Trois Couleurs #117 - Hiver 2013-2014

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le monde à l’écran

entretiens avec 4 déc. 2013 – 4 fév. 2014

Les frères Larrieu, Guillaume Brac, Joseph Gordon-Levitt…

suzanne

Rencontre avec la réalisatrice Katell Quillévéré

et aussi

12 Years a Slave, Le vent se lève, La Jalousie et Gandalf

Peut-on faire de bons films avec de bons sentiments ?

no 117 – gratuit

L’avis de Ben Stiller, réalisateur de La Vie rêvée de Walter Mitty


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le re portag e du mois

Vidéo-clubs : pourquoi ils s’entêtent Rencontre avec le propriétaire d’un endroit où vous ne mettez plus les pieds. Il n’y en a quasiment plus. Ces commerces indépendants qui proposent des films à la location ont encore plus souffert du virage numérique que leurs cousins disquaires. Les plateformes de téléchargement illégal et légal, le rattrapage des programmes télé en ligne : tout semble se liguer contre eux. Restent de rares pôles de résistance, tenus par des entêtés comme Christophe Petit, cogérant du Vidéo Club de la Butte. Portrait d’un fou à louer.

© romain champalaune

PAR YVES LE CORRE - PHOTOGRAPHIES DE ROMAIN CHAMPALAUNE

Le Vidéo Club de la Butte

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« des gens passent au magasin simplement pour piquer nos boîtiers et y ranger leurs films piratés sur le net. »

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n instant. Christophe s’interrompt. Il tend le cou pour observer, d’un regard soupçonneux, un miroir d’angle dans le fond du magasin. « Je dois surveiller régulièrement, à cause des voleurs », expliquet-il. Des voleurs ? Les DVD ne sont pas dans les boîtes en exposition. Alors quoi ? Des voleurs de jaquettes ? « Oui, justement, de jaquettes vides, soupire Christophe, agacé. Des gens du coin passent au magasin simplement pour piquer nos boîtiers de présentation et y ranger leurs films piratés sur le Net. » En poussant la porte du Vidéo Club de la Butte, niché rue Caulaincourt dans le XVIIIe arrondisse­ ment de Paris, on se doutait bien que le magasin était victime du téléchargement, mais pas ainsi. L’endroit baigne dans une bonne odeur d’encens. Calme. Tranquille. Un peu trop tranquille. Selon les chiffres du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), il y avait encore en 2004 près de cinq mille cinq cents vidéo-clubs en France. Six ans plus tard, ils n’étaient plus que deux mille deux cents. En 2013, il n’en reste qu’une poignée. Celle de Christophe Petit est ferme. Il est le cogérant depuis dix ans du Vidéo Club de la Butte. Une enseigne qui a 35 ans et qui attire toujours les spectateurs d’un cinéma dans le canapé. Certains clients figurent sur les jaquettes : Cédric Klapisch, François Ozon, Fabrice Luchini… D’autres rêvent d’y voir leurs noms imprimés dans un futur proche : ce sont les élèves de La Fémis, qui passent chercher de quoi nourrir leur appétit de cinéphiles parmi les douze mille DVD et les nombreuses K7 vidéo stockées dans l’arrière-salle. « Il y a des films qui n’existent pas encore sur les formats les plus récents. » Le vidéo-club a encore de sérieux atouts : son prix par exemple, moins cher que beaucoup de plateformes légales. « Ici c’est trois euros, annonce Christophe, cela n’a pas bougé depuis l’ouverture du magasin, et ce prix peut même diminuer si l’on est abonné. » L’endroit a inspiré un film à l’un de ses fidèles clients, Michel Gondry, le réalisateur de Soyez Sympa, rembobinez (2008). L’histoire d’un vidéo-club qui doit survivre face à la concurrence d’une chaîne de location de DVD aux proportions industrielles.

Cinq ans plus tard, ce ne sont pas les grandes enseignes qui ont condamné les petites ; d’ailleurs les premières sont tout autant en danger face au succès de la vidéo à la demande (déma­térialisée) sous toutes ses formes. Aux États-Unis, début novembre, Blockbuster, enseigne emblématique qui avait déjà fermé ses magasins britanniques et scandinaves, a annoncé l’arrêt en janvier 2014 de toutes ses locations de DVD, ce qui conduira à la fermeture de trois cents magasins dans tout le pays. La marque Blockbuster devrait survivre… mais sur Internet. Plus près de nous, le vidéo-club phare du Quartier latin, Clerks (qui tire son nom d’un film hilarant de Kevin Smith sorti en 1994 dans lequel on suit les pérégrinations d’un employé de vidéo-club), a mis la clé sous la porte l’été dernier. Au grand regret d’aficionados qui ne pourront désormais plus bénéficier des quelque dix mille références du précieux catalogue de l’enseigne. Chez Clerks, par exemple, on vous autorisait à regarder une bouse, à condition de prendre un bon film et surtout d’en parler après visionnage avec les patrons du lieu. Regrets partagés par le cogérant de Clerks, Michael Orantin. Il promet que sa future activité « n’aura rien à voir avec le cinéma ». LE THERMOMÈTRE DE L’HADOPI

Peut-on tout mettre sur le dos d’internet ? Probablement, puisque les DVD sont toujours aussi chers. On peut expliquer le désintérêt pour la location physique par une mutation des habitudes de consommation du cinéma à la maison, tournées aujourd’hui vers d’autres moyens de distribution des films à la demande. Peer-to-peer (légal ou illégal), streaming, location via le portail des box de fournis­seurs d’accès Internet, offres de « replay » une semaine après la diffusion des programmes à la télé… Le cinéma se dématérialise sous toutes les formes ; et ce sont ses formes piratées qui ont l’impact le plus visible sur les vidéo-clubs, car, au-delà du vol de jaquettes vides, Christophe raconte : « À peine une semaine après la fermeture du site Megaupload [le 19 janvier 2012, ndlr], le public, qui avait disparu de nos rayons, est revenu en masse. C’était impressionnant. Comme aux meilleurs jours du magasin, mais cela n’a duré

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© romain champalaune

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Christophe Petit

on a même vu des promotions « une pizza achetée = un film loué »  qu’un mois. Nous avions retrouvé 25 % de notre clientèle perdue, mais dès que de nouveaux sites de partage de fichiers ont pris le relais, la situation est redevenue calme, du jour au lendemain. » Ces dernières années, la boutique a été le thermomètre des activités de l’Hadopi. « Les gens qui téléchargent se croient éloignés des sanctions. Puis les médias se font l’écho d’une vague de courriers de l’Hadopi, ce qui provoque chez eux une prise de conscience. Alors ils reviennent chez nous, avant de replonger. » UN EXERCICE PASSIONNANT

Face à cette menace, les vidéo-clubs ont tenté de réagir. La chaîne Vidéofutur, fondée en 1982, qui misait de toutes ses forces sur la location des nouveautés et des blockbusters, ne comptait plus que trente-huit magasins en France en 2012, contre cinq cent cinquante en 2005. Aujourd’hui, à l’image de la chaîne Blockbusters, le label Vidéofutur poursuit le virage vers le tout numérique avec son service de vidéos à la demande. Ailleurs, on tente des expériences hasardeuses sous la forme d’associations de métiers : mi-films, mi-jeux vidéos, ou sex toys (le magasin qui s’y est risqué a fermé fin octobre), ou service photo. On a même vu des promotions « une pizza achetée = un film loué ». Alors pourquoi s’entêter quand la fermeture semble inéluctable ? À la Butte, comme chez les quelques confrères restants,

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la réponse est souvent la même : recommander les films aux clients est un exercice passionnant. C’est vrai aussi pour le client, et c’est peut-être la dernière carte à jouer. Pour le moment, aucun moteur de recherche ne scanne vos préférences de cinéphiles mieux qu’un humain. « Un vidéo-club aujourd’hui, c’est comme un ciné-club, résume Christophe. Seul le goût pour le cinéma nous maintient. Sinon, nous ferions assurément autre chose. Nous sommes ouverts près de soixante-dix heures par semaine et le reste du temps, on le passe à regarder des films pour que nos conseils aux clients restent pertinents. Ils reviennent, parce qu’ils savent que nous apprenons à cibler leurs goûts pour les orienter vers des films auxquels ils n’auraient pas pensé. D’ailleurs, beaucoup nous disent que nous sommes plus une vidéothèque qu’un vidéo-club. » Voilà pourquoi Christophe estime que la nature de son travail devrait autoriser les vidéo-clubs à bénéficier des mêmes subventions que les ciné-clubs parisiens. « Cela pourrait se traduire par une aide au loyer. On a récemment réhabilité le cinéma le Louxor dans le Xe arrondissement. Pourquoi pas certaines de nos enseignes ? Dans une ville d’histoire comme Paris, notre rôle de transmission est tout aussi important. » Vidéo Club de la Butte 49, rue Caulaincourt – Paris XVIIIe Métro : Lamarck-Caulaincourt

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é dito

ENCORE HEUREUX PAR ÉTIENNE ROUILLON ILLUSTRATION DE CHARLIE POPPINS

L

e héros du film Happiness Therapy déboule dans la chambre de ses parents à quatre heures du matin, accompagné de sa dépression bipolaire. Il brandit L’Adieu aux armes d’Ernest Hemingway, enragé par l’issue tragique de cette histoire d’amour : « Livre à la con ! Les scènes de danse sont un peu ennuyeuses, mais j’aimais les lire, parce que les personnages étaient heureux. Vous croyez que ça finit là ? Non, il écrit une autre fin. Elle meurt, papa… Le monde est assez dur comme ça ! On ne peut pas être positif ? On ne peut pas

avoir une histoire qui finit bien ? » Chaque année c’est la même chose ; les rigueurs de l’hiver charrient leur lot de films positifs sur nos écrans. Dans La Vie secrète de Walter Mitty, Ben Stiller se frotte avec succès au genre du feel good movie ou film de bons sentiments. Nous lui avons posé la question qui barre notre couverture : peut-on faire de bons films avec de bons sentiments ? L’interrogation a fait débat dans la rédaction, et en a soulevé une autre. Le but revendiqué de ces films est, plus que de nous faire passer un bon moment, de nous rendre heureux. Est-ce seulement possible ? Réponse dans notre dossier central. C’est heureux.

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Sommaire Du 4 décembre 2013 au 4 février 2014

Le reportage du mois 4 Vidéo-clubs : pourquoi certains s’entêtent Édito 9 Encore heureux Les actualités 12 Le tour rapide sur les chiffres, visages et infos du mois Exclusif 20 Ian McKellen raconte comment il a renfilé la robe de Gandalf À suivre 22 Michael B. Jordan dans Fruitvale Station

ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière, 75012 Paris Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTEUR EN CHEF Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentingrosset@gmail.com) Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) DIRECTEUR ARTISTIQUE ADJOINT Tom Bücher (hello@tombucher.com) assisté de Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) ICONOGRAPHE Juliette Reitzer STAGIAIRE Timé Zoppé ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Léa Chauvel-Lévy, Lucile Commeaux, Renan Cros, Tiffany Deleau, Oscar Duboÿ, Julien Dupuy, Yann François, Clémentine Gallot, Claude Garcia, Yves Le Corre, Stéphane Méjanès, Wilfried Paris, Michaël Patin, Marie Ponchel, Alexandre Prouvèze, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Louis Séguin, Pékola Sonny, Claire Tarrière, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer ILLUSTRATEURS Stéphane Manel, Charlie Poppins

l’agenda 24 Les sorties de films du 4 décembre 2013 au 29 janvier 2014

histoires du cinéma 33

PHOTOGRAPHES Fabien Breuil, Romain Champalaune, Nicolas Guérin PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) CHEF DE PROJET Clémence Van Raay (clemence.vanraay@mk2.com)

Katell Quillévéré 33 Entretien avec la réalisatrice de Suzanne Gender studies 36 Les films du pré-code, épisode 1 : La Divorcée de Robert Z. Leonard Le cinéma de la transgression 38 Le documentaire Blank City revient sur ce mouvement avant-gardiste des années 1980 Guillaume Brac 40 Entretien avec le réalisateur de Tonnerre Le vent se lève 44 Le dernier film de Hayao Miyazaki. Qui prendra la relève ? Don Jon 48 Joseph Gordon-Levitt réalise un premier film cru En couverture : Peut-on faire de bons films avec de bons sentiments ? 50 L’avis de Ben Stiller, réalisateur de La Vie rêvée de Walter Mitty L’amour est un crime parfait 58 Entretien croisé avec Arnaud et Jean-Marie Larrieu Pôle emploi 60 Willy Kurant, directeur de la photographie de Jean-Luc Godard et d’Orson Welles James B. Harris 62 Le réalisateur de Sleeping Beauty a commencé en produisant les films de Stanley Kubrick Portfolio 64 Edward Lachman, chef opérateur de Todd Haynes et Robert Altman

les films 71

Le meilleur des sorties en salles Les DVD 112 Rendez-vous avec la peur de Jacques Tourneur

cultures 114 L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris

time out paris 142 La sélection des sorties et des bons plans compilés par Time Out Paris Illustration de couverture © Ruben Gérard pour Trois Couleurs

© 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

actus mk2 144 Le Store

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Les actualités Votre film commence dans cinq minutes ? Le tour rapide sur les chiffres, visages et informations culturelles du mois. PAR TIFFANY DELEAU, JULIEN DUPUY, QUENTIN GROSSET, MARIE PONCHEL, JULIETTE REITZER, LAURA TUILLIER, ÉRIC VERNAY, TIMÉ ZOPPÉ ET ETAÏNN ZWER

> L’INFO GRAPHIQUE

Jeter un froid Dans La Reine des neiges, le Disney de ce Noël (sortie le 4 décembre), le personnage d’Elsa plonge son royaume dans un hiver éternel, gelant tout ce qui l’entoure. Les mains autour d’un bol de chocolat brûlant, nous nous sommes demandé à quelle température gelaient les héros des films qui font froid. T.Z. titanic james cameron 1997

– 2 °C Amoureux transi, Jack se laisse couler dans l’Atlantique pour sauver Rose. Selon les experts, la température de l’eau était d’environ – 2 °C au moment du naufrage du paquebot.

shining stanley kubrick 1980

– 8 °C En plein hiver, Jack Torrence gèle dans le labyrinthe de l’hôtel Overlook. Estes Park, dans le Colorado, est le lieu qui a inspiré l’histoire à Stephen King. La température moyenne en hiver chute à – 8 °C.

le bal des vampires roman polanski 1967

saw 3 darren lynn bousman 2006

– 8 °C

– 18 °C

Un aubergiste est retrouvé glacé devant chez lui, en Transylvanie, couvert de morsures de vampire.

Une femme est enfermée par un tueur en série dans une chambre froide. Elle est punie d’avoir un « cœur de glace ».

À Cluj-Napoca (Roumanie), la température moyenne en janvier est de – 8 °C.

Les chambres froides sont généralement à une température de – 18 °C.

snowpiercer bong joon ho 2013

le jour d’après roland emmerich 2004

– 80 °C – 100 °C Dans une nouvelle ère glacière, les corps mettent sept minutes à congeler s’ils sortent du train. Selon la bande dessinée dont est tiré le film, la température à l’extérieur du train est de – 80 °C.

À cause d’un dérèglement climatique, un cyclone glacial s’abat sur New York et pétrifie les corps en quelques secondes. Il est dit dans le film que la température dans l’œil du cyclone est de – 100 °C.

> MÉLANGE DES GENRES

Nine Antico fait du cinéma Sorti en novembre chez Potemkine et agnès b. DVD, l’exceptionnel coffret intégral dédié à Éric Rohmer (vingt-sept DVD !) se pare des belles illustrations de Nine Antico. Depuis Le Goût du paradis (2008), elle scrute dans ses BD les émois des jeunes filles avec une lucidité complice. Elle qui doit son « goût pour les images et les histoires » au cinéma vient de réaliser un premier court métrage, Tonite, qui croque le nouvel an solo de Pauline, avec la comédienne Sophie-Marie Larrouy. Piquée, Nine Antico bûche déjà sur Petits fours, « minidrame d’une fille qui va à l’avant-première de son film escortée par son père, dont la présence est source pour elle d’une grande gêne », et sur un long métrage, Playlist, coécrit avec le scénariste Marc Syrigas (Les Beaux Gosses), dans lequel « le pouvoir d’évocation des chansons » fait miroir aux errements de Sophie, trentenaire en mal d’amour. « Karin Viard dans La Nouvelle Ève, c’était une nana des années 1990. J’aimerais montrer ce que c’est être une fille aujourd’hui, comment, alors qu’on est libre, c’est compliqué de trouver qui on est, avec qui on veut être et ce qui fait que l’on est bien, ou pas, avec quelqu’un. » E.Z. Éric Rohmer, l’intégrale (Potemkine/agnès b. DVD), disponible

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> LE CHIFFRE DU MOIS

– 60

C’est, en pourcentage, la baisse du nombre de connexions depuis la France au site pornographique PornHub le soir du 31 décembre 2012. La plateforme a étudié les variations de son trafic en fonction de gros événements susceptibles de détourner son public : jours fériés, actualité brûlante, compétition sportive, etc. É.R.

Calé

Décalé

Recalé

Benedict… Prix du public à Toronto et faisant figure de favori pour les Oscars, 12 Years a Slave de Steve McQueen est l’histoire vraie de Solomon Northup, un homme libre réduit en esclavage. Benedict Cumberbatch y incarne un propriétaire terrien ambivalent plus sombre qu’il n’y paraît.

…Cumberbatch est… Dans Le Hobbit : la Désolation de Smaug, l’acteur britannique ne joue pas un mais deux personnages. C’est sa voix qui les double. Il est d’abord Smaug, le terrible dragon amateur d’or, puis le nécromancien, mystérieux sorcier qui sera connu sous le nom de… Sauron.

…partout En janvier 2013, Julian Assange a écrit à Cumberbatch, qui joue son rôle dans Le Cinquième Pouvoir. Dans cette lettre, le fondateur de WikiLeaks lui explique pourquoi il refuse de le rencontrer et lui conseille de se retirer d’un projet reposant sur des sources fallacieuses.

PAR T.D.

> LA PHRASE © 2013 warner bros. entertainment inc. and metro-goldwyn-mayer pictures inc

Michael Cera L’acteur a publié en novembre dans le magazine américain The New Yorker un échange fictif de textos entre lui et un quidam s’étant trompé de numéro, prétexte à un très drôle exercice de harcèlement moral.

> LA TECHNIQUE

Pour créer le teint rubicond des nains qui accompagnent Bilbo, l’équipe de Weta Workshop a mis au point des maquillages qui imitent à la perfection la chair humaine. Ils consistent en des prothèses collées sur le visage des interprètes, avec des sourcils et des poils implantés un à un. Aussi translucides que la peau, ces pièces de silicone encapsulées dans une poche en acrylique sont teintes dans la masse, avec des particules et filaments en suspension qui donnent la sensation que le visage des nains est couperosé. J.D. Le Hobbit : la désolation de Smaug de Peter Jackson (Warner Bros.) Sortie le 11 décembre

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© nicolas guérin

Le Hobbit : la Désolation de Smaug

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« WOW !!! ON EST AMIS DEPUIS UN MOIS ! C’EST FOU… »


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© collection christophel

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Le Chat potté de Shrek 2 n’a pas été maltraité, c’est juré

> POLÉMIQUE

Aucun animal n’a été maltraité durant ce tournage Une longue enquête du magazine The Hollywood Reporter révèle que la mention « aucun animal n’a été maltraité durant ce tournage » n’est qu’un label un peu fumeux. Ainsi, un husky aurait été frappé sur le tournage d’Antartica, prisonniers du froid, vingt-sept animaux seraient décédés sur le plateau du premier volet de la trilogie du Hobbit de Peter Jackson, tandis que plusieurs chevaux seraient morts de colique sur There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson. Ce qui n’a pas empêché ces films de se voir attribuer la mention assurant

que les animaux ont été bien traités. Il se trouve que l’American Humane Association (AHA) qui se charge de la délivrer est financée par l’industrie du cinéma elle-même et ne brille pas par son indépendance : elle aurait notamment, pour préserver ses intérêts, caché le fait que le tigre de L’Odyssée de Pi a échappé à la noyade. Pour l’instant, l’organisme se défend, tout en reconnaissant quelques problèmes. De leur côté, certains de ses employés ayant témoigné anonymement assurent que les choses ne sont pas près de changer. Q.G.

LU SUR LE WEB

« BEEP ! BEEP ! » Depuis deux mois, un clown terrorise la population de Northampton. S’inspirant de Pennywise, le clown meurtrier imaginé par Stephen King dans Ça (adapté au petit écran en 1990), cet hurluberlu est en fait un cinéphile inoffensif qui compte pas loin de deux cent mille fans sur sa page Facebook (facebook.com/spotnorthamptonsclown).

> DÉPÊCHES

COURT MÉTRAGE

FESTIVAL

HUMOUR

En salles le 4 décembre, Rédemption de Miguel Gomes imagine les confessions de quatre leaders européens – Pedro Passos Coelho (Premier ministre portugais), Silvio Berlusconi, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel –, accolées à un montage poétique d’images d’archives.

Du 10 au 26 janvier se tiendra au Centre Pompidou le festival Hors Pistes, autour du thème du biopic. L’occasion de découvrir de jeunes cinéastes (Jonathan Caouette, Marie Losier, Shanti Masud…) et de participer à un tournage dans la « fabrique biopic », installée au niveau – 1.

Ce DVD, produit par Solidarité Sida, rassemble la crème du comique façon Canal+ : les interviews foireuses de Raphaël Mezrahi, les fausses pubs des Nuls, la poésie absurde des Deschiens… Les recettes serviront à financer des programmes d’aide aux malades et de prévention.

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© shellac ; dr ; dr

PAR J.R. & L.T.


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> HISTOIRE VRAIE

dr max milo

Jordan Belfort, l’escroc du Loup de Wall Street Rebaptisé « Gordon Gekko » par ses pairs, Jordan Belfort est le stéréotype du golden boy. En 2004, emprisonné pour fraude et blanchiment d’argent, il s’inspire du Bûcher des vanités de Tom Wolfe pour écrire son histoire. Le Loup de Wall Street, réédité chez Max Milo et adapté par Scorsese au cinéma (lire p. 88), raconte comment il s’est hissé au sommet de la finance new-yorkaise. La recette de son succès ? Convaincre des investisseurs d’acheter des actions sans valeur grâce à un discours bien rôdé. À l’époque, Belfort mène une vie dissolue, faite de drogue et de femmes ; jusqu’à ce que la justice le rattrape. Aujourd’hui, il devrait encore plus de cent millions de dollars à ses victimes. L’argent ne dort jamais. T.D. Le Loup de Wall Street de Jordan Belfort (Max Milo)

SUÈDE Le sexisme au tableau Depuis le mois d’octobre, des salles de cinéma suédoises remettent au goût du jour le permis à points. Sur la base du volontariat, les exploitants invitent le public à noter les films à l’affiche en les classant selon leur degré de sexisme. Un système de notation s’inspirant du test de Bechdel (créé en 1985 dans une bande dessinée d’Alison Bechdel). Pour décrocher le label « A », comme Blue Jasmine ou Cartel, le film devra répondre à trois critères : y a-t-il au moins deux personnages féminins portant un nom féminin ? Ces deux femmes se parlentelles ? Si oui, parlentelles d’autre chose que d’un homme ? Tous à vos carnets de notes. MA.PO .

COURT MÉTRAGE

The Disciple d’Ulrika Bengts

> COMPTE RENDU

Arras Film Festival La température et le cadre arrageois étaient raccord avec l’ensemble des films sélectionnés lors de la quatorzième édition de ce festival qui se fait une spécialité des longs métrages d’Europe du Nord et de l’Est. La compétition a offert un panel de neuf films presque unanimement travaillés par les problématiques de l’enfance et de la difficile perte de l’innocence. Si le jury a choisi de remettre l’Atlas d’or au choc ultra-réaliste Miracle, portrait

d’une ado slovaque enceinte qui s’échappe de sa maison de correction pour rejoindre son amant toxicomane, la sélection proposait aussi des films plus nuancés. On retiendra The Girl From the Wardrobe, rêverie drôle et perchée ; Le Grand Cahier, conte sombre et amoral ; West, efficace, dans la lignée du Nouveau Cinéma allemand ; et The Disciple, huis clos tendu sur une famille de gardiens de phare. De belles découvertes qui mériteraient une distribution en France. T.Z.

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Jonathan Velasquez, figure centrale de l’exposition parisienne de Larry Clark, fin 2010, est le héros d’un court métrage du cinéaste mis en ligne à la mi-novembre. À 14 ans, le garçon raconte face caméra ses désirs et ses doutes en matière de sexe. Quatre ans plus tard, il est filmé en plein ébats, non simulés. De la parole au geste, Clark illustre la perte de l’innocence avec autant de tendresse que d’ironie. J.R. Jonathan de Larry Clark, visible sur http://larryclark.com/


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©2013 warner bros. entertainment inc. and metro-goldwyn-mayer pictures inc

exclusi f

Le Hobbit : la Désolation de Smaug

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Avant de remettre, au printemps prochain, la cape de Magneto dans X-Men: Days of Future Past, Sir Ian McKellen raconte comment il a renfilé la robe grise du sage Gandalf. PROPOS RECUEILLIS PAR ÉTIENNE ROUILLON

Alors que, dans Le Seigneur des anneaux, beaucoup de personnages, de Boromir à Aragorn, faisaient ma taille, dans cette nouvelle trilogie, je suis tout le temps face à des Hobbits ou à des nains. On devait sans cesse se demander comment faire paraître Gandalf plus grand. Cela signifie concrètement que je ne peux pas regarder les autres acteurs droit dans les yeux, cela briserait l’illusion. Shakespeare, dont j’ai souvent joué les pièces au théâtre, crée parfois des personnages qui ressemblent à Gandalf : ils sont ancrés dans la réalité, mais par moments ils sont dotés de pouvoirs fantastiques. Lorsque vous jouez ses pièces, il faut faire preuve de beaucoup d’imagination, et cette expérience m’a aidé sur Le Hobbit… Je considère Gandalf comme un personnage crédible, très humain. Un esprit sérieux, mais qui aime interagir avec les autres. Pour moi, Gandalf est un prolongement de l’auteur du Seigneur des anneaux. Je me suis donc inspiré des rares photos et enregistrements de Tolkien pour composer l’attitude et la voix de mon personnage. » Le Hobbit : la Désolation de Smaug de Peter Jackson avec Martin Freeman, Ian McKellen… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h50 Sortie le 11 décembre

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à su ivre

Michael B. Jordan Dans Fruitvale Station, Michael B. Jordan, découvert avec The Wire, porte l’histoire vraie d’Oscar Grant, un jeune homme tué par un policier un lendemain de réveillon.

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PAR LAURA TUILLIER – PHOTOGRAPHIE DE NICOLAS GUÉRIN

J’avais envie d’un premier rôle dans un film indépendant. Quand mon agent a repéré le scénario à Sundance, j’ai su que c’était pour moi. » Michael B. Jordan passe donc de Chronicle, sympathique film de super-héros, à un univers réaliste ancré dans l’âpreté d’Oakland. « Cet endroit est un monde à part. J’y ai vécu un mois pour m’imprégner de l’atmosphère. J’ai passé beaucoup de temps avec la famille d’Oscar, je me devais de ne pas le trahir. » Ce sujet délicat, Michael B. Jordan a pris le temps de bien le travailler. Gueule d’ange et ambition de fer, l’acteur, récemment aperçu dans la série Friday Night Lights, sait exactement où il veut aller : « La télévision, c’est ma première maison, j’ai grandi avec. Mais aujourd’hui, je veux faire du cinéma, j’ai envie d’avoir mon Titanic et mon gros film d’action. » Tout à l’impatience de ses 25 printemps, Michael s’enthousiasme également pour la production et la réalisation.

©nicolas guerin

Fruitvale Station de Ryan Coogler (lire aussi p. 90) avec Michael B. Jordan, Melonie Diaz… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h25 Sortie le 1 er janvier

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ag e n da

Sorties du 4 déc. au 29 jan. A World not Ours de Mahdi Fleifel Documentaire Distribution : Eurozoom Durée : 1h33 Page 76

Blank City de Céline Danhier Documentaire Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h34 Page 38

La Jalousie de Philippe Garrel avec Louis Garrel, Anna Mouglalis… Distribution : Capricci Films Durée : 1h17 Page 60

Carrie, la vengeance de Kimberly Peirce avec Chloë Moretz, Julianne Moore… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h40 Page 76

The Lunchbox de Ritesh Batra avec Irrfan Khan, Nimrat Kaur… Distribution : Happiness Durée : 1h42 Page 78

Rêves d’or de Diego Quemada-Díez avec Karen Martínez, Rodolfo Dominguez… Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h48 Page 71

Le Cinquième Pouvoir de Bill Condon avec Benedict Cumberbatch, Daniel Brühl… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 2h08 Page 76

100 % Cachemire de Valérie Lemercier avec Valérie Lemercier, Gilles Lellouche… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h38 Page 78

Henri de Yolande Moreau avec Pippo Delbono, Jackie Berroyer… Distribution : Le Pacte Durée : 1h47 Page 72

Le Démantèlement de Sébastien Pilote avec Gabriel Arcand, Gilles Renaud… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h52 Page 76

Le Secret de l’étoile du nord de Nils Gaup avec Anders Baasmo Christiansen, Agnes Kittelsen… Distribution : Condor / KMBO Durée : 1h22 Page 78

Swandown d’Andrew Kötting Documentaire Distribution : Ed Durée : 1h34 Page 72

La Reine des neiges de Chris Buck et Jennifer Lee Animation Distribution : Walt Disney Durée : 1h40 Page 119

Nous irons vivre ailleurs de Nicolas Karolszyk avec Christian Mupondo, Léticia Belliccini… Distribution : La Vingt-Cinquième Heure Durée : 1h15 Page 78

Twenty Feet from Stardom de Morgan Neville Documentaire Distribution : Mars Durée : 1h29 Page 72

Mammas d’Isabella Rossellini Documentaire Distribution : Première Heure Durée : N.C.

A Touch of Sin de Jia Zhang-ke avec Wu Jiang, Wang Baoqiang… Distribution : Ad Vitam Durée : 2h10 Page 80

Zulu de Jérôme Salle avec Orlando Bloom, Forest Whitaker… Distribution : Pathé Durée : 1h50 Page 72

Zero de Nour-Eddine Lakhmari avec Younès Bouab, Mohamed Majd… Distribution : Les Films de l’Atalante Durée : 1h51

All is Lost de J. C. Chandor avec Robert Redford Distribution : Universal Pictures Durée : 1h46 Page 82

4 déc.

Casse-tête chinois de Cédric Klapisch avec Romain Duris, Audrey Tautou… Distribution : StudioCanal Durée : 1h54 Page 74

11 déc.

Le Cours étrange des choses de Raphaël Nadjari avec Ori Pfeffer, Moni Moshonov… Distribution : Shellac Durée : 1h40 Page 74

Le Hobbit : la Désolation de Smaug de Peter Jackson avec Martin Freeman, Ian McKellen… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h50 Page 20

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hiver 2013-2014

Je fais le mort de Jean-Paul Salomé avec François Damiens, Géraldine Nakache… Distribution : Diaphana Durée : 1h45 Page 82 L’Absence de Mama Keïta avec William Nadylam, Mame Ndoumbé Diop… Distribution : Kinterfin Durée : 1h21 Page 82


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ag e n da

Sorties du 4 déc. au 29 jan. Jackass présente : Bad Grandpa de Jeff Tremaine avec Johnny Knoxville, Jackson Nicoll… Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h32

Belle et Sébastien de Nicolas Vanier avec Félix Bossuet, Tchéky Karyo… Distribution : Gaumont Durée : 1h38 Page 86

Stalingrad Lovers de Fleur Albert avec Jean-Patrick Koné, Carole Eugenie… Distribution : Niz ! Durée : 1h22

El Limpiador d’Adrián Saba avec Víctor Prada, Adrián Du Bois… Distribution : Bobine Films Durée : 1h36 Page 86

Don Jon de Joseph Gordon-Levitt avec Joseph Gordon-Levitt, Scarlett Johansson… Distribution : Mars Durée : 1h30 Page 48

Le Père Frimas de Youri Tcherenkov Animation Distribution : Gebeka Films Durée : 46mn

La Bataille de Tabatô de João Viana avec Fatu Djebaté, Mamadu Baio… Distribution : Capricci Films Durée : 1h23 Page 86

2 automnes 3 hivers de Sébastien Betbeder avec Vincent Macaigne, Bastien Bouillon… Distribution : UFO Durée : 1h30 Page 88

Loulou, l’incroyable secret d’Éric Omond Animation Distribution : Diaphana Durée : 1h20 Page 118

I Used To Be Darker de Matthew Porterfield avec Deragh Campbell, Hannah Gross… Distribution : Ed Durée : 1h30 Page 88

Suzanne de Katell Quillévéré avec Sara Forestier, Adèle Haenel… Distribution : Mars Durée : 1h34 Page 33

16 ans ou presque de Tristan Séguéla avec Laurent Lafitte, Jonathan Cohen… Distribution : UGC Durée : 1h28

Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese avec Leonardo DiCaprio, Margot Robbie… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 2h45 Page 88

Mandela – Un long chemin vers la liberté de Justin Chadwick avec Idris Elba, Naomie Harris… Distribution : Pathé Durée : 2h26 Page 82

Angélique d’Ariel Zeitoun avec Nora Arnezeder, Gérard Lanvin… Distribution : EuropaCorp Durée : 1h53

Tel père, tel fils de Hirokazu Kore-eda avec Masaharu Fukuyama, Machiko Ono… Distribution : Le Pacte / Wild Side Durée : 2h Page 90

Le Géant égoïste de Clio Barnard avec Conner Chapman, Shaun Thomas… Distribution : Pyramide Durée : 1h31 Page 84

Nesma de Homeïda Behi avec Aure Atika, Farid Elouardi… Distribution : Zelig Films Durée : 1h25

Albator, corsaire de l’espace de Shinji Aramaki Animation Distribution : Océan Films Durée : 1h50 Page 90

Museum Hours de Jem Cohen avec Mary Margaret O’Hara, Bobby Sommer… Distribution : Eurozoom Durée : 1h46 Page 84

Sur la terre des dinosaures, le film 3D de Neil Nightingale Animation Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h27

Les Âmes de papier de Vincent Lannoo avec Stéphane Guillon, Julie Gayet… Distribution : Rezo Films Durée : 1h30 Page 90

Weekend of a Champion de Frank Simon Documentaire Distribution : Pathé Durée : 1h20 Page 86

Mon oncle de Jacques Tati avec Jacques Tati, Jean-Pierre Zola… Distribution : Carlotta Films Durée : 1h50

Le Manoir magique de Ben Stassen et Jérémie Degruson Animation Distribution : StudioCanal Durée : 1h25

18 déc.

