de cette époque le goût du monde aérien et de sa fluidité, adoptant un certain point de vue onirique proche du surréalisme. Après la guerre il s’installe à Paris, visite de nombreuses expositions, attentif à la scène artistique de l’époque, et est séduit par le cubisme. Il apprécie dans ce mouvement l’apport de papiers collés, clous, ficelles et toutes matières étrangères incorporées à la couleur. Il adhère au mélange des genres prôné par Picasso et s’emploie comme d’autres à abolir la distinction entre arts majeurs et mineurs. Dès 1922 il expérimente la peinture sous verre1, réalisant de nombreux objets décoratifs qui séduisent plusieurs collectionneurs dont le couturier Jacques Doucet. Il s’essaie également à la technique de la fresque sur de nombreux supports et inclut dans ses œuvres du sable, des paillettes, des photographies ou des boules de verre. En collaboration avec l’orfèvre Jean Després, il réalise des bijoux, broches et pendentifs.

Avec le concours de Jean Prouvé

Dernière exposition conçue par Blandine Chavanne (co-produite avec le Musée des Beaux-arts de Nancy) avant son départ du musée en septembre dernier et dernière exposition à la Chapelle de l’Oratoire avant la poursuite des travaux d’agrandissement, La part du rêve permet de découvrir un artiste dont l’œuvre se caractérise par une recherche inventive, éclectique et empreinte de poésie. Né en 1891 à Malzéville, près de Nancy, Étienne Cournault est issu d’une famille d’artistes (son grand-père était un ami de Delacroix). Très tôt passionné par le dessin et la peinture il obtient à 20 ans le troisième prix de peinture à l’École des Beaux-arts de Nancy. La célèbre école de Nancy, fer de lance de l’art nouveau en France et dont le but est de promouvoir les arts décoratifs par l’intermédiaire des techniques les plus diverses. Étienne Cournault commence à pratiquer la gravure mais doit s’interrompre pour effectuer son 102 | PLACE PUBLIQUE | JANVIER-FÉVRIER 2016

Il fait appel à son ami d’enfance Jean Prouvé (dont le grandpère Victor Prouvé a succédé en 1904 à Émile Gallé à l’école de Nancy) pour imaginer les socles de ses objets en verre comme pour L’enfant perdue ou L’équilibriste à la poire, œuvres présentées parmi d’autres dans une grande vitrine centrale. Dans cette vitrine, Le monde imaginaire, assemblage de deux demi-sphères, est emblématique des thèmes et figures chers à Cournault : corps en apesanteur, ailes et nuages reflètent son goût du mystère et des objets inutiles. La plupart des œuvres présentées aux murs ont été réalisées entre 1925 et 1930, période pendant laquelle il participe à de nombreuses expositions et répond à des commandes. Des liens secrets s’établissent entre les œuvres, on devine de belles improvisations dues au hasard, la déformation des corps comme des étirements de danseurs. Les têtes et visages sont des puzzles ou des masques, parfois, le trait semble être fait à main levée comme pour une caresse. Pirouettes de jongleurs et acrobates. La série des graffiti, pour certains datés de 1944 à 1945, dénotent un esprit créatif qui ne se refuse rien. Cournault dessine ce qu’il a perçu sur les murs de la ville, des taches devenant des silhouettes faussement malhabiles qui peuvent, par certains côtés, faire songer à une 1. Étienne Cournault pratique deux techniques : soit il peint d’abord au revers de la plaque de verre puis en fait argenter certaines parties laissées en réserve, soit il utilise un miroir d’argent auquel il retire le tain, par grattage ou acide, pour y peindre ou y appliquer des décorations au revers.


EXPOSITIONS | SIGNES DES TEMPS

Graffiti, 1927 Eau-forte Collection particulière © DR

image de bande dessinée tel L’équilibriste à la poire. Un titre déjà donné à une œuvre en verre, indiquant bien qu’un même thème peut être travaillé de diverses manières comme Enlèvement des Sabines, à la fois peinture de 1928 et objet de verre de 1937. Fatigué, il retourne vivre en 1930 dans la maison familiale de Malzéville, dans cette maison de style mauresque construite par son grand-père, lieu magique où il a passé son enfance et sa jeunesse entre des parents érudits et fantasques, parmi de nombreuses peintures et souvenirs accumulés. Un environnement qui a certainement forgé ses dispositions à la poésie et au merveilleux. Là, il se consacre de plus en plus à la gravure et à la fresque, se rend de moins en moins souvent à Paris tout en continuant d’honorer de nombreuses commandes. Pendant toute la durée de la guerre, il

reste à Malzéville. En 1947, il épouse Marie-Antoinette Golé, mais il meurt prématurément à son domicile en 1948 à l’âge de 57 ans. Artiste inclassable, Étienne Cournault a su admirablement faire un art de la décoration sans pour autant faire de la peinture décorative. « Observer, noter la Beauté, la douceur du monde, ce n’est jamais plus que créer un cadre – un cadre à quoi ? Un décor à qui ? Décors à soi même. » Il a laissé une œuvre conséquente, fruit d’une rigueur intellectuelle qui lui a toujours fait fuir la compétition pour une solitude assumée. n DANIELLE ROBERT-GUÉDON La part du rêve, exposition présentée à la chapelle de l’Oratoire à Nantes jusqu’au 7 février 2016.

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SIGNES DES TEMPS | LA FOLLE JOURNÉE

« Donner une autre temporalité à La Folle journée » RÉSUMÉ > Joëlle Kerivin a pris la direction générale de La Folle journée, « un outil qui fonctionne bien », en septembre dernier. Elle souhaite que le festival « déborde » de son cadre en organisant d’autres rendez-vous au fil des saisons. PLACE PUBLIQUE > Qu’est-ce qui vous a incité à rejoindre La Folle journée ? JOËLLE KERIVIN > Le déclencheur, c’était que j’allais pouvoir accompagner un projet dans son évolution, avec un festival à pérenniser, à toujours améliorer. Et il y a aussi toute l’action pilotée par le Fonds de dotation pour le développement culturel, qui est abondé par les mécènes, qui permet de partager la musique classique, de la rendre accessible à tous et d’irriguer la métropole. En 2014, 10 000 personnes ont profité de ce tarif préférentiel rendu possible grâce au fonds de dotation. PLACE PUBLIQUE > Pour la deuxième fois après l’édition 2015, c’est une thématique, la nature, qui a été retenue pour cette fois… JOËLLE KERIVIN > Oui, avec une programmation assez riche, très large, qui compte 80 % de musique classique et 20 % de musiques traditionnelles, folkloriques et actuelles. La musique classique étant la base de toutes les autres musiques, il est important de ne pas s’enfermer, mais d’ouvrir au maximum. Nous continuerons d’ailleurs à ouvrir à d’autres musiques et à d’autres formats artistiques. PLACE PUBLIQUE > Quels objectifs de développement vous êtes-vous fixés ? JOËLLE KERIVIN > En matière d’accompagnement à la pratique musicale et de sensibilisation je souhaite monter des projets qui permettent de travailler avec d’autres partenaires, par exemple le conservatoire, de développer des résidences d’artistes, d’accompagner des jeunes talents, de poursuivre avec des publics dits « éloignés » ou empêchés comme avec des interventions en milieu carcéral que nous réalisons déjà, ou auprès d’handicapés. L’objet, c’est de donner une autre temporalité à La Folle journée. Elle reste un festival majeur, mais par exemple en essayant de lui donner une résonance tout au long de l’année. PLACE PUBLIQUE > Et l’international ? JOËLLE KERIVIN > Il nous faut poursuivre et pérenniser. Nous sommes présents au Japon, à Tokyo et à Nagata, en Pologne, en Russie et en 106 | PLACE PUBLIQUE | JANVIER-FÉVRIER 2016

JOËLLE KERIVIN est directrice de La Folle journée depuis septembre 2015. Elle était auparavant chargée de mission en ressources humaines pour les cadres de direction de Nantes Métropole. Elle est également présidente de l’Espace Simone de Beauvoir.

Espagne, à Bilbao. Nous sommes sollicités, ce n’est pas trop dur de continuer à développer, mais nous allons essayer de le faire en lien avec les politiques d’attractivité de la métropole. PLACE PUBLIQUE > Avez-vous fait des déçus en annonçant la fin de la nuit de la billetterie et de la longue attente devant la Cité des congrès ? JOËLLE KERIVIN > La fin de l’attente nocturne et de la nuit de la billetterie a plutôt reçu un bon accueil, avec des retours à 80 % positifs. Les interrogations venaient plutôt de personnes qui se demandaient comment ça va fonctionner : dans les faits, ça sera simple : la billetterie en ligne et la mise en vente à la Cité des congrès ouvrent au même moment [le 9 janvier]. Si on veut que La Folle journée soit accessible à tous, la première façon c’est d’offrir une billetterie en ligne. n La Folle journée, du mercredi 3 au dimanche 7 février, à la Cité des congrès et au Lieu Unique, www.follejournee.fr.


LA CHRONIQUE DE STÉPHANE SACCHI | SIGNES DES TEMPS

La vraie nature selon David Kadouch

Le Quatuor Modigliani à la conquête de nouveaux espaces

Le titre annonce déjà le thème, le ciel nuageux de la couverture nous en donne une représentation : il s’agit de « la nature ». David Kadouch nous fait également entendre, dans cet enregistrement réalisé dans la salle Gaveau, une personnalité riche et sensible. Sous les doigts du jeune pianiste, au parcours déjà impressionnant, la nature se livre dans une acoustique qui sublime son interprétation. La simplicité, la clarté, la précision et l’élégance du jeu nous transportent et nous font traverser des paysages sonores aux titres évocateurs. Kadouch rend ici hommage à la nature avec un répertoire original et plein de surprises. Le Capriccio en sib de Bach (BWV 992) et les trilles caractéristiques nous laissent percevoir, sous les doigts du pianiste le chant des oiseaux, tant la légèreté et la délicatesse du toucher sonnent de manière convaincante. Nous poursuivons cette ode à la nature avec Schumann et les Scènes de la forêt. Cette œuvre constituée d’une succession de pièces très courtes, traduit ici l’expression d’une nature à la fois contemplative et mystérieuse. L’œuvre Dans les brumes (Im Nebel) de Janácek, nous plonge dans un rêve embrumé et tourmenté. L’influence populaire n’est pas loin et nous côtoyons les dernières lueurs d’un romantisme finissant. Cette promenade musicale s’achève avec Bartók par le titre éponyme de ce disque En Plein air. Les sonorités percussives, presque animales, comme le décrira si bien Kundera (Testaments trahis), résonnent en parfait accord avec les territoires bartokiens dont les chemins sont ici magnifiquement empruntés sous les doigts du prodigieux Kadouch. Ce disque, consacré à la nature, est bien dans l’air du temps. Un air à consommer sans modération. Vous retrouverez cet artiste dans le cadre de La Folle Journée de Nantes, du 3 au février. n

