Cahiers de l'Addictologie Nord-Pas-de-Calais n°2

Page 1

A

DDICTIONS

environnements et

annĂŠe 2010


éditorial

A

DDICTIONS

environnements et

THIERRY DANEL

Médecin addictologue, Président de l’Espace de Concertation et de Liaison Addictions Tabagisme et du Groupement Régional d’Alcoologie et d’Addictologie Nord Pas-de-Calais (ÉCLAT-GRAA)

Lors des quatrièmes assises régionales de l’addictologie du Nord - Pas-de-Calais, qui ont eu lieu un certain matin d’octobre 2008, Monsieur Bruno Delaval, directeur de l’URIOPSS, Union régionale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, acteur bien connu du monde associatif, modérait ainsi son ouverture. Alors que les échanges portaient sur l’identité de l’addictologie, les doutes et les interrogations quant à la pérennité de son dispositif, sa pertinence, ses forces et ses fragilités aussi, Monsieur Bruno Delaval fit inopinément une intervention dont le souvenir ne m’a pas quitté. “Qu’on le veuille ou non, dit-il haut et fort, l’addictologie, existe réglementairement, elle existe bel et bien tant dans l’organisation sanitaire, universitaire, médico-sociale et associative que dans les dispositifs désormais labellisés, pérennes et budgétisés”. Dès lors, nous, médecins, travailleurs sociaux, paramédicaux, sociologues, psychologues, usagers, qui étions pendant plus de 20 ans considérés comme des professionnels à la marge s’occupant de personnes insolites ou marginales, sommes devenus par là même des acteurs reconnus du champ sanitaire et social et quelque soit notre appartenance d’origine, légitimés pour offrir notre aide en addictologie. L’addictologie -qui aurait pu n’être que sociale ou psychopathologique, génétique ou biologique, tant son mode d’expression est polyvalent et ses déterminants polyfactoriels- réussissait ainsi le tour de force, de gré ou à son insu, de devenir le paradigme

de la multidisciplinarité. Les années 2000 ont légalisé les dispositifs sanitaires (les services d’addictologie) et médicosociaux (les CSAPA). L'universitarisation régionale de l'addictologie désormais acquise avec la nomination récente du Pr Olivier Cottencin au CHRU de Lille s'accompagne d'une formation standardisée des cadres de l’addictologie. Parrallèllement, les associations oeuvrant dans le domaine addictologique se sont fédérées ou ont fusionné tant en région (ECLAT et GRAA) qu’au niveau national (F3A et ANIT). Elles sont régulièrement consultées par les pouvoirs publics et siègent couramment dans les instances régionales de l’addictologie. Ici comme dans de nombreux champs d’investigation, les progrès ne sont pas linéaires et surviennent par à-coups. Les traitements par méthadone et buprénorphine, les substituts nicotiniques, la simplification et la standardisation du sevrage à l’alcool et aux benzodiazépines, la généralisation de la multidisciplinarité ont aussi suivi ce processus bondissant. Après avoir mené cette mission de reconnaissance de l’addictologie et participé à la construction de ses fondations, il faut continuer à concourir à son développement. L’implication de l’environnement dans ses dimensions sociologique, psychopathologique mais aussi biologique (épigénétique) annonce peut-être un nouveau bond. C’est précisément le thème que nous avons choisi d’explorer pour ces 5èmes assises régionales de l’addictologie.

Directeur de la publication : Thierry Danel - Rédactrice en chef : Francine Benattar - A participé à ce numéro : Paul Becquart- Edition : Coordination des Associations Régionales en Addictologie - 235 avenue de la recherche - Parc Eurasanté - CS 50086 - 59373 Loos cedex - Téléphone 03 20 21 06 05 - Crédits photos : www.istockphoto.com - Impression : CARSAT Nord-Picardie - Cahiers de l’addictologie financés par la Région Nord - Pas-de-Calais

2 CAHIERS DE L’ADDICTOLOGIE N°2


points de vue

Place des dispositifs addictologiques

dans un environnement

EN CRISE? Daniel Lenoir, directeur de l’Agence Régionale de Santé Nord - Pas-de-Calais

«La lutte contre les addictions nous semble être une priorité de santé publique. D’autant plus, que dans un contexte de crise économique et sociale, les situations de stress, de souffrance et de perte de repères sont de plus en plus nombreuses entraînant inéluctablement une augmentation des conduites à risques. Parmi celles-ci, la dépendance au jeu me préoccupe particulièrement par ses dimensions de refuge (jeux en ligne) ou d’espoir (jeux d’argent). En matière de prévention et de lutte contre les addictions, notre région, par ses réseaux d’acteurs de proximité, est particulièrement bien placée pour accompagner le programme régional de santé publique actuellement dans sa phase d’évaluation. Dans ce programme, je compte faire de l’éducation à la santé une priorité régionale, qu’il s’agisse d’addiction ou non, et souhaite en discuter avec tous les acteurs concernés. Les jeunes doivent s’approprier le vocabulaire, les messages et les réflexes développés par les tenants de l’éducation à la santé et ce, le plus tôt possible. Ils doivent également comprendre les conséquences d’une addiction ou d’une surconsommation (binge drinking) sur soi mais aussi sur les autres, je pense aux victimes d’accidents de la route dans lesquels l’alcool ou la drogue, quelquefois les deux jouent un rôle central. Enfin, parce qu’il est difficile de sortir d’une addiction, l’Agence régionale de santé se donne pour mission d’organiser, avec les acteurs de proximité (associations, professionnels de santé, etc.), de véritables parcours de soins et d’accompagnement des personnes en situation de dépendance».

Bruno Delaval, directeur de l’Union régionale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (URIOPSS) Nord - Pas-de-Calais

«Je ne pense pas qu’il faille encore parler de dispositifs mais bien de processus d’approche et de prise en charge. Cette ancienne notion, trop figée, ignore les possibilités d’évolution et d’adaptation à un contexte de crise. Or, depuis 2008, les repères économiques et sociaux ne cessent de changer», explique Bruno Delaval, directeur de l’URIOPSS Nord-Pas-de-Calais. «La difficulté réside désormais, continuet-il, dans la capacité à répondre à cette évolution, donc à analyser rapidement les nouveaux déterminants sociaux. Si les consommations à risque évoluent (apéro géant, binge drinking) en période difficile, la rétorsion n’est pas la solution appropriée. Elle révèle une forte rigidité des «dispositifs», le plus souvent politiques et une logique de planification inadaptée. Les associations savent bien que la hausse du tabac ne résoud rien. Elles sont, avec la médecine de ville, dans une logique de compréhension des comportements et de leur évolution. Elles peuvent analyser en continu les déterminants sociaux en addictologie et adapter leurs réponses. «De fait, les processus globaux de prévention, d’accueil, d’écoute, de prise en charge et de soins, mis en place par ces réseaux doivent bénéficier de soutiens plus actifs de la part des pouvoirs publics. Ces derniers doivent jouer un rôle de stabilisateur et non de déstabilisateur en temps de crise (incertitudes sur les finances, restructuration permanente, etc.)». CAHIERS DE L’ADDICTOLOGIE N°2

3


ACTUALITÉS La participation des usagers ne se décrète pas, elle s’apprend

Par Marie Villez, membre du Granitéa et du Cara, directrice du Cèdre Bleu

La participation des usagers dans les dispositifs sanitaires et médico-sociaux relevant de l’addictologie est un enjeu majeur. La loi du 4 mars 2002 relative au droit des malades et à la qualité du système de santé pose les bases de cette volonté de «démocratie sanitaire». La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale en fait un outil essentiel pour l’exercice du droit des usagers. L’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) a publié une recommandation de bonnes pratiques professionnelles sur ce thème. Des conseils de vie sociale sont mis en place dans les établissements. Il n’y a plus qu’à… Mais au-delà de ces obligations réglementaires, il s’agit bien d’un changement dans les relations entre les professionnels et les personnes accompagnés au point de modifier les pratiques et l’organisation des établissements. La participation des usagers ne se décrète pas, elle s’apprend de part et d’autre. Les obstacles, les craintes, les questions sont nombreux. Ecouter la parole des usagers, pour un professionnel, implique une posture qui valorise l’avis, le point de vue, les be-

4 CAHIERS DE L’ADDICTOLOGIE N°2

soins des usagers dans un rapport d’échange plus que de pouvoir. Pour l’usager, il est important de dépasser les simples revendications pour co-construire dans un rapport de confiance un projet de soin certes individuel mais qui prend en compte les besoins et les contraintes du collectif et de l’environnement. Ainsi le champ de la participation doit se définir avec précision. Cela implique de réfléchir aux rôles de chacun, aux outils utilisés, et de mettre au débat les enjeux et les limites de ces pratiques. Ceci est d’autant plus important que cette «participation des usagers» dans les établissements est soumise à évaluation. Nous avons à rester très vigilants pour que ces évaluations, dont les indicateurs restent à construire, soient toujours guidées par le souci de la valeur des personnes (professionnels et usagers) et de la confiance dans leurs capacités d’analyse et de réflexion. L’articulation complexe entre droit individuel et démocratie, prise dans des logiques multiples, ne peut en effet être réduite à des indicateurs comptables et rationnels. L’enjeu, puisqu’il est humain est à prendre très au sérieux … Le Cèdre bleu 247 boulevard Victor Hugo - 59000 Lille Tél. 03 20 07 20 94 www.cedrebleu.lille.free.f

