Addictions et périnatalité : Actes de la journée d'études

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Actes de la journée d’études Addictions et Périnatalité 2 Février 2012 ATRIA

Centre de conférences Arras

Journée organisée par :

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Programme de la journée Sous l’égide du Dr Thierry DANEL, Président Association ECLAT-GRAA du Dr Edith PONS, Présidente ANPAA 59 et du Dr Laurence TACK, Présidente ANPAA 62 8h30 – 9h00 : Accueil 9h00 – 9h15 : Allocution d’ouverture Daniel LENOIR, Directeur Général – Agence Régionale de Santé Nord - Pas-de-Calais 9h15 – 10h30 : Effets des substances psychoactives sur le déroulement de la grossesse et le développement de l’enfant à naître Pr Claude LEJEUNE, Chef de Service de Néonatalogie – Hôpital de Colombes (92) 10h30 – 10h45 : Pause 10h45 – 11h30 : Addictions et fonction parentale : quelles interactions psychiques ? Pr Pierre DELION, Chef du service de psychiatrie infanto-juvénile – CHRU Lille 11h30 – 12h15 : Représentations des femmes sur les consommations à risques pendant la grossesse, recueil via des blogs Internet Stéphanie TOUTAIN, Sociologue – CESAMES Université Paris Descartes 12h15 – 12h30 : Présentation des ateliers thématiques 12h30 – 14h00 : Pause déjeuner (repas libre) 14h00 – 16h00 : Ateliers ATELIER 1 : GROSSESSES ADOLESCENTES ET CONDUITES DE CONSOMMATION A RISQUES Catherine DELOZ, Infirmière - Education Nationale Dorothée DUEZ, Chargée de mission - ECLAT-GRAA Sylvie GADEYNE, Chargée de mission - ANPAA 59 Françoise JUNGERS, Sexologue - CIRM-CRIPS Carine VERFAILLIE, Chargée de projet – Service Politique et Prévention - ARS Nord/Pas-de-Calais Véronique SEHIER, Conseillère conjugale et familiale - Planning familial – Lille Dr Elisabeth ZELLER, Médecin Territorial PMI – Valenciennes ATELIER 2 : ACCOMPAGNER LES FEMMES EN DIFFICULTE AVEC LA CONSOMMATION DE PRODUITS PSYCHOACTIFS AVANT, PENDANT ET APRES LEUR GROSSESSE Dr Yamina HAMMOU, Gynécologue - CHRU Jeanne de Flandre - Lille Dr Marie-Hélène LEROY, Chef du Service Local de PMI - Maison du Département Solidarité - site de Liévin - CG 62 Séverine MARIEN, Infirmière - CSAPA Le Jeu de Paume - Béthune Dr Eva RUPIK-KRAKOWIAK, Chef de pôle, Psychiatre - CSAPA Le Jeu de Paume - Béthune Dr Véronique VOSGIEN, Psychiatre, Addictologue - Centre Hospitalier de Lens (Le Square) ATELIER 3 : PARENTALITE ET ADDICTIONS : COMMENT PRESERVER LA PLACE DES PARENTS ? Dr Marie-Christine BLANQUART, Médecin addictologue, Thérapeute familial, CSAPA Cèdre Bleu Armentières Mélanie COUSIN, Psychologue - CAMSP Roubaix Rachel CHARBONNEAU, Coordinatrice CDC, Institut des dépendances - Montréal Dr Anne MATTHEWS, Pédiatre - CHRU Jeanne de Flandre - Lille ATELIER 4 : PRISE EN CHARGE DES ENFANTS PORTEURS DE SEQUELLES D’UNE EXPOSITION PRENATALE A L’ALCOOL Pascale BOUDET, Assistante sociale - Ecole de la Goëlette – Estaimpuis - Belgique Dr Jean-Marc BUZIAU, Chef de service Pédiatrie – Centre Hospitalier Le Cateau Dr Claudine DESOBRY, Pédopsychiatre, Chef du service psychiatrie du nourrisson, de l’enfant et de l’adolescent – Hénin-Carvin Dr Jean-François LEMAITRE, Pédiatre - Centre Hospitalier et CAMSP de Boulogne-sur-Mer

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Mot d’accueil

Marie-Ange TESTELIN, Directrice ECLAT-GRAA : Tout d’abord, au nom de l’association ECLAT-GRAA et de l’ANPAA, nous vous souhaitons la bienvenue dans ce bel amphithéâtre de l’Atria d’Arras et nous vous remercions pour votre participation et votre mobilisation. Nous sommes heureux de voir que les sujets de la périnatalité et de l’addiction rassemblent un nombre aussi important de professionnels. Votre participation démontre votre intérêt à réfléchir sur vos pratiques qu’elles soient dans le champ du soin, de la prévention, ou de l’accompagnement. Par avance, nous nous réjouissons de travailler avec vous tout au long de la journée. ECLAT-GRAA, l’ANPAA 59/62 ont maintenant quelques années de rodage, de formation, d’accompagnement et nous souhaitons vous livrer toute la richesse de nos travaux. Cette journée s’articulera autour d’une matinée axée sur une approche conceptuelle en plénière avec des intervenants experts et pour l’après-midi sur un temps d’échanges en atelier sur les pratiques professionnelles. Avant de démarrer cette journée, nous souhaitons vous dire que nous avons été dans l’obligation de refuser des inscriptions à cette rencontre. Nous sommes près de 200 professionnels : l’amphithéâtre où nous nous trouvons aurait pu accueillir bien plus de participants mais nous étions contraints par le manque de places dans les ateliers d’échanges de cet après-midi qui se dérouleront dans des salles connexes à celui-ci. Nous nous excusons pour les personnes qui n’ont pas pu assister à cette journée mais nous sommes victimes de notre succès. Nous remercions également les décideurs de cette politique de santé publique sans qui cette journée n’aurait pu avoir lieu, en particulier Monsieur Lenoir, Directeur de l’ARS Nord Pas-de-Calais qui introduira cette journée mais aussi les collectivités territoriales qui soutiennent notre action. Je remercie le Docteur Anne Françoise HIRSCH VANHOENACKER, médecin coordinateur du CSAPA de l’ANPAA 59 (Roubaix/Tourcoing/ Villeneuve d’Ascq) qui a accepté de coordonner les travaux de cette matinée. Sa connaissance du terrain et ses capacités à relancer la parole, à rebondir, à faire des synthèses nous seront très utiles.

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Allocution d’ouverture Daniel LENOIR, Directeur ARS Nord/Pas-de-Calais Bonjour à tous. Tout d’abord, je voudrais saluer, le Président de l’association Eclat-Graa, le Docteur Thierry DANEL, saluer la Présidente de l’ANPAA 59, le Docteur Edith PONS, j’allais dire chère Edith PONS, qui connaît bien l’ARS, puisqu’elle y travaillait il n’y a encore pas très longtemps et enfin, la Présidente de l’ANPAA 62, le Docteur Laurence TACK. Je voudrais également saluer, nos partenaires, vos partenaires du Québec, qui sont de passage dans notre région, et qui nous rejoignent aujourd’hui pour échanger sur les pratiques en matière d’addictologie. Enfin, je vous salue toutes et tous… j’allais dire toutes et toutes parce que l’assistance est particulièrement féminine. Je suis particulièrement heureux d’introduire cette journée. Je voudrais souligner l’importance des sujets qui sont à l’ordre du jour de votre rencontre. Il suffit de penser au syndrome d’alcoolisation fœtale, de penser aux dégâts que fait la consommation de tabac, ce que le Professeur Claude LEJEUNE je pense développera beaucoup mieux que moi, pour être convaincu de l’intérêt de cette journée. La consommation de substances psychoactives est, dans cette région, en partie responsable des mauvais résultats en matière de santé publique. Nous sommes la région qui a les indicateurs de santé les plus défavorables sur à peu près toutes les pathologies qui leur sont liées. Ils sont accentués, je n’ai pas vu le professeur Pierre DELION mais je le salue par anticipation, par les conséquences, les altérations de la fonction parentale sur lesquelles il reviendra dans son allocution. Dans ce propos introductif, je voudrais, vous dire à quel point, les travaux que vous allez conduire s’inscrivent dans la mise en œuvre du projet régional de santé. Je ne vais pas rentrer dans ce qu’est le projet régional de santé, c’est un appareillage important qui vise à définir la politique de santé mise en œuvre dans la région. Par contre, je voudrais dire qu’à l’occasion de la définition de ce projet régional de santé, nous avons essayé d’identifier un certain nombre de facteurs qui expliquent la différence entre la région Nord-Pasde-Calais et les autres régions françaises pour en tirer des leviers pour l’action : ‐

Le premier facteur qui nous est apparu est la mauvaise connaissance de la santé mais surtout des risques par la population. Si cet élément n’est pas spécifique à notre région, mais probablement (et quand je dis probablement c’est avec une quasi certitude), avons-nous dans notre région un handicap plus important dans ce domaine. A cet égard, la communication que Mme TOUTAIN fera tout à l’heure prend tout son sens. En effet, les représentations collectives sur la santé et les risques influent sur la connaissance. Développer cette connaissance de la santé est un préliminaire à toute action. C’est pour cette raison que les travaux de cet après-midi m’apparaissent prioritaires en particulier ceux de l’atelier 1 lié aux grossesses adolescentes et aux conduites de consommation à risques. Il m’apparaît déterminant d’intégrer l’élaboration d’un programme d’éducation pour la santé dans le projet régional de santé en partenariat avec l’Education Nationale bien sûr, mais aussi avec les associations qui interviennent dans ce domaine, et vous en êtes. Le deuxième facteur, il est bien connu, c’est la version sombre de ce fameux film « Bienvenue chez les ch’tis ». Il s’agit de l’ensemble des comportements et des déterminants en général (déterminants sociaux, environnementaux et comportementaux) en lien avec les addictions. Je citerai comme exemple pour cette région la surconsommation d’alcool et de tabac. Sur ce sujet, nous sommes en train d’élaborer le schéma régional de prévention et de promotion de la santé. D’ailleurs, certains d’entre vous participent à la consultation actuellement en cours en vue de son adoption d’ici la fin de ce trimestre. Le troisième facteur est un recours beaucoup trop tardif aux soins. Etant originaire de cette région, je vois à quel point ce facteur a finalement peu progressé. Il nous appartient, il vous appartient, vous qui êtes sur le terrain, de favoriser un recours plus précoce aux soins. Les gens se font soigner trop tard,…et évidemment quand ils se font soigner trop tard, les conséquences des risques (qu’on aurait pu éviter) sont là et sont graves. L’atelier 2 sur l’accompagnement des femmes en difficulté en est l’exemple : comment permettre et inciter un recours plus précoce

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aux soins ? (y compris les soins de prévention car les soins ne peuvent se résumer aux aspects curatifs, la prévention en fait partie). Et puis dernier aspect, il est souvent dit que notre système de soins est le meilleur du monde. Je ne rentrerai pas dans ce débat, qui peut parfois porter à polémique. En tout cas, ce qui est caractéristique c’est qu’il est peu organisé, à la fois pour assurer une continuité du parcours de soin et pour proposer un parcours de soins adapté à chacune des situations. Les situations que vous avez à traiter sont des situations particulières et j’ai repéré que les deux ateliers 3 et 4 abordaient cette question comme par exemple les questions liées à la place des parents ou plus encore celle de la prise en charge des séquelles chez les enfants porteurs d’un syndrome d’alcoolisation fœtale. Ces situations dépassent le seul champ des soignants.

Tout ça pour vous dire, et mes propos seront brefs et simples à la fois, à quel point l’action que vous conduisez ainsi que ces journées de réflexions, de synthèse et d’échanges, sont importantes. Elles permettent une capitalisation de vos expériences. Sur ces sujets, nous avons une obligation, j’insiste sur ce point, une obligation d’efficacité. Il faut rappeler qu’il n’y a pas de fatalité : la région Nord-Pas-deCalais, à laquelle vous avez compris je suis attaché, n’a pas toujours eu les indicateurs de santé les plus défavorables du pays. Il n’y a pas de fatalité à cela. Avant les années 50/60, sa situation était inverse et il n’y a pas de raison que depuis 30 ans, nous n’ayons pas réussi à inverser le mouvement. Des journées comme celle-ci et les travaux qui y seront proposés doivent être placés sous l’égide de la question du renforcement de l’efficacité collective de nos actions. Dans cet esprit, j’en profite pour vous dire, que nous sommes avec Eclat-Graa, le GRPS et d’autres acteurs en discussion pour renforcer le pôle régional de compétences en santé publique. Nous sommes également en discussion avec l’ANPAA et avec les deux comités départementaux pour avoir une vision plus régionale de l’action. Ces structures sont celles qui permettent d’organiser, non seulement des journées comme celle-ci, mais aussi d’organiser l’action. Je terminerai en disant que l’assistance importante, vous avez dû refuser du public, chère Marie-Ange TESTELIN, l’assistance importante est un témoignage de cette recherche d’efficacité. Vous avez mis votre journée sur le thème de « regards croisés », je vous invite donc à croiser vos regards pour renforcer notre efficacité collective. Merci. Anne Françoise HIRSCH VANHOENACKER, coordinatrice médicale, CSAPA, ANPAA 59 : Je remercie Monsieur LENOIR pour son encouragement et son soutien. Je propose que nous passions tout de suite la parole à Monsieur LEJEUNE qui va nous présenter les effets des substances psychoactives sur le déroulement de la grossesse et le développement de l’enfant à naître.

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Effets des substances psychoactives sur le déroulement de la grossesse et le développement de l’enfant à naître Professeur Claude LEJEUNE, pédiatre en néonatologie Bonjour, et merci de m’avoir invité dans le Nord que je connais un tout petit peu pour des raisons familiales transitoires. Je suis pédiatre, je ne suis plus à Colombes, contrairement à ce qui été indiqué au moment de l’impression des programmes, je suis en retraite et je travaille maintenant de façon bénévole dans une nouvelle structure de moyen séjour mère/enfants à l’association Horizon en région parisienne avec qui je travaille depuis très longtemps. J’anime également avec beaucoup d’autres, et ce depuis pas mal d’années, un groupe informel de réflexions qui s’appelle le GEGA (Groupe Etudes Grossesse et Addictions). Pour la 5ème année maintenant, ce groupe organise notamment un diplôme d’université sur la thématique « périnatalité et addictions » à la faculté Paris VII. Les organisateurs de cette journée m’ont sollicité pour présenter les données scientifiques sur l’effet des substances psychoactives pendant la grossesse. Quand nous regardons la littérature sur ce sujet, nous trouvons de nombreux documents sur « tabac et grossesse », « alcool et grossesse », « héroïne et grossesse », etc… La plupart de ces documents proposent des approches séparées par produit. Pourtant, la réalité est bien différente : ‐ ‐

Dans l’immense majorité des cas, sauf pour celui du tabac, plusieurs substances sont consommées en même temps. Il est alors souvent assez difficile de distinguer l’effet isolé d’une substance. Nous étudions une cohorte sur 10 ans à l’hôpital Louis Mourier. Or, les parcours des femmes enceintes toxicomanes en 1999 ne sont absolument pas les mêmes que celles de 2008. Nous sommes passés de la « junky héroïnomane » à la consommatrice de tabac, d’alcool, de cannabis ou encore à des femmes souvent en traitement de substitution et enfin à des petits groupes marginaux autour du crack, des benzodiazépines dans des conditions de vie épouvantables.

Ces femmes consommatrices de produits psychoactifs présentent très souvent des co-morbidités associées sur le plan psychiatrique (environ un tiers des situations) et sur le plan social. Il y a à la fois des femmes très bien insérées socialement et consommatrices, et d’autres dans des situations majeures de précarité. On retrouve, pour beaucoup d’entres elles, un passé extrêmement douloureux et chaotique dans l’enfance avec de nombreuses ruptures de vie ainsi que très fréquemment des antécédents de maltraitance et d’abus sexuels. Même si la situation a beaucoup évolué, nous retrouvons également des co-morbidités infectieuses, en particulier le VIH. Avec la politique de réduction des risques, la distribution des seringues, nous sommes passés, et j’en étais à la fois acteur et témoin, de 30% de cas de transmission verticale du VIH à environ 1% aujourd’hui. N’oublions pas, le principal risque lié aux polyconsommations est le mauvais suivi de grossesse corrolé à des situations de précarité. Or, quand il y a un mauvais suivi de grossesse, il y a une augmentation importante des pathologies périnatales (en particulier : prématurité, petit poids de naissance) mais aussi des risques de troubles de l’attachement. L’étude de la cohorte à l’hôpital Louis Mourier (1998-2008) montre bien les problématiques de polyconsommation : sur 170 nouveaux-nés, 30 femmes consommaient 5 produits et plus en fin de grossesse et cela alors qu’elles étaient suivies. Nous sommes toujours en présence de polyconsommations (près de la totalité des femmes consommaient au moins deux produits). Or, notre enquête montre une élévation de gravité pour toutes les complications quand il y a consommation de 4 produits et plus en fin de grossesse. Dans ces situations, on observe souvent d’ailleurs comme facteur corrolé la précarité sociale.

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En ce qui concerne les opiacés : En l’absence de traitement de substitution aux opiacés, les risques majeurs sont liés à la découverte tardive de la grossesse et au fait que ces grossesses sont pas ou peu suivies. Les risques de prématurité, de petits poids de naissance et les autres risques fœtaux ne sont pas directement liés à la consommation d’héroïne mais plutôt aux épisodes de manque. Il s’agit là d’un point fondamental : le risque de mort inutero est lié aux épisodes de manque de la mère. Il n’y a pas non plus de malformations fœtales liées à la consommation d’opiacés. Sur le plan néonatal, le risque est lié au syndrome de sevrage : celui-ci est de gravité extrêmement variable et à peu près totalement imprévisible, en tout cas individuellement. Des troubles de l’attachement mère-enfant peuvent également survenir, avec un risque de déstabilisation si ces femmes ne sont pas accompagnées de manière satisfaisante. Elles risquent alors de reprendre des consommations importantes en post-partum. L’héroïne est le produit psychoactif qui a le moins de conséquences directes sur le pronostic à long terme des enfants. Quand on est enceinte, il vaut mieux consommer de l’héroïne que consommer de l’alcool, je prends exprès une expression un peu provocatrice, mais quand on raisonne en réduction de risques, c’est important. Les conséquences pour l’enfant, mais on va y revenir largement, ne sont pas directement liées à l’héroïne, mais plutôt au style de vie de l’entourage de l’enfant. L’évolution positive du pronostic des femmes toxicomanes et de leurs enfants est liée à deux points complémentaires et majeurs : ‐ ‐

Le changement de regard, le changement de représentations vis à vis de ces femmes. L’introduction du traitement de substitution au début des années 90 même si en France, nous avons eu un retard considérable par rapport aux Etats-Unis. Outre manche, les premières publications sur « méthadone et grossesse » dataient des années 60. Le traitement de substitution est essentiel car il permet d’éviter les épisodes de manque qui sont, je vous le répète, ce qui est le plus dangereux pour le fœtus. Bien évidement, comme en dehors de la grossesse, son intérêt est de stabiliser la personne dans son style de vie et de favoriser l’accès aux soins. Nous observons une meilleure compliance aux soins quand il y a un traitement de substitution. Il est important que la femme ne soit pas sous-dosée, ce qui est actuellement encore un vrai problème en France dans de nombreuses structures.