La sortie de ce disque du Quatuor Modigliani est à nouveau un événement. Ce quatuor est l’un des plus demandés au monde. Il nous introduit avec ce dernier opus dans l’univers de Dvorák, Bartók et Dohnányi. Tous trois incarnent sur un demi-siècle, une musique d’Europe centrale tournée vers la modernité. Nous découvrons là trois univers sonores qui partagent une même inspiration : le rêve de l’ailleurs. Dans le quatuor à cordes n° 12 en Fa majeur (op.96) de Dvorák on retrouve les éléments caractéristiques de la culture américaine. Les quatre musiciens nous transportent dans un univers avide de conquête de nouveaux espaces. Les lignes musicales vagabondes évoqueraient presque, dans un dernier mouvement vivace ma non troppo, les chants des cowboys. Dans son quatuor n° 2 en la mineur, composé en 1915, Bartók nous confie ses angoisses, loin de ses premières inspirations populaires. Dans cette interprétation délicate nos quatre conquérants ne forment plus qu’un dans un dernier mouvement Lento qui révèle une interprétation admirable. Nous apprécions particulièrement le choix du Quatuor Modigliani de nous faire découvrir le compositeur hongrois Erno Dohnányi (ce dernier, ami de Bartók fuira le nazisme pour regagner les États-Unis). Dohnányi compose le quatuor à cordes n° 3 en 1926, une musique qui ne tourne pas totalement le dos au romantisme. Les différents caractères de l’œuvre dans les trois mouvements Allegro agitato e appassionato, Andante relogioso con variazioni et Vivace giocoso, sont parfaitement interprétés par le Quatuor Modigliani. Ainsi grâce à l’interprétation du quatuor nous pouvons appréhender la première moitié du 20e siècle de trois manières différentes ; entre rêve, angoisse et candeur. Vous retrouverez également le Quatuor Modigliani à La Folle Journée de Nantes 2016. n

David Kadouch, En Plein air, Bach, Schumann, Janácek, Bartók, Mirare.

Quatuor Modigliani, Dvorák, Bartók, Dohnányi, Mirare.

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SIGNES DES TEMPS | L’ARCHITECTURE, DEUX OU TROIS CHOSES QUE JE SAIS D’ELLE

Prendre date : les Jeunes architectes et paysagistes ligériens en 2016 JEAN-LOUIS VIOLEAU est sociologue, professeur à l’École nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais et tient désormais la chronique architecture de Place publique. Il est commissaire de l’exposition des Jeunes architectes et paysagistes ligérien (Japl), avec Amélie Chevalérias scénographe, et le soutien direct de l’Association régionale pour la diffusion et la promotion de l’architecture (Ardepa) avec Gaëlle Delhumeau.

Plongé dans la nuit électronique, il dessine. Cherche à conjuguer rigueur et intuition. Pour un « jeune architecte » (comme pour une petite entreprise), point de salut hors de ces trois qualités : une dose de rébellion (activisme et créativité), un peu de capital (social et financier) et surtout déjà du savoir-faire (économie de projets et gestion des compétences). L’expérience viendra, après – lorsqu’il ne restera plus qu’à gérer le capital ! Parce qu’un univers créatif, et l’architecture en est un, fonctionne à l’innovation, à la nouveauté, bref à l’émergence comme on dit. Lorsqu’un « jeune artiste » (de moins de dix ans de carrière) se demande comment donner envie de conduire une automobile en bois, un « jeune architecte » (de moins de 35 ans) se demande comment convaincre les habitants d’accepter la surélévation de leur immeuble… Interpréter n’est pas créer : les écoles de musique, les conservatoires, forment à l’interprétation, d’une partition, d’un rôle, tandis que les écoles d’art, et les écoles d’architecture, forment au projet, bref à la création. Créez, impératif synonyme d’inconfort, parfois même d’incompréhension. Dès lors, chacun se rassure comme il peut… Le partage est une grande ressource du lien social et partager des références et des positions communes tient chaud et éloigne un peu les angoisses et le doute propres à chaque acte de création. Après 2006 et 2011, c’est la troisième fois qu’un palmarès récompense nos meilleurs jeunes architectes ligériens. La plupart sont Nantais et ont fait leurs études à l’Ensan, l’école d’architecture. L’un d’entre eux est Sarthois, et deux équipes ont une activité à Paris et à Nantes. Qui sont donc ces Japl : une fratrie discrète à l’heure où la société se refuse au salut collectif ? Ou plus trivialement, un accélérateur de carrières à géométries variables ? C’est parce que le monde contemporain est pluriel que les entreprises de classement en deviennent d’autant plus importantes. Le pou108 | PLACE PUBLIQUE | JANVIER-FÉVRIER 2016

voir de chaque univers dépend en effet de sa capacité à imposer sa vision, ses hiérarchies et à les rendre efficaces. Pour l’architecture, c’est particulièrement crucial, souvent mal aimée alors qu’entendons-nous bien, l’architecte conçoit et construit pour les autres avec les sous des autres. Chacun sait que la valeur d’un prix s’appuie sur la qualité de son jury, composé cette fois-ci de Benjamin Avignon, architecte ; Alice Bialestowski, critique d’architecture ; Boris Bouchet, architecte ; Vincent Bouvier, paysagiste ; Fabienne Cornée, architecte ; Loïc Daubas, architecte ; Jérôme-Olivier Delb, architecte et créateur du blog « L’Abeille et l’architecte1 » ; Benoît Desvaux, directeur du Conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement de Mayenne ; Nicole Garo, architecte ; Hélène Leroy, conseillère à la DRAC ; Gaëlle Pinier, paysagiste et l’auteur de ces lignes. Chacun sait aussi que la valeur d’un prix s’appuie cumulativement sur celle des lauréats précédents, et certains ont probablement appris à connaître Avignon-Clouet, BLOCK, les Bazantay-GastéGerno-Jaeger, Xavier Fouquet, Guinée-Potin, tous distingués en 2006. Plus proches de nous, lauréats en 2011, d’autres connaissent peut-être déjà les Berranger & Vincent, Brut, Detroit, Huca, MAP paysagistes, Raum et Titan. Place aux (plus) jeunes – même s’il faut toujours faire bien attention aux coupures d’âges, objets de savantes manipulations dans les univers artistiques et culturels… Voici donc les huit primés de la fournée 2015-2016, rejoints par Boris Nauleau et Detroit, heureux lauréats nantais de la déclinaison nationale des Albums des jeunes architectes. n

L’exposition ouvre ses portes à la fin du mois de février à l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes, galerie Loire, pour les refermer un bon mois plus tard. Elle est parrainée par l’Union régionale des Conseils d’architecture, d’urbanisme et d’environnement et a été amicalement suivie et relayée durant toute sa préparation par AMC Le Moniteur architecture.

1. Consultable en suivant ce lien https ://labeilleetlarchitecte.wordpress.com.


L’ARCHITECTURE, DEUX OU TROIS CHOSES QUE JE SAIS D’ELLE | SIGNES DES TEMPS

Bauchet & de La Bouvrie architectes Au beau milieu d’un tissu pavillonnaire caractéristique de la banlieue est parisienne, Simon Bauchet et Romain de la Bouvrie ont imaginé une surélévation discrète dans une rue apaisée de Montreuil. Reprenant la ligne des toits pour y inscrire, revêtues de zinc, trois pièces en plus prolongées par une terrasse, ils se sont insérés sans discussion dans cette rue. Il en alla tout autrement lorsqu’ils entreprirent l’année suivante de réfléchir aux nouveaux modes d’habiter dans le Parc naturel régional du Vexin français. Ce qui était un gain raisonné à Montreuil s’avéra en effet bien plus polémique dans le bourg préservé – sinon ossifié – d’Évecquemont. Le dispositif et l’écriture y étaient pourtant tout à fait comparables, mais le soubassement-béton, que voulez-vous, eut bien du mal à passer dans l’autre banlieue parisienne, côté Yvelines. Le jury, dont je fis partie, eut beau défendre la pertinence de l’implantation sur la rue et la volonté louable de densifier, l’édile demeura sceptique et le clan des Architectes des bâtiments de France décida que, non, ce projet n’était pas « vexinois » ! Dont acte, leurs quatre logements reçurent malgré tout une mention spéciale à l’occasion de ce concours d’idées. n

Photos DR

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CONTRIBUTIONS

119 JEAN-CLAUDE PINSON PHILOSOPHE ET POÈTE DÉSOLATION

125 GOULVEN BOUDIC POLITISTE ELECTIONS RÉGIONALES : DES RÉSULTATS EN TROMPE-L’ŒIL


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Désolation JEAN-CLAUDE PINSON > PHILOSOPHE ET POÈTE

RÉSUMÉ > À deux mois de distance, comment évoquer les tueries du 13 novembre à Paris dans Place publique Nantes/Saint-Nazaire ? Après échanges et discussions, nous avons demandé à l’un des membres du comité de rédaction de la revue, Jean-Claude Pinson, d’écrire un texte à la fois personnel et invite à la réflexion.

CIRCONSTANCES. – Quand Franck Renaud, le directeur de Place Publique, m’a proposé d’écrire un papier sur les tragiques événements du 13 novembre, j’ai eu un moment d’hésitation. Qu’allais-je faire dans cette galère, moi qui ne suis en rien politologue et encore moins spécialiste du monde islamique ? D’autant que je n’avais pas, sur le sujet, d’avis bien arrêté. Fallait-il d’ailleurs « avoir un avis » ? Émettre une opinion, n’est-ce pas justement trop souvent céder à l’Opinion (à la doxa), au préjugé ? L’habitus du philosophe l’incline plutôt à prendre le temps de la réflexion, à longuement lire et confronter les points de vue avant de se faire sa propre idée. Non pas refuser le dissensus, mais d’abord douter. Et même toujours douter, si l’on ajoute à la disposition philosophique, comme c’est ma pente, celle qui voit l’amoureux des livres préférer, aux certitudes idéologiques, cette « sagesse de l’incertitude » dont Kundera affirme qu’elle est essentielle à la littérature. Cependant, impossible, non pas même comme philosophe mais comme simple citoyen, de se dérober, de se retirer tranquillement sur l’Aventin (en l’occurrence un kiosque marin peinard, loin du « front », à La Plaine-sur-Mer). Et puis, il se trouve que lorsque j’ai lu

le message de Franck, au Lieu Unique, dans l’après-midi du samedi 28 novembre dernier, dans le cadre de la journée organisée par la Maison de la poésie sur le thème « Écologies et poésies », je venais, le matin même, d’évoquer, très succinctement, la question. J’avais cru bon en effet, dans mon topo introductif, bien que ce ne fût pas le sujet, de dire deux mots de ce qui venait d’avoir lieu quinze jours auparavant. Très exactement, j’ai commencé ainsi (le texte était écrit, je le recopie) : « “Le monde va finir” vous connaissez j’imagine la formule de Baudelaire. De quoi aujourd’hui peut-on craindre qu’il finisse ? Et quel monde risque aujourd’hui de finir ? Une civilisation (la nôtre, capitaliste et consumériste, en voie de mondialisation), le monde tout entier ? La question, on le devine, n’est pas simple. Deux menaces au moins, très différentes, sinon dans leur gravité, du moins dans leur teneur et leur ampleur, se profilent, menaces qui définissent (employons les grands mots) le tournant destinal où nous sommes. La première, défiant le monde qui est le nôtre, rejetant ses valeurs héritées des Lu-

JEAN-CLAUDE PINSON est philosophe et poète. Il appartient au comité de rédaction de Place publique. Il publie Alphabet cyrillique, aux éditions Champ Vallon (janvier 2016).