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Sorties du 4 déc. au 29 jan. Jamais le premier soir de Melissa Drigeard avec Alexandra Lamy, Mélanie Doutey… Distribution : EuropaCorp Durée : N.C.

1er jan. La Vie rêvée de Walter Mitty de Ben Stiller avec Ben Stiller, Kristen Wiig… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h54 Page 50

Les Gouffres d’Antoine Barraud avec Nathalie Boutefeu, Mathieu Amalric… Distribution : Independencia Durée : 1h05 Page 98 Les Sorcières de Zugarramurdi d’Álex de la Iglesia avec Carmen Maura, Carolina Bang… Distribution : Rezo Films Durée : 1h59 Page 98

8 jan.

Fruitvale Station de Ryan Coogler avec Michael B. Jordan, Melonie Diaz… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h25 Page 90

Homefront de Gary Fleder avec Jason Statham, James Franco… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h40 Page 92

The Spectacular Now de James Ponsoldt avec Shailene Woodley, Miles Teller… Distribution : Eurozoom Durée : 1h35 Page 99

Oldboy de Spike Lee avec Josh Brolin, Elizabeth Olsen… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h44 Page 92

À ciel ouvert de Mariana Otero Documentaire Distribution : Happiness Durée : 1h50 Page 94

Destination Love de David E. Talbert avec Paula Patton, Adam Brody… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h21

Du sang et des larmes de Peter Berg avec Mark Wahlberg, Taylor Kitsch… Distribution : SND Durée : 2h01 Page 92

Cadences obstinées de Fanny Ardant avec Asia Argento, Franco Nero… Distribution : Alfama Films Durée : 1h41 Page 94

Hipótesis de Hernán Goldfrid avec Ricardo Darín, Alberto Ammann… Distribution : Eurozoom Durée : 1h46

Paranormal Activity: The Marked Ones de Christopher Landon avec Richard Cabral, Carlos Pratts… Distribution : Paramount Pictures Durée : N.C. Page 92

Philomena de Stephen Frears avec Steve Coogan, Judi Dench… Distribution : Pathé Durée : 1h38 Page 96

Moscou 1973 – l’Amour en URSS de Karen Chakhnazarov avec Aleksandr Lyapin, Lidiya Milyuzina… Distribution : Baba Yaga Films Durée : 1h29

Aime et fais ce que tu veux de Malgorzata Szumowska avec Andrzej Chyra, Mateusz Kosciukiewicz… Distribution : ZED Durée : 1h42 Page 94

Lovelace de Rob Epstein et Jeffrey Friedman avec Amanda Seyfried, Peter Sarsgaard… Distribution : Hélios Films Durée : 1h33 Page 96

Piégé de Yannick Saillet avec Pascal Elbé, Laurent Lucas… Distribution : Bellissima Films Durée : N.C.

Nymphomaniac part. 1 de Lars von Trier avec Charlotte Gainsbourg, Stacy Martin… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h57 Page 94

Pour ton anniversaire de Denis Dercourt avec Mark Waschke, Marie Bäumer… Distribution : Jour2fête Durée : 1h23 Page 96

Arcadia d’Olivia Silver avec John Hawkes, Ryan Simpkins… Distribution : Mica Films Durée : 1h31

Yves Saint Laurent de Jalil Lespert avec Pierre Niney, Guillaume Gallienne… Distribution : SND Durée : N.C. Page 96

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hiver 2013-2014

15 jan. L’amour est un crime parfait d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu avec Mathieu Amalric, Maïwenn… Distribution : Gaumont Durée : 1h50 Page 58



ag e n da

Sorties du 4 déc. au 29 jan. Mère et Fils de Calin Peter Netzer avec Luminita Gheorghiu, Bogdan Dumitrache… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h52 Page 99

22 jan.

Belle comme la femme d’un autre de Catherine Castel avec Olivier Marchal, Audrey Fleurot… Distribution : Rezo Films Durée : 1h30

R de Tobias Lindholm et Michael Noer avec Pilou Asbæk, Dulfi Al-Jabouri… Distribution : KMBO Durée : 1h36 Page 99

Le vent se lève de Hayao Miyazaki Animation Distribution : Walt Disney Durée : 2h06 Page 44

Cristo Rey de Leticia Tonos Paniagua avec James Saintil, Akari Endo… Distribution : Équation Durée : 1h36

Comme des lions de pierre à l’entrée de la nuit d’Olivier Zuchuat Documentaire Distribution : Hévadis Films Durée : 1h27 Page 100

Sleeping Beauty de James B. Harris avec Zalman King, Carol White… Distribution : Les Films du Camélia Durée : 1h30 Page 62

Prêt à tout de Nicolas Cuche avec Max Boublil, Aïssa Maïga… Distribution : StudioCanal Durée : N.C.

Passer l’hiver d’Aurélia Barbet avec Gabrielle Lazure, Lolita Chammah… Distribution : Shellac Durée : 1h20 Page 100

Au bord du monde de Claus Drexel Documentaire Distribution : Aramis Films Durée : 1h38 Page 102

The Two Faces of January de Hossein Amini avec Viggo Mortensen, Oscar Isaac… Distribution : StudioCanal Durée : N.C.

Les Brasiers de la colère de Scott Cooper avec Christian Bale, Casey Affleck… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h56 Page 100

12 Years a Slave de Steve McQueen avec Chiwetel Ejiofor, Brad Pitt… Distribution : Mars Durée : 2h13 Page 104

All about Albert de Nicole Holofcener avec Julia Louis-Dreyfus, James Gandolfini… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h34 Page 102

Lulu, femme nue de Sólveig Anspach avec Karin Viard, Bouli Lanners… Distribution : Le Pacte Durée : 1h27 Page 106

Tonnerre de Guillaume Brac avec Vincent Macaigne, Solène Rigot… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h40 Page 40

À coup sûr de Delphine de Vigan avec Laurence Arné, Éric Elmosnino… Distribution : Universal Pictures Durée : N.C.

Match retour de Peter Segal avec Griff Furst, Sylvester Stallone… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h53 Page 106

Nymphomaniac part. 2 de Lars von Trier avec Charlotte Gainsbourg, Stacy Martin… Distribution : Les Films du Losange Durée : 2h03 Page 94

Divin enfant d’Olivier Doran avec Sami Bouajila, Émilie Dequenne… Distribution : UGC Durée : N.C.

Une autre vie d’Emmanuel Mouret avec Jasmine Trinca, JoeyStarr… Distribution : Pyramide Durée : 1h35 Page 106

Le Village de carton d’Ermanno Olmi avec Michael Lonsdale, Rutger Hauer… Distribution : Bodega Films Durée : 1h27 Page 106

Salaam Bombay ! de Mira Nair avec Shafiq Syed, Hansa Vithal… Distribution : Tamasa Durée : 1h53

Afrik’Aïoli de Christian Philibert avec Jean-Marc Ravera, Mohamed Metina… Distribution : ADR Durée : 1h35

Des étoiles de Dyana Gaye avec Ralph Amoussou, Mata Gabin… Distribution : Haut et Court Durée : 1h28 Page 107

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hiver 2013-2014

29 jan.


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Les Enfants rouges de Santiago Amigorena avec Jonathan Borgel, Garance Mazureck… Distribution : Rezo Films Durée : 1h20 Page 107

Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée avec Matthew McConaughey, Jared Leto… Distribution : UGC Durée : 1h57 Page 108

Grace de Monaco d’Olivier Dahan avec Nicole Kidman, Tim Roth… Distribution : Gaumont Durée : N.C. Page 110

Beaucoup de bruit pour rien de Joss Whedon avec Amy Acker, Alexis Denisof… Distribution : Jour2fête Durée : 1h48 Page 108

Jacky au royaume des filles de Riad Sattouf avec Charlotte Gainsbourg, Vincent Lacoste… Distribution : Pathé Durée : N.C. Page 108

I, Frankenstein de Stuart Beattie avec Aaron Eckhart, Miranda Otto… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : N.C. Page 110

Ceuta, douce prison de Jonathan Millet et Loïc H. Rechi Documentaire Distribution : Docks 66 Durée : 1h30 Page 108

Minuscule, la vallée des fourmis perdues d’Hélène Giraud et Thomas Szabo Animation Distribution : Le Pacte Durée : 1h29 Page 110

The Ryan Initiative de Kenneth Branagh avec Chris Pine, Kevin Costner… Distribution : Paramount Pictures Durée : N.C. Page 110


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novembre 2013


histoires du

CINÉMA

EN COUVERTURE

Rencontre avec Ben Stiller, réalisateur de La Vie rêvée de Walter Mitty p. 50

DON JON

Joseph Gordon-Levitt nous raconte le tournage de son premier film p. 62

PORTFOLIO

Edward Lachman, chef opérateur de Todd Haynes et Robert Altman p. 64

©nicolas guérin

« La résilience est le thème profond, caché, du film. »

Katell Quillévéré Suzanne, son second film, a reçu un accueil enthousiaste au dernier Festival de Cannes, en ouverture de la Semaine de la critique. C’est là-bas, sous le soleil méditerranéen, que nous avions rencontré Katell Quillévéré une première fois, en pleine séance de maquillage. Nous avons poursuivi l’échange à Paris, à la fin de l’automne, pour qu’elle nous parle un peu plus longuement de son film, une œuvre romanesque, rythmée par les saisons et par les frasques de son émouvante héroïne. PROPOS RECUEILLIS PAR LOUIS SÉGUIN

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h istoi re s du ci n é ma

P

our son deuxième long métrage, après Un poison violent (2010), Katell Quillévéré fait un pari risqué, mais qui s’avère payant : le choix de l’ampleur romanesque, des rebondissements narratifs en cascade et du passage du temps. On découvre Suzanne enfant, on la quitte bien avancée dans sa vie d’adulte. Héroïne libre et irresponsable, elle abandonne son fils pour un amant de passage, atterrit en prison, se rachète une conduite, replonge… Porté par ses trois acteurs (Sara Forestier dans le rôle-titre, François Damiens dans celui du père, Adèle Haenel dans celui de la sœur), le film a l’intelligence de ne pas accabler le personnage de ses fautes, mais au contraire de l’accompagner au plus près de sa fougue. Il n’oublie donc pas l’essentiel : les moments de pur présent, lorsque le désir tisse la vie et trace un destin.

lendemain, c’est un choc pour son père, un danger pour sa sœur. En se marginalisant, elle se révolte sans doute contre son milieu, mais elle échappe surtout à l’ennui. Cette fille rêve d’intensité, d’aventure, et les raisons profondes qui la poussent vers son destin restent assez mystérieuses. En cela, Suzanne n’est pas un film social, c’est un film romanesque avant tout.

Le trio d’acteurs fonctionne à plein dans Suzanne. Comment l’avez-vous formé ? Quand j’écris, je ne pense pas à des acteurs en particulier. J’ai rencontré cinq comédiennes pour jouer Suzanne. Sara Forestier était la première, et il y a vraiment eu une évidence avec elle ; c’était mon héroïne. François Damiens a une émotivité très brusque et très sincère ; on peut lui demander de tout faire, c’est un immense acteur. Il m’évoque un peu Jean Yanne, Guy Marchand, voire Maurice Pialat, quand il joue dans ses films. Il a cette envergure physique. Il n’y a pas beaucoup d’acteurs de sa génération qui ont cette présence. Adèle Haenel, j’avais envie de travailler avec elle depuis longtemps. C’est quelqu’un qui dégage une grande profondeur, et je voulais l’emmener vers la légèreté, en sachant qu’elle garderait un fond de mélancolie.

L’influence d’À nos amours de Pialat hante le film : prénom de l’héroïne identique, ressemblance entre Sara Forestier et Sandrine Bonnaire… Étrangement, le film s’appelle Suzanne à cause de la chanson de Leonard Cohen, et non à cause du film de Pialat. Mais c’est évident, j’ai été influencée par Pialat. Je crois que le point commun le plus important avec À nos amours, c’est la relation au père. Un amour très fort, trop peut-être, auquel on voudrait échapper. Cela dit, ce n’est pas ma seule influence, et je pense qu’il y a autant de Douglas Sirk que de Pialat dans Suzanne.

Cet équilibre entre le drame et la légèreté est d’ailleurs le moteur du film. Il y a beaucoup de scènes éprouvantes, et l’on a vraiment cherché à contenir l’émotion qu’elles engendrent, pour que le film conserve son souffle. Vos personnages semblent en partie déterminés par leur milieu social. Je ne parlerais pas de déterminisme, plutôt de climat social. J’avais envie de parler d’une famille pour laquelle le travail est une valeur importante. Quand Suzanne quitte son boulot du jour au

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Suzanne est un personnage ambigu, ses choix sont moralement discutables. Construire une héroïne féminine qui ait sa part d’ombre, de cruauté, et qui puisse par moment nous déranger, c’était un des vrais paris du film. Elle est dans une quête d’amour absolu, et les libertés qu’elle prend au nom de cet amour ont des conséquences lourdes. Elle vit sa liberté autant qu’elle la paie.

Dans le film, les ellipses sont marquées par des fondus au noir assez longs. Ces noirs fonctionnent comme une respiration. Il y a quelque chose de la saga, du feuilleton. Le récit se repose pour repartir. Mais ce sont aussi des sortes de deuils, des épuisements, des petites morts, surmontées par la pulsion de vie. La vie, c’est l’histoire qui continue malgré tout. L’enfant incarne le temps qui passe ; lorsque Suzanne le retrouve, après plusieurs années, elle ne le reconnaît pas, elle est mise face à son abandon. Charlie est un des personnages les plus importants du film, même si on le voit peu. C’est vrai qu’il incarne le passage du temps, mais il porte aussi en lui le thème profond, caché, du film : celui de

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e ntreti e n

« Suzanne n’est pas un film social, c’est un film romanesque avant tout. » la résilience. Charlie grandit malgré les accidents, les blessures qui vont le constituer. Non seulement il tient debout, mais il danse. Il nous raconte comment la pulsion de vie peut être plus forte que tout, si l’on a pu, si l’on a su, prendre l’amour là où il était étant petit. Grâce à lui, Suzanne est aussi un film ouvert et lumineux. Une très belle scène montre Suzanne et son amant, sur une place, n’arrivant pas à se quitter ; la caméra suit en plongée les allers-retours des deux personnages, aimantés par le désir. La veille, on avait vu Les Demoiselles de Rochefort avec l’équipe. Je pense que ça m’a inspirée. La chorégraphie de cette scène tient presque de la comédie musicale. C’était un peu improvisé, j’ai voulu tourner pendant qu’il pleuvait et je n’ai pas donné beaucoup d’indications aux comédiens. Quand on laisse entrer la vie sur le tournage, il se passe souvent quelque chose de miraculeux. Vous effectuez des découpages très précis avant de tourner. Les respectez-vous ? Avec Tom Harari, mon chef opérateur, on prépare tout, pour pouvoir mieux détruire au tournage. Dans l’économie dans laquelle je suis, avec soixante décors en l’occurrence, je n’ai pas le luxe d’improviser sur place.

Vous avez cofondé le festival du moyen métrage de Brive, qui a révélé beaucoup de jeunes cinéastes français : Guillaume Brac, Justine Triet, Yann Gonzalez… Avez-vous l’impression de faire partie d’une mouvance, d’une génération ? Ce qui me fait toujours peur quand la presse cherche à définir des groupes, c’est qu’elle fabrique arbitrairement des clivages, avec cette obsession un peu ringarde de la « nouvelle » Nouvelle Vague. La démarche des Cahiers du cinéma, par exemple, qui dresse régulièrement la liste de ceux qui font ou pas l’avenir du cinéma français, je la trouve violente et stérile. En tant que réalisateurs, on est déjà constamment mis en compétition. Dans ces circonstances, je crois qu’il ne faut pas tomber dans le piège des catégorisations faciles. Si beaucoup de jeunes cinéastes sont passés par Brive, c’est parce que le moyen métrage est le format le plus libre : on n’est pas systématiquement ramené à la chute, comme dans le court métrage, et l’on n’est pas violemment confronté à la question du marché, propre au long métrage. Je ne fais pas partie d’un groupe, mais je me sens proche et solidaire de tous les réalisateurs de ma génération. La situation économique est beaucoup plus difficile qu’il y a dix ans, et passer au long après des succès dans le court métrage ne va plus du tout de soi. Aujourd’hui, faire un film est une victoire en soi. Suzanne de Katell Quillévéré avec Sara Forestier, Adèle Haenel… Distribution : Mars Durée : 1h34 Sortie le 18 décembre

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h istoi re s du ci n é ma - g e n de r stu di e s

©warner home video

CHAQUE MOIS, UNE ÉTUDE DES ENJEUX DE REPRÉSENTATION DU GENRE À L’ÉCRAN

Comme son nom l’indique, cette comédie de 1930 intronise une figure de la modernité dans le cinéma américain : la femme divorcée. Tout le contraire d’une héroïne vertueuse.

SAISON 3 : LES FILMS DU PRÉ-CODE

1. La Divorcée Baisers goulus, plaisanteries grivoises… pas de doute, nous sommes bien dans le « pré-code », parenthèse de liberté précédant l’application du code Hays. La collection de DVD « Forbidden Hollywood », chez Warner, révèle des bijoux inédits, parmi lesquels La Divorcée. PAR CLÉMENTINE GALLOT

Dès son entrée en vigueur en 1934, le code Hays a contraint les scénaristes à observer un puritanis­me régressif et a cantonné les actrices à incarner les stéréotypes les plus rétrogrades. Quatre ans avant la mise en place de ce code de censure, la guerre des sexes fait pourtant rage à Hollywood. Fraîchement séparée d’un mari infidèle, la divorcée new-yorkaise du titre, Jerry, opte pour une vie d’indépendance sexuelle revendiquée. Héroïne aux prétentions

égalitaristes, elle entend répliquer « au point de vue masculin ». Le propos est subversif pour l’époque : il remet en cause le double standard qui encourage les maris à avoir des maîtresses tout en sanctionnant l’épouse qui oserait faire de même. Ingénue du cinéma muet des années 1920, l’actrice Norma Shearer se réinvente ici avec le parlant en jouant la sulfureuse divorcée, un rôle qui lui vaudra un Oscar. Cette ad apt at ion i r révérencieuse

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de Ex-Wife, roman à scandale d’Ursula Parrott, reste un film pivot qui annonce la comédie du remariage, ruse ultime contre la censure. La Divorcée de Robert Z. Leonard, disponible en DVD (Warner Bros.) Pour aller plus loin : Complicated Women: Sex and Power in Pre-Code Hollywood de Mick LaSalle (St. Martin’s Press)

le mois prochain : Liliane d’Alfred E. Green


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dr

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The Bogus Man de Nick Zedd

Le cinéma de la transgression Dans Blank City, documentaire sur le cinéma underground new-yorkais des années 1980, la cinéaste Céline Danhier revient, entre autres choses, sur le « cinéma de la transgression », qui vit naître des artistes radicaux tels que la performeuse Lydia Lunch ou le photographe Richard Kern. Retour sur un mouvement avant-gardiste très violent. PAR QUENTIN GROSSET

Seuls quelques cinéastes provenant du New York coupe-gorge des années 1980 ont véritablement émergé aux yeux du public – on songe à Jim Jarmusch et à Amos Poe en particulier. Pionniers d’un certain cinéma indépendant, ceux-ci ont cepen­ dant éclipsé des artistes plus extrêmes, dangereux et nihilistes, ceux du « cinéma de la transgression », dont les films ont surtout été produits entre 1984 et 1991. Issus des mêmes zones en friche jonchées de seringues usagées, ces jeunes enragés s’agitaient sur les dissonances de la no wave et produisaient, en super-huit, des films qui témoignent du sentiment d’un monde égoïste et obscène. Mêlées à la musique des Swans, de Fœtus ou de Sonic Youth, leurs images donnent parfois la nausée. Dans leur manifeste, il est ainsi écrit : « Il y aura du sang, de la honte, de la douleur et de l’extase, comme personne n’en a encore imaginé. »

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Dans The Bogus Man (1980), Nick Zedd, cinéaste à l’allure d’ange noir à qui l’on doit le terme de « cinéma de la transgression », filme une créature monstrueuse qui souille le drapeau américain en le frottant contre ses parties intimes. Figure importante de la photographie érotique contemporaine, Richard Kern a quant à lui filmé la poétesse Lydia Lunch subissant des tortures de la part des plus sombres allumés (avant de devenir elle-même leur pire cauchemar) dans The Right Side of my Brain (1984). Malgré la fonction d’exutoire de ces œuvres, Lydia Lunch refuse l’idée de catharsis : « L’infection, la contagion, le trauma sont toujours là », préciset-elle dans Llik Your Idols (2007), documentaire très complet d’Angélique Bosio sur cette même scène underground édité en DVD par Le Chat qui fume. L’attirance de Zedd, Kern et Lunch pour les freaks pourrait plutôt être justifiée par une envie de transformer New York en film d’horreur. Pourquoi ? Parce que Reagan, parce que la précarité, parce que le sida. Aujourd’hui ces artistes sont plus apaisés. Dans les photographies de Kern ou dans les textes de Lunch, on ne s’adonne plus que rarement à la nécrophilie et on ne roule plus de pelles à des chiens. Blank City de Céline Danhier Documentaire Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h34 Sortie le 11 décembre

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TONNERRE

©fabien breuil

GUILLAUME BRAC

« Enfant, j’étais persuadé que cette ville était pleine de sortilèges, de maléfices. » 40

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Un rocker sentimental transi sous la neige (Vincent Macaigne), une jeune indécise soufflant le chaud et le froid (Solène Rigot). Après le moyen métrage estival Un monde sans femmes, Guillaume Brac installe son premier long dans le décor, hivernal et brumeux, d’une petite ville au nom prodigieux, Tonnerre. Parcouru de puissantes bourrasques romanesques, ce récit d’une tempétueuse passion abrite un beau mélange des genres : la poésie se heurte au trivial, le naturalisme se mouille de burlesque et de fantastique, le romantisme s’abîme dans le film noir. Rencontre avec le réalisateur inspiré de cet éclatant Tonnerre. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

A

vez-vous pensé Tonnerre comme le pendant hivernal d’Un monde sans femmes ? En effet, j’ai eu envie de raconter une histoire d’amour sur un ton très différent, et la saison hivernale convenait mieux à cette histoire plus dure, moins tendre. J’ai besoin que les décors et la lumière, et même la météo, soient le reflet de l’état émotionnel des personnages. Comment votre mise en scène a-t-elle évolué entre ces deux films ? La fabrication d’Un monde sans femmes était plus simple et plus harmonieuse pour ce qui est des rapports entre les acteurs, qui appartenaient à la même génération et se connaissaient déjà. Les scènes, assez naturellement, tenaient bien dans la durée, ce qui était moins le cas pour Tonnerre, dans lequel Vincent était plus isolé, entouré d’une toute jeune comédienne, Solène Rigot, et d’un acteur beaucoup plus âgé, Bernard Menez. C’est un film très nocturne, qui du coup a demandé pas mal d’éclairage. Ça nous a permis, avec Tom Harari, mon chef opérateur, de créer des atmosphères assez fortes, à la lisière parfois du fantastique. L’étang brumeux par exemple, avec cette lumière verte, ressemble à la porte des Enfers, ou à un chaudron de sorcière. J’aime beaucoup aussi la scène au cours de laquelle Maxime reçoit le texto le traitant de pédophile. Le téléphone s’apparente à un objet surnaturel, il projette sur son visage une lumière bleue très étrange. Pourquoi avoir installé le film à Tonnerre, dans l’Yonne ? Mes grands-parents ont vécu dans un petit village juste à côté de Tonnerre, et enfant, j’étais persuadé que cette ville était pleine de sortilèges, de maléfices. En grandissant, je me suis rendu compte qu’elle a en effet quelque chose de très particulier, avec beaucoup de maisons abandonnées et des lieux fascinants, comme ces souterrains qu’on voit dans le film, et qui accueillaient des réunions un peu étranges entre les notables de la ville. J’avais en tête de tourner là-bas depuis des années, et il y avait une alchimie assez évidente entre ce lieu et le sujet du film.

Comment est né le personnage de Maxime, ce rocker sentimental interprété par Vincent Macaigne ? D’abord, je voulais sortir Vincent du personnage qu’il jouait dans Un monde sans femmes et qui avait eu pas mal de déclinaisons dans d’autres films, notamment des courts métrages. Ça ne m’intéressait pas de lui offrir un énième rôle de loser un peu comique, avec ses vêtements de vieil ado. Le personnage du rocker, ça part presque d’une blague. Vincent avait eu une histoire d’amour qui ne s’était pas très bien passée, et la jeune femme en question sortait ensuite avec un critique de rock. Vincent m’avait dit : « Je devrais monter un groupe de rock pour lui faire les pieds. » C’était excitant de l’imaginer en rocker, un personnage séduisant et charismatique, avec un blouson en cuir qui le gaine, et des bottes qui affinent sa silhouette. C’est un artiste en crise… C’est peut-être la part autobiographique du film, en tous cas l’effet miroir qu’il peut y avoir entre son personnage et moi. J’avais très envie que Maxime tire quelque chose de cette histoire d’amour blessante pour lui. Il en fait une chanson à la fin du film. Moi aussi, comme la plupart des gens, j’ai vécu une histoire passionnelle et obsessionnelle, qui heureusement n’a pas été aussi loin. Et j’en ai fait un film. Comment la relation entre Maxime et son père s’est-elle agglomérée à cette histoire d’amour ? Comme Un monde sans femmes, ce film est le mélange de deux projets distincts. J’avais un projet de court ou moyen métrage sur une relation à la fois tendre et difficile entre un père et son fils, pour lequel je pensais d’ailleurs déjà Bernard Menez. Et puis j’avais cette idée d’une histoire d’amour obsessionnelle qui démarrait de façon très légère et lumineuse et se transformait en quelque chose de cruel et violent. Finalement, les deux se sont articulés ensemble très naturellement. Ce système d’écho entre Maxime et son père, ces deux trajectoires qui paraissent d’abord si éloignées et qui se rapprochent étrangement à certains moments, je trouve ça assez beau. Entre un retraité qui habite

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en province et un jeune rocker parisien, il y a un monde, mais au fond il y une sorte d’universalité des émotions. À l’image de ce lien entre des générations diffé­ rentes, le film s’ancre à la fois dans le passé et dans le contemporain. Par certains aspects, Tonnerre pourrait être un film des années 1970, avec le grain du 16 mm, des acteurs comme Bernard Menez, cette petite ville qui n’a pas changé depuis quarante ans… Mais je n’ai surtout pas envie d’être dans le vintage ou dans la nostalgie, et il y a aussi quelque chose de très contemporain dans le film, les téléphones portables, l’ordinateur, certains lieux très modernes comme le restaurant. Je suis assez à l’aise dans cette rencontre entre les deux mondes. J’ai de l’admiration pour des gens comme Maurice Pialat ou Jacques Rozier, ce sont leurs films, avec ce grain assez spécial, qui m’ont donné envie de faire du cinéma. Ça m’intéresse que le film puisse être irrigué par leur travail, qu’il ait des pères, qu’il s’inscrive dans une filiation. Le personnage de Mélodie, joué par Solène Rigot, est d’abord assez peu défini. Maxime n’a pas le désir de vraiment la comprendre, il a plutôt envie de projeter des choses à la fois légères et très profondes sur elle. On ne sait pas grand-chose de Mélodie pendant toute une partie du film, c’est seulement dans le dernier pan qu’elle s’affirme. C’est pour ça que le visage très pur, très blanc, un peu insaisissable de Solène Rigot est intéressant. Je l’avais vue dans 17 filles, elle se démarquait vraiment, elle a une gouaille qui me plaît, même si je l’ai pas mal gommée dans Tonnerre. Ce n’est pas une jeune fille évanescente qui prend des airs envoûtants, elle a quelque chose de très simple, de très ancré, qui donne plus de relief au fait qu’elle se comporte comme une séductrice. 42

Comme pour Un monde sans femmes, vous avez fait appel à de nombreux acteurs non professionnels. Pourquoi ? En effet, dans le film il n’y a que quatre acteurs professionnels. Cela tient d’abord à l’envie très bête de filmer des gens que j’aime ou qui me touchent et que personne d’autre n’aura jamais l’idée de filmer. Ensuite, il y a un effet de contamination de la fiction par le réel, et de conta­mination des acteurs professionnels par les non professionnels, qui ancrent le film dans l’immédiat et le vrai. Filmer des gens qui ont avec eux un vécu, ça permet aussi d’éviter l’écueil des personnages secondaires purement utilitaires. Rares sont les films qui parlent autant de sport : il y a dans Tonnerre des scènes de foot, de vélo, de ski de fond, de danse, de tennis… C’est vrai, et encore, j’ai coupé une scène dans laquelle Bernard Menez jouait au ping-pong. Il y a plusieurs raisons à ça. D’abord, quelque chose qui est lié au personnage que joue Menez. Il essaie de se maintenir jeune et en même temps, comme il est très seul, il s’ennuie, donc il fait du vélo et regarde des vieux matches à la télé. Évidemment, ça vient aussi de moi, parce que quand j’avais 20 ans, mes deux rêves, c’était de devenir journaliste à L’Équipe ou de faire des films. Dans la scène où Maxime et Mélodie font du ski de fond, ce qui est possiblement émouvant, c’est qu’on peut se dire qu’ils vivent là leur plus beau moment ensemble. Mais on sent déjà que quelque chose ne va pas fonctionner, c’est l’effet mélancolique que peut produire le grain de la pellicule : le présent est déjà en train de mourir, c’est déjà presque un souvenir. Tonnerre de Guillaume Brac avec Vincent Macaigne, Solène Rigot… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h40 Sortie le 29 janvier

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décryptag e

LE VENT SE LÈVE Hayao Miyazaki l’a annoncé, ce devrait être son dernier film. Il y expose une vision de l’art radicale à travers la biographie de l’inventeur génial d’un chef-d’œuvre meurtrier, Jiro Horikoshi, le concepteur des avions de chasse Zero.

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PAR JULIEN DUPUY

erminé les virées aériennes en compagnie d’un cochon anar, d’une princesse écolo ou d’une divinité animiste. Pour son ultime œuvre, Hayao Miyazaki atterrit brutalement dans notre réalité avec la biographie de l’ingénieur qui mit au point le terrible chasseur qui enflamma les cieux de la guerre du Pacifique. S’il est logique que Miyazaki, passionné d’aviation, déclare sa flamme à un grand nom de l’aéronautique, on peut en revanche s’étonner que ce pacifiste acharné chante les louanges du créateur d’une machine de guerre. C’est pourtant sur cette contradiction que repose tout le projet du Vent se lève. Dans l’une des séquences oniriques qui ponctuent le film, le mentor imaginaire d’Horikoshi, l’inventeur italien Giovanni Battista Caproni, soumet son

disciple au dilemme qui parcourt toute son existence : « Préfères-tu vivre dans un monde avec ou sans pyramide ? », sous-­entendant que les grandioses tombeaux des rois d’Égypte ont été érigés au prix de nombreuses vies humaines. Pour Horikoshi, comme pour Miyazaki, la réponse est claire : quand un artiste est en voie d’accomplir son opus magnum, rien ne doit entraver sa voie, qu’il s’agisse de passions intimes (Horikoshi sacrifiera l’amour de sa vie à son projet) ou de scrupules idéologiques. Sous ses dehors d’hagiographie contemplative, Le vent se lève est ainsi une ode à la liberté de création violemment anticonformiste. Un manifeste à destination de la relève. de Hayao Miyazaki Animation Distribution : Walt Disney Durée : 2h06 Sortie le 22 janvier 2014

qui pour prendre

LA RELÈVE

de hayao miyazaki ? PAR J.D.

