Trois Couleurs # 106 - novembre 2012

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cinéma culture techno novembre 2012 n°106 by Enquête sur la gaysploitation Et aussi…

Filmer la religion • Cristian Mungiu • Jonas Mekas La Nuit du chasseur • Skip&Die • Ben Affleck • Ivan Mosjoukine • Clint Eastwood • Rengaine Naomi Kawase • La Chasse • Paul Banks

Après Mai Artiste ou activiste ?


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SOMMAIRE

novembre 2012

Éditeur MK2 Agency 55 rue Traversière, 75012 Paris Tél. : 01 44 67 30 00

7 … ÉDITO 8 … PREVIEW > Les Hauts de Hurlevent d’Andrea Arnold 10 … SCÈNE CULTE > Carlos d’Olivier Assayas

Directeur de la publication Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com)

13 LES NEWS

Rédacteur en chef Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Rédactrice en chef adjointe Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Chef de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Rédacteurs Quentin Grosset Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) Directrices artistiques Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) Secrétaire de rédaction Jérémy Davis (jeremy.davis@mk2.com) Iconographe Juliette Reitzer

13 … CLOSE-UP > Héléna Klotz pour L’Âge atomique 14 … BE KIND, REWIND > Augustine d’Alice Winocour 16 … EN TOURNAGE > Tonnerre de Guillaume Brac 18 … M OTS CROISÉS > Jonas Mekas et José Luis Guerín, cinéastes en correspondance 20 … SÉRIES > Les Revenants de Fabrice Gobert 22 … ŒIL POUR ŒIL > Thérèse Desqueyroux de Claude Miller vs. Thérèse Desqueyroux de Georges Franju 24 … U N FAUTEUIL POUR DEUX > Le Festival international du film de La Roche-sur-Yon vs. le Festival international du film indépendant de Bordeaux 26 … ENQUÊTE > Une nouvelle vague du cinéma queer ? 30 … TOUT-TERRAIN > Paul Banks, Ben Affleck pour Argo 32 … AUDI TALENTS AWARDS > Hans Zimmer 34 … SEX TAPE > L’Étrange Créature du lac noir de Jack Arnold

36 DOSSIERS 36 … APRÈS MAI > Rencontre avec Olivier Assayas 46 … C INÉMA ET RELIGION > Au-delà des collines, Il était une foi, Ainsi soient-ils : comment filmer la foi ?

Stagiaires Sophia Collet, Tiffany Deleau, Frédéric de Vençay

53 LE STORE

Ont collaboré à ce numéro Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Hugues Derolez, Bruno Dubois, Julien Dupuy, Sylvain Fesson, Yann François, Claude Garcia, Gaétan Mathieu, Wilfried Paris, Michael Patin, Laura Pertuy, Pamela Pianezza, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Louis Séguin, Alain Smet, Antoine Thirion, Bruno Verjus, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer

53 … OUVERTURE > Laurence Anyways de Xavier Dolan 54 … VINTAGE > Les Enfants du paradis de Marcel Carné 56 … DVD-THÈQUE > La Nuit du chasseur de Charles Laughton 58 … CD-THÈQUE > Riots in the Jungle de Skip&Die 62 … BIBLIOTHÈQUE > La vraie vie est ailleurs de Jean Forton 66 … BD-THÈQUE > Anthologie Eerie – Volume 1 et Anthologie Creepy – Volume 1 70 … LUDOTHÈQUE> Borderlands 2

Illustrateurs Dupuy et Berberian, Stéphane Manel Publicité Directrice commerciale Emmanuelle Fortunato Tél. : 01 44 67 32 60 (emmanuelle.fortunato@mk2.com) Responsable clientèle cinéma Stéphanie Laroque Tél. : 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Directrice de clientèle hors captifs Laura Jais Tél. : 01 44 67 30 04 (laura.jais@mk2.com) Chef de projet communication Estelle Savariaux Tél. : 01 44 67 68 01 (estelle.savariaux@mk2.com)

© 2012 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

73 LE GUIDE 74 … SORTIES EN VILLE > Electric Electric ; Tsunami-Addiction ; Adel Abdessemed ; « Body Language » ; Ivan Mosjoukine ; Maguy Marin ; Roseval 88 … SORTIES CINÉ > Être là de Régis Sauder ; Genpin de Naomi Kawase ; La Chasse de Thomas Vinterberg ; Rengaine de Rachid Djaïdani ; Les Lignes de Wellington de Valeria Sarmiento ; Royal Affair de Nikolaj Arcel ; Une nouvelle chance de Robert Lorenz 104 … LES ÉVÉNEMENTS MK2 > Ouverture du MK2 Grand Palais ; carte blanche à Luc Bondy au théâtre de l’Odéon 108 … TRAIT LIBRE > Liverfool de Gihef et Vanders 110 … TOUT OU RIEN PAR DUPUY ET BERBERIAN

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ÉDITO Rédaction directe Frédéric, stagiaire à la rédac, ne voyait absolument pas où je voulais en venir, mais alors pas du tout. « L’art, c’est la solitude, c’est un choix. Mais c’est pas le mien. » C’est ce que dit le personnage de Jean-Pierre, l’activiste Molotov, à son pote Gilles, l’artiste gouache. Ça vient du dernier film d’Olivier Assayas, Après mai, qui interroge un groupe d’ados chauffés à rouge par les manifs de 1968 : que faire de l’héritage des événements du printemps ? Comment le transformer quelques mois plus tard ? Par l’action directe et violente, par le pouvoir de sédition de l’art ? Pour ne pas me retrouver dans la même panade que le mois dernier, j’avais pris les devants, en essuyant les plâtres de mon édito sur Frédéric bien avant le départ en impression. Il ne comprenait pas pourquoi je m’entêtais à prendre pour point de départ l’idée de Jean-Pierre plutôt que de partir de la conviction de Gilles : l’art a autant d’impact qu’une action coup-de-poing. L’artiste est il vraiment ce bonhomme tout seul ? Est-ce qu’il ne s’adresse pas à nous ? Voilà le grand écart qui pourrait servir de fil rouge à ce numéro placé sous les auspices d’œuvres en prise avec des débats de société. Il y a cette enquête sur la gaysploitation, un cinéma homosexuel, lesbien et transgenre, en pleine explosion ce mois-ci avec House of Boys, Les Invisibles ou Sur le chemin des dunes. Il y a aussi ce dossier sur la représentation des frottements entre la vie de la cité et celle de la congrégation religieuse, éclairé par notre rencontre avec Cristian Mungiu, le réalisateur d’Au-delà des collines. Il y a même les instantanés urbains de Rengaine. Frédéric n’est plus stagiaire à la rédac quand j’écris cet édito, et c’est dommage, parce que ce que j’essayais de lui dire m’est tombé dessus hier soir. Le fatras culturel qui s’amasse sur mon bureau, une sorte de cauchemar pour gestionnaire de stock à la Fnac, s’est effondré sur mon clavier, projetant un disque dans ma tasse à café. The Hypnoflip Invasion de Stupeflip, un truc stupéfiant sorti en 2011. Avec une chanson féroce, Stupeflip Vite !!!, qui dit : « Foule sentimentale, je t’ai souvent cherché. Mais où es-tu ? Où sont les utopies ? Où sont les éveillés ? (…) Ras-le-bol d’être tout seul.  » Des manifs, je n’ai connu que les évidences du deuxième tour Le Pen-Chirac, les envolées mimétiques néo-1968 contre le CPE, avec une Sorbonne encagée par les murs en tôle, la viralité sur YouTube des actions des black blocs en marge des G8. La manif avec les autres, mais au fond tout seul. Une génération à qui l’on préfère écrire « Barrez-vous ! ». C’est Frédéric qui était sur la bonne piste : Jean-Pierre écoutera Stupeflip quarante ans plus tard, et Gilles lui préférera Alain Souchon, mais ils appartenaient à cette même « foule sentimentale ». L’artiste est seul, oui, mais une solitude provisoire face à la responsabilité de remuer la foule. _Étienne Rouillon

Retrouvez une sélection d’objets culturels pour les fêtes de fin d’année avec le guide du Store, disponible dans le réseau MK2.

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PREVIEW

Brontë divine Les Hauts de Hurlevent d’Andrea Arnold Avec : Kaya Scodelario, James Howson… Distribution : Diaphana Durée : 2h08 Sor tie : 5 décembre

Déjà adapté par les pointures William Wyler, Luis Buñuel ou encore Jacques Rivette, l’unique roman d’Emily Brontë avait-il besoin d’une énième relecture cinématographique ? Convaincue que oui, la Britannique Andrea Arnold s’est approprié la ténébreuse love story victorienne en lui insufflant le peps naturaliste et la solide direction d’acteurs qui faisaient la valeur de Red Road et de Fish Tank, ses précédents longs métrages. Filmées au plus près des corps, caméra à l’épaule, les amours platoniques mais violentes de Cathy et Heathcliff (joué pour la première fois par un acteur noir) écrivent un vibrant poème sensitif dans lequel se confondent visages et paysages, nature et affects, battus par le même vent lyrique. ©Diaphana distribution

_Éric Vernay

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© Jean-Claude Moireau / Film en Stock

scène culte

CARLOS Une plongée dans le tournant des années 196070 peut en provoquer une autre. Le réalisateur OLIVIER ASSAYAS suit ce mois-ci un voyage artistique et initiatique dans Après Mai (lire notre dossier p. 36). Ce film dans l’immédiat post-68 a profité du souffle explosif de la série Carlos (2010), dans laquelle le cinéaste retraçait le parcours du terroriste Ilich Ramírez Sánchez, alias Carlos. Dans cette scène de la prise d’otages du siège de l’Opep, le 21 décembre 1975, l’homme d’action (joué par Édgar Ramírez) isole le ministre du Pétrole d’Arabie Saoudite pour un face-à-face glaçant. _Par Quentin Grosset et Étienne Rouillon

Carlos : Je vais vous tuer… (Ahmed Zaki Yamani se tourne vers lui, le regard craintif.) Carlos : … pas encore… (Le ministre s’assoit.) Carlos : Vous êtes intelligent. Vous connaissez les ressorts de la politique, comme moi. Au bout du compte, nous ne sommes que des pions dans le jeu de l’Histoire. Moi, je suis un soldat, je n’ai pas de maison, je vis sous une tente. Ma seule mission : mener mes hommes à la victoire. Aujourd’hui, j’ai quarante commandos de par le monde, prêts à agir si j’en donne l’ordre. Ce sont des hommes déterminés, prêts à se sacrifier pour la cause et pour la victoire finale. Voilà qui je suis. (Carlos pose sa mitraillette sur la table.) Carlos : Quant à vous, vous êtes un stratège… Vous jouez sur un échiquier à l’échelle de la planète… (Carlos allume une cigarette.)

Carlos : Je respecte ça. Parce que vous et moi, nous nous sommes trouvés bien souvent dans le même camp. Le camp de la lutte anti-impérialiste et de la cause palestinienne. Mais malheureusement, aujourd’hui, nous ne sommes pas dans ce même camp. Parce qu’en levant l’embargo sur le pétrole, vous avez trahi notre cause. (Nerveux, Yamani manipule un collier de perles.) Carlos : Vous avez rallié Washington, mais il vient toujours un moment où l’on doit répondre de ses actes. Et ce moment, cheikh Yamani, est venu pour vous aujourd’hui. (Carlos s’assoit face à lui.) Carlos : Vous allez devoir payer pour la politique saoudienne. Vous connaissez le sort réservé aux traîtres ? (Le ministre acquiesce, la tête baissée.)

Carlos d’Olivier Assayas, scénario d’Olivier Assayas, Daniel Leconte et Dan Franck (2010) Disponible en DVD (StudioCanal)

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Close-up

© Nicolas Guerin

NEWS

Héléna Klotz

« J’adore Bresson et SuperGrave… Ce qui me plaît au cinéma, c’est le style », explique Héléna Klotz, prix Jean-Vigo pour L’Âge atomique (en salles le 28 novembre). Dans ce premier long, la réalisatrice trempe des personnages de teen movie dans l’atmosphère sombre et romantique d’un Paris mythique. Avant le cinéma, Héléna a peint, fait de la musique, du dessin. « Et puis mon père (le réalisateur Nicolas Klotz – ndlr) m’a fait remarquer que la mise en scène, c’est tout ça à la fois ! » Assumant sa filiation, elle a collaboré avec son frère Ulysse pour donner au film une bande-son chiadée, aux nappes electro audacieuses. Lorgnant vers le film de vampires, L’Âge atomique annonce la couleur : « J’ai terminé le scénario d’un vrai film de genre, avec Niels Schneider dans le rôle du tueur. » _Laura Tuillier

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NEWS BE KIND, REWIND

Malades imaginaires

Diplômée en scénario de la Fémis, ALICE WINOCOUR signe un premier film très maîtrisé retraçant la rencontre entre le professeur Charcot et la jeune Augustine, internée à la Salpêtrière à la fin du XIXe siècle. Présenté à Cannes à la Semaine de la critique, Augustine est l’occasion de revenir sur trois films qui ont pris le pouls de « l’hystérie » féminine.

©ARP Selection

_Par Laura Tuillier

Augustine d’Alice Winocour Avec : Soko, Vincent Lindon… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h41 Sor tie : 7 novembre

©Mars Films

©Haut et Court

d’hystérie ©Les Films du possible

Trois films

de Jean-Claude Monod et Jean-Christophe Valtat (2003)

de David Cronenberg (2011)

A Dangerous Method

Oh My God!

« Je ne voulais pas faire un film poussiéreux. Je me suis inspirée du cinéma fantastique avec l’envie de réaliser un film de genre », explique Alice Winocour. En 2003, les réalisateurs de ce moyen métrage avaient quant à eux pris le parti de coller à l’imagerie de l’époque. Filmé en noir et blanc, cet Augustine semble tiré des archives de la Salpêtrière. Pourtant, c’est bien le point de vue de la jeune fille qui est central : Maud Forget donne à la patiente une étonnante force de résistance, de l’internement forcé à la fuite déguisée en homme. ♦

Les débuts de la psychanalyse par le maître canadien des perversions organiques en tout genre : lorsque Carl Jung soigne Sabina Spielrein, diagnostiquée hystérique, il ne peut résister à l’envie d’en faire sa maîtresse, au risque de se brouiller avec Freud. Une relation médecinpatiente sadomaso que prolonge le film d’Alice Winocour : « Je voulais un parti pris fort pour les séances d’examen : je les ai toutes filmées comme des scènes sexuelles. La leçon aux scientifiques, c’est du peep-show, avec les hommes dans l’ombre et elle dans la lumière. » ♦

« Plus de deux mille femmes étaient internées à la Salpêtrière et traitées comme des rats de laboratoire par les médecins, tous des hommes », détaille Winocour. Dans la comédie de Tanya Wexler, ce sont de riches Londoniennes du XIXe siècle qui sont diagnostiquées hystériques et soignées à l’aide de caresses bien placées. Le jeune docteur Granville, qui semble tout ignorer du plaisir féminin au départ, parfait son éducation sexuelle en inventant le vibromasseur et en reconnaissant que l’hystérie n’existe pas : il n’y a que des femmes insatisfaites. ♦

Augustine

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de Tanya Wexler (2011)


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©Guillaume Brac

NEWS EN TOURNAGE

La première page du scenario de Tonnerre, le prochain film de Guillaume Brac

Retour de femme E Tonnerre de Guillaume Brac Avec : Vincent Macaigne, Solène Rigot… Sor tie prévue : 2014

Après le succès en salles (exceptionnel pour un moyen métrage) d’Un monde sans femmes cette année, GUILLAUME BRAC s’apprête à tourner Tonnerre, qui sera son premier long. Dans le rôle principal, son acteur (déjà) fétiche, Vincent Macaigne. _Par Louis Séguin

xit Sylvain et sa phobie des femmes. Vincent Macaigne, dans Tonnerre, interprétera un rockeur sur le retour, en bivouac chez son provincial paternel (Bernard Ménez, sublimé par les films de Jacques Rozier, que Guillaume Brac adore). Lorsqu’il tombe amoureux fou d’une jeune journaliste du cru un peu fuyante (Solène Rigot), la comédie se transforme peu à peu en thriller. Tonnerre est la petite ville de Bourgogne où se situe l’action du film. Mieux, elle l’a inspirée : « Tonnerre a été le point de départ du projet tout comme Ault avait été celui d’Un monde sans femmes », confie Brac. La méthode de travail qui avait fait la fraîcheur

Clap !

_Par S.C.

1 Axelle Ropert Après La Famille Wolberg, Axelle Ropert tourne son deuxième long, Tirez la langue, mademoiselle, sur deux frères médecins (Cédric Kahn et Laurent Stocker) amoureux de la même femme (Louise Bourgoin). Une trame rappelant celle de Faux semblants de David Cronenberg.

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et la beauté de la comédie estivale se confirmera dans ce premier long métrage : présence d’acteurs locaux et non professionnels dans leurs propres rôles, utilisation du 16 mm à revers de la (très) forte tendance numérique. Sur ce point, le réalisateur ajoute : « Je n’arrive pas à m’y résoudre. Après, il faudra peut-être que je pense autrement. Mais Tonnerre est une ville à l’atmosphère un peu fantastique, quelque chose de vraiment intéressant à fixer sur pellicule. » Film hivernal, Tonnerre pourrait être visible en salles aux premières neiges de 2014, laissant le temps de se repaître du DVD d’Un monde sans femmes, paru en septembre dernier. ♦

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2 Olivier Assayas Olivier Assayas prépare l’aprèsAprès mai. Au printemps, il projette de tourner Since Maria : « Un film pour Juliette Binoche, sur Juliette Binoche, avec Juliette Binoche », affirmait-il aux Américains du blog The Playlist le 8 octobre. Le casting sera anglophone.

3 Spike Lee Cet automne, Spike Lee a enfin débuté le tournage du remake d’Old Boy (2004), le revenge movie de Park Chan-wook. Au casting : Josh Brolin, Elizabeth Olsen, Samuel L. Jackson, Sharlto Copley (District 9) et James Ransone (le « Ziggy » Sobotka de The Wire).


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NEWS MOTS CROISÉS

Jonas Mekas

José Luis Guerín

À 89 ans, JONAS MEKAS, le pape du cinéma d’avant-garde américain, expose enfin ses photos de jeunesse, archives de son arrivée à Brooklyn après la fuite de sa Lituanie natale. Affichés à la Galerie du jour Agnès B., ces clichés accompagnent la sortie DVD de ses films les plus marquants. Dans une installation au centre Pompidou présentant neuf lettres vidéo, l’inventeur du journal filmé et le documentariste espagnol JOSÉ LUIS GUERÍN partagent leurs rêveries sur leurs œuvres ambulatoires, dont les rétrospectives intégrales ont lieu au même moment. Les deux cinéastes prolongent ici leur correspondance. _Par Quentin Grosset / _Illustration : Stéphane Manel

Lettres ouvertes « Je me souviens de vos propos à New York, de cette bonne vieille formule cinématographique : “Je réagis à la vie”, avez-vous dit. » (Lettre à Jonas Mekas numéro 1)

Jonas Mekas : Je crois que je n’ai jamais pensé, dans ma vie ou dans mes œuvres. Comme un karatéka, un élément doit provoquer mon œil ou mes sens pour que je puisse filmer. Je préfère ne rien faire et rester en état de plénitude.

« Dehors, le printemps. Dans ma salle de montage, l’hiver. » (Lettre à José Luis Guerín numéro 2)

José Luis Guerín : En tant que penseur zen et créateur de haïkus, vous partagez avec moi cet étonnement quand on assiste à l’incidence de la lumière sur les arbres ou que l’on goûte un bon café. Les saisons sont très importantes, c’est le premier contact avec les choses essentielles. En confrontant la fenêtre et l’écran, c’est la vie et la création qui se croisent : le premier cadre donne sur l’espace extérieur, le second sur une dimension plus introspective. 18

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« Un élément doit provoquer mon œil ou mes sens pour que je puisse le filmer. » « Ce déracinement est commun à tous les personnages que j’ai filmés dernièrement. Même vous, Lituanien installé à New York, qui aimez vous rappeler que vous êtes un fils de fermier. » (Lettre à Jonas Mekas numéro 4)

J.M. : Aujourd’hui, je suis ailleurs. Penser en termes d’« immigrant » ou d’« émigrant » est une pensée primitive : je crois que je me suis simplement déplacé. La migration est une étape très ancienne et positive du progrès humain. Dans des temps plus reculés, c’était une phase


La réplique

« Dans un bon film, une parole ou une image amènent le regard à une multitude de trajets. »

« - J’ai envie qu’on évolue. - Ouais, cachés… - Casher, halal… Comme tu veux ! » Sabrina et Slimane, couple interreligieux dans Rengaine de Rachid Djaïdani, en salles le 14 novembre (lire également p. 96)

La phrase très naturelle dans une vie. En cette époque troublante, cela tient plutôt à quelqu’un qui vous expulse de votre foyer, de force.

« On va de l’avant, et il n’y a pas besoin d’explications. Les explications font seulement partie du jeu. » (Lettre à José Luis Guerín numéro 3)

J.L.G. : Je ne suis pas un sage, comme vous qui filmez l’instant. Je suis plus jeune et je me sens encore obligé de développer les choses. Le cinéma nécessite un travail de synthèse, contrairement à la télévision, qui n’a pas sa densité sémantique. Quand on voit un bon film, une parole ou une image amènent le regard à une multitude de trajets.

« Vous et Jean Cocteau avez dignifié notre précarité. Partout, on voyait apparaître des collectifs, des manifestes, des revues, des fabriques de créateurs. » (Lettre à Jonas Mekas numéro 5)

J.M. : C’est curieux que vous mentionniez Cocteau. Il fut une des très rares personnes à avoir changé ma vie. J’ai lu ce qu’il avait écrit à propos de la bande sonore du Sang d’un poète : elle a été désynchronisée involontairement ! En voyant le film, plus jeune, j’ai pensé que ce synchronisme accidentel était très inspirant. C’était avant même d’avoir entendu le nom de John Cage. Je me suis alors efforcé de mettre cette rencontre de la chance et de l’erreur au centre de mon existence.