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CONTRIBUTION | DÉSOLATION

« La désolation souligne Annah Arendt, n’est pas la solitude, mais une destruction de tout ce qui donne un sens à l’existence humaine. »

« De ces ténèbres engendrées, à rebours d’elles-mêmes, par les Lumières, le colonialisme est sûrement l’un des fruits les plus amers. »

totalitarisme et à son gouvernement par la terreur. La désolation, souligne-t-elle, n’est pas la solitude, mais une destruction de tout ce qui donne un sens à l’existence humaine. Elle enlève à l’homme toute possibilité de reconnaissance (notamment par le travail). Liée « au déracinement et à l’inutilité dont ont été frappées les masses modernes depuis le commencement de la révolution industrielle », la désolation condamne le sujet humain à une « expérience d’absolue non-appartenance au monde, qui est l’une des expériences les plus radicales et les plus désespérées de l’homme ». D’expérience-limite qu’elle était auparavant (propre notamment à la vieillesse), la désolation est « devenue l’expérience quotidienne des masses toujours plus croissantes de notre siècle ». Le sens du commun, le sens commun, alors se perd, et, sans contact avec ses semblables, l’individu est prêt à toutes les aventures, à toutes les fuites en avant suicidaires. Ainsi comprise, la « désolation » peut éclairer le comportement d’égarés qui est celui, dans nos sociétés occidentales, de ces jeunes djihadistes « dépeuplés » (coupés de leur communauté et de leur famille), ceux-là même qu’Olivier Roy définit comme « nihilistes ». Éclairer, mais aucunement excuser, on l’aura compris j’espère. La notion permet peut-être aussi de saisir (ce n’est là qu’une hypothèse) pourquoi, dans les pays de religion et de culture musulmanes, des masses toujours croissantes en viennent à basculer du côté du fondamentalisme religieux, de la Loi absolue, simulacre de sens commun, que la bigoterie fanatique veut imposer à tous. C’est qu’ils y trouvent de quoi se rassurer face à un Occident perçu comme porteur d’une menaçante « sortie hors de la religion ». Menaçante parce qu’elle déconstruirait leur monde pour les précipiter dans un univers vide de valeurs où chacun est renvoyé à luimême. Loin d’être synonyme d’avènement des Lumières et d’émancipation, une telle sortie leur paraît lourde au contraire d’une « désolation » dont ils voient, en vrai comme sur écran, les ravages en tous genres. La forme inédite de totalitarisme qu’est le fondamentalisme islamiste, son retour vers un passé fantasmé, est alors, paradoxalement, une digue trompeusement édifiée contre cette désolation qui rend possible, dans la Modernité, le totalitarisme « classique » (celui que l’Europe a connu au 20e siècle).

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JEUNESSE DES LUMIÈRES. – « J’aurais aimé faire partie des Lumières », écrit un jeune écrivain tunisien de mes amis, Aymen Hacen, dans un éloge de Voltaire et de l’esprit de tolérance et de laïcité. Le conditionnel et la nuance de regret nostalgique qu’il fait entendre sont-ils vraiment de mise ? Les Lumières sont-elles seulement derrière nous ? Sommesnous de ces « tard venus » qu’à différentes périodes, maints penseurs et écrivains, maints intellectuels, en mal d’action, d’engagement et de participation à la grande Histoire, ont eu le sentiment d’être ? Hegel a parlé de la Révolution française, de ses débuts, comme d’un « superbe lever de soleil ». Les choses ensuite, comme on ne sait que trop, se sont gâtées, l’enthousiasme est retombé et très vite est venu le temps de la Terreur, selon un scénario funeste qui s’est ensuite répété avec la Révolution russe. D’autres philosophes, noircissant le trait, creusant la plaie, ont avancé l’hypothèse d’un retournement de la raison elle-même. Au fil de son effectuation dans l’Histoire, la raison émancipatrice des Lumières, la Raison majuscule, se dévoierait en son contraire, devenant force d’asservissement et d’écrasement, d’anéantissement pour toute une humanité vaincue. Telle serait, advenue au 20e siècle, « l’autodestruction » de la Raison, sa dialectique perverse, diagnostiquée par Adorno et Horkheimer. De ces ténèbres engendrées, à rebours d’elles-mêmes, par les Lumières, le colonialisme est sûrement l’un des fruits les plus amers. Nul n’a mieux parlé de « sa folie rapace et sans merci » que Joseph Conrad quand il évoque, dans Heart of darkness, son saisissant roman, un mélange de négoce, de massacres et de bénédictions, où la « conquête de la terre, qui consiste principalement à l’arracher à ceux dont le teint est différent du nôtre ou le nez légèrement plus aplati, n’est pas une fort jolie chose lorsqu’on y regarde de trop près ». Il faut un réel courage, de l’autre côté de la Méditerranée, pour se réclamer des Lumières. D’une part, parce qu’on y est quotidiennement sous la menace bien réelle des fanatiques. D’autre part, parce que rien n’y est simple. Car si les Lumières y ont connu, avec Bourguiba, un lever de soleil prometteur, leur héritage a ensuite été dévoyé par le régime de Ben Ali. Et la situation d’aujourd’hui, après ce nouveau lever de soleil que fut la révolution de janvier 2011, se caracté-


DÉSOLATION | CONTRIBUTIONS

rise plus que jamais par sa complexité. C’est bien un semblable sens de la complexité que je crois reconnaître sous la plume d’Aymen Hacen quand il déclare, contre ses détracteurs, qu’il sera « toujours pluriel et multiple ». La situation de son pays, la Tunisie, certainement l’exige. Et j’admire, depuis l’autre rive de la Méditerranée, sa résolution de tenir bon sur l’idéal précieux, indispensable, des Lumières – et tenir bon en tenant compte de la complexité qui préside à leur mise en œuvre. Car vient un temps où la lumière des Lumières se voile, où leur affirmation naïve, dans la clarté simple du matin, n’est plus de mise. De ce côté-ci de la Méditerranée comme de l’autre, quand sombres sont les temps, quand lourds sont leurs ciels obstrués de nuages toxiques en tous genres, si nécessaires que soient les Lumières, inévidents en sont le sens et le bon usage. C’est pourquoi se revendiquer des Lumières, tenir bon sur leur message d’émancipation, d’accès à la « majorité » (comme disait Kant), leur message de liberté et d’égalité tout aussi bien, c’est à la fois être intempestif, à contre-courant d’une époque très régressive, et en même temps être pleinement à son écoute afin d’inventer, par-delà les faux semblants de l’idéologie dominante, les justes réponses auxquelles, sans toujours le savoir, elle aspire pour un demain qui est déjà aujourd’hui. Ce n’est pas venir trop tard, c’est au contraire arriver au rendez-vous de l’Histoire à l’heure, afin d’être en phase, non avec un Grand Soir à venir, mais avec un devenir qui cherche son chemin et mondialement bouillonne dans le tohu-bohu des événements. Qu’en est-il de ce côté-ci de la Méditerranée ? À lire les portraits parus dans la presse des jeunes gens assassinés au Bataclan et dans les rues de Paris, je crois pouvoir dire qu’eux aussi appartenaient à cette même jeunesse des Lumières. Car les valeurs qui étaient les leurs témoignent à la fois d’un goût affirmé de la diversité, de la tolérance la plus généreuse, et d’une passion joyeuse de la liberté grande. Oui, ces jeunes gens avaient opté pour l’hédonisme (le « goût des terrasses ») plutôt que pour les mortifications que le totalitarisme religieux voudrait partout imposer. Mais autre chose me frappe : beaucoup d’entre eux avaient fait le choix d’une forme de vie où l’art, la créa-

Une tour Eiffel tracée dans le symbole du Peace and Love. Son dessin Peace for Paris, publié sur Twitter quelques heures après les attentats, a été retweeté à des dizaines de milliers de reprises et a fait le tour du monde. Jean Jullien, illustrateur nantais installé à Londres – Le Nid, en haut de la tour Bretagne, c’est lui –, a appris les tueries de Paris en écoutant la radio. Il a pris ce qu’il avait sous la main, une feuille de papier et un pinceau, et a tracé ce dessin « de façon spontanée », a-t-il expliqué sur son compte Twitter. Un message de soutien et de solidarité alors que « les victimes des attaques faisaient ce que Paris fait le mieux : rire, boire, discuter, écouter de la musique. Vivre et aimer.» © Jean Jullien

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CONTRIBUTION | DÉSOLATION

« Une jeunesse qui vient à l’aube des grands combats qui s’annoncent contre toutes les formes d’obscurantisme. »

« Le “poétariat” est aussi un “féminariat”. »

tion, le désir de se faire chacun le « poète de sa propre existence » occupaient une place déterminante. Beaucoup d’entre eux (musicos, infographistes…) appartenaient à une « classe créative » que j’appelle pour ma part « poétariat ». Cette jeunesse confrontée certes à la précarité, mais avide de connaissance, de réflexion, et tout autant de création, de vie ouverte au grand large de toutes les cultures et de tous les arts, me semble aujourd’hui la vraie jeunesse des Lumières. Une jeunesse qui n’est pas tard venue, mais au contraire qui vient à l’aube des grands combats qui s’annoncent contre toutes les formes d’obscurantisme. « LA FEMME EST L’AVENIR DE L’HOMME ». – À la fin des années 1970, quand le féminisme et les luttes pour l’émancipation de la « moitié du ciel » occupaient le devant de la scène, Deleuze et Guattari ont parlé d’un « devenirfemme » de l’humanité. Par là, ils voulaient souligner, dans une modernité marquée par le décodage généralisé, la déconstruction des identités supposées substantielles, l’importance de la remise en cause de l’assignation de la femme à un rôle déterminé et dominé dans la « machine duelle qui l’oppose à l’homme ». Parallèlement, ils insistaient sur la remise en cause du paradigme « macho » et l’émergence d’une « féminisation » généralisée des formes de vie. Une vingtaine d’années plus tard, analysant la « composition technique du travail », deux autres philosophes, Michael Hardt et Antonio Negri, mettront en évidence une « féminisation » du travail : « les qualités traditionnellement associées au “travail des femmes”, comme dans les tâches affectives, émotionnelles et relationnelles, deviennent de plus en plus centrales dans tous les secteurs du travail ». Ainsi, le devenir « poétarien » du travail (sa mutation à l’âge post-industriel) est en même temps un devenir-femme. Car si l’homo œconomicus est du côté du principe phallique, du côté de la domination, le « poétariat », l’homo artisticus qui vient, est lui du côté de ce devenir-femme observable à même les mutations les plus récentes du travail. Le « poétariat » est aussi un « féminariat ». Cette question, loin de lui être étrangère, est centrale

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dans la lutte en cours pour contrer la menace du totalitarisme islamiste. Kamel Daoud, l’écrivain algérien que j’ai déjà cité, l’a parfaitement compris quand, évoquant les trois « liens défectueux » que le monde arabe entretient avec la liberté, la mort et la femme, il déclare ceci au journal Le Monde : « J’ai fini par comprendre que, lorsque nous avons un lien simple avec la femme, nous avons un lien normal avec la vie, l’espace public, avec la liberté, avec l’amour, le désir et le corps ». « Pour moi, ajoute-t-il, c’est l’indice majeur, le marqueur d’une société. » n


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Élections régionales : des résultats en trompe-l’œil GOULVEN BOUDIC > POLITISTE

RÉSUMÉ > Après les élections régionales de décembre, qui ont vu en Pays de la Loire la victoire, nette, de la liste de droite emmenée par Bruno Retailleau, le politiste Goulven Boudic livre son analyse, à la fois locale et nationale, du scrutin et de lendemains qui pourraient déchanter à moins d’un an et demi de la présidentielle. Il identifie quatre symptômes d’une crise toujours plus profonde de la politique.