Les usagers en première ligne Par Philippe Bourhis, responsable de département éducatif et social

Les Centres d’hébergement et de réinsertion sociale à orientation addictologique de l’Association VISA s’attachent dans leur projet à favoriser l’expression des usagers qu’elle soit verbale, écrite ou corporelle. Communication et expression sont le cœur même du projet d’accompagnement des personnes rencontrant une problématique addictive. Le conseil de vie sociale de l’association VISA va aussi dans ce sens. Ce conseil de vie sociale a pour but de faciliter la participation des usagers à la vie des établissements et de l’association grâce à ses représentants élus parmi les usagers. Il permet aux usagers de s’exprimer sur les projets et le fonctionnement de nos six établissements. Il a voix consultative pour tout ce qui concerne l’évolution des projets de l’association. Les élections ont lieu tous les ans. Depuis sa création en novembre 2005, les usagers ont participé à la création des outils liés à la loi du 2 janvier 2002 (livret d’accueil, règlement de fonctionnement, contrat de séjour, procédure de lutte contre la maltraitance), à la réflexion sur les référentiels de bonnes pratiques et les projets d’établissement et dernièrement au questionnaire de satisfaction. Vivre l’Insertion Sans Alcool (V.I.S.A) - 92 rue des Stations - 59000 LILLE Tél. 03 20 93 62 30 - www.asso-visa.fr

Priorité à la relation parent enfant Par Liliane Dupont, directrice de l’ANPAA 59, Marie-Ange Testelin, directrice d’ÉCLAT-GRAA Nord - Pas-de-Calais

Nous menons depuis plusieurs années, des programmes de sensibilisation auprès du grand public et des professionnels de la périnatalité sur les risques périnataux liés à la consommation des substances psychoactives pendant la grossesse, en particulier l’alcool, le tabac et le cannabis*. En quelques années, plus de 1500 professionnels médicaux, paramédicaux, socioéducatifs issus des maternités, services de PMI, centres d’hébergement, services de pédiatrie, CAMSP… en lien avec les partenaires de l’addictologie, les réseaux périnatalité et l’assurance-maladie ont été sensibilisés sur les territoires de la région. Aujourd’hui, il est nécessaire d’élargir notre approche pour une meilleure prise en compte de ces questions tant en amont de la grossesse que dans les premières années de la vie de l’enfant, et notamment sous l’angle du soutien de la relation parent-enfant. Ces orientations impliquent désormais de s’adresser à un réseau plus large de professionnels, comme ceux de la petite enfance, les services de l’aide sociale à l’enfance, les milieux éducatifs et judiciaires, l’Education nationale… Elles supposent, d’autre part d’adapter l’offre afin de promouvoir les interactions entre ces différents champs professionnels. * financement GRSP, MILDT et Conseil Général du Nord et désormais ARS.

ANPAA 59 Tél. 03 38 36 47 00 - www.alcoolinfo.com ECLAT-GRAA Tél. 03 20 21 06 05 - www.alcoosite.fr


Les jeux en ligne Les logiques économiques et sanitaires s’opposent Par Jacques Yguel, médecin addictologue

L’ouverture à la concurrence et la régulation des jeux d’argent en ligne1 a mis fin au monopole d’Etat datant de 1836, délégué à la Française des Jeux (1978) et au Pari Mutuel Urbain (1980). Avant 2003, les casinos bénéficiaient d’une dérogation sous réserve d’accord du Ministère de l’Intérieur. La protection des consommateurs (dépendance et abus) était invoquée pour maintenir ce monopole (bien que la Française des Jeux ait une offre en ligne) mais c’est une jurisprudence européenne (arrêt Gambelli 2003) qui est venue justifier la nonconformité du droit français au droit européen. Les entreprises pourront donc dorénavant investir le jeu en ligne sous réserve d’obtention d’une licence via l’Autorité de Régulation des Jeux d’argent En Ligne (ARJEL). La publicité des sites est aussi autorisée sur tous les supports possibles sauf ceux ciblés aux mineurs et sous réserve d’avertissements concernant les addictions. Il est prévu des contrôles concernant le blanchiment d’argent (obligation de vérifier l’identité du joueur résidant en France) et des mesures limitant des dépôts. La logique est bien sûr économique avec l’ouverture d’un marché. En 2004, la Française des jeux engrangeait 8,55 milliards d’euros plus 22 millions d’euros sur internet (8 millions en 2003). En 2005,

30 millions d’adultes auraient joué au moins une fois à un jeu d’argent, 5 millions de joueurs par semaine au loto en 2006 et 1,8 million de visiteurs en 2005. La loi laisse présager pour les investisseurs des gains très importants. Si l’on perçoit combien les retombées économiques pour les différentes structures concernées sont significatives, il est aussi évident qu’il faut envisager une augmentation du nombre de joueurs pathologiques (loi de Ledermann) qui est déjà estimé à 1 à 3% de la population générale et à 6% de la population dépendante. La structuration d’une réponse en termes de soins est préconisée2. La loi a instauré des dispositifs d’accompagnement en ligne (ADICTEL), 8 centres de référence sur le jeu excessif (CRJE) devraient voir le jour ayant pour mission l’information et le soin, relayés par les CSAPA. Les anciens acteurs comme SOS Joueurs et ADALIS offrent des informations et de l’aide via le net ou une assistance téléphonique. Logiques économiques et sanitaires s’opposent. Vieux débat donc entre accessibilité et prévention, entre liberté et contraintes, entre prévention et soin. Il faut espérer que l’information du public suivra, que la prévention et l’accès aux soins seront à la hauteur des moyens nécessaires. 1. Loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 - 2. Rapport pour la MILDT concernant le problème des addictions aux jeux Jean Luc VENISSE 2006

La surmortalité

des usagers de drogues n’est pas réglée

Par Laurent Plancke, chargé de recherche, Cèdre bleu Lille

La surmortalité des usagers de drogues a été considérée comme un problème réglé en France à partir de la diffusion des traitements de substitution aux opiacés, au milieu des années 1990, partant de la rapide diminution des décès par overdose enregistrés par les services répressifs (Ocrtis) et par pharmacodépendance enregistrés par l’Inserm (CepiDC) à partir de cette période. Bon nombre d’études rapportent pourtant que les usagers dépendants connaissent une surmortalité, liée directement à leurs consommations (surdosages), aux modalités de consommation (pathologies infectieuses transmises par l’utilisation d’un matériel d’injection contaminé), à des troubles de personnalité (suicides) ou encore au mode de vie de certains d’entre eux (précarité). Nous avons cherché, par un recueil de cas auprès des services de soins pour toxicomanes de la région Nord - Pas-de-Calais pendant douze mois, à apprécier le nombre de ces décès et à calculer un taux de mortalité parmi les usagers de drogues suivis dans ces services. 58 cas ont été enregistrés en un an, soit un taux de mortalité compris entre 7 et 11‰, selon le mode de calcul employé. Ce nombre est 3 fois plus élevé que celui émanant du CepiDC (21 en 2007) et 15 fois supérieur au dernier chiffre publié par l’Ocrtis (4 en 2004). 50 cas sur 58 interviennent chez des sujets de 15-44 ans ; leur taux de mortalité est 10 fois supérieur à celui de la population régionale toutes causes égales par ailleurs et de même âge. Les décès concernaient souvent des sujets qui étaient sous traitement de substitution aux opiacés (36 cas), connaissaient la précarité (39 cas). 5 de ces décès sont intervenus en prison. Le surdosage était la première cause retrouvée (21) ; 13 décès avaient une cause violente (dont 5 suicides), 12 une cause médicale et 12 étaient de cause inconnue. Cette enquête a confirmé la forte mortalité des usagers de drogues et a validé la faisabilité d’un système basé sur une notification par des services d’accueil de réduction des risques ou de soins en addictologie. Références bibliographiques : Lopez D., Martineau H., Palle C., Mortalité liée aux drogues illicites - Étude d’une cohorte rétrospective de personnes interpellées pour usages de stupéfiants, Saint-Denis, OFDT, 2004, 154 p. - Plancke L., Specenier, F., Tableau de bord sur les usages de drogues illicites dans le Nord - Pas-de-Calais, Lille, Granit, 2007, 112 p.

Le Cèdre bleu - 247 bd Victor Hugo - 59000 Lille Tél. 03 20 07 20 94 - www.cedrebleu.lille.free.fr

CAHIERS DE L’ADDICTOLOGIE N°2

5


dossier

Comment l’environnement, l’alcool remodèlent

notre épigénome pendant notre vie

?