« Vous êtes allé dans le Nouveau Monde et, par erreur, je suis allé dans le Vieux Monde. » (Lettre à José Luis Guerín numéro 3)

J.L.G. : En Europe, nos rues portent des noms de poètes, de penseurs, de philosophes. Aux États-Unis, elles sont indiquées par des numéros. Cette dialectique est intéressante : puisque vous êtes un Lituanien vivant à New York, votre perception diffère, elle est caractérisée par le mouvement. Moi, je suis Espagnol mais je passe la moitié de l’année en Amérique Latine. Je me situe également dans ce décalage, cette incommodité. Le confort dans la création, ce n’est pas un bon choix. ♦ « Jonas Mekas-José Luis Guerín – Cinéastes en correspondance », du 30 novembre 2012 au 7 janvier 2013 au centre Pompidou Festival d’automne à Paris, w w w.centrepompidou.fr « Cof fret Jonas Mekas » (Agnès B. DVD/Potemkine/Re:voir, disponible) « Images from Purgatorio, Williamsburg, Brooklyn 19 49 , my first New York home », du 9 novembre au 29 décembre à la Galerie du jour Agnès B., w w w.galeriedujour.com

« Je pense que c’est de la merde sur toute la ligne, et je ne veux pas y participer. (…) C’est une carotte, mais la carotte la plus dégueulasse que j’ai goûtée de toute ma vie. (…) J’ai rarement été aussi mal à l’aise qu’à l’époque où Walk the Line était nommé pour tous ces prix. Je ne veux plus jamais revivre ça. » (Joaquin Phoenix dans le numéro de septembre du magazine américain Interview, au sujet de sa probable nomination aux Oscars pour The Master de Paul Thomas Anderson)

Status quotes Notre sélection des meilleurs statuts du mois sur les réseaux sociaux

Tomsias : Je crois que j’imite vachement bien Yves Duteil. Mais je ne sais pas si ça peut me servir socialement. Isachelley : Uma Thurman a appelé sa gamine Rosalind Arusha Arkadina Altalune Florence Thurman-Busson. On appelle les services sociaux ou l’HP ? Nicolas : Meilleur nom de label du monde, cette semaine : I Used To Fuck People Like You In Prison Records. Isachelley : Je ne peux regarder la télé qu’en étant parallèle et pas face à l’écran. J’ai chopé ce tic sur le sofa en L de mes parents. Le Gorafi : Au Québec, le film Ted a été traduit en Les Facétieuses et Drôles Aventures d’un ours en peluche pas comme les autres nommé Ted. Nico : Florent Pagny & The Machine Damien : Bug, au fond, c’est Bergman Begins. Jeremiah : Dany Boon, le nouveau Justin Timberlake. Isachelley : Quelqu’un pourrait me dire où se trouve le zip dans la fourrure des chats ? Je voudrais réhousser les miens.

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NEWS SÉRIES ©ABC photo archive/Getty Images

le caméo Sherilyn Fenn dans Magic City Bonne idée de casting que de tirer de sa semi-retraite Sherilyn Fenn, inoubliable Audrey Horne de Twin Peaks. Abonnée aux rôles de femme fatale depuis qu’elle campa cette lycéenne sensuelle chez David Lynch, elle devrait se fondre parfaitement dans le décor rétro-chic (et un peu toc) de Magic City, fresque noire dans le Miami de 1959. Fenn y jouera une ex-call-girl devenue tenancière de bordel pour le compte du caïd très flippant joué par Danny Huston. Autre guest de la saison 2 à revisiter un pan de sa filmo, James Caan (Le Parrain), qui interprètera… un mafieux. _Guillaume Regourd

BIEN VIVANT Une série sur des morts qui reviennent parmi les vivants, à l’initiative de Canal+, et l’on pourrait croire à une vaine tentative d’un The Walking Dead à la française. Pas de zombies à l’horizon, mais un épais mystère qui fait la matière des Revenants. _Par Sophia Collet

Les Revenants de Fabrice Gobert (France) Diffusion : saison 1 à partir du 26 novembre sur Canal+

©Jean Claude Lother Haut et Court Canal+

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ifficile de ne pas copier les modèles américains et de trouver un ton, un rythme, une qualité d’image et des motifs singuliers pour les séries françaises. Le premier atout des Revenants est de fonder son récit sur l’espace d’une petite bourgade provinciale nichée près d’un barrage, au carrefour entre la modernité des suburbs – avec ses quelques lieux-clés de vie et ses angles morts (ici, un tunnel) – et l’ombre tutélaire de montagnes aussi massives que celles qui cernaient l’hôtel Overlook du Shining de Kubrick. Les références implicites qui innervent la série, de la BD Black Hole de Charles Burns, dans sa dimension teen, jusqu’à Twin Peaks pour son versant policier, ouvrent un pur territoire de fiction, moins soumis au naturalisme, où le fantastique ne surgit pas au forceps. Fabrice Gobert, en ­showrunner, a remanié le script d’un drame social étrange de Robin

Campillo, Les Revenants (2004) et retravaillé l’espace mi-fantasmatique, mi-réaliste de son film Simon Werner a disparu (2010), qui tentait aussi de s’approprier un modèle très américain, le teen movie. La greffe est réussie. Le mystère de cette ville qui voit revenir ses morts, aux passés divers, comme s’ils n’étaient

Zapping

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Diane Kruger L’actrice allemande a été choisie pour porter The Bridge, remake de la série suédo-danoise. Elle jouera un flic américain forcé de coopérer avec un homologue mexicain incarné, lui, par Demián Bichir (Che) pour résoudre un crime perpétré à la frontière.

©Jason Merritt/WireImage

M. Night Shyamalan Le réalisateur de Sixième sens se met aux séries, et plutôt deux fois qu’une : en plus d’un projet de science-fiction autour de la vie après la mort – l’un de ses thèmes fétiches –, il planche sur une relecture contemporaine de Moby Dick intitulée Lost Horizon.

©Pablo Blazquez Dominguez/WireImage

©Channel 4

_Par G.R.

Shameless La comédie prolo anglaise de Paul Abbott s’arrêtera en 2013 au terme de onze saisons. Pour les inconditionnels restera toujours le remake yankee. Souhaitons surtout à l’immense David Threlfall, révélé en père alcoolo, de briller enfin dans d’autres rôles.

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jamais partis, offre un vaste nœud de récits de genre peu à peu dévoilés, enlacés avec l’aide de l’écrivain Emmanuel Carrère. Le casting, solide et éblouissant, vient du cinéma : Céline Sallette, Yara Pilartz, Pierre Perrier, Guillaume Gouix ou Samir Guesmi créent un attachement immédiat. ♦


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©RDA

NEWS ŒIL POUR ŒIL

Thérèse Desqueyroux de Georges Franju Avec : Emmanuelle Riva, Philippe Noiret… Sor tie en DVD le 7 novembre (René Chateau Vidéo)

Folie ordinaire

Dernière œuvre de CLAUDE MILLER, Thérèse Desqueyroux se démarque de la version mystique réalisée cinquante ans plus tôt par Georges Franju en exprimant son habileté dans les affres du quotidien ­dévitalisé de Thérèse, éprise de liberté jusqu’au désespoir. _Par Hugues Derolez

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©Eddy Briere Les Films du 24 - UGC Distribution - 2011

Thérèse Desqueyroux de Claude Miller Avec : Audrey Tautou, Gilles Lellouche… Distribution : UGC Durée : 1h50 Sor tie : 21 novembre

M

ariée sans amour, dévorée par ­l’envie de découvrir le monde au-delà de sa résidence cossue d’Argelouse, Thérèse Desqueyroux est une figure tragique et insaisissable, symbole de féminisme mais aussi de déraison. Le film posthume de Claude Miller est à l’image de son héroïne : mélancolique mais raisonnable, résigné et patient. La démesure du geste criminel, la force libératrice qui pousse Thérèse (Audrey Tautou) à empoisonner son mari (Gilles Lellouche) y sont dépiautées, longuement explicitées, réduites en somme à une succession de circonstances malheureuses et de petites marques du désespoir. Haute

en couleur, aidée peut-être par la participation de François Mauriac, l’auteur du roman, la version de Georges Franju (1962) et son impeccable casting (Emmanuelle Riva, Philippe Noiret et Édith Scob) est une longue remémoration de la vie du personnage, tantôt naïve, tantôt fantasque. Les chemins des deux films se rejoignent en leur ambiguë séquence finale, quand Thérèse avoue ne pouvoir expliquer ses actions et découvre en Paris une ville qui promet de la libérer de ses maux. En fond décroît lentement le chant bucolique d’une forêt de pins, d’une nature immense qui s’est révélée la plus parfaite des prisons. ♦

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NEWS UN FAUTEUIL POUR DEUX - Festival international du film de La Roche-sur-Yon -

©Festival de la Roche sur Yon/TifaineCoatmeur

Assis en tailleur devant l’écran vendéen qui diffusait Les Quatre Cents Coups, Jean-Pierre Léaud avait l’air d’un gourou sage et allumé. Invité d’honneur de cette troisième édition, du 17 au 23 octobre derniers, l’acteur présentait un panorama de son œuvre prépondérante. Ses fans se sont ensuite retrouvés pour une programmation autour de L’Apocalypse-Cinéma (Capricci), un livre de Peter Szendy sur les images de fin du monde au cinéma. La compétition internationale continuait sur l’engloutissement de l’humanité avec La dernière fois

que j’ai vu Macao de João Pedro Rodrigues et João Rui Guerra da Mata, documentaire méditatif sur la ville asiatique devenue dépeuplée, grouillant de chiens errants et de fantômes. Alain Gomis jouait du même motif avec Aujourd’hui, conte philosophique sur le dernier jour sur Terre d’un jeune Sénégalais. Le Japonais Nobuhiro Suwa montrait aussi son premier film, inédit en France, 2/Duo, drame intimiste sur l’extinction d’un couple. Au milieu de ce chaos, le cinéaste aurait ­évoqué une collaboration future avec Léaud… _Quentin Grosset

Jean-Pierre Léaud

Indé-tendances

© Pauline Patoux

Le cinéma indé se porte bien. La preuve par deux : tandis que le Festival de La Rochesur-Yon confirme sa vocation iconoclaste, Bordeaux accouche du FIFIB, qui promet de devenir le rendez-vous des jeunes cinéastes audacieux. Deux événements à l’Ouest.

- Festival international du film indépendant de Bordeaux « Nous avons sélectionné huit films qui représentent autant de facettes du cinéma indépendant. » Pour cette première édition – du 2 au 7 octobre derniers –, Nathan Reneaud, l’un des trois programmateurs du nouveau-né bordelais, explique avoir voulu penser l’indépendance à la fois « esthétiquement et politiquement ». Sous le double parrainage de l’autodidacte Jonathan Caouette (Walk Away Renée) et du « défricheur et inclassable » Olivier Assayas (Après mai), le FIFIB a privilégié en compète les premières (le Grec L, 24

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le Suédois Avalon et le dernier Sophie Letourneur, Les Coquillettes) ainsi que le prometteur Rengaine (lire également page 96). On a aussi pu assister à un bel hommage à Chris Marker, modèle de libre-penseur, présenté par son ami de longue date Costa-Gavras. Et pour alimenter le vivier d’une jeunesse cinéphile, des ateliers étaient destinés aux ados : initiation à la critique et ateliers réalisation, en plus d’une programmation dédiée à l’approche documentaire. Petit ­festival deviendra grand. _Laura Tuillier


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NEWS enquête

Pink bloc De l’empreinte collective des années 1990 jusqu’au tournant intimiste des années 2000-2010, le cinéma queer a toujours été synchrone avec les luttes militantes de son temps. Sa diffusion croissante ces dernières années – et ce mois-ci en particulier – le pousse à confronter sa radicalité historique et son irrévérence à un souci d’assimilation. _Par Quentin Grosset

Les Invisibles de Sébastien Lifshitz (Ad Vitam, sor tie le 28 novembre) Sur le chemin des dunes de Bavo Defurne (Outplay, sor tie le 5 décembre)

©Ad Vitam

House of Boys de Jean-Claude Schlim (Outplay, sor tie le 7 novembre)

Les Invisibles de Sébastien Lifshitz

Partout ou nulle part ? » Dans un article du Village Voice daté de mars 2002, la ­critique B. Ruby Rich s’interrogeait déjà sur la permanence du New Queer Cinema, le mouvement gay, lesbien et transgenre qu’elle avait théorisé en 1992 en révélant l’émergence des productions insolentes de Gregg Araki, Cheryl Dunye ou John Greyson, qui créaient une rupture avec les représentations des gays et lesbiennes par Hollywood (minoritaires de service ou victimes) parallèlement à une peur du sida qui alimentait un climat effarant d’homophobie. Dirigés contre une société hétéro normalisante, ces personnages fiers et enragés critiquaient aussi les exclusions racistes ou sexistes au sein même de leurs communautés.

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GAYSPLOITATION

Ces dernières années, l’heure est au rapprochement plutôt qu’au conflit, et ­Hollywood met régulièrement à

En dehors des cinémas à proximité du Marais, le quartier gay de la capitale, la négociation avec les programmateurs paraît coriace. l’affiche des gays et des lesbiennes comme jamais ­auparavant. Sorti en 2005, Le Secret de B ­ rokeback ­Mountain d’Ang Lee a touché les ­multiplexes du monde entier, amplifiant la visibilité des LGBTI (lesbiennes, gays, bisexuels, ­transgenres

et ­i ntersexes) au cinéma. Les sorties retentissantes ont logiquement suivi : Transamerica (2006), Harvey Milk (2008), The Kids Are All Right (2010)… Dans le cadre français, le flot de distribution de films gays cette année semble dériver du succès de Week-End ­d’Andrew Haigh, variation sur le plan d’un soir qui resta à l’affiche plus de vingt-sept semaines. Son distributeur, Thibaut ­Fougères, explique : « Lorsque notre boîte, Outplay, a sorti ce petit film gay britannique, tout le monde a vu que cela pouvait marcher et s’est précipité pour diffuser son propre film homo. Mais j’ai peur de l’effet de mode, que les spectateurs se lassent. » Car la plupart des entrées s’inscrivent dans une ­économie urbaine ­circonscrite


Mot @ Mot _Par Q.G.

Queer (nom et adj.) [kwiʀ]

1. Terme anglais signifiant « louche », « bizarre », qui a été utilisé à des fins homophobes ou transphobes. L’insulte a été resignifiée par les gays, les lesbiennes et les transgenres en tant qu’arme et étendard, selon un mouvement d’appropriation ironique. 2. Le New Queer Cinema est un mouvement se structurant contre la société américaine homophobe des années 1990. Gregg Araki, Cheryl Dunye, John Greyson et Todd Haynes en sont les cinéastes les plus emblématiques. Avec des récits minimalistes et provocateurs, ils critiquent également l’uniformisation culturelle au sein de leur propre communauté.

autour de trois cinémas à proximité du Marais, le quartier gay de la capitale. Ailleurs, à Paris comme en province, la négociation avec les programmateurs paraît coriace : « Le nombre de tickets vendus est loin d’être le même. Un marché de niche pourrait fonctionner, mais les réticences des exploitants aboutissent à des stratégies commerciales illisibles : il y a un véritable évitement du public gay », affirme Maxime Cervulle, auteur en 2010 d’Homo Exoticus, un ouvrage sur le mouvement gay français ­contemporain. En posant un œil attentif sur les dossiers de presse du catalogue d’Outplay, dont la ligne éditoriale s’adresse pourtant aux publics LGBTI, on note une volonté manifeste d’éclipser la dimension gay

ou lesbienne des films. Sur l’affiche française de Sur le chemin des dunes de Bavo Defurne, teen movie flamand qui sortira le 5 décembre, toute référence à l’homosexualité des jeunes héros a de même été gommée, quand la version anglosaxonne les figure sur le point de s’embrasser. Thibaut Fougères justifie ce détour par sa détermination à convaincre les programmateurs et les publics hétéros. Sur un malentendu ? « Mon job, c’est aussi de faire des entrées », se résigne-t-il.

DRAMA QUEER

Au contraire de cette vocation universelle, les cinéastes queer des nineties se positionnaient selon une identité culturelle ­revendicatrice – façonnant une communauté solidaire et combative, lui inventant

un discours autonome sexuellement chargé. John Greyson penchait ainsi vers l’expérimentation pour déconstruire les mythes nauséabonds sur le sida. Dans son Zero Patience (1993), une comédie musicale sur le steward accusé à tort d’être le premier patient séropositif, le réalisateur désarticulait la rhétorique culpabilisante qui plombait les malades en faisant ­i ntervenir l’association Act Up. House of Boys de Jean-Claude Schlim (en salles le 7 novembre) vient compenser le peu d’images du sida depuis une décennie (malgré un nombre de contaminations en hausse) en plongeant dans l’univers coloré d’un club de striptease à Amsterdam, en 1984. Cette imagerie aguichante pourrait ­ressusciter l’esprit queer des ­nineties ; mais

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©OutPlay

NEWS enquête

House of Boys de Jean-Claude Schlim

lorsqu’est abordée la thématique centrale du sida – elle aussi absente, de façon déconcertante, de la bandeannonce d’Outplay –, le film se calque sur un schéma narratif proche du prude Philadelphia (1993) de ­Jonathan Demme, figurant un corps ­homosexuel faible, avec un rapport aigu à la p­ athologie sociale. Beaucoup de publications parlent pourtant, à propos de Week-End ou de Keep the Lights On d’Ira Sachs, d’un renouveau du cinéma queer : « C’est plutôt un tournant intimiste, centré sur le couple. On est passé du reflet d’un mouvement social collectif à des démarches plus individuelles, une fragmentation de ­l’activisme », précise Maxime ­Cervulle.

Lesbien nécessaire

La persistance du New Queer Cinema dans les films contemporains se situerait plutôt dans la construction d’une mémoire communautaire complexifiant les régimes d’historicité officiels. Le très beau documentaire de ­Sébastien Lifshitz Les ­Invisibles fait le portrait 28

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de la génération de lesbiennes et gays nés dans l’entre-deux-guerres. Les différents té­moignages déploient une parole emplie de sagesse, entre intime et politique : « C’est en collectionnant des photographies d’amateurs des années 1950 que je me suis

Les documents, passionnants, du film Les Invisibles retracent les luttes des mouvements radicaux dans les années 1970. intéressé à leur histoire, raconte ­Lifshitz. C’étaient des clichés plutôt heureux d’un amour entre femmes, ce qui contredisait la trajectoire habituelle d’un passé homosexuel forcément répressif et plein de souffrance. » C’est via un réseau associatif que le cinéaste a rencontré ses sujets, sélectionnés parmi soixantedix personnes : « Je ne savais pas si j’allais trouver des individus ­isolés

ou, au contraire, faisant partie de collectifs. Il fallait qu’ils puissent s’exprimer facilement et qu’ils possèdent des images d’archives. » Ces documents, passionnants, retracent les luttes passées sur le territoire français, celles du Front homosexuel d’action révolutionnaire ou des Gouines rouges, mouvements radicaux des années 1970. Sorti l’année dernière, Too Much Pussy! d’Émilie Jouvet venait disputer le peu de crédit apporté au cinéma lesbien et trans par les producteurs : le New Queer Cinema a malheureusement été un phénomène surtout masculin, minorisant en son sein des réalisatrices aussi talentueuses que Cheryl Dunye (The Watermelon Woman, 1996) ou Monika Treut (Gendernauts, 1999). Vivifiant, le film de Jouvet se reconnecte à l’activisme des années 1970-80, revenant à de l’éducation sexuelle old school, telle qu’elle se pratiquait dans les collectifs féministes de l’époque. Pas une deuxième vague donc, mais au moins un ressac. ♦


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NEWS TOUT-TERRAIN COVER boy +

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Sur une aire d’autoroute désolée, Mark Knopfler sort de sa camionnette déglinguée pour donner une leçon de gratte aux Black Keys. Au volant de son monospace familial, Kendrick Lamar préfère se concentrer sur les beats hip-hop de son nouvel album, Good Kid, M.A.A.D City. _Q.G.

UNDERGROUND

©Helena Christensen

LA TIMELINE DE PAUL BANKS

Fight cube Deuxième album solo du chanteur-guitariste d’Interpol, Banks est une pièce dense et batailleuse, qui semble défendre jalousement les secrets de ses multiples facettes, comme un Rubik’s Cube. Impossible à résoudre ? _Par Sylvain Fesson

Banks de Paul Banks Label : Matador Sor tie : disponible

Quand on rencontre Paul Banks, on ne lui cache pas qu’en deux ou trois écoutes on n’a pas réussi à rentrer dans son disque, pavé de changements de ton et de dissonances, et on sent vraiment que ça l’interroge. Il vous fixe alors avec son regard humble et vaguement stoïque, masque de sphinx mélancolique, 30

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et vous dit qu’en un sens c’est « étonnant » parce que, ces deux dernières années, il a surtout écouté du hip-hop « minimal » comme Drake, mais que sa musique à lui sort toujours plus grave et stratifiée. Sa façon d’appréhender la chanson comme un « art » qui « t’attrape pour t’ouvrir ensuite à sa complexité » nous rappelle John Cale (il ne connaît que « de nom »). S’il a composé sur ordi, le NewYorkais (né Britannique en 1978) note d’ailleurs qu’à part quelques « schémas ardus » il reste dans le couplet-refrain de quatre minutes jouable guitare-voix et que son disque est « moins audacieux que le dernier Interpol ». Dernièrement, après avoir revu le film Prometheus, il s’est dit : « Tout est là, je ne l’avais juste pas vu la première fois. » Idem pour nous sur son Banks : une petite bombe à retardement. ♦

Hier Frontman charismatique de l’ombrageux quatuor rock Interpol, révélé en 2002, Paul Julian Banks a sorti en 2009 Julian Plenti Is… Skyscraper, un premier solo bien reçu par la presse et le public, auquel a succédé en juin dernier l’EP Julian Plenti Lives…

Aujourd’hui Ayant exprimé ses propres compos en marge du groupe avec ce Banks, qu’il juge plus adulte, Banks travaille déjà à aller ailleurs – plus loin – sur le cinquième album d’Interpol, en ping-pong avec Daniel Kessler, guitariste et songwriter en chef du groupe.

Demain Après avoir tourné aux États-Unis en novembredécembre, il sillonnera l’Europe en janvier-février 2013 et jouera à Paris le 11 février prochain à l’Alhambra, une petite salle qu’il connaît bien pour y avoir présenté son premier album solo en 2009.


CALÉ

Bret Easton Ellis : alors que le trailer de The Canyons, dont il signe le scénario, vient de sortir, avec Lindsay Lohan et l’acteur porno James Deen, Ellis prépare Downers Grove pour 2014, un teen slasher dans lequel Nikki Reed tente d’échapper à une malédiction.

DÉCALÉ

Bret Easton Ellis : l’écrivain américain déverse régulièrement avec ferveur sa haine sur Twitter. Sa dernière cible : Lindsay Lohan, absente d’une séance de doublage de The Canyons. Ellis lui promet la visite de Patrick Bateman, le taré d’American Psycho.

_Par Tiffany Deleau

RECALÉ

Bret Easton Ellis : il en rêvait depuis des mois et tweetait inlassablement son désir d’en être, mais c’est finalement Kelly Marcel (Terra Nova) qui sera aux commandes du scénario de l’adaptation ciné du roman porno soft Fifty Shades of Grey.