MAMORU HOSODA – LE PARIA

Le réalisateur des Enfants loups, Ame & Yuki est très certainement le plus talentueux de tous les prétendants à la succession de Miyazaki. Toshio Suzuki, tête pensante du studio Ghibli (cofondé par Miyazaki) le recrute en 2001 pour mettre en scène Le Château ambulant. Mais le caractère très affirmé de Hosoda ne s’accommode pas de la présence écrasante de Miyazaki. Après un an de travail, Hosoda abandonne le film en pleine production et se jure qu’il ne remettra plus jamais les pieds au studio Ghibli.

HIROMASA YONEBAYASHI – L’OUVRIER

Hiromasa Yonebayashi décroche la réalisation d’Arrietty, le petit monde des chapardeurs parce qu’il est un serviable animateur chez Ghibli. Mais à la surprise générale, ce film de commande révèle un vrai tempérament de cinéaste. Tant et si bien que cet humble artisan mettra en scène le Ghibli cuvée 2014. À ce titre, son parcours rappelle celui de Yoshifumi Kondō, autre animateur Ghibli promu réalisateur sur Si tu tends l’oreille (1995) et qui fut considéré comme le digne successeur de Miyazaki, avant de décéder brutalement.

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© makoto shinkai/comix wave films

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Makoto Shinkai Portrait de ce grand cinéaste en devenir à l’occasion de la sortie de sa dernière œuvre, The Garden of Words. PAR J.D.

Le manque de notoriété dont pâtit encore Makoto Shinkai s’explique en partie par l’indépendance incurable de ce réalisateur qui, jusqu’à présent, a refusé de s’assujettir à un studio. Œuvrant indifféremment dans le long, le moyen et le court métrage, Shinkai récidive avec The Garden of Words, que sa durée bâtarde cantonne au marché de la vidéo : « Mon histoire se raconte sur quarante-sept minutes, pas une de plus, et il était pour moi inconcevable qu’il en soit autrement. Bien entendu, cela a posé des soucis pour le financement et la distribution. Mais avec les producteurs, nous avons décidé que le marché devait s’adapter à notre film, et non l’inverse. » Romance entre un apprenti cordonnier et une femme d’âge mûr, The Garden of Words revisite l’une des thématiques favorites de Shinkai : l’amour impossible entre deux êtres séparés par une frontière, qu’elle soit physique (5 centimètres par seconde), temporelle (Voices of a Distant

GORO MIYAZAKI – LE FILS BIOLOGIQUE

Fils de Hayao Miyazaki, Gorō gérait le musée Ghibli avant de mettre en scène Les Contes de Terremer sur l’impulsion de Toshio Suzuki. Mais Miyazaki père ne cautionne pas cette promotion : il refuse d’adresser la parole à son fils durant toute la production et déclare à la télévision japonaise tout le mal qu’il pense de ce coup d’essai qui s’ouvre, rappelons-le, sur un parricide. Toujours protégé par Suzuki, Gorō s’est vu accorder une seconde chance avec La Colline aux coquelicots et planche sur un nouveau film.

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Star) ou sociale avec The Garden of Words. Ce moyen métrage est également une ode au pouvoir évocateur de l’animation avec des personnages incroyablement incarnés desquels il émane un érotisme tout en suggestion, mais néanmoins troublant : « Mon héros est un adolescent. Lorsqu’on choisit cette tranche d’âge, il est inévitable d’évoquer l’éveil à la sexualité. De plus, je crois que, par essence, le film d’animation est fétichiste, puisqu’il est conçu par des gens obsédés par les détails. C’est une caractéristique que j’exploite pleine­ment ici, notamment quand le jeune homme mesure le pied de la femme. » Chouchou des critiques nippons et des amateurs de japanimation, Makoto Shinkai n’a pas échappé à la comparaison avec Hayao Miyazaki, une influence majeure, particulièrement sensible dans son long métrage Voyage vers Agartha. Le cinéaste, dont le film préféré est Le Château dans le ciel, assume cette filiation : « Le rapprochement entre mon œuvre et celle de Miyazaki me semble inévitable, puisque j’ai grandi en voyant ses films. Mais en vérité, je crois que si cette comparaison est si fréquente, ce n’est pas tant parce que nos styles se ressemblent, mais parce qu’il y a finalement peu d’auteurs-réalisateurs dans l’animation japonaise. Et puis contrairement à lui, je ne pense pas que je serais à ma place au sein d’un studio comme Ghibli. » Un incurable indépendant. The Garden of Words de Makoto Shinkai Animation Distribution : Kazé Durée : 0h47 mn Sortie en DVD et Blu-ray le 8 janvier

HIDEAKI ANNO – LE FILS SPIRITUEL

Voilà très certainement le fils que Miyazaki aurait aimé avoir. Animateur sur Nausicaä de la vallée du vent, Anno vole rapidement de ses propres ailes pour créer Neon Genesis Evangelion tout en restant en contact avec son maître. Dernièrement, les deux hommes se sont rapprochés : Anno a conçu un court métrage pour le musée d’Art moderne de Tokyo produit par Ghibli, il prête sa voix au personnage principal du Vent se lève et, selon une rumeur persistante, il travaillerait à une suite de Nausicaä de la vallée du vent.

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DON JON

© mars distribution

JOSEPH GORDON-LEVITT

« C’est l’histoire d’un type qui se libère du carcan dans lequel on a voulu le mettre. » 48

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Avec son look de dandy sympathique, sa mèche bien travaillée, ses yeux malicieux et son sourire juvénile, Joseph Gordon-Levitt est devenu en quelques films (Inception, Looper) le parfait gentleman de Hollywood. Il cherche à bousculer son image (trop) lisse avec sa première réalisation, Don Jon, un film cru qui interroge notre rapport à la pornographie. PAR RENAN CROS

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clectique et exigeant dans ses choix, Joseph Gordon-Levitt a construit sa carrière sur son charme indéniable. Poussant le bon goût jusqu’à pratiquer un français impeccable, l’acteur pérennise le fantasme d’un Hollywood à l’européenne. Pourtant, pour son premier passage derrière la caméra, ce jeune homme bien sous tous rapports a décidé de se lancer dans une comédie sexuelle sur l’effet de la pornographie dans les rapports entre hommes et femmes. Déconcertant ? « Je revendique le droit de faire des films qui divisent », se défend cet admirateur du cinéma des frères Coen et des comédies de mœurs des années 1970. Il a construit Don Jon comme « une farce qu’il faudrait prendre au sérieux ». Son film est une histoire romantique écrite et filmée « du point de vue du mâle américain moyen », archétype qu’il interprète avec bagou. À mille lieux du personnage d’amoureux propret éconduit qu’il incarnait dans (500) jours ensemble (2009), il arbore ici des cheveux courts et un débardeur laissant apparaître ses muscles saillants, un rôle en forme de contre-­ emploi salvateur. Acteur depuis l’âge de 7 ans, passé notamment par des séries à succès comme That’s 70’s Show ou Troisième planète après le soleil, le jeune homme de 32 ans possède déjà une carrière fournie. Révélé en 2005 par son interprétation d’un adolescent prostitué dans Mysterious Skin de Gregg Araki, le comédien n’a eu de cesse depuis de gravir les échelons du cinéma grand public, jusqu’à tenir l’un des rôles clés du dernier Batman de Christopher Nolan (The Dark Knight Rises, 2012). Il sera prochainement à l’affiche d’un autre blockbuster, Sin City : j’ai tué pour elle de Frank Miller et Robert Rodriguez. ENTRE FANTASME ET RÉALITÉ

Avec Lincoln, sorti en 2012, Gordon-Levitt a réalisé un rêve d’enfant : tourner avec Steven Spielberg. Très impressionné par le savoir-faire du maître, il dit avoir observé chaque minute du tournage comme une leçon à retenir. Pourtant, Don Jon s’éloigne franchement des stéréotypes du cinéma hollywoodien. Montage très rapide, profusion de sons, surgissements pornographiques, le film ne lésine pas sur les effets chocs. Mais, bienséance et rentabilité obligent, il ne franchit jamais la ligne

jaune. Gordon-Levitt voit dans le héros de son Don Jon une version modernisée, « à la fois pathétique et touchante », du Dom Juan de Molière. Si la pornographie est au cœur du film, le jeune réalisateur n’a pas pour ambition de questionner l’addiction et le sexe, mais plutôt d’explorer la frontière entre fantasme et réalité : « On demande aux hommes d’être super virils, aux femmes d’être super féminines, à tous d’être immédiatement performants et d’être toujours à la hauteur. Mon film, c’est l’histoire d’un type qui se libère du carcan dans lequel on a voulu le mettre. Parfois, on prend les gens pour des objets et on voudrait les faire rentrer de force dans des cases. » Quand on lui demande alors s’il a parfois l’impression d’être lui aussi enfermé dans une case, l’acteur botte en touche et préfère célébrer la liberté de ton. « On pense trop de manière binaire aujourd’hui. Cela étonne tout le monde quand je dis que Don Jon est un film grand public. Mais quoi de plus grand public qu’un film qui parle de la culture qui nous entoure ? Si le film réussit à bousculer un peu les idées préconçues, tant mieux. Mais, au départ, je vise le divertissement. C’est le meilleur moyen de toucher les gens. » Pourtant, difficile d’imaginer un tel projet sans l’aura de cette jeune star et celle de Scarlett Johansson avec qui Gordon-Levitt partage l’affiche. Bien conscient des limites de son film, il n’a d’ailleurs pas hésité à faire appel aux réseaux sociaux pour créer l’engouement à grand renfort de photos sulfureuses et d’interviews en forme de jeux de rôle. Scénariste, réalisateur et interprète, mais aussi musicien à ses heures, il est très investi dans la plateforme en ligne HitRecord, maison de production collaborative qu’il a créée en 2004. Quand on compare ce toucheà-tout à un autre ultraproductif, James Franco, il éclate de rire : « C’est sûr que James et moi, on ne doit pas beaucoup dormir. Je pense qu’on aime la culture pop par-dessus tout. Aujourd’hui, elle est partout. Si on lui donne des limites, elle n’a plus de sens. C’est à nous de la réinventer en permanence. Je ne crois pas que la curiosité soit aujourd’hui un si vilain défaut. » Don Jon de Joseph Gordon-Levitt avec Joseph Gordon-Levitt, Scarlett Johansson… Distribution : Mars Durée : 1h30 Sortie le 25 décembre

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À quoi rêve Ben Stiller ? Après avoir fait pleurer de rire les écrans, de Mary à tout prix jusqu’à Tonnerre sous les tropiques, il entend faire pleurer de joie. La Vie rêvée de Walter Mitty est sa cinquième réalisation, une belle aventure picaresque qui marque un tournant dans une carrière bâtie jusque-là sur de franches comédies. Entretien avec un explorateur doué qui tourne en terre inconnue. PROPOS RECUEILLIS PAR ÉTIENNE ROUILLON

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alter Mitty (Ben Stiller) développe des photographies au sein de la rédaction du magazine Life. Il passe son temps à mettre en images les exploits des autres. Le roman-photo de sa morne vie ne mon­ tre que des tentatives figées dans l’échec : séduire une collègue (Kristen Wiig), tenir tête à un patron qui veut le virer, trouver quelqu’un avec qui partager les gâteaux de sa mère… Pourtant, Walter passe son temps à sauver des vies, à braver les incendies, à monter des expéditions extrêmes en Antarctique. Mais tout cela n’arrive que dans sa tête, lors de brefs songes éveillés, quand son quotidien est trop endormi. Lorsque la direction de Life annonce un dernier numéro papier avant fermeture définitive, il part à la recherche du dernier cliché de couverture, sur les traces d’un grand reporter vedette (Sean Penn). À 47 ans, Ben Stiller vise lui aussi de nouveaux horizons. Acteur vedette du rire américain depuis deux décennies, qu’il soit rigolo, gras ou familial, il est aussi réali­sateur de comédies bien foutues : Disjoncté, Zoolander ou Tonnerre sous les tropiques. Stiller s’est aussi fait remarquer lors de quelques détours par le sourire triste (La Famille Tenenbaum, Greenberg). Avec La Vie rêvée de Walter Mitty, il veut transformer l’essai de la comédie dramatique, cette fois des deux côtés de la caméra. Et cela n’arrive pas que dans sa tête.


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Après Zoolander et Tonnerre sous les tropiques, vous abordez un genre qui vous est moins familier en tant que réalisateur. Est-il plus difficile de rendre les gens heureux que de les faire rire ? C’était une expérience nouvelle pour moi : trouver un moyen de toucher le spectateur sans ironie ni cynisme. L’idée, pour mes films précédents, était de construire une histoire qui serait essentiellement jugée sur sa capacité à faire rire ou non le public. Avec ce projet, ce critère a disparu, et cela a été très libérateur. J’évoluais pour la première fois sur un terrain complétement inconnu. J’ai trouvé ça bien plus excitant. Se dire que l’on va pouvoir toucher les gens par toute une palette d’émotions, sans être limité dans une séquence par le seul horizon du gag. Cela donne une expérience plus personnelle, pour le réalisateur comme pour le spectateur. C’est bien plus gratifiant pour moi. Ici, il n’y a pas de mécanique, pas de recette, on ne sait pas comment ni pourquoi le public va accrocher ; et pourtant cela se produit. C’est un mystère que ressentent tous les réalisateurs. J’avais besoin de ce sentiment qui vous donne envie de continuer à faire des films. Acteur, vous vous étiez déjà frotté à des genres plus éloignés du rire. En 2010, dans la comédie dramatique de Noah Baumbach Greenberg, vous étiez un homme paumé, instable, fragile, cherchant sa place à tâtons, sans trop y croire… Ce film a beaucoup influencé mon travail d’acteur et de réalisateur. Je viens d’ailleurs tout juste de

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finir de travailler sur un nouveau film avec Noah. Il a une telle manière de trouver une vérité dans le jeu des acteurs… Difficile de ne pas s’en imprégner. Jouer ce rôle dans son film m’a probablement aidé à me mettre dans la peau de Walter Mitty, à comprendre son parcours, bien que le rôle de Roger Greenberg soit plus sombre. Je me suis retrouvé sur le projet de La Vie rêvée de Walter Mitty par le scénario. J’en avais lu un il y a sept ou huit ans ; il s’agissait de faire un remake de la version de 1947 [voir encadré, ndlr]. Il était pour moi impossible de passer après Danny Kaye. Son interprétation du rôle a fait de ce film un classique de la comédie musicale. J’ai lu un autre scénario, écrit par Steven Conrad, qui cherchait à tirer l’histoire d’origine vers quelque chose de plus intime, un voyage initiatique sous la forme d’une quête de soi-même, d’un dépassement de soi. En tant qu’acteur, cela me touchait. C’est ici que je fais le lien avec mon expérience sur Greenberg, je trouvais dans ce scénario quelque chose qui m’interpellait sentimentalement. Il n’y avait pas de réalisateur associé au projet. Au fur et à mesure que nous cherchions un réalisateur avec Steven, alors que je m’investissais de plus en plus dans cette histoire, j’ai commencé à faire un petit DVD, avec des images et de la musique, pour définir la tonalité que nous voulions donner au film. J’ai présenté ces éléments au studio et ils ont décidé de me confier la réalisation. Comme son héros, le film emprunte des chemins qui partent un peu dans tous les sens. Il y a des scènes d’action, de contemplation, des

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moments intimes dans le cadre familial ou professionnel comme des passages oniriques ou démesurés. Comment trouvez-vous l’équilibre, la cohérence qui charpentera l’ensemble ? Il faut que ça vienne des tripes. Il faut tenter. On peut bien sûr s’inspirer d’autres films, chercher des références. Mais ce n’est pas ce qui va faire qu’au moment du montage, la structure tiendra d’ellemême. Un réalisateur doit définir son propre périmètre d’expression, son propre langage. J’aime les films qui ont un ton très particulier, qui n’appartient qu’à eux. Des films qu’on a du mal à définir, qui ne peuvent être cantonnés à un genre. Ce film permettait d’explorer ce territoire. Il allait donc y avoir des moments de pur fantastique, qui me conduiraient vers une forme de poésie, et en même temps le scénario ancrait le personnage

dans une réalité quotidienne. Le passage de l’un à l’autre a été très intéressant. Sur mes précédents films, je recherchais à chaque fois une constance dans le rapport au réel. Plus j’étais constant, mieux c’était. Ce que je veux dire, c’est qu’y compris sur Zoolander, on est toujours dans la réalité, même si elle est assez perchée. Pour pouvoir passer d’une forme de réalité à une autre, il faut que le public suive, qu’il puisse avoir confiance, que des acteurs, par l’intégrité de leur jeu, emportent son adhésion, même s’ils n’apparaissent que brièvement à l’écran. C’était le cas de Robert Downey Jr. dans Tonnerre sous les Tropiques, et c’est la même chose cette fois-ci avec Sean Penn, Kristen Wiig ou Shirley MacLaine. Grâce à eux, j’ai pu jouer sur différents niveaux de réalité, passer d’une réalité fantasmée à un quotidien tangible.

avant la vie rêvée…

La Vie secrète de Walter Mitty est d’abord une nouvelle de James Thurber publiée en 1939. Centré sur le morne trajet d’un homme qui accompagne sa femme faire des courses, le récit dérive à plusieurs reprises dans des digressions imaginaires. Devenu le symbole d’une classe moyenne américaine engoncée dans son quotidien, Walter Mitty et ses échappées oniriques sont passés dans le langage courant. « Mittyesque » définit ainsi en anglais une aptitude à la rêverie. Le texte est adapté au cinéma en 1947. Le film met en valeur les multiples talents de la star comique de l’époque, Danny Kaye, sorte de pré-Jerry Lewis, et n’hésite

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pas à aller à l’encontre du récit intimiste de Thurber pour s’offrir de grandes scènes spectaculaires. Chaque rêve est l’occasion d’un pastiche des grands genres hollywoodiens. Mieux encore, Walter Mitty, devenu ici un fringant éditeur accablé par ses mornes journées, se retrouve embarqué dans une histoire d’amour et d’espionnage plus vraie que nature. Le film de Ben Stiller synthétise cette double vie du personnage. Revenant à l’amertume et à la simplicité de la nouvelle, cette version de 2013 cherche à conjuguer l’intime de l’écrit et le spectaculaire du cinéma en faisant du quotidien la plus grande aventure de Walter Mitty. RENAN CROS


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LE CINÉMA PEUT-IL RENDRE HEUREUX ? Les films de bons sentiments sont souvent réunis autour de l’appellation « feel good movie », c’est-à-dire les films qui font se sentir bien. Un film et son réalisateur peuvent-ils rendre heureux ? Triste ? Nous avons posé la question à Mariam Chammat, chercheuse en neurosciences cognitives à l’institut du Cerveau et de la Moelle (ICM). Elle étudie les mécanismes de la perception et de la cognition et nous explique ce qui se passe dans notre crâne quand on est face à l’écran. PROPOS RECUEILLIS PAR ÉTIENNE ROUILLON

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osons le décor, y a-t-il un endroit dédié au bonheur dans le cerveau ? Le bonheur est un concept que l’on étudie rarement en tant que tel en neurosciences parce qu’il est complexe. La neuroscience approche néanmoins ce phénomène en le divisant en plusieurs facettes plus faciles à étudier, comme le plaisir, ou les émotions positives : rire à une blague dans un film par exemple. Par ailleurs, il n’existe pas de « zone du bonheur » ou de « siège des émotions » dans le cerveau, parce que les émotions sont le fruit de procédés très interactifs. On ne pourrait pas localiser une seule zone spécifique au bonheur. En bref, il est très difficile de conclure que quelqu’un est heureux ou malheureux en regardant son cerveau. Vous travaillez sur la façon dont les émotions impactent la perception visuelle. Comment peut-on savoir si un film nous touche émotionnellement ? On peut dire qu’un film nous touche émotionnellement s’il suscite en nous une forte réponse cérébrale émotionnelle, s’il nous rappelle un événement personnel ou s’il engage fortement notre attention. Mes études sur l’attention d’une personne à une image peuvent nous donner une idée des mécanismes en jeu, même s’il ne faut pas oublier que contrairement à une image fixe, un film est un stimulus multidimensionnel. Il mobilise de nombreuses

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parties du cerveau : le cortex auditif pour le son, le cortex visuel pour les couleurs et les mouvements, les réseaux du langage, de la mémoire, etc. Des études ont été faites pour comprendre ce qui se passe dans notre cerveau lorsqu’on regarde un film. Une de ces études, menée par Uri Hasson et son équipe, montre qu’un film donné peut activer des régions cérébrales communes chez les spectateurs, et que selon le film, le degré d’activité commune peut varier. C’est en testant un certain nombre de spectateurs grâce à l’IRM fonctionnelle que des chercheurs ont pu montrer qu’en visionnant Bang You’re Dead d’Alfred Hitchcock, 65 % des régions actives dans le cerveau des spectateurs étudiés étaient des régions communes, alors qu’en montrant Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone, il n’y avait que 45 % de régions communes. Ce chiffre passe à 5 % lorsque l’on montre un clip lambda de gens qui marchent dans la rue. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les différents réalisateurs utilisent différents outils pour provoquer et diriger notre attention : un cadrage, un mouvement de caméra, une musique spécifique, un montage… Le réalisateur est en quelque sorte un chef d’orchestre de notre attention et certains réalisateurs engageraient plus notre attention. Une question qu’on pourrait donc se poser légitimement, c’est si justement cet engagement attentionnel ne peut pas être aussi le reflet d’un engagement émotionnel pour le film.

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e n couve rtu re

L’acteur Ivan Mosjoukine dans la démonstration de « l’effet Koulechov », mis en évidence par le théoricien russe Lev Koulechov en 1922

Un chien m’attaque dans la rue, j’ai peur. Un chien attaque le héros du film, j’ai peur. Mon cerveau fait-il la distinction entre un stimulus de peur réel et un autre fictif ? Ce n’est pas la même peur ; en tous cas, elle n’entraîne pas tout à fait les mêmes réactions. C’est peut-être pour cela que l’on aime autant le cinéma. Lorsque le danger est réel, on active une réponse cérébrale qui va par exemple permettre d’échapper à un chien qui nous attaque. Devant un film, on est dans un mode « sécurisé » : rien ne va m’arriver, mais je m’expose à des sensations fortes. Même si paradoxalement, plus on arrive à ne pas sentir que c’est une fiction, plus on aime l’expérience du film. Ainsi, on entend souvent : « Il joue bien, j’ai oublié l’acteur derrière le personnage. » À quel point un film peut-il avoir de l’effet sur notre humeur ? En neurosciences, on fait des expériences dans lesquelles on montre des extraits vidéo pour faire de l’induction émotionnelle. Par exemple, on montre un extrait de film triste, et ensuite on montre des visages neutres, pour voir si le film triste impacte la perception des visages [c’est le principe qui fait fonctionner l’effet Koulechov, un effet de montage cinématographique qui produit de l’induction émotionnelle, ndlr]. Mais l’induction émotionnelle n’a pas d’effet durable. Un film va nous affecter un certain temps au sortir de la salle de cinéma : dix minutes, une heure, trois heures… Cela dépend du contexte. Par exemple, je pourrais avoir peur plus longtemps si je regarde un film d’horreur seule à minuit dans une maison isolée. Mon état émotionnel en amont de la projection du film va aussi influencer ma perception. On a fait des études qui montrent cette influence. Imaginons

« Il est très difficile de conclure que quelqu’un est heureux ou malheureux en regardant son cerveau. » que je sois d’humeur positive, si on me montre une liste de mots, mon attention va être plus portée vers les mots positifs de la liste que sur les mots négatifs de la liste. Et inversement. La disposition dans laquelle on est avant le film va affecter ce que l’on va percevoir, ce que l’on va remarquer, ce que l’on va omettre. Si l’on fait l’exercice de revoir un même film plusieurs fois à des années d’intervalle, on remarque à chaque fois des éléments différents, parce que notre état est changé. S’il n’a pas d’effet d’induction émotionnelle sur le long terme, cela veut-il dire que le cinéma ne peut pas me rendre heureux ? Ce qu’on peut noter comme effet indéniable, c’est que pendant la projection, un bon film nous plonge dans un état de désengagement par rapport à notre quotidien, parce qu’il peut nous immerger dans un monde très différent de celui que l’on connaît. On pense vraiment à autre chose, et pendant un moment, on peut sortir d’une situation de stress. Il y a un effet de parenthèse indéniable. Un effet qui pourrait être plus fort dans la salle de cinéma que chez soi, parce qu’il s’agit d’une plongée brutale dans un environnement baigné dans le noir, et d’un très grand écran qui nous aspire. On ne peut pas dire que le cinéma rend heureux de lui-même, mais le désengagement qu’il procure détend, cette parenthèse relâche.

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ON PEUT ÉVIDEMMENT FAIRE DE BONS FILMS AVEC DE BONS SENTIMENTS…

…mais Ben Stiller y parvient-il avec La Vie rêvée de Walter Mitty ?

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PAR ÉTIENNE ROUILLON

de Ben Stiller avec Ben Stiller, Kristen Wiig… Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h56 Sortie le 1 er janvier

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OUI

NON

PAR JULIETTE REITZER

B

en Stiller a le courage de ne pas s’embarrasser de savoir si les transports de son héros sembleront nunuches ou cucul-la-praline, quitte à faire passer cette douceur en force. C’est un film gentil, mais pas au sens de « sympathique et benêt ». Il y a là une vraie bonté, une naïveté un peu foutraque, mais irréductiblement sincère. Il s’inscrit dans la lignée de tous ces films qui présentent un voyage initiatique dont l’exemplarité doit vous regonfler le moral. Mais quand Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain fait pousser son bonheur bonhomme sur un folklore désuet, ou quand Big Fish claironne son allégresse dans la chronique démesurée de toute une vie, La Vie rêvée de Walter Mitty se concentre sur un simple moment dans un quotidien universel, actuel et limpide. Surtout, c’est un exemple peu courant de héros hollywoodien qui se dépasse dans sa solitude, sans compétition avec les autres ou acquisition de biens matériels. Ce fond vertueux est suffisamment rare pour légitimer des moments « carte postale ». Et si les intentions esthétiques paraissent légères, c’est parce que Stiller sait que les auteurs des plus beaux contes savent se faire efficaces dans leur plume. Le chemin qui mène à leur morale n’en est que plus clair.

© 20th century fox

D

’emblée, la jolie idée qui consiste à installer l’histoire dans le contexte des difficultés de la presse souffre d’un manque de subtilité : les nouveaux patrons, symboles du cauchemar capitaliste et du tout dématérialisé, sont des décérébrés obnubilés par l’argent ; les partisans du papier, des doux dingues mal fagotés qui aiment, forcément, les plantes vertes. À l’écran, les rêves éveillés de Walter donnent lieu à autant de scènes convenues – il mouche le boss antipathique ou embrasse la belle collègue. Maladroitement intégrées au récit, elles ont une fonction trop évidente : insister sur l’incapacité du héros à vivre sa vie. Mais les parenthèses fantasmées laissent bientôt place aux aventures réelles du héros en voyage, sur l’air de la quête initiatique. À trop vouloir célébrer le bel épanouissement de son personnage, Ben Stiller aligne les clichés. Du Groenland à l’Himalaya, c’est une débauche de situations rocambolesques, grandioses ou héroïques, au cours desquelles tout semble artificiel. Les autochtones croisés en route sont cantonnés à un exotisme décoratif. Les paysages naturels ont la saveur calibrée d’un documentaire sur les sports extrêmes. La Vie rêvée de Walter Mitty manque d’un projet esthétique à la hauteur de ses belles intentions.


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ARNAUD ET JEAN-MARIE LARRIEU

L’AMOUR EST UN CRIME PARFAIT Avec L’amour est un crime parfait (lire la critique p. 100), les frères Larrieu signent un thriller neigeux extrêmement intrigant dans lequel Mathieu Amalric, prof de fac très porté sur les jeunes filles, perd progressivement pied, à mesure que l’hiver se referme sur lui. Quelque part entre les sommets de Twin Peaks et le film d’auteur ciselé, Arnaud et Jean-Marie poursuivent avec bonheur leur exploration de sentiers peu empruntés par le cinéma français.

© gaumont

PROPOS RECUEILLIS PAR LAURA TUILLIER

« Marc est très romantique, c’est une espèce en voie d’extinction. » 58

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ourquoi adapter le livre de Philippe Djian, Incidences ? Nous avions depuis longtemps l’envie de faire ce que nous appelions un « polar suisse ». Philippe Djian ne nomme pas vraiment les lieux de l’action de son livre, mais il nous a raconté s’être inspiré de la Suisse. Ce qui nous intéressait, c’était de tourner dans un endroit très neigeux. Après Les Derniers Jours du monde, qui se termine un 14 juillet, vous signez un film blanc, glacé. Oui, nous avons beaucoup travaillé le blanc, qui représente à la fois les pertes de mémoire de Marc, la peur de la page blanche, la virginité et, le cœur du film, la question des traces que l’on efface. Comment choisissez-vous les lieux dans lesquels vous tournez ? Nous ne découpons pas les séquences avant la prise de vues, mais le moment des repérages est essentiel, c’est là que le film s’inscrit dans l’espace. Les Alpes, c’était comme un studio à ciel ouvert. Nous aimons beaucoup filmer dans la nature et utiliser de la lumière artificielle pour tendre vers le fantastique. Par exemple, lorsque la neige tombe, elle est vraie, mais comme nous l’éclairons violemment, ça lui donne un côté presque factice. Le campus dans lequel enseigne Marc tranche avec le paysage bucolique alentour. Nous tenions à ce côté film d’anticipation, comme si l’on se retrouvait après l’apocalypse des Derniers jours… Le campus est ultra-contemporain, tandis que le chalet dans lequel vivent Marc et sa sœur représente un monde déjà mort. Marc est très romantique, c’est une espèce en voie d’extinction. D’ailleurs, dans ses cours, nous avons veillé à ce qu’il parle de choses anciennes : Ulysse, Dante… L’atmosphère du film évoque beaucoup les films de David Lynch. Aviez-vous des images de références avant de tourner ? Pour la première fois, nous avons composé un « mood book » [recueil de référents visuels donnant l’atmosphère d’une œuvre, ndlr]. On y avait mis beaucoup d’images tirées des films de Lynch effectivement, de Lost Highway notamment. Je pense que cela vient du fait que Djian est un écrivain très « américain », en le lisant on voyait tout de suite des plans de films noirs. Pour le campus, nous avons pensé à Elephant de Gus Van Sant.

Le film évolue sur la mince frontière qui sépare le vrai du faux, je pense notamment au personnage joué par Maïwenn. C’est vrai que nous tenions à ce que Maïwenn joue très premier degré, alors qu’elle ment tout au long du film. Son personnage se rapproche de ce à quoi doit arriver une actrice – apporter des sentiments vrais à l’intérieur d’un scénario qu’il faut respecter. À l’inverse, Karin Viard a beaucoup composé ce personnage de femme fatale comme on en voit dans les films américains des années 1940-1950. Marc vit avec sa « sœur fatale ». Vous travaillez avec Mathieu Amalric depuis La Brèche de Roland (2000). Qu’est-ce qui vous séduit chez lui ? Nous avions envie de retrouver Mathieu dans un rapport très fort au texte. Il est doué pour ça, mais ça le met en tension. À chaque fois, on se dit qu’on va beaucoup travailler en amont, mais Mathieu est trop pris, il arrive à la dernière minute et pourtant il est exactement dans l’état que le rôle requiert. Finalement, c’est quelque chose qui nous correspond, de faire en sorte que les choses se passent seulement au moment où la caméra tourne. Ce qui veut dire pas de répétitions ? Non, pas de lectures non plus. Il arrive en sachant parfaitement son texte, mais nous découvrons au tournage ce qu’il compte nous proposer. Il est très différent de Denis Podalydès [qui joue son supérieur, ndlr], qui vient du théâtre et aborde les choses beaucoup plus posément. La tension entre ces deux styles fonctionnait très bien. Est-ce confortable de réaliser des films à deux ? Dans beaucoup de films français, le réalisateur s’occupe de la direction des acteurs et, un peu par défaut, le chef opérateur prend en charge la façon de filmer. Chez nous, Arnaud est au cadre, JeanMarie s’occupe davantage des acteurs, mais c’est la même pensée qui dirige toute la mise en scène. Au montage nous sommes trois, donc les choses sont encore plus simples. L’important c’est de sentir le film dans son ensemble, de passer rapidement sur les raccords. On arrive toujours à trois versions, une molle, une sèche et une qui, soudain, s’impose. À la fois vivante et rigoureuse. L’amour est un crime parfait d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu avec Mathieu Amalric, Maïwenn… Distribution : Gaumont Durée : 1h50 Sortie le 15 janvier

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WILLY KURANT, CHEF OPÉRATEUR

Années-lumière Il a travaillé avec Agnès Varda, Jean-Luc Godard ou Orson Welles. Le Belge Willy Kurant est un grand sculpteur de lumière. Dans La Jalousie de Philippe Garrel, il revient à un style Nouvelle Vague, avec un noir et blanc très tranché. Rencontre.