Mickaël Naassila, Emmanuelle Simon, Rémi Legastelois, Béatrice Botia, Hakim Houchi, Stéphanie Alaux, Jérôme Jeanblanc, Catherine Vilpoux, Olivier Pierrefiche, Martine Daoust, Groupe de Recherche sur l’Alcool & les Pharmacodépendances, INSERM ERI 24, Université de Picardie Jules Verne, Amiens

La vulnérabilité à l’addiction à l’alcool dépend de l’interaction entre les gènes et l’environnement. Le développement de cette maladie chronique s’accompagne de modifications durables de l’expression génique (neuro-adaptations) qui pourraient s’expliquer, au moins en partie par des modifications épigénétiques. Ces dernières correspondent à des modifications qui ont pour effet de modifier l’expression de gènes de manière durable et héritable (transgénérationnelle). Des données récentes indiquent que des facteurs environnementaux incluant des évènements de vie, les drogues, des perturbations à un stade précoce de la vie, un stress, une carence nutritionnelle, ont la capacité de

6 CAHIERS DE L’ADDICTOLOGIE N°2

modifier l’épigénome. L’épigénome constitue donc une interface primordiale entre les gènes et l’environnement et s’apparente à un mécanisme probable d’une forme rapide d’adaptation transgénérationnelle qui permet de s’adapter à l’environnement. L’épigénome peut également être perçu comme un niveau supplémentaire dans la dynamique d’expression génique, l’environnement laissant son «empreinte» (nouveau «code barre») qui contrôle de manière durable un profil particulier d’expression des gènes. Des études ont ainsi montré chez l’Homme que des carences nutritionnelles pouvaient avoir des répercussions sur plusieurs générations. Ainsi, pendant la deuxième guerre mondiale, les mamans ayant subi l’embargo sur

les denrées alimentaires en Hollande ont eu des enfants hypotrophes et cette hypotrophie a également été observée dans la génération suivante1. Une autre étude a indiqué qu’une restriction alimentaire des grands parents, notamment quand elle a lieu dans la petite enfance ou en période périnatale avait une incidence en termes de mortalité chez les petits enfants2. Des études chez l’Homme et l’animal ont aussi suggéré que l’exposition à un toxique comme le diéthylstilbestrol (Distilbène), la vinclozoline (fongicide pertubateur endocrinien) ou encore le méthoxychlore (pesticide), entraînent des malformations et aussi augmentent le risque de cancer dans les générations ultérieures. L’influence de la qualité de l’environ-


e nv i ro nn em ent s , ép ig én ét i qu e et a dd ict i on s

De manière intéressante il a été montré chez le rat que l’attention por tée par la maman à ses petits et à un stade précoce de la vie influence le profil des gènes dans le cer veau adulte. nement à une période précoce de la vie fait l’objet d’intenses recherches. De manière intéressante il a été montré chez le rat que l’attention portée par la maman à ses petits et à un stade précoce de la vie influence le profil des gènes dans le cerveau adulte. Ces données démontrent que des changements de l’épigénome établi par l’environnement pendant les stades précoces du développement peuvent être inversés par des stimuli environnementaux, même à l’âge adulte. Dans un autre registre, des stratégies thérapeutiques ciblant les mécanismes épigénétiques dans les maladies neuropsychiatriques ont été proposées notamment pour la schizophrénie, la dépression, l’anxiété, la maladie de Huntington et l’addiction3. Relativement à l’addiction à l’alcool, des travaux récents ont démontré que certaines neuro-adaptations induites par l’exposition chronique à l’alcool sont dues à des modifications épigénétiques. Récemment, notre laboratoire a mis en évidence que des agents pharmacologiques sont efficaces dans la réduction de l’appétence à l’alcool chez les rats alcoolodépendants. Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives thérapeutiques basées sur un nouveau concept dans lequel il s’agit d’interagir avec les effets de l’alcool au niveau de l’expression génique et plus particulièrement via des mécanismes épigénétiques. Rechercher comment effacer les modifications épigénétiques induites par l’alcool dans des régions spécifiques pourrait mener à un traitement potentiel de l’addiction. 1. Susser M, Stein Z. Timing in prenatal nutrition: a reprise of the Dutch Famine Study. Nutr Rev. 1994;52(3):84-94. Review. 2. Kazantsev AG, Thompson LM. Therapeutic application of histone deacetylase inhibitors for central nervous system disorders. Nat Rev Drug Discov. 2008;7(10):854-68. Review. 3. Pembrey M. b Imprinting and transgenerational modulation of gene expression; human growth as a model. Acta Genet Med Gemellol (Roma). 1996;45(1-2):111-25. Review.

Interview d’Olivier Cottencin, chef du service d'Addictologie du CHRU de Lille

Aujourd’hui le modèle qui ne laisse la priorité ni au produit, ni à l'environnement, ni à la psychopathologie est le plus proche de la réalité des patients souffrant d’addictions. En matière d’addiction, l'héritabilité génétique ou le pourcentage d'explication de la maladie par les gènes varie de 20 à 70% selon les substances (70 % tabac, 43% alcool). «Mais cette variabilité selon les substances pose problème sachant qu’elles n’ont pas le même pouvoir addictogène, le tabac étant l’un des plus puissants. Et que dire si le produit favorise lui-même d’autres addictions», interroge le Professeur Olivier Cottencin, Chef du service d'Addictologie du CHRU de Lille. «Les études épidémiologiques menées chez des sujets dépendants à une substance ont montré un risque multiplié par 7 d'être dépendants à une autre substance. Mais ceci peut être expliqué par l'atteinte neurobiologique du système de récompense commun à toutes les addictions et qui s'emballe chez certains plus que chez d'autres». Environnement et dépendance «En fait, précise t-il, nous ne pouvons parler que de vulnérabilité génétique et d’interaction gène-environnement. Il fut ainsi démontré que dans des familles d’adoption le risque de dépendance chez les enfants adoptés dépendait à la fois de l'environnement (abus d'alcool chez les parents adoptifs) et de l'hérédité (abus d'alcool chez les parents biologiques). Malheureusement, l'exposition fœtale à l'alcool qui favorise la dépendance précoce et les troubles cognitifs de vulnérabilité aux addictions, invalide l'idée d'une parenté génétique à la dépendance puisqu’il s'agit d'une complication obstétricale. L'interaction gène-environnement suppose donc le rôle partagé de facteurs génétiques et environnementaux dans l'expression de gènes communs à la vulnérabilité. Les facteurs environnementaux semblent plus impliqués dans l'initiation à une substance et les gènes dans l'installation de la dépendance.» Pondération environnementale La France est passée d'une consommation annuelle de 20 litres d'alcool par personne dans les années 70 à 12 litres en 2008 avec un taux constant de 3 à 6% de personnes dépendantes. L'environnement ne fait donc pas tout. «En matière d'addiction, un important pondérateur est la psychopathologie de l'individu dans son environnement. A ce jour, le meilleur modèle de compréhension des addictions est la vision biopsychosociale des addictions proposée par Claude Olievenstein qui présentait la dépendance comme la rencontre d'une personnalité avec un produit dans un environnement socioculturel. Ce modèle ne laisse la priorité ni au produit, ni à l'environnement, ni à la psychopathologie mais ouvre autant de pistes de compréhension que de pistes thérapeutiques».

CAHIERS DE L’ADDICTOLOGIE N°2 7


dossier

Familles

et dépendances

Interview Pascal Mélihan-Cheinin, Direction générale de la santé, Sous-direction de la promotion de la santé et de la prévention des maladies chroniques L'environnement familial joue un rôle

frères et des sœurs est également do-

la persistance de bon nombre de

rents qui fument et, particulièrement, qui

non négligeable dans l'apparition puis

conduites addictives. Qu'est ce qui fonde cette influence ?

Une littérature scientifique ancienne et

abondante montre l’importance de la corrélation entre consommation des pa-

rents et comportements de consomma-

tion de substances psychoactives de leurs enfants. Ainsi, une sous-analyse de

la cohorte prospective américaine

cumentée. Ainsi, le fait d’avoir des pa-

(Catalano et collègues, 1998). Des ten-

n’interviennent pas pour dissuader leurs

des parents et de la fratrie favorable à la

enfants de le faire, prédit largement le tabagisme de l’individu. Ce constat gé-

Un récent rapport de l’office des Nations

ils ne sont plus que 14% si les deux parents

71% par rapport au cas où deux parents

fument) mais respectivement 37% si les

deux parents fument actuellement et 29% si les parents sont d’anciens fumeurs.

Parmi les parents, le modèle maternel

Unies contre la drogue et le crime

lègues (2003), le poids des parents prime

les principaux facteurs qui, dans une fa-

milles étudiées par Bricker et ses col-

gulier, sur celui de la fratrie.

le rôle de la fratrie importe également.

susceptibles

d’avoir

Mais évidemment les déterminants des

l’absence d’une relation approfondie

ment éducatif parental insuffisant, l’en-

vironnement familial désorganisé, des

cation entre enfants et parents, des rè-

ment de manière excessive des subs-

multiples : faible niveau de communigles

et

des

attentes

sur

le

et peu communiquées, une discipline le réel ou, à l’inverse, faiblesse du

parents ou frères et sœurs qui consom-

tances, souffrent de maladie mentale

ou se livrent à des comportements délinquants et enfin l’isolement social.