OVERGROUND Big Ben Après des débuts fulgurants puis l’enfer des années « Bennifer », BEN AFFLECK a trouvé sa voie derrière la caméra. Avec Argo, thriller politique fiévreux, il s’affirme comme un réalisateur respecté. Et un acteur respectable, qui nous a raconté sa métamorphose enfin achevée. _Par Bruno Dubois, à Los Angeles

Argo de Ben Af fleck Avec : Ben Af fleck, Br yan Cranston… Distribution : Warner Bros. France Durée : 2h0 0 Sor tie : 7 novembre

©2012 Warner Bros. Eterteinment Inc. Photo Kurt Iswarienko

À deux reprises, Ben Affleck a pris sa carrière en main alors qu’elle lui filait entre les doigts. Frustré par les rôles qu’on lui proposait, il écrit Will Hunting avec Matt Damon en 1997 et devient une star planétaire. Dix ans plus tard, radioactif à Hollywood, il passe à la réalisation pour Gone Baby Gone puis The Town. « Passer derrière la caméra vous donne une nouvelle perspective, analyse le cinéaste. D’un seul coup, vous voyez les prises qui marchent, les erreurs des autres et les vôtres. J’ai progressé dans mon jeu d’acteur. » C’est en effet tout en retenue qu’il incarne dans Argo un agent de la C.I.A. chargé d’exfiltrer six diplomates américains lors de la crise iranienne des otages de 1979. « Sur les conseils d’autres réalisateurs-acteurs, je me suis forcé à faire beaucoup de prises, poursuit-il. Quand vous êtes des deux côtés de la caméra, vous ne voulez pas être celui qui gâche le film par une mauvaise performance. » En fait de performance, Affleck réussit ici son plus grand tour de magie : faire oublier qu’il a tourné dans Daredevil et Amours troubles, pour lesquels il a reçu un Razzie Award du pire acteur en 2004. Serein, il évoque ses années noires sans se cacher : « Quand on ­commence sa carrière, le seul objectif est d’être pris partout pour en vivre. Rétroactivement, c’est facile de voir les mauvais choix. Il m’a fallu du temps pour trouver ma boussole. » Marié à Jennifer Garner depuis 2005, père de trois enfants, Affleck goûte « un début de maturité ». Il continue sa vie d’acteur – notamment dans To the Wonder de Terrence Malick – et de réalisateur, avec l’adaptation en cours de la vie du gangster Whitey Bulger. Qui sera incarné par Matt Damon, évidemment. ♦ www.mk2.com

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©Slamm Andrews

NEWS AUDI TALENTS AWARDS

COMMUNAUTÉ FERMÉE Échappé de son studio californien, l’immense compositeur HANS ZIMMER était à Paris en octobre pour le Festival des musiques à l’image Audi Talents Awards. Au fil d’une prolifique carrière, le musicien a su imposer sa sensibilité en entrelaçant musique orchestrale et sonorités electro. Rencontre. _Par Quentin Grosset

V

ers 2 heures du matin, lorsqu’un musicien de l’équipe de Hans Zimmer s’apprête, fatigué, à rentrer chez lui mais voit des voitures encore garées sur le parking du studio Remote Control Productions, il stresse et retourne travailler : « J’ai formé une communauté avec des gens que j’aime, car une fois qu’on entre dans nos locaux, on n’a plus de vie privée »,

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raconte le compositeur des B.O. du Roi Lion et de La Ligne Rouge. C’est dans une énorme fourmilière hightech que ces forcenés s’épuisent à mixer instruments traditionnels et programmes informatiques continuellement augmentés : « Cette organisation quasi-industrielle ne doit pas occulter la signature humaine propre à nos morceaux. Je suis un perfectionniste qui privilégie la dissonance, les ongles sales sur les cordes rouillées d’une guitare plutôt que les sons lustrés qu’on entend dans certains films. » La renommée de Zimmer, au départ petit cancre allemand qui vit sa carrière décoller dès sa nomination aux Oscars pour Rain Man en 1989, repose sur son ­adaptabilité comme sur l’affirmation de son style, qui mêle des univers ­a ntinomiques : « Hannibal, en dépit de son héros mangeur d’hommes, est ma plus grande bande originale de comédie ro­mantique. Ainsi, je ne suis pas les ­tendances, mais je les crée. » ♦

whATA’s up ? Succès au rendez-vous pour le premier Festival des musiques à l’image Audi Talents Awards. Hans Zimmer, Marco Beltrami et Ludovic Bource étaient présents à la Gaité lyrique pour trois master class où ils ont livré les clés de leur travail au public ravi. Les festivités se sont achevées le 14 octobre, à l’Olympia, sur le cinéconcert de The Artist : les quatre-vingts musiciens du Paris Symphonic Orchestra, dirigés par Ernst Van Tiel, ont interprété la musique du film muet de Michel Hazanavicius. _C.Ga. Plus d’informations sur w w w.audi.fr/festival


PUBLIRÉDACTIONNEL CANALPLAY INFINITY

TMNT Les Tortues Ninja © Imagi Production, Inc. // Gossip Girl S1 à 3 © Warner Bros Entertainment Inc. // 2 Fast 2 Furious © Universal Pictures – Original Film – Mikona Productions GmbH and Co. KG // Interview © 2006 – Kiss The Cactus Holding // Insomnia © Insomnia Productions, LP // La Fille de Monaco © Cine-@ - Soudaine Compagnie // Brothers and Sisters S1 à 5 © 2012 ABC Studios // Vicky Cristina Barcelona © Warner Bros. Entertainment Inc.// I’m not there © 2007 – VIP Medienfonds 4 GmbH & Co. KG // Intolérable Cruauté © Universal Pictures - Alphaville Films - Imagine Entertainment - Mike Zoss Productions // Fast and Furious : Tokyo Drift ®© 2005 Universal Pictures - Relativity Media - Original Film - MP Munich Pape Filmprod // Le Vent se lève © 2006 - Oil Flick Films No.2 LLP – UKFC - Sixteen Films Ltd - Element Films Ltd - EMC GmbH - BIM Distribuzione - Tornasol Films S.A.// Ray © Universal Pictures // La Maison de Cire © Warner Bros. Entertainment Inc. // Space Cowboys © Warner Bros. Entertainment Inc.// 10000 © Warner Bros. Entertainment Inc. // King Kong © 2005 Universal Pictures - Big Primate Pictures - WingNut Films // Polly et Moi © Jersey Films - Loofah Productions - Universal Pictures // Mortelle Saint Valentin © Warner Bros. Entertainment Inc.// Calculs Meurtriers © Warner Bros. Entertainment Inc.// Monk S1 à 6 © Mandeville Films - Touchstone Television // It’s a Free World © 2007- Sixteen Films Ltd – BIM Distribuzione – EMC GmbH – Tornasol Films SA // Esprits Criminels S1 à 5 © 2012 ABC Studios // Speed Racer © Warner Bros. Entertainment Inc.// Entretien avec un Vampire © Warner Bros. Entertainment Inc.// Le Prestige © Warner Bros. Entertainment Inc., Touchstone Pictures a.a.d.o. Disney Enterprises, Inc.// Shangai Kid © 1999 Spyglass Entertainment Group LP - Buena Vista Pictures Distribution Inc. // Les Looney Tunes passent à l’action © Lonely Film Productions GmbH & Co. KG // Coup de Foudre à Notting Hill © 1999 Notting Hill Pictures - Polygram Filmed Ent - Working Title Films - Bookshop Prod // Chaos Theory © Warner Bros. Entertainment Inc.// Mystic River © Warner Bros. Entertainment Inc.

CANALPLAY, LE CINÉMA SANS LIMITE Et si, au-delà de combler l’envie spontanée de voir un film, la vidéo à la demande par abonnement permettait de cultiver son amour pour le cinéma en associant conseils avisés et sélections qui vous ressemblent ? C’est le défi relevé par CANALPLAY INFINITY, porté par une programmation enlevée.

I

mmédiateté et accessibilité font rimer le catalogue de CANALPLAY INFINITY : des milliers de films pour contenter tous les appétits, des centaines de séries et leurs saisons en intégralité, et les frimousses des héros animés de vos enfants. Un rêve de dvdthèque qui sait se glisser tout à la fois dans la télécommande de la télévision, sous la souris de l’ordinateur ou derrière l’écran tactile de l’iPad.

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Pour 9,99 euros par mois, c’est d’abord l’opportunité d’une offre illimitée et flexible qui permet d’accéder à autant de films que souhaité, avec tous les avantages de la vidéo à la demande, parmi lesquels celui de lancer son film quand on en a envie ou d’arrêter et reprendre la lecture comme bon vous semble.

Une liberté que l’on retrouve jusque dans la formule d’abonnement, qui est sans engagement et pour laquelle il n’est pas nécessaire d’être abonné à CANAL+.

Un service multi-écran

Mieux, CANALPLAY INFINITY fait fi de toutes les contraintes en autorisant l’utilisation multi-écran par toute la famille : les enfants profiteront du dernier épisode de Dora l’exploratrice avant d’aller au lit pendant que leurs parents regarderont chacun la vidéo dont ils ont envie, l’un sur son PC portable, l’autre sur iPad. Ce système est particulièrement apprécié par les aficionados de séries télévisées qui veulent se lancer dans un marathon des saisons intégrales. En ce moment, on pourra ainsi plonger dans les méandres de la série

Esprit Criminels en intégralité, de la première à la cinquième saison.

Des collections uniques

CANALPLAY INFINITY c’est aussi l’avantage de profiter d’une sélection avisée sous la forme de collections, pour faire le tour d’un univers cinématographique ou d’une œuvre : avec ce mois-ci, entre autres, les collections dédiées à Kurosawa ou à Clint Eastwood (Gran Torino, Lettres d’Iwo Jima, Mystic River). De quoi potasser au mieux les œuvres de l’acteur-réalisateur, à l’affiche en ce moment d’Une nouvelle chance. ♦ Ser vice de vidéo à la demande à la location par abonnement, sur PC/Mac et iPad et sur T V avec FREE, SFR, Bouygues Telecom. Hors coûts liés aux of fres Internet et T V de l’opérateur. Sans engagement au-delà du mois en cours + 1 mois. Programmation susceptible de modifications. Voir conditions sur w w w.canalplay.com

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© 1954 Universal Studios. Tous droits réservés.

NEWS SEX TAPE

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Bain à remous L’Étrange Créature du lac noir de Jack Arnold Avec : Richard Carlson, Julie Adams… Distribution : Carlot ta Films Durée : 1h20 Sor tie : 7 novembre (reprise en version restaurée inédite et en 3D)

En 1954, le studio Universal dévoile sa dernière créature après Dracula, le monstre de Frankenstein ou l’Homme Invisible : une bête mi-homme, mi-poisson vivant au fond d’un lac amazonien et filmée en 3D. Pour l’étudier, une équipe de scientifiques est dépêchée, dont la belle Kay (Julie Adams), que les hommes se disputent et que le monstre reluque en cachette. Dans une scène mythique, Kay, en maillot à l’échancrure osée (pour l’époque), s’offre une baignade. Sous la surface, la créature nage à l’unisson, donnant lieu à ce qu’un critique de l’époque qualifia de « représentation stylisée de l’acte sexuel ». Comme pour King Kong, séduit par la blonde Ann, un organe bat sous la carapace du monstre aquatique. _Juliette Reitzer

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Après le versant politique des années 1970 dans Carlos, le nouveau film d’­OLIVIER ASSAYAS revient à des sources plus autobiographiques. Après mai, soit le parcours de Gilles, lycéen rebelle post-Mai 68, pour qui il n’est pas plus aisé de changer le monde que d’être amoureux. Un apprentissage tourmenté, prix du Scénario au Festival de Venise, que le réalisateur de L’Eau froide décrit de façon sobre et nuancée, de la liesse du combat en groupe à la mélancolie des voyages en solitaire. Entretien. _Propos recueillis par Laura Tuillier 36

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© Carole Bethuel

FAIRE SA



Après mai

« J’ai passé un an et demi aux prises avec l’Histoire. » - OLIVIER ASSAYAS -

C’est un mouvement salutaire. J’ai passé un an et demi aux prises avec l’Histoire, avec un travail de documentation énorme à faire sur le mythe de l’époque qui est au centre du film. C’était un corps à corps avec une matière historique dont je n’ai pas forcément l’habitude ; c’était passionnant, car j’ai découvert des choses que j’ignorais et dont je me méfiais. Avec Carlos, j’ai raconté les années 1970 sans me servir de ma mémoire personnelle, tandis que lorsque je fais Après mai, c’est moi qui ai la validation sentimentale et émotionnelle vis-à-vis des événements. Je reviens à moi-même mais je me sers de ce que j’ai appris avec Carlos. Ma manière de filmer a également évolué : j’utilise des plans plus larges, plus longs. Comment écrit-on un scénario à partir de ses propres souvenirs ?

L’écriture suscite le souvenir. Je n’écris pas les scénarios d’une façon technique, je me laisse porter par l’imaginaire et l’inconscient. Pour Après mai, il y a eu une étape intermédiaire : le livre Une adolescence dans l’après-Mai. Il s’est écoulé sept ans entre les deux, car le fait d’avoir écrit cet essai me laissait en paix avec cette époque-là, de façon immédiate. Et puis Après mai a été un film difficile à produire. Il coûte cher du fait de la reconstitution historique mais parle de marginalité, d’ados, il n’a pas de casting. Je n’ai pu le réaliser qu’avec l’élan que m’a donné Carlos. J’ai écrit vite, c’est un scénario court, concis, dense. Au moment de l’écriture, je le trouvais presque trop dépouillé. Je n’avais pas envie de longues scènes de dialogues mais de concision, de légèreté. Le film a pris sa respiration et son ampleur au tournage, lorsque je me suis rendu compte que ça

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avait un intérêt de faire dialoguer le destin singulier de quelqu’un et son r­ apport à la génération. L’Eau froide fait également partie de la genèse d’Après mai…

J’ai gardé les mêmes prénoms pour les héros parce qu’au départ je voulais réaliser un véritable prolongement de L’Eau froide. C’est troublant : j’ai l’impression d’avoir fait un film non pas sur les années 1970 mais des années 1970. Il est au premier degré, sans aucun recul sur l’époque ; plus abstrait et plus poétique qu’Après mai. J’avais le sentiment d’avoir saisi ­l’essence de l’époque et, en même temps, la frustration de ne pas avoir montré des choses qui étaient essentielles. Avec Après mai, je voulais faire la ­version romanesque de L’Eau froide. Après mai est aussi plus mutique que L’Eau froide ou que Désordre, votre premier film sur la jeunesse. C’est un choix conscient ?

J’ai l’impression que j’ai raconté les choses de façon fictionnelle et dramatisée dans mes premiers films et que je les reprends de façon beaucoup plus factuelle et immédiate dans Après mai. Le film est peu bavard, il n’y a pas d’introspection. J’avais envie de faire passer les émotions par les corps, la nature, de montrer des lieux, de faire revivre l’esprit de l’époque. Cela m’intéressait davantage que de rentrer dans une forme de dialogue sentimental conventionnel. Le film se situe à la lisière des événements, à la fois dans le temps et dans l’espace…

J’ai grandi en banlieue, ma perspective sur cette époque est définie par le fait de ne pas avoir été au centre. Il me semble que si on veut saisir quelque chose d’authentique d’une génération ou d’une époque révolue, il vaut mieux ne pas le faire frontalement. Je doute qu’un jour le cinéma arrive à saisir Mai 68 de face. Après mai se concentre sur sa résonance. À l’époque,

© Nicolas Guérin

C

omment s’effectue le passage de la biographie (Carlos) à l’autobiographie (Après mai) ?



© Guido Cacialli

Après mai

Au centre, India Salvor Menuez

il n’y a ni mythification ni fascination envers Mai 68 : on perçoit ça comme une première tentative ratée de quelque chose qui va réussir. Tout le monde est aimanté par la chance historique de ­participer au futur, à ­l’amplification de Mai 68.

là, tout s’est emboîté dès le départ, j’ai simplement mis la musique que j’écoutais à cette époque, je n’ai pas eu ­d’hésitation par rapport aux images.

La nature était-elle une force d’attraction importante dans ces années-là ?

On devient soi-même quand on sort du groupe, c’est l’histoire de toute jeunesse. Il s’agit pour Gilles de commencer à différer de la tendance dominante de sa génération. Mais dans les années 1970, l’attraction du groupe est beaucoup plus forte, parce qu’on se rassemble autour d’une question fondamentale : comment va-t-on changer le monde ? À la fin, on laisse Gilles à un endroit où il a peut-être vaguement compris comment aborder le cinéma. Après mai a un côté roman d’apprentissage.

Il y a eu un mouvement vers l’extérieur des villes dans les années 1970, et j’ai l’impression que le cinéma n’en a pas la mémoire. Je pense à l’attirance pour le travail agricole, le retour aux traditions, à une forme de spiritualité. Je pense aussi à la musique ­pastorale, au folk anglais… Comment avez-vous procédé pour construire la bande originale du film ?

Il y avait deux morceaux présents dès le scénario : celui de Syd Barrett lorsque Gilles peint et celui de Johnny Flynn dans le jardin de l’auberge de jeunesse italienne. J’avais envie d’un protest song qui correspondrait au sentiment de l’époque et qui viendrait de l’Amérique du début des années 1960. D’habitude, pour les musiques, je tâtonne, je teste des choses, mais

Le parcours de Gilles, le personnage principal, est semé d’hésitations…

Vous-même avez débuté aux côtés de votre père, scénariste…

Oui. D’un côté, j’étais immergé dans la modernité de l’époque, et de l’autre, le cinéma de mon père me plongeait dans un archaïsme fou. Mais tout était bon à prendre. Je me suis ainsi régulièrement retrouvé aux Pinewood Studios, près de Londres, sur l’un ou l’autre

Avant Après mai : 4 films d’Olivier Assayas _Par L.T. L’Eau froide (1994)

Fin août, début septembre (1998)

« Deuxième premier film » selon Olivier Assayas, L’Eau froide se situe à la même époque qu’Après mai et suit le parcours tourmenté de Gilles et Christine, deux ados rebelles. Où l’on découvre Virginie Ledoyen dans un grand film d’amour, geste spontané du cinéaste et ode à une jeunesse qui n’a peur de rien.

Comme si les personnages d’Après mai ou ceux de L’Eau froide avaient grandi. La rupture difficile entre Gabriel (Mathieu Amalric) et Jenny (Jeanne Balibar) croise le déclin de leur ami écrivain, Adrien (François Cluzet). Des destinées faites de rendez-vous manqués, d’une ivresse mélancolique qui emporte tout le film.

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© Carole Bethuel

« Le gauchisme était extrêmement puritain. Il y avait une détestation des rapports sentimentaux, on considérait l’amour comme du sentimentalisme petit-bourgeois. » Lola Créton

des tournages de Kevin Connor, qui réalisait à la chaîne des films de séries B très kitsch.

métaphorique, elle reprend l’arc de tout le film : elle commence dans la nature, puis progressivement la nuit tombe, le rythme s’accélère, tout s’anéantit dans le feu.

Pourquoi cette jeunesse est-elle si sérieuse ?

Parce qu’elle a un mépris absolu pour le présent, pour la consommation, pour tout ce que la société propose et bien sûr pour ses valeurs : refus de l’éducation, de la carrière, du mariage, refus de l’installation bourgeoise. On ne dépense surtout pas son argent en f­ ringues. Tout passe par le rapport aux idées. Tout est projeté dans le futur. Le débat, c’est de savoir comment la révolution va accomplir les espoirs et les rêves de chacun. Ça commence à devenir lourd lorsque le futur ne se manifeste pas et que la révolution ne vient pas. Ce sérieux était donc lié à cette responsabilité historique d’être pris dans le mouvement de l’Histoire. Il y avait pour chacun l’obligation d’inventer son destin. Comme dans L’Eau froide, on retrouve dans Après mai une scène de fête, et celle-ci se termine dans le feu, de façon tragique…

La mort de Laure renvoie à un épisode bien réel mais dont je n’ai pas été témoin. Ce souvenir a pris de l’importance pour moi. Cette scène a une valeur

Christine est victime d’un certain machisme de la part de ses camarades d’extrême gauche. Cela vous apparaît-il comme une contradiction de l’époque ?

Le gauchisme était très macho. Le féminisme commençait seulement à s’imposer dans ces années-là face à une situation difficile. Christine paye le prix de sa maturité, elle porte sur les épaules quelque chose de la tristesse de la vie d’adulte. Il se trouve qu’elle exerce son activité dans un groupe de gauchistes militants, mais finalement elle pourrait très bien le faire dans une entreprise de plomberie, ce ne serait pas si différent. Elle est prise dans un cercle qui la dépasse. Ses choix deviennent secondaires face à la reproduction ­quotidienne des tâches. Ça s’appelle le travail. Quel est votre souvenir des rapports entre les garçons et les filles à cette époque ?

Quand je filme l’adolescence, j’en reviens toujours à l’écart de maturité entre filles et garçons. J’avais

L’Heure d’été (2008)

Carlos (2010)

À partir d’une commande pour le musée d’Orsay, L’Heure d’été donne l’occasion à Olivier Assayas d’explorer son rapport à la peinture et à la transmission, deux thèmes que l’on retrouve dans Après mai. C’est d’ailleurs la même artiste, Diane Sorin, qui a réalisé les peintures pour les deux films.

Versant politique et social d’Après mai, Carlos retrace avec une grande rigueur le parcours romanesque d’Ilich Ramírez Sánchez, dit Carlos (Édgar Ramírez, César du meilleur espoir masculin), d’abord militant communiste dans les années 1960, puis terroriste, qui purge aujourd’hui une peine à perpétuité.

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© Toma Baqueni

Après mai

Félix Armand, Lola Créton et Clément Métayer

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«  Je cherchais des visages qui me rappelaient cette époque-là. J’ai choisi des gens un peu singuliers, pas totalement dans le moule d’aujourd’hui.» le sentiment que les filles qui comptaient pour moi allaient beaucoup plus vite vers le monde. Par ailleurs, j’ai le souvenir de beaucoup de mélancolie. Le gauchisme était extrêmement puritain. Il y avait une détestation des rapports sentimentaux, on considérait l’amour comme du sentimentalisme petit-bourgeois.

Je me souviens de ma première discussion avec Éric Gautier (le chef opérateur – ndlr) : je lui disais que je n’aimais plus les grues depuis longtemps mais que je pensais pourtant à des plans aériens, flottants, pour Après mai. Je voulais inscrire mes personnages dans la nature et dans le monde. Éric a compris ce que je voulais dire, il a trouvé que ça avait du sens. Pour les scènes-clés du film, je prévoyais donc une grue, et finalement le cœur du film s’exprime avec ces plans. J’ai également filmé de façon beaucoup plus large et ouverte que dans mes premiers longs métrages, où je privilégiais des longues focales, une caméra à l’épaule. Dans Après mai, l’arrière-plan est important. La question de la forme d’un art engagé se poset-elle pour vous ?

Je suis certain de ne pas avoir de réponse mais je suis aussi certain que la question existe. Avec ce film, je voulais rappeler que c’était par rapport à ces questions-là que je me suis défini. Autour des questions de la représentation, de la figuration, du fait que je ne trouve pas d’antagonisme entre la modernité et la représentation de la figure humaine. J’ai cru dans la narration, j’ai cru dans la figuration, et sûrement pas dans la forme en tant que fin en soi. J’ai toujours choisi l’humain contre la forme et sa rigidité cadavérique. Quels critères ont présidé au choix des jeunes comédiens ?