Il y a quelques années, face à la multiplication des affaires et scandales révélateurs d’un recours généralisé au dopage dans le peloton, plusieurs journaux et chaînes de télévision s’étaient posé la question de savoir s’il fallait continuer à diffuser le Tour de France. L’un d’entre eux, Libération, avait fait ce choix de continuer à écrire, tout en se refusant désormais de publier les classements. Peut-être le commentateur politique doit-il finalement trouver là aujourd’hui une inspiration, un exemple, un modèle. Non pas : « ne plus parler des élections », mais tenter d’en parler différemment, en se détachant de plus en plus de la seule question qui préoccupe traditionnellement (surtout les acteurs politiques), à savoir la question du résultat final, cet équivalent du classement général. Il y a certes, là derrière, un risque bien identifié par la sociologie politique : celui de la reconstruction d’un sens général du vote, celui de la dépossession par des commentateurs, dont la légitimité est mise en doute, du sens que chaque citoyen donne et confère à son bulletin – ou, de plus en plus à son absence de bulletin… Toutefois, il nous semble aujourd’hui urgent de

courir ce risque. Pour ma part, j’incline d’autant plus à tenter l’expérience que je n’ai cessé, ici même, dans plusieurs chroniques électorales, depuis près de cinq ans, de mettre l’accent sur les symptômes de plus en plus évidents de la crise politique dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Un second risque se profile, dont je pense qu’il faut aussi s’y exposer sans fausse prudence ou fausse pudeur : celui de se faire le prophète inlassable de la catastrophe à venir, au prix du reproche de noircir le tableau et de contribuer par là-même à une culture de la désespérance politique. En la matière, pour avoir subi à plusieurs reprises ce reproche, on a aujourd’hui le sentiment que tirer les sonnettes d’alarme n’a en rien empêché un mouvement comme irrésistible d’attirance pour le pire.

GOULVEN BOUDIC enseigne la science politique à l’université de Nantes. Il est membre du comité de rédaction de Place publique.

Quatre symptômes de crise

En appeler une nouvelle fois au ressaisissement des élites politiques comme des citoyens n’a guère produit d’effet. Faut-il pour autant renoncer ? Je ne le crois pas. Car nous percevons aussi et de plus en plus, le besoin JANVIER-FÉVRIER 2016 | PLACE PUBLIQUE | 125


CONTRIBUTION | ÉLECTIONS RÉGIONALES : DES RÉSULTATS EN TROMPE-L’ŒIL

Se servir du Front National pour nuire à la droite : difficile de ne pas voir de continuité entre François Mitterrand et François Hollande.

Ces élections régionales apparaissent comme un tournant : elles conditionnent largement les stratégies en vue de 2017.

est temps de renvoyer ces comportements et ces propos dans le registre de la honte et de l’inacceptable. Dans le partage des torts entre stigmatisation et dénonciation de la « diabolisation anti-raciste », je persiste pour ma part à penser que c’est précisément la banalisation de ces idées qui fait le lit de l’extrême-droite, et qui rend d’autant plus urgente la reprise et l’actualisation de la lutte contre le racisme. De ce point de vue, la droite comme la gauche doivent être rappelées à leur responsabilité : la droite, pour avoir trop souvent cautionné, toléré ou accompagné certaines de ces dérives ; la gauche, pour s’être servie du Front national aux fins de nuire à la droite. De ce point de vue, il est difficile de ne pas établir de continuité entre François Mitterrand et François Hollande… Nul, ni à gauche, ni à droite, n’a de gain réel à escompter d’une quelconque complaisance à l’égard du Front national : sur ce point toutefois, les élections régionales n’auront pas toujours permis la clarification nécessaire. Car si la stratégie de front républicain a concrètement bien fonctionné, là où elle a été appliquée par le retrait des listes socialistes susceptibles de se maintenir au second tour, le maintien de la liste de Jean-Pierre Masseret en Alsace-Champagne-Ardennes n’a pas produit la victoire crainte du Front national… quand, en outre, Laurent Wauquiez, héraut d’une droitisation radicale du discours, sort lui aussi en tête du scrutin en Rhône-Alpes-Auvergne. En bref, aucune stratégie n’a à elle seule triomphé : les élections régionales permettent à chacun de continuer à défendre sa ligne politique et stratégique, ce qui n’est pas pour rien dans la difficulté que proposent leur interprétation et leur usage dans les débats futurs.

Rendez-vous en 2017

En définitive, les élections régionales, malgré leur statut secondaire et le faible intérêt citoyen, apparaîtront rétrospectivement comme un moment essentiel, comme un tournant. On le sent bien intuitivement, même si la conscience exacte nous en manque peutêtre et surtout les mots pour le dire. Elles sont en effet le dernier scrutin avant l’élection présidentielle, seule élection vraiment centrale désormais, dont découlent largement les autres. Leur interprétation revêt dès lors une importance d’autant plus cruciale qu’elles vont 130 | PLACE PUBLIQUE | JANVIER-FÉVRIER 2016

conditionner largement les stratégies à venir. Pour François Hollande et les stratèges élyséens, nul doute que l’apparente résistance de la gauche, traduite par la conservation d’un nombre de régions quasi-égal à celui des régions gagnées par la droite, renforcera l’hypothèse d’une nouvelle candidature. Faute de résultats escomptables sur le front de l’emploi, la tentation sécuritaire semble se dégager de plus en plus comme l’un des axes d’une candidature future. Pour Nicolas Sarkozy, plus dure sera la sortie de cette séquence, du fait de la concurrence inévitable liée aux primaires, et du fait aussi d’un potentiel désaccord, à droite, autour des leçons à tirer de ce scrutin régional. Pour Marine Le Pen en revanche, l’accès au second tour semble assuré au vu des scores obtenus lors de toutes les élections depuis 2012. Les élections régionales considérées dans leur intégralité peuvent toutefois être interprétées tout à fait différemment. Il ne nous paraît pas outrancier de suggérer qu’au soir du premier tour, les électeurs ont signifié, tant à gauche qu’à droite, une forme de rejet de l’hypothèse d’une réédition du duel de 2012 entre François Hollande et Nicolas Sarkozy. Et qu’au deuxième tour, ils ont également très largement dit leur rejet de Marine Le Pen et du Front national. Évidemment, aucun de ces trois acteurs ne semble disposer à accepter une telle lecture. Chacun d’entre eux dispose, au moins en théorie, d’un avantage qui le place dans la position de prétendre représenter son camp : François Hollande, parce qu’il est le président sortant et que le système des pouvoirs de la Ve République le met potentiellement à l’abri des critiques de son propre parti, dont on voit mal comment il pourrait à l’heure actuelle prendre la tête d’une quelconque fronde ; Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen, parce qu’ils sont tous deux directement chefs de parti. Les semaines qui viennent diront si ce scénario est inéluctable. Après tout, il n’est pas interdit d’espérer… n


INITIATIVES URBAINES

APRÈS LE DÉBAT « LA LOIRE ET NOUS »

133 Franck Renaud Le temps des engagements 135 Paul Cloutour La Loire, le débat et moi : bilan pour les dialoguo-scéptiques et les autres

141 Jean-Claude Charrier D’abord une coproduction de Nantes Métropole

145 Franck Meynal À Marseille, l’ombre du pont transbordeur sur le Vieux-Port

149 Martine Staebler Marée basse pour le gardien de la Loire et de l’estuaire

156 Marc Dumont Projets urbains


DÉBAT LA LOIRE ET NOUS

L’après


INITIATIVES URBAINES

Le temps des engagements RÉSUMÉ > Après le débat « Nantes, la Loire et nous », Johanna Rolland, présidente de Nantes Métropole, a dévoilé à la mi-décembre ses intentions pour le fleuve. Le premier temps fort de son mandat.

TEXTE > FRANCK RENAUD Il y a d’abord eu le temps du débat, autour de « Nantes, la Loire et nous » qui nous invitait à revisiter la place du fleuve dans l’agglomération – dont il traverse quatorze des vingt-quatre communes –, avec la promesse que la parole citoyenne serait attentivement écoutée. Nous vous proposons deux contributions, deux regards, sur ces huit mois d’échanges : celui de Paul Cloutour, qui en a assuré pour Nantes Métropole la conception et l’animation et celui de Jean-Claude Charrier, membre du Conseil de développement. Cette dernière, plus critique, jugeant les services de la métropole trop « investis » dans le débat au risque de l’influencer. Puis, deuxième acte, la remise du rapport de la commission du débat à Johanna Rolland, présidente de Nantes Métropole, en septembre dernier. Un rapport qui a tamisé toutes les contributions pour en dégager vingt-cinq préconisations organisées autour de quatre thèmes : les pratiques et usages du fleuve ; la Loire espace économique et espace écologique ; la mobilité et les franchissements (avec les partisans du pont transbordeur en embuscade) et, enfin, la Loire, cœur métropolitain, attractivité et qualité urbaine, centré sur les espaces publics et le fleuve1.

FRANCK RENAUD est journaliste, directeur de Place publique.

1. Ce rapport est consultable sur le site du débat, www.nanteslaloireetnous.fr.

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INITIATIVES URBAINES

Les décisions de Johanna Rolland prennent en compte la baisse des dotations de l’État.