Y a-t-il des environnements familiaux

protecteurs vis à vis de certaines

contrôle et de l’autorité des parents,

conduites addictives ? Si oui, lesquels ?

de conduite désordonnée, de compor-

des parents clairement hostile au tabac

constituent autant de facteurs de risque

Moins connue, l’influence de celle des

tement délinquant et de consommation

8 CAHIERS DE L’ADDICTOLOGIE N°2

sont l’absence d’attachement et l’insé-

conduites addictives des jeunes sont

consommé ce produit à l’âge de 11 ans (Pihl et collègues, 1998).

excessive de substances psychoactives

avec un adulte responsable, l’investisse-

excessivement sévère et sans lien avec

plus

cents au risque de consommation

minante pour le jeune du même sexe.

du frère ou de la sœur est surtout déter-

(Sasco et Kleihus, 1999). Les enfants de sont

mille, exposent les enfants et les adoles-

curité dans la relation avec les parents,

comportement de l’enfant peu définies

mères à forte consommation d’alcool

(ONUDC, 2009) indique clairement que

Dans le cas du tabagisme, l’influence

s’avère déterminant, en particulier pour

le tabagisme et surtout pour les filles

tuent d’autres facteurs de risque.

(Sasco et Kleihus, 1999). Pour les 5 520 fa-

Cette étude française montre aussi que

sont non-fumeurs (risque relatif réduit de

fants, ainsi que les comportements

près de plus de 13 000 lycéens à Lyon

France par une large étude réalisée au-

(Bricker et coll, 2003) montre que sur plus

fument quotidiennement en terminale ;

consommation de produit par les en-

d’abus des parents eux-mêmes consti-

largement, surtout pour le tabagisme ré-

de 3 000 enfants suivis sur neuf ans, 24%

sions au sein de la famille et une attitude

néral a été confirmé, notamment, en

conduite dans le cadre du projet Hut-

chinson de prévention du tabagisme

excessive de substances psychoactives

En matière de tabagisme, une attitude

donne plus de chance aux enfants de


e nv ir o nn eme nts , fam ille e t add ic tio ns ne pas fumer, même si les parents fument eux-mêmes (Jackson et Henrik-

gram ou ISFP) semble prometteur.

Dans un essai randomisé contrôlé,

sen, 1997; Abdelraman et collègues,

667 jeunes collégiens (6ème) de

tude la plus efficace reste celle des

rées au sort sur 33 établissements sco-

à leurs enfants les raisons pour les-

soit un suivi de 3 ans et demi après

1998). En termes de prévention, l’atti-

parents qui, ne fumant pas, expliquent

quelles il ne faut pas fumer. Une autre

l’Iowa (Etats-Unis) et leurs familles ti-

laires ont été suivis jusqu’en seconde, l’intervention, soit au total 6 ans

revue de la Cochrane (Thomas, Baker,

(Spoth et collègues, 2001)[1]. Le «

jeunes adolescents, notamment les

» a permis de retarder les expéri-

Lorenzetti, 2007) le vérifie aussi sur les

restrictions au tabagisme au domicile. Bref, un environnement familial posi-

tif est un déterminant essentiel pour limiter les pratiques à risque des ado-

lescents dont l’usage de drogues (al-

cool compris). La qualité du lien

avec les parents influence notam-

Strengthening Families Program (SFP)

mentations et les consommations de tabac, d’alcool et de cannabis. Ce

programme de renforcement fami-

lial pour les familles à risque élevé

conçu aux Etats-Unis il y a 30 ans, a été déployé dans 17 pays.

Des programmes de prévention, il est

ment la qualité du choix des pairs

vrai peu nombreux, s’adressent di-

Aider ses enfants, les encourager à

dépendants à l’alcool ou usagers de

d’eux qu’ils respectent les règles

tats sont intéressants, les lacunes mé-

par le jeune.

devenir

indépendants,

attendre

fixées et appliquer une discipline avec constance et de manière juste leur permet d’être plus résilients que

d’autres. C’est tout l’enjeu de ce

que l’on appelle «l’éducation pa-

rentale éclairée » (M. T. Stephenson et coll., 2005).

Comment orienter la prévention pour

la rendre efficace ?

Les travaux de recherche disponibles

méritent que cette question soit posée. Les programmes de prévention qui s’adressent aux familles sem-

blent aujourd’hui, en effet, plus prometteurs que d’autres types d’interventions collectives de terrain.

rectement aux enfants de parents

drogues. Si dans l’ensemble les résul-

thodologiques

empêchent

de

conclure de manière définitive, no-

tamment par l’absence de suivi de

long terme. Des effets positifs sont ob-

servés chez de jeunes enfants sans

qu’il soit possible de prévoir l’impact

définitif de ces actions à l’adoles-

cence, précisément au moment où les consommations de produits apparaissent

et

peuvent

grammes

visent

devenir

sources de difficultés. Ces pro-

essentiellement

deux cibles et suivent deux axes : améliorer les compétences person-

nelles des enfants, améliorer les pra-

tiques éducatives des parents et les

Une revue Cochrane sur les interven-

relations dans la famille.

consommation excessive d’alcool

revue de la Cochrane Library (Roseby

tions de prévention primaire de la chez les jeunes (Foxcroft et col-

lègues, 2002, mise à jour 2007), a montré que 20 des 56 interventions

revues ont fait la preuve de leur inef-

Autre exemple à part : une autre

et collègues, 2002 mise à jour 2007) de

18 études contrôlées ne permet pas

de conclure à l’efficacité comparée

des interventions d’ordre médical de

ficacité. En revanche, deux types

sevrage tabagique en direction des

des familles présentent des résultats

l’exposition de leurs enfants au taba-

d’interventions brèves proposés à

encourageants.

Sur longue période, seul un pro-

gramme de renforcement familial

(Iowa Strengthening Families Pro-

parents fumeurs pour qu’ils réduisent gisme passif. Sans doute que des me-

sures d’ordre règlementaire comme la récente interdiction de fumer pèsent davantage pour une prévention effi-

Par Emmanuelle Férésini, psychologue clinicienne et Marie-Claire Carpentier, coordinatrice, assistante sociale du d’Émergence (CSAPA de Cambrai)

« Quand les parents s’emmêlent… »

Déscolarisation, délinquance, boulimie, consommations de drogues…autant de motifs de consultation de parents en détresse face à leur adolescent. En France, la pratique addictologique propose différentes prises en charge mais les interventions restent en grande partie centrées sur l’usager. Ce mode d’intervention, emprûnt d’un devoir d’efficacité et de solutions rapides face au problème prend appui sur un modèle linéaire qui n'intègre pas le sens du symptôme. Pourtant, les symptômes souvent bruyants à l’adolescence, permettent de mettre au grand jour la fragilité psychique de la famille. Depuis 2005, l’équipe des consultations jeunes consommateurs du C.S.A.P.A Émergence de Cambrai et du C.S.A.P.A le Cèdre Bleu à Lille développent ce modèle circulaire en co-construction avec les familles et les valorisent dans leurs compétences. Que ce soit à travers des médiations, des entretiens familiaux ou des ateliers, le regard systémique propose une approche complémentaire et nécessaire à toute prise en charge individuelle dans les structures spécialisées en addictologie. Cette réflexion a également amené le C.S.A.P.A de Cambrai à développer un atelier d’expression accueillant et recueillant la souffrance d’enfants de parents malades alcooliques. Dans cet atelier, nous avons utilisé des médias artistiques (terre, collage, peinture, danse et mouvements…) pour permettre aux enfants, dans un cadre contenant, de nommer leurs peurs et d’exprimer leurs besoins. Ils ont travaillé leurs compétences dont nous pensons qu’elles participeront à une forme d’affirmation positive. CAHIERS DE L’ADDICTOLOGIE N°2 9


dossier

cace du tabagisme passif, y compris au

sociales des adolescents et responsabi-

de lutte contre le tabac, l’alcool et les

étrangères l’ont montré (Californie).

abordent les questions liées à la

tions jeunes consommateurs constituent

domicile comme certaines expériences

lisent les enfants et les adolescents, et qui

Quand la recherche enseigne qu’il est illu-

consommation excessive de substances

l’usage des drogues par des interventions

Dans notre pays, le plan gouvernemen-

soire d’espérer une prévention efficace de spécifiques en milieu scolaire, l’approche

psychoactives.

tal de lutte contre les drogues et les toxi-

par des programmes dirigés vers les familles

comanies 2008-2011 réévalue le rôle

teurs de promotion de la santé au contact

d’usage de drogues. Ainsi, des assises de

constitue une voie prometteuse pour les ac-

préventif des parents en matière

drogues illicites 2004-2008, les consulta-

un dispositif clairement ouvert à l’entou-

rage. La circulaire de la direction géné-

rale de la santé du 28 février 2008

relative aux centres de soins, d’accom-

pagnement et de prévention en addic-

tologie (CSAPA) en redéfinit les missions, en les élargissant en particulier aux al-

des populations.

la parentalité ont été organisées par la

coolisations aiguës.

d’acquisition de compétences familiales

drogue et la toxicomanie (Mildt), en mai

près de la moitié par l’entourage des

Pour l’ONUDC (2009), les « programmes

mission interministérielle de lutte contre la

se sont révélés efficaces pour prévenir

2010. La Mildt appelle à l’expérimenta-

risque, y compris la consommation ex-

d’aide à la parentalité. D’ailleurs, l’institut

Les conclusions des travaux de re-

pour la santé (INPES) envisage d’étudier

grammes

d’un programme d’acquisition de com-

nombre de ces comportements à

cessive de substances psychoactives.

cherche confirment que ces proproduisent

de

meilleurs

tion de la valorisation des programmes

Ces consultations sont fréquentées à

jeunes consommateurs de substances, avec en majorité la famille. L’entourage recherche non seulement une sol-

national de prévention et d’éducation

licitation de conseils et d’informations

la faisabilité d’une adaptation en France

pulsion, de prise de conscience vers

mais également un véritable rôle d’im-

une prise en charge.

pétences familiales.