Je cherchais des visages qui me rappelaient cette époque-là. J’ai choisi des gens un peu singuliers, pas totalement dans le moule d’aujourd’hui. Je ne voulais pas d’acteurs, mais plutôt des gens auxquels mes personnages pourraient ressembler. Pour que chacun apporte quelque chose d’authentique, une forme de vocation artistique. ♦ Après mai d’Olivier Assayas Avec : Clément Métayer, Lola Créton… Distribution : MK 2 Dif fusion Durée : 2h02 Sor tie : 14 novembre

©©Bellissima BellissimaFilms Films

La mise en scène d’Après mai est très aérienne, comment l’avez-vous travaillée ?

Luigi Lo Cascio dans Piazza Fontana

APRÈS LE PRINTEMPS, LES ANNÉES DE PLOMB Au carrefour du chemin initiatique foulé par les héros d’Après mai, deux sentiers à em­prunter : artiste ou activiste. Les protagonistes du rigoureux Piazza Fontana choisissent le second. _Par Étienne Rouillon

« Mai 68 : pour une lutte prolongée » : les mêmes affiches soixante-huitardes dans la cave des potes du Gilles d’Après mai comme aux murs des enquêteurs italiens chargés d’élucider l’attentat de la piazza Fontana, qui fit dix-sept morts à Milan le 12 décembre 1969. Avec son tour pédagogique, Piazza Fontana n’est pas même le lointain cousin d’Après mai, pourtant les deux films résonnent autour de la promesse de liberté du printemps 1968. Comment la prolonger ? La réactualiser dans l’art ou l’imposer par la lutte armée ? Le réalisateur de Nos meilleures années, Marco Tullio Giordana, confirme un appétit du cinéma européen pour cette période en disséquant l’événe­ment fondateur de ces « années de plomb » qui ont inspiré Buongiorno, notte, Mon frère est fils unique, La Bande à Baader ou Carlos. Piazza Fontana de Marco Tullio Giordana Avec : Valério Mastandrea, Pier francesco Favino… Distribution : Bellissima Films Durée : 2h0 0 Sor tie : 28 novembre

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Le cinéma aime scruter les points de ­rencontre entre le religieux et le monde réel, les emportements, les contradictions et les drames qu’ils occa­ sionnent. La tendance s’affirme ce mois-ci avec, en tête du cortège, le très beau film de CRISTIAN MUNGIU, Au-delà des collines. D’un fait divers sordide – dans un couvent orthodoxe, une jeune fille décède suite à un exorcisme –, le cinéaste roumain tire une réflexion sur les dangers inhé­ rents au repli communautaire, en orchestrant de nombreux allers-retours entre le monde spirituel (l’intérieur du couvent) et le monde rationnel (la ville voisine et ses administrations). Centrale dans la manière qu’ont les réa­lisateurs d’interroger la religion et ses dogmes, cette dynamique entre l’intérieur et l’extérieur, le spirituel et le rationnel, l’âme et la chair met à jour une notion salvatrice : le doute.

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© Le Pacte

_Par Juliette Reitzer


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R

- havre de paix Les Anges du péché (Bresson, 1943), Le Narcisse noir (Powell et Pressburger, 1947), Le Nom de la rose (Annaud, 1986), L’Île (Lounguine, 2006)… Une liste exhaustive serait rébarbative, tant les communautés religieuses, qu’elles soient féminines ou masculines, sont un terrain fertile pour les cinéastes – le film de couvent est un genre en soi, avec ses comédies (Sister Act) et même l’inévitable figure de la nonne lubrique, marronnier du porno. Terrain fertile, donc, car mettant en scène des lieux dédiés à la contemplation, figés hors

« Une société miniature et autarcique comme laboratoire d’étude idéal. »

© Le Pacte

etrouvailles sur un quai de gare pour Alina et Voichita, les deux jeunes héroïnes d’Au-delà des collines, prix du Scénario et double prix d’Interprétation féminine pour Cristina Flutur et Cosmina Stratan à Cannes cette année. Alina et Voichita se sont connues à l’orphelinat, et la première rend visite à la seconde, devenue nonne dans un couvent orthodoxe de la campagne roumaine, dans l’espoir de l’enlever à son quotidien ascétique. Mais Voichita a rencontré l’amour divin et refuse de suivre son amie. « On parle de gens qui n’ont pas de parents et pour qui le besoin d’affection est énorme, nous confiait le réalisateur Cristian Mungiu à Cannes cette année. L’abandon qu’Alina ressent en est d’autant plus fort. » Et sa réaction, d’autant plus violente. Sujette à des crises qu’une autre époque aurait qualifiées d’hystériques, elle est conduite à l’hôpital, où on la soigne avant de lui préconiser du repos et beaucoup de calme – donc un retour au couvent. Là, les choses se gâtent : les crises reprennent, les nonnes et leur sévère pope, dépassés, voyant les fêtes de Pâques approcher (et avec elles des visiteurs extérieurs), décident d’employer les grands moyens, les seuls qu’ils connaissent : il faut ­exorciser la jeune fille.

Cosmina Stratan (Voichita) et Cristina Flutur (Alina), double prix d’Interprétation féminine 2012 à Cannes pour Au-delà des collines

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© Le Pacte © Le Pacte

Le couvent orthodoxe d’Au-delà des collines

pas bien la limite entre les deux mondes, et c’est très dangereux. » La communauté religieuse, mise face à ce qui se passe hors de ses murs ou hors de ses règles et convictions, se fait alors chambre de résonance de ce monde extérieur, étudié à son tour. Ainsi Mungiu s’intéresse-t-il aussi à la ville proche du couvent et à ses institutions – l’hôpital, la police : « Le bien et le mal sont des notions relatives. Les religieux font ce qu’ils pensent être bien pour essayer d’aider cette fille. Et ils sont les seuls à essayer. » - l’adieu aux charmes Le réalisateur Cristian Mungiu

du temps, qui échappent à la banalité d’une contemporanéité vite démodée. En outre, le repli sur soi des communautés religieuses offre aux cinéastes la possibilité de disséquer les mécaniques de groupe – dominations, échanges, solidarité, rivalités : une société miniature et autarcique comme laboratoire d’étude idéal. Le film de Cristian Mungiu, dont l’action se déroule de nos jours, montre une fascination certaine pour la cinégénie sans âge des lieux et des rituels : paysages désolés, tabliers noirs et coiffes carrées, longue barbe du pope, tapisseries chatoyantes… Sa mise en scène, en plansséquences, dialogues chuchotés et sans musique, transcrit à merveille l’immuable recueillement des lieux. Bref, tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes si une étrangère ne venait pas bouleverser le quotidien, ronflant et bien réglé, du couvent. - l’enfer, c’est les autres Dans les films précédemment cités comme dans Au-delà des collines, ce qui intéresse les cinéastes, c’est en effet de montrer la communauté religieuse en proie à un bouleversement, qu’il soit extérieur (une criminelle qu’on tente de sauver, un étranger de passage) ou non (une défaillance de la foi, un doute qui s’immisce). Pour Mungiu, « les gens différents sont toujours difficiles à gérer pour la communauté ». Alina ne partage pas les croyances de ses hôtes, elle pose des questions, remet en cause l’ordre établi et le dogme religieux. Mungiu poursuit : « Le monde rationnel et le monde spirituel coexistent très bien, mais si on essaie de les mélanger, tout va mal. Le médecin donne à Alina un traitement à la fois rationnel, des médicaments, et spirituel, le repos au couvent. Il ne marque

Les œuvres montrant des individus persécutés ou sacrifiés au nom du maintien de l’ordre établi sont légion, de La Passion de Jeanne d’Arc (Dreyer, 1927) à La Religieuse (Rivette, 1966), d’Amen (CostaGavras, 2002) à Tu n’aimeras point (Tabakman, 2009). En salles le 7 novembre, le film de Blandine Lenoir, Monsieur l’abbé, seconde partie d’un double programme intitulé Il était une foi, s’intéresse à un souci plus trivial mais non moins crucial : le sexe. Des comédiens (Margot Abascal, Marc Citti, Anaïs Demoustier, Nanou Garcia…) se relaient pour dire face caméra les lettres envoyées entre les années 1920 et les années 1940 par des chrétiens à l’abbé Viollet, spécialiste de la morale conjugale. Comment les époux doivent-ils se comporter au lit pour être fidèles aux lois de l’Église ? Souvent désespérées, les lettres parlent de désir et d’ennui, de virginité et de masturbation, d’homo­sexualité et de maternité. Surtout, elles forment un passionnant document sociologique, une étude de mœurs. « Devons-nous continuer à avoir un enfant tous les ans, ou alors vivre comme si nous ne nous aimions pas ? », proteste une femme, quand une autre s’énerve : « Pour bien parler d’une chose, il faut la connaître, et je crois que les prêtres ignorent l’intimité conjugale. (…) Ils voient les âmes, mais ils oublient que les corps sont là, en ennemis, avec leurs sens, leurs besoins naturels. » Ou quand la théorie se heurte à la pratique, opposant aux canons religieux leurs limites matérielles. - tu veux ou tu veux pas ? Notion-clé du thème religieux au cinéma, le doute est partout, tiraillant d’un même élan croyants désireux de bien faire, hommes d’Église en crise de foi www.mk2.com

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©A3 Distribution

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« le doute est partout, tiraillant d’un même élan croyants, hommes d’Église et figures cultuelles désacralisées. » et figures cultuelles désacralisées – ces dernières formant le principal point de discorde entre cinéastes et autorités religieuses. L’ultime rêve d’une vie d’homme marié que s’accorde Jésus crucifié dans La Dernière Tentation du Christ de Martin Scorsese provoqua manifestations et attentats lors de sa sortie, en 1988. Pour Cristian Mungiu, « rien ne devrait être considéré comme allant de soi, tout devrait être soumis à un questionnement ». Recrue de choix pour incarner cette indécision, le séminariste, plein de motivation mais pas toujours préparé au caractère définitif de son engagement à venir : dans Vita di Giacomo de Diego et Luca Governatori, premier segment du film Il était une foi, un jeune homme silencieux déambule dans une Italie estivale et sensuelle, entre 50

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© Arte

Anaïs Demoustier dans Monsieur l’abbé : comment concilier foi et vie conjugale ?

Les jeunes séminaristes de la série Ainsi soient-ils

les plages et la jeunesse avinée, quelques jours avant d’être ordonné prêtre, faisant partager au spectateur le grand vertige de ses dernières heures de liberté. Dans Ainsi soient-ils, série française diffusée sur Arte, cinq de ces candidats à la prêtrise se démènent avec leurs compromis quotidiens et les aléas de leur foi : que faire lorsque la sœur de l’un d’eux veut avorter ? Comment renoncer aux tentations de la chair ? D’un traitement très réaliste, la série place le doute au centre de sa dramaturgie, quitte à agacer : dans une vidéo visible sur LePoint.fr, le très médiatisé évêque de Gap Jean-Michel di Falco-Léandri dénonce une « mascarade carnavalesque ». Il n’empêche que la diffusion des deux premiers épisodes a rassemblé début octobre quelque 1,5 million de téléspectateurs, preuve que le sujet mérite encore d’être questionné. ♦ Au-delà des collines de Cristian Mungiu (Le Pacte), sor tie le 21 novembre // Il était une foi de Diego Governatori, Luca Governatori et Blandine Lenoir (A3 Distribution), sor tie le 7 novembre // Ainsi soient-ils de David Elkaïm, Bruno Nahon, Vincent Poymiro et Rodolphe Tissot, disponible en DVD (Arte Éditions)


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LE STORE

LA MÉTAMORPHOSE

Après les houleux rapports mère-fils de J’ai tué ma mère et le triangle amoureux à l’impossible équation des Amours imaginaires, Xavier Dolan nous plonge dans les affres du choix vertigineux de Laurence, professeur de lettres dans le Québec des nineties : devenir femme tout en préservant son amour pour Fred, sa copine excentrique. Dix ans de réflexion pour une épopée sentimentale au romantisme exalté par la mélomanie de Dolan (de Satie à Moderat en passant par The Cure), où Melvil Poupaud et Suzanne Clément inventent une love story d’un genre résolument différent. _S.C. Laurence Anyways de Xavier Dolan (MK 2 Vidéo), disponible dès le 21 novembre au Store du MK 2 Bibliothèque

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©Collection Fondation Jérôme Seydoux Pathé

VINTAGE Maria Casarès et Jean-Louis Barrault dans Les Enfants du paradis

Paradis retrouvé

Roulements de tambour : Les Enfants du paradis passe enfin au bain de jouvence de la restauration numérique en très haute définition, mettant en jeu des moyens à la mesure du chef-d’œuvre du tandem CARNÉ-PRÉVERT. _Par Louis Séguin

« Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour ! » C’est Garance qui parle, elle a la voix d’Arletty. Elle s’adresse à Baptiste, le mime, dont l’infini regard lunaire est porté par Jean-Louis Barrault. Et, bien entendu, c’est Prévert qui signe. Les Enfants du paradis déborde de punchlines poétiques, à chacun sa préférée. Difficile de trouver un film plus déconnecté de son époque de production : en pleine Occupation (1943), Carné et Prévert se lancent dans ce projet avec la volonté de réaliser une grande fresque amoureuse, parisienne, théâtrale. Romantique. En 1830, les « enfants du paradis », ce sont ces spectateurs

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qui se pressent aux poulaillers des théâtres du boulevard du Temple. Le film témoigne d’une profonde déférence envers l’imaginaire littéraire et théâtral de la France de Louis-Philippe. Et peu importe, au fond, que Les Enfants du paradis ne nous apprenne rien de l’Occupation : « Les seuls films contre la guerre, ce sont les films d’amour », disait Prévert. Ce sont les laboratoires L’Immagine Ritrovata, Éclair (pour les images) et L.E. Diapason (pour le son) qui ont eu la lourde tâche de récupérer une copie fragilisée par le temps et mutilée par endroits. Numérisé en 4K (un format à la définition deux fois plus élevée que celui utilisé généralement), le film a été restauré durant quatre mois jusqu’à obtenir une nouvelle copie de référence. C’est celle-ci que l’on peut voir en salles, mais aussi en DVD et en Blu-ray depuis le 24 octobre dernier. Cette date importante pour Les Enfants du paradis marque enfin le début d’une exposition à la Cinémathèque mettant en avant un grand nombre de documents originaux (maquettes, costumes, manuscrits et photographies du tournage). Quand le paradis nous ouvre ses portes, on voit mal pourquoi on n’y entrerait pas. ♦ Les Enfants du paradis de Marcel Carné Avec : Arlet t y, Jean-Louis Barrault… Distribution : Pathé Durée : 3h10 Sor tie : en salles Également disponible en DVD et Blu-ray (Pathé Vidéo) « Les Enfants du paradis – L’exposition », jusqu’au 27 janvier 2013 à la Cinémathèque française, w w w.cinematheque.fr



©Wild Side

DVDTHÈQUE Sally Jane Bruce, Billy Chapin et Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur

TOUT-EN-UN

Un pasteur démoniaque harcèle deux orphelins dans l’Amérique de la Grande Dépression. En réunissant dans un coffret le film restauré en DVD et en Blu-ray, un documentaire sur le tournage et un livre somme de Philippe Garnier, Wild Side offre à La Nuit du chasseur un écrin à la hauteur de sa démesure. _Par Juliette Reitzer

Au-delà de son aura d’œuvre mythique, amplifiée par son statut d’unique réalisation de Charles Laughton, que retenir de La Nuit du chasseur ? Le film frappe d’abord par la multitude des thèmes qui l’innervent : variation sur le bien et le mal, terreurs enfantines, fable morale, discours ambigu sur la religion, conte initiatique… Son scénario, effroyable de violence et de perversion, est une œuvre collective, adapté d’un roman de Davis Grubb par l’écrivain et critique de cinéma James Agee, en étroite collaboration avec Laughton, grand acteur anglais (Les Révoltés du Bounty, Quasimodo) des années 1930-40, naturalisé Américain. Un prétendu pasteur et vrai psychopathe (Robert Mitchum dans le rôle du plus flippant méchant du cinéma, évidente influence du No Country for Old Men des frères Coen) épouse et égorge la veuve d’un braqueur de banques, puis s’acharne sur ses deux orphelins

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dans le but de découvrir où est planqué le butin. Pearl, cinq ans, et John, dix ans, s’enfuient en barque pour se jeter dans le cauchemar plus vaste de la Grande Dépression et de sa misère, avant d’être repêchés par une bonne âme (Lillian Gish, parfaite en ange de bonté et de valeurs morales). Mais le film étourdit aussi par sa richesse stylistique, où se mêlent des héritages multiples, à commencer par celui du cinéma muet et de D. W. Griffith, que Laughton admirait – la présence de Lillian Gish finissant d’asseoir la filiation. Atmosphère onirique et fantastique, fascination gothique pour le macabre et le sentimental, éclairages expressionnistes, tentation picturale (le cadavre de la mère coulé au fond de la rivière rappelle les préraphaélites), naturalisme ponctuel emprunté aux clichés de Walker Evans et Dorothea Lange sur les laissés-pourcompte de la Grande Dépression… L’éclat de La Nuit du chasseur tient à l’équilibre imparfait, presque magique, que parviennent à former ses sautes de ton, son lyrisme et ses excès. Mais cette multiplicité chatoyante, toute poétique, lui valut sans doute aussi son échec lors de sa sortie, en 1955. « Le Poète est semblable au prince des nuées (…) Ses ailes de géant l’empêchent de marcher », écrivait Beaudelaire dans le poème L’Albatros (Les Fleurs du mal). Si sa carrière d’acteur lui réserva de nouveaux succès, Laughton ne réalisa pas d’autres films et il mourut en 1962, avant de voir son chefd’œuvre réhabilité. ♦ La Nuit du chasseur de Charles Laughton (édition limitée) Avec : Rober t Mitchum, Shelley Winters… Édition : Wild Side Durée : 1h33 Sor tie : disponible


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FILMS La sélection de la rédaction

COLONEL BLIMP

de Michael Powell et Emeric Pressburger (Carlotta Films)

FAUST

BLOW OUT

d’Aleksandr Sokurov (Blaq Out)

de Brian De Palma (Carlotta Films)

Film de propagande, Colonel Blimp emmène pourtant l’emphase du Technicolor de Powell et Pressburger vers un récit baroque, tour à tour romantique, grotesque et humaniste. L’amitié sur quarante ans entre un héros militaire anglais et son équivalent allemand est une pure hérésie pour 1943 et procède de la même clairvoyance à l’œuvre dans La Grande Illusion de Renoir. Un motif circule tout le long du récit : le visage frondeur au teint de porcelaine de Deborah Kerr, actrice à la finesse inégalée, déclinée en trois héroïnes comme idéal féminin pour l’un de ses premiers grands rôles.

Blow Out (1981) débute par une fausse piste : spécialiste de la citation hitchcockienne, Brian De Palma y reprend Psychose et sa fameuse scène de douche, qu’il avait déjà remixée un an auparavant dans Pulsions. Mais, piégée, la séquence se termine sur un cri flapi, ridicule. C’est que John Travolta y joue un ingénieur du son habitué aux films d’horreur grotesques. Un meurtre auquel il assiste le pousse à mener l’enquête à travers les bruits qu’il a enregistrés. Dans un festival d’éclats artificiels, le réalisateur triture la matière sonore pour livrer un essai théorique sur le leurre au cinéma.

C’est un Faust prosaïque et tourbillonnant, en giration permanente que propose Sokurov. Dans un monde sans dieu, loin de la lutte entre bien et mal de la version de 1926 par Murnau, Faust se damne sans pacte transcendantal, emporté par l’usurier Mauritius Müller et par son amour pour Margarete. La jeune fille se fait tache de lumière pure dans un monde fangeux, qui prend des nuances de couleurs infinies par le travail de Sokurov et de son chef opérateur Bruno Delbonnel. Lion d’or 2011 à Venise, défendu par Darren Aronofsky, Faust est une dérive de l’engourdissement aux images cristallisantes.

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ZAMBIE : À QUI PROFITE LE CUIVRE ?

PAPA LONGUES JAMBES

HOLY MOTORS de Leos Carax (Potemkine)

d’Audrey Gallet et Alice Odiot (Montparnasse)

de Jean Negulesco (Opening)

Leos Carax est de retour, et Holy Motors agit comme le précipité de treize années d’absence depuis Pola X. Dans sa limousine et loge de comédien, l’époustouflant Denis Lavant, acteur saltimbanque et caméléon, incarne onze personnages, soit autant d’états de l’âme et de stations poétiques. La créativité débridée de Carax offre des visions inespérées qui plongent le spectateur dans un étonnement permanent. Fluide dans son rythme, traversé d’un étrange rire moqueur et puissamment cinégénique, Holy Motors est l’un des films les plus saisissants de l’année, bien loin de tout esprit de pontification.

Réalisé en 1955, ce musical tout en grâce et paillettes conjugue inventivité chorégraphique, opulence de la direction artistique et mythe du rêve américain. Un régal, pimenté par le sourire et les tenues so fifties de la Française Leslie Caron (Un américain à Paris, Gigi). Jervis (virtuose Fred Astaire), un riche industriel américain, s’éprend de Julie, une jeune orpheline, lors d’un voyage en France. Conscient de leur différence d’âge, il décide de financer les études en Amérique de la belle mais choisit de garder son identité secrète. Quelques années plus tard, il entreprend de la revoir…

Cette plongée, tout aussi pédagogique qu’effarante, dans le système d’exploitation et de pollution des sols zambiens, a reçu le prix Albert-Londres 2012, qui récompense les meilleurs grands reportages en presse écrite et audiovisuelle. Il y a d’évidentes qualités journalistiques pour détricoter le fallacieux processus qui permet à des compagnies du Nord de piller la Zambie sans juste contrepartie financière ni responsabilité environnementale. Reste que ce documentaire brille aussi par l’attention portée aux portraits d’hommes et de femmes qui luttent contre ce viol de leurs terres.

_S.C.

_J.R.

_É.R.