C’est ce rapport que l’administration de Nantes Métropole a « mouliné » pour cerner les trente engagements présentés par Johanna Rolland au conseil métropolitain de la mi-décembre. Des engagements à court terme (d’ici à 2017) et moyen terme (2020, année d’élections municipales, ce qui ne relève sans doute pas du pur hasard) et à long terme. Des promesses sur lesquelles pèse également la contrainte du désengagement financier de l’État vis-à-vis des collectivités. Une marée basse budgétaire qui réduit les marges de manœuvre.

Faire du neuf avec l’ancien

Pas de nouveau pont dans l’immédiat, mais un élargissement du pont Anne-de-Bretagne.

Dès lors, qu’indiquent les annonces de la présidente de Nantes Métropole ? Qu’il faut d’abord composer avec l’existant. Commençons par les franchissements de Loire : pour absorber la croissance de la circulation, le « grand chantier » à court-moyen terme consiste à élargir le pont Anne-de-Bretagne et à y assurer la cohabitation des voitures, des vélos et des transports en commun. Les ponts toujours, sur le périphérique cette fois, avec l’« optimisation » de ceux de Cheviré et de Bellevue, qui comprend une « modification du nombre de voies de circulation ». Quant au pont transbordeur, alors que le projet semble progresser à Marseille (lire en p. 145), s’il n’est pas définitivement enterré, la collectivité ne le retient pas comme « une solution de franchissement à part entière » – s’alignant en cela sur la commission du débat. Reste, pour un éventuel sauvetage, son potentiel touristique, qu’une étude complémentaire à celle déjà réalisée par Nantes Métropole pourra évaluer. Pour la nouveauté, il faut se tourner vers les transports en commun : l’offre de Navibus, pour l’instant limitée à la desserte de Trentemoult depuis la gare maritime et à un passeur sur l’Erdre près des facultés, sera développée avec la création de nouvelles lignes avant 2020. L’intention est de les « connecter au réseau de transport en commun terrestre et aux pistes cyclables », appelées, elles aussi, à prendre du muscle. La Loire au quotidien passe par son accessibilité et les loisirs. Une reconquête des berges et des bords du fleuve est annoncée pour favoriser le parcours Loire à vélo et un cheminement piétonnier qui traverse la métropole. La collectivité se jette aussi à l’eau et veut

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que les associations s’approprient le fleuve pour y développer des pratiques nautiques. Dans le même esprit, une étude de faisabilité d’une piscine en bord de Loire sera réalisée avant 2020 et une fête nautique triennale animera le fleuve. Le volet économique se veut à l’équilibre avec la nécessité écologique. Il met en avant une future liaison fluviale régulière entre Saint-Nazaire et Cheviré pour le transport par barges de colis industriels, conteneurs et déchets (destinés à l’usine de retraitement de Couëron, où elles feront escale). Ce débat, premier temps fort du mandat de Johanna Rolland, a également esquissé une nouvelle façon de gouverner la ville, témoigné d’une volonté de montrer le cheminement de la décision politique tout en prenant le pouls des habitants, tout au moins de ceux qui se seront exprimés. Volonté encore de fédérer autour du fleuve alors qu’il articule les grands projets nantais en cours et à venir et scande la métropole de demain et d’après-demain : le transfert du Chu sur l’île de Nantes qui sera mis en œuvre de 2023 à 20252 ; l’aménagement du bas de Chantenay ; le devenir de la place de la Petite-Hollande – et, au-delà, de l’actuel site du Chu dès lors que l’hôpital aura migré. La PetiteHollande, son marché du samedi, l’appétit des promoteurs : pour le coup, source certainement inépuisable de polémiques annoncées qui, déjà, bourgeonnent sur les réseaux sociaux… Quant à la méthode, celle du débat et de la consultation des citoyens, un bis repetita est programmé. L’agglomération doit embrayer dès cette année sur une deuxième séance, consacrée cette fois à la transition énergétique, qui pourrait être lancée mi-2016. n

2. Lire à ce sujet Place publique Nantes/Saint-Nazaire n°52, de juillet-août 2015, dont le dossier était intitulé « Sur l’Île de Nantes, l’hôpital du 21e siècle ».


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La Loire, le débat et moi : bilan pour les dialoguo-sceptiques et les autres RÉSUMÉ > Un regard de l’intérieur : alors qu’il a piloté le débat « Nantes, la Loire et nous » pour Nantes Métropole, Paul Cloutour nous le raconte et le commente. Il détaille ses évolutions, jusqu’à l’ambition d’embrasser la Loire, toute la Loire. Et aux déçus par l’absence de décisions tranchées sur les franchissements, il promet… de futurs débats.

TEXTE > PAUL CLOUTOUR Dans son programme politique pour les élections municipales de 2014, Johanna Rolland annonçait un grand débat sur la Loire, acte novateur d’une nouvelle gouvernance territoriale. Un an après son élection, dans un dossier de L’Express1 intitulé « Johanna Rolland tient-elle ses promesses ? », à la question « Quelle est votre principale réussite ? », elle répond : « Le grand débat citoyen sur la Loire ». Au sein de Nantes Métropole, j’ai été missionné pour piloter et animer ce débat, ce que j’ai fait avec Sandra Rataud et l’équipe projet2. Cet acte professionnel, mon dernier, m’aura occupé près de trois années. En faire part, analyser ses contours, expliciter sa conduite est tout autant pour moi une exigence qu’un plaisir. Exigence car je considère qu’il y a nécessité de rendre compte de cette aventure professionnelle. Un plaisir car, même si ce fut parfois difficile, la conduite de ce débat fut un acte professionnel passionnant, truffé de découvertes et de satisfactions.

PAUL CLOUTOUR était responsable de la mission « Dialogue citoyen » de Nantes Métropole. Il appartient au comité de rédaction de Place publique.

1. Numéro du 3 juin 2015. 2. Sandra Rataud et moi avons co-dirigé le débat, avec une équipe projet composée d’Émilie Bazin, Arnaud Renou, Doriane Taconné, Amandine Babarit et Audrey Deulceux.

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La richesse des cahiers d’acteurs

L’équipe projet et la commission du débat se sont investis dans l’animation et c’était un choix.

Ce débat a été animé sur un rythme très soutenu, avec plusieurs canaux participatifs, et un vrai choix, celui d’une co-animation entre l’équipe projet et la commission du débat. En d’autres termes, ce qui est souvent délégué à des prestataires extérieurs (journalistes ou animateurs spécialisés), a été très fortement assumé par les professionnels de Nantes Métropole et de la ville de Nantes, avec aussi une implication forte des membres de la commission du débat, dans les auditions publiques et les séminaires d’acteurs11. On a assisté, en huit mois, à une montée en régime des contributions, pour aboutir le 30 mai dernier à un événement citoyen inédit, rassemblant 261 habitants en forum la même journée, sur cinq sites de l’agglomération. Le canal participatif le plus productif a été celui des cahiers d’acteurs, formule habituelle des débats animés par la Commission nationale de débat public. Notre hypothèse de départ était le recueil de 30 à 50 cahiers. Le résultat, 116 cahiers, a révélé une grande richesse et une grande diversité des points de vue, des attentes, des réflexions et des projets. Plusieurs acteurs ont produit plusieurs cahiers, avec le souci de compléter et enrichir les points de vue au fur et à mesure du débat. Le principe d’une interactivité entre les informations du document socle, les auditions publiques, les cahiers et les séminaires d’acteurs a fonctionné à plein, ouvrant un espace de contribution très vivant.

Ni concertation, ni sondage

Les organisateurs du débat n’attendaient pas autant de cahiers d’acteurs, évoluant au fil du débat

La mise en conclusions des contributions pour élaborer les recommandations a été un exercice difficile dans le temps imparti (deux mois), mais anticipé par une digestion progressive des contributions et par un travail conjoint permanent entre l’équipe projet et la commission du débat. Le cadre des quatre thèmes a été le fil rouge de l’élaboration des recommandations, avec une posture de la commission assez claire : « Pour chacun des thèmes, après un questionnement sur le thème lui même et un retour sur sa problématisation, sont exposés les constats, les enjeux, les représentations, les propositions, puis enfin les préconisations de la commission. Pour faire ses préconisations, la commission a pris en compte les argumentaires fournis et les tendances

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qui se dégagent après une lecture croisée des contributions suivant les différentes modalités et les canaux participatifs proposés. Comme cela a été précisé dans l’introduction générale, elle s’est aussi appuyée sur les valeurs qui traversent l’ensemble des contributions. La posture de la commission renvoie au mandat qui lui 11. Dans les différentes modalités participatives proposées, deux d’entre elles ont été confiées à des prestataires extérieurs : le comité citoyen animé par Médiation et environnement, l’événement citoyen du 30 mai organisé par Missions publiques, avec une très forte implication des services métropolitains et municipaux.


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a été donné, mais aussi à sa propre réflexion et son cheminement fait au cours de ces mois d’échanges. » Les vingt-cinq recommandations de la commission ont été imprégnées par les six valeurs mises en évidence par le débat : la créativité, le goût de l’imaginaire et du sensible, l’innovation, l’équilibre, l’efficacité, la sobriété. Le débat n’ayant été ni une concertation sur un projet d’aménagement, ni un sondage sur des solutions de franchissement, les conclusions peuvent apparaître en deçà des attentes de certains acteurs

impatients. Mais il n’a pas pu produire ce qu’il n’était pas destiné à produire. La dernière phase du processus a porté sur l’instruction des préconisations pour permettre la réponse de Nantes Métropole. Cette phase a duré quatre mois, de septembre à décembre et a donné lieu à un travail transversal inédit au sein de Nantes Métropole. En effet, compte tenu de l’ampleur des questions abordées et la diversité des recommandations de la commission, il nous a fallu mobiliser plusieurs directions métropolitaines et municipales, ainsi que quatre structures

C’est d’abord sur les franchissements de Loire que le débat étatit attendu, mais pour Nantes Métropole il ne s’agissait en aucun cas d’une concertation ni d’un sondage à ce sujet.

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Le pilotage du débat doit aller vers plus d’autonomie.

les orientations proposées en avril 2014 par le Conseil de développement de Nantes métropole gardent leur pertinence. La question était clairement posée, « Le pilotage du débat : pourquoi le confier obligatoirement à Nantes Métropole ? ». Et de préconiser, à la lumière de la Commission nationale du débat public3 que la question « du pilotage direct du débat par le maître d’ouvrage soit débattue dans le sens de l’autonomie de l’organisation ». De même en ce qui concerne la « commission locale du débat public autonome » la préoccupation de l’autonomie et la souplesse faisaient partie des préoccupations majeures incluant la question de la présence des élus. Le souhait exprimé à cet égard, que Nantes Métropole marque « son originalité et sa volonté de franchir une étape démocratique en proposant une commission vraiment autonome », n’a pas été, de mon point de vue, satisfait. Il faudra y revenir pour les prochains débats.

Parmi les engagements pris par Johanna Rolland après le débat : l’organisation d’une fête triennale sur le fleuve.