Au-delà des structures de soins, les pa-

substances. » Les plus efficaces sont

l’entourage constitue l’une des originali-

distance, comme Internet et la télépho-

tive des parents, qui mettent l’accent sur

prise en charge des addictions. Lancées

drogues-info-service viennent de pa-

résultats que les programmes qui se bor-

nent à informer les parents sur l’abus de ceux qui suscitent une participation ac-

le développement des compétences

Par ailleurs, l’affirmation de la place de

tés de notre dispositif médico-social de

dans le cadre du plan gouvernemental

rents ont également investi les aides à nie. Ainsi, les deux tiers des appels à

rents d’adolescents.

Interview de Danièle Decat, assistante sociale et accompagnatrice, centre cure ambulatoire et alcoologique de Tourcoing (dépendant de l’ANPAA 59) - www.alcoolinfo.com

La famille qui protège, la famille qui accompagne

Il faut distinguer la famille confrontée à une addiction et la famille exempte de ce type de comportement. Famille aidante et non-aidante L’environnement familial peut jouer un rôle d’accompagnement et protecteur mais peut également se révéler comme le facteur déclencheur ou favorable à cette addiction. «Une famille aidante accompagne réellement le patient dans son mal-être et son retour au bien-être, elle ne joue pas de rôle de surveillance. Si cette famille a bien compris qu’il s’agissait d’une maladie, ses actions seront plus efficaces et plus respectueuses de l’autre», explique Danièle Decat, assistante sociale et accompagnatrice, centre cure ambulatoire et alcoologique de Tourcoing (dépendant

10 CAHIERS DE L’ADDICTOLOGIE N°2

de l’ANPAA 59). «Par contre, une famille qui n’a pas intégré la cette vision des choses risque de renforcer le sentiment de culpabilité, de nonconfiance en soi, de mal-être et finalement la prise de la substance. Ici, au CCAA nous incitons les conjoints à se faire accompagner, par un autre soignant, pour parler de leur propre souffrance et les aider à accompagner le patient», précise t-elle. Se protéger du risque Le rôle des parents est d’éduquer les enfants et de leur apporter les armes, les réflexes et les connaissances nécessaires pour évoluer sans risques à l’extérieur du giron familial. «Le sujet de l’addiction peut donc être évoqué assez tôt dans l’adolescence sans que l’expérience de chacun ne devienne l’histoire de tous. La parole et la communication au sein d’une famille étant la pierre d’achoppe-

ment de l’individu en devenir, il ne faut pas se situer dans un discours d’interdiction ou de référence. A l’adolescence, ce type de discours incite à l’expérience en termes de défiance ou de rejet. La famille ne doit pas être «jugeante» mais ouverte à la discussion et à l’écoute (comme dans un centre d’addictologie)» ajoute Danièle Decat. Parler du risque «Presque tous les adolescents ont testé une fois une substance à risque (tabac, cannabis, alcool, etc.). Dans ce cas, il est préférable de s’intéresser à son ressenti, à l’utilité du geste, à son être intérieur, briser le tabou plutôt que juger. Il faut discuter du produit, des dégâts engendrés et de sa représentation dans le groupe. Il faut laisser la parole circuler. Dans ce sens, la famille joue son rôle protecteur.»


e n v i r o n n e m e n t s é c o n o m i q u e s e t p s yc h o - s o c i o l o g i q u e s d e s a d d i c t i o n s

Environnements économiques et psycho-sociologiques des addictions

Dis-moi encore que tu m’aimes...

Interview de Thierry Brugvin, docteur en sociologie, enseignant en psychosociologie. Il est l'auteur du livre: les mouvements sociaux face au commerce éthique, Hermès/Lavoisier, 2007.

Si les addictions dites «traditionnelles» (alcool, drogues, tabac) sont le fruit d’une rencontre entre un produit et une personne «sensible» évoluant dans un environnement propice à cette consommation, le phénomène addictif, au sens propre du terme, puise ses sources dans la gestion des besoins fondamentaux de l’individu. « l’Homme exprime principalement trois angoisses : ne pas être aimé, être faible et la crainte de la mort ou de l’insécurité. Ces peurs sont contrebalancées par trois besoins fondamentaux : l’amour (être aimé, être possédé), le pouvoir (la puissance, la reconnaissance) et la sécurité (ne pas être seul, être protégé). L’équilibre résultant de ces trois besoins détermine un triangle dans lequel doit évoluer l’être humain. En franchissant ces limites, suite à un déséquilibre ou un manque (en termes de besoins à combler), l’individu sera amené à adopter des comportements (communication avec l’autre, loisirs, vie associative et familiale) visant à le recadrer réellement ou virtuellement. Hélas cet effet de balancier n’est pas aussi simple puisque que l’être humain évolue entre deux normes, l’individu et le collectif, au sein d’une société dont la mécanique économique exerce des pressions sur ce fragile équilibre. S’il en éprouve des frustrations ou des souffrances, cette personne peut être poussé à nier ses angoisse profondes sous le couvert d’autres couples besoin-comblement avec des substances particulièrement addictives pour lesquelles son organisme possède parfois déjà une certaine sensibilité, génétique par exemple.» Ainsi, à l’image d’une ancienne campagne TV de lutte contre l’alcoolisme «Je bois pour oublier», «L’addiction à un produit, tout en répondant à un besoin physique, masque le plus souvent un manque psychologique et/ou sociologique. Toutefois, poursuit-il, entre ces deux couches peuvent s’insinuer de véritables comportements addictifs mais cette fois plus normalisés (besoins de pouvoir et de vitesse) et encadrés par le système collectif.» Autrement dit, la société humaine ne cesse de fabriquer et diffuser (TV, Presse, Internet) des modèles de reconnaissance de l’individu basés sur le pouvoir (manager, élu, décision), la possession (objet, propriété, euros, consommation), l’image (mode, minceur, technologies) et certaines valeurs travail («travailler plus pour gagner plus», niveau hiérarchique). Cette société mondialisée de surconsommation et de surinformation engendre ou conforte, chez certaines personnes, de nombreux processus de frustration qui ne peuvent être comblés que par la quête démesurée et antidémocratique du pouvoir (possession, statut social, reconnaissance professionnelle, responsabilités, non-délégation, multi mandat) ou du besoin de vitesse (suractivité professionnelle, sociale et associative). Ces véritables addictions sociétales permettent de fuir les peurs inconscientes de l’individu et peuvent se compliquer d’une addiction chimique. «De ce fait, l’Homme a besoin d’une mutation anthropologique pour être plus heureux, c’est-à-dire une mutation dans la vision de l’Homme, ses besoins et ses valeurs fondamentales ». Thierry Brugvin prône ainsi « la simplicité volontaire» : «autolimiter sa consommation, vivre plus lentement, prendre conscience que notre société pousse à ne pas nous limiter, renoncer à son besoin de pouvoir sur l’autre pour se consacrer à un véritable service des autres. Avec la dimension psychosociologique, le libéralisme économique reste donc une des causes principales des addictions diverses et variées.»