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©Alexander Dahms

CDTHÈQUE Collage electropical Résultat d’un périple de deux mois en Afrique du Sud, le premier album du duo SKIP&DIE est un patchwork de genres (hip-hop, punk, baile funk, dubstep…) au service de l’énergie aussi contestataire que psychédélique de ces jeunes gens qui n’ont pas froid aux oreilles. _Par Éric Vernay

À peine les avait-on rencontrés dans un petit home studio d’Amsterdam que Skip&Die repartait déjà pour de nouvelles contrées. Direction l’Afrique du Sud. Il faut dire que Catarina Aimée Dahms (alias Cata.Pirata), 28 ans, et son acolyte Jori Collignon, 31 ans, ont une sacré bougeotte. L’une, plasticienne-chanteuse sud-africaine au look de Madonna punk, exprime son goût du voyage par le multilinguisme de ses textes balancés en portugais, afrikaans, espagnol et anglais ; l’autre, musicien-arrangeur néerlandais, par la diversité des sons qu’il bidouille sur ses platines. « On a décidé de retourner dans mon pays pour y faire de la musique en se mélangeant à d’autres artistes locaux, via des collaborations, raconte Cata.Pirata. On ne savait pas trop où ça nous mènerait. J’ai repéré certains groupes sur Myspace, d’autres au hasard. On est par exemple allés voir un groupe de punk 58

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à Soweto, jouant dans la rue, au milieu de la poussière rouge. C’était incroyable. » Au gré des étapes de leur road trip tropical, il font ainsi des rencontres variées : un groupe de marimba traditionnelle et un rockeur expérimental parci, un rappeur et un producteur electro par-là. « On voulait donner l’impression à l’auditeur de vivre une aventure, un voyage, s’enthousiasme Jori. C’est seulement au retour en studio que nous avons essayé d’insuffler une cohérence à cet ensemble très varié. » Sous la bannière protestataire de titres guerriers tels que Jungle Riot, Love Jihad, ou AntiCapitalista, Skip&Die développe une musique dansante et psychédélique proche des télescopages chers à M.I.A. ou à Diplo : des basses dubstep surgissent au milieu d’un morceau de rap zoulou pour mieux le pirater de l’intérieur, des rythmes de baile funk s’incrustent en pleine valse balkanique et des « bleep » synthétiques croisent le fer avec des percussions africaines dans un grand patchwork hédoniste. « Les collages que j’ai réalisés sur la pochette représentent bien ce qu’on essaie de faire, revendique Cata.Pirata, une sorte d’assemblage hétéroclite de musiques. » Car le tandem vient de la culture du sampling. « Quand je faisais du turntablism, j’allais par exemple chiner dans des brocantes pour trouver un vieux disque de musique africaine bizarre, se souvient Jori. Maintenant, on essaie de confectionner nos propres samples en enregistrant des musiciens, mais aussi le son de la rue ou les oiseaux ! » Un goût pour le mélange ­hautement contagieux. ♦ Riots in the Jungle de Skip&Die Label : Crammed Discs Sor tie : disponible


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ALBUMS La sélection de la rédaction

Lescop

de Lescop (Pop Noire/Universal)

Trilogy

de The Weeknd (Universal Republic) Avec Frank Ocean, The Weeknd représente un futur hybride et ultra-excitant pour le R’n’B. Sorties coup sur coup en 2011 et diffusées sur internet, les trois sublimes mixtapes (House of Balloons, Thursday, Echoes of Silence) du Canadien de 22 ans forment cette copieuse Trilogy : soit vingt-sept morceaux remixés et remasterisés, auxquels il faut ajouter trois inédits. Érogène et droguée, parcourue de lointaines secousses dubstep, la soul nocturne d’Abel Tesfaye sample les rêves dark de Siouxie And The Banshees et de Beach House pour les réinjecter dans une étrange after party, mélancolique et racée. _É.V.

On l’avait déjà constaté avec Rover récemment, la France indé se cherche de nouvelles figures capables de croiser ses exigences esthétiques avec le mainstream, et Lescop serait de celles-ci. Depuis la sortie il y a quelques mois de son EP au retentissant single La Forêt, le Rochelais Mathieu Peudupin fait le buzz parce qu’il « ressuscite la new wave » d’Étienne Daho et de Joy Division (et d’Indochine, diront les détracteurs). Et la prod épate, noire, synthétique, cinématographique. Sauf que voilà, comme Rover, l’exchanteur d’Asyl déroule un romantisme post-ado trop poseur pour émouvoir. _Sylvain Fesson

de Godspeed You! Black Emperor (Constellation/Differ-ant) Guitares martelées, progressions saturées, montées en puissance, les Canadiens de GY!BE font fuzz de tout bois : mélopées orientalisantes, mille-feuilles noise, cordes et cornemuses en avant, comme l’illustration sonique d’une époque où tout dissone et guerroie. Mladić, le « boucher des Balkans », donne ainsi son nom au premier de quatre longs instrumentaux (de six à vingt minutes chacun). Du grésil ambient à l’explosion de larsens, de la boue au ciel, ce nouvel album reprend là où Yanqui U.X.O. nous avait laissés il y a dix ans : en plein champ de bataille. _Wilfried Paris

Rituels d’un nouveau monde

Kitsuné Maison Compilation 14

Entre la carrière solo d’Étienne Jaumet et les tournées d’Herman Düne pour le batteur Cosmic Neman, ce deuxième album du duo s’inscrit autant dans la filiation prog rock française (Heldon, Lard Free), avec son titre programmatique et ses longs instrumentaux, que dans la veine historiquement clubbing du label Versatile. La production impec du manitou electronicien Joakim polit ces rituels transcendantaux en vraies machines à danser, percées de percussions, de saxophones fous et de synthétiseurs analogiques. Le duo gagne en efficacité ce qu’il perd en accidents. Debout les morts sur le dancefloor. _W.P.

Deux fois par an, le label de musique Kitsuné, qui fait aussi de chouettes fringues, tente vaillamment de faire survivre le principe un peu désuet de la compilation. Pour protéger cette espèce de plus en plus rare, il mise sur une cohérence impeccable et un esprit pionnier, défricheur, qui permet d’associer le rentrededans d’Is Tropical (Venezuela) à la langueur scotchante de Plaitum (Geisha). Two Door Cinema Club, ou le groupe Friends (avec un bon remix de leur I’m His Girl), sont au diapason de cette bande-son à laisser traîner dans une soirée, ou dans son casque au moment d’écrire son article. _É.R.

de Zombie Zombie (Versatile Records)

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’Allelujah! Don’t Bend! Ascend!

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Collectif (Kitsuné)

Pale Fire

d’El Perro Del Mar (Memphis Industries/Pias) Dès Love Is Not Pop (2009), la Suédoise Sarah Assbring avait délaissé humeur dépressive et minimalisme pop pour un résultat plus synthétique mais pas moins lumineux. Tendance confirmée sur Pale Fire, où claviers, boîtes à rythmes et basses dub rappellent l’indie pop des années 1990 (Saint Etienne, The Cardigans) autant que les consœurs scandinaves (Lykke Li, The Knife). La voix éthérée égrène mésaventures et renaissances amoureuses sur des glacis synthpop, glissant pop un peu kitsch. Moins hanté ou mystique que ses prédécesseurs, ce feu est aussi pâle qu’un soleil d’hiver. _W.P.


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BIBLIOTHÈQUE DR

Un roman de la vie provinciale qui saisit de bout en bout par sa puissance évocatoire, son ironie douce-amère, ses personnages pleins de chair et d’âme.

Un Forton sinon rien

Roman inédit caché dans les archives de l’écrivain, La vraie vie est ailleurs de JEAN FORTON fait enfin surface, et avec lui un désir de révolte caractéristique des grands romans de l’adolescence. Vous avez dit chef-d’œuvre ? _Par Bernard Quiriny

Les étudiants bordelais qui, dans les années 1970, fréquentaient la librairie Montaigne, spécialisée dans les ouvrages juridiques, étaient loin d’imaginer que son austère propriétaire était l’un des grands écrivains français de l’aprèsguerre. Entré en littérature à 20 ans avec une revue, La Boîte à clous, Jean Forton avait publié chez Gallimard huit romans dont le septième, L’Épingle du jeu (1960), faillit remporter le Goncourt. Seulement voilà : déçu par

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l’indifférence de la critique, fatigué d’essuyer des refus, Jean Forton avait pris en 1969 la décision de mettre fin à sa carrière, ou plutôt de ne plus rien publier. Car dans son arrièreboutique, il continuait en secret de composer des manuscrits qu’il cacha dans ses tiroirs jusqu’à sa mort, en 1982. Certains ont fini par ressurgir, comme les nouvelles de Jours de chaleur et le magnifique roman Sainte famille, sortis de l’oubli par Finitude. Mais ce qui nous est proposé aujourd’hui est d’un autre calibre : un vrai chef-d’œuvre, tout simplement, dont on connaissait l’existence par des allusions dans les lettres de Forton et que sa veuve a exhumé après un long travail d’enquête. Y aurait-il une providence pour les bons livres ? La vraie vie est ailleurs s’inscrit d’emblée parmi les grands romans de l’adolescence, cet âge auquel on se demande s’il faut suivre les voies honorables qu’indique l’institution scolaire ou si la vraie vie n’est pas plutôt dans les nuits de fête et les lieux de plaisir. Tel est le dilemme d’Augustin Lajus, quinze ans, gamin timide et banal qui fait une rencontre capitale : celle de Juredieu, gosse de riches intrépide et fanfaron, charmeur et voyou. Juredieu fait le mur, il fréquente les bars et couche avec des filles, il ouvre un monde inconnu à Lajus fasciné : « Désormais je n’étais plus seul, j’avais un ami, la vie s’offrait à moi. » Vrai frère ou génie du mal ? Forton fait des aventures de ces garnements une étude de caractères, un roman de la vie provinciale et une méditation sur la sagesse et la révolte, l’obéissance et l’ennui, la soumission et l’affirmation de soi. Malgré des passages « céliniens » un peu datés, cet inédit saisit de bout en bout par sa puissance évocatoire, son ironie douce-amère, ses personnages pleins de chair et d’âme. Un petit chef-d’œuvre, vraiment. On l’a déjà dit ? Oui, mais il a attendu si longtemps qu’il mérite qu’on le répète. ♦ La vraie vie est ailleurs de Jean For ton Édition : Le Dilet tante Genre : roman Sor tie : disponible


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LIVRES La sélection de la rédaction .

Une petite lumière dans le frigo

de Wilhelm Genazino (Christian Bourgois) Il vit en célibataire dans un deuxpièces, navigue entre plusieurs femmes, évolue dans un monde rempli d’objets et de gens qui lui semblent invariablement étrangers : le narrateur du nouveau roman de l’Allemand Genazino est un être décalé, ennuyé, qui regarde le monde avec un scepticisme flegmatique et une grande sensibilité à l’absurde. À quoi la vie rimet-elle ? Insidieusement, son récit lisse, quotidien et involontairement comique nous amène à voir les choses à sa manière, avec cette mélancolie diffuse qui tenaille bien au-delà des cent soixante pages de ce petit livre ironique et inquiétant. _B.Q.

Le Message du pendu de Pieter Aspe (Albin Michel)

En Flandre, Pieter Aspe est une star, et ses romans policiers situés sur la côte brugeoise se vendent comme des petits pains. Tous mettent en scène le commissaire Van In, routier de l’enquête criminelle, bon vivant et sympathique. Son second Guido et lui sont ici aux prises avec un quadruple meurtre chez les rupins : un type aurait tué sa femme et ses deux gosses avant de se pendre. Mais Van In connaissait le présumé coupable, et le scénario du drame familial ne colle pas… Intrigue bien menée, ambiance prenante, un petit polar tout confort généreusement arrosé de Duvel, comme il se doit. _B.Q.

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Les écrivains sont-ils bêtes ? de Roger Nimier (Rivages)

Parmi les publications liées au cinquantenaire de la mort de Roger Nimier (1925-1962), on peut lire cette anthologie d’articles parus pour la plupart au cours d’une période d’abstinence romanesque volontaire où l’auteur des Épées s’occupa surtout d’édition et de critique. Cinglantes, nerveuses, souvent lucides, ces chroniques de la vie littéraire ressuscitent l’ambiance intellectuelle de l’après-guerre, avec ses écoles, ses polémiques et ses figures. Certaines n’ont pas vieilli, à l’image de cette satire de la critique et des différentes « sauces » avec lesquelles elle accommode ses articles. Saignant ! _B.Q.

Manifeste pour la vie d’artiste de Bartabas (Autrement)

Pour évoquer et définir son engagement en tant qu’artiste, l’écuyer Bartabas réunit dans ce livre des figures qui l’inspirent. Du compère de Charlie Hebdo Cabu, qui croque en quelques pages la passion équestre de l’auteur, au facétieux « filmeur » Alain Cavalier, qui propose une lettre manuscrite, en passant par des hommages à Laurent Terzieff (le centaure du Médée de Pasolini) et à la chorégraphe Pina Bausch, tous deux artistes de scène, chacun des invités se caractérise par un geste qui témoigne de sa pratique. D’où un parcours à la fois discursif comme une balade au pas et vif et enlevé comme un galop. _S.C.

Paris vu par Hollywood sous la direction d’Antoine de Baecque (Flammarion)

En complément de l’exposition qui se tient à l’Hôtel de ville de Paris jusqu’au 15 décembre, ce beau livre de 288 pages est une balade parisienne dans l’imaginaire hollywoodien. Au fil d’analyses pertinentes d’universitaires et de nombreuses illustrations, on traverse les époques et les genres comme on circulerait dans les rues de la capitale. Du Paris des studios d’Ernst Lubitsch au Paris brutal du film d’action contemporain, de la Ville Lumière à celle des amoureux, le livre, dirigé par le critique Antoine de Baecque, démontre avec précision l’évidence et la beauté de la rencontre entre Paris et Hollywood. _Renan Cros

5 e Avenue, 5 heures du matin

de Sam Wasson (Sonatine) Encensé par le prestigieux New York Times, le livre de Sam Wasson est le premier de l’auteur traduit en français. Ce journaliste, spécialiste de Blake Edwards et fan d’Audrey Hepburn, retrace dans 5e Avenue, 5 heures du matin la genèse de Diamants sur canapé (1961), le film adapté de la nouvelle de Truman Capote Petit Déjeuner chez Tiffany. De la naissance du personnage de Holly Golightly, femme à la fois libre et entretenue, à l’interprétation qu’en donnera finalement Hepburn, le livre est une immersion passionnante dans l’Amérique des sixties. À lire comme on regarde un bon film. _L.T.


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DR

BDTHÈQUE Planche extraite d’Anthologie Creepie – Volume 1

MUSÉE DES HORREURS

Disparus depuis près de trente ans suite à un problème de droits aujourd’hui réglé, les monstres merveilleux des revues jumelles Eerie et Creepy ressuscitent dans deux anthologies. Le sommet de l’horreur et du graphisme à l’américaine. _Par Stéphane Beaujean

« Ce fut une époque reine, sans équivalent dans l’histoire des comics. Pour la première fois, les auteurs étaient totalement libres, et leurs signatures avaient le droit de figurer au bas de la page. » Voilà comment Fershid Bharucha, légendaire éditeur français de bande dessinée américaine, parle de cette époque qu’il a bien connue et dont il fut l’acteur primordial dans l’Hexagone. Tout commence au mileu des sixties par l’initiative de James Warren, éditeur qui rêve de ressusciter la bande dessinée d’horreur, disparue dix ans auparavant sous les assauts violents de la censure américaine. Sa stratégie : éviter de tomber sous le coup de la loi qui régit la lecture jeunesse en optant pour un format magazine plus grand et un dessin en noir et blanc. Il fédère aussitôt les grandes plumes de l’époque – bientôt rejointes par une jeune garde de talent – et lance coup sur coup trois titres qui marquent d’un sceau noir le 66

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renouveau de l’horreur : Creepy (1964), Eerie (1966) et Vampirella (1969). Sous ces contraintes éditoriales, les auteurs (principalement Archie Goodwin jusqu’en 1967) imaginent, souvent dans l’urgence, pléthore de récits cauchemardesques de quelques pages chacun, dont l’esthétique rompt avec les canons historiques : fini l’exposition froide des années 1940 et 1950 et sa culture du crime, de la violence et de l’horreur representés frontalement et en pleine lumière ; ici, la grammaire poétique des studios Universal d’avant-guerre contamine le dessin et déploie toute la palette des variations photographiques du monstre – expressionnisme, silhouettes, atmosphères brumeuses et métaphores… « C’était fou, se souvient Bharucha, les dessinateurs étaient poussés par une énergie créative peu commune et jouissaient d’un espace où réfléchir au style qu’ils voulaient se créer. Une effervescence unique régna dans les studios de l’écurie Warren. Une fois l’aventure finie, tout le monde s’est séparé, et rien ne fut plus jamais aussi fort. » Près de quarante ans plus tard, le constat est sans appel : peu d’aventures éditoriales ont vu passer tant de maîtres historiques, fait le pont entre deux générations, renouvelé de fond en comble un genre et marqué les esprits par leur féerie. Les deux anthologies Creepy et Eerie publiées aujourd’hui, quoique pénalisées dans leur impression par la disparition du matériel original, érigent un magnifique tombeau aux plus beaux vampires, monstres et autres loups-garous de la bande dessinée. ♦ Anthologie Eerie – Volume 1 et Anthologie Creepy – Volume 1, collectifs Édition : Çà Et Là Sor tie : disponible


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bANDES DESSINÉES La sélection de la rédaction _Par S.B.

Duncan, le chien prodige

d’Adam Hines (Cà Et Là)

Épopée de science-fiction de plusieurs centaines de pages, Duncan, le chien prodige échafaude une réflexion métaphysique sur la nature humaine le long d’une écriture fragmentée, d’un découpage labyrinthique et d’un graphisme qui hybride collages et diverses techniques de dessin. La traduction, superbe, rehausse ce texte aux ambitions littéraires, empreint de lyrisme et de mélancolie, poème aux airs de tragédie dans lequel les animaux, doués de parole, interrogent leurs rapports aux hommes. Si l’overdose d’effets se fait souvent sentir et agace, le récit triomphe au final par sa démesure.

2001 Nights Stories – Version d’origine

de Yukinobu Hoshino (Glénat) Cette série de nouvelles autour du film 2001 – L’Odyssée de l’espace jouit d’une édition luxueuse et limitée, accompagnée d’un dessin unique pour chaque coffret. Si la complexité et le mystère des images de Kubrick ne trouvent évidemment pas d’égal, reste que ce manga ambitieux s’empare de la mythologie et des symboles d’origine avec une certaine intelligence et brosse, à travers un réseau de renvois à d’autres classiques (Mishima, Les Mille et Une Nuits…), un plaisant portrait de la condition humaine. Le dessin, réaliste, supporte l’appel de la métaphysique par sa gestion du vide et des silences.

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Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB de Jacques Tardi (Casterman)

Voilà, sans équivoque, le plus beau livre de Tardi de ces dix dernières années. Certains pourraient y voir l’œuvre de sa vie tant tout y est cohérent et incarné : le dessin riche de détails, la succession de cases au format cinémascope, la manière de replacer à intervalles réguliers la biographie de son père dans le sillage plus large de l’histoire de France à l’aide de portraits de groupe, et surtout cette colère sourde qui court le long des dialogues. Les aficionados de l’auteur trouveront dans ce récit presque confessionnel les origines de la contestation qui alimente son écriture depuis toujours.

I Love Alice

de Nine Antico (Les Requins Marteaux) Au prétexte d’une collection porno postmoderne, BDCUL, hommage plein de second degré aux petits formats des éditions Elvifrance, Nine Antico réalise un récit suranné dans lequel elle exploite son imagier personnel de l’Amérique iconique des années 1980. Le campus étudiant, ses cortèges de pom-pom girls et les codes vestimentaires de l’époque cristallisent le cadre fantasmé d’une initiation adolescente où le corps est perpétuellement offert soit à la violence du sport, soit à l’érotisme d’un éveil au sexe sous toutes ses formes. Un modeste divertissement au dessin particulièrement élégant.

Le Fils du roi d’Éric Lambé (Fremok)

Somptueux livre-objet conçu avec soin, Le Fils du roi flotte en suspens entre la succession d’images narratives propre à la bande dessinée et le recueil de dessins. Exigeant et complexe, plein d’un imaginaire impénétrable et débordant de tristesse, ce récit paraît filer la métaphore du rapport aux parents à travers une suite de symboles et d’images rémanentes, muettes. Difficile à caractériser, le livre emporte dans le torrent de ses gravures d’un geste obsessionnel au stylo-bille ou laisse en plan devant la première page. Assurément l’expérience graphique la plus incarnée de cette fin d’année.

Big Questions d’Anders Nilsen (L’Association)

Chez la jeune garde des auteurs qui renouvellent l’underground, Anders Nilsen est à suivre de près. L’univers de désolation et de solitude qu’il cultivait déjà dans Des Chiens, de l’eau trouve ici, dans plus de six cents pages, l’espace où se développer et se nuancer. Comme Duncan, le chien prodige, Big Questions s’inscrit dans la tradition américaine des récits existentiels qui mettent en scène hommes et animaux. Mais il s’attache à en renouveler les codes avec une poésie plus élémentaire et finalement plus touchante, opposant les humains muets aux oiseaux bavards et en proie au doute.


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© 2K Games

LUDOTHÈQUE BORDERLINE

La jobardise de Borderlands nous avait manqué. De retour en forme olympique, la saga comble les attentes les plus folles avec un deuxième épisode exceptionnel. Attention, crampes abdominales en perspective. _Par Yann François

Mad Max avait beau entrevoir la fin de tout, son héritage punk, lui, ne s’est jamais tari. De tous ses bâtards, Borderlands peut se vanter d’être le plus tordu. Sorti en 2009, le premier épisode se vivait comme une odyssée gore et ahurie en terres post-apocalyptiques, peuplées de bandits dégénérés. Doté d’un décorum sans pareil, il offrait un alliage détonant entre l’action et le RPG. Il s’agissait bien de tirer sur tout ce qui bouge, mais aussi de customiser son personnage et, surtout, de looter l’environnement, plaisir coupable propre au jeu vidéo consistant à piller tout ce qui passe, de la cache à butin au cadavre ennemi à peine refroidi, dans l’espoir de trouver un meilleur équipement : l’obsession surgissait vite chez ceux qui osaient s’aventurer sur les terres irradiées du jeu. Ce deuxième épisode aurait donc pu se contenter de pérenniser une affaire qui roule. Mais la prudence ne semble pas être le mot d’ordre de Gearbox. Non pas que Borderlands 2 chambarde ses fondements. Mais il a révisé sa copie,

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gommé ses anciens défauts et lissé son cel-shading (technique d’ombrage au rendu proche des comics) jusqu’à un degré d’orfèvre. Son action gagne une telle ampleur que chaque fusillade surpasse la précédente en pyrotechnie. Pour peu qu’on se laisse séduire par son mode co­opératif, on tient tout simplement le jeu d’action le plus survitaminé de cette fin d’année, chipant sans effort le flambeau aux autres vedettes de son espèce. D’autant que Borderlands 2 a une âme. Une âme timbrée, gentiment psychotique même, mais jamais gratuite. Que ceux qui ne croient plus en l’humour se contentent d’une heure au contact des sociopathes peuplant la planète Pandora. Servi par un voice acting tonitruant (et une VF parfaite, un exploit), le spectacle hilarant reste l’autre grande force du soft : pas un dialogue sans vanne lâchée par un ennemi chafouin, pas une situation sans un pouffement bêta voire un pliage en deux. Il faut reconnaître au jeu un talent titanesque d’écriture pour mener une aventure comique sur une trentaine d’heures sans jamais cesser de surprendre ni d’électriser son joueur. Avec ses cinq classes de personnages et ses nombreuses extensions en vue, Borderlands 2 s’assure une longévité à toute épreuve. Bonne nouvelle : son premier contenu téléchargeable, Le capitaine Scarlett et son butin de pirate (à réserver aux joueurs tenaces), garde le cap délirant des promesses initiales. Car Borderlands 2 s’en fait un point d’honneur : nous n’avons pas fini de mourir de rire ni d’extase. ♦ Borderlands 2 (2K Games) Genre : FPS/jeu de rôle Développeur : Gearbox Sof t ware Plateformes : PS3, X360, PC Sor tie : disponible


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JEUX La sélection de la rédaction _Par Y.F.