©willy kurant

PAR QUENTIN GROSSET

Philippe Garrel et Willy Kurant sur le tournage de La Jalousie

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as question de ne pas ramener d’images lorsqu’on est à l’autre bout du monde en reportage. Dans les années 1950, Willy Kurant, la vingtaine, prend ce précepte comme devise, sillonnant la planète pour rapporter des informa­ tions aux journaux télévisés français, belges et suisses. Il participe aussi à l’émission Neuf millions, partenaire belge de Cinq colonnes à la une, qui l’envoie à Cuba, au Viêt Nam, au Congo et dans tout le Moyen-Orient. « J’étais un des pionniers de ce que l’on appelle le cinéma direct [courant du cinéma documentaire qui a pour ambition de capter « directement » le réel, à l’aide de caméras légères et d’enregistrements en son synchrone, ndlr]. J’étais freelance, payé au sujet. Comme j’avais beaucoup travaillé, j’ai pu m’acheter deux caméras, une synchrone et une Arriflex 35, qui est une caméra de poing », raconte-t-il, comme s’il y était encore. Pendant ses années de voyage, le futur directeur de la photographie couvre la guerre à Chypre, se fait prendre en otage au Congo ou donne quelques cours de technique à Fidel Castro quand il passe par Cuba. Jamais il ne rentre les mains vides. Déterminé, il s’adapte facilement aux conditions de

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tournage difficiles, en extérieur, en caméra portée. Bien sûr, cela plaît aux jeunes turcs de la Nouvelle Vague, qui se l’arrachent. Surtout que, non content de savoir se servir d’une caméra, Kurant connaît également la chimie, bien utile pour révéler les négatifs. « Comme il n’y avait pas d’école de cinéma en Belgique, je suis resté deux ans dans un laboratoire de recherche. Deux chimistes y travaillaient

« À l’hôtel Raphael, Orson Welles m’a reçu en peignoir rose. » sur les nouveaux procédés couleurs et testaient tout ce qui existait en matière de pellicule, de temps de développement, de tirage, d’étalonnage. » À 19 ans, il signe la photographie de Klinkaart de Paul Meyer, un court métrage filmé en 35 mm avec sa caméra personnelle. « J’étais alors influencé par la photo sociale de la Grande Dépression américaine : Dorothea Lange, Paul Strand… » Le chef opérateur arrive à Paris en 1962 et fait ses armes sur quelques courts métrages. Puis Agnès Varda

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©willy kurant

pôle e m ploi

> CV 15 février 1934 ©willy kurant

Naissance à Liège

1967

Il fait la photographie d’Anna, téléfilm de Pierre Koralnik devenu culte.

Avec Orson Welles (au fond)

1975

Serge Gainsbourg fait appel à lui pour la lumière de Je t’aime moi non plus. Par la suite, il collabore avec le chanteur sur tous ses films sauf Stan the Flasher. ©willy kurant

2013 Avec Maurice Pialat

repère sa dextérité et l’engage sur le tournage des Créatures en 1966. « Godard a vu les rushes et m’a proposé Masculin Féminin. Le premier jour de tournage, il m’a demandé avec quelle caméra je souhaitais cadrer. J’ai répondu que je voulais une Arriflex, pour être plus souple et pouvoir me déplacer facilement. Il a refusé et m’a imposé une Mitchell, parce que ça faisait cinéma américain. » LA NUIT AMÉRICAINE

Kurant est alors appelé par Orson Welles pour Une histoire immortelle en 1967. Le réalisateur a viré son chef opérateur dès le premier jour de tournage et cherche quelqu’un sachant travailler rapidement. « À l’hôtel Raphael, il m’a reçu en peignoir rose, fumant un cigare. J’ai expliqué quel genre de projecteur je voulais utiliser, des appareils survoltés qui donnent beaucoup de lumière, ce qui était nécessaire, car la pellicule couleur était alors très peu sensible. Il m’a dit : “Formidable ! Vous savez qui les a inventés ? Le chef électro de Citizen Kane.” » La collaboration avec le cinéaste se poursuit sur The Deep et sur L’Héritière, tous deux restés inachevés. Pour ce dernier film, « Welles a quitté le plateau pour aller à Vienne manger du bœuf bouilli avec sa petite amie ». S’ensuit une relative traversée du désert qui amène Kurant à Hollywood, où il va rester pendant vingt-cinq ans. C’est là qu’il se fait la main sur ce qui va devenir l’une de ses spécialités : la nuit américaine. « Pour la réussir, il faut avoir le soleil dans le dos, et pas en contre-jour ! Car, dans ce cas, le ciel est blanc, or pour ce procédé le but est justement d’avoir du bleu pour pouvoir

Après Un été brûlant, il retrouve Philippe Garrel pour La Jalousie.

le foncer. Sur La Nuit du lendemain (1968), avec Marlon Brando, le réalisateur a loupé deux plans parce qu’il ne m’a pas écouté. » Autre très belle nuit artificielle qui porte sa griffe, celle de Sous le soleil de Satan (1987), de Maurice Pialat. « Ces lumières froides, c’est l’angle du soleil. Je ne coupais pas la caméra lorsque le temps s’obscurcissait puis s’éclaircissait. Je laissais tout arriver. » En 2011, Philippe Garrel le contacte car il souhaite depuis longtemps travailler avec Kurant. « D’après lui, trois chefs opérateurs ont été capables d’obtenir ce qu’il veut : Raoul Coutard, William Lubtchansky et moi. Tous venaient de la Nouvelle Vague. Pour Un été brûlant, il m’avait demandé une image pastel, saturée, avec des couleurs complémentaires. Sur La Jalousie, j’ai fait une photographie au fusain, en noir et blanc Scope, avec mes propres temps de développement. En numérique, je ne peux pas faire ça. » Si son point de vue quant à la disparition progressive de la pellicule n’est pas réactionnaire (« Mon regard sur les nouvelles technologies est distancié, pas “pol-potien” »), Kurant pointe les limites de la prise de vue numérique. « Il y a une netteté qui ne sied pas au visage des femmes, qui fait ressortir leur dureté. Mais ça s’améliore tout le temps. » Et si Kurant possède bien l’une de ces petites caméras, elle prend la poussière sur une étagère, dans un coin sombre. La Jalousie de Philippe Garrel avec Louis Garrel, Anna Mouglalis… Distribution : Capricci Films Durée : 1h17 Sortie le 4 décembre

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SLEEPING BEAUTY

©stéphane manel

JAMES B. HARRIS

« Sue Lyon, qui jouait Lolita, ne pouvait même pas voir le film, c’était ridicule ! » 62

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C’est parfois frustrant, la production. James B. Harris, 85 ans, a commencé sa carrière en trouvant des fonds pour que les idées d’un autre prennent forme à l’écran, mais cela n’a pas vraiment suffi à le satisfaire. Et pourtant, ce n’était pas pour n’importe qui. Harris a financé trois des premiers longs métrages de Stanley Kubrick. Avant de devenir lui-même réalisateur et de diriger des films aussi personnels, énigmatiques et rêveurs que Sleeping Beauty (1973), qui ressort en salles cet hiver. PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

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ILLUSTRATION DE STÉPHANE MANEL

omment êtes-vous devenu producteur ? Quand j’ai rencontré Stanley Kubrick, il cherchait quelqu’un qui pouvait l’aider à financer ses films. Moi, je n’avais jamais rien produit, mais, au fond, il faut simplement un peu de bon sens. J’ai juste dit « je suis producteur », c’est comme ça que j’ai commencé. Kubrick avait alors déjà réalisé deux longs métrages, Fear and Desire (1953) et Le Baiser du tueur (1954), deux œuvres très prometteuses. Il avait juste besoin d’une bonne histoire pour devenir un grand cinéaste. Donc je suis allé dans une librairie et j’ai trouvé ce livre, Clean Break de Lionel White [en français, En mangeant de l’herbe, ndlr], sur un hold-up dans le milieu des courses. J’en ai acheté les droits et c’est devenu L’Ultime Razzia. Votre second projet avec Kubrick, Les Sentiers de la gloire, était beaucoup plus ambitieux… Le film s’est fait sur le seul nom de Kirk Douglas. Sans lui, United Artists n’aurait jamais participé au financement. La façon dont nous voulions montrer la guerre, sans glorification, sans romance, était trop sombre. J’en ai tiré une leçon pour Aux postes de combat (1965), le premier film que j’ai réalisé, avec Richard Widmark et Sydney Poitier. À l’écriture, il faut éviter tout manichéisme. Lolita de Nabokov était un livre controversé. À quel genre de réactions avez-vous dû faire face quand Kubrick et vous l’avez adapté ? La Ligue pour la vertu (the Catholic Legion of Decency), un groupe de pression catholique qui avait assez de pouvoir pour censurer certaines productions moralement sulfureuses, a failli faire interdire le film. Finalement, il est sorti avec une restriction pour les spectateurs âgés de moins de 18 ans. Sue Lyon, qui jouait Dolores Haze (Lolita), ne pouvait même pas voir le film, c’était ridicule ! Ce qui nous a passionnés dans cette histoire, c’est l’obsession. Comment un brillant intellectuel peut soudain être obnubilé par cette jeune fille. Et les critiques n’ont eu pour seule réponse que d’écrire que nous avions trahi le livre… Pourtant, nous avions pris nos précautions en apposant la signature de Nabokov sur le scénario, ce qui lui a d’ailleurs valu

un Oscar, alors qu’en réalité, il n’avait écrit que la première version du script, Stanley et moi l’ayant largement repris. Cette expérience m’a donné envie de passer à la mise en scène, et Kubrick m’a encouragé à sauter le pas. Pourquoi avoir voulu réaliser votre version de La Belle au bois dormant ? Vous aimez le jazz ? Dans cette musique, il y a une ligne mélodique fixe et des variations. Quand vous adaptez une œuvre, c’est exactement la même chose. Sleeping Beauty diffère de la nouvelle de John Collier dont il est inspiré, car je souhaitais parler de l’incapacité d’une personne à maintenir une relation amoureuse. Par le passé, j’ai moi-même eu beaucoup d’aventures qui n’ont pas fonctionné. Dans ces cas-là, c’est facile de rejeter la responsabilité de l’échec sur l’autre, alors qu’on est peut-être soi-même en faute. Il y a un dialogue dans le film qui dit : « Quand vous réveillez une belle endormie, vous courez le risque de vousmême vous réveiller. » Mon personnage masculin pense qu’il peut recommencer une histoire fraîche, idéale et romantique avec cette fille parfaite qu’il sort de son sommeil. Mais il découvre qu’il ne peut pas changer, que c’est en lui-même, et qu’il ne peut pas sauver cet amour. Alors il préfère la rendormir pour moins souffrir. Avec Kubrick, de quelle façon vous êtes-vous réciproquement influencés ? Je lui ai appris toutes les ficelles du business, il m’a montré celles de la réalisation. C’est aussi Stanley qui m’a initié à la psychanalyse et aux conceptions de Stanislavski en matière d’art dramatique, qui m’ont beaucoup inf luencé pour Sleeping Beauty. J’ai pu l’observer sur les plateaux, dans les salles de montage, partout. Nous étions deux jeunes New-Yorkais, soudainement débarqués à Hollywood, et pourtant si différents. J’adorais la Californie, le soleil, le surf, le tennis, le golf. Lui détestait tout ça, il ne pensait qu’au travail. Il m’a enseigné une chose très importante : un cinéaste doit être obsédé par son œuvre. Sleeping Beauty de James B. Harris avec Zalman King, Carol White… Distribution : Les Films du Camélia Durée : 1h30 Sortie le 22 janvier

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EDWARD LACHMAN PAR JULIETTE REITZER

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En 1974, il a 26 ans et fait ses débuts sur un plateau de cinéma : chef opérateur sur Les Mains dans les poches, écrit et joué par un jeune inconnu, Sylvester Stallone. Depuis, cet obsédé de l’image (il a commencé par étudier la peinture à Columbia et à Harvard) a éclairé des films de Werner Herzog, Volker Schlöndorff, Dennis Hopper, Sofia Coppola, Ulrich Seidl, Todd Solondz, entre autres figures du cinéma indépendant américain ou européen. « Créer des images pour la salle de montage, sur lesquelles un studio aura le contrôle, ça ne m’intéresse pas, explique-t-il. Je veux travailler avec des gens qui ont une vision personnelle. » Un point de vue qui l’amène naturellement, au début des années 1990, à croiser Larry Clark, dont il admire depuis toujours le travail photographique. Ils s’entendent tellement bien qu’ils décident de réaliser un film ensemble, projet qui mettra des années à aboutir. « Au final, ce sont des producteurs français et néerlandais qui

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ont financé Ken Park. Ils ont dû penser qu’on n’oserait jamais filmer ce qui était dans le scénario… Mais bon, on avait le final cut. » Si Ken Park reste le seul film qu’il a réalisé, sur les plateaux Lachman se voit toujours comme un égal des cinéastes, « pas toujours pourvus de talent visuel ». « Entre un réalisateur et un chef opérateur, c’est comme un mariage, il y a des bons et des mauvais jours. Il faut une confiance réciproque. » Pour préparer les films auxquels il collabore, Lachman rassemble ses inspirations dans des collages qui forment déjà, avant même le tournage commencé, une véritable trame narrative. Pour lui, les images constituent en effet la grammaire du cinéma, bien plus que les mots. Dans le cadre de son exposition à la galerie Cinéma, visible jusqu’au 11 janvier, il a commenté pour nous une sélection d’œuvres exemplaires de son approche du métier et de son rapport au cinéma. « Edward Lachman », jusqu’au 11 janvierà la galerie Cinéma 26, rue Saint-Claude – Paris IIIe toutes les images © edward lachman

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portfolio

concours de miss, avant le tournage de the last show de robert altman, 2006

« J’étais à Saint Paul, Minnesota, pour le tournage de The Last Show. Et là, j’apprends qu’il y a un concours de miss dans le théâtre même où l’on allait ensuite tourner. J’ai demandé si je pouvais y assister, j’avais mon appareil photo avec moi, comme toujours – je m’en sers comme d’un carnet de notes visuelles. J’adore le photographe Robert Frank, j’avais un peu l’impression d’assister à une scène en couleurs émanant d’une de ses images. »

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portfolio

photogrammes extraits de loin du paradis de todd haynes, 2002

« On a tourné Loin du paradis en pellicule, avec les mélodrames de Douglas Sirk comme référence visuelle. Quand on a tiré une copie numérique du film pour le diffuser à la télé, j’en ai profité pour faire des captures d’images. Il y a beaucoup de fenêtres dans ce film, de plans dans lesquels les personnages regardent dehors, ou dedans, comme dans les tableaux d’Edward Hopper. Ces images, parce qu’elles sont directement extraites d’un film, représentent aussi le regard du spectateur, à travers l’écran de cinéma. »

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heath ledger sur le tournage de i’m not there de todd haynes, 2007

« J’utilise depuis des années les Polaroids sur les tournages, pour vérifier la lumière, les contrastes et l’exposition, une fois les acteurs en place. Pendant I’m Not There, toutes les équipes s’appuyaient sur ces clichés, parce qu’ils étaient en noir et blanc, comme la majeure partie du film. C’est un bon exemple d’une des manières dont le cinéma s’appuie sur l’image fixe, et inversement. Et j’aimais beaucoup Heath Ledger [disparu en 2008, ndlr]. »

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portfolio

la dernière image de river phoenix (dark blood de george sluizer, film inachevé, 1993)

« On avait tourné à peu près 80 % du film en décors naturels dans le sud de l’Utah, et on devait filmer les 20 % restants à Los Angeles. Ce samedi-là, on tournait dans un tunnel transformé en cave. Quand le réalisateur a dit « coupez », j’ai éteint la caméra. Mon assistant l’a rallumée par erreur et elle a donc continué à tourner. River est mort dans la nuit qui a suivi. Le lundi matin, on a regardé les rushes. Après le « coupez », les projecteurs se sont éteints, et River est apparu comme un fantôme, sa silhouette découpée par la seule lueur des bougies. »

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L EduS4 déc.FauI29Ljanv. MS A TOUCH OF SIN

Le réalisateur Jia Zhang-ke ne craint pas la censure chinoise p. 80

TEL PÈRE, TEL FILS

Hirokazu Kore-eda raconte le drame de deux enfants échangés p. 90

12 YEARS A SLAVE

Steve McQueen signe un grand film classique sur l’esclavage p. 104

Rêves d’or Après avoir été assistant caméra puis cadreur sur les plateaux de Ken Loach, d’Oliver Stone ou d’Alejandro González Iñárritu, Diego Quemada-Díez, pour son premier long métrage, nous embarque dans un road-trip avec trois ados guatémaltèques qui veulent atteindre les États-Unis. PAR TIMÉ ZOPPÉ

Dans des toilettes de fortune, une jeune fille saisit une paire de ciseaux et se coupe les cheveux. Elle se bande la poitrine, enfile un t-shirt et une casquette et ressort avec l’apparence d’un garçon. Ce n’est pas un choix, mais son meilleur espoir de traverser les zones dangereuses du Mexique. Les premières scènes de Rêves d’or s’imposent par leur absence de dialogues et l’intensité des regards qui les remplacent. Une narration par l’image qui provient, selon le réalisateur espagnol, autant de son passé de cadreur que de ses études à l’American Film Institute où il affirme avoir « beaucoup étudié les films silencieux, comme ceux d’Aki Kaurismäki. Je voulais parler de politique et de poésie, mais surtout faire un film d’aventure. Un peu comme un western ». Il n’a pas non plus fait de la violence le moteur de l’histoire. Celle-ci s’attache au périple de Sara, Juan et Samuel, trois Guatémaltèques de 15 ans qui cherchent à fuir la pauvreté et à gagner les ÉtatsUnis. La brutalité éclate par surprise, mais n’est jamais démonstrative. « La caméra devait être comme un personnage. Les spectateurs ne devaient pas en savoir plus que les protagonistes, il fallait être avec eux dans les surprises et dans les découvertes. » Le canevas de

l’histoire est formé par la succession de trains sur lesquels voyage la communauté, taiseuse mais soudée, des émigrants. Mais ce sont bien les jeunes, en injectant leur fougue et leur sensibilité dans chaque séquence, qui constituent la pierre angulaire du film. Ils transforment un récit d’émigration classique et très documenté en une véritable histoire du passage à l’âge adulte dans laquelle tous doivent grandir d’un coup. « Aucun des acteurs n’était professionnel. Ils ne connaissaient pas le scénario à l’avance et découvraient l’histoire au fil des jours. Je créais des contextes pour provoquer leurs réactions, et je réécrivais les scènes en fonction de cela. Le tournage est devenu une véritable expérience de vie. » Partis avec leurs sac-à-dos, comme pour aller camper, les trois amis rencontrent Chauk, un Indien du Chiapas qui ne parle pas espagnol. Entre eux, les rêves et les liens se tissent, se brisent, s’imbriquent, pour finalement se cristalliser en une seule image, à la fois belle et triste. Comme la fin de l’adolescence. de Diego Quemada-Díez avec Karen Martínez, Rodolfo Dominguez… Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h48 Sortie le 4 décembre

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Henri PAR ÉRIC VERNAY

© arnaud borrel

Un homme mutique, propriétaire d’un petit restaurant, est complètement paumé à la mort de sa femme. Seul événement dans son quotidien léthargique, la rencontre avec une jeune handicapée… Le deuil, la maladie mentale, l’alcoolisme pénible, la délivrance par l’amour : le deuxième film de Yolande Moreau ne manque pas de sujets graves. L’actrice-réalisatrice belge tente de relever ce mélo par son humour et son sens de la poésie, pour éviter l’écueil des séquences tire-larmes. de Yolande Moreau avec Pippo Delbono, Jackie Berroyer… Distribution : Le Pacte Durée : 1h47 Sortie le 4 décembre

PAR PÉKOLA SONNY

Le cinéaste Andrew Kötting et le romancier Iain Sinclair voguent sur les voies fluviales anglaises à bord d’un pédalo en forme de cygne. Depuis Hastings, ils se dirigent doucettement vers Londres en conversant. Passé l’étrange impression d’assister à un tournage anecdotique, il faut surtout voir dans ce documentaire l’expression intéressante d’un art performance qui se revendique du dadaïsme. L’expérience se prolonge sur plusieurs supports : des cartes, des images, un site Internet.

PAR T.Z.

Shelter des Rolling Stones, Merry Clayton raconte comment elle l’a enregistré, enceinte et en pyjama. Ce sage documentaire vaut le coup pour ces séquences traversées par une fièvre scotchante.

En Afrique du Sud, les relents de l’apartheid gangrènent encore profondément une société dans laquelle les écarts de richesse conduisent à une frustration palpable et violente. Jérôme Salle (Largo Winch) choisit ce contexte pour mettre en scène trois policiers, deux Blancs et un Noir, liés par une solide amitié malgré leurs personnalités différentes. L’enquête qu’ils mènent sur le meurtre d’une jeune femme va bouleverser la ligne de conduite plus ou moins morale que chacun s’était tracée.

de Morgan Neville Documentaire Distribution : Mars Durée : 1h29 Sortie le 4 décembre

de Jérôme Salle avec Orlando Bloom, Forest Whitaker… Distribution : Pathé Durée : 1h50 Sortie le 4 décembre

d’Andrew Kötting Documentaire Distribution : Ed Durée : 1h34 Sortie le 4 décembre

Twenty Feet from Stardom Qui sont les choristes dans l’ombre des grands refrains de Mick Jagger, Sting, Stevie Wonder ou Bruce Springsteen ? En posant la question à ces artistes de légende, le réalisateur découvre celles dont les chœurs à tomber par terre ont apporté ce petit plus qui transforme une honnête ballade en un tube incendiaire. Prenez Gimme

Zulu

©eskwad

Swandown

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PAR É.R.

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Casse-tête chinois PAR LOUIS SÉGUIN

On n’a pas tous les jours 20 ans. Dans L’Auberge espagnole, en 2002, Xavier (Romain Duris) pouvait se permettre d’errer de galères en instants Erasmus inoubliables. Idem pour Cédric Klapisch et sa mise en scène pot-pourri aux effets de montage et de réalisation plus ou moins heureux. La formule a fait mouche, faisant du premier volet de la saga un film générationnel, probablement ce à quoi il prétendait. Les Poupées russes, sorti deux ans plus tard, jouait sur les mêmes ressorts (Xavier se préparait une vie pépère avec la belle Wendy), pour un résultat final plus fade. Alors, douze ans après L’Auberge espagnole, comment conclure les aventures de « ma vie, c’est le bordel » Xavier ? Cédric Klapisch a décidé de revenir à la

source du succès de sa franchise. À 40 ans, Xavier retrouve la précarité de ses 20 ans, squattant ici et là des canapés et accumulant les petits boulots à New York, près de ses enfants et de son ex-femme Wendy. Bingo, c’est justement ce qu’on voulait voir : Romain Duris, plus mal rasé que jamais, semble

retrouver son double maladroit avec joie. À défaut de convaincre les sceptiques, Casse-tête chinois négocie habilement la conclusion de la saga Erasmus de Klapisch.  de Cédric Klapisch avec Romain Duris, Audrey Tautou… Distribution : StudioCanal Durée : 1h54 Sortie le 4 décembre

Le Cours étrange des choses PAR CLAUDE GARCIA

Saul a à peu près quarante ans. Toute la vie de Saul est un à peu près, bien difficile à définir. Sa seule certitude réside dans le fait que son père est à l’origine de tous ses maux. Il décide donc d’aller lui rendre visite, après des années de séparation, avec le but

non avoué de lui cracher la haine de sa propre médiocrité. Pour ce sixième film, tourné en Israël et entièrement en hébreu, le réalisateur français Raphaël Nadjari a pris le soin de donner à ces retrouvailles un rythme étrange, qui figure le malaise entre les

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deux hommes et surtout la surprise du fils lorsqu’il réalise que son père se révèle un personnage plus fouillé que la cari­cature qu’il se plaisait à détester. Ce père, tour à tour distant, fantasque ou démissionnaire, inspire à Saul une tendresse agressive, sentiment à l’identité floue que Nadjari installe en prenant un temps intelligent. Le spectateur touche de près le désarroi de Saul, f lottant dans ces différents niveaux émotifs comme le personnage central flotte entre les niveaux du centre commercial où se fait la rencontre. À la croisée des genres, du drame familial au burlesque onirique, Le Cours étrange des choses finit par trouver son chemin.  de Raphaël Nadjari avec Ori Pfeffer, Moni Moshonov… Distribution : Shellac Durée : 1h40 Sortie le 4 décembre


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Carrie, la vengeance PAR RENAN CROS

Réalisatrice en 1999 du très remarqué Boys Don’t Cry, l’Américaine Kimberly Peirce place cette fois-ci son questionnement sur l’identité féminine au cœur du film d’horreur. Se voulant plus une relecture du livre de Stephen King qu’un remake du film culte de Brian De Palma sorti en 1976, ce Carrie… version 2013 (avec téléphones portables) peine à convaincre, l’histoire perdant de son trouble et de sa subversion. Reste alors en tête la prestation inquiétante de Julianne Moore, en mère torturée.

PAR JULIETTE REITZER

film social sur la fin d’un monde et grande histoire d’amour d’un père pour ses filles, ce second long métrage de Sébastien Pilote témoigne de la richesse du jeune cinéma québécois.

L’Américain Bill Condon tire sans vergogne les grosses ficelles du thriller d’espionnage (mouvements de caméra ultra-rapides, rythme effréné, musique anxiogène) pour dresser le portrait en demi-teinte de Julian Assange, le fondateur du site lanceur d’alerte WikiLeaks. Le scénario s’appuie en grande partie sur le livre de Daniel Domscheit-Berg, ancien proche collaborateur d’Assange ayant quitté l’organisation après s’être violemment opposé au boss. Le traitement du sujet est donc partial, mais instructif.

de Sébastien Pilote avec Gabriel Arcand, Gilles Renaud… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h52 Sortie le 4 décembre

de Bill Condon avec Benedict Cumberbatch, Daniel Brühl… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 2h08 Sortie le 4 décembre

de Kimberly Peirce avec Chloë Moretz, Julianne Moore… Distribution : Sony Pictures Durée : 1h40 Sortie le 4 décembre

Le Démantèlement Fermier de père en fils, Gaby protège sa terre contre toutes les spoliations. Cet homme bourru mais généreux, prêt à tout pour sa famille, décide de vendre sa ferme pour éponger les dettes de sa fille aînée. De ce don incroyable va naître l’émotion de cette histoire simple, interprétée par des comédiens bouleversants. À la fois

Le Cinquième Pouvoir

PAR R.C.

A World not Ours PAR T.Z.

Le réalisateur Mahdi Fleifel a redécouvert les innombrables films de famille que son père a tournés pendant des années. Comprenant l’intérêt de ces précieuses archives, il s’en est servi pour nourrir un passionnant documentaire sur la vie à Ain el-Helweh, un camp de réfugiés palestiniens établi au sud du Liban. Sur un rythme enlevé, il fait résonner le passé en dressant les portraits d’habitants de ce petit territoire sans horizon. de Mahdi Fleifel Documentaire Distribution : Eurozoom Durée : 1h33 Sortie le 4 décembre

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©akfpl

> NOUS IRONS VIVRE AILLEURS

The Lunchbox Présenté à la Semaine de la critique, ce premier film indien s’annonce comme une comédie romantique, mais se développe comme une chronique de la vie quotidienne de deux travailleurs solitaires, perdus dans l’immensité de Bombay. PAR LAURA TUILLIER

Elle prépare le déjeuner à toute vitesse ; il s’ennuie dans un open space immense et terne. C’est une femme au foyer, délaissée par son mari ; c’est un employé taciturne, proche de la retraite. Chacun à un bout de la grouillante mégapole, Ila et Saajan n’auraient jamais dû entrer en contact. Mais un imprévu vient se glisser dans le déroulement de leurs journées : la délicieuse « lunchbox », destinée au mari d’Ila, atterrit sur le bureau de Saajan. On pourrait croire que ce point de départ culinaire sera prétexte, pour le réalisateur, à dévelop­per une comédie romantique réchauffée. Il n’en est rien, puisque Ritesh Batra s’empare réellement de son sujet : la circulation des marchandises (le panier repas), des hommes et des sentiments, dans une ville débordée par son activité aveugle et incessante. Naissent alors de belles

idées de mise en scène, comme cette communication continue entre Ila et sa tante, qui vit au-dessus de chez elle, et avec qui elle ne parle qu’en criant par la fenêtre. Proximité et solitude sont les deux dimensions contradictoires qui se déploient également dans la relation naissante d’Ila et Saajan. Par le truchement de petits mots glissés dans la lunchbox, les voilà qui entrent dans un échange très intime qui, paradoxalement, repousse leur rencontre dans un horizon de fantasme. Leur relation, timide et mélancolique, fleurit secrètement dans les replis de la ville monstre, ignorée de tous, libre de sa lenteur, et ainsi de plus en plus précieuse. de Ritesh Batra avec Irrfan Khan, Nimrat Kaur… Distribution : Happiness Durée : 1h42 Sortie le 11 décembre

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Dans la veine d’un Donoma (Djinn Carrenard) ou d’un Rengaine (Rachid Djaïdani), ce premier film suit le parcours à l’héroïsme banal d’un migrant clandestin venu d’Afrique jusqu’en France. Une vie de précarité dans les nouveaux bidonvilles de l’Occident. É.R. de Nicolas Karolszyk (1h15) Distribution : La Vingt-Cinquième Heure Sortie le 11 décembre

> LE SECRET DE L’ÉTOILE DU NORD

Le comte, jaloux du roi, persuade la princesse Boucle d’Ange qu’il lui faut apporter le pendentif légué par sa mère à l’étoile du nord pour qu’elle lui appartienne. Mais la princesse disparaît dans la forêt… Un conte de Noël pour enfants façon Cendrillon. T.Z. de Nils Gaup (1h22) Distribution : Condor / KMBO Sortie le 11 décembre

> 100 % CACHEMIRE

Aleksandra (Valérie Lemercier) et Cyrille (Gilles Lellouche) sont des nantis qui se permettent tout. Jusqu’au jour où débarque dans leur vie Alekseï, le petit garçon russe qu’ils ont adopté… Retour à la réalisation pour Lemercier, après Palais royal ! et Le Derrière. T.Z . de Valérie Lemercier (1h38) Distribution : Wild Bunch Sortie le 11 décembre



© xstream pictures

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A Touch of Sin Le Chinois Jia Zhang-ke (Still Life) semonce une nation victime des dérives de l’économie libérale. Un film virulent, portrait de quatre violences, quatre formes d’auto-défense contre une société pourrie. PAR ÉTIENNE ROUILLON

Le premier est déchiré par la violence de la corruption qui fait passer son village sous la coupe d’un entrepreneur crapuleux. Le second est un braqueur qui aime autant abattre que dépouiller ses victimes. La troisième est une maîtresse désespérant de devenir la régulière d’un homme lâche. Le dernier est un jeune travailleur précaire qui cherche une combine pour survivre. Chaque personnage de ces histoires successives est le rouage d’une mécanique insupportable qu’il faut saboter par la violence, qu’elle soit vécue comme juste, perverse, salvatrice ou destructrice. Lors de la présentation de son film à Cannes en 2013 (Prix du meilleur scénario), le réalisateur nous expliquait : « Depuis trois ou quatre ans, en Chine, les médias rapportent des faits divers qui reflètent une très grande violence. L’épisode que je raconte dans la troisième partie du film, cette femme qui se fait frapper avec une liasse de billets, est celui qui a le plus choqué l’opinion publique, et qui a motivé mon film. La violence fait partie des sujets sensibles en Chine, mais je ne voulais pas m’autocensurer en anticipant l’intervention des autorités. » Des personnages qui, à force d’humiliations, refusent seuls de courber l’échine, c’est l’un des thèmes récurrents du genre wuxia pian, ce dérivé cinématographique

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d’une littérature populaire chinoise dans lequel le bien et le mal, le devoir et le désir sont opposés. De façon systématique, la montée en pression est mise en scène, jusqu’à ce que le réalisateur pique d’une aiguille la baudruche enflée de ressentiment qui éclate dans un souffle violent. « J’ai pensé au roman Au bord de l’eau, écrit au xiv e siècle, dont les héros sont des brigands d’honneur. Chacun d’entre eux a une aventure propre, et les pressions qu’ils subissent et qui les poussent à la rébellion au xiii e siècle sont les mêmes que celles de mes personnages aujourd’hui. Même si ces dernières années, les médias nous donnent accès à ces faits divers, je ne crois pas que cela va changer profondément les consciences. Beaucoup les voient comme au spectacle. C’est pour cela que je finis sur des visages qui regardent une pièce : la violence ne vient pas toujours de facteurs extérieurs, nous sommes peut être chacun porteurs d’actes de violence. » Cette « touche de péché », évoquée dans le titre, germe bien dans les individus, pas dans les rouages du système. de Jia Zhang-ke avec Wu Jiang, Wang Baoqiang… Distribution : Ad Vitam Durée : 2h10 Sortie le 11 décembre

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Un personnage esseulé tente de survivre face aux éléments qui s’abattent sur lui. C’est le mince argument de All is Lost, sorte de version aquatique et masculine de Gravity. Après Margin Call, J. C. Chandor troque l’abondance de dialogues de son premier film pour le dépouillement ultime : un homme (Robert Redford, minéral) et son bateau, dans un survival movie à l’intensité folle où chaque geste, chaque décision est un pari décisif. Un fascinant duel avec la mort, baigné d’un naturalisme métaphysique.

© richard foreman

PAR É.V.

rattrape. Heureusement, les maladresses de scénario n’empêchent pas de saisir l’ambiance d’un pays déchiré par les contradictions, comme le sont aussi ceux qui cherchent à le fuir. de Mama Keïta avec William Nadylam, Mame Ndoumbé Diop… Distribution : Kinterfin Durée : 1h21 Sortie le 11 décembre

de Jean-Paul Salomé avec François Damiens, Géraldine Nakache… Distribution : Diaphana Durée : 1h45 Sortie le 11 décembre

PAR T.Z.