CAHIERS DE L’ADDICTOLOGIE N°2 11


dossier

Influence des stress précoces : L'exemple des conduites addictives Par Stefania Maccari, professeur de neurosciences, Université de Lille 1 Influence précoce de l’environnement dans le développement de la réponse au stress : les données des modèles animaux La plasticité prénatale des systèmes physiologiques vis-à-vis de facteurs environnementaux agissant sur la mère et/ou le fœtus conditionnerait la mise en place des fonctions différenciées d’un organe ou d’un système tissulaire qui normalement prépare de façon optimale l’animal non encore né aux conditions environnementales ex utero. Dans des conditions extrêmes telles que le stress et/ou la malnutrition, la descendance de mères stressées pendant la grossesse présente des anomalies physiologiques et comportementales (Goland et coll., 1993 ; Weinstock, 2005). Barker (1995) a ainsi proposé l’hypothèse d’une programmation précoce de la vulnérabilité aux maladies chez l’adulte. Le retard de croissance intrautérin et le petit poids de naissance sont considérés comme des signes de stress prénatal chez l’homme. Des associations ont été observées entre le petit poids de naissance et l’hyperactivité de l’axe HHS chez l’adulte dans des études de cohortes chez l’espèce humaine (Phillips et coll., 1998 ; Reynolds et coll., 1998, Levitt et coll., 2000). Les glucocorticoïdes, les hormones du stress, pourraient être à l’origine de l’association entre un petit poids de naissance et des troubles

12 CAHIERS DE L’ADDICTOLOGIE N°2

cardiovasculaires, métaboliques et neuroendocriniens liés au stress chez l’adulte tels que l’hypertension, le diabète de type 2, les troubles cardiaques ischémiques, et les troubles affectifs (Seckl, 1998). Le stress prénatal programme l’axe HHS et le comportement. Une caractéristique importante de la réponse au stress est la sécrétion de taux élevés de glucocorticoïdes, ce stéroïde est donc un candidat évident comme facteur programmant du stress prénatal. Afin de mieux comprendre les mécanismes impliqués dans les effets à long terme de telles expériences précoces et pour contourner les difficultés évidentes de la recherche chez l’homme dans ce domaine particulier (études longitudinales), des modèles de stress prénatal chez l’animal ont été développés. Les modèles animaux de stress périnataux et l’axe de la réponse au stress. Différents modèles de stress chroniques ont été décrits chez les rates gravides. Au cours des dernières années, nous avons étudié l’influence d’un stress de contention lors de la gestation. La procédure utilisée consistait à restreindre les mères rats 3 fois 45 minutes par jour, entre les jours 11 et 15 de la gestation jusqu’à la mise bas à 21 jours (Maccari et coll., 1995, Morley-Fletcher, 2003). L’axe HHS de la descendance est du-

rablement affecté par ce stress prénatal, ce qui se traduit par une sécrétion prolongée de corticostérone lors de l’exposition à un stress à l’âge adulte (Maccari et coll., 1995 ; Koehl et coll., 1999). Les taux de récepteurs aux corticostéroïdes de type I et II sont réduits dans l’hippocampe à 90 jours, ce qui pourrait expliquer la sécrétion prolongée de corticostérone suite à un stress chez les animaux ayant subi ce stress prénatal (Henry et coll., 1994 ; Maccari et coll., 1995). Ces effets du stress prénatal sont marqués différemment chez la femelle que chez le mâle (Wakshlak et Weinstock, 1990 ; Mc Cormick et coll., 1995). Les effets d’un stress prénatal ont été étudiés sur la réponse du système adrénergique après exposition à la nouveauté et à un choc électrique en mesurant les variations des catécholamines circulantes et de leurs métabolites. Les taux plasmatiques de noradrénaline sont significativement plus élevés chez les rats ayant reçu un stress prénatal que chez les contrôles immédiatement après un choc électrique indiquant une activation plus grande du système nerveux sympathique chez les rats ayant subi un stress prénatal (Weinstock et coll., 1998). Le stress prénatal accélère les dysfonctionnements de l’axe HHS, l’axe du stress, liés à l’âge. Ainsi, la période d’hypo-réponse de l’axe HHS est abolie chez le rat nouveau-né exposé à un stress in utero (Henry et coll., 1994) et les taux de glucocorticoïdes circulant de l’animal d’âge moyen stressé (16 mois) sont similaires à ceux des sujets contrôles âgés (24 mois). Les modèles animaux de stress périnataux et les comportements. L’hyperactivité de l’axe du stress observée chez les rats stressés prénatalement s’accompagne chez les rats adultes (4-7 mois) d’une anxiété accrue (Poltyrev et coll., 1996 ; Vallée et coll., 1997 ; Morley-Fletcher et coll., 2003), d’une augmentation des comportements émotionnels (Thompson, 1957 ; Fride et coll., 1986 ; Wakshlak et Weinstock, 1990) ou de type « dépressifs » (Alonso et coll., 1991 ; Maccari et coll., 2001 ; Morley-Fletcher et coll., 2003 ; 2004). Les rats ayant subi


e nv ir o nne me nt s , s t re s s e t a dd ic t io ns

un stress prénatal présentent une diminution des récepteurs aux benzodiazépines dans l’hippocampe (Fride et coll., 1985), ce qui pourrait expliquer l’anxiété observée chez ces rats. En ce qui concerne la vulnérabilité à la prise de drogue, les modifications expérimentales de l’activité de l’axe HHS sont associées à des modulations de la consommation spontanée d’éthanol chez le rat (Lamblin and De Witte, 1996; Fahlke and Hansen, 1999; Koenig and Olive, 2004). Une atténuation de la réponse de l’axe du stress après une administration d’éthanol a été décrite dans des populations humaines comportant un haut risque de développer des comportements d’abus vis-à-vis de l’éthanol (Schuckit et al., 1987; Schuckit et al., 1988; King et al., 2006). De façon intéressante, notre équipe a mis en évidence récemment que le stress prénatal induit chez le rat adolescent une atténuation de l’activation de l’axe HHS en réponse à une injection d’éthanol (Van Waes et al., 2006). Des travaux suggèrent également que le

Les mécanismes par lesquels un stress maternel influence les capacités adaptatives futures de la progéniture restent mal connus. stress prénatal provoque des modifications de la sensibilité aux effets de certaines drogues d’abus telles que l’amphétamine (Henry et al., 1995), la nicotine (Koehl et al., 2000), et le 3,4 méthylène-dioxy-methamphétamine (ecstasy) (Morley-Fletcher et al., 2004). De plus, les animaux adultes stressés prénatalement s’auto-administrent plus d’amphétamine que des animaux témoins (Deminiere et al., 1992). En dépit de ces données, l’impact du stress prénatal sur la préférence pour l’éthanol et/ou la sensibilité aux effets de l’éthanol n’ont été que faiblement étudiés (DeTurck and Pohorecky, 1987; Weinberg, 1987).

Ces résultats suggèrent donc que l’origine des différences interindividuelles et de la vulnérabilité aux conduites addictives chez les animaux pourraient être dues aux modulations de l’environnement précoce sur cette vulnérabilité. De nombreux travaux ont mis en évidence l’impact du stress maternel sur la descendance adulte. En revanche très peu d’études se sont intéressés à l’évaluation de l’impact du stress lors de la gestation sur la mère elle-même (Maestripieri et coll., 1991 ; Meek et coll, 2001). Les mécanismes par lesquels un stress maternel influence les capacités adaptatives futures de la progéniture restent mal connus. Des altérations du comportement de la mère en période post-natale pourraient participer aux déficits observés chez la descendance mais aussi l’augmentation de la corticosterone maternelle lors du stress semble jouer un rôle majeur (Barbazanges et al., 1996). R.S. Goland, S. Jozak, W.B. Warren, I.M. Conwell, R.I. Stark, and P.J. Tropper, Elevated levels of umbilical cord plasma corticotropin-releasing hormone in growth-retarded fetuses, J. Clin. Endocrinol. Metab 77 [1993] 1174-1179. D.J. Barker, The fetal origins of adult disease. Proc R Soc Lond B Biol Sci, 262 (1995) 37-43. D.A. Phillips, A.R. Watson, and D. MacKinlay, Distress and the micturating cystourethrogram: does preparation help ?, Acta Paediatr. 87 [1998] 175-179. M. Reynolds and C.R.Brewin, Intrusive cognitions, coping strategies and emotional responses in depression, post-traumatic stress disorder and a non-clinical population, Behav. Res. Ther. 36 (1998) 135-147. NS Levitt, EV Lambert, D Woods, CN Hales, R Andrew, JR. Seckl, Impaired glucose tolerance and elevated blood pressure in low birth weight, nonobese, young south african adults: early programming of cortisol axis, J Clin Endocrinol Metab. 85 [2000] 4611-8. Maccari S, Piazza PV, Kabbaj M, Barbazanges A, Simon H, Le Moal M (1995) Adoption reverses the long-term impairment in glucocorticoid feedback induced by prenatal stress. J Neurosci, 15, 110-116. S. Maccari, M.Darnaudery, S.Morley-Fletcher, A.R.Zuena, C.Cinque, and R.O.Van, Prenatal stress and long-term consequences: implications of glucocorticoid hormones, Neurosci. Biobehav. Rev. 27 (2003) 119-127. C. Henry, M. Kabbaj, H. Simon, M. Le Moal, and S. Maccari, Prenatal stress increases the hypothalamo-pituitary-adrenal axis response in young and adult rats, J Neuroendocrinol, 6 [1994] 341-345. C. Henry, G. Guegant, M. Cador, E. Arnauld, J. Arsaut, M.M. Le, and J. motes-Mainard, Prenatal stress in rats facilitates amphetamine-induced sensitization and induces long-lasting changes in dopamine receptors in the nucleus accumbens, Brain Res. 685 [1995] 179-186. A. Wakshlak, and M. Weinstock, Neonatal handling reverses behavioral abnormalities induced in rats by prenatal stress, Physiol Behav, 48 (1990) 289-292. Mc Cormick CM, Smythe JW, Sharma S, Meaney MJ (1995) Sexspecific effects of prenatal stress on hypothalamic-pituitary-adrenal responses to stress and brain glucocorticoid receptor density in adult rats. Dev Brain Res, 84, 55-61. M. Weinstock, T.