The Unfinished Swan (Sony/ Giant Sparrow, sur PS3 – PSN)

Dans un espace immaculé, le héros progresse au moyen de billes de peinture qu’il lance sur le décor pour en dévoiler les contours. The Unfinished Swan tient davantage de l’expérience que du jeu. Une expérience conduite par un parti pris graphique audacieux et immersif qui profite d’une jouabilité ingénieuse. Grâce à The Unfinished Swan, chacun devient le peintre de sa propre histoire.

FTL – Faster Than Light (Subset Games, sur PC et Mac)

Aux commandes d’un vaisseau en vue de coupe, le joueur gère vies et combats de son équipage, naviguant au sein d’une galaxie hostile. Faster Than Light ne paie peut être pas de mine, mais sa subtilité est immense. Passé la surprise, les mécanismes de ce jeu mettent l’habileté du joueur à l’épreuve, tel un Luke Skywalker dans le Faucon Millenium. 2012, l’odyssée de l’espace (de poche).

Torchlight II (Runic Games, sur PC)

Quand on parle de hack’n’slash – les jeux où l’on se fraye un chemin d’un niveau à l’autre, à grand renfort de coups d’épée – il y a souvent deux écoles : pro-Diablo vs pro-Torchlight. Sans vouloir fâcher personne, contentons-nous de préférer à Goliath David, dont la modestie apparente ne masque en rien une identité aussi originale qu’envoûtante. D’autant que son petit prix pèse lourd dans la balance.

STRATÉGIE GAGNANTE

Dépassées par une invasion alien dévastatrice, les Nations unies placent leur dernier espoir dans la XCOM, organisation secrète destinée à la lutte anti-extraterrestre, et nous désignent commandant providentiel. À chacun de mener sa campagne de défense comme il l’entend : développer sa base mère, investir dans un pôle R-D pour des armes de plus en plus évoluées, choyer diplomatiquement les pays qui financent l’opération et, enfin, intervenir en direct sur le champ de bataille.

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Quand les créateurs de la série des Civilization ressuscitent un monument du jeu de stratégie SF, on tient forcément un nouveau classique du genre.

Aux commandes de six escou­ades, le joueur planifie ses manœuvres comme sur un jeu d’échecs grandeur nature, avec l’angoisse constante de perdre (définitivement) l’une de ses recrues sur un mauvais calcul. Tout vétéran qui adule le premier XCOM se souvient d’un monument d’exigence qui s’est effrité au fil de suites de plus en plus médiocres. La loi des séries est aujourd’hui conjurée. Développé par Firaxis (les derniers Civilization), le jeu repose sur un équilibre parfait entre gestion et tactique, où toute action

sur le terrain a une conséquence drastique sur le conflit global. Profond, immersif, sans pitié, XCOM ravive le traumatisme de La Guerre des mondes et s’octroie une mise en scène des plus épiques. Une classe folle qui l’impose sans mal comme un nouveau standard de la stratégie, vingt ans après le premier coup d’éclat de son ancêtre. ♦ XCOM: Enemy Unknown (2K Games) Genre : gestion/tactique Développeur : Firaxis Plateformes : PS3, X360, PC Sortie : disponible

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LE GUIDE

SORTIES EN VILLE CONCERTS EXPOS SPECTACLES RESTOS FREE rock-clubbing / ART CONTEMPORAIN-photographie / cirque-danse / LE CHEF

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©Ivan Mosjoukine1

© The Estate of Peter Hujar /Courtes y Matthew Marks Galler y, New York

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SORTIES EN SALLES CINÉMA du mercredi 7 novembre au mardi 4 décembre

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©Christophe Urbain

SORTIES EN VILLE CONCERTS

Violence mécanique F r ee rock Electric Electric, le 9 novembre au Nouveau Casino, 19h30, à par tir de 15,80 € Discipline (Africantape/Herzfeld/Ky thibong/Murailles Music/ La Baleine, disponible)

Attraction scénique prisée des amoureux de rock supersonique, le trio strasbour­geois ELECTRIC ELECTRIC poursuit la plus longue tournée de sa carrière. L’occasion d’asseoir dans la fureur et la transe le génie ­complexe de son deuxième album, Discipline. _Par Michael Patin

Inutile de stationner dans les parages si vous cherchez un moment de divertissement en famille où secouer les menottes avec la foule en hurlant des refrains que leurs auteurs eux-mêmes semblent haïr au point de laisser faire. Rangez les portables qui servent de briquets. C’est de rock qu’on cause. Expérimental, instrumental (quelques bribes de chant fantôme s’immiscent entre batterie, guitare et synthétiseur) et surtout extrêmement violent. Depuis 2004, les Strasbourgeois ­d’Electric Electric produisent sur scène l’un des boucans les plus jubilatoires entendus dans l’Hexagone. Post-punk ou post-hardcore, math rock ou free rock ? 74

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Tout ça à la fois, et plus encore : char d’assaut polyrythmique, rafales de riffs, vagues electro à l’huile bouillante – un attirail guerrier qui libère nos oreilles et nos corps des conformismes en tout genre. La sortie de Discipline, deuxième album du groupe, enfonce le clou d’une musique aux mille complexités, aussi coléreuse que techniquement redoutable, toujours trop rapide pour qu’on s’y pose, alliance orgasmique du mouvement et de la répétition. En d’autres termes : une implacable machine à transe. « Quand nous sommes tous les trois totalement à l’unisson, qu’on oublie presque l’instrument et qu’on sent que la salle répond à mort… Il y a des moments de vérité brute, d’abandon, qui sont finalement assez rares dans la vie de tous les jours. » Guitariste-chanteur au charisme discret, Éric Bentz choquerait presque tant il semble étranger aux poses de rock star. Ce que prône et provoque Electric Electric, c’est la communion contre l’adulation, la combustion contre la consommation. Un empire des sens où désapprendre collectivement les disciplines qui nous maltraitent. Le temps d’un concert, et c’est déjà beaucoup. ♦


DR

Joey Bada$$, le 15 novembre à la Bellevilloise

L’AGENDA _Par É.V.

Joey Bada$$ Joey Bada$$ rappe sur des sons grésillants signés Madlib, Lord Finesse ou J Dilla, un peu comme s’il vivait au début des années 1990 – époque à laquelle ce Brooklynois surdoué n’était pas encore né. Le 15 novembre à la Bellevilloise, 19 h30, 19,80 €

Constellation – 15e anniversaire Dévoué au post-rock depuis quinze ans, le label culte de Montréal fête son anniversaire avec deux jours de concerts dominés par les performances des fleurons Thee Silver Mt. Zion et Do Make Say Think. Les 17 et 18 novembre à la Maroquinerie, 19 h, 22 € /jour

Oxmo Puccino Devenu une bête de scène, Oxmo Puccino peaufine ses rimes et continue de faire bouger son petit monde hip-hopoétique sur son sixième album, cette fois au contact de la bossa nova et de la chanson. Le 20 novembre au Bataclan, 19 h30, 30 €

Shearwater Délicats sans pour autant refouler leurs élans lyriques, les drôles d’oiseaux indie folk viendront défendre leur septième album. Les Texans seront précédés de Jesca Hoop, experte ès sortilèges folk. Le 23 novembre à la Boule noire, 19 h30, 19,80 €

Lower Dens Venu de Baltimore comme Beach House, le groupe de Jana Hunter diffuse un épais brouillard dans lequel surnagent d’entêtantes mélodies pop, sombres, parfois cauchemardesques, toujours ensorcelantes. Le 27 novembre au Nouveau Casino, 19 h30, 19,80 €

Waka Flocka Flame Comme son mentor Gucci Mane, Waka Flocka Flame développe un gangsta rap frénétique sur des beats meurtriers. Répétitif et allumé, le flow sudiste du jeune rappeur d’Atlanta est un appel au pogo. Le 3 décembre au Bataclan, 19 h, 35,10 €

Django Django Emmenés par leur batteur-leader-producteur David Maclean, les Écossais de Django Django pratiquent une pop vocale protéiforme, mâtinée de folk et d’electro : pépites mélodiques façon Beach Boys à gogo. Le 3 décembre au Trianon, 19 h30, 28,50 €

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©Ben Berzerker

SORTIES EN VILLE CLUBBING

Kid North

AVIS DE TEMPÊTE ICONOCLASTE Soirée « Tsunami-Addiction », le 10 novembre au centre Pompidou, 20h, suivi d’un af ter au Scop club, 23h, à par tir de 10 € w w w.tsunami-addiction.com

Le centre Pompidou donne carte blanche au label indépendant Tsunami-Addiction, onze ans déjà, pour une expérience inédite de « compilation live » qui réunira l’ensemble des artistes de cette factory iconoclaste dans un match nerveusement inspiré. _Par Etaïnn Zwer

Femme-orchestre, Gloria-Reiko Pedemonte ­commet d’abord quelques courts métrages dont la ­bande-son revient aux copains de toujours, les turbulents ­dDamage. Avec eux, elle s’initie à la production, puis fonde en 2001 Tsunami-Addiction. Parce que les tempêtes sont salutaires, par amour de la bricole expérimentale et par esprit de contradiction punk. Un désert où planter ses rêves de musique. Le « bureau » excite avec ses compilations-soirées Toxic Girls! et Boys Revenge!. Bingo, on y croise des artistes aujourd’hui encensés, de l’indie darling Sharon Van Etten au duo arty Telepathe. En 2006, la maison gagne ses galons avec la folkeuse Milkymee et le fanzine promotionnel Fake-Real. 76

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Si la déferlante reste encore confidentielle, la famille s’agrandit, entre French gang décomplexé et label lesbian friendly défenseur d’une « musique principalement produite par des femmes », à l’instar des cousines de Kill The DJ ou du shop Gals Rock. Contre le cliché tenace d’une industrie musicale macho, le label signe des filles fortes têtes : Mensch et son élégance kraut ; Claude Violante, moitié d’Haussmann et one woman band au noir eighties séduisant ; La Chatte, « le meilleur groupe à textes français » piloté par l’ovni Vava Dudu, hypnotique ; ou la pépite nordique Rikslyd. Mais pas que : pour preuve, les garçons de Kid North, tout frais signés. Des artistes qui aiment les pentes folles et les jeux en bande : la soirée du 10 novembre a donc tout d’une piñata réjouissante. Neuf all stars à qui Gloria chuchote un ironique conseil, « Habillezvous bien ». Plus un dixième, puisque l’ami cinéaste Patric Chiha, auteur de l’abrupt et délicat Domaine (2010), s’improvisera Monsieur Loyal. Avant de finir, flux et reflux obligent, sur un after au Scop club avec DJ sets des artistes. De quoi ravir les ­amateurs ­d’ondées ­sismiques. ♦


©Marie de Crecy

Étienne de Crécy, le 17 novembre à la Gaité lyrique

L’AGENDA _ Par E.Z.

Le Gang de Métal #1 Tu viens en gang (« minimum trois personnes vivantes »), tu laisses ta barre à mines aux vestiaires et tu défies les autres crews à coups de disques. Sur arbitrage des maîtresses de cérémonie : Maud Wollstonecraft Scandale, Alice beWare, Cassandra et Fräulein Warrior (Sexy Sushi). Ready? Fight! Le 9 novembre au Scop club, 23h, 8 €

Hello™ Super Discount Le collectif H5 (à qui l’on doit le court métrage Logorama) s’amuse et, sous couvert de l’exposition « Hello™ », reforme le trio Étienne de Crécy + Alex Gopher + Julien Delfaud pour une soirée inédite. Révolution numérique et French touch font bon ménage. Le 17 novembre à la Gaî té lyrique, 20h, 15 €

1-800 Dinosaur

Pour ce side project séduisant, le Londonien James Blake, garçon sensible à l’electro-soul mutante, réunit ses copains Airhead et The Chain et passe des disques, pour le fun. Un DJ set impromptu et éclectique qui va encore faire pleurer les machines. Le 17 novembre au Social club, 23h, à par tir de 13 €

Jeff Mills – Axis Records: 20th Birthday Party La légende de Détroit vient fêter les vingt ans de son label Axis. Pionnier de la musique techno aux côtés de Carl Craig ou de Kevin Saunderson, fou de SF et adepte d’expérimentations musicales, « The Wizard » a encore plus d’un tour de magie blanche dans son sac. Le 23 novembre à la Machine du Moulin rouge, 23h, à par tir de 22 €

Anne Clark

Artiste majeure et méconnue de la scène new wave, celle qui a collaboré avec David Harrow et John Foxx (Ultravox) et livré les incontournables The Sitting Room et Sleeper in Metropolis prouve que son œuvre reste intemporelle et son spoken word, toujours aussi grisant. Le 24 novembre au Divan du monde, 19 h, 26,50 €

Sébastien Tellier Après le sexe et l’Eurovision, le Jésus postmoderne – génie iconoclaste ou ringard guimauve, c’est selon – prolongera la transe cosmique et naïvement futuriste de son dernier opus, My God Is Blue, dans une grand-messe d’electronica hallucinée. Amen. Le 3 décembre au Casino de Paris, 19 h30, à par tir de 33 €

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©Adel Abdessemed, ADAGP Paris 2012 Photographie : Marc Domage Courtesy de l’artiste et de David Zwirner, New York/London

SORTIES EN VILLE EXPOS

Practice Zero Tolerance, 2006, terre cuite

Aux arts et cætera A r t con t empor a in « Je suis innocent », jusqu’au 7 janvier au centre Pompidou, w w w.centrepompidou.fr

L’artiste star algérien ADEL ABDESSEMED (s’)expose au centre Pompidou. Son œuvre utilise la manière forte pour dire et dénoncer la violence des conflits qui traversent et détruisent le monde. _Par Anne-Lou Vicente

C’est peu dire qu’avant même que l’on franchisse le seuil du centre Pompidou, Adel Abdessemed frappe fort… avec un Coup de tête. Rappelez-vous, finale de la Coupe du monde de football 2006 : Zinedine Zidane s’emporte contre le joueur italien Marco Materazzi, qui l’insulte en plein match. Surmédiatisé, symbolique voire symptomatique, le fameux coup de boule constitue littéralement une image-choc, qui s’élève aujourd’hui sous la forme d’une sculpture en bronze de plus de cinq mètres de hauteur sur la « piazza Beaubourg ». La démonstration de force se poursuit dans le hall d’entrée avec Telle mère tel fils, installation monumentale composée de trois fuselages d’avions entrelacés tels des serpents. 78

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La plupart des œuvres de l’exposition proprement dite viennent corroborer la violence, explicite ou latente, de ces préliminaires. Ainsi de l’immense tableau peuplé d’animaux naturalisés et brûlés, de la série de carcasses de voitures en céramique ou encore des Christ en fil de fer barbelé. Si la provocation n’est jamais loin – on peut humer les effluves d’une étoile en résine de cannabis ou, par vidéo interposée, voir une femme allaiter un porcelet, des couples faire l’amour dans une galerie, un représentant religieux jouer de la flûte nu… –, elle n’est pas une fin en soi mais un moyen, un levier critique au crible duquel passent les grands sujets (dont le trio sexe, drogue et religion) qui, comme autant d’opiums du peuple, font tourner ce monde autant qu’ils le détraquent. Sous le vernis hyperréaliste et la relative immédiateté qu’offrent l’art ­d’Abdessemed, de nombreuses strates invisibles, chargées de références à l’histoire contemporaine, à celle de l’art ou à la mythologie, sont à prendre en considération dans ce difficile exercice du « jugement » d’un ­innocent autoproclamé. ♦


© Adagp, Paris 2012. Photo Marc Domage.

Fabrice Hyber, POF 65 Ballon Carré, 1998

L’AGENDA

_Par Léa Chauvel-Lévy

« The Museum of Everything » C’est dans une ancienne école de 1 000 m2 que commence l’aventure de la Chalet Society, nouveau centre d’art éphémère conçu par Marc-Olivier Wahler, ancien directeur du palais de Tokyo. Pour cette première étape, place au « Museum of Everything », ahurissant musée ambulant créé il y a trois ans et enfin montré ici. Jusqu’au 15 décembre à la Chalet Societ y, 14, boulevard Raspail, 750 07 Paris – FIAC, w w w.musever y.fr

« Voici Paris – Modernités photographiques, 1920-1950 » Cet exceptionnel panorama de la scène photographique de l’entre-deux-guerres en France fait défiler sous nos yeux trois décennies fondatrices pour le média et la naissance de la vision moderne à travers les œuvres de Germaine Krull, Claude Cahun, Henri Cartier-Bresson ou Brassaï. Jusqu’au 14 janvier 2013 au centre Pompidou, w w w.centrepompidou.fr

Fabrice Hyber, « Prototypes d’objets en fonctionnement (POF) » Créés depuis les années 1990 et scrupuleusement numérotés, tous les prototypes d’objets en fonctionnement (POF) de Fabrice Hyber s’exposent au MAC/VAL, du ballon carré à la voiture dédoublée en passant par Ted Hyber, qui n’est pas seulement un bon jeu de mots. De quoi se familiariser avec un des pans de cet artiste prolixe. Jusqu’au 20 janvier 2013 au MAC/ VAL ( Vitr y-sur-Seine), w w w.macval.fr

« L’impressionnisme et la mode » Manet, Renoir, Degas ont immortalisé, en témoins de leur temps, l’allure de leurs contemporains. Sur certaines toiles impressionnistes, la robe devient même le sujet et éclipse la femme, de dos ou sans visage. Crinolines et corsets font revivre le mythe d’Au Bonheur des Dames et donnent à Orsay des airs de Bon Marché. Jusqu’au 20 janvier 2013 au musée d’Orsay, www.musee-orsay.fr

Anselm Kiefer, « Die Ungeborenen » Pour inaugurer son nouvel espace à Pantin, la galerie Thaddaeus-Ropac présente les récentes œuvres d’Anselm Kiefer, génial plasticien allemand généralement travaillé par les désastres de la Seconde Guerre mondiale mais ici porté sur l’entremêlement de la vie et de la mort. La série « Die Ungeborenen » (« Les non nés ») effraie autant qu’elle guérit des peurs. Jusqu’au 27 janvier 2013 à la galerie Thaddaeus-Ropac (Pantin), w w w.ropac.net

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© The Estate of Peter Hujar /Courtes y Matthew Marks Galler y, New York

SORTIES EN VILLE EXPOS

Peter Hujar, David Brintzenhofe, 1982/1988

Près du corps A rchi t e c t ur e Pho t ogr a phie

« Body Language », jusqu’au 16 décembre au Centre culturel suisse – Mois de la photo à Paris ,w w w.ccsparis.com

Piochées dans l’exceptionnelle collection du Fotomuseum Winterthur, en Suisse, les épreuves de Nan Goldin, Richard Avedon et d’autres artistes de renom rivalisent de force sur le thème du corps. Une étape nécessaire du Mois de la photo à Paris. _Par Léa Chauvel-Lévy

À voir l’accrochage impeccable, quasiment chirurgical des pièces de « Body Language », il semblerait que le Centre culturel suisse ait suivi l’enseignement du Fotomuseum Winterthur, cette Mecque de la photo riche d’un des fonds contemporains les plus importants d’Europe mais dont la réputation reste encore à bâtir en France auprès du grand public. « Pour cette exposition, nous nous sommes inspirés de l’esprit de ce musée en ne surchargeant pas les murs, confirme le commissaire Jean-Paul Felley. Comme eux, nous voulons présenter des œuvres d’art et pas “de la photographie”, pour affirmer son statut d’art majeur et non plus mineur. » 80

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Et d’œuvres d’art, il est évidemment question. Toutes sont articulées autour d’une thématique aussi sensible que politique : le corps. Fragmenté pour l’artiste Hannah Villiger. Meurtri puis retrouvé s’agissant des autoportraits de Nan Goldin. « On a voulu la montrer de façon très personnelle, de 1977 à 1999, poursuit Felley, d’abord avec cette image où on la voit abîmée, dans le monde de la nuit new-yorkaise, puis sereine et apaisée, au bord de la mer. » En vis-à-vis, les épreuves de Richard Avedon, tirées de la série In the American West, présentent le fameux trucker, Texan au torse nu, force de la nature dont la condition sociale façonne le corps. C’est la richesse de « Body Language » : considérer le corps comme socle de pensée et point de départ d’un discours politique ou social. S’y greffent donc à merveille les problématiques d’études de genre. La belle série de l’artiste Ulricke Lienbacher met en scène alternativement des hommes et des femmes dans un cadrage qui ne laisse pas voir la tête. Quel est le sexe de la personne derrière ce pull ? L’absence de réponse est un très beau vertige. ♦


©Celeste Boursier-Mougenot. Courtesy galerie Xippas. Photo Agostino Osio

LE CABINET DE CURIOSITÉS

Céleste Boursier-Mougenot, From Hear to Ear

Air guitare En réunissant plusieurs installations monumentales, l’exposition « Par nature » décloisonne mondes rural et urbain. Parmi elles, From Hear to Ear de l’artiste plasticien Céleste Boursier-Mougenot illustre au mieux la réussite de ce parcours. Il a, avec la simplicité géniale des belles trouvailles, métamorphosé deux salles du 104 en volière et installé quelques guitares électriques Gibson et amplis Fender servant pour l’occasion de perchoirs à soixante-cinq mandarins, petits oiseaux australiens au bec orangé. Circulant en liberté autour des visiteurs, ils se livrent par leurs becs et leurs pattes à un concert d’une force qu’ils ignorent. L’anthropomorphisme aidant, cette élégie rock résonne très profondément. _L.C.-L. « Par nature », jusqu’au 17 mars 2013 au 104, w w w.104.fr

© Production Mudam Luxembourg Courtesy de l’artiste et Gallería Continua San Gimignano Beijing Le Moulin ADAGP Paris 2012 - Photo Andres Lejona

L’ŒIL DE…

Home Sweet Home, 2011

Claude David-Basualdo, commissaire de l’exposition « Pascale Marthine Tayou – Collection privée » « L’installation Home Sweet Home, qui illustre l’affiche de l’exposition, est faite de troncs d’arbres, de chasse-mouches, de statuettes en bois que l’on appelle des “colons”, mais aussi de nichoirs pour oiseaux, de foin, de meubles Emmaüs, de vieilles chaises et de tiroirs chinés ici ou là – sans doute une représentation de nos attaches. Tous ces objets sont entremêlés et fixés en hauteur, et du sable est déposé à la base. Le chant des oiseaux et le ressac marin ont été enregistrés pour accompagner cette œuvre. On peut être tenté d’y lire une invitation au voyage, mais c’est en nous que Pascale Marthine Tayou invite à voyager. Il pose la question de l’identité et de l’ouverture de notre maison (intérieure). » _Propos recueillis par L.C.-L. « Pascale Mar thine Tayou – Collection privée », jusqu’au 30 décembre au parc de la Villet te, w w w.villet te.com

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© Ivan Mosjoukine

SORTIES EN VILLE SPECTACLES

Faire son cirque Cirq ue De nos jours (Notes on the Circus) d’Ivan Mosjoukine, du 17 au 24 novembre au 104, w w w.104.fr

Un manifeste bien pêchu pour un cirque bien débridé. C’est le challenge du groupe IVAN MOSJOUKINE, quatre copains aux ­multiples talents qui font beaucoup papoter. _Par Ève Beauvallet

« Note sur est-ce qu’elle va déraper », « Note sur les soufflements », « Note sur le souvenir proche du spectacle », « Note sur l’oubli ». Il y en a soixante-neuf comme ça, toutes inscrites sur la feuille de salle quand on s’installe en attendant De nos jours. Soixanteneuf petites notes à lire pour vous faire patienter, et c’est déjà le genre de trip qui fait de l’effet. Avant de venir, on avait entendu dire que c’était « LA jeune création de l’année » (c’est Télérama qui l’écrit), le coup de génie de quatre copains du Centre national des arts du cirque regroupés sous la figure tutélaire d’Ivan Mosjoukine, star du muet des années 1920. Alors, aidé par les rumeurs, on s’était pris à fantasmer sur un spectacle de potes, avec une bonne gueule lo-fi, un côté 82

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« idées de génie de fin de soirée » et un humour bien p­ ackagé. Il y a de ça. Sur scène, soixante-neuf micro-sketchs correspondant aux petites notes, d’une durée variable d’une seconde à plusieurs minutes. Le bilan total de cette accumulation au rythme très jazzy dure 1h50 – le temps minimum estimé par les quatre artistes pour déclarer tout leur amour au cirque (lancers de couteaux rétros, gimmicks clownesques, numéros de voltige), à la rapidité rétinienne du cinéma muet, à la tradition burlesque et à l’univers sado-poétique de Pina Bausch (on regrette un peu que son nom ne soit pas cité dans une note). Au final, De nos jours a plusieurs points forts. D’une part, un montage hyper rythmé qui alterne très vite entre plusieurs univers (parfois un peu fragiles, parfois bien cocasses : un monsieur cul nu qui fait le poirier en attendant que la bouilloire chauffe). D’autre part, le charme des carnets de notes à la Georges Pérec ou à la Umberto Eco. Listes, rubriques, énumérations… Une tentative boulimique, forcément dérisoire, de trier le monde que les quatre artistes s’approprient avec succès. ♦


©Nabil Boutros

Hedda Gabler

L’AGENDA _Par È.B.