Adama a quitté le Sénégal pour la France pour intégrer la prestigieuse École polytechnique. Dix-sept ans plus tard, croyant à tort que sa grand-mère est en train de mourir, il s’oblige à revenir quelques jours à la maison et retrouve sa sœur et son meilleur ami Djibril. Mais la réalité au quotidien de son pays natal, qu’il avait complétement occultée, le

PAR É.R.

Un acteur renommé, complètement insupportable sur les plateaux de tournage, se retrouve peu à peu sans travail à force d’agacer tout son monde. Pôle Emploi lui retrouve un boulot de comédien assez particulier : il s’agit de jouer les morts lors de reconstitutions de scènes de crime. Direction Megève, théâtre d’une série de meurtres. Le film est un habile mélange de l’idée d’un duo improbable à la Bienvenue chez les Ch’tis et d’une ambiance d’enquête à la campagne qu’aurait pu écrire Agatha Christie.

de J. C. Chandor avec Robert Redford Distribution : Universal Pictures Durée : 1h46 Sortie le 11 décembre

L’Absence

Je fais le mort

© diaphana films 2013

All is Lost

Mandela – Un long chemin vers la liberté

PAR J.R.

© keith bernstein

Malgré des tics de mise en scène un peu crispants (plans en contrejours baignés d’une lumière sépia, flash-backs au ralenti, B.O. empesée), le réalisateur de Deux sœurs pour un roi a le mérite d’offrir à cette grande figure un biopic très complet, qui ne manque pas d’ambition. De l’enfance à la vieillesse, en passant par les vingt-sept années d’emprisonnement et les soubresauts de la vie privée, le combat de Nelson Mandela contre l’apartheid et la violence est ici fidèlement consigné. de Justin Chadwick avec Idris Elba, Naomi Harris… Distribution : Pathé Durée : 2h26 Sortie le 18 décembre

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Le Géant égoïste PAR ÉRIC VERNAY

Pour esquiver les gif les que l’existence leur assène régulièrement, aussi bien à l’école qu’à la maison, Arbor et Swifty font les quatre cents coups. Dehors, c’est Bradford, un bled du nord d’Albion. Il pleut, mais il y a des sous à se faire. Les deux gamins se laissent engrainer par le « géant »

Kitten, un ferrailleur qui leur loue sa charrette pour aller chaparder du cuivre dans les terrains vagues alentour. Alors qu’Arbor, turbulent gamin coiffé d’une crête blonde, prend goût à cet argent synonyme de liberté, son meilleur ami se rêve en jockey. Avec cette relecture d’un conte d’Oscar

Wilde évoquant autant les chroniques sociales de Ken Loach que les récits initiatiques de Charles Dickens, Clio Barnard nous narre l’histoire de l’amitié tragique de deux adolescents en prise avec un monde hors du temps, sous tension. Un monde dans lequel les courses de chevaux s’organisent à même le bitume, entre les jurons des conducteurs rougis par l’alcool et les voitures lancées à toute blinde. Sans révolutionner la grammaire classique d’un Sweet Sixteen, Barnard, remarquée avec son documentaire sur la dramaturge Andrea Dunbar (The Arbor, 2010), parsème sa fable de beaux éclairs sauvages.  de Clio Barnard avec Conner Chapman, Shaun Thomas… Distribution : Pyramide Durée : 1h31 Sortie le 18 décembre

Museum Hours Une Américaine rend visite à une parente malade et découvre Vienne en compagnie du gardien d’un musée de la ville. Cette histoire est prétexte à un questionnement sur les ref lets entre l’art et la vie, conduite par un cinéaste habitué des musées. Jem Cohen a en effet exposé ses vidéos au MoMA, haut lieu de l’art contemporain à New York. Cette fois, c’est le musée lui-même qu’il emprisonne dans le medium cinématographique. Les rapports que l’image établit entre la peinture et l’extérieur sont parfois forcés, mais il faut saluer la délicatesse du film, qui tient à une prise de vue très maîtrisée et à la justesse des deux personnages, brillamment interprétés. L’expérience est vertigineuse pour le spectateur. On regarde des gens qui

© etienne george

PAR LUCILE COMMEAUX

regardent des tableaux, et cette incursion de la caméra, entre les cimaises et les fenêtres qui donne sur les rues, ne donne pas lieu à un cours d’histoire de l’art, mais bien à une réflexion sur ces regards : que choisit-on de voir dans un tableau, dans une chambre d’hôpital, sur un trottoir ? Tout comme le

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suggère une guide croisée devant une toile de Bruegel, il s’agit de décentrer son regard, de le porter sur les détails, avec cette empathie qui intéresse Cohen. de Jem Cohen avec Mary M. O’Hara, Bobby Sommer… Distribution : Eurozoom Durée : 1h46 Sortie le 18 décembre



© 2012 r.p. productions

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Weekend of a Champion L’œil précis de Roman Polanski dissèque la préparation d’un champion automobile qui fait face à son pire ennemi : la déconcentration. Un documentaire heureusement exhumé, stressant comme un dernier tour de piste. PAR ÉTIENNE ROUILLON

Un week-end du mois de mai 1971, dans les rues de Monaco. Sous une pluie battante, le pilote de Formule 1 Jackie Stewart fait un tour de reconnaissance sur le circuit. « Tu vois ? Il faut freiner au niveau de cette bouche d’égout. » À la place du mort, son ami Roman Polanski. Producteur du film, mais aussi journaliste et confident, il a vécu trois jours sous haute pression avec celui qui est alors l’homme à abattre du championnat. Les instants qu’il a saisis sont édifiants. On suit par exemple Jackie Stewart jusque sur la ligne de départ, noyé dans le barnum des petites pépées, des magnats qui invitent à tout va sur leurs yachts et des photographes qui mitraillent jusqu’au moment où l’on tourne la clef de contact dans l’habitacle. Sorti en 1972, Weekend of a Champion a été présenté cette année au Festival de Cannes, hors compétition, dans une version complétée par

> LA BATAILLE DE TABATÔ

Mamadu Baio revient en Guinée-Bissau pour le mariage de sa fille, après un exil de trente ans. De retour sur les lieux de la guerre, il est visité par les fantômes de son passé et entre dans une lutte aux confins de la folie et de l’hallucination. L.T. de João Viana (1h23) Distribution : Capricci Films Sortie le 18 décembre

des retrouvailles, quarante ans après, entre les deux hommes. On y reparle pilotage et à-côtés rocambolesques de la course, avec un sens jouissif de la pédagogie pour Stewart, ronchon et pince-sans-rire quand il dissèque les trajectoires ou le décorum publicitaire. Le triple champion du monde écossais, qui mit fin à sa carrière à cause des trop nombreux décès sur piste de ses amis, s’interroge sur les motivations morbides du public et sur l’équilibre entre nécessité de spectacle à coups de tôle froissée et protection des pilotes. Vibrant comme un piston sous le capot, c’est un documentaire passionnant, même (et surtout) pour ceux qui n’y connaissent rien. de Frank Simon Documentaire Distribution : Pathé Durée : 1h20 Sortie le 18 décembre

> EL LIMPIADOR

Dans un Lima apocalyptique, un vieux nettoyeur de cadavres fait la rencontre d’un jeune orphelin terrorisé. Faux film de genre mais véritable crève-cœur, ce premier long métrage allie violence et douceur dans une magnifique réflexion sur la condition humaine. R.C. d’Adrián Saba (1h36) Distribution : Bobine Films Sortie le 18 décembre

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> BELLE ET SÉBASTIEN

Dans les Alpes, pendant l’Occupation, la rencontre de deux solitudes, celle d’un petit garçon et celle d’une chienne sauvage. Mehdi El Glaoui, le comédien qui jouait Sébastien dans la série originale de 1965, fait une apparition dans cette nouvelle adaptation. Q.G. de Nicolas Vanier (1h38) Distribution : Gaumont Sortie le 18 décembre



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I Used To Be Darker PAR T.Z.

Croisement entre teen movie et chronique mélancolique sur le divorce, I Used To Be Darker suit le parcours d’une jeune Irlandaise fuyant le foyer familial pour s’installer quelques temps à Baltimore chez son oncle et sa tante, dont le couple bat de l’aile. Baigné dans une torpeur estivale, le film de Matthew Porterfield (Putty Hill) est un hommage à la musique folk, omniprésente à travers des morceaux joués par l’oncle et la tante, eux-mêmes interprétés avec brio par les musiciens Ned Oldham et Kim Taylor. de Matthew Porterfield avec Deragh Campbell, Hannah Gross… Distribution : Ed Durée : 1h30 Sortie le 25 décembre

Le Loup de Wall Street

2 automnes 3 hivers

PAR É.R.

PAR QUENTIN GROSSET

Avec cette histoire faite de bric et de broc, Sébastien Betbeder (Nuage, Les Nuits avec Théodore) réussit à imposer sa poésie indisciplinée. Le film suit les parcours amoureux d’Arman (Vincent Macaigne) et de Benjamin (Bastien Bouillon), deux trentenaires parisiens qui se sont connus durant leurs années d’étude aux Beaux-Arts. L’allure fragmentée de ce long métrage aurait pu alourdir le propos du réalisateur, mais pourtant, de cet improbable patchwork naît une petite musique légère et charmante. Eugène Green, Judd Apatow, Alain Tanner… les références et citations s’enchaînent dans un flot discontinu mais cohérent, pas prétentieux pour deux sous, qui se mêle à une série de

monologues face caméra à la fois drôles et inquiets. Ainsi, quand Arman raconte comment son agression à l’arme blanche lui a permis de rencontrer l’âme sœur, ou lorsque Benjamin revient sur la nuit de son AVC, les commentaires des personnages se font toujours fantaisistes, jamais plombants. Ayant recours à plusieurs formats et techniques (superhuit, 5K, DV, 5D, 16 mm, animation…), Sébastien Betbeder assemble alors des points de vue contradictoires sur la même action, qui s’enchevêtrent et qui débouchent sur un beau bricolage de sentiments bariolés.

Nous n’avons pas pu le voir avant le départ de ce magazine en impression. Cependant le dernier film de Martin Scorsese annon­ce une couleur promet­teuse. Celle de billets verts tombant en cas­cade sur son acteur fétiche, Leonardo DiCaprio. Également au casting de cette histoire inspirée de faits réels (lire p. 18), le plus inattendu Jonah Hill (SuperGrave) et un Matthew McConaughey fantasque et erratique. Reste à savoir si le film est au diapason de sa bande annonce ample, acide et blagueuse.

de Sébastien Betbeder avec Vincent Macaigne, Bastien Bouillon … Distribution : UFO Durée : 1h30 Sortie le 25 décembre

de Martin Scorsese avec Leonardo DiCaprio, Margot Robbie… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 2h45 Sortie le 25 décembre

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© fuji tele vision network - amuse - gaga

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> LES ÂMES DE PAPIER

Tel père, tel fils Présenté en compétition officielle à Cannes, où il a reçu le Prix du jury, Tel père, tel fils, sous ses atours de comédie douce-amère, se révèle une réflexion sensible sur la paternité dans le Japon contemporain. PAR LAURA TUILLIER

Une substitution accidentelle de nourrissons à la maternité, entre une famille nombreuse vivant dans un minuscule pavillon de la banlieue de Tokyo et une famille aisée installée dans une luxueuse tour du centre-ville. Si le pitch de Tel père, tel fils rappelle celui de La vie est un long fleuve tranquille (le premier film, devenu culte, d’Étienne Chatiliez), il ne choisit pourtant pas de suivre la piste de la comédie satirique, lui préférant un traitement mesuré qui l’emporte sur la longueur. Car ce qui intéresse Hirokazu Kore-eda, davantage que les différences de classe sociale, ce sont les liens familiaux dans une société nippone obsédée par le travail et la réussite sociale. Au fur et à mesure que les deux familles font connaissance en vue d’échanger leurs deux garçonnets de 6 ans, on s’aperçoit que le véritable sujet

du film est Ryota, le père architecte bourreau de travail. Plutôt que d’alterner de façon équilibrée entre les quotidiens de deux maisonnées, le film se concentre sur les errances de cet homme qui, en construisant sa carrière, a oublié de construire sa vie. L’échange d’enfants agit alors comme le simple déclencheur d’une crise existentielle profonde qui le met face à son incapacité à aimer : tandis que le « fils » qu’il a élevé n’a aucun mal à s’épanouir dans sa « vraie » famille, pleine de joie et de tendresse, le fruit de sa chair lui reste étranger. Étonnamment, et malgré un happy end un peu obligé, Tel père, tel fils se révèle ainsi dans ses plus belles scènes une tragédie de la filiation. de Hirokazu Kore-eda avec Masaharu Fukuyama, Machiko Ono… Distribution : Le Pacte/Wild Side Durée : 2h Sortie le 25 décembre

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Auparavant romancier, Paul (Stéphane Guillon) se consacre désormais à l’écriture d’éloges funèbres. Son voisin, Victor (Pierre Richard), le pousse dans les bras d’Emma (Julie Gayet) pour l’aider à surmonter la tristesse qui l’accable depuis des années. T.Z. de Vincent Lannoo (1h30) Distribution : Rezo Films Sortie le 25 décembre

> ALBATOR, CORSAIRE DE L’ESPACE

Le capitaine Albator revient dans une aventure en 3D et en images de synthèse qui reprend l’univers et les personnages du manga créé par Leiji Matsumoto. Dans l’espace, le jeune Yama rejoint l’équipage d’Albator sur l’Arcadia sans révéler ses véritables intentions. T.Z. de Shinji Aramaki (1h50) Distribution : Océan Films Sortie le 25 décembre

> FRUITVALE STATION

Tiré d’un fait divers, le premier film de Ryan Coogler retrace la dernière journée d’Oscar (Michael B. Jordan, lire p. 22), petit dealer sympathique, qui va se faire tuer sans motif apparent par un policier, juste après le réveillon du jour de l’an. de Ryan Coogler (1h25) Distribution : ARP Sélection Sortie le 1 er janvier



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> DU SANG ET DES LARMES

Old Boy À première vue, le remake d’Old Boy par Spike Lee est très fidèle à la version coréenne de Park Chan-wook sortie en 2004. Alors pourquoi transposer cette histoire de vengeance aux États-Unis ? Cela tient à quelques détails. PAR QUENTIN GROSSET

La différence qui saute aux yeux, dans cette nouvelle mouture d’Old Boy, c’est d’abord l’absence du poulpe. Spike Lee sacrifie le plan le plus marquant du film de Park Chan-wook, dans lequel le héros vorace engloutit une pieuvre vivante. Une manière de se départir d’une imagerie encore présente dans nos esprits ? Pas vraiment, car Spike Lee reprend la même intrigue, jusqu’à reconstituer avec minutie ses dispositifs ou ses idées de mise en scène. Peu de dissemblances entre Joe Doucett (Josh Brolin) et Oh Dae-su (Choi Min-sik), deux hommes égoïstes et veules, séquestrés dans une chambre d’hôtel sans contact extérieur, sinon un téléviseur qui leur apprend le meurtre de leur femme. Vingt ans après pour Joe, quinze pour Oh Dae-su, ceux-ci se voient relâchés avec quelques indices pour retrouver le ravisseur. Spike Lee est peut-être encore plus cruel envers son personnage que

ne l’était Park Chan-wook. Ainsi supprime-t-il toute référence à l’hypnose subie par Oh Dae-su dans le film initial. Contrairement à celui-ci, si Joe finit par commettre l’irréparable, c’est bel et bien en suivant son libre arbitre. La signature de Spike Lee intervient ainsi fort discrètement lorsqu’un discours sur les minorités apparaît, et c’est là que la localisation de l’histoire aux États-Unis prend son importance. Dans la chambre où il est cloîtré, une représentation caricaturale et raciste du « bon nègre » le dévisage durant toute sa captivité. Chez Spike Lee, qui a passé l’essentiel de sa filmographie à représenter la communauté afro-américaine, ce genre de champ/contre-champ n’est jamais un hasard. Old Boy de Spike Lee avec Josh Brolin, Elizabeth Olsen… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h44 Sortie le 1 er janvier

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Quatre militaires américains (Mark Wahlberg, Taylor Kitsch…) appartenant à l’élite de l’élite sont envoyés derrière les lignes ennemies en Afghanistan pour localiser et éliminer un chef taliban. Leur mission est vite compromise. Encerclés, ils tentent de sauver leur peau. É.R. de Peter Berg (2h01) Distribution : SND Sortie le 1 er janvier

> PARANORMAL ACTIVITY: THE MARKED ONES

Énième déclinaison de la franchise des films qui font frémir les chambres à coucher, cette fois avec une histoire en marge de la trame originelle. Au menu : portes qui claquent, caméra GoPro qui filme des démons et marques de morsures inexpliquées. É.R. de Christopher Landon Distribution : Paramount Pictures Sortie le 1 er janvier

> HOMEFRONT

Sylvester Stallone, scénariste de Homefront, a recruté Jason Statham pour ce rôle d’ex-policier installé incognito dans un patelin tranquille. Mauvaise pioche, des dealers menés par un baron de la drogue (James Franco) l’obligent à sortir de sa retraite. É.R. de Gary Fleder (1h40) Distribution : Wild Bunch Sortie le 8 janvier



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Aime et fais ce que tu veux PAR T.Z.

Le père Adam est en charge d’un foyer pour jeunes délinquants dans un petit village polonais. Alors qu’il parvient à canaliser l’agressivité des pensionnaires, il est irrémédiablement attiré par l’un d’eux, un garçon peu loquace aux allures christiques. La réalisatrice de Elles (2012) filme avec éclat un être pétri de désir et de culpabilité, hésitant entre son propre sacrifice et celui de l’équilibre de la communauté. Entre non-dits et confessions, le film sonde les tourments de plusieurs résidents de l’institution. de Malgorzata Szumowska avec Andrzej Chyra, Mateusz Kosciukiewicz… Distribution : ZED Durée : 1h42 Sortie le 1 er janvier

Cadences obstinées Violoncelliste virtuose ayant abandonné sa carrière, Margo erre et s’ennuie dans l’hôtel que rénove le brutal Furio, son compagnon, qui ne l’aime plus. Le couple traverse une crise profonde, tandis que Furio s’enfonce dans de sombres arrangements mafieux. Margo va donc revenir à la musique, sans le dire à

PAR Q.G.

personne. Pour sa deuxième réalisation, Fanny Ardant signe un drame d’émancipation à la mise en scène parfois trop affectée, qui se voit sauvé par la prestation d’Asia Argento, très émouvante. de Fanny Ardant avec Asia Argento, Franco Nero… Distribution : Alfama Films Durée : 1h41 Sortie le 8 janvier

Nymphomaniac (part. 1 & 2) PAR Q.G.

Joe est effondrée dans une rue sombre, elle semble avoir été battue. Recueillie par un vieux célibataire, elle lui raconte sa vie, de sa naissance jusqu’à ses 50 ans. Elle se dit nymphomane et met l’accent sur son parcours érotique. Au moment où nous bouclons, nous n’avons pas pu voir cette version d’environ quatre heures, scindée en deux parties. Lars von Trier aurait souhaité un montage plus long et a laissé à son producteur la responsabilité de raccourcir le film. Les scènes hard, elles, n’ont pas été coupées. de Lars von Trier avec Charlotte Gainsbourg, Shia LaBeouf… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h57 / 2h03 Sorties le 1 er janvier (part. 1) et le 29 janvier (part. 2)

À ciel ouvert PAR L.T.

© romain baudean

La documentariste Mariana Otero (Entre nos mains) s’est rendue dans un établissement qui accueille des enfants en grande difficulté psychique, à la frontière franco-belge. Elle en tire un film poignant, parce que très attentif aux personnalités que sa caméra rencontre. En se concentrant sur les portraits de quelques enfants et des adultes qui les encadrent, la réalisatrice réussit à documenter sans pathos le quotidien d’un groupe qui s’invente des règles de fonctionnement en marge de la société. de Mariana Otero Documentaire Distribution : Happiness Durée : 1h50 Sortie le 8 janvier

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> YVES SAINT LAURENT

© alex bailey

Dans cette version, approuvée par Pierre Bergé, du biopic du créateur de mode disparu en 2008, c’est le talentueux Pierre Niney qui lui prête ses traits. Tout commence lorsque Yves Saint Laurent entre dans la maison Dior, après le décès du patron. L.T. de Jalil Lespert Distribution : SND Sortie le 8 janvier

Philomena Prix du scénario à la dernière Mostra de Venise, Philomena déjoue toutes les certitudes et les préjugés que son sujet pouvait laisser présager. Un grand film, beaucoup plus malin qu’il n’y paraît. PAR RENAN CROS

Il faut se méfier du Stephen Frears qui dort. Réalisateur d’œuvres aussi variées que The Queen ou Les Liai­ sons dangereuses, on aurait tort de trop vite cataloguer le réalisateur britannique comme un simple faiseur. Cinéaste à sujet, Frears aime surtout les défis et les acteurs. Avec Philomena, le voilà doublement servi. Écrit par le duo CooganPope à partir du récit de Martin Sixsmith, le film conjugue deux formes périlleuses : le fait divers et le récit à l’eau de rose. Philomena, vieille Irlandaise bigote, porte en elle depuis toujours le souvenir de l’enfant qu’on lui a pris alors qu’elle n’était qu’une adolescente. Bien décidée à le retrouver, elle embarque un journaliste revenu de tout dans une enquête mouvementée. À partir de ce canevas très attendu, le scénario et la direction d’acteur vont s’amuser à brouiller

les cartes. Si la sensiblerie guette au coin de chaque séquence, Frears préfère la cocasserie ou la colère. Moins revêche que coriace, sa Philomena possède de la ressource et désarçonne son monde en permanence. Mais loin de se contenter d’une énième comédie sur une vieille dame indigne, le récit ose prendre des virages insoupçonnés. Cherchant toujours à dépasser la caricature, le film trouve une belle gravité quand il va chercher, sur fond de crise de la foi, les contradictions les plus bouleversantes. Interprété avec précision par Steve Coogan et la merveilleuse Judi Dench, Philomena réussit, et c’est suffisamment rare pour le noter, à émouvoir intelligemment. de Stephen Frears avec Steve Coogan, Judi Dench… Distribution : Pathé Durée : 1h38 Sortie le 8 janvier

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> POUR TON ANNIVERSAIRE

Le réalisateur de La Tourneuse de pages signe un nouveau thriller méthodique dans lequel les personnages appliquent leur plan avec la plus grande détermination… En Allemagne, deux amis amoureux de la même fille se retrouvent, trente ans après avoir conclu un pacte dont elle est l’objet. T.Z. de Denis Dercourt (1h23) Distribution : Jour2fête Sortie le 8 janvier

> LOVELACE

Amanda Seyfried campe l’actrice Linda Lovelace, devenue la première star du porno après sa performance dans le film Gorge Profonde en 1972. Managée par son mari Chuck Traynor (Peter Sarsgaard), sa vie réelle fut en fait bien éloignée de l’image légère associée à la révolution sexuelle. T.Z. de Rob Epstein & Jeffrey Friedman (1h33) Distribution : Hélios Films Sortie le 8 janvier


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Les Gouffres PAR LAURA TUILLIER

Quelque part en Amérique du Sud, le professeur Georges Lebrun (Mathieu Amalric) s’apprête à descendre explorer des gouffres immenses dans lesquels l’homme ne s’est jamais aventuré. Sa femme, chanteuse d’opéra, l’attend dans une maison isolée, tout en répétant le rôle de l’esclave Liù dans Turandot de

Puccini. Après quelques plans, Georges Lebrun disparaît du film, laissant France seule avec ses fantasmes liés à un vertige et une attirance pour les profondeurs. Perdue au milieu d’une nature envahissante, littéralement secouée par les tremblements de terre qui se répètent jour après jour, elle fait l’expérience d’une solitude à peine

rompue par l’apparition d’inquiétants gardiens. Avec ce moyen métrage tendu, Antoine Barraud construit un monde de bruissements et de moiteur en parfaite adéquation avec l’interprétation de Nathalie Boutefeu (Le Chignon d’Olga, Les Yeux clairs), comédienne trop rare qui offre à l’écran le beau visage d’une fragilité mature. En lui faisant interpréter une actrice qui répète, il parvient à capter le trouble de la folie qui touche certains artistes dans leur travail. Ainsi, jusqu’à la scène finale, vertigineuse, le réalisateur parvient à ménager un mystère et une sensualité d’une force plastique et sensorielle assez rare.  d’Antoine Barraud avec Nathalie Boutefeu, Mathieu Amalric… Distribution : Independencia Durée : 1h05 Sortie le 8 janvier

Les Sorcières de Zugarramurdi Les films d’Álex de la Iglesia (Mes chers voisins, Balada triste) ont toujours l’air plus haineux qu’ils ne le sont réellement. En apparence, sa nouvelle réalisation est une comédie noire cyni­ que et orgiaque, enquillant un foisonnement de trouvailles extravagantes sur un rythme harassant. Mais derrière cette histoire de voleurs en fuite qui échouent dans les griffes d’une société matriarcale gouvernée par des sorcières, on décèle vite l’aveu d’un homme qui révèle tour à tour sa fascination, sa peur, mais aussi son amour et sa haine pour le sexe opposé, les deux allant toujours de pair chez le cinéaste. Logiquement, Les Sorcières… devient le film de tous les retours aux sources pour le réalisateur

©2013 enrique cerezo pc, la ferme!, arte france

PAR JULIEN DUPUY

basque, qui tourne pour la première fois dans sa région natale une histoire qui voit des hommes concassés par une société patriarcale en déliquescence chercher éperdument à retourner dans le refuge utérin. Et si de la Iglesia se délecte à pervertir l’image de sex-symbols ibériques d’Hugo Silva et Mario Casas, il réserve les

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personnages les plus fascinants à ses deux muses, Carmen Maura et Carolina Bang. Au propre comme au figuré, Les Sorcières de Zugarramurdi donne le beau rôle à la gent féminine.  d’Álex de la Iglesia avec Carmen Maura, Carolina Bang… Distribution : Rezo Films Durée : 1h59 Sortie le 8 janvier


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The Spectacular Now PAR QUENTIN GROSSET

Malgré son aspect « sujet de société » un peu pesant, The Spectacular Now reste une romance convaincante, portée par une distribution brillante. La première partie du long métrage a le charme des meilleures comédies teen. À partir d’un schéma très classique – un jeune homme s’entiche d’une fille effacée dont il découvre le magnétisme insoupçonné – James Ponsoldt (Smashed, Off the Black) pose un regard juste et inspiré sur l’âge des premières fois. Si le thème de l’alcoolisme chez les adolescents plombe un peu l’ensemble quand il se présente en milieu de film, le tout tient bon grâce aux interprètes : Miles Teller, qu’on a pu voir dans un autre registre dans Projet X (2012), et Shailene

Woodley, remarquée dans The Descendants (2012), qui tiendra le rôle principal du prochain film de Gregg Araki, White Bird in a Blizzard. Le premier séduit par la fragilité qu’il dissimule tout au long de l’intrigue, la seconde par sa spontanéité et sa candeur. Tous deux se mettent en valeur réciproquement et allègent un scénario traversé par quelques clichés inutiles, exposés avec un penchant moralisateur plutôt maladroit. Leur alchimie à l’écran fait oublier ces défauts et annonce de belles promesses pour l’avenir de ces deux jeunes acteurs. de James Ponsoldt avec Shailene Woodley, Miles Teller… Distribution : Eurozoom Durée : 1h35 Sortie le 8 janvier

R

PAR T.Z.

Concentré de jeunes talents danois (l’acteur et le réalisateur de Hijacking, Pilou Asbæk et Tobias Lindholm ; le metteur en scène de Northwest, Michael Noer), R se pose en héritier de la tradition du film carcéral au réalisme brut, dans la lignée d’Un prophète. « R » pour Rune, un jeune délinquant fraîchement incarcéré qui doit endurer le régime du mitard dans ses pires aspects et qui tente à son tour de dicter le jeu. Le plus difficile n’étant pas de trouver comment renverser la situation, mais de savoir avec qui s’allier. de Tobias Lindholm et Michael Noer avec Pilou Asbæk, Dulfi Al-Jabouri … Distribution : KMBO Durée : 1h36 Sortie le 15 janvier

Mère et fils PAR T.Z.

Ours d’or et prix FIPRESCI à Berlin cette année, le film s’inscrit dans le style de l’actuelle « Nouvelle Vague » roumaine (Christian Mungiu, Cristi Puiu) en arborant ses atours secs et réalistes. La proposition est radicale mais salutaire : la caméra ne se détache jamais d’une femme riche qui tente tout, jusqu’à la corruption, pour éviter la prison à son fils adulte mais amorphe, alors qu’il a renversé et tué un enfant. Mais s’agit-il vraiment d’amour, ou plutôt d’une lutte pour garder le contrôle ? de Calin Peter Netzer avec Luminita Gheorghiu, Bogdan Dumitrache… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h52 Sortie le 15 janvier

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L’amour est un crime parfait Les frères Larrieu (Peindre ou faire l’amour) adaptent Incidences de Philippe Djian et signent un grand film d’hiver, polar gorgé de mystère et de mélancolie autant que farce habile sur les duperies de la vie moderne. PAR LAURA TUILLIER

Les Derniers jours du monde laissait Mathieu Amalric pour mort, et le monde avec lui, un soir de 14 juillet. Le voilà qui conduit dangereusement une voiture, la nuit, sur une route de montagne sinueuse, une jeune fille entreprenante à son côté. Qui est cet homme ? C’est la question qui hante le nouveau film des frères Larrieu, passés maîtres dans l’art du mélange des genres, ici du thriller sauvage à la comédie loufoque, de l’artificialité du décor à la profonde tristesse des personnages. Marc est professeur d’université quelque part dans les Alpes. Il enseigne la littérature à une poignée de belles étudiantes qu’il ne peut s’empêcher de convoiter. L’une d’elles disparaît. À partir de cette intrigue de roman de gare, la mise en scène des Larrieu emporte le film ailleurs, s’amusant à le faire sillonner sur des chemins plein d’ornières et de chausse-trapes. Marc, véritable centre émotionnel

> COMME DES LIONS DE PIERRE À L’ENTRÉE DE LA NUIT

Le réalisateur suisse confronte les écrits et poèmes de résistants grecs internés sur l’îlot de Makronissos entre 1947 et 1950 à des images d’archives et à de longs mouvements de caméra sur les ruines de ce camp. L.T. d’Olivier Zuchuat (1h27) Distribution : Hévadis Films Sortie le 15 janvier

du film, avance hagard au milieu de femmes qu’il aime et redoute à la fois : sa sœur (Karin Viard, en vamp) l’embrasse sur la bouche ; la belle-mère de la disparue le met dans son lit ; une étudiante nymphomane le violerait presque… De brusques embardées comiques, commises par le duo Viard-Podalydès, viennent semer le trouble dans un récit qui avance dans la nuit noire, conduit par un héros en totale perte de contrôle. Le désir contemporain, surface réfléchissante trompeuse, enchaîné à un sauvage retour de la pulsion, gouffre d’une profondeur insondable, voilà l’alliance terriblement fascinante que célèbre le film. d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu avec Mathieu Amalric, Maïwenn… Distribution : Gaumont Durée : 1h50 Sortie le 15 janvier Lire aussi l’interview page 58

> PASSER L’HIVER

Claire et Martine travaillent dans une station-service. La nuit du nouvel an, Martine pousse Claire à accepter l’invitation d’un routier qui propose de l’emmener voir la mer. Une série de rencontres va leur permettre d’avancer en parallèle, voire en écho. T.Z. d’Aurélia Barbet (1h20) Distribution : Shellac Sortie le 15 janvier

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> LES BRASIERS DE LA COLÈRE

Dans une banlieue ouvrière américaine, un ex-taulard (Christian Bale) veut venger son frère (Casey Affleck), un soldat revenu d’Irak, disparu après s’être embourbé dans des affaires mafieuses. Un thriller musclé par le réalisateur de Crazy Heart. Q.G . de Scott Cooper (1h56) Distribution : Metropolitan FilmExport Sortie : 15 janvier



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All About Albert PAR LAURA TUILLIER

Julia, la cinquantaine, masseuse de son état, est une mère divorcée. Le début du film la découvre faisant simultanément la rencontre d’Albert, sympathique employé de vidéo­ thèque, et de Marianne, poétesse sophistiquée qui devient bientôt sa cliente. Rapidement, Julia entame une romance avec Albert. Les deux comédiens, Julia Louis-Dreyfus, découverte dans la série Seinfeld, et le regretté James Gandolfini, composent un couple à la fois désopilant et tendre, dont les hésitations sont sans cesse ravalées à grand renfort de saillies comiques. En parallèle, la réalisatrice tisse

délicatement une histoire qui lie Julia à sa fille, sur le point de partir étudier loin du foyer. Toute la difficulté pour Julia de vivre de nouveau en couple éclate lorsqu’il s’avère que Marianne est l’ex, pleine de griefs, d’Albert. Malgré cette coïncidence scénaristique un brin pataude, le film ne perd jamais le fil de ce qui l’intéresse vraiment : chercher comment deux personnes peuvent soudain

s’accorder et oublier que l’autre est, de toute façon, un peu dingue. De ce point de vue là, All About Albert s’impose comme le réjouissant portrait d’un middle age que le film contribue à rendre un peu moins ingrat. de Nicole Holofcener avec Julia Louis-Dreyfus, James Gandolfini… Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h34 Sortie le 15 janvier

Au bord du monde PAR QUENTIN GROSSET

Au centre d’un Paris désert, nocturne et fastueux, Claus Drexel filme des sans-abris, avec empathie mais sans misérabilisme. La musique qui ouvre le film a pourtant de quoi rebuter. Sur un air d’opéra, des plans d’ensemble de la capitale inanimée s’enchaînent avec un lyrisme un peu indigeste. Si cette introduction est superflue, la suite a le mérite de se concentrer sur l’essentiel : la parole des SDF, recueillie avec une grande attention. Le réalisateur ne coupe pas ses images lorsque Jeni, Wenceslas, Christine, Pascal et les autres, face caméra et au centre du cadre, lui racontent la rue, le regard des gens, le froid de l’hiver, la solitude, l’espoir. Claus Drexel intervient peu et laisse le discours se déployer, même lorsque celui-ci n’est pas cohérent ou intelligible. Des personnalités attachantes et

très dignes se dessinent, toutes reliées à un lieu précis : un pont, la grille d’un jardin, une bouche de métro. Avec cette cartographie d’un Paris oublié, voire inconnu, le réalisateur oppose la pauvreté de ces situations à la somptuosité figée et inhospitalière

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du terrain qu’il arpente. Éteinte, dépeuplée, muséifiée, la capitale a rarement été représentée aussi froidement. de Claus Drexel Documentaire Distribution : Aramis Films Durée : 1h38 Sortie le 22 janvier



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12 Years a Slave Le Britannique Steve McQueen (Hunger, Shame) signe un grand film classique au réalisme âpre, d’après l’histoire vraie de Solomon Northup, un homme libre qui fut enlevé pour être vendu comme esclave dans l’Amérique sudiste du milieu du xixe siècle. PAR JULIETTE REITZER

En 1841, Solomon Northup, habitant de Saratoga Springs, New York, est enlevé, déporté au sud des États-Unis et vendu. Son calvaire durera douze ans. Il l’a retranscrit dans un récit paru en 1853, année de sa libération – celui-ci ressort traduit en français. La traite des Noirs, pourtant l’un des épisodes les plus effroyables de l’histoire de l’humanité, est incroyablement peu, ou mal, représentée au cinéma. En adaptant fidèlement l’ouvrage de Northup, Steve McQueen vient combler cette lacune. Au contraire de Quentin Tarantino, qui dans le récent Django Unchained suivait la progression d’un esclave vers son émancipation vengeresse, Steve McQueen filme le parcours exactement inverse : d’abord homme libre, prospère et lettré, heureux père et mari, Solomon devient esclave. Cette structure narrative place d’emblée le spectateur en totale empathie. Au diapason de Solomon, il ressentira la rage, la souffrance, l’effroi, le désespoir, l’abattement. Tous les rouages crasseux des processus de déshumanisation et d’asservissement sont ainsi mis au jour par la mise en scène ample, implacable, de McQueen. L’autre réussite du film tient à l’intransigeance avec laquelle le cinéaste sonde son sujet, dans une volonté franche d’en constituer un témoignage exemplaire. Solomon, magistralement interprété par le

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Britannique Chiwetel Ejiofor, est vendu à un premier homme (Benedict Cumberbatch) qui, s’il tire profit de l’esclavage, règne sans cruauté. Il atterrit ensuite chez un type nettement plus nocif (Michael Fassbender, hallucinant en tyran mystique et forcené). Le film est long (2h13). Il porte en lui tous les visages de l’esclavage, des champs de canne à sucre aux plantations de coton, de la description minutieuse des tâches à accomplir à la chronique de la survie quotidienne, de la longue litanie des humiliations et des punitions jusqu’à la multitude de personnages secondaires, maîtres ou esclaves. Comme cette femme qui s’abandonne à un chagrin sans fond après qu’on lui a arraché ses enfants, ou ce jeune homme croisé dans les bois, juste avant que la corde ne le pende. La violence n’est pas éludée, elle est nécessaire au projet même du cinéaste : un réalisme radical, sans pathos, ni manichéisme. Chargé de ces souffrances séculaires, le film déploie la puissance émotive rare, terrassante, d’un classique instantané. de Steve McQueen avec Chiwetel Ejiofor, Brad Pitt… Distribution : Mars Durée : 2h13 Sortie le 22 janvier Douze ans d’esclavage de Solomon Northup (Entremonde), Disponible

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Une autre vie

© pascal chantier

PAR L.T.