Par contre, le traitement de substitution ne prévient pas la survenue d’un syndrome de sevrage : celui-ci est légèrement et pas toujours significativement plus tardif et plus sévère sous méthadone que sous héroïne ou buprénorphine. Autre point très important, il n’existe aucune corrélation entre la posologie de TSO en fin de grossesse et la gravité du syndrome de sevrage. Une étude multicentrique réalisée dans le cadre du GEGA sur 260 nouveaux-nés de mère substituées montre qu’il n’y a absolument aucune corrélation entre la gravité du syndrome de sevrage et les posologies de Subutex ou de Méthadone. En effet, nous pouvons observer des syndromes de sevrage sévères pour des posologies TSO basses, je ferais d’ailleurs mieux de dire, pour des posologies insuffisantes pour bien substituer ces femmes. Cette enquête montre également qu’il n’existe aucune différence entre le subutex et la méthadone en ce qui concerne les conséquences périnatales. Il n’y a donc aucune raison de changer un traitement de substitution efficace lors de la grossesse. Ce choix peut être fait sur d’autres critères, mais surtout, le point le plus important est qu’il ne faut pas diminuer les doses. Ce point est d’autant plus important à souligner que des articles, d’ailleurs publiés, il y a quelques années, par mes collègues pédiatres de l’Académie Américaine de Pédiatrie ont indiqué qu’il ne fallait pas substituer une femme toxicomane enceinte audelà de 20mg de Méthadone. Bon, c’est évidemment complètement faux mais cette idée est encore tenace dans beaucoup d’esprits. En réalité, non seulement il ne faut pas baisser le TSO, mais il faut au contraire l’augmenter, et le fractionner (parce que le métabolisme de la Méthadone est modifié en cours de grossesse). Ce traitement de substitution, s’il est essentiel doit également être intégré à une prise en charge globale par une équipe pluri-professionnelle en réseau avec la ville. Il faut que ces femmes soient le mieux équilibrées possible en fin de grossesse et en post-partum pour qu’elles puissent, et cela aussi a été une

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révolution culturelle, participer très activement aux soins de leur bébé, en particulier au moment du syndrome de sevrage. Le syndrome de sevrage se présente comme un mélange de symptômes neurologiques, un peu digestifs mais surtout respiratoires : le bébé est hyper excitable mais dort bien et mange bien. C’est un enfant extraordinairement agité avec des cris extrêmement aigus et qui est à l’évidence en très grande souffrance. Cependant, je dois souligner qu’il y a longtemps que je n’ai pas vu des syndromes de sevrage très sévères. Alors ce qui a beaucoup changé, ce sont les modalités de traitement : le nursing est à privilégier (au mieux en chambre kangourou) car la place d’un enfant qui présente un syndrome de sevrage est en maternité avec sa mère. Il a été largement démontré que les syndromes de sevrage d’enfants placés en néonatalité sont plus graves que ceux d’enfants qui sont restés avec leur mère. Le « peau à peau », l’emmaillotage, et le fait que la mère participe très activement aux soins sont des éléments qui ont complètement changé l’évolution de ces couples « mères-enfants ». Lorsque nous sommes quand même obligés d’évaluer le syndrome de sevrage par le score, Lipsitz ou Finnegan, et que celui-ci est trop élevé, il faut prendre son temps. Malgré un score à 10, il est important de ne pas médicamenter trop rapidement mais plutôt renforcer les soins de nursing : il faut que la mère soit aidée à s’occuper de son bébé. Quand on est obligé quand même de traiter, le traitement, c’est clair et net, ce sont les dérivés de morphine à une dose suffisante pour calmer. Ensuite, on baisse progressivement et dans quelques cas, si on a beaucoup de mal à baisser il est de plus en plus évoqué qu’on peut s’aider d’une bithérapie morphine et gardénal pour diminuer plus vite et pouvoir ensuite diminuer progressivement le traitement. Par contre, la littérature indique très clairement que la prescription de Valium et de Benzodiazépines est très contre-indiquée : cela vient aggraver les troubles de succion et ces produits mettent très longtemps à être éliminés chez l’enfant. Pour ce qui concerne le groupe des produits dits festifs : Pour ce qui est de la cocaïne, là encore, il existe encore aujourd’hui de nombreuses idées préconçues. Elles trouvent leur origine dans la littérature américaine de la fin des années 80 (au moment d’une explosion de la consommation de crack). A ce moment là, de nombreux articles soulignaient l’épouvantable danger du crack en terme de « Crack-Kid Broken », (en Français : « cassé, foutu, perdu »). Ces articles étaient fondés sur des études de petites séries et montraient des conséquences graves en termes de malformation, de lésions cérébrales, d’amputations de membres. En réalité, ce ne sont pas des malformations mais des disruptions vasculaires du fait du caractère vaso-constricteur de la cocaïne. Et puis au début des années 90, d’autres articles, écrits eux à partir d’études chiffrées sur des plus grandes séries ont montré des résultats plus rassurants. Prenons, par exemple, celle de Bauer avec 7000 témoins qui consommaient ou non des produits très divers mais en tout cas pas de cocaïne. Quand on compare les deux groupes, et ça c’est vrai dans de nombreux articles, on se rend compte que les femmes qui consomment de la cocaïne (en l’occurrence surtout du crack), sont à la fois des grandes polyconsommatrices (alcool, tabac, cannabis) mais aussi pour la plupart d’entre elles confrontées à des situations de précarité. Elles ont des suivis de grossesse très irréguliers. En réalité, il n’a pas été observé de différence dans les taux de malformation ou de lésion cérébrale dans les deux groupes étudiés. Les enfants qui présentaient « une drôle de tête », c’étaient des syndromes d’alcoolisation fœtale. Quand nous essayons de faire une synthèse de la littérature, les études statistiques basées sur une méthode de recherche satisfaisante (par exemple, avec des groupes témoins bien catégorisés) montrent : ‐

une augmentation incontestable du risque d’hématomes rétroplacentaires (avec comme corrolaire un risque vital pour la mère et pour l’enfant). Mais en réalité, c’est multiplié par deux ou trois un événement qui reste rare. Par contre, si vous êtes en présence d’une femme qui a un problème d’hématome rétroplacentaire, il faut quand même avoir derrière la tête de se renseigner pour savoir si elle consomme de la cocaïne, mais individuellement, un risque de 1,2 ou 3% ce n’est pas très différent.

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Concernant la mort fœtale in utéro, il n’existe pas de données. Nous pouvons probablement penser que c’est un peu plus fréquent quand il y a association, et c’est quasiment toujours le cas, entre cocaïne et tabac. La rupture prématurée pré-terme des membranes est, quant à elle, multipliée par 2 à 4. Concernant le taux de prématurité, il varie de 2 fois plus à 10 fois plus, mais en fait c’est surtout le contexte social de la clientèle de l’hôpital qui va être déterminant. Nous observons une baisse incontestable des mensurations du nouveau né (poids, taille), et cela avec un rapport dose-dépendant. il n’y a pas de différence significative pour les malformations. Quand on regarde de près les données de la littérature, si on compare un groupe d’enfants exposés in utéro à la cocaïne à un groupe d’enfants de mères ne consommant rien du tout, il y a une différence significative, mais quand on compare un groupe exposé à la cocaïne à un groupe poly-drogues sans cocaïne, cela n’est pas significatif. Nous pouvons donc en conclure que ce n’est pas la cocaïne, en elle-même, qui est le facteur décisif de l’apparition de malformations chez le foetus. Pour ce qui concerne les lésions cérébrales ischémo-hémorragiques, il n’existe pas de données dans la littérature qui donnent une idée de sa fréquence, d’un ratio significatif. La cocaïne n’est pas responsable d’un vrai syndrome de sevrage néonatal, c’est plutôt un syndrome d’imprégnation. Ce syndrome est plus court, moins intense et, en général, ne nécessite pas de traitement spécifique (quand il n’y a pas d’opiacés en même temps bien sûr).

Pour ce qui concerne l’évolution à court, moyen et long terme, le risque de mort subite lié à la cocaïne n’est pas significatif. Le facteur confondant est plutôt le tabac : les risques obstétricaux induits par le tabac sont quasi identiques à ceux de la cocaïne. Et l’autre point à considérer est qu’il y a énormément plus de femmes qui consomment du tabac que de femmes qui consomment de la cocaïne. Pour ce qui est des effets à long terme, on est passé, comme d’habitude en médecine, de l’épouvantable risque à long terme, à « non finalement ils vont très bien », à une position intermédiaire. Les enfants présentent de légers troubles cognitifs, des retards dans les apprentissages et des troubles du comportement. Ces troubles ne sont probablement pas très intenses mais plutôt transitoires et pas beaucoup plus importants que pour les autres produits consommés, dont je vais parler après et surtout en tout cas beaucoup moins graves que les risques liés à la consommation d’alcool. Je vais continuer cette présentation, mais de manière plus brève, par les effets des amphétamines, parce que nous n’en voyons pas en France pour l’instant. Je suis certain que cela ne va pas durer, parce que c’est à l’échelle du monde, le produit le plus consommé après le cannabis, et nous observons des épidémies, dans des pays anglo-saxons surtout, en Australie, au Canada, aux Etats-Unis, en Amérique du Sud. Ce sont des produits aussi « shootants » que le crack et énormément plus aisés à fabriquer au fond d’une cuisine (ce n’est pas très compliqué, il y a toutes les recettes sur internet). Quand nous regardons les résultats d’enquêtes, nous retrouvons finalement dans ces séries, exactement la même chose que pour le crack : les femmes qui consomment de l’Ice sont en même temps dans une situation de grande précarité, elles sont très polyconsommatrices, peu suivies et avec des complications périnatales en particulier des prématurités importantes, par contre, il ne semble pas y avoir de malformations, ni de syndrome de sevrage. Nous sommes peu confrontés à la prise d’ecstasy pendant la grossesse. En effet, en général, les femmes qui consomment habituellement de l’Ecstasy arrêtent en début de grossesse, en tout cas, c’est ce que je rencontre dans mon expérience. En tant que pédiatre, ce qui nous fait finalement le plus peur après la consommation d’alcool, c’est la consommation de benzodiazépines. Ils sont le plus souvent associés en polyconsommation, et en général à des doses très fortes, désinhibantes. Elles sont volontiers utilisées dans une sous-population de femmes extraordinairement précaires, et associés à une consommation de crack. A Paris, ces femmes se situent sur les boulevards périphériques du nord-ouest, à Saint Denis, dans le 18ème : ce sont des femmes étrangères, sans papiers, prostituées et qui vivent dans des conditions épouvantables de violence. La prise de benzodiazépines en cours de grossesse aggrave incontestablement et prolonge le syndrome de sevrage surtout quand il y a en même temps une prise d’opiacés.

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Concernant le tabac et le Cannabis : Je ferai le point rapidement parce que je crois que tout le monde est bien au courant sur les effets du tabac sur la grossesse. Ce qui est le plus dangereux au niveau du tabac, mais c’est identique pour le cannabis, c’est le taux élevé d’HBCO qui est responsable d’une hypoxie chronique facilement mesurable avec des Co-testeurs. Le tabac multiplie par 2 à 3 de nombreuses complications de la grossesse : fausse couche, prématurité, placenta prævia, hématome retroplacentaire, mort fœtale in utero. Le tabac agit de manière dose dépendante. L’insuffisance du poids à la naissance ne présente pas un caractère dramatique ; par contre, l’association d’une prématurité et d’un retard de croissance aggrave le pronostic. La mort subite du nourrisson après exposition in utero au tabac est multipliée par trois. Un excellent article de synthèse publié dans la revue « pédiatrics » présente très clairement toutes ces données. Une étude danoise très sérieuse montre clairement la corrélation entre l’exposition in utéro au tabac et les hyperactivités, les troubles de l’attention pendant l’enfance. Cette étude prend en compte tous les facteurs associés à la consommation de tabac, et comme nos femmes toxicomanes fument toutes, le rôle du tabac, dans ces troubles des comportements est surement très important. La consommation de cannabis présente les mêmes risques que la consommation de tabac. Il est souvent d’ailleurs très difficile de distinguer les effets du cannabis de ceux du tabac puisque en général elles fument du cannabis en même temps que du tabac. Il y a assez peu de femmes qui fument de l’herbe sans association à du tabac. Le cannabis passe très bien la barrière placentaire mais c’est surtout le Co qui est en cause dans les risques pour le foetus. En ce qui concerne l’alcool : Très clairement, il est important de souligner que l’alcool est le produit le plus dangereux pour le fœtus, et cela de très loin. L’alcool est la substance qui est vraiment tératogène (c’est à dire qui entraîne des malformations). La cible principale de l’alcool est le cerveau fœtal, dont le développement va être très gravement perturbé. Les conséquences les plus connues sont le syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) mais il ne s’agit pas finalement du nombre de situations le plus important. Les statistiques d’incidence sont très variables d’une région à une autre, avec un nombre plus important de cas dans le Nord. En réalité, les chiffres dans cette région sont sans doute plus importants parce que les gens le cherchent, et aussi un peu parce qu’il y a des habitudes de consommation. Les cas les plus graves sont ceux où on va voir apparaître secondairement et tardivement chez un enfant, qui était strictement normal à la naissance, des troubles du comportement ou des troubles cognitifs. Ces troubles, souvent non diagnostiqués, aboutissent à des difficultés scolaires en rapport avec l’exposition in utero à l’alcool. Les approches proposées dans la littérature scientifique dévoilent des approches diverses et suscitent une polémique. De nombreux articles abordent ce sujet de manière affective et superficielle au détriment d’arguments scientifiques. L’absence de thèse biologique objective complique la situation : quelques recherches abordent les dérivés de l’alcool dans le méconium mais celles-ci ne sont pas encore au point. Les études se basent sur un recueil rétrospectif déclaratif. Les comparaisons internationales sont délicates : en France, quand on parle de verres, il s’agit d’un verre standard c’est-à-dire 10 grammes d’alcool ; par contre dans la littérature internationale, c’est entre 8 et 14 grs. J’ai d’ailleurs été obligé dans des revues de littérature, de traduire en VF certaines données. De plus, actuellement, l’habitude est de parler en verres par semaine. Cela pose problème parce que clairement, la consommation de 14 verres par semaine ne présente pas du tout les mêmes risques si c’est 2 verres par jour en mangeant en les buvant lentement ou s’il s’agit de 14 verres en une heure pour s’éclater la tête le plus vite possible (c’est à dire le Binge Drinking de fin de semaine). Enfin, dans la littérature, on compare généralement des groupes de femmes qui ont consommé et des femmes abstinentes, mais on ne sait jamais si les femmes abstinentes étaient abstinentes au moment de la conception ou si elles sont arrêtées de boire quand elles se sont rendues compte qu’elles étaient enceintes, ça on ne le sait jamais, et évidemment ça perturbe les résultats. Nous constatons généralement des difficultés liées à l’interprétation des résultats d’enquête, en l’occurrence des problèmes de puissances statistiques. Par exemple, il n’y a pas de différence significative dans une série pour les très faibles consommations alors qu’il y a clairement une différence pour les consommations moyennes et que pour les consommations très fortes mais qui concernent un

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échantillon très restreint de femmes il n’y en a pas. Ces problèmes sont vraiment liés à des raisons de puissance statistique : il y a peu de femmes qui boivent beaucoup. Les grandes cohortes, en particulier celle de Streissguth, montrent clairement une corrélation entre l’intensité et la durée de la consommation et les conséquences à long terme avec comme facteur majeur les pics d’alcoolémie dans les épisodes d’alcoolisation aigus. Par contre, les choses se compliquent dans la mesure où il nous est impossible d’établir une prédictivité individuelle. Nous sommes dans la totale incapacité de définir une dose seuil sans aucun risque. Un article, assez ancien, montre qu’une consommation d’un verre par jour entraîne une différence significative en termes de retard de croissance intra-utérin. Une étude anglaise sérieuse, beaucoup plus récente, a comparé des femmes abstinentes et des femmes buvant moins d’un verre par semaine. Elle a montré très clairement une corrélation entre une consommation à faible dose et des troubles du comportement : hyperactivité, troubles de l’attention, troubles des conduites, troubles émotionnels, difficultés de relations avec les pairs. Quand nous essayons de faire une synthèse, nous pouvons dire que le SAF complet est toujours lié à des fortes consommations mais l’inverse n’est pas vrai : c’est à dire que quand il y a de fortes consommations, il n’y a pas toujours un SAF complet. Il y a un risque prouvé pour le développement cognitif, les fonctions exécutives, quelques malformations. A partir d’un ou 2 verres par jour et une ou plusieurs cuites, il y a quand même des études qui montrent très bien les conséquences éventuelles. Les données sont discutées concernant les faibles expositions (moins d’un verre par jour) quant à l’existence de troubles des conduites comme l’hyperactivité, les troubles de l’attention. Mais surtout, je soulignerais qu’il existe de grandes variations individuelles pour une même consommation : les conséquences peuvent être complètement différentes. Par exemple, on sait depuis longtemps que de faux jumeaux peuvent avoir des atteintes complètement différentes. Ces données ont été largement publiées, et de plus en plus d’articles sont publiés sur l’influence du polymorphisme génétique des enzymes qui métabolisent l’alcool. Pour prendre un seul exemple frappant, l’augmentation d’incidence des fentes palatines n’est significative que si la mère et le fœtus ont le génotype de la forme lente d’alcool-déshydrogénase, ce qui veut dire qu’ils vont métaboliser plus lentement l’alcool et vont donc avoir des pics d’alcoolémie plus élevés et plus prolongés. Est-ce que ça sert à quelque chose d’obtenir qu’une femme diminue ou arrête en cours de grossesse ? oui. Les travaux de Philippe Dehaene, pédiatre à l’hôpital de Roubaix, l’ont montré très clairement. L’étude de la cohorte d’Helsinki, quant elle, compare 3 groupes, un groupe de femmes qui buvaient uniquement au premier trimestre, un autre au premier et au deuxième et enfin un groupe pendant toute la grossesse. Cette étude montre très clairement que si on obtient qu’une femme arrête de boire en cours de grossesse, au 1er et y compris au deuxième trimestre, les séquelles ne sont pas du tout les mêmes. Quand une équipe médicale établit un diagnostic d’atteinte sévère in utero, ce qui m’a toujours énervé mais de moins en moins maintenant, c’est de discuter autour d’un retard de croissance intra utérin : les soignants hésitent à faire une amniocentèse et par contre quand on regarde le dossier médical rien n’est indiqué sur la consommation d’alcool. Ce qui doit par contre être évocateur, c’est quand on a un retard précoce de croissance prédominant sur le fémur et sur le périmètre crânien, sans anomalie au doppler. On peut également voir la dysmorphie faciale quand elle existe, et puis il y a les malformations qu’on ne peut pas trouver. In utéro, on est capable de diagnostiquer les séquelles les plus graves, mais c’est tout (ce qui peut permettre, dans certains cas très très graves de proposer une interruption de grossesse). Le SAF complet, par définition c’est une consommation d’alcool maternelle documentée et une dysmorphie faciale associée à un retard de croissance et des anomalies neuro-développementales. En cas de dysmorphie faciale, nous constatons l’existence de petites fentes palpébrales, ce sont des anomalies au niveau de l’étage moyen et inférieur de la face. Les enfants porteurs d’un SAF complet ont une lèvre supérieure cutanée complètement lisse où il n’y a plus la gouttière, le filtrum, et puis une lèvre supérieure rouge-vermillon, l’arc de cupidon est extrêmement fin et pratiquement invisible. On peut aussi remarquer une hypoplasie de la racine du nez, avec un petit nez en trompette, vraiment très caractéristique, souvent un petit menton, quelques fois des oreilles un peu basses. Ces signes sont visibles en échographie in utero, mais attention il est important de rappeler qu’il s’agit là d’une petite partie des enfants abimés par l’alcool in utéro.

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Les malformations, finalement, en dehors des malformations neurologiques sur lesquels je vais revenir, ne sont pas l’élément déterminant du pronostic. Jusqu’à présent, les données étaient un peu disparates. Une étude australienne publiée l’année dernière, et réalisée à partir d’une cohorte importante montre clairement une augmentation, un autre ratio de 4 presque 5, des malformations après exposition in utéro forte à l’alcool. Les atteintes les plus graves sont les atteintes cérébrales en particulier avec une prise d’alcool au premier trimestre. Les malformations existent mais finalement elles ne sont pas très fréquentes. Ceci dit, quand on a un retard de croissance avec un corps calleux hypoplasique ou agénésique, il faut quand même fortement évoquer un problème d’alcool. Les séquelles les plus graves sont celles qui ne peuvent pas être repérées à l’échographie in utéro, à l’IRM post-natal. Dans le cas d’une destruction importante des cellules neuronales, on a un tout petit crâne, un tout petit cerveau et donc une microcéphalie mais finalement ce n’est pas fréquent. Ce qui est le plus fréquent, ce sont les perturbations de la migration neuronale : normalement, les neurones naissent autour des ventricules et ensuite ils vont gagner leur destination finale dans le cortex, dans la substance grise. Quand il y a consommation d’alcool, les neurones ne vont pas où ils auraient dû aller. Ces problèmes de migration neuronale vont entraîner les troubles du comportement de ces enfants. Les troubles isolés du développement, comme par exemples les troubles des apprentissages, l’hyperactivité, les troubles des fonctions exécutives représentent les situations les plus nombreuses. Ces troubles aboutissent à des échecs scolaires, mais aussi à la persistance de ces séquelles à l’âge adulte, de plus en plus décrits par Thierry DANEL et Laurent URSO. Les adolescents et des adultes présentent des retards neuro-développementaux, des troubles des fonctions adaptatives, exécutives, des addictions, de la délinquance et il semblerait qu’une large partie des patients des CSAPA et des personnes incarcérées soient porteurs d’un Syndrome d’Alcoolisation Fœtale pas forcément complet. On observe également de plus en plus d’enfants SAF de parents SAF. La particularité de l’atteinte cérébrale est son hétérogénéité. La cohorte de STREISSGUTH des enfants de 14 ans présentent des retards de QI. La comparaison des courbes entre le QI des enfants exposés à l’alcool et ceux du reste de la population montre ce décalage. Même quand un enfant exposé présente un QI normal, nous constatons un retard dans des fonctions spécifiques : capacités mathématiques (en particulier les difficultés d’abstraction), capacités adaptatives du comportement. Ces difficultés vont entraîner des retards scolaires et des problèmes de comportement pouvant rendre absolument indispensable la présence d’une auxiliaire de vie scolaire, si tant est qu’il n’y en ait encore. Quand un enfant exposé in utéro à l’alcool pèse 3,5 kg à la naissance et qu’il présente un périmètre crânien normal et une taille normale et aucun symptôme de dysmorphie, on pousse un grand soupir de soulagement. On est content comme tout, et pourtant il peut survenir des difficultés dans les premières années de sa vie (QI moyen à 75 pour des enfants nés sans signes de saf). Ces difficultés n’avaient pu être repérées à la naissance. Concernant le devenir à long terme, la cohorte LEMOINE montre une diminution progressive de la dysmorphie (visage plutôt allongé, hypertrophie du nez et du menton) ou la persistance de la dysmorphie néonatale. On commence à avoir un peu l’habitude de repérer chez les adultes les signes physiques : faciès adulte différent, retard statural en général. Par contre, le retard mental et les troubles de socialisation persistent. Aujourd’hui, on connaît de mieux en mieux l’évolution de la dysmorphie des enfants porteurs d’un SAF : les photos présentées par mon ami Jean-Pierre CHABROLLE, médecin au Havre, montrent ces évolutions. Nous nous appuyons également sur les enfants adoptés, le plus souvent venant de pays de l’Est et pour lesquels il y a des problèmes d’alcoolisation. Le diagnostic de SAF ou d’ETCAF (Ensemble des troubles causés par une alcoolisation Fœtale) est indispensable pour organiser les soins pour l’enfant et éviter leur aggravation par absence de prise en charge. Le CAMSP et le soutien scolaire, la prévention de la récidive, les soins en alcoologie sont les atouts essentiels de cette prise en charge. Il ne faut pas oublier que les mères dépendantes de l’alcool meurent jeunes et beaucoup de ces enfants deviennent alors orphelins. Cet accompagnement nécessite des réseaux de soins, des moyens, en particulier les CAMSP, en nombre très insuffisant en France.