Les Invités Une étrange forme de « seul en scène » nous attend dans un non moins étrange nouveau lieu de création. Rendez-vous à la Loge, rue de Charonne, pour voir l’acteur Yves Heck (Minuit à Paris) rencontrer les mots écrits spécialement pour lui par le talentueux Thierry Illouz. Jusqu’au 11 novembre à la Loge, w w w.lalogeparis.fr

Les danseurs ont apprécié la qualité du parquet On ne sait jamais trop sur quoi on va tomber avec les acteurs des Chiens De Navarre, et c’est un signe de bonne santé. On s’attend simplement à ce que leur nouveau spectacle soit bien cramé, un peu façon délire grolandais, et on ira pour ça : l’ivresse du gros rire qui tache et la liberté d’aboyer. Du 13 au 17 novembre à la Ménagerie de verre – festival Les Inaccoutumés, w w w.menagerie-de-verre.org

Hedda Gabler Pour votre confort, sachez que l’on peut se rendre à un spectacle signé Thomas Ostermeier à peu près les yeux bandés. A fortiori s’il dirige la mise en scène de Hedda Gabler de Henrik Ibsen et ses histoires de déchéance sociale : un support parfait pour ce grand maître allemand qui peint comme personne les portraits avariés. Du 14 au 25 novembre aux Gémeaux (Sceaux), w w w.lesgemeaux.com

Antigone Le suicide par conviction, la loi du sang, l’amour de sa terre… Antigone, une icône de la contestation palestinienne ? C’est en tout cas le parallèle proposé par Adel Hakim et les acteurs du Théâtre national palestinien, avec qui a travaillé ce metteur en scène souvent doué. Du 8 novembre au 5 décembre au théâtre des Quar tiers d’Ivr y (Ivr y-sur-Seine), w w w.theatre-quar tiers-ivr y.com

Chris Esquerre Le farfelu Chris Esquerre (chroniqueur au Grand Journal de Canal+) nous incite à découvrir son one man show avec des arguments solides : c’est le dimanche (« on se gare plus facilement le dimanche »), à 18h « entre le goûter et le dîner » et avec « possibilité de dormir sur place pendant le spectacle ». Dans ce cas, en effet… Jusqu’au 23 décembre au Grand Point Virgule w w w.lepoint virgule.com

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©Claude Bricage

SORTIES EN VILLE SPECTACLES

Beckett personnel D a nse May B, chorégraphie de Maguy Marin, les 16 et 17 novembre au 104, du 20 novembre au 1 er décembre au théâtre du Rond-Point – Festival d’automne à Paris, w w w.festival-automne.com

À l’honneur au Festival d’automne à Paris, la chorégraphe française MAGUY MARIN reprend son chef d’œuvre May B, mascarade bilieuse et grimaçante toujours d’actualité après plus de trente ans, inspirée par les plus belles pages du dramaturge irlandais. _Par Ève Beauvallet

Des centaines de représentations, trente ans de tournée : May B est un chef-d’œuvre au succès interplanétaire et indiscuté. Difficile de songer aujourd’hui qu’une pièce aussi culte ait pu un jour être chahutée. Et pourtant, lorsqu’en 1981 la jeune chorégraphe Maguy Marin, à peine remise de ses lectures des œuvres de Samuel Beckett, dévoile sa création, les réactions frisent le scandale : pas évident d’accepter que le plus viscéral des travaux sur Beckett se passe de texte. Et que cette « danse » snobe autant les canons de la grâce pour s’afficher loqueteuse et repoussante. Oser ça sur la musique de Schubert, en plus… L’histoire, 84

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cependant, ne tarde pas à rendre justice à May B, qui devient vite exemplaire de cette fameuse « dansethéâtre » dont Pina Bausch a ouvert la voie quelques années auparavant. Pourquoi cet engouement ? Parce que Maguy Marin a suivi le conseil que Beckett lui donnait en 1980, lorsqu’ils se rencontraient : la liberté totale d’appropriation, en pensant simplement à un « magma de figures d’humanité absolue ». Résultat : plus de personnages, mais des types gestuels piochés dans les coulisses d’En attendant Godot ou de Fin de partie. Ils sont vraiment laids. Enfin laids comme des hommes, avec leurs tentatives dérisoires pour tenir tous ensemble, leurs mouvements grotesques pour former une humanité. En errance, clochardisés, ils vivent le supplice de l’ennui et crient en chœur que « fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir ». Le pire, c’est que c’en est drôle, et c’est plutôt bon signe : « Rien n’est plus drôle que le malheur… C’est la chose la plus comique au monde », écrivait Beckett dans Fin de partie. Il a sans doute beaucoup ri devant May B. ♦


©Laurent Philippe

Le spectacle vivant non identifié

Choré chorale Un cadavre exquis chorégraphique ? Le concept est intriguant… On le doit à la directrice du centre chorégraphique national de Belfort, Joanne Leighton, qui l’explique ainsi : un premier chorégraphe écrit un court enchaînement pour un danseur. Il en donne les dix dernières secondes à un deuxième chorégraphe chargé à son tour d’écrire une autre phrase et d’en relayer la fin à un troisième, et ainsi de suite. Au total, sept danseurs et cinquante-huit chorégraphes collaborent à cette réflexion originale sur la notion d’auteur. L’occasion d’entrevoir en accéléré la diversité des écritures contemporaines, et pas des moindres : les passionnants Maud Le Pladec, Daniel Linehan ou Herman Diephuis se sont prêtés au jeu. _È.B. Exquisite Corpse de Joanne Leighton, du 29 novembre au 1 er décembre à la Maison des ar ts de Créteil, w w w.maccreteil.com

©Jean-Louis Fernandez

l’invité surprise

Anaïs Demoustier et Ludivine Sagnier chez Christophe Honoré Le casting est séduisant (Anaïs Demoustier en Marguerite Duras, Ludivine Sagnier en Nathalie Sarraute…), mais le pari était risqué : balayer en un spectacle l’histoire des Éditions De Minuit, siège du Nouveau Roman ; raconter les dérives dogmatiques, les querelles intestines mais aussi l’effronterie formelle des Butor et RobbeGrillet ; trouver la justesse de ton entre délire farcesque et clarté pédagogique, fraîcheur de jeu et profondeur théorique ; inventer une forme originale pour traiter le sujet – ne pas choisir un théâtre académique pour parler d’un mouvement qui le combattait… Cessons de jouer : le pari est relevé, et ce nouveau spectacle de Christophe Honoré mérite un formidable succès. _È.B. Nouveau Roman de Christophe Honoré, du 15 novembre au 9 décembre au théâtre de la Colline, w w w.colline.fr

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SORTIES EN VILLE RESTOS

Michael Greenwold et Simone Tondo, les deux jeunes chefs

Patator l e chef Roseval, 1, rue d’Eupatoria, 75020 Paris Tél. : 09 53 56 24 14

Dans le XXe arrondissement de Paris, le restaurant Roseval porte la « bistronomie » au sommet. En modèle, les 78 mètres de haut du clocher de Notre-Dame-de-la-Croix qui lui font face. Ici, des produits de qualité servent l’esprit aventureux des deux jeunes chefs. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)

Jouxtant la place pavée de Ménilmontant, la façade blanche de Roseval joue de discrétion. Il en va de même pour ses deux chefs, l’Irlandais Michael Greenwold et le transalpin Simone Tondo. Passés à la vitesse d’un zapping chez les chefs du moment (Rino, Chateaubriand, Gazzetta, Caffé dei Cioppi à Paris ; Mirazur à Menton ; Cracco à Milan), ils ont assimilé et digéré, à même pas trente ans, l’essentiel de la cuisine urbaine et moderne. « Le restaurant s’appelle le Roseval, comme la pomme de terre », se réjouit Michael. Esprit potache et simplicité, les maîtres-queux proposent des « séquences

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fusantes, délicieusement symptomatiques de la nouvelle scène culinaire (alliances toniques, cuissons courtes, saveurs lestes) », comme l’a parfaitement défini le c­ ritique Emmanuel Rubin. Dans la salle, parquet clair, zinc, lampes Serge Mouille, lustre en cristal et fenêtres ouvertes sur rue, en offrande à cette cuisine de la transparence et de la clarté. L’unique menu dégustation, à 40 euros, propose des télescopages inattendus, comme ce pigeon, chou rouge et purée sèche de pommes de terre vitelottes assaisonné de crevettes grises grillées : habile association terre-mer où la crevette joue le rôle du sel, arrondissant les angles aigus acidulés du chou et prolongeant de pic en pic, à l’infini, les saveurs du pigeon. Cette création d’une intriguante beauté, à l’intitulé quasi monstrueux (mêler crevettes et pigeon), propose au palais une savoureuse, addictive et élégante version du pigeon rôti. Erika Biswell aux bouteilles et Clément Boutreaux en salle, passionnés et compétents, ­confirment la belle qualité de cette jeune cuisine. ♦


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SORTIES EN SALLES CINÉMA

L’AGENDA _Par S.C., Q.G., É.R., J.R. et L.T.

Le Capital de Costa-Gavras

07/11 L’AIR DE RIEN

SINISTER

Ancienne vedette retirée en ermite à la campagne, Michel Delpech accumule les dettes. Un huissier de justice s’attendrit sur son cas et l’encourage à reprendre ses tournées. Le chanteur, parfait en papi déphasé, livre une interprétation assez touchante.

Depuis Ring (1998), et de Paranormal Activity à Insidious, l’emprise du found footage (« vidéo trouvée ») sur les ressorts scénaristiques des films d’horreur continue de faire un malheur. Ethan Hawke en est ici la caution, en patriarche d’une maison hantée.

VILLEGAS

NOUS YORK

Deux cousins rivaux mais autrefois complices se retrouvent pour l’enterrement de leur grand-père. Dans un road trip initiatique à destination du village de leur enfance, les deux jeunes hommes partagent leurs souvenirs et tentent de renouer un lien.

Les réalisateurs de Tout ce qui brille, beau succès au box office en 2010, s’offrent un film de vacances en forme de comédie légère : les retrouvailles dans la Grosse Pomme d’une bande de potes d’enfance, leurs amours, leurs emmerdes, leurs fous rires.

LE CAPITAL

TWILIGHT – CHAPITRE 5

Marc Tourneuil (Gad Elmaleh, sérieux) prend la tête d’une grande banque avec pour unique objectif de « gagner toujours plus ». Costa-Gavras adapte le livre de Stéphane Osmont pour livrer son interprétation de la crise financière. Attention aux requins.

L’ultime volet cinématographique de la saga aux suçons dans le cou plus si chastes depuis le coquin quatrième opus. Une conclusion au ton plus épique que dans les épisodes précédents, sur fond de confrontation finale avec les terribles Volturi.

WITHOUT

END OF WATCH

Joslyn est embauchée pour s’occuper d’un vieil homme dans une maison isolée. Ayant à faire le deuil de sa copine et sans personne à qui se confier, la jeune fille sombre peu à peu dans la folie. Un premier film entre drame psychologique et conte fantastique.

Le scénariste du film Training Day est aux commandes de cette tranche de vie d’une patrouille de police qui sillonne les rues les plus rudes de Los Angeles. Une réactualisation du genre found footage (« vidéo trouvée ») pour la génération GoPro.

de Grégor y Magne et Stéphane Viard Avec Michel Delpech, Grégor y Montel… Rezo Films, France, 1h30

de Gonzalo Tobal Avec Esteban Lamothe, Esteban Bigliardi… Épicentre Films, Arg./P.-B./Fr., 1h36

de Scot t Derrickson Avec Ethan Hawke, James Ransone… Wild Bunch, États-Unis, 1h50

de Géraldine Nakache et Her vé Mimran Avec Leï la Bekhti, Géraldine Nakache… Pathé, France, 1h35

14/11 de Costa-Gavras Avec Gad Elmaleh, Gabriel Byrne… Mars, France, 1h53

de Mark Jackson Avec Joslyn Jensen, Ronald Carrier… Atopic, États-Unis, 1h27

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de Bill Condon Avec Rober t Pat tinson, Kristen Stewar t… SND, États-Unis, 1h55

de David Ayer Avec Jake Gyllenhaal, Michael Peña… Metropolitan FilmExpor t, États-Unis, 1h48


et surtout… 07/11 Augustine (lire p. 14) House of Boys (lire p. 26) Argo (lire p. 31) L’Étrange Créature du lac noir (lire p. 34) Il était une foi (lire p. 46) Être là (lire p. 9 0) Genpin (lire p. 9 2) 14/11 Après mai (lire p. 36) La Chasse (lire p. 9 4) Rengaine (lire p. 9 6) 21/11 Thérèse Desqueyroux (lire p. 22) Au-delà des collines (lire p. 46) Les Lignes de Wellington (lire p. 9 8) Royal Affair (lire p. 10 0) Une nouvelle chance (lire p. 102) 28/11 L’Âge atomique (lire p. 13) Les Invisibles (lire p. 26) Piazza Fontana (lire p. 43) Les Cinq légendes de Peter Ramsey

21/11 COMME DES FRÈRES

LITTLE BIRD

François-Xavier Demaison, Nicolas Duvauchelle et Pierre Niney forment le trio de cette bromance déclinée en road-movie. Ces « trois frères » font le deuil de l’unique fille de la bande (Mélanie Thierry en bonne copine sexy) dans ce feel-good movie.

Récit d’apprentissage autour d’un garçon de dix ans solitaire qui trouve en un petit choucas tombé de son nid l’occasion de quitter l’enfance et de comprendre la vérité sur sa famille, entre une mère inexplicablement absente et un père déprimé.

RED HEART

THE IMPOSSIBLE

L’histoire d’un amour interdit entre Soran et Shirin, deux adolescents. À la mort de la mère de Shirin, son père trouve une nouvelle épouse qui impose à l’adolescente un mariage avec son jeune fils. Le couple n’a plus d’autre choix que celui de fuir…

Juan Antonio Bayona (L’Orphelinat) s’intéresse à l’histoire vraie d’une famille en vacances en Thaïlande, séparée par la terrible catastrophe naturelle que fut le tsunami de 2004. Se battant pour survivre, ils tentent de se retrouver dans ce chaos.

BEST PLANS

Rebelle

Une brute épaisse et un petit malin. Il y a dans ce duo un emprunt assumé au roman Des souris et des hommes, mais l’idée, brillante, c’est de l’avoir installé dans le Londres de la pègre, où la gouaille est aussi tranchante qu’un coup de surin.

Dans un pays d’Afrique centrale, la toute jeune Komona est enceinte. Pour tenter d’aimer l’enfant qu’elle porte, né d’une suite de barbaries, elle lui livre son terrible passé. Un film qui s’arme de poésie pour raconter une histoire de violence.

LES CINQ LÉGENDES

MAUVAISE FILLE

Dreamworks livre son film de Noël, où les rêves des enfants sont menacés par un monstre qui force les Cinq Légendes – le héros Jack Frost, le Père Noël, le Marchand de Sable, le Lapin de Pâques et la Fée – à unir leurs talents pour la joie des plus petits.

Pour son premier long métrage, le comédien Patrick Mille adapte le roman homonyme de sa compagne Justine Lévy, qui cosigne le scénario. Premier rôle au cinéma pour la rockeuse Izia Higelin, en future maman confrontée à la maladie grave de sa mère.

de Hugo Gélin Avec Nicolas Duvauchelle, Pierre Niney… Stone Angels, France, 1h44

de Halkaw t Mustafa Avec Shahen Jamal, Soran Ibrahim… Kanibal Films, Nor vège/Irak, 1h18

de Boudewijn Koole avec Rick Lens, Rick y Koole… Les Films Du Préau, Pays-Bas, 1h21

de Juan Antonio Bayona Avec Naomi Wat ts, Ewan McGregor… SND, États-Unis/Espagne, 1h45

28/11 de David Blair Avec Stephen Graham, Adewale Akinnuoye-Aqbaje… At ypik Films, Grande-Bretagne, 1h48

de Peter Ramsey (animation) Avec les voix (en V.O.) de Chris Pine, Alec Baldwin… Paramount Pictures France, États-Unis, 1h30

de Kim Nguyen Avec Rachel Mwanza, Alain Lino Mic Eli Bastien… Happiness, Canada, 1h30

de Patrick Mille Avec Izia Higelin, Carole Bouquet… ARP Sélection, France, 1h48

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être là Contre les murs Plongée rigoureuse et intense dans le département psychiatrique d’une prison marseillaise, Être là poursuit le combat de RÉGIS SAUDER contre la disparition de la pensée par une stratégie patiente d’écoute et d’écriture. _Par Antoine Thirion

Régis Sauder est l’auteur en 2011 du documentaire Nous, princesses de Clèves, qui invitait des lycéens marseillais à s’approprier le texte de Madame de Lafayette et défendait l’utilité de la littérature au moment où une tirade démagogue de Nicolas Sarkozy s’en moquait publiquement. Son nouveau film, Être là, pénètre l’enceinte de la maison d’arrêt des Baumettes, à Marseille, jusqu’à son service médico-psychologique, où des femmes médecins

sont confrontées à l’enfermement physique et psychique de leurs patients. Le titre du film s’entend à la fois comme aveu d’impuissance et déclaration de résistance : alors que l’institution affaiblit les possibilités de soin – qui constituent pourtant l’enjeu principal du lieu –, la simple présence demeure le dernier garde-fou pour des hommes menacés en permanence par le néant. Servie par un noir et blanc contrasté et une musique de cordes lancinante, l’intensité d’Être là vient de l’observation d’une pratique aussi angoissée que les patients soumis à son regard. Aucun des détenus ne peut apparaître à l’écran. Sauder retourne cette contrainte légale en un dispositif cohérent où les visages sont livrés aux assauts de paroles désordonnées. Écouter celles-ci quand la prison dissimule les corps derrière ses lourdes portes, c’est déjà résister au mouvement général de repli. Là où la médication pourrait sembler le moindre mal, il faut plutôt

relancer la pensée. Là où l’incarcération efface toute notion du temps, il s’agit de se le réapproprier par l’écriture ou par l’art. Devant la caméra, un médecin joue les textes par lesquels elle travaille à garder le contrôle. Les détenus se mettent quant à eux à dessiner ; s’il ne s’agit d’abord que d’exprimer leur situation d’enfermement, peu à peu la main se libère, et l’esprit avec elle. ♦ De Régis Sauder Documentaire Distribution : Shellac Durée : 1h34 Sor tie : 7 novembre

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la description patiente d’un lieu, à la fois hôpital et prison, dont tant d’autres caméras ont oublié de filmer le rapport au temps et les comportements qu’il produit.

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2… Pour la richesse, la multiplicité et la violence des paroles entendues, contrastant forcément avec la douceur des voix et des visages qui leur répondent.

3… Parce que Sauder remonte, sans que cela ne soit son sujet, à la source de ce qu’on appelle l’art brut : non pas une folie de l’esprit, mais une libération de l’être.


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GENPIN Dans la vallée La nature a horreur du vide. Bonne nouvelle pour NAOMI KAWASE, qui la remplit d’une vie mystique, arrimée aux songes de femmes enceintes autant qu’aux réalités qu’elles traversent : un documentaire en forme de plaidoyer féministe pour une maternité engagée. _Par Laura Pertuy

« L’esprit de la vallée ne meurt jamais / C’est Genpin, la femme mystérieuse », scande le philosophe chinois Lao-Tseu pour exprimer le lien irréfutable entre féminité et nature. Naomi Kawase en fait son credo et filme la vie d’une maternité centrée sur l’accouchement naturel. Visiteuse discrète des détresses et bonheurs de futures mamans, elle

ne quitte jamais l’énergie surprenante d’un groupe de femmes qui s’adonnent à des tâches fécondes et font fructifier leur environnement avant de donner naissance à leur tour. La réalisatrice se met au diapason de cette attente dynamique en élargissant le spectre du documentaire classique, le laissant muer au gré des événements qui bouleversent la clinique. Elle prend lentement possession de son film, qu’elle porte parfois aux limites de la fiction (avec différentes strates narratives et l’effarant lyrisme des lieux filmés), et s’implique ellemême dans une réflexion sur la création, la naissance de l’œuvre. « Arigato, Kawase-san », la remercie-t-on en fin de film, comme pour louer le regard qu’elle pose sur la femme d’aujourd’hui, gardienne de son corps et maîtresse de son rapport à la nature. C’est aussi que Kawase se laisse transcender par la mystique qui s’interpose entre

sa caméra et la réalité : émerge un espace où la beauté primaire des adages sacrés rejoint le quotidien d’êtres autonomes venus reconsidérer leur approche de la conception. Cette dimension poétique née de la rencontre entre composition et hasard justifie que Genpin ait ouvert la rétrospective consacrée à Kawase par la Cinémathèque jusqu’au 12 novembre. ♦ De Naomi Kawase Documentaire Distribution : Baba Yaga Durée : 1h32 Sor tie : 7 novembre

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour le rythme du documentaire, qui fait la part belle à une sempiternelle répétition des tâches, dans une logique quasi kantienne, et propage un calme diablement enviable.

