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1932 : Un peuple entier debout

Au peuple salvadorien

1932. Comme chaque fois l’insurrection du peuple : Ils montèrent à l’assaut du ciel… Ils y montèrent debout, sur un cheval de terre, Les yeux éternels ; Et le poitrail lourd de résolution…

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1932. La Russie s’était plantée de communes, Depuis quinze ans déjà. Lénine était mort. Mort Lénine ! Mais bâtis les Soviets. L’Union Soviétique, disaient les nantis, d’horreur glacée. Le peuple entier du monde mangeait du métal froid, tenant disette.

Wall Street faisant la loi. Wall Street, Ce temple capital, le Vatican du Fric. De gros vendeurs de sous défenestraient. La bourse te prend la Vie, Requin marchand. L’argent, réduit papier couleur, n’était qu’un feu papillotes, papillotes. Les grands dévoreurs entassaient des fortunes de vent, sur le dos populaire. Haillonne, Misère, Ce siècle ressemble au scorpion qu’assiège le feu. Tue-toi ! tue-toi !, que naisse enfin le Socialisme. Enfin.

Longue Agonie ; et l’Agonie dure ; elle convulse le peuple entier du monde…

L’Allemagne connaissait la scansion noire du Roi Pantin des terreurs financières !! À peine vaut-il de le nommer : le grotesque était ombre et serveur de la Rente. La misère haillonne, oui, courait une Europe d’Amérique vêtue. Un quignon de pain valait brouettes de banquier : Money ! Money ! Leur papier, qu’ils jettent torchecul quand il ne leur sert plus. L’inflation ! Ainsi la nomment-ils, leur guerre interne. L’agonie longue ; l’agonie dure. La Russie s’était plantée de communes.

1932. Comme l’insurrection du chaque fois, Ils montèrent à l’assaut du ciel… Là-bas, au pays des cent volcans dressés, rageurs certains encore, le long du l’isthme Panaméricain. Amérique du centre, et Centre d’Amérique, Prise entre continents immenses, secrète et toujours oubliée ; pourtant d’essence rare ; ils voudraient de toi faire un Vietnam. Ten cuidado, tierra !

Sur les bords de la route, en Pan-Amérique, pays des cent famines, et pays des cent peurs. Comment disent-ils : ah oui, Les Catastrophes Naturelles. La Vie, là-bas, se fit inhumaine, un peu plus. Car, fameusement libre monde, monde libre ! libre !

tu as couleur gringo, et brûles comme tes dollars, vêtements de marchandise, et feuilles friandises sèches. Eux, sais-tu, ils tassent l’argent au frigo ! Pour te plier à genoux de travail machine, ils vampirent. Pluie de lumière, qui leur échappe. Ouvriers, de misère vous faites destins, pour que se grangent les récoltes Des quelques puissants ; quelques-uns, mais soutenus par dieu, dieu d’occurrence, dieu de plâtre, dieu fragile.

1932. Comme à chaque insurrection des tripes… Souviens-toi : du café saisonnier, grains verts pendus sur pieds de buis, qui, rouges en tonnes, s’en iront dans les usines au Nord d’Amérique, en pays US. USA. Car toi, le paysan du café, tu boiras des mixtures solubles, sais-tu.

Le fruit de la terre est trop cher pour toi. Souviens-toi : de la canne à sucre, Forêts de perches oriflammes, au soleil, de bois brun comme des arbres, Mer où tu disparais au vent, l’homme. Jeunes allégeances ! Et toi le paysan de la canne, tu n’auras que mélasse, ou sucre blanc, car ton sucre est à New York ! Londres ! Berlin ! Paris ! les autres Possédances. Le fruit de la terre est trop cher pour toi. Jusqu’au rhum, qu’ils t’enlèvent, trains entiers des sueurs du salaire,

et t’en laissant racines, prodigues.

Souviens-toi : du coton, vallée d’oiseaux blancs posés sur branches, pluie de lumière qui leur échappe. Et toi, le sang du coton, tu te changes nylons et plastiques, car ils t’emportent, cargos de champs tissés. Qui vont au Japon, qui vont en Allemagne ; à l’Ouest ; aux pays de libre entreprise qui firent le fascisme, le fascisme du Japon, ou d’Allemagne, ou d’Italie, ou d’ailleurs, du monde libre, quoi. Le fruit de la terre est trop cher pour toi.