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Clairement, la consommation d’alcool est la cause la plus fréquente de retard mental. La prévention passe par l’abstinence de toute consommation d’alcool pendant la grossesse. Le devoir d’information suppose d’informer la population que pour ne prendre aucun risque pour le bébé, il vaut mieux ne pas boire du tout d’alcool pendant la grossesse. Par contre, et le discours de santé publique sera différent et adapté à la situation de la femme enceinte : le discours sera quand même très différent si elle boit très peu ou si elle boit beaucoup. Concernant le message d’information, désormais présent sur toutes les unités d’alcool ; je voudrais rappeler que cette disposition a provoqué une bagarre presque aussi intense sur le plan parlementaire que celle de l’IVG. Nous sommes d’ailleurs en train de nous battre pour qu’il fasse plutôt 2cm que quelques millimètres. La très petite taille actuelle de ce logo est quand même très révélatrice des énormes pesanteurs dans la politique. Quand on réfléchit au devenir à long terme des enfants exposés in utero à un produit psychoactif quelqu’ils soient, les facteurs à long terme pouvant entraîner des troubles du développement importants sont : 1 - l’environnement, la qualité de la relation parent-enfant, les séparations, les ruptures, le style de vie familial, les psychopathologies parentales 2 - l’alcool 3 - les séquelles liées à la prématurité, au RCIU, à l’anoxie per natale. Ce qui est alors essentiel c’est la qualité du suivi de la grossesse Si on regarde la dangerosité des différentes substances, par ordre décroissant, ce sont la consommation de tabac, de cannabis, de cocaïne, et des amphétamines qui posent le plus de difficultés dans le développement fœtal. A long terme, les produits les moins dangereux sont les opiacés. La qualité de vie d’un enfant dépend donc surtout beaucoup de son environnement et cela même s’il a des lésions cérébrales SAF ou complications à long terme de problèmes périnataux. Sa qualité de vie va s’aggraver en raison du risque de sur-handicap (=handicap surajouté) lié à ses conditions de vie familiale ou institutionnelle. Il est donc capital d’analyser le plus tôt possible, en cours de grossesse, les vulnérabilités familiales de tenter de les améliorer par un travail d’équipe pluridisciplinaire. Pour ma part, à la base j’étais réanimateur et puis maintenant j’ai un peu dévié pour arriver au concept de réanimation psychosociale et de soins intensifs psychosociaux qui finalement sont au moins aussi importants que la réanimation cardio-respiratoire initiale. Concernant les modalités de prise en charge : La grossesse est une fenêtre d’opportunité pour des femmes, dont la moitié d’entre elles n’a jamais eu de contact médical au sujet de leurs addictions. Dans ces contextes, le traitement de substitution permet une diminution très nette du taux de prématurité. Plusieurs facteurs viennent améliorer le pronostic et améliorer la qualité de vie des enfants et des parents : 1 – les représentations, les changements de regards, 2 – le traitement de substitution pour celles qui consomment des opiacés, 3 – les équipes de liaisons et 4 – le travail en réseau autour de ces femmes avec les CSAPA, les médecins généralistes, mais le plus important c’est quand même le changement de regard. Je n’ai pas eu le temps de développer mais quand les mères participent très activement aux soins de leur bébé, surtout quand il y a un syndrome de sevrage, ça a complètement changé à la fois le regard des soignants et le vécu des femmes. Dans la cohorte qu’on est en train de regarder, j’ai en tête plusieurs femmes qui ont eu 3 enfants, elles sont toujours sous méthadone, mais l’aîné a 11 ans, il va bien, il va à l’école et les deux suivants vont bien aussi. Et le look de cette femme au premier accouchement et au troisième, et maintenant les suivants, n’a plus rien à voir. Il n’en reste pas moins que ces enfants doivent bénéficier d’un soutien attentif pour dépister les situations de risques, mais à condition de changer notre regard, de ne pas chercher à tout prix les risques, les dangers, mais de rechercher les besoins qu’ont ces familles et tenter de répondre à leurs besoins. Il faut, même si l’enfant est à la maison avec un papa et une maman qui ont du boulot, un appart… etc il faut quand même garder, non pas un œil inquisitoire, mais qu’ils sachent qu’ils ont un recours chaleureux, possible s’ils « pètent les plombs, s’ils re-consomment, si ça va pas bien ».

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Anne-Françoise HIRSCH VANHOENACKER : Merci beaucoup Monsieur LEJEUNE, je vais vous passer la parole, parce que je pense qu’après autant d’informations, vous aurez des questions. Moi, j’insiste sur le fait que personne d’entre nous n’a trouvé la baguette magique mais il est important d’entendre ces femmes qui consomment souvent, elles ont très peur qu’on leur enlève leur enfant. Et si les professionnels de la périnatalité peuvent aller au domicile en consultation avec ces femmes et leur dire que vous êtes allés entendre un grand professeur qui a dit que plus on laissait la maman avec le bébé et mieux c’était,… je pense que déjà ça ce sera très aidant pour ces femmes qui ont beaucoup de mal à nous faire confiance parce qu’elle ont beaucoup de croyances sur ce qu’on va faire avec elles. Professeur Claude LEJEUNE : Ce que demandent ces femmes c’est d’être considérées comme des femmes enceintes et suivies comme telles. Elles souhaitent sortir de la maternité avec leur bébé. C’est clair et net. Public : Bonjour, je suis Marie-Christine BLANCKAERT (médecin addictologue, Cédre bleu), je suis médecin, je travaille dans un CSAPA, j’ai deux questions, l’une pratique par rapport à la Méthadone et l’autre sur la consommation d’alcool cuit. Je voulais savoir quels étaient les critères de fractionnement de la méthadone, parce que dans ma pratique je n’ai jamais été amené à fractionner la méthadone. Et qu’en est-il des risques liés à la consommation d’alcool cuit pendant la grossesse ? Les femmes enceintes nous posent souvent cette question là. Pr Claude LEJEUNE : La réponse à la deuxième question sera plus rapide, c’est en général des consommations très très faibles, des quantités très faibles, c’est vrai qu’il vaut mieux éviter de manger tout les jours du coq au vin ou du bœuf bourguignon, mais ce sont des risques que je qualifierais volontiers de négligeables. La première question, alors rappelez-vous que je suis pédiatre, donc ce n’est pas moi qui prescrit la Méthadone. Par contre, j’ai beaucoup discuté avec l’équipe de liaison en addictologie de l’hôpital avec qui je travaille. Il en ressort que l’essentiel est d’éviter les situations de manque. Le métabolisme de la méthadone pendant la grossesse se transforme : la durée de vie est plus courte et l’espace de dilution est plus important. Certaines équipes américaines développent ces stratégies de fractionnement quand le traitement des femmes toxicomanes est déséquilibré. Cette pratique est peu utilisée en France et je n’en connais pas bien la pratique, je ne sais pas bien comment ça fonctionne : dans ce cas, la dose principale est donnée le matin et une autre beaucoup plus légère est proposée le soir. Il s’agit là d’expériences liées à une pratique clinique. Il est essentiel d’éviter tout syndrome de manque chez la mère car ce serait signe d’une souffrance pour le bébé. Une femme héroïnomane qui arrive à l’hôpital en manque, c’est une urgence. Empêcher la mort in utero suppose la prescription en urgence de la méthadone. Anne-Françoise HIRSCH VANHOENACKER : Je pense aussi que pour ces femmes, c’est important d’entendre un message aussi simple que ça, ce qui est dangereux c’est le manque, pas le fait que vous consommiez de l’héroïne, c’est le manque. Pr Claude LEJEUNE : En tant que pédiatre en néonatologie, mon expérience et celle de nombreuses autres équipes montre qu’il est essentiel de prendre le temps d’écouter ces femmes, de prendre du temps pour les comprendre. Notre expérience montre qu’on est clairement l’avocat du bébé et qu’il faut sans cesse expliquer à ces futures mères qu’il est essentiel de ne pas baisser le traitement de substitution. Beaucoup d’entres elles ont le désir de diminuer leur posologie de TSO dans l’idée que ça diminuera les risques pour le bébé. Il s’agit d’une idée reçue, en réalité, le sous dosage de la méthadone favorise l’augmentation d’autres substances encore plus dangereuses que le traitement de substitution. En cours de grossesse, le moins dangereux c’est de poursuivre les traitements de substitution. Malheureusement, on est maintenant confronté à des femmes ne consommant pas du tout d’opiacés, mais consommant de la cocaïne, de

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l’alcool, du cannabis. Dans ce cas, on est quand même un peu plus désarmés. Dans une pratique de réduction de risques, on peut quand même leur expliquer ce qui nous paraît être les produits les plus dangereux pour le bébé. Jacques YGUEL : Jacques YGUEL, responsable d’une Unité Addictologie à Avesnes-sur-Helpe. En novembre dernier, la revue Prescrire a fait une revue de littérature sur la question de alcool - grossesse zéro, argumentant que scientifiquement il n’y avait pas de preuves démontrées qu’on pouvait aller à zéro et qu’on était peut-être allé trop loin sur ce message là. L’article posait plus de questions que n’y répondait, il n’y a pas eu de réactions : je m’attendais à ce que le petit monde de l’alcoologie réagisse, avec ce qu’on appelle les « ayatollah » sur la thématique. Qu’est-ce que vous en pensez ? Professeur Claude LEJEUNE : Ma première remarque est que je suis relecteur de la revue Prescrire et cet article, ils ne me l’ont pas adressé. Ma deuxième remarque concerne une étude anglaise qui a fait polémique à la fin de l’année dernière. Cette étude n’a pas été publiée dans une revue scientifique mais elle est parue dans l’agence France Presse : pour cette étude, les faibles consommations ne présentent pas un caractère dangereux. Quand on le regarde de plus près, il y a eu de nombreuses réactions. Pour ma part, j’ai rédigé un édito qui va être publié dans une revue d’addictologie. D’autres études montrent, au contraire, des conséquences comportementales pour de faibles consommations. Il est donc nécessaire de différencier le conseil de santé publique « si vous voulez ne prendre aucun risque pour votre enfant, il vaut mieux ne pas boire du tout d’alcool pendant la grossesse » du discours qu’on va avoir vis-à-vis d’une femme enceinte pendant la consultation. Quand une femme enceinte vous parle de son inquiétude parce qu’elle a consommé un verre de champagne alors qu’elle ne savait pas encore qu’elle était enceinte. Si cette consommation se limite à une coupe de champagne, évidemment, le risque est quasi nul. Par contre, il ne faut pas oublier que très souvent, la consommation dépasse ce seul verre et dans ce cas, la consommation à un moment où il y a une étape embryologique extrêmement importante peut présenter un risque, et cela même s’il s’agit d’une consommation isolée. On ne va pas parler de SAF complet mais une malformation par exemple. Même en cas de très forte consommation, le discours auprès de la femme enceinte doit être positif : « on ne peut pas vous rassurer complètement mais il y a quand même de bonnes chances qu’il ne se passe rien, on va surveiller votre bébé à l’échographie. Si c’est épouvantable, on peut vous proposer l’interruption de votre grossesse et si tout va bien, on vous propose de suivre plus attentivement votre enfant pour éviter le sur-handicap… » bon on ne dit pas ça comme ça, ce sont deux choses différentes ça. Anne-Françoise HIRSCH VANHOENACKER : Et surtout on vous propose du soin tout au long de la grossesse. Professeur Claude LEJEUNE : Comme je le souligne dans l’article paru en décembre dans la revue périnatale de décembre suite à cette polémique, il est clair qu’un petit verre de temps en temps c’est surement probablement pas dangereux… à condition que ce soit un petit verre, un petit. Mais le problème est que quand on commence à dire « oh bah finalement… » le verre, les 10g d’alcool, un baby de whisky, il n’y a pas grand chose dedans, les choses se compliquent. En plus, à la maison, le verre servi dépasse souvent la quantité d’alcool servie dans un « baby » et puis il n’y a pas de limite et c’est dommage. Et là on s’adresse à des femmes qui ne sont absolument pas alcoolodépendantes, et qui arrêteront très volontiers de consommer de l’alcool si elles sont conscientes du fait que ça peut être dangereux, que ça peut diminuer les chances pour leur enfant d’être parfait. Docteur Laurence TACQ : Docteur Laurence TACQ de Calais, quid du sevrage chez une alcoolodépendante qui serait enceinte, puisqu’on sait bien que le sevrage peut également provoquer de grosses difficultés et en général on se sert de benzodiazépines, donc je ne sais pas, est-ce que dans la salle ou vous même avez des expériences ?

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Professeur Claude LEJEUNE : Ce n’est probablement pas moi qui peut répondre le mieux à ça mais j’ai quand même vécu quelques situations comme ça. Il est clair qu’en cas d’alcoolodépendance très grave, on peut à la demande de la femme, réaliser des sevrages en cours de grossesse. Le protocole est identique à celui utilisé habituellement : benzodiazépines et hydratation. L’hospitalisation peut avoir lieu en maternité avec une surveillance échographique ou dans une unité psychiatrique si la patiente le nécessite. L’orientation dépend des organisations locales mais malheureusement, les problèmes liés à la tarification à l’acte viennent compliquer les choses. Proposer des lits de sevrages complexes dans une maternité semble impossible, enfin à ma connaissance, et ce n’est pas faute d’avoir essayé à Montpellier. Anne-Françoise HIRSCH VANHOENACKER : Je propose de laisser la conclusion à un praticien qui a une certaine expérience du sevrage pendant la grossesse. Dr URSO, chef du service d’addictologie, Hôpital Roubaix: De notre expérience à Roubaix, les sevrages alcool se pratiquent assez simplement à la maternité. L’idéal est de réaliser le sevrage à la maternité. Le sevrage est réalisé en étroite collaboration avec la périnatalité, les pédiatres, les obstétriciens, soit dans le service de grossesse pathologique, soit dans le service de suites de couches. Le traitement est essentiellement à base de benzodiazépines (qui ne passent pas la barrière hépathique), associé à des vitamines et à une supplémentation en folates et à une réhydratation. Le reste de la prise en charge est surtout lié à la proposition d’un accompagnement pendant la grossesse et après l’accouchement. J’insiste sur ce suivi post grossesse car ces femmes sont surprotégées pendant la grossesse ; elles voient énormément de monde et puis après l’accouchement, elles ont le sentiment d’être un petit peu abandonnées, maintenir le même niveau de suivi est important. Anne-Françoise HIRSCH VANHOENACKER : Je laisse la parole à Monsieur DELION qui va nous parler des addictions et de la fonction parentale et, plus particulièrement, de la question des interactions psychiques.

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Addictions et fonction parentale : quelles interactions psychiques ? Professeur Pierre DELION, chef de service de psychiatrie infantojuvénile, CHRU Lille On m’a demandé de traiter la question de la fonction parentale et des addictions et leurs interactions psychiques. Je commencerai par vous apporter ma vision de cette question puis je vous proposerai des instruments pour comprendre, à l’aune de votre pratique d’addictologue, les enjeux de ce travail. Cela de façon à ce que vous puissiez vous en servir comme d’un instrument pour penser les situations auxquelles vous êtes confrontés. Tout d’abord, la fonction parentale est une fonction qui, contrairement à ce qu’on pourrait penser, est d’une complexité absolument redoutable. J’en veux pour preuve le nombre de parents qui se rendent en consultations de pédopsychiatrie afin de s’assurer que leurs pratiques sont conformes à leur représentation de la fonction parentale et à celle des professionnels. Il s’agit de parents comme vous et moi, « névrosés occidentaux poids moyen » ! J’attire votre attention sur un élément : aujourd’hui, la fonction parentale est relativement entravée par les médias. Je ne parlerai pas en particulier de la télévision (mon ennemi intime !), mais d’un certain nombre de médias qui viennent donner aux parents ou futurs parents, ce que Wilfred BION a appelé une « mentalité de groupe ». C'est-à-dire, « pour être de bons parents aujourd’hui, voilà ce qu’il faut faire » et quand je ne sais pas, je regarde dans le livre de Laurence Pernoud ou je visionne les émissions de Delarue. Laurence Pernoud c’est bien, Delarue c’est déconseillé pour ça ! Très souvent, dans mes consultations, les parents inhibent leur fonction parentale pour essayer d’être comme ils pensent devoir être, non pas en suivant leur propre idée, mais selon une conformité extérieure à eux mêmes. Tout le travail consiste donc à essayer de les aider à retrouver en eux la fonction parentale à laquelle ils ont intuitivement accès. Si l’on se base sur l’intuition de Donald WINNICOTT et sur toutes les découvertes récentes sur les compétences du bébé, on peut dire qu’avant d’avoir leur premier enfant, les parents ne sont pas parents. Ils sont mari et femme, compagnons, enfants de… mais, dès l’instant où ils vont avoir un bébé, ce bébé va les rendre parents. La fonction parentale va se créer en s’appuyant sur les expériences d’interactions que les parents ont vécues avec leurs propres parents. Ces interactions, qu’ils ont connues étant enfants, se sont déposées en eux sous des formes variées. Plusieurs théories, comme la théorie Freudienne du développement de la libido, font référence à ce phénomène. Mon idée est d’essayer de conjuguer ces théories pour en faire une synthèse intéressante qui permette de penser le travail. Dès qu’on souhaite observer les interactions entre un bébé et ses parents, il va falloir s’intéresser à l’enfance des parents. Quand il s’agit des addictions, deux éléments me semblent importants : La compréhension qu’ont les parents de leur propre enfance : on peut penser que l’on ne comprendra ce qui va se passer avec le bébé que si l’on se réfère à ce que ses parents, maintenant addicts, ont euxmêmes traversé quand ils étaient petits. Les interactions entre les parents et leur enfant : dans un milieu sans pathologie particulière, le bébé va faire tout un travail de découverte qui va lui permettre de faire connaissance avec et d’évaluer ses

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compétences (compétences du fœtus, du bébé, du jeune enfant). Celles-ci vont lui servir pour découvrir et prendre possession du monde qui l’entoure. Les parents vont jouer un rôle important puisque leur bébé va s’appuyer sur les interactions qu’il a eues avec eux pour découvrir ses compétences. On pourrait dire que, dans un certain nombre de circonstances, la fonction parentale est « appelée » par le bébé. Par exemple, à un moment donné, le bébé se réveille de sa sieste et pleure parce qu’il a une sensation dans son ventre (il ne sait pas encore qu’il a faim !). Le mode de réponse que son ou ses parents vont lui apporter va entraîner le développement d’un climat d’attachement soit sécure, soit insécure. John BOWLBY et ses élèves disent que 65 % des bébés se développent dans un climat sécure tandis que 35% se développent dans un climat insécure. Quand le climat est sécure, le bébé se réveille de sa sieste et pleure parce qu’il a une sensation désagréable dans son ventre. Il voit alors arriver un gros sein bien rempli au dessus de son berceau et sa maman le prend (en général, c’est la maman qui est porteuse du sein qu’on appelle, dans ce cas là, « voie lactée » !). Le bébé sait alors que la douleur et le déplaisir qu’il éprouve vont trouver une réponse adaptée. Si cette situation se répète de façon régulière, sauf exception, ce bébé va, au bout d’un certain nombre de semaines et de mois, commencer à se dire au réveil de sa sieste : « je pleure un petit peu mais je sais que ça va arriver ». Il est en train d’éprouver qu’il peut compter sur son environnement, dont ses parents sont les ambassadeurs pour satisfaire ses besoins. Ce bébé va intérioriser ce qu’on appelle des modèles internes opérants, qui sont des modèles à partir desquels il fabrique sa représentation de parents stables, ce qui va lui servir dans son travail de séparation progressive vis-à-vis de ses parents au fur et à mesure de son développement. Ça, c’est le bébé qui a de la chance ! Il y a aussi des bébés qui se développent dans un climat d’attachement insécure. Il s’agit du bébé qui se réveille de sa sieste et qui commence à pleurer parce qu’il a faim. Il voit sa maman arriver et est satisfait dans ses besoins (il va prendre le sein et faire un câlin avec sa maman qui est pleine de tendresse avec lui). Il dort à nouveau et se réveille quelques heures plus tard. Il pleure et compte sur le fait que sa maman va venir, mais la maman est allongée dans son sofa avec une seringue dans le bras. Le bébé va alors se retrouver dans une situation un peu difficile, puisque, à ce moment là, la satisfaction de ses besoins ne viendra pas. Il va quand même se rendormir parce que, comme le dit le vieux proverbe, « qui dort dîne ». Lorsqu’il va se réveiller la fois suivante, il va se demander ce qui va se passer cette fois-ci. Ce bébé numéro 2 n’est pas dans la même position que le bébé numéro 1 qui, lui, intériorise des réponses à peu près opérantes pour les besoins qu’il a et se fabrique des représentations avec des petites variations « Tiens ! Aujourd’hui, maman a mis un corsage jaune… enfin je sais qu’à chaque fois que je pleure elle vient même si c’est un corsage bleu ». A chaque fois, le bébé numéro 2 va se demander ce qu’il va se passer, il va rencontrer des difficultés pour internaliser une représentation stable de la personne qui doit répondre à ses besoins. Il va se trouver dans un climat insécure, c’est à dire, qu’il ne sait jamais vraiment ce qui l’attend. Sur le plan clinique, si l’on compare les deux bébés : le bébé numéro 1 présente un tonus à peu près équilibré, il ne se met pas en hypertonie pour se défendre. Il sait qu’on va le prendre pour telle chose qu’il a progressivement intériorisée. Le bébé numéro 2, quant à lui, présente par exemple une hypertonie qui caractérise son hyper-vigilance liée au fait qu’il se demande toujours ce qui va lui arriver. D’autres signes viennent indiquer que ce bébé est dans un climat où il ne peut pas compter sur son environnement, ce qui va fragiliser chez lui la fabrication de ses représentations internes. Cette description très résumée (je m’en excuse !) de la théorie de l’attachement, nous donne des éléments pour comprendre les étapes du développement du bébé qui vont marquer l’ensemble de sa trajectoire développementale et servir de référence dans sa façon de prendre contact avec le monde.

