Ecrit sur un mur – Georges Pavlopoulos & Gilles Ortlieb

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Georges Pavlopoulos Gilles Ortlieb

Ecrit sur un mur

Ecrit sur un mur

P oèmes

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Gilles Ortlieb t raductions

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Gilles Ortlieb & Jean-Max Toubeau

* À l’exception des Douze haïkus et du poème À une Gitane , inédits et traduits par Gilles Ortlieb, les textes reproduits ci-après ont paru dans la revue La Traverse (n°6, printemps-été 1973), dans une traduction de Jean-Max Toubeau.

LE SOUS-SOL

Nous avons fait lever les chevaux éreintés dans la brume

nous avons aidé à soulever le mort, et en prenant la route au [ point du jour

quelqu’un a tiré un coup de feu sur une haie fleurie.

Une femme est venue qui a ramassé les roses éparses, puis en larmes elle a contemplé la montagne brûlée

là où le soleil s’élevait, luttant, plein de blessures. * * *

Là-bas la haute mer en mille éclats

les feuilles dorées qui s’assombrissent au déclin du vent.

En arrière les flancs de la route, violacés, qui se resserrent.

« Des milliers sont passés par ici. Nous passerons, cette route doit mener quelque part. »

Une route serrée autour du cou de la terre.

Et pourtant personne ne savait – nous en avons questionné [ plus d’un –pas même ce vieillard rencontré là-haut, mauve, indistinct, gravissant la pente avec une rame sur l’épaule. * * *

« J’étais dans un ravin la lune me surprenait pendant qu’ils faisaient feu et le cœur me manquait, et je pleurais le visage dans la boue. »

Tout cela est étrange, presque voluptueux, comme parachevé, mais quel est celui qui voudra s’avançant et ayant encore, comme on dit, la corde au cou, [ vous avouer justement le tourment de la vérité et le tourment de l’injustice.

ECRIT SUR UN MUR

On nous a crevé les yeux on nous a fauché la voix et de la parole coupée est restée la racine ; avec le sang elle fend la pierre jusqu’à l’eau et à nouveau elle refleurit.

LE CORPS INCONNU

Qui transportent-ils dans un lit de bois vide lié avec du coton des gazes et du fil de fer ?

Le sang coule, il tombe à terre goutte à goutte

sans qu’il y ait de corps

le corps n’a pas été retrouvé

et pourtant tu le vois

le Mort est là moissonné.

Maintenant la neige tombe et le recouvre

la neige sur le lit de bois, la neige sur le sang

tandis que le vent souffle et que la mémoire gèle

sculptant, attentive, dans le vent

la forme disparue.

C’était midi et elle jouait encore avec le fleuve

le soleil la tenait encore par les cheveux et l’eau était rose autour de ses hanches. Je voyais, j’étais le fleuve

je devenais un cheval écumant qui dévalait et elle une fourche sur mon dos azuré

elle résistait en ramassant sa force tandis que nous nous enfoncions dans l’ombre sous les saules. Et je riais et elle me disait ne ris pas ne sois pas un rêve, j’ai peur

j’ai peur de toi.

Depuis lors bien des fois j’ai écouté sa voix en m’éveillant dans cette lumière

noire comme un essaim qui me mangeait les yeux.

À UNE GITANE

J’ai dit à une gitane

je veux devenir gitan pour te faire mienne.

Peux-tu, me dit-elle, dîner

d’herbes amères sans sel

et près de moi t’allonger ?

Je peux, lui ai-je dit

Peux-tu, me dit-elle, sans pleurer de froid

te coucher sur de la boue gelée ?

Je peux, lui ai-je dit

Peux-tu, me dit-elle, sur cette boue allumer mon corps et le réduire en cendre ?

Je peux, lui ai-je dit

Peux-tu, me dit-elle, verser

ma cendre dans ton vin

jusqu’à t’enivrer et m’oublier ?

Non, cela je ne le peux pas, lui ai-je dit

Gitan, alors, tu ne peux devenir, m’a-t-elle dit.

DOUZE HAÏKUS

Trois heures du matin

quand le garçon est venu

ôter nos deux verres.

Rasoir d’un regard

fendant les paupières

afin de la mettre à nu.

Trois amis jouaient aux dés la grâce d’un baiser. ailleurs elle l’a donné.

De jour comme de nuit quelqu’un nous tient attachés : le lien invisible.

Un bruit de rames mais la barque était invisible dans le brouillard.

Des traces de pneus imprimées dans la boue avec feuilles mortes.

Petit navire enfermé dans ta bouteille vers où vogues-tu ?

Hector rend l’âme

Et Homère lui-même s’effraie de ce meurtre.

La queue d’un paon

collée au cul d’un singe : le monde tel qu’il est.

Des fleurs d’amandier

tombent en pluie dans mon sommeil.

Qui m’a embrassé ?

L’un des deux yeux

s’est posé sur le poème ; et l’autre te juge.

Chacun a sa place et les vivants et les morts dans un poème.
| Les auteurs |

Georges Pavlopoulos

Georges est né en 1924 à Pyrgos, dans le Péloponnèse, où – à l’exception d’une demi-douzaine d’années passées à Athènes, pour y suivre des études de droit – il aura vécu la plus grande partie de sa vie, employé aux écritures dans une entreprise de transports urbains. Il est l’auteur d’une dizaine de recueils de poésie désormais rassemblés en un volume (Poèmes, 1943-2008), dont certains titres ont fait l’objet d’une traduction en anglais ou en espagnol. Des poèmes de lui ont par ailleurs paru en allemand, en néerlandais, en italien, en russe, en polonais. Il fut lié entre autres à Georges Séféris, qui exerça une influence sur son évolution poétique. Georges Pavlopoulos est mort en 2008, à quelques jours de la parution de son ultime recueil (Pour que je ne les oublie pas).

Gilles Ortlieb

Gilles Ortlieb, né en 1953, est l'auteur d'une vingtaine de livres mêlant poèmes, récits, essais, carnets. Il a également traduit le Journal de Georges Séféris, dont un premier tome est paru aux éditions Le Bruit du temps en 2021 (Journées 1925-1944).

Derniers titres parus :

– Cadillac,Fata Morgana, 2022, édition à tirage limité avec le peintre Denis Martin,

– Arthur Adamov - Un dénuement (Fario, 2021),

– De fonte en comble, texte et photographies, Le temps qu’il fait, 2023.

Ralentir poème 1

Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres.

La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur et un artiste (peintre, graveur, sculpteur, photographe, mais aussi pourquoi pas, musicien, cinéaste, etc).

1 Ralentir travaux de René Char, Paul Éluard et André Breton, recueil de trente brefs poèmes précédés de trois préfaces, 1930, José Corti

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© Mars 2023 — Ecrit sur un mur Poèmes de Georges Pavlopoulos

Photos de Georges Ortlieb

À l’exception des Douze haïkus et du poème À une Gitane, inédits et traduits par Gilles Ortlieb, les textes ont paru dans la revue La Traverse (n°6, printemps-été 1973), dans une traduction de Jean-Max Toubeau. La revue Ce qui reste pour la présente édition

16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com

Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363

… nous suivre …

L’un des deux yeux s’est posé sur le poème ; et l’autre te juge.

Ecrit sur un mur, poèmes de Georges Pavlopoulos

Photographies de Gilles Ortlieb

Traductions de Jean-Max Toubeau & Gilles Ortlieb

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