Poltyrev, D. Schorer-Apelbaum, D. Men, and R. McCarty, Effect of prenatal stress on plasma corticosterone and catecholamines in response to footshock in rats, Physiol Behav, 64(4) [1998] 43944. Vallée M, Mayo W, Dellu F, Le Moal M, Simon H, Maccari S(1997) Prenatal stress induces high anxiety and postnatal handling induces low anxiety in adult offspring: correlation with stress-induced corticosterone secretion. J Neurosci, 17(7), 2626-2636. S. Morley-Fletcher, M.Rea, S.Maccari, and G.Laviola, Environmental enrichment during adolescence reverses the effects of prenatal stress on play behaviour and HPA axis reactivity in rats, Eur. J. Neurosci. 18 (2003) 33673374. S. Morley-Fletcher, M. Darnaudery, M.Koehl, P.Casolini, R.O.Van, and S.Maccari, Prenatal stress in rats predicts immobility behavior in the forced swim test. Effects of a chronic treatment with tianeptine, Brain Res. 989 (2003) 246251. Thompson WR (1957) Influence of prenatal maternal anxiety on emotionality in young rats. Science, 125, 698-699. E. Fride, Y. Dan, J. Feldon, G. Halevy, and M. Weinstock, Effects of prenatal stress on vulnerability to stress in prepubertal and adult rats. Physiol Behav, 37 [1986] 681-687. S.J. Alonso, R. Arevalo, D. Afonso and M. Rodriguez, Effects of maternal stress during pregnancy on forced swimming test behavior of the offspring, Physiol and Behav, 50 (1991) 511-517. S. MorleyFletcher, M. Darnaudery, E.Mocaer, N.Froger, L.Lanfumey, G.Laviola, P.Casolini, A.R.Zuena, L.Marzano, M.Hamon, and S.Maccari, Chronic treatment with imipramine reverses immobility behaviour, hippocampal corticosteroid receptors and cortical 5-HT(1A) receptor mRNA in prenatally stressed rats, Neuropharmacology 47 (2004) 841-847. E. Fride, Y. Dan, J. Feldon, G. Halevy, and M. Weinstock, Prenatal stress impairs maternal behavior in a conflict situation and reduces hippocampal benzodiazepine receptors, Life Sci, 36, [1985] 2103-2109. Lamblin F. and De Witte P. Adrenalectomy prevents the development of alcohol preference in male rats. Alcohol 1996, vol.13, n°3, p. 233-238. Fahlke C. and Hansen S. Effect of local intracerebral corticosterone implants on alcohol intake in the rat. Alcohol Alcohol 1999, vol.34, n°6, p. 851-861. Koenig H.N. and Olive M.F. The glucocorticoid receptor antagonist mifepristone reduces ethanol intake in rats under limited access conditions. Psychoneuroendocrinology 2004, vol.29, n°8, p. 999-1003. Schuckit M.A., Gold E. and Risch C. Plasma cortisol levels following ethanol in sons of alcoholics and controls. Arch.Gen.Psychiatry 1987, vol.44, n°11, p. 942-945. Schuckit M.A., Risch S.C. and Gold E.O. Alcohol consumption, ACTH level, and family history of alcoholism. Am.J.Psychiatry 1988, vol.145, n°11, p. 1391-1395. King A., Munisamy G., de Wit H. and Lin S. Attenuated cortisol response to alcohol in heavy social drinkers. Int.J.Psychophysiol. 2006, vol.59, n°3, p. 203-209. Van Waes V., Enache M., Dutriez I., Lesage J., Morley-Fletcher S., Vinner E., Lhermitte M., Vieau D., Maccari S. and Darnaudery M. Hypo-response of the hypothalamic-pituitary-adrenocortical axis after an ethanol challenge in prenatally stressed adolescent male rats. Eur.J.Neurosci. 2006, vol.24, n°4, p. 1193-1200. M. Koehl, Y. Bjijou, M.M. Le, and M. Cador, Nicotine-induced locomotor activity is increased by preexposure of rats to prenatal stress, Brain Res. 882 [2000] 196-200. J.M. Deminiere, P.V. Piazza, G. Guegan, N. Abrous, S. Maccari, M. Le Moal, and H. Simon, Increased locomotor response to novelty and propensity to intravenous amphetamine self-administration in adult offspring of stressed mothers, Brain Res. 586 [1992] 135-139. DeTurck K.H. and Pohorecky L.A. Ethanol sensitivity in rats: effect of prenatal stress. Physiol Behav. 1987, vol.40, n°3, p. 407-410. Weinberg J. Effects of early experience on responsiveness to ethanol: a preliminary report. Physiol Behav. 1987, vol.40, n°3, p. 401-406. M. Barbazanges, P.V. Piazza, M. Le Moal, and S. Maccari, Maternal glucocorticoid secretion mediates long-term effects of prenatal stress, J Neurosci. 16 (1996) 7783-7790.

CAHIERS DE L’ADDICTOLOGIE N°2 13


dossier

Travail

et addictions

Par Patrick Laure, médecin conseiller à la direction régionale de la Jeunesse et des Sports de Lorraine En quoi le travail et la culture d'entreprise peuvent-ils in-

objectif qui n’aurait pas été atteint, ou encore d’un objec-

Ce n’est pas tant l’activité «travail», ni la culture, fut-elle

bles jugés problématiques. Par exemple : avoir rempli tous

fluencer les conduites dopantes des salariés?

d’entreprise, qui déterminent les conduites dopantes des

tif qui l’aurait été, mais tout en générant des effets indésira-

ses objectifs de production, mais en provoquant pour ce

salariés, que la nécessité d’être performant qu’ils peuvent

faire un grave accident du travail.

fonction d’agir directement sur les facteurs qui augmen-

encore faut-il au départ avoir clairement défini non seule-

impliquer. Les substances consommées ont alors pour tent la performance ou, indirectement, sur ceux qui pour-

raient la gêner, comme la fatigue ou l’anxiété. Bien que les

données sur ce thème restent parcellaires, différentes

études ont montré que certaines catégories de travail-

Ce qui sous-entend que, pour évoquer la notion d’échec, ment ce qui est attendu du travailleur, mais aussi les modalités et indicateurs avec lesquels il sera évalué.

Quel type de prévention serait encore à inventer dans ce contexte personnel et tabou des conduites dopantes dans

leurs étaient plus exposés aux conduites dopantes,

l'entreprise ?

en contact avec le public, etc. D’une façon générale,

la plus efficace consisterait à lutter contre la performance !

comme les cadres, les opérateurs de saisie, les personnels

tout sujet dont l’autonomie décisionnelle est faible alors

qu’il est soumis à une exigence psychologique forte, en référence au modèle de Karasek.

Les relations entre travail et conduites dopantes sont par-

ticulièrement anciennes. Ainsi, après la conquête espa-

gnole du Pérou au XVIe siècle, nom¬breux sont les

exploitants miniers qui «payent» leurs ouvriers avec des

feuilles de coca afin de stimuler leur ardeur au travail,

Par simple définition, la prévention des conduites dopantes Plus pragmatiquement, il convient dans un premier temps de déterminer pourquoi il faudrait intervenir. Plusieurs arguments contribuent à la réponse, comme :

• les conduites dopantes sont répandues (jusqu’à 20 % des travailleurs selon certaines enquêtes),

• elles peuvent entraîner des effets nocifs pour la santé (en

fonction de la nature et de la dose des substances utilisées, et de la durée de la consommation), avec son cortège

d’économiser l’alimentation et de limiter les velléités de

d’absentéisme, de rotation de personnel, etc,

de Méricourt recommande l’usage du maté aux marins et

tant les effets du «dopage» ponctuel d’un employé, un su-

à de grandes températures, notamment les chauffeurs

à recourir aux produits de façon permanente,

révolte. Autre exemple, au XIXe le médecin français Le Roy

aux travailleurs d’Amérique du Sud, exposés à la fatigue et

de bâtiments à vapeur.

Les conduites dopantes sont, dites-vous, des conduites d’évi-

tement (ou de prévention) de l’échec. Appliquées au monde

• elles sont parfois à double tranchant. Par exemple, consta-

périeur pourrait augmenter sa charge de travail, l’obligeant • elles sont susceptibles de détériorer l’image de l’entreprise auprès de ses clients, et donc d’avoir des consé-

quences économiques.

du travail, de quels échecs s'agit-il ?