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Ce bébé numéro 2, lorsqu’il se trouvera dans la situation de devenir parent, va s’appuyer sur ses propres ressources anciennes pour donner une réponse aux besoins de son enfant. Or, sa théorie de l’environnement n’est pas toujours cohérente puisqu’il a eu lui-même beaucoup de mal à trouver la satisfaction de ses besoins quand il était enfant. Une autre notion importante est celle de l’objet transitionnel. Comme dirait Jean Sébastien BACH, l’objet transitionnel est une sorte d’instrument qui sert dans le développement habituel de l’enfant. Il sert à fabriquer une séparation « bien tempérée » avec son environnement, ce que Donald WINNICOTT avait appelé le temps et l’espace transitionnels. Cette séparation permet à l’enfant de se représenter de façon stable son papa et sa maman pour pouvoir s’en séparer, c'est-à-dire supporter leur absence quand il n’est pas en leur présence. L’objet transitionnel accompagne les enfants, pour certains c’est un petit ours, pour d’autres un mouchoir… C’est un objet qui, quand je l’ai près de mon museau, me fait penser que maman n’est pas loin même si je ne la vois pas. Cet objet la représente et me permet de supporter son absence. Il va avoir pour fonction de fabriquer chez le bébé des symboles qui lui permette de supporter l’absence de maman. Dans le cas d’une maman addict, on peut dire qu’il s’est probablement passé quelque évènement ou style interactif quand elle était petite qui a conduit son objet non vers le transitionnel mais vers l’objet addictif, comme Maurice CORCOS propose de l’appeler. C'est-à-dire, un objet dont j’ai absolument besoin pour me représenter cette personne qui me manque parce que, dans ma tête, mes modèles internes opérants et mes représentations ne suffisent pas à me la représenter. Et si je n’ai pas l’objet addictif, je suis en manque, expression bien connue des addictologues. Dans son développement habituel, l’enfant va finir par se représenter psychiquement la personne, il n’aura alors plus besoin de son objet transitionnel. C’est ce qui se passe également lorsque l’on part en vacances avec son enfant, on a déjà fait 50 kilomètres et l’on s’aperçoit qu’on a oublié le nounours. Dans votre équilibre familial, vous savez que votre mois de vacances sera gâché si vous ne retournez pas chercher l’objet transitionnel donc vous faites 50 kilomètres dans l’autre sens pour aller le chercher parce que vous sentez intuitivement que ce n’est pas encore mûr chez lui. Si, à l’inverse, vous sentez que ce n’est pas un hasard que vous l’ayez oublié, que votre enfant avait commencé à le désinvestir, alors il va peut-être pouvoir s’en passer. Vous continuez votre route et vous passerez de bonnes vacances car votre enfant va découvrir d’autres substituts pour le remplacer. Dans la problématique de l’objet addictif, il n’y a pas de remplacement possible. La personne est agrippée à l’objet addictif et ne peut pas supporter de quitter l’état de dépendance par rapport à cet objet. Ce qui sous-entend qu’elle ne peut pas quitter la dépendance par rapport à ces personnages principaux que sont la mère et le père dans son développement, donc supporter la séparation. Cela vient indiquer la fragilité de ses représentations internes dont le ciment est principalement l’objet addictif puis le toxique. Donc, il me semble que si on veut essayer d’aider les enfants des parents qui sont dans des problématiques addictives pour qu’ils n’éprouvent pas de façon trop irréversible la difficulté de leurs parents, il va falloir aider les parents à mieux comprendre leur propre enfance. Pour cela, je crois qu’il faut essayer de trouver une approche, même si elle est complexe, qui soit à la fois évaluative et compréhensive. Nous avons traversé une longue période que les juges actuels appellent « période de l’idéologie du lien familial à tout prix », idéologie idéalisée et optimiste de l’après-guerre. J’avais récemment dans le service une stagiaire magistrate avec laquelle je discutais de l’enseignement de l’école de la magistrature. On observait que pendant quelques dizaines d’années, les juges défendaient l’idée que le principal était que les enfants restent avec leurs parents. La situation devait être extrêmement problématique pour envisager éventuellement le placement de l’enfant. Nous nous

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sommes rendus compte au bout d’un certain temps que cette idéologie engendrait des difficultés dans le développement des enfants. Certaines personnes, comme Maurice BERGER, ont beaucoup insisté pour qu’on abandonne ces grandes idéologies généreuses, mais ne donnant pas toujours les résultats escomptés, pour privilégier une démarche d’approche évaluative. Cette démarche consiste à étudier la façon dont un bébé se développe avec sa maman, son papa ou les deux en se basant sur des tests, comme le test de BRAZELTON ou de BRUNET-LEZINE, qui vont permettre de faire le tour de l’état actuel de l’enfant. Par ces tests, on va essayer de voir comment les choses évoluent sur quelques mois dans ces conditions (si c’est envisageable). Si au cours du temps d’observation, les choses se sont aggravées de façon suffisamment importantes pour qu’on ne puisse pas continuer en appui sur cette idéologie du lien familial à tout prix, l’enfant ne sera pas laissé dans ces conditions. Depuis un certain temps, ce paysage général est en train de changer. Aujourd’hui, on envisage les choses non pas à partir de références idéales ou idéologiques (Raymond Aron disait : « l’idéologie c’est l’idée de mon adversaire ») mais, à partir de la réalité de ce qui se passe. Il va donc falloir évaluer l’état de l’enfant mais aussi celui des parents. Et c’est là que la corrélation entre les équipes spécialisées dans ces approches va être très importante. Des équipes vont s’intéresser au bébé et vont pouvoir faire des évaluations tout à fait recevables de l’état clinique du bébé, et puis d’autres équipes vont s’intéresser aux parents et vont pouvoir faire des évaluations de la situation du ou des parent(s). Dans un idéal clinique, l’évaluation des interactions permet d’évaluer ensemble la capacité des parents à s’occuper de leur bébé et de déterminer si ce bébé peut bénéficier ou non de l’approche parentale, et si oui dans quelles conditions. Si les parents sont dans une démarche addictive trop active (par exemple si le rapport avec l’objet addictif dans leur enfance, puis leur adolescence, puis dans leur âge adulte, reste manifestement prégnant) alors le risque est très grand que le bébé puisse se retrouver lui-même en position d’être l’objet addictif de son propre parent, et cela renforcera chez lui le mécanisme de l’identification adhésive. Le mécanisme d’identification adhésive se met en place dès la naissance du bébé lorsqu’il se retrouve dans une relation de surface avec ses parents, ce qui passe par tout un type de rapports avec ses parents : rapport de contact peau à peau, du tactile, de l’œil à œil… Il y a un moment où les rapports vont changer de qualité, lorsque la maman qui a son bébé au sein peut dire « là, j’ai l’impression qu’il me regarde vraiment ». On passe alors dans la troisième dimension, on ne reste plus dans la deuxième dimension, celle de la surface. Dans le cas d’une maman addict « à » son bébé, les interactions risquent de rester à l’état de l’identification adhésive, le bébé va le vivre comme un mécanisme d’emprise progressive sur son existence. Ce bébé va se trouver aliéné par la pathologie parentale. La problématique de l’évaluation, comme vous le voyez, est très importante pour mettre en évidence les capacités que cette maman addict à de se détacher ou non de sa position addictive ; on pourrait dire du noyau central d’addiction. Si, dans l’évaluation que les psychiatres adultes vont faire de ses capacités parentales, elle peut finalement mettre à distance cette partie pathologique de sa personnalité notamment pendant sa grossesse et pendant l’enfance, alors, il y a sans doute quelque chose de possible à récupérer de la fonction parentale et une interaction est possible avec son bébé. Si, au contraire, on sent que la partie addict pathologique de cette maman est beaucoup trop importante, alors, le bébé est dans une position à risque. A ce moment là, je pense qu’il vaut mieux envisager une séparation en l’aménageant de telle sorte que ce bébé puisse bénéficier de l’amour filial de sa maman et/ou de son papa et qu’il puisse être élevé par des parents nourriciers qui vont lui apporter des modèles opérants internes de bonne qualité

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pour son avenir et qui éviteront les risques de reproduire dans la génération suivante des choses déjà actives dans sa petite enfance. On voit bien qu’un des aspects essentiels du travail va être que puissent se rencontrer les équipes qui s’occupent des parents présentant ces pathologies addictives et les équipes qui ont compétences à dire quelque chose de l’état clinique du bébé. Evidemment, cette collaboration passe par la résolution de tous les problèmes institutionnels qui ne manquent pas de survenir dans la pratique quotidienne. Je ne sais pas comment cela se passe ici, mais il arrive qu’il y ait un certain nombre de problèmes d’identité d’équipe : l’équipe de psychiatrie de l’enfant et l’équipe de psychiatrie d’adulte pensent chacune que la pathologie des parents est de son domaine dans la mesure où les interactions concernent le bébé. En fait la pathologie des parents est le domaine de compétence des psychiatres d’adultes, mais la capacité de devenir parent peut aider à ce qu’ils aillent mieux sur le plan psychiatrique, donc sans collaboration profonde entre les deux équipes, il est difficile d’avancer. Finalement, en se mettant tous ensemble autour d’une situation et en faisant une intersection entre ces deux champs (psychiatrie de l’adulte et psychiatrie de l’enfant), champs différents mais complémentaires, le problème institutionnel peut être résolu. Les psychiatres d’adultes racontent la manière dont ils comprennent l’addiction du parent et ses capacités parentales. D’autre part, les psychiatres d’enfants vont apporter leurs observations par rapport à l’interaction et aux signes cliniques du bébé afin de dire si le bébé manifeste ou non des difficultés pathologiques en rapport avec la qualité des interactions avec sa maman. Ce travail permet d’évaluer au fur et à mesure ce qui se passe. A l’inverse, si les gens réunis autour de la table forment deux camps qui peuvent à peine se parler pour des tas de raisons qui tiennent à l’identité des équipes, au rapport qu’ils peuvent construire ou pas ensemble…, alors d’un seul coup, le problème qu’on va essayer d’étudier ensemble va être traversé par des phénomènes institutionnels qui risquent de brouiller singulièrement les pistes pour comprendre la situation en question. Ce problème, apparemment extérieur à celui qu’on étudie, conditionne la qualité de celui-ci. Il est très important de ne pas se raconter d’histoire pour pouvoir travailler autour d’une maman addict et de son bébé. Il faut que les différentes personnes présentes dans ces situations difficiles puissent se respecter, faire confiance à l’avis de l’autre, prendre en considération et construire, ensemble et en fonction des compétences en présence, le dispositif qui va résulter de ce que l’on a observé. Dans la région, on est en train de réfléchir pour mettre en place des systèmes dans lesquels il y aurait, dans chaque bassin de population, des personnes compétentes pour s’occuper des problématiques liées aux addictions des parents ayant un bébé. On pourrait envisager de proposer une hospitalisation à temps partiel (de jour, par exemple) pour des mamans avec leur bébé et qui sont jugées suffisamment « parentalisantes » pour pouvoir continuer l’expérience ou encore une hospitalisation à temps complet de la mère et de son bébé pendant un temps variable, mais pas forcément très long, pour pouvoir ensemble observer et aussi aider la maman à être avec son bébé de façon « suffisamment bonne ». Un certain nombre d’équipes pourrait s’approprier tous ces éléments pour les rendre disponibles à la population qui en a besoin dans les secteurs où l’on trouve ces situations. Ces équipes s’organiseraient en réseau interactif, parce que vous comprenez bien que c’est un domaine relativement spécialisé : si on veut aider les mamans à récupérer les fonctions maternantes ou parentales pour les mettre au service de leur bébé, il faut évidemment pouvoir mieux comprendre les interactions entre ces bébés et ces mamans. Je prends un petit exemple pour montrer à quel point ces dispositifs sont importants : un peu en dehors du champ, bien qu’en psychopathologie, il y a un rapport tout à fait évident pour moi entre la pathologie dépressive (non pas au sens mélancolique, mais au sens de la dépression habituelle) et la pathologie addictive (l’addiction étant peut-être une forme accentuée de dépression centrée sur l’objet qui manque). Il s’agit de cette situation où des signes cliniques vont apparaître chez le bébé d’une maman déprimée, ce qui peut faire penser que la dépression de la maman a des effets sur son bébé qu’elle continue à élever. Des études récentes, montrent que 20% des mamans passent par une dépression, qu’elle soit pré,

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péri ou post natale, soit 150 000 à 200 000 mamans en France, ce qui est un nombre considérable. Il s’agit de mamans à risques, souvent seules, avec personne autour d’elles pour faire avec le bébé ce que la dépression les empêche de faire. Le bébé va alors traduire la dépression maternelle sous forme de dépression du nourrisson qui peut prendre des formes assez diverses. Dans ces études intéressantes, on a constaté que si la maman est entourée par des personnes ressources pour elle, le bébé ne présentera pas de signes cliniques liés à la dépression de sa mère, à l’inverse de la situation précédente. Il est donc très important de penser nos dispositifs sur cette idée : si la maman addict a des difficultés particulières avec son enfant, avant de décider un placement (ce avec quoi je suis d’accord dans un certain nombre de cas), il faut essayer de faire le tour, avec le dispositif, des personnes qui pourraient être des personnes ressources pour cette maman en difficulté, parce que les effets que ces personnes ressources peuvent avoir sur le bébé sont tout à fait manifestes. Quand on réfléchit à cette question de la fonction parentale par rapport à l’addiction, on est amené à réfléchir à un costume thérapeutique sur mesure. Pour chaque situation, il s’agit de prendre en considération le retentissement de l’addiction du parent sur le bébé et la présence de personnes ressources pour le parent addict prêtes à intervenir pour aider ce parent à étayer ses fonctions parentales. Si les fonctions parentales sont suffisantes, on continue le dispositif. Si elles ne le sont pas, à ce moment là, on s’oriente vers un placement. Les dimensions institutionnelles deviennent un élément tout à fait central pour pouvoir, ensemble, penser le dispositif qui va être mis au service de cette maman et de ce bébé pour les aider à sortir de cette sorte de surdétermination transgénérationelle, qui, vous l’avez bien compris, est pour moi l’ennemi public numéro 1. Si on aide un bébé à ne pas être l’objet addictif de son parent, on l’aide à ne pas devenir lui-même un jour le sujet d’une addiction. Quand il sera parent à son tour, il pourra alors avec ses modèles internes opérants différents (c’est à dire plutôt sécures) se démarquer du risque fatal, qui était le sien, de continuer à transmettre l’interaction de type addict à ses propres enfants. Voilà, je vous remercie de votre attention. Anne-Françoise HIRSCH VANHOENACKER : Merci beaucoup Monsieur DELION. Je suppose que ce sont des propos qui vous parlent. Moi, j’ai bien apprécié la façon dont vous avez insisté sur l’approche évaluative et je pense qu’ici on est un certain nombre de professionnels à être concernés par cette période d’évaluation. Ce qu’on disait tout à l’heure, c’est qu’on n’enlève plus, a priori, les enfants à la naissance et qu’on se donne justement une période d’évaluation, ce qui veut dire qu’on ne reste pas seul, bien sûr, et qu’on se parle. Il est vrai que ce n’est pas dans la culture de partager les informations entre les sociaux et les médicaux mais on y vient et on a développé, sur le Nord-Pas-de-Calais, des intervisions qui permettent aux différents professionnels (médicaux, psycho, sociaux) de se rencontrer. Ce qui permet d’être plus soutenant pour ces patients. Je vous propose de donner la parole à la salle si vous avec des questions pour Monsieur DELION. Questions du public : Je m’appelle Elisabeth REGAGNON, je suis psychologue dans une pouponnière du Nord. Effectivement, nous pratiquons une évaluation quand l’enfant arrive chez nous, et puis quelques mois après, parce qu’il faut voir les effets du placement. Je suis toujours très en colère quand des enfants arrivent chez nous, (je peux comprendre que les équipes en amont des placements soient démunies) concernant tout le côté de la prévention et de l’accompagnement. Quand vous parlez de l’histoire parentale, que ce soit de la mère isolée ou du couple, qu’est-ce qui fait que ces femmes ont été toutes seules pendant la grossesse et que le suivi (si suivi il y a eu) n’aborde pas du tout ce côté de l’histoire, que ce soient les histoires d’addictions ou de précarités importantes… ? On a parlé de réseau mais je trouve qu’il n’est pas encore effectif : on parle du dossier à partir de 4 mois, sauf que l’on reçoit des dames qui ont été très peu suivies, voire pas du tout suivies. Qu’est-ce qui fait qu’un climat de confiance se met en place et permet une continuité de la prise en charge entre les équipes ? Parce qu’on se retrouve avec des placements qui auraient pu être évités ! C’est vraiment quelque chose qui m’interpelle encore aujourd’hui, même si je trouve qu’il y a des améliorations. Je

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pense qu’il y a encore des équipes à former pour l’accompagnement de la grossesse : qu’est ce qui est dit ? Qu’est ce qui peut être entendu ? Qu’est-ce qui peut être récupéré dans ces temps d’échanges avec ces femmes enceintes qui fait qu’après il y aurait une continuité quand l’enfant est là et quand il repart avec ses parents ? Professeur Pierre DELION : Comme vous n’êtes pas en colère après moi, j’essaie de vous répondre. Je crois que vous mettez l’accent sur une chose à la fois très importante et relativement récente dans le domaine de la périnatalité : la consultation du premier trimestre de la grossesse (3ème/4ème mois). Cette consultation, qu’on doit en partie à Francis PUECH, a permis d’ouvrir des espaces de discussion pour une femme enceinte. Elle permet à la femme enceinte de se dire : « j’en ai parlé à quelqu’un, si jamais je suis embêtée avec ce problème, comme j’en ai déjà parlé, je pourrais en reparler ». Se retrouver avec un bébé sans jamais avoir parlé de cette question avec un professionnel n’est pas du tout pareil que de se retrouver avec un bébé et d’en avoir déjà parlé pendant sa grossesse. Cette consultation est donc une avancée majeure ! Pour que ça devienne quelque chose de vraiment productif, il faut avoir des dispositifs où la continuité puisse s’opérer. Il faudrait que le professionnel à qui on en a parlé pendant le 1er trimestre puisse facilement être retrouvé quand on a besoin d’en parler à nouveau. Pour cela, les équipes doivent se concerter et proposer des liens solides et continus à cette maman en difficulté. La manière dont on pense nos équipes aujourd’hui (c’est pour ça que j’insistais sur les rapports entre les équipes), peut conduire à des cloisonnements qui empêchent la continuité dans les dispositifs. Notre travail prioritaire est vraiment la prévention primaire. Il s’agit de mettre en continuité les différents éléments de l’équipe qui concourent à la prise en charge de la maman. Cette position rejoint un concept freudien auquel je suis très attaché : la relation de transfert. Pendant la grossesse, la maman est dans un état psychique très particulier (notamment chez les femmes addict), et on ne retrouvera pas cet état après sa grossesse. Donc, si on ne saisit pas ce moment où elle peut demander de l’aide, elle ne pourra pas engager une relation continue sur laquelle elle pourra s’appuyer après sa grossesse. Je pense qu’il faut que dans nos réseaux, un maillage voire un « filet » institutionnel soit tissé entre nos équipes. Ce filet va permettre aux gens fragiles de s’appuyer dessus (les acrobates peuvent faire de grandes acrobaties quand ils savent qu’il y a un filet en dessous mais ils vont être un peu plus agrippés à leur trapèze et beaucoup moins brillants s’ils savent qu’il n’y a pas de filet). Anne-Françoise HIRSCH VANHOENACKER : Une dernière question ? Public : Stéphane BUJOLD, Centre Le Maillon de Laval, Centre de réadaptation en dépendance, Québec. D’une part, j’aime beaucoup vos exemples ! D’autre part, j’aimerais entendre un exemple qui me permettrait d’avoir une bonne représentation mentale du passage entre l’identification adhésive et l’identification projective pour finalement aller à l’identification symbolique. Merci Professeur Pierre DELION : L’identification adhésive, c’est « je suis accroché à maman, je suis agrippé à maman », c’est la théorie de l’attachement. On pourrait dire « je colle à la falaise ». D’ailleurs quand vous voyez les alpinistes l’été, ils retrouvent leur identification adhésive. Monter le long d’une paroi, c’est être en adhésion. Si jamais mes pitons lâchent, je suis agrippé à la paroi par un seul piton et celui là je m’y agrippe beaucoup. Le mécanisme prévalent est l’identification adhésive. Cette identification devient pathologique si elle se maintient tout au long du développement, par exemple, c’est le cas dans l’autisme… on reste coincé là dedans. Quand j’escalade la falaise, ce n’est pas seulement pour arriver en haut de la falaise mais c’est aussi pour voir le lever du soleil. Alors, on pourrait dire que la troisième dimension rentre dans le champ du travail.