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2… Pour se prémunir de l’angoisse post-partum en accompagnant ces femmes dans la passion qu’elles entretiennent pour la nature et la force qu’elles puisent dans le groupe.

3… Pour retrouver les sages enseignements que distillait déjà le très beau Hanezu en faisant se côtoyer l’éternité des montagnes et la fragilité de vies d’une splendide monotonie.


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LA CHASSE Perdre sa place

Cachés derrière les arbres de la cour, les enfants attaquent par surprise leur instituteur, qui tombe à terre. Se dessine déjà une traque maligne couplant un sujet de société brûlant – la pédophilie – au pouvoir de la collectivité face à un seul homme. La Chasse fait replonger THOMAS VINTERBERG en enfer après les gouffres narcotiques de Submarino. _Par Laura Pertuy

Entichée de son grand « camarade de jeu », la petite Klara déploie des marques d’affection que son instituteur Lucas réprouve. S’ensuit un mensonge lubrique de la fillette, visant à faire punir l’adulte qui la rejette et bientôt monté en épingle par le corps professoral.

« La coquine » – surnom innocemment donné à Klara – ment, et ce sont les adultes qui l’y poussent, certains de poursuivre un idéal de justice. C’est tout le malaise que Vinterberg distille dans La Chasse, car jamais on ne s’écarte de ce tracé précis que suit la communauté parentale. « Je me suis perdue, je n’ai pas suivi les traits (sur la route – ndlr) », avoue quant à elle Klara, comme pour rappeler la franche déviance que constitue son affection envers son professeur. À la fin du film, ce sont ces mêmes traits, sur un carrelage, qui bloquent l’avancée de l’enfant, perdue entre ce qu’elle sait et ce qu’on lui a insidieusement mis en tête : la re-création d’un événement n’ayant jamais eu lieu. S’instaure alors un questionnement retors sur la tromperie des paroles et l’illusion des images : dans quelle mesure le réalisateur est-il honnête avec son spectateur ? Ce dernier n’a, d’emblée, pas d’autre choix que

de se consterner des violences infligées à un personnage que la pellicule a innocenté. Certains y verront la parabole d’un acharnement critique sur l’homme seul avec sa création, d’autres une variation sur la perte de l’innocence, symbolisée par l’ouverture de la chasse, où un jeune garçon obtient son premier fusil et devient un homme. Dans les deux cas, plus dure sera la chute. ♦ De Thomas Vinterberg Avec : Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen… Distribution : Pret t y Pictures Durée : 1h51 Sor tie : 14 novembre

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour saluer le retour de Thomas Vinterberg, dont Festen reste inévitablement en mémoire et qui poursuit ici son exploration de vices aussi banals que terrifiants.

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2… Pour retrouver Mads Mikkelsen à contre-emploi après Le Guerrier silencieux, fantastique de maîtrise dans un rôle où la tension narrative repose essentiellement sur ses épaules.

3… Pour s’oublier dans les forêts danoises, aux premières heures de l’hiver. Vinterberg nous y balade comme pour signifier l’immuabilité de la nature face aux événements du monde.


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RENGAINE Une sacrée dégaine Sacrée, pour le poids de l’héritage religieux et ethnique pesant sur cette histoire d’un couple aux chapelles opposées. Dégaine, pour sa vive allure et son cinéma tiré du holster par RACHID DJAÏDANI. Rengaine a de la gueule, même quand il chuchote. _Par Étienne Rouillon

C’est filmé vraiment très près. Direct adroit sur les mâchoires qui racontent, crochet sur les commissures qui sourient, l’objectif gratte le grain des peaux comme des baskets la toile du ring de boxe. Rachid Djaïdani fait de son premier film une épreuve sportive, étalée sur neuf années, autant de rounds pour mettre le spectateur K.-O. par adhésion, sous l’assaut brut

de ses acteurs. Il a posé sa caméra dans les cernes durs et dépassés de Slimane, l’aîné d’une large fratrie bousculée par l’envie de mariage de Sabrina, la frangine musulmane qui vit avec Dorcy, le Noir chrétien. Les mots improvisés sont campés derrière les dents assurées de Sabrina. Le micro canon fait le siège des tympans alertes de Dorcy, qui entend monter la rumeur des quarante frères, au diapason dissonant, à mesure que Slimane réclame leur aide pour mettre fin au projet d’hymen. Tout près, toujours prêt. Sur le qui-vive, le tempo est posé, mais le rythme haletant, les séquences cascadent les unes dans les autres, bâtissent cet arrière-plan que l’on devine derrière les visages. C’est du cardio training : l’action est déjà entamée quand on la rattrape, elle se prolongera dans l’ombre d’une nouvelle scène déjà sous nos yeux. Le gong du montage sonne une reprise continue – comique,

poétique, dramatique – à peine ralentie par quelques digressions plates sur les galères de la vie d’acteur qui débute. Concis, cohérent, on se demande comment, après les centaines d’heures de rushs amassées. C’est que Rengaine fascine, comme ces magiciens qui font leur tour, tout près, sous nos yeux, sans qu’on puisse pour autant les ­déshabiller de leur mystère. ♦ De Rachid Djaïdani Avec : Slimane Dazi, Sabrina Hamida… Distribution : Haut et Cour t Durée : 1h15 Sor tie : 14 novembre

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour le sujet du mariage transcommunautaire, convoqué avec habileté et sans poncifs, grâce à des tranches de vies qui se veulent singulières et non pas exemplaires.

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2… Pour le brio des acteurs, tous les acteurs, parmi lesquels Slimane Dazi, déjà remarqué dans Un prophète de Jacques Audiard, et le touchant Stéphane Soo Mongo.

3… Même si le mérite est annexe face aux qualités du film, pour le tour de force d’une intention de réalisation qui va jusqu’au bout malgré des moyens lilliputiens.


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Les Lignes de Wellington lignes de fuite VALERIA SARMIENTO reprend un projet inachevé de Raoul Ruiz, dont elle fut la monteuse et la compagne, et réussit le pari de livrer une œuvre historique personnelle, pour laquelle tous les amis du réalisateur défunt ont prêté main forte. Un hommage libre. _Par Laura Tuillier

Tout commence avec la voix de Mathieu Amalric, en off. Général napoléonien en 1810, il conte l’histoire d’une invasion du Portugal vouée à l’échec. Il entame également la ronde des personnages qui se relayeront (caméos de Piccoli,

Deneuve, Huppert…) dans cette fresque délicatement composée. De longs travellings avant donnent le ton de la mise en scène de Valeria Sarmiento, maîtrisée et inventive (jeux d’ombres, flash-back dans le plan), qui respecte tout en s’en démarquant la patte du maître Ruiz. Dans cette histoire de conf lit franco-britannique (Napoléon vs. Wellington), les victimes sont les Portugais, contraints à abandonner leurs villages pour fuir vers la côte. Tout comme Mystères de Lisbonne, dont la trame narrative n’en finissait pas de se déployer, Les Lignes de Wellington organise la diffusion des intrigues à mesure que la population est déplacée. C’est ainsi que la route de soldats portugais croise celle de jeunes Anglaises le temps d’histoires d’amour improbables, qu’une prostituée se retrouve forcée

d’aider une vieille Portugaise violée (Marisa Paredes) tandis qu’un soldat revenu de tout (formidable Adriano Luz, le Padre Dinis des Mystères de Lisbonne) se prend d’amitié pour un jeune lieutenant blessé. La guerre, davantage un mode de vie qu’une lutte armée, devient l’espace de liberté dans lequel instincts et passions se déchaînent. Si les personnages circulent d’abord en groupes (armée, mercenaires, paysans), ils se trouvent finalement atomisés, contraints de choisir une ligne de démarcation individuelle entre le bien et le mal. Ainsi de ce paysan qui apprend le goût de la vengeance avant de pouvoir ­retourner cultiver la terre en paix. ♦ De Valeria Sarmiento Avec : John Malkovich, Marisa Paredes… Distribution : Alfama Films Durée : 2h31 Sor tie : 21 novembre

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour la photographie du film, maîtrisée tant sur les champs de bataille que dans les intérieurs éclairés à la bougie : on pense à Barry Lyndon de Stanley Kubrick.

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2… Pour l’entêtante bande originale du film, composée par Jorge Arriagada, fidèle de Raoul Ruiz, déjà auteur des musiques des Mystères de Lisbonne et de La Nuit d’en face.

3… Pour les séquences de dispute entre Wellington (John Malkovich) et son peintre français (Vincent Pérez), qui n’arrive visiblement pas à glorifier l’armée britannique avec ses pinceaux.


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royal affair Les amants politiques À l’origine du célèbre « progressisme danois », on trouve, entre autres, la liaison adultère d’une reine et d’un libre-penseur… NIKOLAJ ARCEL transforme cet épisode historique réel en thriller politique romantique. _Par Pamela Pianezza

Un mariage arrangé, un dauphin immature, une belle-mère sournoise, un bâtard jaloux, un ténébreux étranger, des jupons froissés, des bruits de couloirs… Aucun des traditionnels ingrédients du film en costumes ne manque à Royal Affair, quatrième long métrage faussement classique du Danois Nikolaj Arcel, récompensé à Berlin pour son scénario. En 1770, la princesse anglaise Caroline Mathilde (Alicia Vikander)

épouse sans conviction mais pleine de bonne volonté le jeune souverain danois Christian VII (fantastique Mikkel Boe Følsgaard, lui aussi sacré à Berlin), lequel se révèle gentiment timbré, obsédé par son chien, par le théâtre et par les filles de joie. La jeune femme se résigne donc à une existence insipide jusqu’à l’arrivée à la cour du nouveau médecin personnel du roi, Johann Friedrich Struensee (Mads Mikkelsen), libre-penseur allemand fasciné par les écrivains des Lumières. Or, elle aussi lisait Voltaire et Rousseau avant que leurs écrits ne soient bannis d’un Danemark encore ­prisonnier de ses idées obscurantistes… L’attraction de ces deux idéalistes est donc avant tout intellectuelle : ensemble, ils veulent refaire le monde, en commençant par leur pays d’accueil. Entre leurs mains, le roi – qui adule Struensee – devient une marionnette au service des intérêts du peuple. Si la destinée

de ces deux âmes sœurs illégitimes nous crée des papillons dans l’estomac, l’intrigue politique, inattendue, y est au moins aussi excitante. En privilégiant la dramaturgie sur l’exactitude historique et en se faisant l’écho d’inquiétudes très contemporaines, Orcel a rempli l’objectif qu’il s’était fixé : « Faire entrer le film historique scandinave dans le nouveau millénaire. » ♦ De Nikolaj Arcel Avec : Mads Mikkelsen, Alicia Vikander… Distribution : Jour2Fête/Chr ysalis Films Durée : 2h16 Sor tie : 21 novembre

3 raisons d’aller voir ce film 1… Parce qu’Alicia Vikander, découverte dans Pure de Lisa Langseth, est le plus beau cadeau de la Suède au cinéma depuis que Bergman a cessé d’y caster des actrices.

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2… Pour voir Mads Mikkelsen valser sur la musique de chambre de Gabriel Yared (compositeur, entre autres, du Patient anglais) dans un pourpoint vert très seyant.

3… Parce que la France n’a pas le monopole de la guillotine et que ces péripéties historiques danoises nous semblent à la fois familières et exotiques.


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une nouvelle chance enfant de la balle Un Clint Eastwood grisonnant et terriblement humain porte ce drame ancré dans l’Amérique divisée d’aujourd’hui. _Par Gaétan Mathieu

Une relation père-fille disloquée cachant un lourd secret, un personnage principal bourru mais attachant : Une nouvelle chance aurait pu être un film de Clint Eastwood. Mais, à 82 ans, le cinéaste a préféré confier la réalisation à son producteur et ami de quinze ans Robert Lorenz. L’influence d’Eastwood se ressent pourtant à chaque plan. Son personnage, Gus, est un dénicheur de jeunes talents du baseball aux méthodes très old school, et dont la relation avec sa fille Mickey (Amy Adams), usée par les non-dits, n’est pas sans rappeler les rapports tendus aperçus dans Million Dollar Baby.

Mais là où l’entraîneur de boxe se cherchait une relation père-fille qu’il n’a jamais eue, Gus est incapable d’entretenir la sienne. La perte de sa vue empêchant le vieil homme de mener à bien son travail de recrutement, sa fille décide de le rejoindre dans une petite ville de Caroline du Nord pour un dernier repérage. Deux Amériques s’affrontent alors : celle de l’ancienne garde, nostalgique des années Reagan, de la vie rurale et des choses simples ; et celle de la nouvelle génération, impatiente et accro aux nouvelles technologies. Si tout les oppose, Gus et Mickey peuvent se rattacher à leur seul point commun : la passion du baseball amateur. Malgré un scénario parfois prévisible, Une nouvelle chance bénéficie de l’alchimie évidente entre ses deux acteurs ­principaux. ♦ De Rober t Lorenz Avec : Clint East wood, Amy Adams… Distribution : Warner Bros. France Durée : 1h51 Sor tie : 21 novembre

3 questions à

Clint Eastwood Pourquoi continuez-vous à jouer des rôles de grincheux ? D’abord parce que je n’en suis pas un ! Ce type de personnage se rend compte qu’il doit changer pour vivre en société et qu’il peut encore le faire. C’est cette évolution qui m’intéresse. Jouer un personnage émotionnellement fermé, c’est beaucoup plus fort que d’interpréter un rôle d’excentrique. Le film relate l’importance grandissante de logiciels de statistiques dans le baseball au détriment de l’humain. Peut-on faire un parallèle avec le cinéma ? Beaucoup de réalisateurs veulent avant tout profiter des progrès des effets spéciaux. Heureusement, il y a toujours des personnes qui font des films autour d’histoires. Récemment, j’ai beaucoup aimé le film Intouchables, rafraîchissant avec une idée simple et bonne. Votre personnage refuse d’envisager la retraite, qu’il voit comme la fin de sa vie. Est-ce aussi votre cas ? Je n’ai pensé qu’une fois à la retraite, dans les années 1970, quand je n’étais pas toujours content de mes films ! Le cinéma, c’est tout simplement ma vie.

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour le regard intense et la voix usée de Clint Eastwood face au visage tendre et fragile d’Amy Adams, masquant une grande force de caractère.

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2… Parce qu’il n’est pas nécessaire d’aimer le baseball pour apprécier le film : le sport n’est ici qu’un prétexte au rapprochement des deux personnages principaux.

3… Pour découvrir une autre facette de l’Amérique, bien différente de celle filmée dans les longs métrages hollywoodiens se déroulant à New York ou à Los Angeles.


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LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES

DR

OUVERTURE

GRAND ANGLE

MK2 ouvre une nouvelle salle dans un lieu d’exception : le Grand Palais, terre d’accueil de toutes les formes artistiques. MK2 GRAND PALAIS, fort d’une programmation atypique, offre également une expérience cinématographique unique en son genre. _Par Alain Smet

L

e dos tourné en direction des Invalides, l’on fait face à l’impérial escalier de la rotonde Alexandre-III. Il faut grimper. Un second escalier. Il y a quelque chose de surprenant lorsque l’on pénètre dans cette salle de cinéma, ouverte sur les quais d’une Seine scintillante sous le bas soleil d’hiver. Les larges fenêtres, qui font rebondir la lumière du jour sur les fauteuils anthracite, intriguent. Petites lucarnes concurrentes du grand écran. Mais déjà elles s’effacent, masquées par de larges panneaux noirs qui tombent lentement à mesure que gonfle la seule lumière qui vaille, celle du projecteur. Ce rituel d’avant-séance est livré au public chaque weekend, à partir du 9 novembre, tandis qu’en semaine l’espace est réservé à des projections privées. Du vendredi 20 heures au dimanche soir, la programmation séduira à la fois les plus jeunes des cinéphiles et des spectateurs avides de grands cycles monographiques. Jusqu’à la fin de cette année, cette salle de cent quatre sièges, équipée d’un projecteur numérique dernière génération, accueillera plusieurs œuvres éclectiques. Un hommage à Edward Hopper, en lien avec l’exposition voisine, avec la projection de L’Œil sauvage (The Savage Eye),

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film collectif de 1960 dont le peintre disait : « Si vous voulez connaître ­l’Amérique, allez le voir. » En matinée des samedis et des dimanches, ce sont les documentaires de DisneyNature qui sont à l’honneur pour faire voyager les enfants : Pollen, Félins, Les Ailes pourpres – Le Mystère des flamants… avant de découvrir au mois de février, en exclusivité, le prochain Chimpanzés. En deuxième partie de journée et en soirée, l’immortel Charlie Chaplin sera présent grâce à une grande rétrospective de dix films restaurés en haute définition, parmi lesquels Le Kid, Le Dictateur, Les Temps modernes, La Ruée vers l’or. Enfin, le dernier pan de la programmation est consacré aux vidéos d’artistes et aux courts métrages vidéo, avec ce mois-ci The Snorks – A Concert for Creatures de Loris Gréaud, plongée envoûtante dans les profondeurs sous-marines avec une bande-son signée Anti-Pop Consortium. MK2 GRAND PALAIS

3, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris Accès par la rotonde Alexandre-III Retrouvez la programmation sur www.mk2.com


agenda _Par J.R.

Le 12 novembre à 18h

Séminaire philosophique de Charles Pépin MK2 HAUTEFEUILLE Sujet : « Faut-il rêver de maîtrise ou d’immaîtrise ? » Le 19 novembre à 18h

Séminaire philosophique de Charles Pépin MK2 HAUTEFEUILLE

Sujet : « Vivre en métaphysicien, vivre les plus grandes questions dans les plus petits détails. » Jusqu’au 22 novembre

MK2 Bout’chou MK2 PARNASSE, GAMBETTA, NATION, QUAI DE SEINE, QUAI DE LOIRE, BIBLIOTHÈQUE Une programmation pour les petits de 2 à 4 ans, avec Les Nouvelles Aventures de Capelito, Gros pois et petit point, Le Rêve de Galileo, 7, 8, 9 Boniface, La Boîte à malice et Maison sucrée jardin salé. Plus d’informations sur www.mk2.com. Le 22 novembre à 19h30

Autour du livre Fassbinder – La Mort en fanfare MK2 QUAI DE LOIRE Avec les éditions Payot & Rivages, rencontre avec l’auteur Alban Lefranc, suivie à 20h30 de la projection du film Le Soldat américain de Rainer Werner Fassbinder. Le 24 novembre à 17h

Autour du livre Haneke par Haneke MK2 BIBLIOTHÈQUE

Avec les éditions Stock, rencontre avec les auteurs Michel Cieutat et Philippe Rouyer. Le 26 novembre à 18h

Séminaire philosophique de Charles Pépin MK2 HAUTEFEUILLE

Sujet : « La vérité : immobile ou en mouvement ? » Le 26 novembre à 20h30

Rendez-vous des docs MK2 QUAI DE LOIRE

En partenariat avec la Scam. Plus d’informations sur www.docsurgrandecran.fr Le 28 novembre à 20h

Séance spéciale : Tahrir, place de la Libération MK2 BEAUBOURG Le film de Stefano Savona sera projeté dans le cadre du cycle « Les yeux de l’ouïe ». Séance suivie d’un débat. Le 29 novembre à 20h

Séance spéciale : Michael Berger – Une hystérie MK2 BEAUBOURG Le film de Thomas Fürhapter (Allemagne, 2011, 50 min) sera projeté dans le cadre du cycle « Les séances Phantom ». Séance suivie d’une discussion avec Olivier Marboeuf et Jean-Pierre Rehm. Le 3 décembre à 18h

Séminaire philosophique de Charles Pépin MK2 HAUTEFEUILLE Sujet : « La culture, à quoi bon ? »

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©Ruthwalz

LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES

CARTE BLANCHE

PINTEREST

«

Nommé directeur du théâtre de l’Odéon en mars dernier, le metteur en scène LUC BONDY y propose jusqu’à décembre sa version du Retour de Harold Pinter. À l’occasion de sa carte blanche MK2, retour sur l’homme et sa dernière création. _Par Alain Smet

Un ami m’a raconté qu’il était parti de chez lui, s’était installé à l’étranger, s’était marié, avait eu trois enfants et n’avait rien dit de tout cela à son père. Mais je savais qu’un jour il allait être obligé de retourner chez lui et de lui dévoiler la vérité », racontait le dramaturge anglais Harold Pinter, prix Nobel de Littérature décédé il y a quatre ans, dans un entretien de 1969 sur la BBC. Le point de départ du Retour (créé en 1965), sur le séjour d’un couple marié dans la famille de l’époux, sonne comme un concentré de l’oeuvre pinterienne : une situation banale mais asphyxiante, dont le metteur en scène suisse Luc Bondy s’attache à révéler les enjeux latents. Arrière-petit-fils d’un directeur de théâtre à Prague, son goût du théâtre provient d’un séjour en pension, à 12 ans, où il dégote un premier rôle dans le spectacle de fin d’année. En 1970, il réalise à Göttingen sa première mise en scène, Le Fou et la Nonne de Witkiewicz. Son travail, autant consacré au répertoire classique (Shakespeare, Racine, Marivaux…) qu’au contemporain (Peter Handke, Yasmina Reza, Martin Crimp…), consiste en un art de l’incarnation intime plus que de la distanciation 106

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brechtienne, contre laquelle il s’élève. Les acteurs sont sa matière première, il privilégie leurs déplacements plutôt que les indications psychologiques poussives ou à la limite de la sur-interprétation. La difficulté était que cette pièce de Pinter, derrière la simplicité apparente de son texte, se joue justement entre les mots, comme un couloir obscur menant à l’inconscient des personnages. Dans cette reprise avec Bruno Ganz, Louis Garrel, Emmanuelle Seigner et Pascal Greggory, Bondy préfère ajouter une touche de réalisme concret en ne s’abandonnant pas seulement aux faux-fuyants du trouble intérieur : c’est là toute sa réussite. L’écrivain et maniaque du style Philippe Djian fait résonner, à travers sa traduction, les tensions discrètes de la partition originale, quand les comédiens s’accrochent à une dimension psychique dormante, puis bondissante et dévastatrice. Le Retour de Harold Pinter, mise en scène de Luc Bondy, jusqu’au 23 décembre au théâtre de l’Odéon, www.theatre-odeon.fr Carte blanche à Luc Bondy Plus d’informations sur www.mk2.com


Chez mk2, tous les jours à toutes les séances, la place de cinéma à

Pour l’achat d’une Carte 5 à 34,50€ Valable 1 an ou 2 mois après la 1ère date d’utilisation Hors films en 3D relief *

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©Emmanuel Proust

TRAIT LIBRE

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LIVERFOOL DE GIHEF ET VANDERS Emmanuel Proust, 112 pages, sor tie le 29 novembre

Le premier manager des Beatles raconte à des touristes, fascinés, comment il a lancé le groupe, à l’époque où ils étaient cinq et franchement mauvais. Cruelle et mythique, l’origine méconnue du plus célèbre rock band est rapportée avec passion. _É.R.

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la chronique de dupuy & berberian

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