Quant à l’intervention, elle repose sur trois axes principaux : les

1964, la tendance d’une personne à s’engager dans une

l’entreprise (conditions de travail, etc). Auprès des salariés, le

Si on se réfère à l’ancien modèle d’Atkinson, qui date de

action résulte du croisement de deux tendances : celle à at-

teindre le succès et celle à fuir l’échec. Certaines personnes,

comme celles dont l’estime de soi est particulièrement éle-

vée, semblent agir uniquement pour réussir et vaincre. D’au-

tres, plus anxieuses ou dont la confiance en soi est basse, paraissent agir pour ne pas rater, ne pas s’exposer à la cri-

tique de leurs supérieurs ou collègues, ne pas être mis en si-

tuation d’échec personnel. Les premières entendent gagner

salariés eux-mêmes, les substances (leur accessibilité, etc) et développement des compétences psychosociales pourrait

être une réponse utile. Mais elle requiert du temps et des in-

tervenants compétents. La circulation des substances, qu’il s’agisse de médicaments, de stupéfiants ou autres psycho-

tropes dépasse le cadre du monde du travail. Enfin, pour le

troisième et dernier axe, il convient d’agir sur la tâche à accomplir (nature, rendement exigé, etc) , l’organisation du tra-

vail (horaires, précarité des contrats, etc), les facteurs

et progresser, tandis que les secondes se contentent volon-

psychosociaux (management, reconnaissance, etc), l’envi-

L’échec est à comprendre comme un résultat. Le fruit d’un

les aspects économiques comme l’avenir de l’entreprise.

tiers de se maintenir (en craignant de régresser).

14 CAHIERS DE L’ADDICTOLOGIE N°2

ronnement (nuisances sonores, etc) et, quand c’est possible,


e nv ir o nne me nt s , t ra v ail e t add ic t io ns

Interview de Paul Frimat, chef du service de médecine du travail et de pathologie professionnelle au CHRU de Lille

Le travail est-il un facteur de protection ou de vulnérabilité en matière d’addiction ?

Selon le professeur Paul Frimat, chef du service de médecine du travail et de pathologie professionnelle au CHRU de Lille, «la question des conduites addictives en milieu professionnel reste un problème de comportement personnel dans un environnement ou les enjeux collectifs ou individuels restent importants». Cet environnement de travail, selon les individus, va soit renforcer ou déclencher une consommation à risques, soit au contraire consolider ou légitimer les mécanismes de défense. Facteurs de protection Au niveau collectif, de nombreuses actions et garde-fous sont mis en place dans les entreprises : interdiction de fumer et de consommer de l’alcool, campagnes de prévention organisées par le comité d’entreprise, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), les services de Santé au Travail et les mutuelles. «Le groupe, l’équipe, la communication sont également des facteurs liants qui facilitent l’intégration salariale et sociale. Encore faut-il que l’alcool n’y soit pas un passeport car malheureusement il n’est pas rare de constater que l’alcool agisse comme un lien social ou vecteur de convivialité (pots de l’amitié, anniversaires, etc.)».

Au niveau individuel, le salarié peut accéder assez facilement à un suivi médical personnalisé via l’infirmière du travail ou l’antenne de santé au travail, avec toute la dimension humaine liée à ce rendez-vous. Il est en effet plus simple dans certaines circonstances de consulter sur le lieu de travail ou dans le cadre du travail que durant le week-end ou en période de congés. Facteurs de vulnérabilité «Ces dispositifs aident ou confortent le salarié à ne pas consommer, confirme Paul Frimat, mais la dimension psychologique du travailleur est très puissante. Si l’employé n’est pas valorisé dans son travail, non reconnu dans ses compétences, si les objectifs ne peuvent jamais être atteints générant ainsi une situation de stress, si l’environnement ne respecte pas la bulle privée de l’individu : le travail peut s’avérer déstructurant et les comportements de dépendance prennent alors une valeur de refuge». Rôle de l’employeur ? «On ne peut demander au travail de réguler les problèmes de société, concède Paul Frimat, mais l’employeur a la responsabilité d’évaluer les risques au sein de son entreprise et de veiller au bien-être de ses employés. Au-delà, l’enjeu n’est pas de s’en assurer à coups de règlement intérieur mais bien d’en parler au sein de l’entreprise et au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) avec l’aide des services de la santé au travail et tous les autres acteurs médico-sociaux».

Par Claude Masquelier, médecin généraliste, président de Généraliste et Toxicomanie 59/62, nouvelles pratiques en médecine générale

Selon Boris Cyrulnick... le malheur frappe toujours deux fois

Il y a 113 ans, en 1897, Durkheim, étudiait la fréquence des suicides et démontrait le rôle des déterminants sociaux, bouleversant l'idée commune selon laquelle le suicide serait un choix personnel. En 2010, il a fallu 53 suicidés en 2 ans 1/2 à France Télécom, pour que la responsabilité du stress au travail soit reconnue, qu'on ne

C'est souvent dans une impasse que nous nous engageons avec certains de nos patients en grande difficulté, en leur demandant de se contrôler, en invoquant une responsabilité personnelle incongrue, en considérant l'addiction comme un dysfonctionnement neuropsychique individuel... Il n’est pas rare que nous assistions impuissants au naufrage d'un fort contingent de nos concitoyens en dépit des moyens mobilisés. Aujourd’hui, les chercheurs en neurosciences, avec la notion de «stress» et de «pathologie sociale chronique» nous apportent des réflexions nouvelles susceptibles de modifier nos approches.

Avec le verbe «stresser» la sémantique nous offre un outil qui ne dissocie pas l’actif et le passif, désignant également celui qui exerce la contrainte et celui qui la subit. Acteur en même temps que victime du stress, on comprend ainsi l'hypothèse selon laquelle une société "sécrèterait" ses malades addicts. Voilà qui donne une nouvelle dimension à la responsabilité politique. parle plus de «problèmes personnels» mais de contraintes excessives, de harcèlement moral voire de cruauté, de manque de reconnaissance... pour qu'on sorte enfin les salariés en détresse d'un isolement aussi préjudiciable que le mal lui-même. Selon, Boris Cyrulnick, le malheur frappe toujours deux fois et c'est souvent le deuxième coup qui est fatal. Mais quel rapport avec nos patients dépendants, me direz-vous ?

Tout d'abord en épargnant au patient le second coup du malheur, en le regardant non plus comme une victime mais comme le témoin d'un dysfonctionnement social. Ensuite, en explicitant les contraintes à l'origine du conflit interne. En réintroduisant les notions d'agression et d'agresseur, cette nouvelle approche permet d'accompagner les personnes dans la mise en place de stratégies de défense et le réveil d’énergies réparatrices.

CAHIERS DE L’ADDICTOLOGIE N°2 15


ordination o c

C

éclat-GRAA

ARA

généraliste et toxicomanie

ictolog add

oci ass ati

ie

es al on gi ré

des

La

ons

en

VISA granitéa anpaa DATIS

La Coordination des Associations Régionales d'Addictologie NordPas-de-Calais rassemble sept as-

sociations régionales (ANPAA59 et

62,

DATIS,

ECLAT/GRAA,

GT59/62, GRANITéA,VISA) qui

souhaitent collectivement appor-

ter un éclairage nouveau et une dimension pluridisciplinaire aux conduites addictives. Elle entend

également donner des avis sur les priorités, perspectives et pro-

grammes transversaux élaborés

dans le domaine addictologique

ou répondre à des demandes spécifiques formulées par les partenaires institutionnels.

r é f é r e n c e s b i b l i o g ra p h i q u e s

McQuown Susan C.,Wood Marcelo A., Epigenetic Regulation in SubsCurr Psychiatr y Rep.2010 April ;12(2):145–153. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/ar ticles/PMC2847696/ Ooteman tance Use Disorders,C W,, Naassila M, Koeter MW, Verheul R, Schippers GM, Houchi H, Daoust M, van den Brink W., Predicting the effect of naltrexone and acamprosate in alcohol-dependent patients using genetic indicators. Addict Biol. 2009 Jul ;14(3): 328-37 Fontaine A., Double vie. Les drogues et le travail, Paris, Les Empêcheurs de Penser en Rond, 2006 Obradovic I., Éléments pour un premier bilan des "consultations jeunes consommateurs". Profils d'usage des consultants et parcours de suivi, Santé publique,2009, n° 5,/09-10 : 443-452 Assailly J..P, Jeunes en danger. Les familles face aux conduites à risques, Paris, Imago, 2007, 245 p. Van Waes V., Enache M., Ber ton O.,Vinner E, Lhermitte M, Maccari S, Darnaudér y M., Effect of prenatal stress on alcohol preference and sensitivity to chronic alcohol exposure in male rats. Psychpharmacology (Berl). 2010 Jan 27 Plancke L., Lose S., Wallar t S., Drogues sur le site de Lille. Etat des lieux et tendances récentes, Lille, Cèdre bleu - OFDT, 2010, 68 p. Plancke L., Deheul S., Mortalité des usagers de drogues. Résultats d’une enquête dans le Nord - Pas-de-Calais, 2 mars 2010, communication orale. http://www.anitea.fr/regions/docsNord/result_mud_0310.pdf


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.