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On peut faire un parallèle entre le bébé, dont je parlais tout à l’heure, qui se réveille de sa sieste, qui voit le sein arriver au dessus de son berceau et à qui la maman dit « tiens, ça y est, il me regarde vraiment » et cette personne qui escalade la montagne pour voir le soleil se lever. Dans les deux cas, on pourrait dire que la troisième dimension rentre en présence, ce qui permet de quitter le plan des surfaces pour aller vers cette troisième dimension. Au bout d’un certain temps, les représentations que l’enfant fabrique lui permettent de faire ce mouvement de la projection. Donald MELTZER, qui est un type intéressant, disait de la projection ou identification projective que c’est quand vous êtes dans une classe avec un maître qui écrit au tableau « un, deux, quatre » qui se tourne vers la classe et dit « Vous ne savez pas encore ?... huit… qu’est ce que j’écris après ? » alors, les élèves vont se projeter dans la tête du maître pour trouver la règle qu’il utilise et vont se dire « un, deux, quatre, huit, on multiplie par deux ». Donc ils reviennent par un mouvement introjectif en eux-mêmes, lèvent le bras et disent « Maître, on multiplie par deux » (« Bien Toto, 10/10 ! »). Là, on peut dire que l’identification projective a marché parce que l’enfant est revenu dans sa propre tête. Un autre exemple, dans le métro, « Pourquoi tu me regardes comme ça toi ? », c’est la même identification projective sauf qu’elle est pathologique, le type vous le regardez comme vous le regardez, qu’est-ce qu’il en sait de pourquoi vous le regardez comme ça ? Mais lui pense que vous le regardez comme ça parce que vous êtes hostile envers lui. L’identification symbolique c’est lorsque je profite de tout mon environnement, je prends les éléments qui m’intéressent et ceux qui me sont imposés par mon environnement et j’en fais mon identité. L’identification signifie : faire mon identité. Maintenant quand je suis là, en train de vous parler, je peux le faire sans regarder mes notes, parce que j’ai un certain nombre de représentations dans ma tête qui me permettent de vous en parler de façon relativement fluide. Et là, on pourrait dire qu’on est dans une version symbolique. Le problème de l’addiction c’est qu’on tire vers l’adhésivité (parfois vers la projectivité mais surtout vers l’adhésivité) ce qui empêche d’aller faire son chemin vers le symbolique, au sens de « j’ai mes représentations, je n’ai plus besoin de mon doudou, je n’ai plus besoin de mon petit drap qui me fait sentir maman, je peux me débrouiller tout seul pendant les vacances ». On pourrait dire qu’on est passé dans le domaine qu’on partage ensemble, la névrose occidentale poids commun. Anne-Françoise HIRSCH VANHOENACKER : Merci Monsieur DELION pour ces explications rapides mais efficaces sur ces identifications. Professeur Pierre DELION : C’est pour que vous deveniez addict à mon enseignement. Professeur Claude LEJEUNE : Je suis désolé, c’est une question qui risque d’amener des développements importants. Je viens d’un département, le 92, dans lequel quand on est contraint pour des raisons psycho-sociales de placer un enfant, il se retrouve en pouponnière pendant plusieurs mois voire quelques fois, un peu plus que plusieurs mois, et je me suis bagarré avec des difficultés (je ne sais pas si c’est personnel mais je n’en ai pas l’impression) relationnelles avec l’aide sociale à l’enfance pour qu’il soit le plus vite possible en famille d’accueil stable. Quelle est votre opinion, est-ce qu’il y a un truc à faire pour essayer de convaincre ? Professeur Pierre DELION : C’est la même que vous ! Je suis content de trouver ici quelqu’un avec une expérience aussi intéressante que la vôtre. Sommes-nous des décideurs ou des aides à la décision en tant que techniciens au placement ? A mon avis, on ne peut pas prendre le problème comme ça. On doit faire l’évaluation et se dire « cet enfant ne

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peut pas rester dans ces conditions, c’est sur que sinon il va être dans un climat insécure, donc il faut le placer ». Après, deuxième odyssée, que vous avez fait avec l’ASE de votre coin, et qu’on essaie ensemble de faire ici avec nos ASE, c’est de faire comprendre qu’il est vraiment très important que le placement en pouponnière soit rendu le plus accueillant et le plus humanisant possible. Je sais qu’il y a un certain nombre de gens dans la région qui se sont formés aux méthodes PIKLERLOCZI et d’Esther BICK pour bien accompagner ces placements, mais il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de recherches récentes qui vont à peu près toutes dans le même sens indiquent que si ce placement dépasse quelques mois (c'est-à-dire 3, 4, 5, 6 mois maximum) et bien, les effets délétères de la vie en groupe, à un moment où l’on n’est pas vraiment armé pour le supporter, se retournent contre l’enfant. Il faut donc que le placement en pouponnière soit articulé de façon tout à fait rapprochée avec un placement en famille. Il faut qu’on travaille tous ensemble pour trouver des moyens de le réaliser. Il faut qu’on sorte de ces querelles ridicules de « je suis pour la pouponnière » ou « je suis pour la famille d’accueil » sous-entendu « je suis pour l’un et contre l’autre ». La pouponnière est forcément l’endroit où arrivent les enfants parce qu’on ne trouve pas toujours de familles d’accueil dans l’urgence, ce qui justifie l’énorme travail humain qu’il faut y consacrer pour rendre ou garder ces endroits vivants, parce que les 3-4 mois que les enfants vont y passer vont avoir des effets définitifs sur eux. La qualité des relations humaines qu’on y instaure avec ces enfants est essentielle, mais on sait qu’il y a des inconvénients si ça dure trop longtemps. Il faut donc que les familles d’accueil soient une suite logique au placement en pouponnière. Il faut vraiment réussir à penser les dispositifs dans lesquels ces choses sont articulées. Je sais que Rosa MASCARO développe, à Lille, des possibilités pour que des familles d’accueil viennent participer à certaines activités dans la pouponnière… Il y a tout un travail d’intrication entre les deux, pour que le bébé se sente dans une dynamique rassurante et qu’il retrouve dans la famille d’accueil quelque chose qui va lui permettre, comme je le disais précédemment, d’être élevé (presque au sens de grandir) dans de bonnes conditions. Va alors se poser la question de l’organisation du lien avec la famille d’origine et des visites médiatisées. Il faudra alors pendant de longs mois soumettre l’évaluation (je pèse mes mots) de l’enfant aux visites médiatisées avant de pouvoir dire « il peut aller passer quelques temps chez ses parents addict, qui ont fait beaucoup de progrès… », afin d’être sûr que pour l’enfant, ça n’aura pas d’effets négatifs. Les visites médiatisées permettent de maintenir du lien (les parents aiment leurs enfants) mais aussi de distinguer les capacités d’aimer son enfant de celles d’élever seul son enfant ce qui évitera la névrose d’abandon de l’enfant qui, vous le savez, a des conséquences redoutables sur son avenir. Anne-Françoise HIRSCH VANHOENACKER : Merci Monsieur DELION.

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Représentations des femmes sur les consommations à risques pendant la grossesse, recueil via des blogs Internet Stéphanie TOUTAIN, Maitre de conférence à l’Université Paris Descartes Bonjour à tous, je me présente donc, je suis Stéphanie TOUTAIN, je suis Maître de Conférences à l’Université Paris Descartes, c’est à dire que je suis enseignant-chercheur. Une partie de mon activité est consacrée aux enseignements et l’autre partie à la recherche au sein du laboratoire Cermes 3 (Insem, Cnrs, Ehess). Je travaille dans une unité qui travaille sur le thème de la périnatalité et des addictions. En fait, le travail que je vous présente aujourd’hui est une mise à jour d’une étude que j’avais effectuée en 2007/2008 sur les représentations de l’alcool et la grossesse à partir des forums internet. Ce travail a été publié dans la revue « Alcoologie Addictologie » en septembre 2011. En introduction, on peut dire, qu’il existe, que ce soit en France ou à l’étranger, relativement peu d’études concernant les représentations des consommations d’alcool pendant la grossesse. A l’étranger, il s’agit essentiellement d’études canadiennes et américaines. En France, on peut noter deux études majeures : une étude quantitative menée par l’INPES (étude par questionnaires), qui a montré l’évolution des connaissances des femmes entre 2004 et 2007 sur le thème « Alcool et grossesse » et celle que j’ai menée. De manière assez synthétique, l’étude de l’INPES avait montré qu’il s’était produit un déplacement de la norme sociale vers « le zéro alcool pendant la grossesse» grâce au logo désormais apposé sur toutes les unités d’alcool ainsi qu’à l’efficacité des campagnes de prévention menées (suite au vote de l’amendement Payet adopté en 2005) auprès des femmes, du grand public, mais aussi auprès des professionnels. En parallèle de l’étude réalisée par l’INPES, j’ai mené une étude qualitative en 2007/2008 (publiée en 2009 dans le BEH et dans la revue « alcoologie et addictologie »). Cette étude portait sur des forums de discussion internet et visait à mieux comprendre comment se construisaient les représentations de la consommation d’alcool pendant la grossesse. Les résultats de cette étude montraient que le risque perçu par les femmes dépendait : ‐ de leurs connaissances, celle du logo sur les bouteilles ou celles liées aux informations délivrées par les campagnes de prévention ; ‐ de leur niveau d’études : il existait vraiment des clivages importants en fonction du niveau d’études des femmes ; ‐ d’autres facteurs, comme la profession, ou le fait qu’elles aient déjà eu ou non des enfants et si elles en ont eu leur nombre ; ‐ mais surtout le facteur le plus déterminant était l’expérience de leur propre mère. Il existe vraiment un clivage très important dans les représentations en fonction du milieu social de la femme : les représentations des femmes issues des milieux sociaux les moins favorisés s’appuient sur le sens commun alors que les connaissances des femmes issues des milieux sociaux les plus favorisés s’appuient sur les données scientifiques. Dans mon étude, celles qui exercent une profession médicale constituent un groupe particulier parce qu’elles sont beaucoup plus sensibilisées aux informations délivrées par les campagnes de prévention. Concernant la méthodologie de mon étude, comme celle de l’étude précédente, cette enquête a porté sur les forums de discussion sur internet. J’ai recueilli et analysé les échanges, (ce qu’on appelle les verbatim) de 35 femmes qui discutaient sur le thème de l’alcool et de la grossesse sur des forums internet. Ces femmes étaient à différents termes de leur grossesse mais la majorité d’entre elles étaient quand même en début de grossesse. Il s’agissait de quatre forums spontanés de discussion recueillis pendant un an entre septembre 2009 et septembre 2010. Pour cette étude, j’ai consulté 4 forums alors que pour l’étude précédente, je n’en avais consulté que 3. Parmi ces 4 forums, il y en avait deux que j’avais consulté lors de ma précédente étude, auquel se sont ajoutés un forum médical et un forum

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spécialisé dans la grossesse. Par rapport à l’étude précédente, j’ai dû analyser un forum supplémentaire tout simplement parce qu’il y avait vraiment une moindre récurrence de ce thème sur les forums. Pour expliquer le nombre moins important de discussions dans les forums, je ferai deux hypothèses auxquelles je ne peux faire de réponse : ‐ L’information est mieux délivrée, et maintenant toutes les femmes savent qu’il ne faut pas consommer d’alcool pendant la grossesse : de ce fait, les femmes s’interrogent moins sur ce sujet ; ‐ Les modérateurs présents sur les forums exercent des censures sur cette thématique. Dans cette analyse, je n’ai pas pris en compte les paroles des experts, qui répondaient aux questions des femmes. Seul un forum le proposait. Pour nous chercheurs, ces forums présentent l’avantage que nous n’avons pas besoin de demander l’autorisation à la CNIL. En effet, on ne peut pas revenir à l’identité de ces femmes, puisqu’elles utilisent un pseudo et il n’y a pas d’indication géographique de leur lieu de résidence. Mon corpus de données contient 142 messages issus de 35 femmes, 35 pseudos. En moyenne, 78% des femmes sont intervenues 2 fois dans ces forums, ce qui représente à peu près un tiers des messages ; d’autres femmes ont plus de questions à poser et se sont montrées plus bavardes (la plus bavarde est intervenue 10 fois). La taille des messages varie entre 1 et 10 lignes. La rédaction des messages se fait en français courant : les messages comportent de nombreuses fautes d’orthographe et de grammaire. J’ai pu analyser que 80% des messages comportaient des « smileys », leur présence est sans doute révélatrice d’un effet de génération. Leur présence me donnait une indication sur l’âge de ces internautes, comme avait pu constater ma collègue, Mme SIMMAT DURAND (sociologue) qui, elle, a travaillé sur les forums Subutex. A travers ces pseudos et l’analyse de ces forums, j’ai eu quelques informations sur les caractéristiques de ces femmes qui échangeaient sur les forums : ‐ 8% de ma population (sur 35 femmes) se disaient exercer une profession médicale ; ‐ 85% de ces femmes n’avaient pas d’enfants (c’était donc leur première grossesse) ; ‐ 90% d’entre elles avaient connu des périodes d’alcoolisation ; ‐ 83% des femmes s’étaient alcoolisées en début de grossesse, certaines à faibles doses, d’autres sous forme de « biture express ». Le traitement des données a été réalisé par le logiciel d’analyse de texte « NVivo 8 ». L’analyse des données a permis de dégager 3 grands thèmes : ‐ un certain nombre de connaissances de ces femmes étaient erronées autour de la grossesse et autour de la consommation d’alcool ; ‐ les sources d’information des femmes étaient très différentes. Parfois, les sources qu’elles mobilisaient pour être informées n’étaient pas celles qu’on pouvait supposer être utilisées ; ‐ de nouvelles préoccupations de ces femmes autour de la grossesse et de la découverte tardive de la grossesse sont apparues par rapport à l’enquête précédente. Les verbatim, les discussions des femmes ont été retranscrites avec tous les défauts d’écritures (cela permet d’avoir une idée du niveau d’expression des femmes). Concernant les connaissances liées à la consommation d‘alcool pendant la grossesse : Des connaissances erronées perdurent par rapport à mon étude précédente : ‐ Le type d’alcool (abordé par 14% des verbatim) On constate quand même une amélioration des connaissances pour les internautes issues des milieux les plus favorisés. Je cite par exemple Anne-Marie, professeur d’espagnol, région parisienne, 2 enfants, 37 ans : « La nature de l’alcool ingéré n’entre pas en ligne de compte, c’est seulement la quantité, dans un bar, une marga’ ou un verre de vin ou une bière, contiennent strictement la même quantité d’alcool ». Cette verbatim et puis d’autres également, montrent que parmi les femmes qui avaient un niveau d’éducation parmi les plus élevés, les informations sur les équivalences en matière d’alcool sont mieux connues. Toutefois, pour la majorité des femmes et notamment les plus jeunes, elles supposent que la nature de l’alcool ingéré entre en ligne de compte et que tous les alcools n’ont pas le même effet sur l’enfant à naître. Les propos

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de Mathilde, 28 ans, assistante de formation le montrent : « L’alcool fort c’est non, mais du champagne, à ce stade en plus, no stress ». Il en résulte qu’il reste encore des progrès à réaliser en matière d’équivalence, en fonction du type d’alcool consommé. Le niveau de consommation acceptable pendant la grossesse : Là aussi, il existe beaucoup de discussions sur ce sujet. Excepté les femmes qui ne consomment jamais d’alcool ou celles qui exercent des professions médicales (soit seulement 12% de mon corpus). Pour la majorité des femmes, la recommandation de l’abstinence n’est toujours pas comprise comme devant être absolue. 33% des verbatim montrent que le message de prévention « zéro alcool pendant la grossesse » serait destiné aux alcooliques. En conséquence, ces femmes s’affranchissent de la contrainte excessive que représente le fait de ne pas consommer pendant la grossesse et s’accordent quelques écarts de temps en temps. A ce titre, je cite Karine, agent d’accueil, 26ans « Quelques gorgées, un font de verre quoi, pas de quoi être saoul » ou bien Caroline : « Une bière légère à l’apéro ou un verre de vin ». Ces écarts ont lieu le plus souvent à l’occasion d’occasions festives, en particulier au moment des fêtes de fin d’année (à cette période de l’année, il y a beaucoup d’échanges sur ce thème) ou « pour un mariage ou la nouvelle année », comme le dit si bien, Isabelle de Toulouse, 39 ans. L’alcool est également consommé pour se détendre ou se faire plaisir « un apéro après le boulot de temps en temps avec mon zhom » Cécile, cadre de banque.

En fait, ces résultats sur les écarts de consommation confirment ceux de ma précédente enquête : ces écarts sont le plus souvent le fait de femmes qui ont un niveau d’études secondaires voire supérieures. Il s’agit soit de femmes qui ont déjà des enfants et ou bien de femmes qui ont eu une mère qui avait consommé de l’alcool pendant sa grossesse. Je cite les propos de Catherine, directrice en ressources humaines, 2 enfants, 34 ans : « la conso d’un verre léger à une occasion ne m’aurait pas inquiété plus que ça, c’est la consommation occasionnelle très excessive qui inquiète ». Cette verbatim fait clairement référence aux bitures express. Les sources d’informations : ‐

Pour ces femmes, les sources d’information sont essentiellement numériques. Dans l’étude précédente, les femmes évoquaient fréquemment comme référence des ouvrages « papier », en particulier celui de Laurence Pernoud sur la grossesse. Dans cette étude, les sources d’information sont essentiellement numériques. Comme le dit Sabrina, 32 ans, agent immobilier « Beaucoup de reportage sont disponibles sur le net provenant des plus grands docteurs… ça me fait trop flipper » ou encore Laurie, employée de librairie : « Je suis aller à alcoolisme fœtal sur le net ». Internet est vraiment devenu une source d’information fondamentale pour ces femmes : dans les verbatim, il n’existe aucune référence à la lecture d’ouvrages scientifiques ou à des émissions télévisuelles (comme par exemple l’émission « les maternelles » souvent citée) comme cela avait été le cas pour l’étude précédente. Sans doute, il existe une moindre attention sur ce thème : si pendant cette période, il n’y a pas eu d’émission sur le sujet, celle-ci ne peut évidemment pas être citée. Les échanges entre le professionnel et la patiente : Dans ce cas, les messages des professionnels semblent contradictoires. Ces résultats viennent confirmer ceux déjà présentés lors de la précédente enquête. Dans ma dernière enquête, 42% des verbatim faisaient état de ces échanges ou de ces non-échanges entre les femmes enceintes et les professionnels. Les recommandations des professionnels sont peu présentes dans le discours des internautes. Il existe trois configurations possibles : o Soit il n’y a pas eu du tout de discussions entre le professionnel et la femme enceinte sur ce thème comme le précise Ophélie, kinésithérapeute, 35 ans : « le gynéco m’a demandé si je fumais, mais pour l’alcool, jamais rien » ; o Soit le sujet est évoqué mais le professionnel accepte une consommation occasionnelle (acceptation particulièrement évoquée quand il s’agit d’un gynécologue). Ces échanges sont nombreux sur les forums : Agnès, 31 ans, agent de banque : « Mon gynéco m’a dit l’alcool interdit aux femmes enceintes c’est super récent, il ne m’a pas interdit l’alcool mais conseillée de vivre normalement sans abus » ; ou encore Marine, commerciale, 25 ans : « Toutes les sages-femmes que j’ai vu et ma gynéco me confirmaient encore il y a exactement 10 jours qu’un verre ne

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faisait pas de mal. Ce qu’il ne faut pas c’est en prendre davantage. Ma gynéco m’expliquait encore le 18/12 qu’on est obligé d’interdire complètement car il y a toujours des personnes qui ne savent pas être raisonnables et que si on leur dit « vous pouvez prendre une verre » en prendront 2 », ou bien encore Emilie, professeur des écoles, 28 ans, région parisienne : « ma gynéco, elle m’a dit texto les premiers mois, la consommation d’alcool ça passe ou ça casse ». Certaines idées sont récurrentes comme celle-ci « ça passe ou ça casse » o Le sujet est abordé avec le professionnel et celui-ci a une position claire et tranchée en faveur d’une interdiction de la consommation. Charline, employée administrative « zéro alcool c’est aussi et surtout une façon pour ton gygy de se protéger. Il t’a prévenue, et si tu bois trop tout le long de ta grossesse et que ton bébé a un problème, tu ne peux pas te retourner contre lui, puisqu’il t’a prévenue. Les médecins se protègent beaucoup aussi avec tous ces interdits ». Dans ce cas précis, les femmes voient plutôt les avertissements des professionnels pour les protéger eux-mêmes et non pour protéger le futur bébé. L’expérience de la mère : La mère est vraiment une source essentielle de référence pour ces internautes (constat qui perdure par rapport à l’étude que j’avais menée en 2007), en particulier pour les femmes issues des milieux sociaux les moins favorisés. Ces femmes semblent assez influencées par les recommandations de leur mère et elles utilisent leur mère pour justifier les comportements qu’elles peuvent avoir par rapport à leur consommation d’alcool. La consommation de la mère et l’absence d’effet délétère constaté sont prises en modèle. Laura, 24 ans, hôtesse de caisse : « et avant ces grossesses, ta mère, ta grand-mère etc… n’avaient pas de consignes anti alcool et on est loin d’être une population de mal formés en France… nous sommes pour la majorité en forme » Ces femmes s’appuient sur l’expérience de leur mère qui a consommé de l’alcool : puisqu’ellesmêmes sont tout à fait bien mentalement, il n’y a pas de raison de ne pas continuer, de ne pas reproduire ce mode de consommation. Ces femmes sous estiment clairement les dangers de la consommation d’alcool pendant la grossesse. le réseau social (les amis, les collègues de travail…) Cette source d’information est très peu évoquée. Quand cette source est évoquée, c’est pour souligner la pression qu’il exerce à l’encontre de la femme enceinte dans le sens de l’incitation à consommer. Je reprends les propos de Aude, 32 ans, directrice d’un centre de langue : « zéro alcool pour moi mais j’hallucine sur toutes les personnes qui me poussent à boire « juste un petit verre » ou une « coupette de champagne », je réponds à chaque fois « non merci je ne bois pas, je suis enceinte », et bien, il y en a toujours un pour me dire « avant on faisait pas autant de chichis ». Peu de femmes parlent de la pression du réseau social mais on voit encore à travers cet exemple qu’il y a quand même une pression pour inciter à boire mais que nous pouvons sans doute relier au contexte culturel français de la consommation d’alcool.