Il reste qu’au terme de ce grand débat, la marque de l’ouverture réelle à la société civile exprimée dans les intentions, serait qu’au terme des différentes étapes de propositions et décisions, soit retenu un projet fort, emblématique, largement soutenu, qui trouverait son origine dans la société civile, et non uniquement dans la technostructure métropolitaine. Mes engagements étant connus, Il est clair, qu’à mes yeux, c’est en matière de franchissements que cette décision est attendue. Un tel choix serait une véritable révolution dans le mode de gouvernance, parfaitement en phase avec les attentes du monde d’aujourd’hui. Une façon aussi pour Nantes d’innover et de reprendre l’initiative. n

3. www.debatpublic.fr


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À Marseille, l’ombre du pont transbordeur sur le Vieux-Port RÉSUMÉ >  Reconstruire au-dessus du Vieux-Port de Marseille le pont transbordeur détruit par les Allemands à la fin de la Seconde Guerre : soutenu par des élus, l’architecte nantais Paul Poirier est en tête de ligne dans une affaire qui semble bien engagée. Même si rien n’est jamais simple dans la cité phocéenne.

TEXTE > FRANCK MEYNIAL L’histoire se répétera-t-elle ? Au Bar de la Marine sur le Vieux-Port de Marseille, Escartefigue se plaignait en ces termes, au début des années 1930, d’une farouche concurrence : « C’est le pont transbordeur qui me fait du tort. Avant qu’ils n’aient bâti cette ferraille, mon bateau était toujours complet. Maintenant, ils vont tous au transbordeur… C’est plus moderne que le fériboite, et puis ils n’ont pas le mal de mer. » Quatre-vingt-cinq ans plus tard, Pagnol n’a jamais paru aussi jeune et son Marius aussi moderne. De la littérature à la réalité, il n’y a peut-être qu’un pas au-dessus de la mer qu’une poignée de lobbyistes rêvent de franchir à nouveau au nom du modernisme et du tourisme. Car ces deux nouvelles mamelles du Marseille du 21e siècle – rompant avec les traditions souvent conservatrices de la plus ancienne ville de France – donnent des ailes à cette cité de 880 000 âmes. Baignée de lumière 300 jours par an et située à proximité immédiate du seul parc national à la fois terrestre, marin et périurbain d’Europe, la capitale provençale et ses majestueuses calanques sont aussi gangrenées par le chômage et touchées par la violence d’une délinquance dont les règlements de compte lui valent trop souvent la Une de l’actualité nationale.

FRANCK MEYNIAL est journaliste au quotidien La Provence.

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INITIATIVES URBAINES

Le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée signé Rudy Ricciotti est devenu le symbole du Marseille qui gagne.

Avec le pont transbordeur, Marseille s’offrira une entrée de port aussi saisissante que « celle de Sydney avec son Opéra ».

Pour riposter au “Marseille bashing” si souvent décrié, décision a été prise au milieu des années 1990 de changer de braquet en s’appuyant sur plusieurs leviers. Avec en premier lieu la concrétisation d’une initiative de l’État et des collectivités territoriales nommée Euroméditerranée. Soit la plus grande opération européenne de rénovation urbaine sur 480 hectares destinée à créer du développement économique, social et culturel. Pour accompagner ce mouvement, la ville s’est aussi investie en candidatant puis en obtenant en 2013 le titre de Capitale européenne de la culture. Ainsi 10 millions de visiteurs ont participé cette année-là aux grands événements mis en place, découvrant des pépites dont le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) est certainement l’emblème. Premier musée national ouvert par l’État en dehors de la région parisienne pour recevoir les collections du Musée national des arts et traditions populaires fermé en 2005, ce gros cube en dentelle ferrée bâti par l’architecte Rudy Ricciotti1 est immédiatement devenu le symbole du « Marseille qui gagne », renvoyant même à ses chères études le pourtant très réussi Nouveau stade vélodrome et ses 67 000 places couvertes rénové en vue de l’Euro 2016. Avec près de 2 millions de visiteurs pour sa première année de fonctionnement, ce musée a à la fois réussi à réconcilier les autochtones avec leur bord de mer et à conquérir le cœur des touristes qui le plébiscitent. Avec parmi eux les 1,5 million de croisiéristes qui représentent désormais une manne financière sans précédent pour le premier port français.

« Une grande ville doit se doter d’objets monde »

La fin justifiant les moyens, la cité phocéenne rêve désormais d’autres têtes de gondole pour asseoir sa nouvelle position stratégique. C’est précisément là que commence l’histoire du pont transbordeur. « L’idée vient de moi. Elle part d’une logique simple de développement quand j’ai été élu en 1995 avec Gaudin. Pour faire simple, si elle veut aller de l’avant, une grande ville doit se doter d’objets monde. Cela a été fait avec le Mucem puis le stade rénové que j’ai poussés. Mais pour aller plus loin, il faut continuer. D’où l’idée de se servir du passé. C’est ce qui est arrivé 146 | PLACE PUBLIQUE | JANVIER-FÉVRIER 2016

lorsque des étudiants d’une école d’architecture ont fait en 2002 le projet d’un nouveau pont transbordeur avant qu’un projet bien ficelé ne nous soit proposé par l’architecte nantais Paul Poirier », se remémore le député européen Renaud Muselier, ancien secrétaire d’État aux Affaires étrangères sous Chirac, ex-premier adjoint du maire Jean-Claude Gaudin et premier président d’Euroméditerranée, dont le rêve est d’offrir à Marseille une entrée de port aussi saisissante que « celle de Sydney avec son Opéra ». Toujours proche du premier magistrat, Renaud Muselier qui s’est un temps éloigné de la politique avant de revenir petit à petit aux affaires – il menait la liste Les Républicains dans les Bouches-du-Rhône aux élections régionales de décembre – pense tenir là une nouvelle clé stratégique. Il faut dire que cet enjambement des flots entre les deux forts historiques Saint-Nicolas et Saint-Jean ne manque pas de sel sur le papier, au cœur d’un site minéral où la sacro-sainte voiture a été bannie du plan de rénovation du Vieux-Port en phase d’achèvement. Cela même si on est bien loin du concept reliant les deux rives du port, de la Tourette au Carénage, inauguré le 24 décembre 1905. Construit en acier par l’ingénieur Ferdinand Arnodin, ce pont devenu rapidement une attraction effectuait 250 traversées payantes par jour sur une nacelle suspendue. Avec un tablier à 53 mètres de hauteur sur lequel un restaurant panoramique offrait une vue imprenable sur la grande bleue. Interdit de fonctionnement en mars 1944, ce pont fut soufflé la même année par une charge explosive allemande et l’un de ses pylônes s’effondra. Définitivement détruit le 1er septembre 1945, peu de Marseillais se souviennent de ce monstre de fer. Mais ils sont quelques-uns à imaginer son retour. Parmi eux figure Loïc Fauchille, exdirecteur du Sofitel et du Syndicat national des hôteliers. Devenu récemment directeur général du groupe hôtelier Maranatha, il milite férocement pour que le projet prenne forme rapidement : « Marseille a bien relevé son image mais ne développe que 10 % de son immense potentiel. Le tourisme incarne le changement et la mer est son porte-drapeau. Il faut donc une

1. Voir également son projet pour la gare de Nantes p 9 à 19.


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Ancien secrétaire d’Etat de Jacques Chirac, proche du maire de Marseille, Renaud Muselier porte le projet du pont transbordeur à l’entrée du Vieux-Port.

zone touristique de mer, avec un parc d’attraction, un club de la mer, un aquarium, et bien entendu ce pont transbordeur pour relier l’ancienne et la nouvelle ville. Et ensuite pourquoi pas un casino en haut et encore un téléphérique qui partirait d’un pylône pour rejoindre Notre-Dame-de-la-Garde », ambitionne-t-il avant de monter rapidement, comme à Nantes, l’association Les Transbordés. « Je suis à fond pour un objet comme celui-ci. Il a existé, tout le monde est allé dessus et y re-

tournera le cas échéant. Si on me demande mon avis, je suis très positif », enchaîne Jean-François Suhas, le nouveau président du Club de la croisière qui associe depuis 1996 La Chambre de commerce, la Ville, le Grand port maritime et nombre de partenaires.

« C’est idiot de vouloir refaire l’histoire »

Le pari est-il pour autant gagné ? Le journal local La Provence, qui a eu vent d’une réunion en octobre JANVIER-FÉVRIER 2016 | PLACE PUBLIQUE | 147


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Le maire rappelle que si le pont « coûte à la ville » il ne se fera pas.

« D’autres solutions existent comme celle d’un téléphérique urbain, un projet bien plus réaliste. »

entre l’architecte annonçant pourvoir autofinancer le pont et le maire, a jeté de l’huile sur le feu en sondant les internautes (1 464 votes). Ces derniers y sont favorables à 61 %. L’occasion pour Jean-Claude Gaudin, quelques jours plus tard en plein conseil municipal, de rappeler que « si ça coûte à la ville, il ne se fera pas ». Du côté de l’opposition PS représentée par Stéphane Mari, l’idée paraît saugrenue : « C’est une gageure d’amortir 70 millions d’euros comme le dit l’architecte. Et illusoire de penser qu’on ne touchera pas à l’argent public. On voit ce que ça donne avec le partenariat public-privé du Vélodrome qui coûte de l’argent aux Marseillais. D’autres solutions existent comme celle d’un téléphérique urbain à 19 millions d’euros, un projet bien plus réaliste pour un opérateur urbain. Tout cela est une idée fixe de Muselier qui nous parle de son opéra de Sydney depuis vingt ans. C’est idiot de vouloir refaire l’histoire, j’ai bien regardé les cartes postales et ce pont est totalement inesthétique. » Même son de cloche du côté de l’architecte local Renaud Tarrazi. Plus il réfléchit à l’idée plus il la repousse : « Je suis sceptique, ça fait gadget alors qu’à l’époque il était très fonctionnel. Comme urbaniste, je pense que c’est une erreur, contrairement à des objets réussis comme le Mucem ou l’ombrière sur le quai des Belges. En plus de cela, la vue sera moins belle làhaut comme c’est le cas depuis la Tour Eiffel qui n’est jamais plus belle que quand on la regarde de loin. Mais pas du haut du troisième étage. Même si je ne suis pas tellement pour la démocratie participative, car les élus doivent faire leur boulot, je pense que sur ce sujet, il serait intéressant de faire un référendum car cela ne figurait pas dans le programme électoral. » Initiateur du concept présenté voici cinq ans au nom de la Nantaise des ponts et pylônes international qu’il anime avec les ingénieurs Timothée Paulin et Xavier de Champs, l’architecte nantais Paul Poirier est résolument confiant quant à une issue favorable. « J’ai confiance à 300 % en mon bébé, c’est un superproduit dans la renaissance de Marseille », claironnet-il en annonçant pouvoir le livrer en 2020 à l’issue de deux années de construction, « en fonction de la durée de la phase administrative ». Et d’ajouter que son équipe et lui-même sont « des experts munis de brevets qui avons vu différents concessionnaires et les