Emmanuel Mouret, dont on appréciait beaucoup les comédies romantiques désopilantes (L’Art d’aimer, Un baiser s’il vous plaît), décide de changer de registre pour signer un mélodrame de facture classique. Il filme donc ici l’histoire d’amour entre une pianiste de renom, Aurore (Jasmine Trinca), et un poseur d’alarmes, Jean (JoeyStarr). Leur passion est contrariée par la ténacité de Dolorès (Virginie Ledoyen), la femme de ce dernier. Violons, rebondissements et culpabilité sont au programme.

PAR T.Z.

s’incarne dans son cheminement sur les routes de France, au gré et au hasard des rencontres. Des seconds rôles parfois caricaturaux n’entachent pas la vitalité bienvenue de ce joli film.

Après son rôle dans Des hommes et des dieux (2010), Michael Lonsdale revêt une nouvelle fois l’habit ecclésiastique, mais n’est plus aussi fidèlement entouré. Le Village de carton raconte la fermeture, par les autorités italiennes, de l’église dans laquelle officie ce prêtre, qui s’obstine pourtant à habiter le lieu à l’abandon. Sa solitude est rompue par l’intrusion d’émigrés africains arrivés en catastrophe à bord d’une embarcation de fortune. Une entraide mystique s’installe entre le religieux et le groupe.

de Sólveig Anspach avec Karin Viard, Bouli Lanners… Distribution : Le Pacte Durée : 1h27 Sortie le 22 janvier

d’Ermanno Olmi avec Michael Lonsdale, Rutger Hauer… Distribution : Bodega Films Durée : 1h27 Sortie le 29 janvier

d’Emmanuel Mouret avec Jasmine Trinca, JoeyStarr… Durée : 1h35 Distribution : Pyramide Sortie le 22 janvier

Lulu, femme nue Moins d’un an après la sortie de Queen of Montreuil, son précédent film, Sólveig Anspach confirme son talent pour composer des personnages féminins denses et complexes. Karin Viard campe une épouse et mère qui profite d’un train loupé pour reprendre possession de sa vie. Cette émancipation, aussi soudaine que vitale,

Le Village de carton

PAR J.R.

Match retour PAR C.GA.

Ils se sont affrontés par deux fois, il y a trente ans. Chacun a gagné un match. Mais la belle n’a jamais eu lieu. Aujourd’hui ils se retrouvent face à face, le jeu de jambes en moins, et la bedaine en plus. Dans un coin du ring, voici Robert De Niro ; côté opposé, c’est Sylvester Stallone qui enfile les gants. Misant sur le passé des deux acteurs (Raging Bull pour le premier, Rocky pour le second) et le choc des générations, le réalisateur Peter Segal fait monter la pression jusqu’au gong final. © ben rothstein

de Peter Segal avec Sylvester Stallone, Robert De Niro… Distribution : Warner Bros. Durée : 1h53 Sortie le 22 janvier

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Les Enfants rouges Plus connu comme scénariste (pour Cédric Klapisch notamment) que comme réalisateur, Santiago Amigorena s’est attelé avec Les Enfants rouges à un projet singulier : faire un film sans argent, entre amis, mais qui sorte de la confidentialité et puisse être diffusé en salles. Au niveau de la forme, cela donne une image numérique en noir et blanc qui se concentre sur un Paris de nuits et d’appartements, souvent filmé en plan fixe, dans une économie de décors et d’ambiances qui séduit. Le réalisateur choisit de filmer deux histoires simples – un garçon malheureux qui acquiert une arme à feu, une

© rezo film

PAR LAURA TUILLIER

jeune fille qui vit son premier chagrin d’amour – qu’il fait se rencontrer brièvement. La grande réussite de l’ensemble tient alors à une voix off travaillée qui vient lier sans ostentation des séquences muettes de déambulation et de rêverie. Le film se construit ainsi, grâce au fil d’un récit littéraire et volontiers poétique que le réalisateur enroule autour d’images

qui auraient pu, montées et expliquées autrement, révéler tout à fait autre chose. Fragilité d’une intrigue qui s’accorde à la fragilité des moyens du film et trouve de beaux points d’ancrage.

villes étrangères. En mouvement permanent, ils arpentent les rues inconnues à la recherche d’une adresse, montent et descendent des escaliers, prennent les transports en commun… Cette circulation incessante, au cœur du film, s’interrompt le temps de courtes pauses, qui donnent lieu à de salutaires respirations. À l’image de la scène durant laquelle, depuis

la maison aux esclaves de l’île de Gorée, Thierno contemple l’océan qui s’étend jusqu’à l’Amérique. Si le jeu des acteurs, pour certains amateurs, est inégal, Des étoiles pose un regard juste et nuancé sur les multiples visages de l’exil.

de Santiago Amigorena avec Jonathan Borgel, Garance Mazureck… Distribution : Rezo Films Durée : 1h20 Sortie le 22 janvier

Des étoiles PAR JULIETTE REITZER

Dans son premier long métrage, Dyana Gaye entremêle les parcours de trois migrants d’origine sénégalaise entre Dakar, Turin et New York. Né dans cette dernière ville, Thierno se rend pour la première fois au Sénégal, pays de ses parents, pour y enterrer son père. Au même moment, Sophie quitte Dakar et sa famille pour rejoindre son mari, Abdoulaye, en Italie. Mais ce dernier n’y est pas : il est parti tenter sa chance aux États-Unis. Dyana Gaye se tire admirablement de cet imbroglio scénaristique en optant pour une mise en scène épurée, enserrant de près, caméra à l’épaule, ses trois héros pris dans la solitude de grandes

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de Dyana Gaye avec Ralph Amoussou, Mata Gabin… Distribution : Haut et Court Durée : 1h28 Sortie le 29 janvier


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Beaucoup de Ceuta, bruit pour rien douce prison PAR L.T.

PAR L.T.

Joss Whedon (Buffy contre les vampires, Avengers) s’essaye à l’adaptation de la célèbre comédie romantique de Shakespeare en faisant le choix, assez courageux, d’en conserver le texte original. Il intègre dans un décor contemporain les amours contrariées de Claudio et Héro, qui se cherchent et se chamaillent au milieu d’une soirée cocktail filmée en noir et blanc. Projet étrange, à tout petit budget, que Joss Whedon a produit, réalisé et monté tout seul, et dont il signe la bande originale.

Coïncidence du calendrier, ce documentaire partage le même sujet que L’Escale de Kaveh Bakhtiari (sorti le 27 novembre dernier) : l’attente des migrants aux portes de l’Europe, cette fois-ci dans une enclave espagnole du nord du Maroc, Ceuta. Le film se concentre sur le parcours de plusieurs Africains et d’un jeune Indien, tous bloqués dans un centre d’accueil temporaire, et qui tentent de gagner quelque argent en attendant un hypothétique laissezpasser. Sensible et édifiant.

de Joss Whedon avec Amy Acker, Alexis Denisof… Distribution : Jour2fête Durée : 1h48 Sortie le 29 janvier

Jacky au royaume des filles

de Jonathan Millet et Loïc H. Rechi Documentaire Distribution : Docks 66 Durée : 1h30 Sortie le 29 janvier

PAR L.S.

Dans un pays imaginaire où les femmes sont au pouvoir et les hommes en burqa, Jacky (Vincent Lacoste) est amoureux de la future dictatrice (Charlotte Gainsbourg) et tente de l’approcher lors d’un bal cendrillonesque. Riad Sattouf s’en donne à cœur joie dans l’inversion des codes des sociétés patriarcales. La surenchère de

gags ne parvient pas à hisser cette comédie au niveau de son premier long métrage (Les Beaux Gosses), même si son jeune comédien s’en tire une fois de plus avec flegme. de Riad Sattouf avec Charlotte Gainsbourg, Vincent Lacoste… Distribution : Pathé Durée : N.C. Sortie le 29 janvier

Dallas Buyers Club PAR Q.G.

© anne marie fox

Dans l’Amérique de Reagan, en 1986, Ron Woodroof apprend qu’il est porteur du virus du sida. En se renseignant, il comprend que des traitements plus efficaces, non agréés par le gouvernement, existent bel et bien. Défiant la loi, il forme un groupe pour se procurer illégalement ces médicaments : le Dallas Buyers Club… L’intérêt du film est surtout de jeter la lumière sur une page méconnue de l’histoire du combat opposant les malades aux laboratoires qui bloquaient l’accès aux soins. de Jean-Marc Vallée avec Matthew McConaughey, Jared Leto… Distribution : UGC Durée : 1h57 Sortie le 29 janvier

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le s fi lm s

> GRACE DE MONACO

Minuscule, la vallée des fourmis perdues Avec Minuscule, la vallée des fourmis perdues, Hélène Giraud et Thomas Szabo signent le film pour enfants le plus inventif et le plus audacieux de l’hiver. Rencontre avec la réalisatrice, qui nous parle de rugissements de fourmi et de pets de coccinelle. PAR QUENTIN GROSSET

Adaptation de la série animée du même nom, Minuscule… suit le parcours d’une intrépide coccinelle mêlée malgré elle à une guerre entre les fourmis noires et les fourmis rouges. L’objet de la querelle ? Une boîte de sucre abandonnée par un couple en piquenique. « Par rapport à la série, dont la narration s’organisait en petits contes, nous voulions réaliser un vrai film d’aventure, tout en gardant le principe de ne pas avoir de dialogues humains », raconte Hélène Giraud, qui travaille en tandem avec Thomas Szabo depuis 2003. C’est ce refus de l’anthropo­morphisme (presque systématique dans les dessins animés mettant en scène des animaux) qui amène le film sur un terrain plus imaginatif que ses concurrents sortant en salles au même moment. « Nous ne voulions pas d’expressions “cartoon”

de type froncement de sourcils ou haussement des paupières. Nous voulions garder le côté inexpressif des insectes, ne jouer que sur la manière de les animer. » L’aspect documentaire du film s’arrête là, l’idée étant de partir d’une base réaliste pour mieux la détourner : « On stylise, on décale. Quand la coccinelle fait un petit pet vert, c’est quelque chose que font vraiment ces bêtes quand elles se sentent attaquées. De la même façon, il fallait que les fourmis rouges soient menaçantes, alors, pour les caractériser par le son, on a mixé des rugissements de lion et des cris de phoque. » Ces bestioles ont beau être liliputiennes, elles n’en sont pas moins terrifiantes. d’Hélène Giraud et Thomas Szabo Animation Distribution : Le Pacte Durée : 1h29 Sortie le 29 janvier

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Olivier Dahan (La Môme, Les Seigneurs) s’attaque au biopic de Grace Kelly (incarnée par Nicole Kidman), qui a d’abord connu la célébrité en tournant pour les grands cinéastes de l’époque classique (Hitchcock, Ford…), puis en tant que princesse de Monaco. T.Z . d’Olivier Dahan (N.C.) Distribution : Gaumont Sortie le 29 janvier

> THE RYAN INITIATIVE

Moins connu que James Bond ou Jason Bourne, l’espion Jack Ryan revient à l’écran après À la poursuite d’Octobre rouge ou La Somme de toutes les peurs. Le héros des romans de Tom Clancy est ici incarné par Chris Pine et épaulé par Kevin Costner dans son enquête. É.R. de Kenneth Branagh Distribution : Paramount Pictures Sortie le 29 janvier

> I, FRANKENSTEIN

Deux cents ans après avoir été rafistolé par le docteur Frankenstein, le célèbre monstre (Aaron Eckhart, comme il se doit couvert de cicatrices) est toujours en vie. Il débarque dans une cité gothique pour prendre part à une guerre entre créatures fantastiques. J.R. de Stuart Beattie avec Aaron Eckhart, Miranda Otto… Distribution : Metropolitan FilmExport Sortie le 29 janvier


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le s fi lm s

Rendez-vous avec la peur Jacques Tourneur (La Féline, Vaudou) s’intéresse à la peur que génèrent les sciences occultes. Accompagnée d’un livre instructif sur son cinéma, cette édition DVD est l’occasion de découvrir une pépite tardive (1957) du maître du fantastique.

©wild side

PAR LAURA TUILLIER

Si son titre anglais (Night of the Demon) ne le révèle pas, le titre français du film l’annonce : plus que par les démons et autres créatures fantastiques, Jacques Tourneur est fasciné par la peur, qui menace en permanence d’étreindre même les plus endurcis de ses personnages. À Londres, le psychologue américain John Holden donne une série de conférences, alors que son confrère anglais, le professeur Harrington, pourfendeur des pratiques sataniques d’un gourou en vogue, Karswell, vient de trouver la mort de façon mystérieuse. L’Américain rationaliste, entraîné par la nièce du professeur défunt, se trouve plongé dans une atmosphère de magie médiévale à laquelle il tente d’échapper. Sur fond d’enquête sur le décès de Harrington, Tourneur invente deux personnages qu’il prend plaisir à torturer. Karswell, le sorcier, est un homme un peu ridicule, un vieux garçon qui vit avec sa mère dans un manoir poussiéreux et s’avère terrifié par ses propres pouvoirs et par les créatures qu’il fait apparaître. Holden, lui, tente de résister au charme des sciences occultes, mais, notamment à cause de l’amour naissant qu’il porte à la nièce du

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professeur, se laisse attirer dans un monde d’apparitions qui le met en danger. Si Rendez-vous avec la peur n’est pas un grand film de terreur (la matérialisation du démon évoque aujourd’hui un masque de carnaval désuet), il impose son charme de série B nocturne fascinée par son objet. Car Tourneur, adepte des sciences occultes, traite la magie avec un enchantement et un sérieux d’enfant. Cela donne lieu à des séquences très inspirées, comme celle de la fête organisée par Karswell pour les gamins du voisinage à l’occasion de Halloween, scène qui oscille entre comique de masques grotesque et vrai effroi lorsque le magicien, grimé en clown, déclenche un cyclone sur la campagne anglaise. Peur joueuse d’enfant et peur métaphysique d’homme mûr qui redoute la mort sont ainsi imbriquées dans un film qui convoque les sorts, malicieux ou terrifiants, dont la vie est remplie. de Jacques Tourneur avec Dana Andrews, Peggy Cummins… Édition : Wild Side Durée : 1h23 Disponible

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dvd

LES SORTIES DVD

> TRILOGIE

> EN QUATRIÈME VITESSE

> GUN CRAZY

Au fil de cette trilogie, entamée dans une Écosse exsangue, Bill Douglas tient la chronique rageuse d’années d’enfance et d’adolescence marquées par le malheur et la pauvreté. Orphelin, d’abord avec son frère, puis séparé de lui et livré à une grand-mère tortionnaire, Jamie ne parvient à survivre qu’au prix d’un asséchement dramatique de l’âme. La mise en scène de Douglas, en prenant acte avec une force très bressonienne de l’ahurissement douloureux dans lequel plonge Jamie, porte en permanence son petit héros, jusqu’à une fuite en Égypte, respiration émotive tardive et bouleversante. L.T.

Le troisième film d’Aldrich (1955) joue avec jubilation sur les codes du film noir hollywoodien. Le détective privé Mike Hammer croise la route d’une jeune femme en fuite. Au matin, celle-ci meurt. Sans mobile autre que la passion de l’aventure, Hammer remonte la piste de ses tueurs. Au fur et à mesure qu’il progresse, entre rencontres sensuelles et complexification des mobiles, l’intrigue se fait plus métaphysique et il s’agit de savoir, comme le note l’associée amoureuse d’Hammer, ce qui fait courir les bandits. Aldrich répond avec malice : probablement la même chose que les privés. L.T.

Ce film du réalisateur de séries B Joseph H. Lewis (1950), inédit en DVD, sort dans une édition classieuse qui comprend un épais livre détaillant sa genèse. À l’écran, on suit l’épopée de Laurie et de Bart, deux amoureux passionnés par les armes à feu et qui ne tardent pas à se changer en braqueurs de banque en fuite. À partir d’un scénario signé Dalton Trumbo (alors blacklisté), Gun Crazy se développe en film d’amour corrosif, que Joseph H. Lewis met en scène avec audace, du plan-séquence qui inaugure le premier braquage au final embrumé qui signe la fin mélancolique de la course éreintante des amants. L.T.

de Bill Douglas (UFO)

de Robert Aldrich (Carlotta)

> AYA DE YOPOUGON

> SHOKUZAI

Adaptation d’un récent succès de la BD française, Aya de Yopougon souffre un peu d’une narration cahoteuse et d’une animation rigide qui ne rend pas justice à la direction artistique. De menus défauts qui ne font jamais oublier le principal : une chronique de mœurs qui retranscrit avec justesse l’ambiance de la Côte d’Ivoire à la fin des années 1970. Entre la truculence des amourettes des jeunes Abidjanais et la cruauté des injustices sociales qui menacent leur avenir, le film est empreint d’un ton doux-amer et d’une tendresse indéfectible pour ses personnages qui finissent par remporter le morceau. J.D.

Diffusé en cinq épisodes à la télévision japonaise, la saga Shokuzai est sortie sur les écrans de cinéma français sous la forme de deux longs métrages, réunis dans cette édition DVD et accompagnés d’un entretien avec le réalisateur. Après le viol et le meurtre de sa fillette, une mère dévastée réclame aux quatre camarades de classe de l’enfant de trouver un moyen de compenser leur incapacité à se souvenir du visage de l’agresseur. Une passionnante dissection du désir de vengeance qui laisse affleurer le fantastique par le biais d’audacieux jeux de lumière. T.Z.

de Marguerite Abouet et Clément Oubrérie (TF1 Vidéo)

de Kiyoshi Kurosawa (Condor Entertainment)

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de Joseph H. Lewis (Wild Side)

> L’EXTRAVAGANT DOCTEUR DOLITTLE de Richard Fleischer (20 th Century Fox)

Avant de prendre les traits d’Eddie Murphy à partir de 1998, le docteur Dolittle a d’abord été un Anglais pince-sans-rire incarné par Rex Harrison en 1967. Le médecin préféré des animaux embarque en haute mer à la recherche d’un gastéropode mythique : l’escargot géant des mers. Cette copie en haute définition est une bonne occasion de découvrir une comédie musicale attachante, drôle et, à sa manière, progressiste sur certains aspects (la protection des animaux, la perception des indigènes). T.Z.


cultures KIDS

MUSIQUE

LIVRES / BD

SÉRIES

ARTS

Pascal Comelade CONCERT

L’artiste modeste, adepte de la musique instrumentale et du piano jouet, est en concert le 17 décembre à la Cité de la musique. Pascal Comelade réunit le musette, le rock garage et les expérimentations d’un John Cage ou des Residents en un art musical syncrétique et singulier dont il détaille ici les multiples influences. Piano solo. PAR WILFRIED PARIS

D êt us es

ici

vo

© claude gassian

epuis 1975 (et son premier album Fluence, avec Richard Pinhas), Pascal Comelade invente un langage musical qui lui est propre, entre répétitifs américains (Philip Glass, Steve Reich), musiques traditionnelles (sardane, tan­ go, musette) et rock’n’roll (Pretty Things, Captain Beefheart, The Kinks), opérant à sa manière une véritable synthèse des avant-gardes et de la culture populaire, pas loin d’un Frank Zappa ou des Residents. Avec le Bel Canto Orquestra, fondé en 1983, sous l’influence de John Cage (et de sa Music for Amplified Toy Pianos), il se réapproprie les instruments pour les tout-petits (pianos jouets, saxos en plastique) pour créer un art instrumental moins gamin qu’inspiré par l’art brut, lui qui aime plus que tout les textures sonores. « Les enfants s’en tapent le coquillard, ils partent en hurlant au bout de deux minutes ! » nous confiera-t-il en

XVIIIème XVIIe

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concert

Tenacious D le 13 décembre à 20h au Trianon p. 122

XIIe XIIIe

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concert

Ennio Morricone le 4 février à 20h au palais omnisports de Paris-Bercy p. 122


KIDS

MUSIQUE

Loulou, l’incroyable secret : la chronique d’Élise, cinq ans p. 118 SPECTACLES

Keziah Jones revient avec l’album Captain Rugged p. 120

JEUX VIDÉO

JEU VIDÉO

Xbox One vs PS4, la guerre des nouvelles consoles est déclarée p. 134

FOOD

interview. Autodidacte revendiqué, reclus à Céret, dans les Pyrénées-Orientales, il a néanmoins collaboré avec Bob Wilson, Robert Wyatt, le groupe Faust, Jaume Sisa, Toti Soler, Jac Berrocal ou PJ Harvey, a publié récemment un nouvel album (El Pianista del Antifaz) et jouera à Paris en décembre des reprises de Bob Dylan avec un orchestre de musique traditionnelle birman. Mais c’est surtout un grand passeur, amateur de musique, de cinéma, de littérature et de bande dessinée, dont il distille les références, de Nino Rota (« Le plus grand mélodiste du xx e siècle. ») à Winsor McCay (créateur de Little Nemo), dans les titres de ses compositions. Entretien aussi bourru que passionné, en santiags et rouflaquettes. Quelle place occupe le cinéma dans votre vie ? Quand j’étais petit, j’allais au cinéma deux fois par semaine avec mon grand-père voir des westerns américains et italiens. J’aime la période classique, John Ford, Anthony Mann, jusqu’à Peckinpah. On peut envisager les westerns – et c’est également vrai pour les films noirs pendant leur âge d’or – comme des prétextes pour exprimer d’infinis détails de la réalité. La Chevauchée des bannis d’André De Toth parle ainsi surtout de rédemption, c’est très métaphysique. Sinon, j’aime beaucoup les films de la Hammer [célèbre société de production britannique spécialisée dans les films fantastiques, d’horreur et d’aventures, ndlr] avec Vincent Price et Barbara Steele, une partie du Néoréalisme italien, quelques comiques américains (Laurel & Hardy, les Marx Brothers…). Sur mes albums, on trouve de nombreuses parties de cordes, qui sont rarement jouées par de véritables violons ou violoncelles ; alors, depuis toujours, je m’amuse à créditer des violonistes et des violoncellistes fictifs auxquels j’attribue les noms de personnages des films des Marx Brothers.

DESIGN

« Les enfants partent en hurlant au bout de deux minutes ! » Votre musique fourmille de références cinématographiques. Pourtant, vous avez très peu composé de musiques de films. Oui, en quarante ans, j’en ai fait trois ou quatre. Par contre, l’intégralité de mes titres a été utilisée en synchronisation. On dit souvent que ma musique se prête à l’image, mais ça reste de la musique illustrative, qui peut passer sur des choses abstraites, éventuellement des dessins animés, mais pas sur la longueur d’une B.O. Actuellement, il y a très peu d’exemples d’adéquation entre un cinéaste et un compositeur ; Danny Elfman avec Tim Burton, et puis voilà. Le compositeur à la Miklós Rózsa sur Ben-Hur, il existe encore, mais il n’a plus pignon sur rue, comme dans les années 19401950. La plupart des B.O. sont des collections de titres préexistants qui deviennent des compilations vendues dans le commerce, comme pour les films de Tarantino. Les titres de vos morceaux (Spinoza was a soul garagist, Hydropathes marchant sur les os) vous permettent aussi de faire passer des influences autres que musicales : des philosophes, des écrivains, des plasticiens. C’est quelque chose qui se niche entre le détournement et les titres de tableaux pompiers comme Coucher de soleil sur l’Adriatique. Robert Williams m’a beaucoup influencé. C’est un peintre américain de la bande de Robert Crumb dont les tableaux portent des titres à rallonge, élastiques, dithyrambiques, et parfois même des sous-titres. Dans mon dernier album, le morceau

LE PARCOURS PARISIEN DU MOIS

photographie

« Regards sur les ghettos », jusqu’au 28 septembre au mémorial de la Shoah p. 130

PRÉSENTE

comédie musicale

El Tigre, du 17 décembre au 12 janvier au Théâtre du Rond-Point p. 132

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food

Gâteaux Thoumieux 58, rue Saint-Dominique Paris VIIe p. 138


© claude gassian

cultures MUSIQUE

« Ce qui m’intéresse, c’est le rendu sonore. » Portrait de l’artiste avec des lunettes lui rend hommage – bon, c’est un peu pour faire chier la SACEM aussi… Mes titres comportent bien quelques références littéraires, ou pseudo-littéraires, mais ça fait vingt ans que je rabâche autour des mêmes auteurs, Alfred Jarry, Alphonse Allais… Vous invitez régulièrement des dessinateurs de bandes dessinées ou des illustrateurs à réaliser vos pochettes. Celle de votre dernier album, par exemple, a été dessinée par le Néerlandais Joost Swarte. J’ai toujours trouvé une grande liberté de création dans la bande dessinée. J’étais ravi de voir que Willem avait reçu le Grand Prix de la ville d’Angoulême en 2013. C’est un génie. Bien plus qu’un illustrateur, c’est un philosophe, avec un regard extra-lucide sur l’actualité et sur l’histoire. Il m’avait fait une très belle pochette en 1994. Sinon, Charles Berberian, Robert Combas ou Hervé Di Rosa ont eux aussi dessiné certaines de mes pochettes… Sur mon dernier album, la chanson I Scream Ice Cream est une phrase tirée de Krazy Kat, la bande dessinée de George Herriman. Avec Little Nemo de Winsor McCay, ce sont les deux extrêmes de la bande dessinée classique américaine : Little Nemo, complètement onirique, et Krazy Kat, qui représente le versant punk de cette histoire. De la même manière, en tant que mélomane, j’ai passé ma vie à écouter avec autant de plaisir Steve Reich – une musique très écrite, très intellectuelle – et du rock garage américain des années 1960 – la part la plus brute et la plus radicale de la musique populaire, tout à la fois frénétique, poétique, humaine, et, bien sûr, spontanée.

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Le 17 décembre prochain, vous allez jouer, à la Cité de la musique, des reprises de Bob Dylan avec un orchestre traditionnel birman. Tu vois la musique javanaise, ou les gamelans de Bali ? Eh bien, ils ont le même genre d’instruments, des gongs, des percussions, des cloches, et je vais sans doute faire hurler les spécialistes en disant ça, mais c’est un peu la même chose, en beaucoup plus violent, agressif… métallique, je dirais. Les répétitions ont été un vrai chaos, qui me rappelait certains disques de Sun Ra, une sorte de free symphonique. Je ne m’inscris surtout pas dans une démarche de mélange culturel, de world music, car tout ça m’emmerde. Ils ont intitulé le concert « From East to West », mais moi, je préfère appeler ça « The Bob Birman Symphony ». Tout ce qui m’intéresse, c’est le rendu sonore. Pourquoi faire des reprises de Bob Dylan ? Parce que c’est un des rares types qui arrive, sur scène, à massacrer ses propres chansons, ou en tout cas à avoir une attitude très vicelarde par rapport à son répertoire et aux attentes de son public. J’ai vu des fans s’arracher les cheveux pendant ses concerts. Et puis j’aime bien le côté rouleau compresseur de sa musique, cet espèce de flux sonore, avec, au milieu, de sublimes moments mélodiques. On va surtout jouer des standards de sa deuxième période, celle électrique, comme I Want You, Blowin’ in the Wind, Knockin’ on Heaven’s Door, It’s All Over Now, Baby Blue, ainsi que quelques morceaux plus récents, comme Not Dark Yet. En concert mardi 17 décembre à la Cité de la musique El Pianista del Antifaz (Because), disponible

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cultures KIDS Le petit papier d’ Élise, cinq ans

Loulou, l’incroyable secret CINÉMA

Élise, notre jeune chroniqueuse, est familière de l’œuvre littéraire de Grégoire Solotareff et n’a plus (trop) peur des grands méchants loups. Et pourtant, elle a été fortement décontenancée par le dernier film du créateur de Loulou. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

L’AVIS DU GRAND Best-seller de la littérature enfantine depuis un quart de siècle, Loulou avait fait une apparition remarquée sur grand écran dans un des sketches du film omnibus Loulou et autres loups. Dix ans et un film plus tard (l’inclassable féerie U), l’auteur-illustrateur Grégoire Solotareff étoffe le parcours de son personnage fétiche dans un long métrage nettement plus ambitieux. Loulou, l’incroyable secret se confronte au thème complexe de l’atavisme à travers une quête initiatique qui s’amuse à contourner les poncifs du conte de fées. J.D.