De nouvelles préoccupations de ces femmes autour de la grossesse en particulier lors de la découverte tardive de la grossesse : La majorité des verbatim analysées (54% de ces internautes) font état d’une découverte tardive de la grossesse le plus souvent au cours du 2ème mois. Dans ce cas, ces femmes sont préoccupées par les risques qu’elles ont pu prendre en début de grossesse alors qu’elles ne se savaient pas enceintes. A travers les campagnes d’information, elles ont eu des informations sur la nécessité de ne pas consommer d’alcool pendant la grossesse et se posent, de ce fait, un certain nombre de questions. Cette préoccupation émerge dans cette nouvelle enquête et n’avait pas été repérée dans la précédente. Pour la majorité des internautes, au cours des premières semaines de gestation, il existe une absence totale de liens entre la mère et son fœtus. Il n’existe donc pas de raison de s’inquiéter comme le souligne Delphine, 28 ans, professeur d’éducateur physique : « Les premières semaines, le bébé n’est pas relié à la maman avec le cordon ombilical, donc il n’y a pas d’échanges, ne stresse pas ». Des propos comme ceux-ci sont très nombreux sur les forums : il s’agit vraiment d’un thème qui émerge avec comme question : « qu’est-ce que qui se passe lors des premières semaines de grossesse ? ». Joëlle,

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esthéticienne, 26 ans évoque « Boire au début de la grossesse n’est pas si grave car il n’y a pas encore de cordon donc ça n’atteint pas le bébé ». Pour ces femmes, il n’y a pas de lien entre le bébé et la mère en tout début de grossesse. Il n’existe pas non plus de consensus entre ces internautes sur la date ou le nombre de semaines de grossesse à partir duquel le bébé serait relié à sa mère. L’étude des forums révèle des choses incroyables, comme par exemple, Laura, 24 ans, hôtesse de caisse qui dit « tu n’es qu’à 8 semaines, le placenta n’est pas encore totalement en place » ou encore Pamela, fonctionnaire, 25 ans : « Ma gygy m’a dit pas de soucis avant la 12ème semaine, car l’alcool pose problème lors de la création du système nerveux qui ne se fait qu’à partir de la 12ème semaine ». Alors, je ne sais pas si elle a mal compris, mal entendu mais on peut être d’autant plus surpris car c’est justement le système nerveux central qui est touché dès les premières semaines de grossesse. Ou autre citation, « Dans les 3-4 premières semaines il n’y a pas d’échanges entre la maman et son bébé ». Ces propos sont très récurrents dans les forums de discussion. Cette méconnaissance de l’embryologie amène de nombreuses femmes à consommer de l’alcool, et cela malgré leur projet de grossesse, comme le dit Sandra, 27 ans « même si tu bois au tout début de la grossesse, bébé ne trinque pas » puisqu’il n’y a pas de cordon, c’est logique. Une seule femme a quand même précisé, Maureen, infirmière, 32 ans « Le mieux étant d’arrêter de consommer de l’alcool à partir du moment où l’on essaie d’avoir un enfant. Car justement, les premières semaines, on ne sait pas qu’on est enceinte, j’ai une amie qui a un petit garçon avec une malformation du cœur, et ça pourrait venir de là ». Cette femme qui exerce une profession médicale essaie un peu de modérer tous ces échanges sur le lien qu’il pourrait y avoir entre la mère et son bébé. Pour ces internautes, l’échographie est le moyen d’apaiser toutes les inquiétudes, et notamment celle du premier trimestre. En général, ces femmes indiquent qu’elles ont bu alors qu’elles ne se savaient pas enceintes. Elles s’inquiètent donc, échangent et puis se réconfortent en se disant que de toute manière il n’y a pas de lien entre la mère et le futur bébé. Leurs craintes sont ensuite apaisées par l’échographie du premier trimestre. Pour elles, l’échographie du premier trimestre serait suffisante pour déceler les séquelles et notamment les malformations, comme le dit Delphine, 28 ans, professeur d’éducation physique « c’est tellement rassurant de voir le cœur qui bat, tout va pour le mieux pour le bébé, il a même baillé pendant l’écho » ou bien encore Cannelle, 20 ans « la mienne m’a rassurée, le cœur battait très bien, et il bougeait même déjà ». Nous pouvons en déduire que ces femmes n’ont vraisemblablement pas connaissance des conséquences neurologiques que peut avoir la consommation d’alcool pendant la grossesse. En définitive, que peut-on dire des résultats de cette enquête : ‐ Concernant la méthodologie de l’enquête : L’étude de forums internet présente l’avantage de préserver l’anonymat des femmes qui y discutent et la confidentialité des données recueillies : elles utilisent des pseudos, parfois un peu farfelus (que j’ai remplacés par des prénoms que je qualifie de plus classiques). En tant que sociologue, les forums me permettent d’éviter toute position conventionnelle de la femme face à un enquêteur, en disant « Ah oui, oui, c’est très bien, il ne faut pas consommer d’alcool, c’est ce que je fais ». Par contre, l’étude ces forums présente l’inconvénient que les femmes peuvent mentir sur leur profil : certaines femmes peuvent me dire qu’elles sont professeures d’éducation physique alors qu’en réalité, elles sont secrétaires. Il existe donc des possibilités d’erreur sur les profils. D’autre part, mon étude n’est pas représentative de toutes les femmes françaises : les échanges de 35 femmes ne peuvent constituer un panel représentatif : les femmes qui n’ont pas accès à Internet sont exclues de l’enquête ainsi que toutes les femmes qui sont inhibées par leur difficulté d’expression (bien que les forums focalisent moins les difficultés d’écriture). Cette étude sous représente également les femmes issues des milieux sociaux les moins favorisés : dans ces milieux, l’accès à internet est sans doute moins aisé. ‐ Comparaison des résultats par rapport à l’étude précédente : Il apparaît difficile d’imputer les nouvelles tendances à la période de cette étude : le périmètre des forums était différent, ce ne sont pas les mêmes forums qui ont été analysés puisque comme je l’ai expliqué, il a fallu que j’en étudie un de plus parce que le thème était moins souvent abordé. Toutefois, j’ai pu constater une véritable évolution dans le profil des internautes : les femmes qui discutent sont beaucoup plus jeunes et sont issues des milieux sociaux plus éduqués que celles de mon étude

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précédente. Ce changement de profil des femmes qui discutent sur internet pourrait vraisemblablement être lié au développement des « bitures express » ou « binge drinking », lors de soirées festives qui concernent plus particulièrement les jeunes femmes des milieux les plus diplômés en période préconceptuelle. L’analyse de ces forums montre très clairement que les connaissances évoluent : les contenus des discussions sont beaucoup plus pointus. Ce sont des femmes un peu plus éduquées qui échangent sur les forums : les discussions autour du lien entre la mère et son enfant, très présentes aujourd’hui, n’existaient pas en 2007. On peut dire quand même, que la connaissance du message « zéro alcool pendant la grossesse » est bien plus grande. C’est parce qu’elles connaissent qu’elles s’inquiètent lorsqu’elles ont consommé de l’alcool avant de découvrir parfois tardivement qu’elles étaient enceintes. Toutefois, pour certaines internautes, il n’y a pas du tout d’effets délétères de la consommation d’alcool sur l’embryon ou sur le bébé parce qu’il n’y a pas de cordon entre la mère et l’enfant au cours des premières semaines (ce qui va quand même à l’encontre de nombreux constats, notamment les études menées par l’INSERM). Du coup, ces mêmes internautes déculpabilisent leur consommation, en se disant de toute manière « même si j’ai consommé de l’alcool en début de grossesse et que je savais pas que j’étais enceinte, en gros, ça passe ou ça casse ». Comme le disent très bien les internautes, « si j’ai consommé trop d’alcool, l’embryon sera évacué naturellement, et provoquera un avortement spontané, une fausse couche ». En effet, certaines études américaines ou dans les pays nordiques montrent qu’effectivement une consommation excessive d’alcool peut expliquer certaines fausses couches mais ce constat est aussi démenti par d’autres études. D’un point de vue scientifique, existe encore une certaine ambivalence. Nous pouvons également souligner que les campagnes de prévention ont quand même eu des effets positifs : les représentations dominantes opposant le bien boire et le mal boire se sont ébranlées, les notions d’équivalence entre les différents types d’alcool sont mieux connues même si perdure toujours l’idée que seuls les alcools forts auraient vraiment un effet nocif pour le fœtus : le whisky aurait ainsi un effet bien plus délétère que le champagne. A partir des résultats de cette enquête, quelques pistes me semblent intéressantes à creuser en termes de prévention primaire : ‐ Mettre en place ou accentuer la sensibilisation des élèves de collèges et lycées afin que cette nouvelle génération de mères en devenir transmettent leurs connaissances à travers ces forums. Les femmes issues de l’enquête étaient relativement jeunes (certaines d’entre elles avaient 20 ans), et pourtant elles n’ont pas du tout fait allusion à la prévention en milieu scolaire prévue dans le cadre des campagnes de sensibilisation mises en place depuis 2006. ‐ Axer les messages de prévention sur les conséquences positives sur le bébé quand sa mère ne consomme pas d’alcool plutôt que de montrer les conséquences négatives. ‐ Enfin, les campagnes de prévention devraient concerner davantage les professionnels de santé, au sens large. Je cite le professeur NASILLA en 2010, qui disait « les gynécologues n’abordent pas assez le sujet avec leurs patientes, il faut mieux les former à repérer la consommation d’alcool chez les futures mères ». Cette nécessité de formation continue avait été aussi mise en évidence par des travaux notamment d’une thésarde de notre laboratoire, Agnès DUMAS. Elle avait bien montré toute la difficulté des professionnels à aborder ce sujet et à repérer la consommation chez les futures mères. Depuis 2007, des efforts ont été menés pour la formation des professionnels mais ils doivent encore être renforcés soit comme le disait Monsieur LEJEUNE, dans un cadre d’un diplôme interuniversitaire ou bien dans un cadre associatif. Par exemple, dans le cadre du GEGA, il y a la possibilité d’assister à des sessions de formations et puis également avec l’association SAF France qui va mettre en place des sessions de formations pour les professionnels. ‐ Enfin, on pourrait suggérer, mais c’est vraiment une idée de ma part, d’informer par écrit, contre apposition de la signature, les mères des risques engendrés par la consommation d’alcool pendant la grossesse. Les professionnels seraient ainsi obligés d’aborder ce thème avec leur patiente. Cette signature viendrait également protéger les professionnels de santé en cas de plainte des mères pour défaut d’informations concernant les risques encourus de consommation d‘alcool pendant la grossesse (ce qui est vraiment très fréquent aux Etats-Unis où certaines mères peuvent attaquer leur médecin).

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Compte-rendu des ateliers

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Atelier 1 Grossesses adolescentes et conduites de consommation à risques Catherine Deloz, Infirmière, Education Nationale Dorothée Duez, Chargée de mission, Eclat-Graa Sylvie Gadeyne, Chargée de mission – ANPAA 59 Françoise Jungers, Sexologue, CIRM-CRIPS Carine Verfaillie, Chargée de projet, ARS Nord-Pas-de-Calais Véronique Sehier, Conseillère conjugale et familiale, Planning familial Lille Dr Elisabeth Zeller, Médecin territorial PMI, Valenciennes

Dr Elisabeth Zeller, Médecin Territorial PMI – Valenciennes Comment aborder l’adolescente enceinte dans notre structure ? Mon attention est d’accueillir chaque adolescente en prenant en compte son contexte de vie, sa maturité, sa réalité d’adolescente… tout ceci dans un esprit de santé globale. Dans ma pratique professionnelle au centre de Planification et de PMI, j’aborde la consommation d’alcool et des autres produits bien en amont de la grossesse avec précision, notamment lors des entretiens par rapport à la contraception et d’entrée de jeu j’annonce que j’y reviendrai souvent. La grossesse est un moment où l’on fait un focus plus important sur cette thématique. Je m’intéresse autant au tabac, cannabis, alcool qu’aux éventuels autres produits plus exceptionnellement consommés. A chaque consultation, selon le mode de consommation au fil de la conversation, le désir de sevrage est réinterrogé, ou le point fait sur celui-ci de même que les informations sont données sur les risques. Des plaquettes sont mises à disposition dans la salle d’attente et sont complétées par un travail permanent de sensibilisation des collègues de l’équipe planification, PMI, Maternité sur les idées reçues et les représentations qui freinent une approche adaptée. En cas de difficultés d’une jeune, une orientation est proposée auprès des partenaires locaux en liaison addictologie ou au GREID et sa consultation jeunes consommateurs. Les dossiers peuvent également être revus par le staff PMI maternité qui se réunit régulièrement pour étudier les dossiers des grossesses. L’expérience montre que les jeunes femmes réduisent le plus souvent leur consommation pendant la grossesse et déclarent avoir arrêté l’alcool et le cannabis depuis la connaissance de leur état de grossesse. Globalement, elles se montrent capables d’effort par rapport à leurs conjoints le temps de la grossesse. L’essentiel étant d’aborder le sujet des produits avec décontraction, une certaine forme d’insistance, comme un élément banal de contexte de vie à explorer. Une orientation ciblée est préconisée pour des jeunes filles mineures dont un état de polydépendance peut être recherchée mais cette situation reste exceptionnelle. Carinne Verfaillie, Chargée de projet, service politique de prévention, ARS Nord/Pas-de-Calais (en remplacement de Madame Laurence Pétri, excusée) En 2011, l’ARS Nord/Pas-de-Calais a mis en place une campagne de communication spécifique pour la prévention des risques et des conséquences de la consommation d’alcool et de tabac chez des adolescentes à risque de grossesse précoce. Le service communication de l’ARS a mis en place un groupe de travail pour la création d’outils de communication avec notamment la participation des associations ANPAA 59, ECLAT-GRAA, du CIRM/CRIPS, du CDES 62, du réseau périnatalité du Hainaut et de la PMI de Valenciennes.

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Quatre outils ont été créés : - Une affiche ; - Des cartes postales (rappelant le dessin de l’affiche) avec un message de prévention au verso et les coordonnées de Fil Santé Jeunes. Ces cartes postales, de 5 couleurs différentes, peuvent ensuite être gardées comme marque page dans l’agenda des jeunes ; - Des lingettes nettoyantes magnétiques pour téléphone portable (ce support original permet d’allier à la fois le côté ludique et le côté utile) ; - Des dépliants « info/intox » réalisés par l’ANPAA 59 et Eclat-GRAA. A travers ces outils, l’accent a été mis sur le vécu des jeunes et leurs pratiques de consommation, en particulier l’aspect festif des consommations de tabac et d’alcool (ex : phénomène de binge drinking et la surconsommation de tabac ou chicha lors des soirées entre pairs). Le visuel est spécifiquement destiné aux adolescents, c’est-à-dire couleurs vives, messages avec un langage adapté, visuel qui leur parle…Une phase test des outils a été réalisée auprès de deux groupes d’adolescents de 15 à 18 ans. Ces outils ont été présentés lors de la conférence de presse de la journée mondiale sans tabac 2011 qui a lieu le 31 mai de chaque année. La campagne de communication a été diffusée dans toute la région Nord/Pas-de-Calais lors d’événementiels (Assises de l’addictologie, sessions de formations, journée SAF…), auprès des services médicosociaux des collèges et lycées d’enseignement général, technologique, professionnel, des coordinateurs PLP, des réseaux périnatalité, des services prévention de l’Assurance Maladie, des missions locales, des services des Conseils Généraux 59 et 62, des consultations jeunes consommateurs, des clubs de prévention, des centres sociaux, des centres maternels, des plannings familiaux, des centres de planification… Cette campagne de communication s’accompagne de la mise en place de sessions de formation décentralisées dans la région pour sensibiliser les professionnels qui travaillent auprès d’adolescents à ces situations complexes de grossesses précoces, en particulier lorsqu’elles sont corrélées à des pratiques de consommation d’alcool et/ou tabac. A ce jour, 8 sessions ont été réalisées dans toute la région par l’association ECLAT-GRAA et l’ANPAA 59 : environ 130 professionnels formés et sensibilisés. Françoise Jungers, Directrice, CIRM-CRIPS Le CIRM-CRIPS a pour missions la formation de professionnels (médico-socio-éducatif) dans le domaine de l’intime. Il dispose également d’un centre de ressources regroupant informations, outils pédagogiques (malles, DVD, affiches…) pouvant être empruntés. Nous intervenons dans les formations « grossesses adolescentes et conduites de consommation à risques ». Un brainstorming est réalisé « Que diriez-vous si vous êtes confronté à une grossesse adolescente ? ». Ce qui en ressort au niveau professionnel est qu’ils sont démunis lorsqu’une adolescente leur annonce une grossesse ou une supposition de grossesse. Les termes qui ressortent sont « trop tôt – bousille sa vie – mal commencé dans sa vie »… Lors de cette formation, l’objectif est de permettre aux professionnels de réfléchir sur cette grossesse à l’adolescence et ce qu’elle peut représenter pour l’adolescente (statut social, difficultés familiales…). Au niveau médical, à l’origine le terme de « grossesse précoce » veut dire les 3 premiers mois d’une grossesse. Or aujourd’hui, ce terme est beaucoup utilisé pour les grossesses de jeunes filles. Les professionnels sont d’autant plus difficulté par rapport à ces grossesses précoces qu’ils projettent, parfois à leur insu, cette situation à leur vécu personnel (« cette jeune fille pourrait être ma fille »). La société change, avant il n’était pas rare qu’une fille de 16 ou 17 ans soit enceinte. Aujourd’hui, l’âge moyen d’une première grossesse est 28 ans.