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financiers qu’il a fallu convaincre avec un vrai business plan ». Pour rembourser « sur dix à vingt ans » les 70 millions d’euros nécessaires aux travaux, à raison de montées payantes pour 1 million de visiteurs en sus des passages des véhicules, le quinquagénaire (57 ans) a tout imaginé en observant ce qui se fait ailleurs. Soit douze ou treize ponts dans le monde comme à Bilbao, jamais démoli et classé à l’Unesco, Newport (Pays de Galles) ou Rochefort où la circulation n’est qu’anecdotique. Mais il jure que sa vision pour Marseille est totalement unique : « Il y aura deux niveaux avec une rue aérienne sur le tablier haut de 2 000 mètres carrés pouvant accueillir 1 000 personnes pour des séminaires ou des dîners de gala à 60 mètres de hauteur avec vue sur le Frioul, le port ou Notre-Dame-de-la-Garde. Avec bar, restaurant et produits dérivés. Ce sera un endroit unique que les Marseillais, qui paieront moins cher, auront plaisir à montrer à leurs amis », déroule Paul Poirier, convaincu de la faisabilité du projet et, semblet-il, conforté dans son idée par son entrevue avec JeanClaude Gaudin qui dit aujourd’hui officiellement que « le transbordeur est une possibilité ». « Le maire a dit ok pour le principe si on ne met pas d’argent public, en me demandant de faire le nécessaire pour mettre en route l’appel d’offres », affirme de son côté l’adjoint délégué aux grands projets Gérard Chenoz. Lequel a désormais pour instruction de lancer l’opération « pour un projet dont le modèle économique me semble valable ». « Mes équipes y travaillent », conclut-il cependant en gardant une certaine réserve quant aux résultats de l’appel d’offres : « Après tout, quelqu’un peut bien proposer de mettre une barge à la place ! ». Une barge peut-elle concurrencer un mastodonte ? C’est un peu l’histoire du pot de terre contre le pot de fer illustrée à la sauce marseillaise par un Ferry Boat sans cesse moqué pour son manque de fiabilité. Dernièrement inopérant en raison d’un problème d’organisation du personnel de la ville, sa gestion devrait être confiée tout prochainement à la communauté urbaine et à terme à la Métropole. Mais même s’il devient enfin pérenne, pas sûr que s’il l’observait quatre-vingt-cinq ans après à l’ombre d’un enjambement ultramoderne du Vieux-Port, Escartefigue changerait d’avis sur les performances du Ferry Boat par rapport au pont transbordeur. Et si l’histoire se répétait ? n


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Marée basse pour le gardien de la Loire et de l’estuaire RÉSUMÉ> Paradoxe ? Alors même que le débat « Nantes, la Loire et nous » a replacé le fleuve au cœur de la métropole, l’acteur majeur de la connaissance sur la Loire, des Ponts-de-Cé à Saint-Nazaire, est menacé par le désengagement de certains de ses partenaires. Martine Staebler, ancienne directrice du Gip Loire Estuaire, alerte sur les difficultés annoncées de la structure.

TEXTE > MARTINE STAEBLER PHOTOS © GIP Loire Estuaire

Une pétition « Sauvons la connaissance sur l’estuaire de la Loire » a été lancée il y a quelques semaines1. Le Groupement d’intérêt public Loire Estuaire, cheville ouvrière de la connaissance sur la Loire et son estuaire et de sa diffusion, rencontre de grandes difficultés. Irat-on jusqu’à le faire disparaître ? Il était une fois un fleuve pas si tranquille… Petite remontée dans le temps : les années 1980-1990. Dans ces années-là, les collectivités territoriales devenues plus curieuses de leur territoire car compétentes en matières d’urbanisation depuis les lois de décentralisation de 1983, furent impressionnées par l’immense complexité de la Loire, de son estuaire et de l’évolution « visible » de leur dégradation. Mais à cette époque, le terrain était plutôt « chasse gardée », très privatisé dans sa gestion, son avenir, sa connaissance par un seul opérateur gestionnaire : le Port. L’estuaire et la Loire étaient exclusivement « voies de navigation » et ses rives entre Nantes et Saint-Nazaire vouées à l’industrialo-portuaire. Déjà, des aménagements titanesques et irréversibles avaient été entrepris au cours des

MARTINE STAEBLER est géographe de formation. Elle est l’ancienne directrice du Groupement d’intérêt public Loire Estuaire, qu’elle a dirigé dès sa création en 1998. Retraitée, elle a co-présidé la commission du débat « Nantes, la Loire et nous ».

1. Consultable en suivant ce lien : https ://goo.gl/QnFQgY.

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Vers un urbanisme orienté énergie

PROJETS URBAINS > MARC DUMONT MARC DUMONT est professeur en urbanisme et aménagement de l’espace à l’Université Lille I - Sciences et technologies. Il est membre du comité de rédaction de Place Publique Rennes/Saint-Malo. À travers ces projets urbains d’ici et d’ailleurs, il partage sa veille des innovations insolites, surprenantes et toujours instructives de la manière de faire la ville.

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Pas si simple d’engager la transition énergétique. Nombre d’initiatives ouvrent néanmoins des voies prometteuses. En Suède, par exemple, l’ensemble des transports en commun urbains s’est débarrassé à 90 % du diesel, avec dix ans d’avance sur l’objectif initialement prévu pour 2020 ! Pour y parvenir, les sources de substitution sont nombreuses : les cars de transports urbains sont capables de rouler à l’éthanol, au biodiesel, d’ingurgiter des mélanges d’huile ou encore du biogaz. L’ingénierie est impressionnante : des systèmes de retraitement des boues issues des usines d’épuration, produisant du biogaz, ont été implantés à proximité du centre de Stockholm permettant d’injecter directement le combustible vert dans le réseau des bus géré par la filiale du groupe français Keolis. Reste les obstacles technologiques encore nombreux vers une électrification complète du réseau. Fascinée par ces expérimentations, Montpellier suit cette voie et vient d’accélérer le déploiement de ses bus au gaz naturel pour véhicules : avec ses derniers achats de douze bus, en décembre 2015, elle met fin à la domination du diesel dans les transports urbains sur la quasi-totalité des trente-six lignes gérées par sa société d’économie mixte, la TaM. À plus grande échelle, l’Europe des mobilités en véhicules électriques n’est peut-être plus si loin de se concrétiser. L’Union européenne vient en effet de recevoir un rapport conséquent élaboré par un groupe de travail trinational (Espagne, Portugal et France), qui propose des clés techniques et stratégiques permettant de déployer d’ici à dix ans 70 000 kilomètres d’autoroutes équipées pour former des « corridors de mobilités électriques ». Ces autoroutes accueilleraient dans les deux sens tous les 80 kilomètres des bornes rechargeables, sans rupture de l’offre une fois franchies les frontières. Les industriels de l’énergie et les constructeurs de l’automobile doivent à présent parvenir à s’entendre, ce qui n’est pas acquis, mais aussi à organiser des offres de rechargement sur les itinéraires de prolongement ou de report.


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Souterrains : des potentiels inattendus L’avancement du chantier pharaonique et techniquement époustouflant du couvent des Jacobins à Rennes a de quoi faire réfléchir sur le grand potentiel des espaces et friches souterraines. À Paris-La Défense, où la grande dalle lisse masque une véritable petite ville souterraine, on commence à se pencher sur le renouvellement urbain de ces espaces considérés jusque-là comme moins nobles. Près de 50 000 mètres carrés d’interstices invisibles y sont actuellement inexploités ou mal gérés depuis cinquante ans, occupés par une gare fantôme, d’anciens parkings, des ateliers d’artistes ou encore une cathédrale engloutie. L’établissement public de gestion, DFaco, souhaite radicalement changer l’image négative de ces sous-sols, en les réinvestissant par des projets ludiques et commerciaux : piscine, bistrot à vin, bar lounge… Quatre mille mètres carrés d’activités nouvelles en lien avec la gastronomie viennent d’être annoncés. La complexité du projet sera de faire venir de la lumière dans ces espaces encore bien sombres et de ce fait bien peu amènes, pour en faire de vrais espaces publics. Mêmes principes à New York, où la Low Line vise à reproduire les qualités du célèbre High Line Park, dans l’ancienne gare souterraine au Lower East Side. Le projet, dont la chronique peut être suivie en ligne (thelowline. org) a été lancé depuis trois ans par un ingénieur et un entrepreneur. Il permettrait au premier jardin public enterré au monde d’y voir… le jour, par le biais de paraboles réfléchissantes et de fibres optiques. Leur démarche audacieuse semble payer : le financement participatif vient de collecter les quelque 300 000 dollars nécessaire au lancement des études préalables et à l’ouverture de négociations sérieuses avec la collectivité. Plus en surface cette fois, les nombreuses friches industrielles du territoire français attirent de plus en plus les convoitises des entreprises de centrales photovoltaïques. Dans le Nord, à Pont-sur-Sambre, on ne

savait quoi faire de la zone de Pantegnies, une parcelle de 17 hectares qui hébergea une centrale au charbon puis un équipement de production électrique fermé depuis maintenant presque vingt ans. Le nouveau contrat signé avec une société de Béziers, Quadran, préfigure l’ouverture prochaine d’une centrale photovoltaïque de 35 000 panneaux sur cette ancienne friche EDF : de quoi largement compléter l’alimentation électrique de la commune de 10 000 habitants. Mieux encore, un petit contrat passé avec des éleveurs permettra aux moutons d’entretenir le site !

Des villes-test pour mieux aménager ! En urbanisme, le recours à l’expérimentation apparaît pour beaucoup de collectivités comme une voie intéressante pour tester sur un temps court et un espace réduit, des changements de plus grande ampleur. Régulièrement, par exemple, des collectivités testent sur quelques mois un service de mobilité, puis le généralisent ou l’abandonnent. Sur ce principe, le groupement Eiffage-Egis-Engie fait fort avec le projet Astainable. Cette ville expérimentale est le fruit d’un partenariat avec le ministère des Affaires étrangères, d’un coût de 2 millions d’euros. Elle a la particularité d’être une maquette entièrement numérique et de concentrer tous les savoir-faire d’entreprises francophones en matière de développement durable pour les appliquer à tous les domaines urbains dans le cas d’Astana, la capitale du Kazakhstan. La maquette numérique inclut un projet de téléphérique, des exemples de mobilier urbain. Plus que support permettant de visualiser des projets, la maquette numérique y devient un démonstrateur permettant de simuler, de présenter et discuter d’options JANVIER-FÉVRIER 2016 | PLACE PUBLIQUE | 157


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de planification urbaine, de réduction des émissions des bâtiments. Et, bien sûr, de conquérir les nouveaux marchés ouverts par sa concrétisation à venir. Dans la même veine, au Mexique, la Pegasus Global Holdings s’est lancée dans la construction d’une ville fantôme de 35 000 habitants avec immeubles de bureau, centres commerciaux, église, aéroport, usines industrielles… Cette petite ville laboratoire de 40 kilomètres carrés doit permettre de tester l’usage d’énergies vertes, des technologies de gestions urbaines, sur banc d’essai, sans risque donc pour les usagers futurs.