« J’ai un livre qui est comme ce film et qui s’appelle Loulou à l’école des loups. C’est très bizarre parce que Loulou est un loup, mais il a un copain lapin qui s’appelle Tom. Loulou est pas très bavard et il est froussard. Par contre il est beau. Au début, Loulou et Tom sont sur une barque et ils dorment, alors qu’ils devraient pêcher. Du coup, les poissons coupent le fil de la canne à pêche, la barque part sur l’eau, et c’est parti la balade ! Après, Loulou et Tom arrivent devant la roulotte d’une voyante qui ressemble à une sorcière. Elle dit à Loulou que sa maman habite dans un royaume de carnassiers. Loulou veut retrouver sa maman, mais le lapin n’est pas content. Il ne veut pas aller dans un royaume plein de loups. Moi aussi je n’aimerais pas vivre au pays des loups, parce que je serais le seul être humain

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et que les carnivores et les ours voudraient me manger. La ville est assez jolie, mais il y a plein de gens méchants dedans. Il y a une cochonne avec une drôle de voix. Il y a aussi un prince, pas très sympa d’ailleurs. Il n’est pas con­ tent de voir Loulou, mais je ne sais pas pourquoi. Heureusement, je crois que ça se termine plutôt bien, parce que Loulou retrouve sa maman. Ce film n’est pas pareil que les autres que j’ai vus pour Trois Couleurs. C’est plus triste et plus compliqué à expliquer. Je n’ai pas vraiment tout compris, mais je veux bien le revoir quand il sortira au cinéma, parce que je serai plus grande. » Loulou, l’incroyable secret d’Éric Omond et Grégoire Solotareff Animation Distribution : Diaphana Durée : 1h20 Sortie le 18 décembre


cinéma PAR QUENTIN GROSSET

Elsa, la reine des neiges, est contrainte de se réfugier au sommet glacé de la montagne, après avoir plongé malgré elle son royaume dans un hiver éternel. Sa sœur Anna, qui jusqu’ici ne savait rien des pouvoirs d’Elsa, part à sa recherche. Accompagnée par Kristoff, un montagnard bourru, et par son renne Sven, ainsi que par Olaf, un bonhomme de neige qui rêve de soleil, l’héroïne casse-cou va devoir affronter le froid comme l’ire de ceux qui désavouent la reine en criant à la sorcellerie. Dans cette adaptation, très libre, du conte d’Andersen, dans laquelle les princesses ne doivent rien aux princes charmants, c’est l’amour d’une fratrie qui est le point central de l’histoire. Le film, lui, n’est pas subversif, mais Disney a au moins fait un pas pour imaginer des personnages moins stéréotypés. La Reine des neiges de Jennifer Lee et Chris Buck Animation Distribution : Walt Disney Durée : 1h40 Sortie le 4 décembre

et aussi ©benoit poyette / deepsea under the pole by rolex

PAR É.R.

EXPOSITION

LIVRE D’ACTIVITÉ

Jusqu’à la fin du mois de janvier, l’Aquarium de Paris emmène ses visiteurs de l’autre côté de la banquise avec cette exposition qui présente le travail accompli par huit explorateurs en 2010. Ils ont ramené des images fondamentales pour comprendre ce monde mystérieux, menacé de disparition. On pourra voir de nombreux documentaires tels que le sublime et surréel On a marché sous le Pôle, et pour les plus jeunes, participer à des activités ludiques pour découvrir les êtres qui nagent sous la glace. « UNDER THE POLE »

Ce coffret permet à vos enfants de se lancer dans le court métrage d’animation. L’ensemble comprend des décors, des personnages et quelques outils. Mais le plus précieux, c’est le guide du réalisateur, un petit fascicule qui vulgarise à la perfection les règles cinématographiques de base. On peut ensuite tourner son premier chef-d’œuvre avec un téléphone portable ou avec un appareil photo. Tellement bien qu’on va peut être le garder pour nous. LE PETIT STUDIO D’ANIMATION

à l’Aquarium de Paris jusqu’au 31 janvier

de Helen Piercy

(Gallimard Jeunesse), dès 8 ans


©kelechi amadi obi

cultures MUSIQUE

Keziah Jones BLUFUNK

Attendu depuis cinq ans par ses fans, Keziah Jones revient avec un disque, une bande dessinée et un alter ego. Sous les traits de Captain Rugged, l’inventeur du « blufunk » donne à l’Afrique un nouveau super-héros. Rencontre. PAR ÉRIC VERNAY

C’est l’histoire d’un pickpocket de Lagos surnommé Jetlag. Affublé d’une iroquoise et d’un maillot barcelonais floqué « Messy » [sic], le garçon des rues semble irrécupérable ; jusqu’au jour où il croise la route d’un type portant une cape et des grosses baskets : Captain Rugged. « Je façonne ce personnage depuis 2004 environ, se souvient Keziah Jones, le regard teinté d’orange par ses lunettes flashy. En allant m’installer au Nigeria, où je vis depuis deux ans, j’ai finalement su à quoi il ressemblerait, ce qu’il ferait ; je l’ai vu, en quelque sorte. » Fil rouge du dernier album du chanteur nigérian – séduisante variation psychédélique autour de son inimitable blufunk – Captain Rugged a droit à sa bande dessinée. Avec Native Almagri, un ami d’enfance devenu graffeur, Jones a fait des recherches à Lagos pendant trois mois. « C’est une ville tentaculaire, avec des gratte-ciel, des ghettos très pauvres. Les bidonvilles côtoient les villas des quartiers aisés. » Pour régner sur cette « cité dystopique », l’alter ego de Keziah Jones doit disposer d’un pouvoir particulier : une

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robustesse, une résilience, une « flexibilité » que l’argot de Lagos nomme « ruggedness » et dont l’ex-­ Londonien, « découvert » dans le métro parisien en 1991, s’estime doté « en tant qu’Africain-Européen voyageant tout le temps, ne vivant nulle part ». Autre qualité essentielle pour survivre dans cet environnement miné par la corruption et la pauvreté, l’humour. « Parfois la situation est si critique qu’il vaut mieux en rire. La plupart des habitants de Lagos cultivent une attitude blasée et ironique sur la politique, avec une dérision permanente», affirme Keziah Jones, se posant en héritier de l’esprit satirique de son mentor Fela Kuti. « Les politiciens disent quelque chose, puis ils se contredisent le lendemain, sans jamais s’excuser. La corruption est tellement flagrante qu’elle est d’une certaine manière moins hypocrite qu’en Europe. Au Nigeria, la politique ressemble à une BD. » Captain Rugged de Keziah Jones (Because) Disponible

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sélection PAR W.P. ET É.V.

OR NOIR

de Kaaris

(Therapy Music)

« Et tu montes sur le ring pas clair, trou de balle à l’air, narines par terre / Tu crois que t’es mon rival, t’es mon sparring-partner » C’est le genre de punchlines lâchées par celui que le web surnomme déjà « le Chuck Norris du rap français ». Adepte de l’uppercut sonique, le MC de Sevran peaufine dans l’ombre son style hardcore depuis plus de dix ans. Révélé par Booba, Kaaris forme avec le producteur Therapy un tandem surpuissant, dopé à la trap sudiste et à la drill de Chicago. Victoire par K.O.

ALEPH

RAP ALBUM ONE

de Wooden Shjips

Au lieu de flinguer de l’Indien entre deux bourbons et trois paquets de clopes, le dénommé Jonwayne est plutôt du genre à se vanter d’être puceau sur un morceau, à consacrer un album entier aux jeux vidéo et à être poursuivi par Philip Morris pour avoir imité un paquet de Marlboro sur la couverture d’une de ses mixtapes. Proche de Flying Lotus, le rappeur-producteur de Los Angeles cultive un univers de glandeur bidouilleur. Bardant ses rêveries rap de samples jazzy, il impose son style nonchalant chez Stones Throw.

Tirant leur patronyme d’une chanson de Crosby, Stills & Nash, ces San-Franciscains, relocalisés à Portland pour certains, clarifient leur propos (moins de fuzz, plus d’espace) sur un cinquième album continuateur d’une tradition rock et psychédélique (Grateful Dead, Endless Boogie) puissamment rythmée et mélodique. Un clavier tournoyant et la réverb sur la voix font bouger le curseur vers le New York de Suicide et du Velvet Underground. Un space rock qui se promène de l’ouest à l’est, et vice versa.

(Stones Throw)

CAVALO

de Gesaffelstein

de Rodrigo Amarante

Déjà coproducteur de quelques morceaux du Yeezus de Kanye West et auteur d’une poignée de EP marquants, Mike Lévy alias Gesaffelstein (contraction du disque Gesamtkunstwerk de Dopplereffekt et d’Albert Einstein) ne déçoit pas sur son premier album Aleph. Dans une atmosphère lugubre, martiale et addictive évoquant un film d’horreur de John Carpenter coupé à la techno de Détroit, le petit génie lyonnais fait bouncer les zombies jusqu’au bout de la nuit avec ses synthés acérés. Une vraie drogue dure.

Connu au Brésil avec son groupe Los Hermanos, Rodrigo Amarante a collaboré avec Marisa Monte, Tom Zé ou Little Joy (avec Fabrizio Moretti des Strokes). Il pose sa voix suave, en portugais, en anglais et en français, sur un premier solo, Cavalo, voyageur sans territoire, les parcourant donc tous. Ces pépites bossa, pop ou rock, pleines de surprises (percussions intempestives, saxophones free…) le posent en tropicaliste moderne, cannibalisant langues et cultures. Beau cheval.

(Parlophone)

BACK TO LAND

de Jonwayne

(Rough Trade)

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(Thrill Jockey)

MOBILISATION GÉNÉRALE – PROTEST AND SPIRIT JAZZ FROM FRANCE 1970-1976

de divers artistes (Born Bad)

Cette compilation réunit de rares et précieuses chansons engagées, à l’heure de la presse underground et des combats sociaux (Larzac, Lip, Creys-Malville, Viêt Nam). Entre spoken words (Alfred Panou et son cinglant Je suis un sauvage) et agit-prop, ces incantations choisies illustrent l’influence, mâtinée de LSD, exercée par le free jazz américain (Sun Ra, Cecil Taylor) sur toute une génération de musiciens (presque) oubliée, toujours d’actualité.


cultures MUSIQUE

agenda PAR E.Z.

DR

DU 6 DÉC. AU 1 ER MARS

CONCERT

Tenacious D PAR ETAÏNN ZWER

Jonglant entre gags hilarants et méchants riffs de guitare, les trublions du rock Jack Black et Kyle Gass déboulent pour un show bravache bourré de sueur toxique. Le premier, icône du Frat Pack, a traîné sa bouille espiègle chez Stephen Frears (High Fidelity) et chez Michel Gondry (Soyez sympas, rembobinez). Le second, quant à lui, a écumé le petit écran et couche avec sa guitare Martin. Fans de Bobby McFerrin, ils se sont côtoyés puis apprivoisés au sein de l’Actors Gang, une troupe basée à Los Angeles aujourd’hui dirigée par Tim Robbins. Ils ont créé en 1994 le groupe Tenacious D, « défense béton » en jargon basket-ball. En 1997, la série télé du même nom, diffusée sur HBO, les a propulsés sur le devant de la scène. Ils ont ouvert pour Beck, Pearl Jam ou les Foo Fighters, et l’ex-Nirvana Dave Grohl les a rejoint sur un premier album éponyme (2001) dont le single, Tribute, a été un succès radio et commercial. Mais c’est en 2006 qu’ils ont marqué l’histoire du genre avec Tenacious D in the Pick of Destiny, comédie picaresque à la gloire du rock et de ses losers wannabes, incluant un médiator magique, Satan et « la meilleure chanson du monde ». Un délire potache façon Wayne’s World, servi par une B.O. devenue culte (Kickapoo, The Metal). Entre kitsch heavy metal, effets spéciaux nazes, stars de tout poil (de Meat Loaf à Ben Stiller) et stand-up bouffon, leur musique, parfois qualifiée de « mock rock » (« simulacre de rock »), conjugue satire, absurdité et dextérité virtuose. Leur troisième opus, Rize of the Fenix, enfonce le clou, et les diablotins, toujours aussi mordants, devraient grimer Le Trianon en un mini Hellfest gentiment régressif, salement névrosé, mais particulièrement jubilatoire. Tenacious D en concert le vendredi 13 décembre à 20h au Trianon

SOIRÉES ON ICE SAISON 5 Hourra, Born Bad remet ça. Tous les premiers vendredis du mois, séance de patinage enfiévrée avec la crème des labels indé français : la dreamteam de Clapping Music (François Virot, Karaocake), Versatile et sa French touch, Bromance (l’écurie de Brodinski) et Tsunami Addiction (La Chatte). à la patinoire Pailleron

LE 20 JANV.

WARPAINT Dance-rock rêveur et capiteux, parfum seventies et osmose scénique : les quatre filles de Los Angeles, disparues depuis l’envoûtant The Fool (2010), reviennent avec un second album éponyme aussi aérien que percussif, porteur de la promesse d’un live magique, excitant et habité dont elles ont le secret. au Trabendo

au Zig Zag

DU 25 AU 27 JANV.

MO’FO’14 Pour sa douzième édition, le festival bigarré 100 % do it yourself s’offre vingt groupes sauvages et cool : l’electropop sensorielle de Son Lux, le trash metal de Cobra et le punk acide de TV Ghost, John the Conqueror et son garage blues halluciné, la techno vaudou de Machi (ex-Panico), la délicate Jessica Pratt. à Mains d’Œuvres

LE 30 JANV.

LE 4 FÉV.

POLIÇA Révélé avec l’immense Give You the Ghost (2012), héraut d’une electropop hors norme vénéneuse et obsédante, le quatuor américain, emmené par la troublante Channy Leaneagh, distillera les pépites noires de son second opus, Shulamith, lors d’une transe magistralement spectrale et délicatement grisante.

ENNIO MORRICONE Légende de la musique de films (il a travaillé avec Sergio Leone, mais aussi avec Bernardo Bertolucci, Pier Paolo Pasolini ou Dario Argento), le maestro se produira à Paris après onze ans d’absence pour un concert où résonneront cinquante ans d’une œuvre lyrique et nerveuse, follement intemporelle.

à La Gaîté Lyrique

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LE 21 DÉC.

TIM PARIS Génie discret, l’acolyte d’Ivan Smagghe (It’s A Fine Line) livre un premier album protéiforme et diablement élégant : electro entêtante, indie dance surprise, house enchanteresse et voix métissées (Georg Levin, Coco Solid, Forrest), son Dancers est un petit bijou taillé pour des nuits séduisantes.

hiver 2013-2014

au palais omnisports de Paris-Bercy



© catherine helie

cultures LIVRES / BD

Stéphane Audeguy

Monstrueux ENCYCLOPÉDIES

Effrayants, fascinants, cachés dans le placard ou filmés en gros plan, ils sont partout depuis des siècles : les monstres. Deux beaux livres vous invitent à les découvrir de plus près. Le freak, c’est chic. PAR BERNARD QUIRINY

Dans la Bible, c’est Béhémoth, ou Léviathan. Au Moyen Âge, ce sont les êtres fabuleux, mi-hommes mi-bêtes, qu’on voit sculptés au portail des églises. Au cinéma, c’est Godzilla. Dans Lost, une brume noire… Les monstres sont décidément partout. Chaque époque, chaque culture invente les siens, jusqu’aux tueurs en série et aux mutants 2.0 qui hantent l’imaginaire moderne. C’est à ces figures multiples de la monstruosité que s’intéresse le romancier Stéphane Audeguy avec Les Monstres, splendide album illustré qui mettra une touche d’effroi sous votre sapin de Noël. Des yōkai japonais à Elephant Man en passant par la mythologie grecque, les Lumières et le Surréalisme, il aborde la question sous toutes ses facettes avec un texte sobre et limpide qui montre les évolutions du regard porté sur ces monstres à travers les âges, entre pensée magico-religieuse et rationalisation scientifique, entre symbolisme et fantasmatique. Savamment choisies, les illustrations montrent la diversité de la monstruosité, qu’il s’agisse d’un détail d’une peinture de Jérôme Bosch, de la photo grossie mille fois d’un acarien épouvantable ou des inoubliables créatures du cinéma, tels Alien

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ou La Mouche. La dernière phrase du texte, prophétique, fait un peu froid dans le dos : « Le monstrueux est l’avenir de l’homme, s’il en a un. » Une formule que ne renierait sans doute pas Martin Monestier, autre spécialiste bien connu du genre (on lui doit de nombreux livres sur le sujet), qui continue cet hiver ses grands travaux d’encyclopédiste du bizarre avec Malfaisances et incongruités de l’espèce humaine, un gigantesque volume de mille quatre cents pages dans lequel il rassemble en vrac des milliers de faits et anecdotes sur la bassesse, la bêtise et l’ignominie de l’humanité à travers les siècles. Tout y est, du suicide au sacrilège en passant par l’obésité, la monomanie, le sang, le mariage et… les chaussettes. Une sorte de grand annuaire de l’infâme sur papier bible, un Quid de la débilité universelle, qui prouve si besoin était que les vrais monstres, c’est évidemment nous. Les Monstres de Stéphane Audeguy (Gallimard) Malfaisances et incongruités de l’espèce humaine, de Martin Monestier (Le Cherche midi) Disponibles

hiver 2013-2014


sélection PAR B.Q.

CERTAINES N’AVAIENT JAMAIS VU LA MER

de Julie Otsuka

LA DACTYLOGRAPHE DE MR JAMES

de Michiel Heyns (Points)

Dès le xix siècle, des Japonais émigrés aux États-Unis ont fait venir de leur pays d’origine des femmes, épousées sans les connaître, et auxquelles on promettait l’Eldorado. C’est le désenchantement de ces jeunes filles que décrit Julie Otsuka dans ce roman poignant où, plutôt que de choisir une héroïne en particulier, elle les fait parler toutes dans un « nous » collectif, tel un chœur antique. Choix d’écriture ingénieux qui ne tourne jamais au procédé grâce à la brièveté du texte. Superbe.

Henry James, ce héros. David Lodge et Colm Toibin ont déjà consacré un roman à l’écrivain ; c’est maintenant le Sud-Africain Michiel Heyns qui le met en scène, dans ce récit centré sur Theodora Bosanquet (rebaptisée ici Frieda, par souci de liberté), la secrétaire qu’il engagea en 1907 et qui restera à son service jusqu’à sa mort, neuf ans plus tard. On prend très vite goût à l’atmosphère de ce roman élégant, chic et un peu lent, à offrir à tout prix aux amoureux du maître et à lire en sirotant un thé.

HISTOIRES SANS ISSUE

de Benoît Duteurtre

(10/18)

e

de T. C. Boyle (Le Livre de poche)

Imaginez. Vous convoyez un foie destiné à une greffe. Mais la route est bloquée par une coulée de boue, et une femme vous supplie de l’aider à sauver son mari bloqué. Que choisissez-vous : la greffe, ou le mari ? Cruel dilemme, inventé par un patron du genre, T. C. Boyle, dans ce recueil de nouvelles prenantes et plutôt longues (une trentaine de pages en moyenne), qui permettent de comprendre la vivacité du texte court aux États-Unis.

À NOUS DEUX, PARIS !

(Folio)

Début des années 1980 : un jeune Normand débarque à Paris, l’esprit farci de mythes à la mode (les Bains Douches, Actuel, la new wave…), bien décidé à conquérir la capitale façon Rastignac. Quel destin l’attend : la gloire ou la chute ? Un excellent roman dans lequel Duteurtre raconte le Paris des eighties à travers un scénario classique. Au passage, si vous aimez Duteurtre, ne ratez pas le dernier numéro de la revue L’Atelier du roman qui lui consacre un dossier.


cultures LIVRES / BD

BANDE DESSINÉE

Pelote dans la fumée

sélection PAR S.B.

PAR STÉPHANE BEAUJEAN

L’ÉTÉ DES BAGNOLD

de Joff Winterhart (Çà et Là)

En janvier dernier, inconnu de tous, le Croate Miroslav Sekulic déambulait de stand en stand au festival d’Angoulême, quelques planches aux dessins saturés de matière sous le bras. Un an plus tard, Pelote dans la fumée – 1. l’Été/l’Automne est publié par Actes Sud. Ce premier livre frappe immédiatement par la densité des images – elles sont presque impénétrables. Il faut scruter des minutes durant le canevas de couleurs et de textures des planches pour y percevoir les espaces et les corps. On distingue alors deux plans : au premier, une cohorte de miséreux, fière brochette d’orphelins toujours prompts à s’évader du foyer pour commettre quelques larcins puis se faire corriger par une bande rivale ; au second, une ville industrielle aux cieux ensemencés de grues et de cheminées, percluse de misère, qui s’érige, menaçante. Ici, les augures de la modernité ne rassurent pas et paraissent déjà écraser sous leurs fondations d’acier les anciennes maisonnettes en carton et planches pourries dans lesquelles survivent les parents des jeunes héros. La force de cet imagier dickensien des laissés-pour-compte croates, orphelins et chômeurs, alcooliques et drogués, mafieux et prostitués, c’est qu’il exprime le désespoir sans jamais s’abandonner au misérabilisme. Dans cette galerie de silhouettes carnavalesques et de visages cabossés se niche une humanité silencieuse que les cadrages frontaux écrasent le plus souvent contre le décor. Et lorsque les plus résistantes de ces familles finissent par ployer sous le poids de l’adversité, que vient le temps des adieux, la beauté de ces visages impuissants mais résolus n’en paraît que plus douloureuse. Pelote dans la fumée – 1. l’Été/L’Automne de Miroslav Sekulic, traduit du serbo-croate par Aleksandar Grujicic (Actes Sud)

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Voilà le très beau portrait croisé d’un adolescent désenchanté et d’une mère, célibataire, qui sacrifie ses maigres ressources à l’éducation de cet enfant abandonné par son père et lutte désormais pour conserver une relation plus ou moins fonctionnelle avec lui. Par petites touches, pudiques, c’est une fracture inéluctable qui est révélée, figurée par un dessin qui exprime le malaise avec juste ce qu’il faut de retenue. D’une modestie bouleversante.

GUS BOFA, L’ENCHANTEUR DÉSENCHANTÉ

d’Emmanuel Pollaud-Dulian (Cornélius)

Fantastique illustrateur de l’entre-deux-guerres, inspirateur des plus grands auteurs européens de bande dessinée (Blutch, Blain, de Crécy, Tardi…), génie méconnu du grand public mais adulé par une armée de bibliophiles, Gus Bofa fait l’objet de ce sublime livre d’étude qui renferme un nombre incroyable de documents rares ou inédits, accompagnés d’un texte d’une érudition joyeuse.

hiver 2013-2014

EX MACHINA, VOLUME 1

de Brian K. Vaughan et Tony Harris (Urban Comics)

Vaughan a écrit cette série juste après le 11-Septembre, en réaction aux discours enflammés des grands leaders. Elle raconte cinq années du mandat d’un maire de New York pas comme les autres, qui annonce dès la première page le fiasco à venir de sa politique. Le reste n’est qu’une descente aux enfers qui s’ignore, à la conclusion terrible, aussi logique qu’imprévisible.

ANTHOLOGIE

de Moto Hagio (Glénat)

Moto Hagio est une grande figure du manga, dont peu d’ouvrages ont été publiés en France avant 2013. Dans les années 1960, elle a œuvré pour installer une bande dessinée plus personnelle à destinations des jeunes filles. Ces quelques nouvelles, parmi les plus emblématiques, permettent de découvrir une certaine forme de violence des rapports sociaux et de brutalité psychologique inattendue. D’une modernité inusable, autant sur le fond que sur la forme.


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cultures SÉRIES

Masters of Sex DRAME

Biographie d’un couple de chercheurs qui, à partir des années 1950, révolutionna l’étude des comportements sexuels, ce Mad Men en blouse blanche (et parfois sans) figure parmi les nouveautés les plus excitantes du moment. PAR GUILLAUME REGOURD

ET AUSSI HELLO LADIES

© OCS

© 2013 home box office

de Stephen Merchant

Faire de la sexualité son sujet d’étude peut s’avérer scabreux. Les héros de Masters of Sex en savent quelque chose : lorsqu’ils se sont rencontrés, en 1957, le gynécologue William Masters et celle qui n’était encore que son assistante, Virginia Johnson, bataillèrent ferme pour faire financer leurs recherches sur la sexualité. À eux le recrutement clandestin de volontaires, les heures sup en maisons closes et les soupçons d’immoralité. Leurs conclusions, on le sait aujourd’hui, furent révolutionnaires, et hautement instructives pour une popu­lation largement ignare des choses du sexe. L’une des grandes réussites de la série est d’ailleurs de nous renvoyer à nos propres

idées reçues, un demi-siècle plus tard. Après une poignée d’épisodes, la reconstitution méticuleuse ne manque que d’un peu de chair. Non que l’on s’y refuse à toute grivoiserie : les coïts – pour parler comme Bill Masters – abondent. Mais c’est du côté des personnages, lui (Michael Sheen), trop coincé, elle (Lizzy Caplan), en avance sur son temps jusqu’à l’anachronique, que le show doit s’étoffer pour échapper au cours magistral. Rien de rédhibitoire, néanmoins, au vu de ce qui ne constitue sans doute que les préliminaires d’une saga qui n’a pas encore trouvé son rythme de croisière. Saison 1 sur OCS City

Saison 1 sur OCS City

PAR G.R.

©numéro 23

©rubicon tv

sélection

Principalement connu jusqu’ici pour être l’acolyte de Ricky Gervais, Stephen Merchant se fait enfin un nom avec Hello Ladies. Inscrites dans la veine grinçante des œuvres précédentes du duo (The Office, Extras…), ces tribulations d’un loser de la drague expatrié à Los Angeles confirment l’aisance de Merchant à mettre en scène et à incarner l’inconfort. Différence de taille avec les fois précédentes, cette grande bringue de plus de deux mètres ne fait plus mystère de sa réelle tendresse à l’égard de ses personnages. Un Gervais avec un cœur, en somme. G.R.

ORPHAN BLACK Dans ce thriller venu du Canada, une jeune femme croise par hasard son sosie. Sosie, ou plutôt… double ? Vertige identitaire et rebondissements dantesques font de cet Orphan Black un divertissement fort rafraîchissant, reposant largement sur la prestation et les multiples incarnations de Tatiana Maslany. Pour un peu, on se croirait chez Joss Whedon. Saison 1 sur Numéro 23

LILYHAMMER Juste quand il croyait en avoir fini avec les univers mafieux, on l’y replonge… Mais si Steven Van Zandt, l’ex-Silvio Dante des Soprano, a accepté de rempiler pour Lilyhammer, cette fois c’est pour rire. Son numéro autoparodique d’affranchi new-yorkais réfugié dans la campagne norvégienne est l’unique raison d’être de cette petite comédie sans prétention. En DVD le 7 janvier (Universal)

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hiver 2013-2014

HERO CORP Sauvés de l’annulation par la mobilisation des fans, la série française Hero Corp et ses super-héros bras cassés ont finalement eu droit à une saison 3 diffusée sur France 4. Bonne nouvelle, la comédie de Simon Astier n’a rien perdu de son charme foutraque. Elle s’accommode même plutôt bien du nouveau format imposé de sept minutes. Un vrai petit miracle. Saison 3 en DVD/BR chez Universal


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cultures ARTS

Regards sur les ghettos PHOTOGRAPHIE

Venues du monde entier, des photographies rares sont compilées dans cette indispensable exposition du mémorial de la Shoah. Elles témoignent comme jamais du quotidien dans les ghettos juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale.

© musée juif de francfort

PAR LÉA CHAUVEL-LÉVY

Hans Biebow, chef de l’administration allemande du ghetto (à gauche) et un Juif interné dans le ghetto. Ghetto de Lodz, ca. 1940-1944. Photo: Walter Genewein.

Le mémorial de la Shoah a rassemblé, avec la participation de Roman Polanski, cinq cents images, peu connues jusqu’ici, des ghettos : enfants séparés de leurs parents avant la déportation ; femmes qui travaillent la paille pour en faire des chaussures ; jeune garçon affamé qui gît sur le sol ; vieillard au regard triste et perdu assis seul dans un coin… Cette dimension tragique, qui heurte le regard et déstabilise au plus profond, n’est pas la seule empruntée par l’exposition. À côté de cela, certains clichés laissent paraître un monde à part où règne un semblant de vie malgré la faim, les maladies et les conditions déplorables de d’enfermement. Ainsi voit-on des hommes et des femmes poser en souriant, comme ces jeunes filles qui s’immortalisent en maillot de bain pour célébrer l’obtention de leur diplôme. Les images montrées font cohabiter plusieurs réalités et temporalités. Celle des ghettos dits « ouverts » (soumis à un

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couvre-feu), moins barbares que celle des ghettos ceints par des murailles, dont l’exemple le plus connu est celui de Varsovie. Plusieurs regards sont ainsi mêlés. Celui de la propagande nazie, qui tend à immortaliser le peuple juif en haillons, pour pointer du doigt sa saleté fantasmée ; mais aussi celui de photographes juifs (Mendel Grossman, Henryk Ross…) qui réussirent à cacher leurs appareils photos puis à enterrer leurs films à l’insu des autorités. Leurs images sont renversantes. Leur regard a su trouver la distance juste pour témoigner de situations à la détresse inimaginable, inqualifiable. Pourtant, on se prend parfois à se demander qui est derrière l’objec­ tif. Un nazi ? Un Juif ? Il faut regarder longtemps, si on le peut, ces bannis pour déceler dans leur œil complicité ou effroi. « Regards sur les ghettos », jusqu’au 28 septembre au mémorial de la Shoah, entrée libre

hiver 2013-2014


Philippe Parreno EXPOSITION

agenda

PAR ANNE-LOU VICENTE

JUSQU’AU 10 FÉV.

Vue de l’exposition avec l’œuvre C.H.Z (Continuously Habitable Zones), 2011. Courtesy Esther Schipper Gallery.

« Philippe Parreno – Anywhere, Anywhere out of the World », jusqu’au 12 janvier au Palais de Tokyo

au Grand Palais liège, musée des beaux-arts (bal) © adagp, paris 2013

Alors que la galerie sud du Centre Pompidou est actuellement investie par Pierre Huyghe, le Palais de Tokyo confie jusqu’au 12 janvier l’intégralité de ses espaces à l’artiste français Philippe Parreno, autre figure majeure de l’art contemporain depuis les années 1990. Loin de consister en une juxta­ position de pièces sur le mode de la rétrospective classique, l’exposition « Anywhere, Anywhere out of the World » fait office d’œuvre d’art en soi, selon un parcours soigneusement orchestré de bout en bout, rythmé par les variations de Petrouchka (1911) d’Igor Stravinsky jouées par plusieurs pianos automates répartis sur les trois niveaux du lieu. Si l’on regrette l’absence de hasard au sein de cette composition magistrale à la mécanique un peu trop bien huilée, on ne peut que saluer le caractère grandiose et hypnotique du dispositif. Sous des airs de son et lumière high-tech, tant pour nos yeux que pour nos oreilles, il relève d’une expérience vibratoire et perceptuelle où (ré)apparitions et disparitions mènent la danse sur un mode volontiers fantomatique, laissant la part belle aux traces et autres réminiscences. Le bâtiment lui-même a été transformé pour l’occasion. Dès l’entrée, un auvent lumineux de la série des Marquee accueille le visiteur et signale un événement anonyme. La banque d’accueil a été déplacée devant un immense mur de lumière sur lequel sont projetées à contre-jour les silhouettes mouvantes des visiteurs et du personnel. Les fenêtres du centre d’art sont désormais floues et ses bornes lumineuses vacillent, faisant ainsi crépiter tout l’espace et donnant l’illusion que celui-ci est sous tension.

JUSQU’AU 23 FÉV.

surréalisme. Avec cette exposition on en aura fait le tour, des poupées de Bellmer à l’urinoir de Duchamp ; et à la sortie on en redemande, tant cette poésie foutraque et absurde fonctionne à plein tube. au Centre Pompidou

JUSQU’AU 8 MARS

BRASSAÏ On se souvient de la grande rétrospective du Centre Pompidou en 2000 où tout le génie de Brassaï, photographe, sculpteur, peintre, écrivain avait ressurgi. L’Hôtel de Ville prend le relais avec un prisme plus resserré : son amour photographique pour la capitale. Fil rouge de sa création, Paris fut l’amante de cet émigré austro-hongrois. Il la shoota comme il aurait pu caresser un corps. à l’Hôtel de Ville

Espace orangé, 1948 SERGE POLIAKOFF Parmi la multitude d’artistes, pour la plupart d’origine étrangère, qui firent de Paris la métropole des arts dans la première partie du siècle dernier et qu’on rangea sous la bannière un brin fourre-tout d’« école de Paris », Serge Poliakoff n’est pas le plus connu. Le MAM répare cette bévue en célébrant cet artiste français d’origine russe dont la peinture cloua sur place Kandinsky. au musée d’Art moderne de la ville de Paris

JUSQU’AU 3 MARS

LE SURRÉALISME ET L’OBJET Cent sculptures et quarante photographies, voilà l’équation très réussie de ce parcours centré sur le surréalisme et ses objets au Centre Pompidou. Comprendre également le titre de l’exposition à l’envers : l’objet du

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JUSQU’AU 16 MARS © photo : dénes józsa

© aurélien mole

RAYMOND DEPARDON Raymond Depardon est d’humeur hopperienne. Pour les galeries nationales du Grand Palais, il a en effet photographié les grands espaces, la solitude des villes, les intérieurs des cafés… En grande partie inédites, ces images, toutes en couleurs, font le portrait en creux du cofondateur de l’agence Gamma, qui est l’auteur (accessoirement) du portrait officiel de l’actuel président de la République.

par l.c.-l.