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Catherine Deloz, infirmière scolaire, Education Nationale Exerce dans un lycée professionnel composé à grande majorité de filles. Il existe une différence entre une grossesse suivie en lycée et celle suivie en collège. En tant qu’infirmière, l’attention est portée à maintenir un contact avec la jeune fille enceinte et ne pas porter de jugement sur sa situation. Un gros travail de prévention est réalisé et même s’intensifie : - travail autour de l’estime de soi, respect du corps (sophro, …) ; - prévention alcool et tabac et notamment des jeux pour aborder le SAF sous forme d’un jeu de société et un clip vidéo ; - prévention sur la sexualité ; - un projet est également mis en place avec les enseignants : « projet d’avenir », réussite de l’avenir. A mon arrivée dans l’établissement, on comptait environ une dizaine de grossesses abouties par an. Actuellement, environ 3 grossesses se présentent par an dont 1 à 2 qui aboutit. Le travail réalisé sera différent si l’annonce est faite directement à l’infirmière que si elle est faite par le biais d’un autre professionnel. Un entretien est ensuite réalisé avec l’adolescente afin d’évaluer : est-ce que la relation sexuelle était consentie ? Est-ce qu’il existe une présomption d’inceste ? Est-ce que l’adolescente souhaite poursuivre sa grossesse ou envisage-t-elle une IVG ? Est-ce que cette grossesse est connue du père et des parents de la jeune fille ? Quelles sont leurs réactions ? L’intérêt est de réaliser un accompagnement dans la future parentalité et dans la poursuite de leur parcours scolaire afin de les aider à construire leur avenir. Nous réalisons également un lien avec la sage-femme de la PMI et inversement lorsqu’il y a grossesse. Parfois, il arrive qu’il y ait des exclusions de la famille et donc la question de réaliser une information préoccupante se pose. Beaucoup de parents réagissent mal et l’infirmière scolaire peut être le médiateur entre les parents et l’adolescente. A l’issue de cette intervention, un débat avec la salle a lieu sur la question : « Comment réagir devant l’annonce d’une grossesse en évitant tout jugement ? ». Les échanges ont permis de mettre l‘accent sur les points suivants : - Le plus souvent, les jeunes filles arrivent dans une position très défensive car elles savent très bien que le plus souvent les adultes vont leur reprocher cette grossesse. L’enjeu est d’ouvrir le dialogue sur le désir éventuel de grossesse, sur la parentalité, sur les responsabilités qui leur incombent en tant que parent : quel espace de parole la jeune va avoir pour exprimer son désir de maintenir la grossesse ou son désir de l’interrompre ? - L’intérêt est de rencontrer l’adolescente dans sa puberté, sa sexualité et prendre en compte la possibilité d’avoir un enfant, de se situer comme acteur principal de son histoire. Il y a une différence entre « désir de bébé », « désir d’enfant» et « désir de grossesse ». Il faut être attentif à la manière dont l’adolescente en parle. En tant que professionnel, il ne peut pas y avoir d’injonction sur le désir de grossesse ou d’IVG. Il s’agit de faire attention à ne pas faire culpabiliser l’adolescente dans les paroles que nous utilisons, il faut être vigilant aux mots que nous employons. Il s’agit d’être attentif à ce que l’adolescente prenne le temps de réfléchir à sa décision (maintien de grossesse/IVG) tout en étant vigilant aux délais légaux. Véronique Sehier, Conseillère conjugale et familiale, Planning familial, Lille Le Planning Familial est une association militante qui a pour objectif d’être un lieu de parole concernant la sexualité et les relations amoureuses, afin que chacun, hommes et femmes, jeunes et adultes, les vivent dans le partage, le respect et le plaisir. C’est un mouvement féministe d’éducation populaire. Dans notre région, 5 centres faisant partie du Planning Familial sont actuellement en activité. Les centres du Nord (Maubeuge, Cambrai, Douai, Lille) sont des centres d’information et de planification. Il est donc possible de s’y faire prescrire directement une contraception par un médecin (sur rendez-vous). Le centre du Pas-de-Calais (Lens) en revanche est un centre d’information jumelé avec un centre de planification

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hospitalier. Les centres sont inégalement répartis, ce qui pose des soucis dans l’accès à la contraception (en particulier en milieu rural). La contraception y est gratuite et anonyme pour les mineurs et sans autorisation parentale. Il ressort de notre expérience que tout ce qui touche à la sexualité des jeunes est tabou. Pour nous, il est important de travailler sur le rapport entre femmes et hommes. Comment peut-on dire « non » lorsqu’on ne se sent pas sur un rapport égalitaire ? Il faut travailler avec eux sur « comment je me positionne et comment je suis capable de me positionner ? ». L’éducation à la sexualité concerne aussi bien l’homme que la femme. C’est pourquoi, il est important que les jeunes puissent échanger à ces moments là. Au planning, nous n’avons pas de mission de suivi de grossesses. Si le test de grossesse est positif, nous échangeons avec l’adolescente sur le choix de le garder ou non en lui offrant un espace de parole hors de la présence des parents, de la famille. Si elle souhaite le garder, nous l’orientons. Des partenariats sont tissés avec d’autres professionnels. Sylvie Gadeyne, chargée de mission, ANPAA 59 La formation proposée vise à développer les compétences des professionnels intervenant auprès des adolescentes à risques de grossesse dans la prise en compte des questions liées aux consommations d’alcool, de tabac et de cannabis. Ces formations ont été ouvertes auprès d’un ensemble large de professionnels en milieu scolaire, en centres de planification, PMI, aide sociale à l’enfance, en maternité. Ces formations ont été proposées sur quatre territoires (Hainaut, Douai, bassin minier, littoral). Les sessions proposées ont rencontré beaucoup de succès : de nombreuses demandes de professionnels n’ont pu aboutir (de nombreux professionnels sont sur liste d’attente). Dans le cadre de financements complémentaires de l’ARS, il est prévu la réalisation de quatre nouvelles sessions pour le 1er trimestre 2012. A leur arrivée en formation, le plus souvent, les participants expriment un questionnement lié soit : - Aux conduites de consommation à risques chez les jeunes (binge drinking, banalisation des alcoolisations et de la consommation de cannabis…) - Aux grossesses adolescentes (« Comment expliquer ces grossesses chez des jeunes filles ? Comment accompagner ces jeunes filles qui mettent en péril leur devenir et comment les aider à assumer leur rôle de mère ? ») La plupart des professionnels qui suivent les adolescentes enceintes n’évoquent pas la question de la consommation des produits, sauf peut-être un peu plus celle du tabac. Quand celle-ci est évoquée, ils évoquent la difficulté de faire comprendre aux adolescentes les recommandations d’arrêt des consommations d’alcool et de tabac tant elles minimisent les risques ou ne se sentent pas concernées. Pendant la formation, il a souvent été difficile de faire du lien entre grossesses adolescentes et conduites de consommation. On peut évoquer plusieurs hypothèses : - Les professionnels se trouvent confrontés à ouvrir le dialogue sur deux questions, qui déjà prises individuellement les mettent souvent mal à l’aise : la grossesse adolescente (qui a un impact émotionnel fort sur l’adolescente mais aussi souvent chez le professionnel) et les conduites de consommation. - L’importance des problèmes matériels et organisationnels soulevés à cette occasion empêche les professionnels de se poser la question des consommations. Le professionnel se donne comme priorité de favoriser une relation de confiance avec l’adolescente. - Les recommandations de l’arrêt d’alcool pendant la grossesse sont connues des professionnels. Par contre, le sujet de l’alcoolisation fœtale est spontanément relié aux consommations d’alcool régulières et importantes, signes d’un problème d’alcool au long cours. Les risques liés aux consommations aigues ponctuelles le sont par contre beaucoup moins. - Les professionnels se sentent d’autant moins concernés que les informations scientifiques concernant les risques ne sont pas toujours très étayées ou font l’objet de débats entre experts (ex : les risques liés au cannabis sur les fonctions exécutives chez l’enfant) ou encore que les réalités de consommation chez les adolescentes enceintes ne sont pas connues (la

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consommation des femmes enceintes en général est déjà très peu appréhendée, celle des adolescentes l’est d’autant moins) Bien évidemment, l’idée n’est pas de faire de ce sujet la seule priorité de l’accompagnement de la grossesse (ce qui conduirait à une dramatisation excessive des risques) mais plutôt que ce sujet soit évoqué parmi les autres sujets liés au suivi de la grossesse en prenant en compte les spécificités de leurs réalités de consommation : - je suis enceinte, je suis invitée à une soirée, comment je fais si on me propose de l’alcool, du tabac ou du cannabis ? - je suis enceinte et ça se passe pas très bien moralement (avec le père de l’enfant, avec les parents de l’adolescente ou pour d’autres raisons…), comment je gère des moments de stress, d’anxiété ?

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Atelier 2 Accompagner les femmes en difficulté avec la consommation de produits psychoactifs avant, pendant et après leur grossesse Dr Yamina Hammou, Gynécologue, CHRU Jeanne de Flandre, Lille Dr Marie-Hélène Leroy, Chef du service local de PMI, MDS, Site de Liévin, CG 62 Séverine Marien, Infirmière, CSAPA Le Jeu de Paume, Béthune Dr Eva Rupik Krakowiak, Chef de pôle, psychiatre, CSAPA Le Jeu de Paume, Béthune Dr Véronique Vosgien, Psychiatre, addictologue, Centre Hospitalier de Lens, Le Square

Dr Véronique Vosgien, médecin psychiatre addictologue, CH Lens, Unité d’addictologie le Square 1/ Femme et addiction La femme « addict » a une place particulière et elle est jugée très négativement. Il existe trois types de consommatrices : l’automédication, la femme fatale à elle-même et la revendication du droit au plaisir. Les femmes sont plus solitaires, plus rejetées, plus en péril. 2 représentations : ‐ La « maman » : dangereuse pour son enfant ‐ La « putain » : dangereuse pour l’homme Elle est également dangereuse pour elle-même La femme exerce davantage de contrôle sur ses consommations et passe moins souvent de l’usage récréatif à l’usage nocif par rapport à l’homme. Elle est plus souvent initiée par son partenaire que par ses pairs, contrairement aux hommes. Les actions de prévention devraient être orientées vers « la femme » et ne pas concerner que la grossesse. Des pistes de travail sont proposées : ‐ Réflexions et groupes de parole autour du rôle traditionnel dévolu aux femmes (automédication pour être une bonne mère, une bonne « femme ») ‐ Développement des habiletés sociales des femmes en difficulté ‐ Développement des solidarités avec les autres femmes ‐ Travail autour des agressions sexuelles Les femmes consomment plus de psychotropes que les hommes. C’est pourquoi il est nécessaire de bien repérer les différents types de consommation et d’adapter le discours et l’accompagnement. 2/ Grossesse et addiction Maternité = maternalité + addiction La grossesse aggrave l’isolement et la culpabilité. La prise en charge est celle d’une grossesse pathologique. La substitution a permis de voir les femmes plus rapidement. Elles ont une grande méconnaissance de leur corps et de ce qu’il s’y passe. Il est nécessaire de les aider à ressentir, à comprendre ce qui se passe, à prendre soins… La grossesse peut être une parenthèse propice à la réduction, voir à l’arrêt de la prise de produit, mais le mécanisme « addict » est toujours présent. L’enfant « imaginaire » à naitre peut être vécu comme « réparateur « ou « protecteur ».

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Quelle prise en charge ? Il n’y a pas de sevrage aux opiacés pendant une grossesse mais une substitution est possible. Il faut prévoir des consultations rapprochées avec la mère et le père et une concertation avec une équipe pluridisciplinaire (PMI, maternité, pédopsychiatre, médecin généraliste, addictologie, tutelle…). Dans la période du post-partum, il faut fortement soutenir les compétences de la mère. Le syndrome de manque du bébé nécessite une prise en charge particulière et proposer, si possible, une hospitalisation « mère/enfant ». Conclusion : Dans tous les cas, une grossesse chez une femme présentant des conduites addictives entraine une grossesse à risque. En conséquence, le diagnostic de grossesse doit être fait le plus tôt possible et le suivi doit être régulier et intensif. Il s’agit également d’un moment privilégié et l’occasion de soutenir les compétences maternelles. Réactions de la salle : Question (psychomotricienne) : Qui prescrit le traitement de substitution ? Réponse du Docteur Vosgien : La prescription de SUBUTEX est possible directement par le médecin généraliste. La Primo prescription de Méthadone doit être faite en CSAPA ou à l’hôpital puis le relais est pris par le médecin généraliste. Remarques de Madame Lemasson (SAF France) : La consommation d’alcool est difficile à aborder pendant la grossesse. Le mieux est de l’aborder systématiquement à chaque consultation (questionnaire T-ACE). Le dialogue avec les populations précaires est particulièrement difficile. Dr Eva Rupik-Krakowiak, chef de Pôle psychiatrie et Séverine Marien, infirmière CSAPA Jeu de Paume Béthune Depuis 2008, l’équipe d’accompagnement périnatalité/parentalité est composée d’une éducatrice spécialisée et d’une infirmière. Un travail de prospection est en cours vers 2 cliniques. La rencontre des futures mamans s’effectue au centre puis elles sont suivies à domicile. Elles sont orientées par les obstétriciens, les médecins généralistes et les sages-femmes. Les visites à domicile sont mensuelles jusqu’à l’accouchement. Pendant l’hospitalisation, la méthadone est remise aux sages-femmes du service. Après l’accouchement, une visite à domicile est proposée. Les intervenants du Jeu de Paume participent à la synthèse obstétrico-pédiatrique mensuelle. Reste ensuite le problème de la contraception… Le stérilet dans le placard est peu efficace !! Dr HAMMOU Yamina – Gynécologue Obstétricien, CHRU Jeanne de Flandres, Lille La grossesse pose un problème de santé publique en raison des modes de vie : exclusion, marginalité et précarité. La situation est à risques pour le fœtus, pour sa mère, pour le père et pour l'équilibre familial. Le diagnostic de grossesse tardif entraine un suivi tardif et une mauvaise prise en charge. Les risques sont nombreux : pharmacologiques, infectieux, sociaux et psychologiques. La grossesse est un moment privilégié pour parfaire le bilan de santé de la femme qui est sous traitement de substitution. L’orientation vers une maternité spécialisée pour la prise en charge de la grossesse est fortement conseillée, le plus tôt possible. Le sevrage de la méthadone est formellement contre-indiqué pendant la grossesse. Au moment du diagnostic de dépendance à l’héroïne associée à une grossesse, il y a possibilité d’hospitalisation en

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maternité pour instaurer un traitement de substitution ou une prise en charge par le réseau addictologique (CSAPA : Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie). Le suivi devra être rapproché, le travail en équipe pluridisciplinaire et en réseau devra s’imposer avec le médecin traitant, la PMI, la sage femme ou l’obstétricien, le pédiatre, l’addictologue en relation avec les CSAPA, le pharmacien, l’assistante sociale, le psychologue et/ou psychiatre en cas de comorbidité. La dépendance occasionne des risques maternels avec complications médicales : ‐ Infectieuses : liées aux injections intra veineuses (infections virales (VHC, VHB, VIH), endocardite) ‐ Pathologie pulmonaire : tuberculose, abcès, pneumonie, pathologie cutanée (abcès, cellulite…) ‐ Infections sexuellement transmissibles ‐ Dénutrition, overdose Mais aussi des complications psycho-sociales par exemple : couple instable avec conjoint parfois également lui-même toxicomane, absence de ressources, chômage, prison, précarité… Le suivi de la grossesse peut nécessiter un avis en urgence. L’équipe spécialisée de la maternité Jeanne de Flandres peut donner un avis ponctuel ou assurer l’ensemble du suivi. Elle aide à la définition du mode de suivi en fonction de l’addiction mais respecte le maintien de l’obstétricien référent. Elle peut assurer la coordination des différents intervenants et si nécessaire, la formation intra-muros des soignants. Les intérêts de la mise sous substitution sont la proposition d’un suivi social et médical individualisé, l’instauration d’un dialogue et d’une confiance réciproque (analyse toxicologique urinaire, observance), la prévention des risques de transmission virale, les prédictions des complications néonatales, l’intégration immédiate dans un programme méthadone et la prévention des rechutes, l’amélioration du suivi obstétrical et bien être fœtal… L’idéal serait la généralisation de la consultation « préconceptionnelle » (comme chez les porteurs de pathologie chronique) à la demande du médecin généraliste, du psychiatre ou de l’addictologue. Les grossesses sont considérées à haut risque en cas de : ‐ Alcoolisations aigues répétées ou alcoolisations chroniques, ‐ Cocaïne en sniff, fumée ou intraveineuse, ‐ Héroïne, Méthadone ou Subutex (buprénorphine), ‐ Poly-toxicomanie. La prise en charge obstétricale est difficile. Il existe des difficultés de : ‐ suivi, et cela d’autant plus que la première consultation est souvent tardive, ‐ diagnostic dû à l’aménorrhée fréquente. Parfois, la femme ne consulte pas de peur d’un placement d’enfant. Si la patiente est déjà substituée, il est nécessaire de réajuster les doses et de l’informer des effets de l’arrêt brutal des opiacés et du syndrome de manque possible. Les modalités de suivi sont adaptées aux situations : ‐ Examen clinique et interrogatoire : hygiène de vie… ‐ Recherche des sérologies infectieuses (Syphilis, VHB, VHC, VIH ), dosages urinaires, frottis, échographie +++ ‐ Entretien du 4ème mois, cours de préparation à l’accouchement, rencontre avec l’assistante sociale (pour établir un dossier et répondre aux demandes selon les besoins de la patiente), organisation des staffs d’addictologie au sein de l’équipe de maternité avec les différents intervenants extérieurs, organisation des synthèses individuelles… La préparation à la naissance se fait sur 8 séances : la première consiste en un entretien prénatal précoce, seule ou en couple. Les 7 séances suivantes (en groupe ou en couple) permettent de travailler sur les sensations corporelles, les perceptions, la place du père, la place du corps. Le contact avec l’addictologie est systématique au premier rendez-vous pour expliquer la prise en charge proposée aux parents. A partir du 3ème trimestre, le suivi est assuré tous les 15 jours en consultation ou hôpital de jour. La consultation anténatale du pédiatre est proposée avant 35 semaines d’aménorrhée et permet

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d’expliquer les effets des produits sur le fœtus, le nouveau-né, l’enfant. L’allaitement est proposé, la prise en charge néonatale est détaillée. La rencontre avec un psychiatre peut s’avérer nécessaire. A 34 Semaines d’Aménorrhée, l’hospitalisation se prépare avec la future mère : visite de la salle d’accouchement et du service de suites de couches, rencontre de l’équipe soignante qui prendra l’enfant en charge... En suite de naissance, l’accompagnement des parents se fait en les impliquant le plus possible et en faisant le lien avec le vécu antérieur. L’organisation et le cadre de l’hospitalisation sont explicités et les soins et traitements apportés au bébé se font avec le maximum de participation des parents. La sortie est anticipée et organisée. Le retour à la maison nécessite le soutien du réseau médicopsychosocial préalablement mis en place. Parfois, le transfert de l’enfant en pédiatrie ou l’hospitalisation mère/enfant en psychiatrie, est nécessaire. Dans certains cas, un séjour en maison maternelle ou en appartement thérapeutique est préconisé. Plus rarement, une ordonnance de placement est prononcée. Réactions de la salle : La précocité et la qualité de préparation de l’arrivée du bébé permettent de diminuer le stress de l’équipe de PMI. Les femmes ont souvent un mésusage de leur traitement de substitution (injection du Subutex, achat de Méthadone au noir). La période de la grossesse est l’occasion de remettre du sens à l’accompagnement. La consultation tardive ne l’est pas par déni mais par méconnaissance. Souvent les femmes consultent quand le bébé bouge… Les femmes pensent qu’en arrêtant leur consommation, elles vont protéger leur enfant, mais le manque est dangereux. Les médecins généralistes doivent conseiller la substitution plutôt que l’arrêt de l’héroïne. Pour les fumeuses, le patch de nicotine est proposé pendant le séjour en maternité. Dr Leroy Marie Hélène , Médecin PMI, Conseil Général 62 Le Dr Leroy a présenté les missions et l’organisation de la PMI : Son organisation et ses activités : la loi n° 89-899 du 18 décembre 1989, le décret n° 92-785 du 6 août 1992 et la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l’enfance. La mission de service public : limiter les inégalités sociales face aux soins, en accentuant la proximité de ses professionnels avec le public. Domaines de compétences : Promotion de la santé des futurs parents et des enfants de moins de 6 ans, par un ensemble de mesures techniques, administratives, financières. Mise en place des actions de prévention médicales, psychologiques, sociales et d’éducation à la santé en liaison avec les médecins traitants, les services hospitaliers et médico-sociaux ainsi que les différentes structures concernées par la petite enfance. Organisation : 1 département, 9 territoires, 9 Maisons du Département Solidarité (MDS), 24 sites. Une équipe de professionnels du Conseil Général au service de la population dans tous les domaines de la vie quotidienne, pour tous les habitants du territoire, dans toutes les circonstances de la vie. Fonctionnement : Le médecin chef de Service Local de PMI est responsable de la mise en place sur son secteur géographique des actions de la PMI. Les professionnels des Services Locaux de PMI de chaque MDS sont en liaison avec les autres professionnels de la MDS, les professionnels de santé et les structures médicales, sociales et médico-sociales du secteur, les institutions, structures, organismes concernés par la petite enfance. Le service PMI travaille en partenariat avec les services hospitaliers, les professionnels de santé (liaisons médicales, certificats de santé), les mairies, EPCI, services communaux, les CAF.

