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Le maître de l'impossible

Pentecôte

Le maître de l'impossible

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Père François Michon

Berger de la Communauté du Chemin Neuf

Dans ce temps de Pentecôte si particulier que nous vivons cette année, nous entendons résonner cette parole prophétique que le père Laurent Fabre aime reprendre : « L’Esprit Saint est à la mesure des enjeux de notre temps ». St Paul nous dit, en Romains 8, 22 : « Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore ». Notre monde gémit dans les douleurs de l’enfantement. C’est pour cela que nous devons nous mobiliser dans la prière.

L’Esprit-Saint besogne dans le monde

Notre monde semblait de manière inexorable devoir poursuivre sa course : • déploiement du progrès technologique dans tous les domaines • réduction du temps et de l’espace (aller toujours plus loin et toujours plus vite…) • globalisation de nos échanges commerciaux, mondialisation des prises de décisions politiques qui éloignent l’autorité du peuple qui le mène • croissance économique que nous devons sans cesse alimenter par de nouveaux besoins de consommation… Et puis soudain, alors que personne ne pouvait même oser l’imaginer, notre monde s’arrête et interloqué, il s’interroge… Comme si notre société, quelque peu essoufflée, pouvait profiter de l’espace vide et silencieux de ce confinement pour se demander après quoi elle court. Une course sacrifiant si souvent l’essentiel, devenu superficiel aux yeux d’une logique mondaine impitoyable !

Et dans ce silence se laisse entendre le fin murmure de l’Esprit-Saint qui besogne dans le monde et qui travaille nos consciences et la conscience de notre société. L’esprit mondain ne parvient plus dans ce silence à étouffer l’Esprit-Saint qui travaille encore et toujours notre monde depuis sa création, depuis que le créateur lui insuffla son haleine de vie ! Est-ce que nous aurons l’audace de mener ce discernement jusqu’au bout ? D’apprendre à reconnaître comment l’Esprit Saint aiguillonne notre conscience personnelle, notre conscience sociale, abreuvée de l’esprit mondain ? Comment distinguer au cœur du bruit du monde le fin silence du travail de l’Esprit-Saint qui ne cesse de l’interroger et de le remettre en question ?

Inventer une croissance sans surconsommation

La Parole de l’encyclique du Pape François Laudato Si devient de plus en plus audible : certes, notre société doit repartir ; certes, notre monde a besoin de croissance car la misère concerne encore un trop grand nombre, mais nous pouvons nous interroger sur le sens de cette fuite en avant d’un modèle économique qui pour perdurer et s’autoalimenter doit générer une surconsommation dévorant de manière de plus en plus évidente notre planète. Il est ici question de Salut, et les nouvelles générations en ont plus conscience encore. Il s’agit de prendre soin de la planète et des hommes qui y bâtissent une société, de chercher et trouver une sobriété heureuse. Comment accueillir de l’Esprit Saint ce Salut que réclame notre monde aujourd’hui ? Nous prenons conscience que nous avons besoin d’être sauvé et que cette étape de développement engage pour nous aujourd’hui une véritable conversion, où l’idée du progrès ne voudrait pas dire toujours plus mais "davantage", comme aimerait à le dire Saint Ignace. Notre vocation chrétienne est de souffler sur le feu de l’Esprit-Saint qui tente d’éclairer, d’aiguillonner notre monde. L’Esprit ne cesse de besogner le cœur du monde, et nous pouvons avoir cette audace de croire que l’Esprit Saint est aujourd’hui le maître de l’impossible !

Pour une identité ouverte

Pendant ce confinement, de manière souvent un peu émerveillée, nous avons redécouvert une forme de sociabilité « next door ». Nous semblons redécouvrir que

té avec ceux qui sont proches, se glisse le risque d’un repli, d’une édification identitaire, en définissant des frontières aussi hautes que des murs pour se protéger de l’extérieur. Vivre, produire, échanger localement sans se replier derrière des murs de protection, sans se percevoir comme une société assiégée qui aurait besoin de se protéger localement. Le travail de l’Esprit Saint, c’est de construire une identité ouverte : voilà la mission impossible de l’Esprit-Saint, défiant le projet de la tour de Babel !

l’autonomie individuelle ne résume pas à elle seule l’être humain. Quelque chose d’essentiel, une « manière de faire société », nous relie à ceux qui sont proches et que nous n’avons pas forcément choisi de côtoyer… Et cette fraternité nous nous surprenons à la célébrer depuis nos balcons… Le travail prend une dimension sociale, il n’est pas qu’un facteur de production… Et la société prend goût à s’applaudir quand elle prend soin d’elle-même… .