Plus de social dans l’habitat Non, les vrais écoquartiers ne sont pas réservés qu’aux riches ! C’est en substance le message que veut faire passer le projet porté par Codha, la Coopérative de l’habitat associatif, à Nyon, en Suisse. Depuis 2009, le projet d’un écoquartier social était dans les cartons de la municipalité, il vient de se concrétiser par l’attribution à la coopérative d’un droit de superficie (un droit à construire sur le terrain appartenant à quelqu’un d’autre). Celle-ci, habituée à la formule déjà bien engagée dans le cas de l’écoquartier de la Jonction, à Genève, vient de lancer une souscription pour la réalisation sur le lieu-dit du Stand, de 120 appartements, des espaces communs et des surfaces d’activité, le tout sur un site avec une magnifique vue. Pourquoi social ? L’attribution des logements y sera très stricte : réservée quasi complètement aux habitants de Nyon, et pour l’es-

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sentiel des logements subventionnés et abordables – catégories proche des logements sociaux à la française. Permettre aux ménages moins favorisés de venir habiter un peu plus loin, c’est aussi leur permettre de mieux se déplacer : belle initiative donc que celle du promoteur Nexity qui désormais fournit des logements avec voiture intégrée, oui, mais partagée ! Le double partenariat du promoteur avec Ubeeqo et Zenpark lui permet de proposer désormais des places de parking mutualisées et des services d’autopartage intégrés aux immeubles commercialisés, l’autopartage à domicile, donc. L’idée est ingénieuse dans la mesure où les voitures personnelles restent sous-utilisées dans les centres urbains, elle permet aussi d’éviter le déplacement supplémentaire pour se rendre à une station publique et aux personnes aux revenus plus modestes de se passer de voiture. Reste à dépasser les problèmes récurrents de disponibilité aux heures de pointe et le week-end…

Mille et une manières de recycler nos sols urbains Pas toujours facile de dépolluer les sols, les Sociétés publiques locales d’aménagement en charge de programmes de renouvellement urbain en connaissent un rayon à ce sujet. Des pistes très prometteuses de phytoextraction ont récemment fait parler d’elles à la communauté d’agglomération de Creil, en région parisienne. Les résultats d’une expérimentation lancée depuis 2013 en partenariat avec l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Inéris) sur le site d’un hectare d’une ancienne usine de camping-cars, se sont révélés positifs. Ils ouvrent la voie vers un recours plus systématique aux phytotechnologies. Le principe est simple : la plantation de saules des vanniers et d’arabettes permet à ces végétaux d’absorber des résidus riches en zinc ou en cadmium saturant sur certaines zones les sols. Reste, bien sûr, les dépollutions profondes et la lenteur du procédé, mais la méthode commence à se creuser une place avec l’avantage considérable de pouvoir servir de technique d’appoint à très bas coût. Toujours au ras du sol, c’est cette fois Genève qui vient de décider de repaver trois de ses grandes rues et de généraliser ce revêtement à toute la cité. Rien à voir avec un passé médiéval ! Le pavage des rues a un effet, paraît-il, très efficace sur la limitation des vitesses auprès des automobilistes : ils ont l’impression de rentrer dans un périmètre historique et s’attendent à chaque mètre à voir surgir un piéton. Le projet, certes esthétique (pas loin de cinq variétés de pavés ornent la ville), reste coûteux, les bus étant les premiers “usagers” à les endommager de manière récurrente.


L’AGENDA

QUESTIONS PUBLIQUES JEAN-MARIE BIETTE : L’AVENIR EST DANS LA MER La France dispose du deuxième espace maritime mondial après les États-Unis et est présente sur toutes les mers du monde. Cet espace recèle des richesses infinies ou presque : réserves d’hydrocarbures, ressources minérales, énergies renouvelables… Et pourtant, la France « a partiellement manqué son destin naturel de leader océanique de l’Europe », souligne Jean-Marie Biette, secrétaire général d’Infomer, le pôle maritime du groupe OuestFrance, et auteur de l’ouvrage La mer est l’avenir de la France (L’Archipel, 2015, 18,95 €). Longtemps journaliste à Nantes, il plaide pour que notre pays s’empare de la devise de la ville, Favet Neptunus eunti (« Neptune favorise celui qui part »), une incitation à regarder vers le large avec le dieu des mers et des océans. > Mardi 26 janvier à 18 heures, au CCO, tour Bretagne, à Nantes. Entrée libre

PATRICK WEIL : LE SENS DE LA RÉPUBLIQUE Après le double traumatisme de janvier 2015 et du 13 novembre dernier, Patrick Weil, historien de l’immigration et de la nationalité, questionne la République : identité, laïcité, nationalité, immigration, fait religieux, frontières, héritage colonial… Directeur de recherche au Cnrs, Patrick Weil a publié Le sens de la République, avec la journaliste du Monde Nicolas Truong (Grasset, 2015, 17 €). > Jeudi 3 mars à 18 heures, au CCO, tour Bretagne, à Nantes. Entrée libre

Questions publiques est un cycle de rencontres co-organisées par le Conseil de développement de Nantes Métropole, le CCO et Place publique.

LECTURES EN PARTAGE À SAINT-NAZAIRE Douze heures de lecture en public au programme de cette première nazairienne que les organisateurs souhaitent « joyeuse, forcément joyeuse » : chaque lecteur et lectrice préalablement inscrit dispose de cinq minutes et pas une de plus pour lire un extrait d’une œuvre littéraire qu’il aura choisie, que ce soit un roman, du théâtre, de la poésie… Une journée pour échafauder l’étrange panorama des goûts littéraires d’une ville et partager son livre préféré. > Samedi 16 janvier de 10 heures à 22 heures, salon République à Saint-Nazaire. Entrée libre. Renseignements : auteurlecteurs.canalblog.com

« GARES », UNE RENCONTRE AU CINÉMATOGRAPHE « Gares » : Le Cinématographe à Nantes, les éditions Joca Seria et la revue Place publique Nantes/Saint-Nazaire organisent une soirée-rencontre autour de ces lieux de départ et d’arrivée, de séparation et de retrouvailles, que sont les gares. La soirée débute à 20 heures par la projection d’un court-métrage de Sam Karmann, Omnibus. Un échange est ensuite prévu autour du dossier consacré par Place publique à la future gare de Nantes et la sociologue Élisabeth Pasquier lira des extraits de son livre La passagère du TER, publié par Joca Seria (janvier 2016), qui raconte la ligne Nantes-Pornic. À 21 heures, projection du film de Claire Simon, Gare du Nord (2013), avec Nicole Garcia, Reda Kateb et François Damiens. > Le jeudi 4 février à 20 heures, au Cinématographe, 12 bis, rue des Carmélites à Nantes. Entrée : de 3 € à 5 €.


PROCHAIN NUMÉRO

PLACE PUBLIQUE # 56 PARUTION LE 5 MARS 2016 DOSSIER

Nantes, Saint-Nazaire et la BD Pour les « classiques », il y a Tintin, le capitaine Haddock et Milou qui découvrent Saint-Nazaire dans Les 7 boules de cristal sur les traces du professeur Tournesol disparu. Il y a encore le coureur automobile Michel Vaillant, né en 1957 de l’imagination du dessinateur nantais Jean Graton, alors installé en Belgique, et qui, près de soixante après, poursuit sa carrière sur les circuits du monde entier. Pour les « modernes », il y a Nantes et tout l’écosystème qui se développe autour de la bande dessinée, avec des auteurs connus et reconnus comme Hervé Tanquerelle, Cyril Pedrosa ou Gwen de Bonneval, fédérés par une expérience de BD numérique menée depuis 2013 en partenariat avec Arte, Professeur Cyclope. Des dessinateurs et scénaristes se retrouvent également au sein de collectifs, comme Vide-Cocagne, qui réunit des autodidactes et édite des livres, mais se veut aussi engagé dans la ville et effectue, par exemple, des interventions auprès des scolaires ou en milieu carcéral. Vide Cocagne travaillait depuis un peu plus de deux ans sur une maison de la BD, lieu à la fois destiné aux « pratiquants » et ouvert au public. Cette idée a rencontré la volonté de la Ville et cette « maison » sera officiellement lancée au début de cette année 2016. Cette aventure de la BD et du dessin à Nantes et à Saint-Nazaire, son rôle dans Ilustration de Thomas Gilbert pour le projet d’une la ville, son économie et ses représentations de la ville, c’est ce que Place pumaison de la BD à Nantes porté par l’association blique vous racontera dans son numéro Vide-Cocagne. 56.

D’ici là, suivez l’actualité de Place publique sur Twitter et sur Facebook @revPlacePubliqu

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Place 6 numéros 50 € Publique

Vient de paraître

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LA REVUE URBAINE NANTES / SAINT-NAZAIRE

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Un des réseaux les plus longs, un des plus fréquentés de France, qui assure 60 % des déplacements en transports publics dans l’agglomération. Le tramway nantais vient tout juste de fêter ses 30 ans en 2015. Même s’il possède une histoire beaucoup plus ancienne qui remonte au 19e siècle. Mais c’est du tramway moderne qu’il s’agit, celui que Nantes a été la première ville de France à relancer. Plus qu’un simple moyen de transport, le tramway est un outil qui permet de redessiner la ville, de la recoudre, de l’embellir, de rapprocher les communes et les quartiers périphériques du cœur de l’agglomération. En cela, le tramway a vraiment changé Nantes. C’est ce que montre, images, chiffres et témoignages à l’appui, ce numéro hors-série de la revue Place publique. Place publique En vente en kioque et en librairie au prix de 5 €


#55 Janvier Février

Place Publique

2016

Place #55 Publique

La passerelle qui réunifie la gare de Nantes

NANTES/SAINT-NAZAIRE

p. 108 LE PALMARÈS 2016 DES JEUNES ARCHITECTES LIGÉRIENS p. 119 APRÈS LE 13 NOVEMBRE, « DÉSOLATION » PAR JEAN-CLAUDE PINSON p. 125 RÉGIONALES : DES RÉSULTATS EN TROMPE-L’ŒIL

9 782848 092614

LA REVUE URBAINE | Janvier-Février 2016

DOSSIER | P 7 | UNE STAR DE L’ARCHITECTURE AU CŒUR D’UN PROJET URBAIN

La passerelle qui réunifie la gare de Nantes INITIATIVES URBAINES | P. 141 | LES DÉCISIONS : BERGES, FRANCHISSEMENTS, NAVETTES FLUVIALES…

Après « la Loire et nous », débat sur la méthode 10E


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