Enfants se battant pour des châtaignes, c. 1777-1785, Musée des Beaux-Arts, Budapest GOYA Goya est un grand moderne. En 1799, il livre sa série de gravures des Caprices dans laquelle il épingle l’Église. Plus tard, avec Les Désastres de la guerre, il condamne en creux les conséquences du conflit de 1808, là où d’autres auraient glorifié la guerre. Si la Pinacothèque va un peu loin, en faisant du peintre et du graveur un journaliste de son temps, elle a le mérite de montrer des œuvres dont le caractère caustique réveillerait un mort. à la Pinacothèque


cultures SPECTACLES

El Tigre COMÉDIE MUSICALE

Bonne fée des cabarets, créature mutante entre kitsch et glamour, Arielle Dombasle joue l’icône gay dans El Tigre, opéra très queer du maître argentin Alfredo Arias.

photo : alejandra lopez

PAR ÈVE BEAUVALLET

Sourires d’opérette, trav magnifiques, putes à plumes, paillettes par sacs entiers et hémoglobine à gogo… Alfredo Arias n’a jamais fait dans l’épure ou le minimalisme, et c’est précisément ce qui a fait sa renommée internationale. De Buenos Aires à Paris, du Dracula des débuts à son Fous des Folies, ce très baroque metteur en scène argentin s’est imposé comme la bonne fée d’une esthétique queer particulièrement en forme ces dernières années (retour en grâce du voguing, starification de personnalités aux manières de grandes folles telles que Russel Brand, Lady Gaga ou… Nabilla). Pas vraiment étonnant que son bordel de références courant du théâtre kabuki au music-hall et que son imagerie mélancolico-kitsch aient séduit sa majesté Arielle, et ce depuis les premiers temps : « Son esthétique de l’excès (excès de désir, de glamour, de cruauté), extraordinairement moderne, l’a rendu unique dans le paysage européen, et cette aventure de chanter dans une création d’un opéra contemporain écrit par Bruno Coulais sur un livret d’Alfredo est une passionnante expérience. »

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Sur scène, elle est Lana Turner, « une créature fascinante au destin mélodramatique et énigmatique, puisqu’elle a tué son amant ». Une diva hollywoodienne, devenue comme Dombasle une icône gay et qui, dans El Tigre, cristallise les fantasmes d’une petite communauté d’homos argentins, adorateurs du cinéma de Douglas Sirk et d’Ed Wood, qui, le soir venu, dixit Alfredo Arias, « se perdent dans des rêveries cinématographiques en se racontant les films de telle ou telle autre star, les imitant et jouissant des dernières tragédies des reines du celluloïd ». Entre fantômes de cinéma et jeu loufoque façon Jack Lemmon, cette histoire de liberté individuelle et d’ambiguïté face aux « modèles » s’inscrit dans la longue tradition du cabaret de travestis. Une esthétique, confie Arielle Dombasle, « qui me touche parce que c’est au cœur de l’identité du faux semblant du jeu, de la créativité même du chant, de la voix comme véhicule. Cette question centrale de la vérité par le travestissement ». El Tigre, du 17 décembre au 12 janvier au Théâtre du Rond-Point

hiver 2013-2014


agenda

pays africains, histoire de transmettre sa vision d’une « espèce faune » qui a déjà fait sa renommée.

JUSQU’AU 15 DÉC.

JEAN BELLORINI Peut-on rester bon quand on est pauvre ? La réponse que proposait Brecht dans La Bonne Âme du Se-Tchouan résonne fortement avec l’actualité, à la faveur du jeu stylisé des acteurs (stupéfiante Karyll Elgrichi) de Jean Bellorini, metteur en scène de 32 ans dont on n’est pas près d’oublier le nom.

à l’Apostrophe de Pontoise, au Tarmac et au Forum du Blanc-Mesnil

DU 16 AU 25 JANV.

SOPHIE PEREZ & XAVIER BOUSSIRON Des décors en carton-pâte ambiance western, des nains qui s’engueulent à propos de Courteline, des acteurs qui repoussent les contours du bon goût… Bienvenue dans Prélude à l’agonie, la nouvelle création du tandem Perez et Boussiron, ambassadeur d’une « trashitude » burlesque complétement à part sur la nouvelle scène théâtrale.

aux Ateliers Berthier – Théâtre de l’Odéon

DU 27 DÉC. AU 12 JANV.

SAMUEL ACHACHE & JEANNE CANDEL Gros carton de la saison dernière, notamment grâce à la présence diaphane de Judith Chemla, Le Crocodile trompeur / Didon et Énée s’est distingué en mixant opéra et flashes humoristiques ambiance slapstick dans un décor postapocalyptique. Un bel équilibre entre gros délire et poésie pure.

© jant-bi

DU 10 AU 21 JANV.

OLIVIER DUBOIS Après son blockbuster techno-tribal Tragédie, le chorégraphe Olivier Dubois s’essaie à une variation autour de L’Après-midi d’un faune de Vaslav Nijinski avec Souls, créée au Caire et empoignée par six hommes d’autant de

au Théâtre du Rond-Point

DU 18 JANV. AU 2 FÉV.

© gael maleux

au Théâtre des Bouffes du Nord

par è.b.

BERLIN Le théâtre documentaire se muscle depuis dix ans grâce à la caméra et au sens de la scénographie de ce collectif belge qui emprunte au journalisme ses méthodes d’investigation pour ausculter différents territoires : Moscou, Bonanza… Autant de spots transformés en supports fictionnels, pour un nouveau rapport à l’histoire socio-politique. au Centquatre


cultures JEUX VIDÉO

Xbox One vs PS4 CONSOLES

Attendues comme les prophètes d’une nouvelle ère du jeu vidéo, les consoles de Microsoft et de Sony promettent une claque visuelle et fonctionnelle. Le troisième round du combat qui oppose ces deux géants s’annonce sanglant. PAR YANN FRANÇOIS

S’il y a bien une période durant laquelle les jeux vidéo ne font rien comme tout le monde, c’est Noël : aucune trêve n’est permise ; et la sortie conjointe, en cette fin d’année, des toutes nouvelles Xbox One de Microsoft et PS4 de Sony signe le départ d’une nouvelle guerre de tranchées entre ces deux poids lourds du jeu vidéo. Évidemment, ces deux consoles se distin­g uent d’abord par leurs prouesses techniques : seize fois plus de puissance, une résolution en 1080p, un centre multi­média complet, des périphériques intégrés (comme Kinect) et bien d’autres fonctionnalités. Pourvues d’un line-up d’exclusivités destinées à asseoir la puissance de leurs mastodontes respec­ tifs (entre autres choses, Forza 5 pour la Xbox One, Killzone: Shadow Fall pour la PS4), ces deux consoles offrent une nouvelle dynamique au spectaculaire moderne, aux mondes ouverts sans limites ni temps de chargement et aux fantasmes de liberté totale. Mais Xbox One et PS4 sont aussi là pour coller au plus près des pratiques ludiques actuelles ; une nouvelle ère marquée par l’avènement des compétitions

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e-sport, des YouTubers et du cloud-gaming. Mieux dessinées, les manettes sont à présent affublées d’un bouton « share » permettant au joueur d’enregistrer jusqu’à quinze minutes de sa partie, de la monter et de la poster sur le réseau social de son choix. Plus que jamais, le jeu vidéo devient un art de la performance dans lequel chacun peut enregistrer ses actions et les partager avec le monde entier. En parallèle, la plupart des jeux nouvelle génération s’accompagnent désormais de « companion-apps » sur nos tablettes tactiles. Celles-ci pourront servir d’expériences complémentaires (GPS, inventaire) ou carrément de jeu dans le jeu. À la manière de ce qui se fait déjà sur la Wii U (ne l’oublions pas), l’écran se dédouble, le jeu s’enracine davantage dans notre quotidien matériel et s’exporte au-delà du salon. Un fantasme du toutconnecté où sommeille, on l’espère, une myriade de concepts révolutionnaires en devenir. Xbox One (Microsoft) et Playstation 4 (Sony) Disponibles

hiver 2013-2014



cultures JEUX VIDÉO

sélection PAR Y.F.

ASSASSIN’S CREED IV: BLACK FLAG

POKÉMON X / POKÉMON Y

THE STANLEY PARABLE

(Ubisoft/Xbox 360, Xbox One, PS3, PS4, PC, Wii U)

(Nintendo/3DS)

(Galactic Cafe/PC)

ROCKSMITH 2014

THE LEGEND OF ZELDA: A LINK BETWEEN WORLDS

SUPER MARIO 3D WORLD

Il était grand temps que la saga des assassins change d’air. Du coup, autant prendre le large : nouveau cadre – les Caraïbes du xviiie siècle ; nouveaux enjeux ; et surtout nouvelle jouabilité, pour un jeu qui met l’exploration maritime et la chasse au trésor au premier plan. Avec son monde ouvert sublime et fourmillant, Black Flag repose sur une idée toute bête mais essentielle : nous donner toute latitude pour jouir d’un quotidien de pirate improvisé au gré des vents marins.

(Ubisoft/X360, PS3, PC, Mac)

Oubliez Guitar Hero, Rocksmith 2014 reprend l’apprentissage de la guitare à bras le corps. Si les débutants se doivent d’être patients (leur marge de progression est immense, mais l’on ne devient pas un virtuose de la six cordes en une semaine chrono), le jeu fait preuve d’un équilibre exemplaire entre distraction et pédagogie, s’adaptant au moindre faux pas sans jamais renier le plaisir de jouer. Quant aux musiciens confirmés, ils auront largement de quoi s’amuser avec le programme d’improvisation de la machine, hallucinant de réalisme.

Il existe un malentendu tenace à propos de Pokémon. Bien que destinée au jeune public, la saga japonaise exerce surtout sa fascination sur les joueurs adultes. Car derrière la « choupitude » trompeuse se cache une des déclinaisons les plus savantes qui soient du jeu de rôle mettant sur un pied d’égalité collectionnite et intelligence tactique. Si la saga tournait un peu en rond depuis quelques épisodes, ce nouveau diptyque X/Y mettra tout le monde d’accord par sa capacité à repenser son univers.

(Nintendo/3DS)

Zelda a toujours été portée par l’émoi de la première fois : première quête, premier ocarina, première virée à cheval, etc. Alors quand ce nouvel opus se tourne vers un ancêtre culte et prend sa suite (A Link to the Past sur Super Nintendo en 1991), l’extase est totale, aussi intense qu’au premier jour. Heureusement, nostalgie n’est pas synonyme d’immobilisme. Grâce à de nombreuses idées de génie et à une utilisation somptueuse du relief, cette déclinaison 3DS a des allures de classique instantané.

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Derrière cette expérience à l’allure famélique se cache une fable morale renversante. Dans la peau d’un employé de bureau poussé à fuir la monotonie de son quotidien machinal, le joueur est invité à suivre (ou non) les recommandations en voix off du narrateur. Très drôle, le jeu mélange allégrement humour absurde et références au Truman Show ou aux films de Charlie Kaufman, mais n’en reste pas moins grave en filigrane. Et si la liberté de choix, dans un jeu vidéo, n’était qu’illusion ?

(Nintendo/Wii U)

Mario a-t-il encore quelque chose à offrir ? Sans chercher la révolution, la licence préfère dresser le bilan de trente années de gloire et les condenser dans une synthèse classique – et néanmoins inventive. Pas d’histoire (y en a-t-il jamais eu ?), mais un concept : chaque niveau incarne une idée de jouabilité, une seule, et l’épuise jusqu’à la corde. Agrémenté de quelques nouveautés majeures (un costume de chat grimpeur, une cerise « cloneuse »), ce « nouveau » Mario est un festival de trouvailles, encore plus jubilatoires quand elles s’expérimentent à plusieurs.


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cultures FOOD

C’est du gâteau LA TENDANCE

Le sucré est de retour, contre les préventions des hygiénistes de tout poil. Les cuisiniers s’intéressent à ce mouvement et n’hésitent plus à ouvrir boutique. Dernier en date : Jean-François Piège. Attention, un chef peut cacher un pâtissier. PAR STÉPHANE MÉJANÈS

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©flammarion 2013

VU À LA TÉLÉ

Les témoins sont formels : lorsqu’il dirigeait les cuisines du Crillon, JeanFrançois Piège, chef mais aussi titulaire d’un C.A.P. pâtisserie, ne laissait la fabrication des desserts à personne. Alors quand la Tarte Tropézienne, située en face de sa brasserie chic, Thoumieux, a été en vente, il n’a pas hésité une seconde. Deux ans ont passé, Gâteaux Thoumieux vient d’ouvrir. Un boudoir de 30 m 2 à l’ambiance identique à celle de son restaurant gastronomique (deux étoiles au Michelin), situé à l’étage de Thoumieux. Tons pastel, bleu, vert, marbre et chêne ; la touche India Madhavi. Les niches à pain ont elles été créées par un voisin, l’ébéniste Maleville. Jean-François Piège a pensé la carte avec Ludovic Chaussard,

qu’il avait croisé au Crillon à la fin des années 1990, et qui dirige le lieu. On peut y déguster toutes sortes de pains, d’entremets et de viennoiseries (divin kouign-amann et superbe cannelé), mais aussi des gâteaux de voyage aux formes variées. Des douceurs qui résistent aux transports et sont autant de clins d’œil aux régions préférées du chef : le Toulouse (cassis violette), le Corse (clémentine) ou le Menton (citron). Sans oublier la spécialité, une tarte briochée au sucre et à la crème fraîche, baptisée le Saint-Dominique. Gâteaux Thoumieux – 58, rue Saint-Dominique Paris VIIe – www.thoumieux.fr Ouvert sept jours sur sept Jean-François Piège de Jean-François Piège (Flammarion) Disponible

Paris pâtissier DES GÂTEAUX ET DU PAIN Claire Damon a fréquenté les brigades du Bristol et du Plaza Athénée (avec Christophe Michalak), mais c’est en passant trois ans avec Pierre Hermé, alors chez Fauchon, qu’elle a attrapé le virus de la pâtisserie créative. Elle s’est lancée en 2007 avec son associé, David Granger, boulanger. Et ça marche, une deuxième boutique vient d’ouvrir, rue du Bac. 63, boulevard Pasteur – Paris XVe Tél. : 01 45 38 94 16 www.desgateauxetdupain.com Ouvert tous les jours sauf le mardi

TOP CHEF ET MEILLEUR PÂTISSIER Depuis qu’il est apparu à la télévision dans Oui chef ! (M6) en 2005, tout réussit à Cyril Lignac. Juré de Top chef, il l’est aussi dans Le Meilleur Pâtissier, toujours sur M6. Et il sait de quoi il parle puisqu’il est également titulaire d’un C.A.P. pâtisserie et qu’il a ouvert, avec Benoît Couvrand, sa première boutique dans le XIe en 2011. Il vient de remettre ça dans le XVIe. De la couleur, des goûts marqués (tartelette myrtille cassis à se damner), c’est beau et « c’est gourmand ». S.M.

Pâtisseries Cyril Lignac (ouvertes sept jours sur sept) 24, rue Paul-Bert – Paris XIe Tél. : 01 43 72 74 88 2, rue de Chaillot – Paris XVIe Tél. : 01 47 20 64 51 www.lapatisseriecyrillignac.com

PAR S.M.

HUGO & VICTOR Amis d’enfance, Hugues Pouget, chef pâtissier passé par de belles maisons (Le Bristol, Guy Savoy), et Sylvain Blanc, polytechnicien ayant travaillé sur le chocolat, ont créé Hugo & Victor en 2010. Ils sont aujourd’hui à la tête de trois boutiques dans lesquelles ils créent des gâteaux de saison grâce à leur propre verger dans le sud de la France.

LA PÂTISSERIE DES RÊVES Philippe Conticini a été chef à La Table d’Anvers (Paris IXe), où il a obtenu une étoile – c’est là qu’il inventa les verrines. Palais absolu, travaillant sur la mémoire du goût, il est revenu à ses premières amours et dirige aujourd’hui plusieurs pâtisseries. Ses gâteaux sous cloche de verre ne sont pas figés mais vivants. La preuve ? Le meilleur Paris-Brest de Paris.

40, boulevard Raspail – Paris VIIe Tél. : 01 44 39 97 73 – www.hugovictor.com Ouvert sept jours sur sept Et aussi : Marché Saint-Honoré et Printemps Haussmann

93, rue du Bac – Paris VIIe – Tél. : 01 48 91 31 97 19, rue Poncelet – Paris XVIIe – Tél. : 01 42 67 71 79 111, rue de Longchamp – Paris XVIe Tél. : 01 47 04 00 24 www.lapatisseriedesreves.com

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cultures DESIGN

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LIVRE

Olivia Putman COLLECTION

Le luxe n’est pas affaire de prix : telle pourrait être la devise d’Olivia Putman, mais aussi celle des six pièces qu’elle a créées pour made.com, une entreprise de vente de mobilier en ligne qui veut abordable rendre le design de qualité.

L’ARCHITECTURE MONDIALE DU xxe SIÈCLE C’est un très gros livre ; et pour cause, il fallait bien ça pour réunir tous les joyaux architecturaux qui ont vu le jour entre 1900 et 1999. Les critères sont méthodiques, mais heureusement, le choix est généreux : on y croise de grands classiques (Le Corbusier, Piano…) tout comme des curiosités venues d’ailleurs, dont on ne voudrait pas vous gâcher le plaisir de la découverte. Avec plus de sept cent cinquante projets recensés, vous n’aurez aucun mal à trouver votre bonheur. O.D. (Phaidon)

BOUTIQUES

PAR OSCAR DUBOŸ

En parcourant l’étendue des réalisations qui jalonnent la carrière d’Olivia Putman, on se dit qu’elles sont le fruit d’un esprit bien trop curieux pour se contenter de débuter confortablement sous l’aile d’une mère illustre, l’architecte d’intérieur Andrée Putman. Le bac en poche, Olivia ne tarde pas à se faire un nom. Elle s’investit, par exemple, dans l’association Usine éphémère, qui récupère des lieux désaffectés et les transforme en espaces culturels (l’hôpital Bretonneau, devenu Hôpital éphémère). Puis, ce sera au tour du paysagisme de l’amener à cultiver de nouveaux jardins, clientèle célèbre à la clé, avant de reprendre en 2007 le Studio Putman avec le même éclectisme – les projets de décoration pour un hôtel à Hong Kong ou une villa au Koweït alternent avec des

collections de design pour Fermob ou Lalique, dont Olivia Putman est désormais la directrice artistique. Rien d’étonnant à ce qu’elle ait pris son téléphone pour proposer une collaboration à Chloé MacIntosh, cofondatrice de made.com, jeune société de vente en ligne dont le but affiché est de démocratiser le design en supprimant les intermédiaires et en supervisant directement toute les étapes de la production, afin de proposer des pièces à des prix accessibles sans que la qualité n’en pâtisse. Et le succès est au rendez-vous ; notamment grâce à la collection Contrast, signée par Olivia Putman, et à la petite taille du buffet ou de la bibliothèque qui s’adaptent enfin aux surfaces parisiennes. www.made.com

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BEAUGRENELLE Si vous êtes Parisien, une virée shopping au tout nouveau Beaugrenelle s’impose. Ce quartier, qui fleurait bon les années 1970, vient de passer à l’heure contemporaine grâce à l’agence Valode & Pistre et aux 45 000 m2 de centre commercial qu’elle a imaginés. Cent vingt enseignes où vous trouverez tout ce qu’il vous faut pour vous meubler avec goût, par exemple chez BoConcept (en photo) ou chez Maisons du Monde, ou pour dénicher un bel objet de décoration, chez Silvera. O.D. Beaugrenelle Paris bâtiment Magnetic 1-48, rue Linois – Paris XVe


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© xstream pictures

LE FILM DU MOIS PAR TIME OUT PARIS

A Touch of Sin

Prix du scénario au dernier Festival de Cannes, A Touch of Sin suit quatre itinéraires de révolte au sein de la Chine contemporaine. Agressif et jouissif, le film marque un tournant dans l’œuvre de Jia Zhang-ke, qui s’affirme comme un grand cinéaste politique. PAR ALEXANDRE PROUVÈZE – TIMEOUT.FR/PARIS/CINEMA

Une guichetière de sauna violentée par un client qui croit pouvoir l’acheter comme une prostituée et la tabasse à grands coups de liasses de billets, un ouvrier rageur devant la corruption de ses supérieurs, un travailleur clandestin qui prend les armes… Les personnages de cet étonnant film polyphonique du Chinois Jia Zhang-ke partagent tous une même problématique : la soumission à un pouvoir qui tire sa seule légitimité de la contrainte physique et financière qu’il impose ; pression contre laquelle chacun, à sa manière, va tenter de se dresser, avec l’héroïsme du désespoir. Violent, burlesque, jouant de la caricature sans jamais oublier de faire preuve d’un réalisme éclairant (Jia Zhang-ke est aussi un puissant documentariste), A Touch of Sin varie les registres avec brio, se permettant de promener le spectateur à travers la Chine mondialisée sans que celui-ci ne sache jamais à quoi s’attendre. Capable

de mouvements décalés et inattendus, la narration, déroutante, fait alterner de splendides moments de contemplation et des explosions de violence à froid, aussi drôles que grinçantes, en réponse aux humiliations du néo-libéralisme, à sa corruption et à son népotisme décomplexés. À travers ces diverses fuites en avant, qui voient les individus, isolés, tenter à leurs risques et périls de redéfinir leur singularité, Jia Zhang-ke délaisse en partie la quiétude stylistique de ses films les plus célèbres (Still Life, 24 City) au profit d’une poésie plus sèche, rebelle même, voire carrément abrupte, d’une portée politique et éthique qui transcende les frontières et les référents culturels. de Jia Zhang-ke (lire aussi p. 80) avec Wu Jiang, Wang Baoqiang… Distribution : Ad Vitam Durée : 2h09 Sortie le 11 décembre

retrouvez ce film sur www.timeout.fr 142

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L’EXPO DU MOIS PAR TIME OUT PARIS

TOP 5 DU MOIS

Théâtre du monde

PAR TIME OUT PARIS

1. EXPO Brûlantes et spontanées, les photographies d’Anders Petersen dégagent une puissance charnelle qui ne l’empêche pas de faire également preuve d’une technique fulgurante, résumée par ce noir et blanc ahurissant qui semble fouiller la nuit.

Pas d’explication, pas de chronologie, pas de hiérarchie. Une quinzaine de chapitres découpent cette exposition composite à La Maison rouge, selon des thématiques qui sont cependant assez universelles pour rester très accessibles, allant de l’épiphanie à l’au-delà.

2. RÉTROSPECTIVE Cinéaste iconoclaste, tragique et burlesque, João César Monteiro est l’auteur d’une œuvre poétique et singulière où brille son délicieux alter ego, Jean de Dieu, dandy érotomane et libertaire. Disparu il y a dix ans, Monteiro méritait bien cette enthousiasmante rétrospective. João César Monteiro, du 11 au 30 décembre à la Cinémathèque française

3. CONCERT Depuis son magnifique Smoke Ring for my Halo en 2011, Kurt Vile s’affirme comme l’un des plus dignes représentants du folk rock nouvelle génération. Un son ample et vaporeux, des ritournelles acoustiques simples et entêtantes, et une voix inoubliable.

© mona / remi chauvin

Anders Petersen, jusqu’au 2 février à la BnF

Ce « Théâtre du monde », c’est la rencontre de l’éclectique collec­tion de l’Australien David Walsh (qui réunit aussi bien des timbres-poste que des pièces de monnaie grecques, des objets archéologiques que des œuvres d’art contemporaines) avec celle, plus encyclopédique, du musée de Tasmanie. Kandinsky se met alors à côtoyer des étoffes néo-zélandaises, Damien Hirst se retrouve face à un cercueil Vue de l’exposition ghanéen en forme de berline Mercedes, et Giacometti dialogue avec un sarcophage datant de l’Égypte ancienne. Habilement mis en scène, les rapprochements paraissent si évidents que l’on a parfois en effet l’impression d’être au théâtre, comme dans la salle « Division-Duo », devenue une saynète narrant la rencontre entre la bande de cassette magnétique de Žilvinas Kempinas et des bois de cerfs qui se défient sous le regard des deux chiens de William Wegman. En résulte une exposition aussi splendide qu’originale, plongée décomplexée et colorée dans le monde de l’art. M.D. 10, boulevard de la Bastille – Paris XIIe du mercredi au dimanche de 11h à 19h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h. http://www.timeout.fr/paris/art/theatre-du-monde

Kurt Vile, le 19 décembre à la Gaîté Lyrique

4. THÉÂTRE Un voyage historique et mouvementé au pays de la liberté (ou presque) : cette adaptation sur scène de James Ellroy dresse un tableau cru et violent des États-Unis et de la dynastie Kennedy, avec son lot de complots en tous genres.

LE RESTAURANT

5. FESTIVAL Pour sa neuvième édition, le festival réunit une quinzaine d’artistes sur dix jours : La Femme, Poni Hoax, Juveniles, Tunng ou encore Peter Hook, ancien bassiste de Joy Division. Autre bonne nouvelle, tous les billets sont à huit euros pour les moins de 25 ans, et à moins de vingt euros pour les autres. Festival Les Aventuriers, du 10 au 20 décembre à Fontenay-sous-Bois

© thierry richard

American Tabloïd, du 9 au 22 décembre à la MC93 Bobigny

> LE BAT Au pied du métro Richelieu-Drouot, derrière une devanture sans charme que l’on pourrait snober par ignorance, se cache le BAT. Au déjeuner, on s’attable à l’immense bar carré ou dans l’une des

deux vastes salles meublées design pour profiter de l’un des meilleurs rapports qualité-prix de Paris (de quinze euros cinquante à vingt-quatre euros). Derrière le comptoir s’agite une brigade de jeunes cuisiniers préparant en direct tapas et plats sous influence asiatique. De son expérience de restaurant étoilé, le jeune chef Yariv Berrebi a rapporté le talent des assaisonnements justes et parfumés, des cuissons parfaites et des alliances étonnantes. Au dîner, on regrette une carte des vins un poil maigrichonne, mais on se jette sur des tapas de très belle facture (bœuf de Galice pommes de terre fumées, tartare de saumon à la crème de vodka – de quatre à neuf euros) qui redonnent soudain un coup de jeune aux vieux boulevards. T.R. 16 bis, boulevard Montmartre – Paris IXe http://www.timeout.fr/paris/ restaurant/le-bat

retrouvez toutes ces adresses sur www.timeout.fr www.troiscouleurs.fr 143


LES SALLES BASTILLE

BEAUBOURG

BIBLIOTHÈQUE

GAMBETTA

GRAND PALAIS

HAUTEFEUILLE

NATION

ODÉON

PARNASSE

QUAI DE LOIRE QUAI DE SEINE

agenda

le 8 déc. à 11h Avant-première MK2 BIBLIOTHÈQUE

Loulou, l’incroyable secret d’Éric Omond et Grégoire Solotareff, en présence de l’équipe du film

le 9 déc. à 20h Avant-première MK2 BIBLIOTHÈQUE ET MK2 QUAI DE SEINE

Je fais le mort de Jean-Paul Salomé

à partir du 11 déc. Cycle Junior et Bout’chou « Noël dans les airs » Renseignements sur www.mk2.com/evenements

le 12 déc. à 20h European Outdoor Film Tour 13/14 MK2 BIBLIOTHÈQUE

LE STORE

De bonnes fêtes PAR C.GA.

Cadeau, du latin capitellum, « petite tête ». Le terme désigne au départ une lettre capitale ornée de petits traits de plume, pour marquer le début d’un chapitre ou d’un paragraphe. Sans que l’on sache comment, il s’est mis à décrire une fête galante destinée à une dame, puis un hommage sous la forme d’un présent. Parfois, loin de cette noble ascendance, le mot « cadeau » devient synonyme de casse-tête, de prise de risques, de déception de l’être chéri, d’urgence de dernière minute. Faire un cadeau, c’est s’exposer à un : « Ah ! Je l’ai déjà… Mais ça me fait super plaisir, je te jure… » En cette période de fêtes durant laquelle les pièges sont démultipliés, les Stores des MK2 Bibliothèque et MK2 Quai de Loire vous aident à emballer les

Projetée à travers toute l’Europe, une sélection des meilleurs films de sport et d’aventure de l’année.

le 15 déc. à 11h Le Dernier des injustes MK2 HAUTEFEUILLE

Projection du film de Claude Lanzmann, suivie d’un débat avec Laura Koeppel, assistante réalisatrice

le 21 déc. à 11h « Le jour le plus court » MK2 HAUTEFEUILLE

cadeaux les plus judicieux pour vos proches ou pour vous-même. Des présents culturels de tous horizons, mis en perspective pour résonner avec les films en salles. En cette fin d’année, les coffrets collectors se dressent dans la dvdthèque, les beaux livres tournent leurs plus belles pages dans la librairie. L’épicerie fine regorge de trouvailles culinaires venues de loin. Une sélection de produits high-tech excite les doigts, les yeux et les oreilles, depuis les appareils photo Lomo jusqu’aux accessoires iPad. T-shirts, pulls et accessoires compléteront une garde robe inspirée par les icônes du septième art. De quoi faire pousser les racines du sapin sous un parterre de cadeaux cinéphiles.

Projection de cinq films sélectionnés par la revue Bref. Entrée libre.

Le Store, au MK2 Bibliothèque et au MK2 Quai de Loire.

Renseignements sur www.mk2.com/evenements

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hiver 2013-2014

le 7 jan. à 20h30 Carte blanche à Angelin Preljocaj MK2 QUAI DE LOIRE

Rencontre avec le chorégraphe et projection d’un film de son choix.

le 14 jan. à 14h Opéra MK2 HAUTEFEUILLE

Retransmission en différé de Falstaff de Giuseppe Verdi

le 27 jan. à 20h30 Rendez-vous des docs MK2 QUAI DE LOIRE

Sur les braises de Mary Jiménez et Bénédicte Liénard

les lundis à 18h Les conférences philosophiques de Charles Pépin MK2 HAUTEFEUILLE



pré se nte

EXPOSITION

RAYMOND DEPARDON Qu’il filme ou qu’il photographie, Depardon saisit ses contemporains en continu. Depuis la violence du Tchad des années 1970 jusqu’à l’actuel président de la République. Ce regard vif nous en fait voir de toutes les nuances, à travers une rétrospective au Grand Palais. PAR ÉTIENNE ROUILLON

THÉÂTRE > LES FAUSSES CONFIDENCES

©sylvie lancrenon

©raymond depardon/magnum photos

©raymond depardon/magnum photos

de Marivaux

Harar, Éthiopie. 2013

Plage de Wai Ki Ki, Honolulu, 2013

Cent cinquante photographies de Raymond Depardon. Cent cinquante instantanés sans clichés, parce que Depardon respecte les gens qu’il croise tout en les bousculant pour qu’ils ne se cachent pas derrière une posture que lui voit comme une imposture. Journaliste, portraitiste ou artiste, il ne mélange pas les genres, mais il les maîtrise tous. De ses films on retiendra la présidentielle intime de Giscard (1974, Une partie de campagne), le quotidien d’un commissariat parisien dans Faits divers (1982) ou encore l’infinie tendresse de la trilogie Profils paysans, tournée entre 1998 et 2008, qui a remis la France rurale

au centre de la carte. Dans Journal de France, sorti il y a deux ans, il expliquait qu’un sujet ne peut pas être pris en noir et blanc et en couleurs. Il ne peut se prêter aux deux. Il faut choisir. La cohérence de cette prise de décision dirige son travail, qu’elle soit le fruit d’une lente préparation ou improvisée sur le vif. Cette exposition fait aussi un choix et ne montre que des photographies en couleurs. La plupart sont inédites : des photos qu’il a réalisées pour l’occasion en voyageant aux États-Unis, en Afrique et en Amérique du Sud. « Raymond Depardon : un moment si doux », jusqu’au 10 février au Grand Palais

sélection ZOO DE VINCENNES En attendant la réouverture du parc, au début du printemps 2014, vous pouvez d’ores et déjà être associé à ce lieu hors normes en devenant le parrain de l’un de ses habitants. Qu’il s’agisse de Nero le lion ou d’Adeline la girafe, vos dons serviront à financer l’accueil des animaux dans le zoo et la préservation d’espèces en danger d’extinction dans leur habitat naturel. Réservations à partir du 1 er décembre sur www.parczoologiquedeparis.fr

PAR C.GA.

RE : WALDEN Cette pièce est inspirée de Walden ou la Vie dans les bois, récit d’une vie érémitique de deux ans dans une cabane du Massachusetts. Le spectacle musical de Jean-François Peyret interroge la misanthropie discrète du texte, tout en matérialisant sa portée littéraire et poétique dans les pas d’un musicien, de comédiens, d’un vidéaste et d’un scénographe sonore. Du 16 janvier au 15 février au théâtre national de La Colline

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Nommé en mars 2012 directeur du théâtre de l’Odéon, le Suisse Luc Bondy poursuit une carrière de metteur en scène tout aussi friand de théâtre contemporain que classique. Cette pièce de Marivaux, parmi ses plus fameuses, suit une riche veuve et un jeune ruiné que tout semble opposer. Le dénouement est évidemment heureux, et ce sont surtout les mécanismes de ce rapprochement qui sont au cœur du texte du dramaturge. Avec, entre autres, Isabelle Huppert et Louis Garrel. C.GA. à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, du 16 janvier au 23 mars

hiver 2013-2014

ROMÉO ET JULIETTE Le metteur en scène Nicolas Briançon est un habitué du théâtre shakespearien. Après La Nuit des rois et Le Songe d’une nuit d’été, il s’attaque à la pièce la plus emblématique de ce répertoire. L’histoire d’amour des deux jeunes Véronais est portée par Ana Girardot (vue dernièrement dans la série Les Revenants) et par Niels Schneider (Les Rencontres d’après minuit). Du 16 janvier au 27 avril au Théâtre de la Porte Saint-Martin


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4 salles supplémentaires via la nouvelle entrée BnF

Entrée BnF 4 salles Réservez sur www.mk2.com


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