Prendre soin de l’âme

Un dernier point où j’entends le travail de l’Esprit Saint dans notre monde, c’est que nous avons tous conscience qu’une société qui ne prendrait pas soin des plus fragiles, qui ne mettrait pas au cœur de ses préoccupations la protection des plus faibles, en privilégiant au nom des impératifs économiques l’immunisation collective est une société qui se déshumaniserait à coup sûr. Mais en voulant légitimement protéger nos anciens du coronavirus, en prenant soin de les mettre à part, en les « sur-confinant », nous mesurons, eux comme nous et eux plus que nous, que quelque chose ne va pas… . « Il s’agit de chercher et trouver une sobriété heureuse. »

Mais derrière ce goût retrouvé de vivre localement, de réapprendre à faire sociéCes efforts pour préserver biologiquement leur vie met en évidence que l’homme a

besoin de bien davantage pour vivre. Un monde aseptisé peut dessécher l’âme. Nous mesurons davantage combien cette autre dimension qui définit fondamentalement notre existence a besoin d’être nourrie. Les virus biologiques ne sont pas les seuls à pouvoir étouffer la vie humaine. L’homme ne vit pas seulement d’eau et de pain mais de toute relation qui lui permet d’accueillir ce souffle de vie, ce souffle de l’Esprit-Saint.

Rassemblés par l’Esprit pour s’ouvrir davantage

J’aime voir comment le monde se laisse travailler par l’E sprit-Saint pour accueillir l’essentiel de la vie. Pour cela, je crois que notre monde a besoin d’une Eglise qui, plus que jamais, se laisse traverser par ce souf fle de l’Esprit-Saint. Nous avons besoin d’une Eglise qui, elle-même, sorte spirituellement du confinement. Dans les Actes des Apôtres, l’évènement de l’Esprit Saint signifie avant tout l’ouverture de l’Eglise. Le lieu où les disciples sont rassemblés à l’appel du Christ est traversé par l’Esprit-Saint qui les tourne vers l’extérieur, vers les nations, et curieusement, chaque homme les entend parler dans sa propre langue, dans sa propre culture, dans sa réalité de vie singulière. Alors les foules s’interrogent : « qu’est-ce que cela signifie ? ». L’Esprit-Saint ouvre cette première assemblée croyante de telle sorte qu’elle se laisse traverser par ce souffle qui vient de l’extérieur et les conduit à l’extérieur. Nous avons conscience que notre Eglise doit éviter toute forme de repli, de confinement, pour se laisser traverser par les appels de l’Esprit. Le risque pour notre Eglise aujourd’hui, dans un monde duquel elle se sent de plus en plus coupée, à part, est au fond de se replier, de se protéger. Nous ne sommes pas appelés à nous rassembler pour nous replier, mais nous sommes appelés à nous rassembler pour nous ouvrir davantage au travail de l’Esprit qui parle au cœur de chacun. Tenir cette ouverture, accueillir cette diversité du travail de l’Esprit-Saint dans le monde et dans chacune de nos confessions. L’Esprit est celui qui maintient et qui est capable de tenir l’unité de ce corps. L’Esprit-Saint est à la fois un mystère de dispersion et un mystère de communion et lui seul est capable de tenir cela ensemble. Vingt ans après le démarrage de notre réseau de prière pour l’Unité, Net For God, nous avons accueilli de l’Esprit-Saint comme un nouveau départ. Alors que le confinement nous isolait, chacune de nos missions a pu déployer ce réseau de communion fraternelle, de prière communautaire et de formation. Que ce réseau puisse être au service de la communion et de l’unité du corps du Christ en rassemblant des chrétiens issus de confessions, de sensibilités culturelles différentes. Laissons-nous rassembler par le Christ pour être paratonnerre du Saint-Esprit afin d’être envoyés pour déployer la vie de l’Evangile. F.M.