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Les actions : ‐ Prévention auprès des femmes enceintes ‐ Prévention auprès des jeunes enfants et de leurs familles ‐ Planification ou Education familiale ‐ Education à la santé ‐ Prévention à l’égard des mineurs en danger ‐ Prévention dans les lieux d’accueil du jeune enfant ‐ Prévention en faveur des enfants confiés à l’ASE ‐ Recueil d’informations, études statistiques, édition et diffusion de documents Rappel concernant la loi de protection de l’enfance du 5 mars 2007 Ce qui change : la loi de protection de l’enfance renforce la dimension médico-sociale de la PMI avec des interventions précoces auprès des femmes enceintes, des enfants et de leurs parents dès la naissance, des enfants de 3-4 ans. Prévention auprès des femmes enceintes : définition des critères de repérage des difficultés médicosociales au cours de l’entretien du 4ème mois, création de « staffs » parentalité, mise en place d’outils de liaison et mise en place de circuits pour un accompagnement adéquat. Prévention auprès des jeunes enfants, de leurs familles : définition de critères de repérage des difficultés médico-sociales au cours du séjour en maternité, intervention systématique des puéricultrices en maternité, pour rencontrer les parents : prise de contact, présentation de la PMI, diffusion de plaquettes d’informations, proposition de rendez-vous à domicile, intervention à domicile dans les 15 jours qui suivent la naissance, pour les familles ayant fait l’objet d’un «repérage», bilan de santé à l’école maternelle pour les enfants âgés de 3 à 4 ans.

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Atelier 3 Parentalité et addictions : comment préserver la place des parents ? Dr Marie-Christine Blanquart, Médecin addictologue, thérapeute familiale, CSAPA Cèdre Bleu, Armentières Mélanie Cousin, Psychologue, CAMSP Roubaix Rachel Charbonneau, Coordonatrice CDC, Institut des Dépendances, Montréal Dr Anne Matthews, Pédiatre, CHRU Jeanne de Flandre, Lille

Animation : Marie-Ange TESTELIN, Directrice ECLAT-GRAA, Loos Marie-Ange Testelin, animatrice de l’atelier, nous explique que nous avons de la chance d’avoir autour de cette table des professionnels d’horizon divers qui nous permettront de recueillir différents points de vue sur le thème central de cet atelier « Comment préserver la place des parents ? ». Nous commençons par un cas clinique pour démarrer cet atelier. Dr Marie-Christine Blanquart, Médecin addictologue, Thérapeute familial, CSAPA Cèdre Bleu, Armentières Le Dr Blanquart expose l’histoire de Stéphanie et Frédéric (prénoms donnés pour préserver l’anonymat), un jeune couple sous dépendance aux opiacés qui se rend au CSAPA. La jeune fille a 17 ans (par peur elle ne dira pas toute de suite sa vraie date de naissance). C’est l’aînée d’une famille de 5 enfants, son père, qui est décédé, était un malade alcoolique, sa mère a aussi des problèmes avec l’alcool, ainsi que son nouveau compagnon, violent. La famille est suivie par les services sociaux. Stéphanie a été placée en foyer dont elle a fugué plusieurs fois. Elle rencontre Frédéric qui a la même histoire qu’elle, il a été placé chez ses grands-parents, c’est lui qui a trouvé décédé son grand-père lorsqu’il s’est suicidé. Traumatisant pour ce jeune homme. C’est un grand sensible mais qui exprime ses sentiments par de la violence. C’est un couple attachant, qu’il faut « apprivoiser ». Ils nous témoignent de la confiance même s’ils ne viennent pas forcément de façon régulière au rendez-vous du CSAPA. Ils sont sous traitement « méthadone ». En 2006, Stéphanie tombe enceinte, ils ont beaucoup de questions, notamment médicales sur les conséquences de la prise de méthadone sur la grossesse. Ils n’ont eu ni l’un ni l’autre de modèle parental. Lien avec la maternité et CSAPA d’Armentières. Tous les 14 jours, le jeune couple est en consultation au CSAPA, leur consommation de tabac et de cannabis diminue. Ils acceptent de se faire suivre après la grossesse par la SSEEPAD (Service de Soutien Educatif Enfants Parents à Domicile). Stéphanie accouche d’une petite fille avec un syndrome sevrage méthadone important. Stéphanie est hospitalisée 3 semaines. Stéphanie et son bébé sont au service maternité. L’équipe soignante estime que Stéphanie est une patiente un peu perturbatrice pour le service maternité. L’équipe d’addictologie a dans ce cas un rôle de modérateur entre les soignants et la maman.

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Le bébé est finalement mis au service pédiatrique. Stéphanie et son bébé sortent de l’hôpital en décembre mais malheureusement l’équipe du CSAPA n’est pas mise au courant de cette sortie. L’assistante sociale qui suit Stéphanie est inquiète, elle fait un signalement. Le juge les convoque, le juge adhère à l’accompagnement proposé qui peut de ce fait se poursuivre. Pendant 3 ans, nous voyons une évolution favorable, le lien parental est très fort mais le lien couple est difficile. Il y a de la violence dans le couple. Le couple finit par se séparer. Malgré les turbulences, la parentalité est toujours là. Le papa prend toujours son traitement méthadone, il va à toutes les consultations. Lola est une petite fille comme les autres. Stéphanie ne va pas très bien, ne peut pas s’occuper de sa fille mais elle lui dit qu’elle l’aime et qu’il faut qu’elle se soigne pour pouvoir s’occuper d’elle. Pour parler du cas de Stéphanie et son bébé, un débriefing a eu lieu avec les équipes de la maternité. Il en ressort qu’un accompagnement ne peut se faire seul, qu’il faut s’appuyer sur les autres services, autres compétences, le travail en réseau et avec les autres partenaires sont très importants. Il faut beaucoup d’énergie mais on manque de moyen et de temps. Le soutien à la parentalité doit se faire dès le début de la grossesse. Le travail en relais est très important. Marie-Ange Testelin remercie le Dr Blanquart pour ce cas pratique et passe la parole au Dr Anne Matthews. Dr Anne MATTHEWS, Pédiatre, CHRU Jeanne de Flandre, Lille Responsable du service pédiatrie sociale au CHRU de Lille Nous intervenons auprès des enfants quand il y a un risque, du danger. Quelques exemples : ‐ Enfant emmené aux urgences car les parents admis ont eu un accident à cause de l’alcool, ‐ Enfant emmené aux urgences car les parents sont placés en garde à vue pour ivresse, ‐ Enfant emmené aux urgences car blessé suite à un accident causé par un parent alcoolisé. Comment soutenir la parentalité dans ces cas ? Quelques données : En 2009, 1% des enfants naissent avec un problème de SAF, 8% des enfants vivent avec des parents alcooliques. Il est important de préserver le droit de l’enfant : risques de négligence, la violence, la parentification, l’enfant hyper responsable… L’enfant a souvent une mauvaise image de lui-même, une mauvaise estime de soi, se sent souvent coupable. Exemple de site Internet reprenant des ressentis et sentiments d’enfants : www.mamanboit.ch et www.papaboit.ch, et aussi un reportage « papa, maman, la bouteille et moi ». Il est très important d’être très précoce dans la prévention, même avant conception de l’enfant. Sensibiliser les professionnels des effets de ces consommations. Pour cela il faut bien connaître les partenaires, les réseaux existants pour agir ensemble. Comment entrer en contact avec le service addictologie ? Qui contacter ? Il faut oser aborder le problème de l’alcool, utiliser des outils/tests de dépistage, petit questionnaire rapide. Réalisation de dépistage. Le médecin n’a pas été forcément formé à travailler en réseau, ensemble.

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Il y a un manque de moyens, la file active augmente, les situations sont complexes, c’est plus facile si nous sommes à plusieurs pour réfléchir et trouver une réponse. C’est très important de s’appuyer sur les autres, de travailler en réseau pour faire une prise en charge globale. Echange avec la salle : « L’apprivoisement est un terme utilisé au Québec : pour apprivoiser, il faut donner du bon, apprendre à faire confiance. Apprivoiser, s’entendre, escamoter, se séparer… Marie-Ange remercie Le Dr Matthews pour son intervention et passe la parole à Mme Cousin. Mélanie COUSIN, Psychologue, CAMSP Roubaix CAMSP : Centre d’Action Médico-Social Précoce : Dépistage, diagnostic, prise en charge des enfants de 0 à 6 ans Le CAMSP est composé d’une équipe pluridisciplinaire. 150 enfants en file active. Prise en charge au CAMSP, au domicile, structure d’accueil petite-enfance, école. Au CAMSP de Roubaix : beaucoup de travail sur alcool et grossesse. On a très vite travaillé avec le réseau addictologie. Grand travail du Dr Maurice TITRAN. Le concept de parentalité est un mystère, population multi-culturelle, famille avec vulnérabilité multiple, famille démissionnaire. 2 outils : - Le groupe du mardi : moment de rencontre, faire le point, avec un référent - Association espoir : créée par maman alcoolo-dépendante – vendredi matin / professionnel pris en charge fonctionnement groupe au quotidien Educatrice / Assistante sociale accompagne les parents, prendre en compte l’histoire des parents. Travail en réseau, en partenariat Objectif : aider mère, famille à retrouver confiance, estime de soi, vivre avec et être avec Ex : maman suivi pendant 10 ans, aujourd’hui travail, prête à redevenir mère Il faut être patient, prendre le temps, pas facile d’être parent. Il faut oser croire. Marie-Ange Testelin remercie Mme Cousin pour cette intervention et passe la parole à Rachel Charbonneau. Rachel CHARBONNEAU, Coordinatrice, CDC, IUD Québec Le centre de réadaptation reçoit : ‐ les personnes avec des problèmes de dépendance ‐ les membres de l’entourage. Programme de travail avec les enfants de 6 à 12 ans et les parents ou toute personne ayant un lien de parentalité soit au centre de réadaptation soit dans un autre centre. Travail en collaboration avec les acteurs de 1ère ligne : centre de jeunesse. Programme : rencontre en groupe : travail d’un côté avec enfants (jeu) et point parent. Réduction des risques : groupe non intoxiqué. Le déroulé du programme : Rencontre avec les parents pour informer sur le programme. Outil d’évaluation : contexte familial avec famille on fait un génogramme. Les rencontres :

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‐ ‐

fonctionnement du système, rôle de la famille, outil d’aide, confiance, estime de soi

Regarder les besoins de l’enfant, aborder les aspects de la dépendance par des jeux. Quels moyens ? Mobilise 3 intervenants : 2 avec les enfants et 1 avec les parents. Parent : traitement + prévention. Enfant : travail avec les partenaires. Facilité l’accès au programme : aide au transport, collation, pas obligé d’être suivi pour dépendance. Volonté d’améliorer la relation parent-enfant : sortir l’enfant de l’isolement, rassurer l’enfant, montrer qu’il n’est pas seul car l’enfant se sent souvent coupable. Intervention précoce, programme accessible, redéfinir les besoins des familles, interventions multifactorielles, inclure des stratégies, les soutenir, avoir une méthode interactive, offrir un suivi postprogramme. Marie-Ange Testelin remercie Mme Charbonneau pour cette intervention et interpelle la salle sur le travail en réseau en France. Echange avec la salle : « Pas toujours évident, on se sait pas forcement vers qui orienter les patients, problème de temps et manque de moyens ». Marie-Ange TESTELIN : « En conclusion, le travail en réseau est nécessaire et efficace pour soutenir la parentalité, il faut déployer l’énergie pour comprendre et connaître les missions des structures territoriales, locales, mais surtout les compétences de chacun en complémentarité et non en superposition. Un grand merci à Tous. »

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Atelier 4 Prise en charge des enfants porteurs de séquelles d’une exposition prénatale à l’alcool Pascale Boudet, Assistante sociale, Ecole de la Goëlette, Estaimpuis, Belgique Dr Jean-Marc Buziau, Chef de service pédiatrie, Centre Hospitalier Le Cateau Dr Claudine Desobry, Pédopsychiatre, chef du service psychiatrie du nourrisson, de l’enfant et de l’adolescent, Hénin-Carvin Dr Jean-François Lemaitre, Pédiatre, Centre Hospitalier et CAMSP de Boulogne-sur-Mer

L’atelier a rassemblé 23 personnes, 4 intervenants, 1 animatrice et 1 rapporteur. Dr Jean-François Lemaître, Pédiatre - Centre hospitalier et CAMSP de Boulogne-sur-Mer Comment repérer les enfants porteurs de SAF (syndrome d’alcoolisation fœtale) ou de TCAF (troubles causés par l’alcoolisation fœtale) ? Si l’alcoolisation de la maman est connue pendant la grossesse, l’accueil va pouvoir se faire dès la naissance. Si les parents acceptent de se rendre au CAMSP (Centre d’Action Médico-Sociale Précoce), des soins (kinésithérapie motrice…) et un suivi (soutien au développement de l’enfant, accompagnement familial pour soutenir les compétences familiales…) vont s’instaurer. Pour cela, il est important qu’une relation de confiance soit établie entre les parents et les soignants. Une attention particulière sera dédiée à soutenir la relation mère/enfant. Si l’enfant est en famille d’accueil (cas fréquent) : les séquelles de l’exposition prénatale à l’alcool peuvent être soit déjà connues, soit diagnostiquées à l’occasion d’une consultation. Le diagnostic repose sur un ensemble d’éléments : l’histoire de la maman, la morphologie de l’enfant, un retard global, un retard du langage, un trouble d’attention, des troubles du comportement, des difficultés d’apprentissage, un trouble d’adaptation sociale… Lorsqu’il est repéré, l’enfant va pouvoir bénéficier d’un projet de soins intégrant des soins rééducatifs et un accompagnement psychologique, ce qui va l’aider à s’ajuster dans sa relation à l’autre et à accepter les règles sociales. Lorsque l’enfant est en famille d’accueil, les parents sont souvent exclus des soins. Lorsqu’il s’agit d’un enfant adopté, nous retrouverons le même schéma que pour les enfants en famille d’accueil. Cependant dans ce cas là, la famille adoptive prendra une place beaucoup plus importante dans le projet de soins. Parfois, l’enfant n’est repéré que tardivement, suite à un retard de développement. La difficulté étant que le diagnostic repose souvent sur des critères morphologiques qui ne sont pas explicites (seulement 20% des cas d’alcoolisation pendant la grossesse). Il est donc important de penser à cette problématique lorsque l’on est face à un trouble du développement. Il faut noter que, d’après le Dr Lemaître, les connaissances sur la grossesse et/ou sur la consommation d’alcool sont souvent erronées. Pour lui, la prévention en milieu scolaire devrait davantage s’axer sur les conséquences positives de la non-consommation d’alcool pendant la grossesse. Il est très important de parler de la consommation d’alcool au moment de la grossesse. Pour se faire, le questionnaire utilisé pendant la grossesse est un bon support mais il y a toujours une certaine réserve pour aborder cette question.

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Au CAMPS de Boulogne-sur-Mer, sur 118 enfants accompagnés, 8 sont porteurs d’un SAF. Le quotient intellectuel moyen de ces enfants se situe autour de 70 mais, même lorsque leur quotient intellectuel est plus élevé, ils souffrent de difficultés d’apprentissage. Les soins proposés s’inscrivent dans la durée et sont adaptés à l’évolution de l’enfant. Le SAF est une atteinte irréversible. Cependant elle nécessite un accompagnement qui va permettre de diminuer l’impact négatif des troubles sur la qualité de vie de l’enfant. Dr Jean-Marc Buziau, Chef de service Pédiatrie - CH Le Cateau Cambrésis, CAMSP de Caudry Un certain nombre d’actions de prévention peuvent être mises en place autour de la femme enceinte. La prévention tertiaire vise à dépister le plus tôt possible le nouveau-né atteint et son niveau de handicap afin de proposer une prise en charge adéquate. Par exemple, si un dépistage a été possible au cours de l’entretien prénatal du 4ème mois, un accompagnement spécifique de la maman par une équipe de proximité, incluant notamment le service d’addictologie, va pouvoir être mis en place. On peut penser que cet accompagnement va améliorer, par anticipation, l’avenir de l’enfant. Le fait de dépister le plus tôt possible va permettre de prendre en charge rapidement le syndrome de sevrage néonatal et d’orienter le plus précocement possible l’enfant dans des structures pluridisciplinaires de type CAMSP. Dans la pratique, si la famille n’accepte pas l’accompagnement au niveau du CAMSP, d’autres solutions seront envisagées, comme proposer des ateliers massages pour dynamiser l’accordage mère/enfant. Si l’accordage ne se fait pas bien, le CAMPS va interpeller le CSAPA (centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) et le service de PMI. Le CAMSP de Caudry a un projet d’unité Mère-Enfant. Le principal intérêt de repérer un SAF est surtout de pouvoir travailler en vue d’une éventuelle prochaine grossesse. Le papa a un rôle à jouer dans la prise en charge de son enfant. Il est important de bien l’intégrer au projet de soins. La prévention secondaire passe par le dépistage des femmes à risque pendant la grossesse. Il faut garder en tête qu’une femme enceinte sur vingt aurait une consommation excessive d’alcool (ce risque est majoré en cas de tabagisme associé). Toute diminution et/ou arrêt de la consommation, à n’importe quel moment de la grossesse peut être bénéfique pour l’enfant. La prévention primaire correspond au message « 0 alcool pendant la grossesse ». Il faut que celui-ci soit délivré aux femmes en consultation de gynécologie et en consultation préconceptionnelle. Dr Claudine Desobry, Pédopsychiatre, Chef du service psychiatrie du nourrisson, de l’enfant et de l’adolescent - Hénin-Carvin Les troubles cognitifs de l’enfant porteur de séquelles d’une exposition prénatale à l’alcool peuvent interférer dans les apprentissages : la lecture et l’écriture restant, cependant, plus facile à acquérir que le calcul. Pour certains, c’est seulement à partir du CM1 que l’on va remarquer que les notions d’abstraction et de raisonnement posent problème.

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Ces enfants peuvent avoir une bonne mémoire mais des difficultés à planifier les actions : difficultés à construire quelque chose par eux mêmes, difficultés à maintenir leur attention surtout si il y a du bruit ou d’autres interférences autour d’eux. Les difficultés d’adaptation psycho-sociale qui peuvent être observées en cas d’exposition prénatale à l’alcool seront variables en fonction de l’âge du sujet. Chez les nouveau-nés, on pourra observer : • une hyperexcitabilité, • une irritabilité, • des troubles du cycle veille/sommeil, • des troubles de la succion, • une hypotonie, • des difficultés à s’adapter aux stimuli. Chez l’enfant : • une hyperactivité, • un déficit de l’attention, • une impulsivité, • des difficultés à faire des liens (conséquences de ses actes, séquençage, organisation…), • des difficultés à distinguer les étrangers des personnes connues (ce qui peut entraîner un comportement de familiarité déplacé), • des difficultés à repérer les codes sociaux… A l’âge adulte : • un cursus scolaire écourté, • des besoins de repères concrets (liés aux difficultés d’abstraction), • un manque de jugement, • une impulsivité, une instabilité. On constate qu’il y a quatre fois plus de risque que la personne développe une alcoolo-dépendance lorsque les parents souffraient eux-mêmes d’une dépendance à ce produit. En plus des effets directs de l’alcool, la désorganisation relationnelle familiale peut aussi avoir des conséquences sur le développement de l’enfant. Beaucoup d’enfants sont placés en famille d’accueil ou adoptés, ce qui peut améliorer les performances et les capacités adaptatives de l’enfant ; certaines conséquences de l’alcoolisation durant la grossesse restant malheureusement irréversibles. L’enfant, confronté à l’alcoolisation maternelle, va se retrouver confronté à : • la peur : peur pour lui-même mais aussi pour son parent, • la honte : l’enfant perçoit la culpabilité de son parent, liée à son comportement de consommation, • l’échec : l’enfant alterne entre espoir de changement, élans de vie déçus, impuissance à aider le parent, • l’insécurité : qu’elle soit affective ou matérielle, l’enfant peut être exposé aux variations « d’humeur » du parent, • la dissimulation imposée : on demandera à l’enfant de mentir pour protéger le parent ou il se sentira obligé de le faire (conflit de loyauté). L’aide va se situer dans l’accompagnement de ces enfants dans la découverte de leur différence. Il faudra leur permettre d’expérimenter par eux mêmes et les aider dans les apprentissages, surtout le calcul. Cet accompagnement se doit d’être très individualisé. Pascale Boudet, Assistante sociale - Ecole de la Goélette - Estaimpuis - Belgique L’école de la Goélette est une école spécialisée qui se situe en Belgique. Elle accueille 130 enfants âgés de 2 à 13 ans. Les classes comptent environ 7/8 enfants.

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Cette école prend en charge les enfants porteurs de séquelles d’une exposition prénatale à l’alcool même s’ils reçoivent très peu d’enfants souffrant d’un Syndrome d’Alcoolisation Fœtale au sens littéral (peut être un ou deux par an). La pédagogie proposée est adaptée aux élèves et peut s’ajuster car l’école n’a pas d’obligation de la part de l’Académie. Un organisme externe à l’école procède à une évaluation de l’enfant, ce qui va permettre de mettre en œuvre un plan individuel annualisé pour chaque élève. Afin d’aider les parents à retrouver leur place, l’école propose des activités, telles que atelier massage, atelier « raconte moi une histoire »… Débat : • • •

il est essentiel de développer et d’inscrire les réseaux d’addictologie dans la démarche, garder en tête que cette pathologie ne touche pas uniquement les milieux défavorisés, il ne faut pas oublier la fratrie qui est aussi touchée par la situation.

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Journée financée par :

Remerciements à l’ATRIA – Centre de Conférence à Arras 51


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