Le café, bien sûr, revient : boîte, le sucre, bien sûr, revient : boîte, le coton revient culotte blanche ; ils logent tous là-haut, dans les lourdes maisons des hautes collines

Depuis cent cinquante ans tu les connais, les seconds Maîtres. Amérique du centre, Centre d’Amérique, America ! America ! toi, l’Indienne, mange ta galette de maïs et tes haricots.

Jusqu’à tes bœufs disparaissent sur l’eau, sous cellophane, de préférence. Sous cellophane. Et tes langoustes vont à Miami ! de préférence ! mange ta galette de maïs et tes haricots, s’il t’en reste, l’Homme.

Comme l’insurrection, ils y montèrent, sur leurs chevaux de terre…

1932. La bourgeoisie s’en démasque : de férocité naturelle, vertige et mort : pyramide. Le froid du calcul ! De ce jour ils furent militaires, et commandeur de crime : Fais-moi danser Soldat, Je me masque, et je glousse !

Le fruit de la terre est trop cher pour Toi.

Un deux décembre encore, de 1931, Ils recoururent à la force directe : Étranglements et gorgeries ; la tuerie, simplement ! Ten cuidado, tierra ! L’armée renversa Araujo, le déversant Guatémaltèque : Je suis la Force, directe, et que dieu me le rende ! Les élections annonçantes criaient la peur nantie ; nantie de peur. Et la colère tenait le peuple Et la colère tisonnait le peuple. La faim paysanne, glapissante, montait en ville, débauchante : ouvriers des chaussures, artisans aux grands yeux angoisse, et ventres vides. Ventres vides. La faim paysanne : glapissante !

Et la trouille rampait blême et montante, en ville, dans les villages, sur les routes, sur les chemins de brousse, dans les décharges ; rampante ; montée.

Alors, général Martinez ? Je suis là, pour ça. Élections ? Le rire ! Le rire galonne.

Vint la fraude, exultante, insulteuse, L’EXACTION. Attentats. J’assassine !

Annulations. Le rire galonne.

Le peuple, fait fou de frustration, frustré fou, d’impuissance collectée contre lui. Et la colère tisonne. La colère ! Dans les fincas, les haciendas, au coin des rues, dans les cuisines, dans les regards en feu, la honte, rentrée, ressort historique. Et bouillonnait l’effervescence. Martinez a violé l’élection ! Ils ont triché ! Ils tricheront, toujours. Agir. AGIR. L’insurrection du ciel. Il le faut ! Nous n’en plus pouvons, plus. Plus d’autre solution. L’expression nous désastre, nous murs, J’ai voté pour qu’ils rient ! Les enfants, les miens, sont morts de rougeole. La faim, paysanne.

Déjà la grève, éclatante, immédiate, la grève parle ; viscérale ; la grève spontanée, bras morts dressés, orgues du silence. Nous n’en plus ferons. PLUS ! Alors ils tuèrent Gualan, le jeune loqueté d’herbe des champs, le dirigeant paysan ; loqueté jeune, et le rire du volcan de tes sols, sa splendeur. Ils tuèrent Gualan ! Et l’est s’embrasa ; La frénésie courut la montagne ; Que feront les communistes ? Les monstres rouges, hurlaient les élégantes. Le Parti avait la jeunesse de Gualan, et sa fougue, jeune taureau d’impatience.

Les uns, les autres, ne savaient quoi faire, Les uns, les autres, ne savaient. Mais l’émeute débordait, affolante. Ils ont tué Gualan.

Ils étaient anarcho-syndicalistes plutôt que communistes ; ils étaient ce qu’ils sont, sincères, venus de chaumes artisanes et textiles, La gorge bloquée : je veux Vivre ; Je vis, de h aine organisée ; Regarde-les ! Regarde-les ! Plus n’en puis-je. Tue les tous ! Et la police les piégeait, faits et gestes, nuit et jour, partout. Parle plus fort ! Pourtant, pourtant ils l’eurent, ce courage, ils décidèrent la générale de grève ; l’insurrection ; La Grève Générale Insurrectionnelle ! Non sans tout intenter : Martinez peut céder ? Oh, freine, freine, la rage court trop vite. Que faire ?

Foncer, plus vite que le temps ; organiser, la Haine rugissante légitime, La Haine générale insurgeante ; comme tes vingt volcans, vingt cratères, silencieux, susceptibles ; leur peau résonne. Comme chaque fois : l’Insurrection. Pays torturé humilié piétiné. La loi ? Mépris.

Tu pourrais vivre riche, mais vingt familles de féodalent, et dansent sur tes reins le chant d’exploitation. Vingt familles, et vous êtes trois millions. Vingt familles, et vous êtes : trois millions !

Hargne : leur suffisance.

Ils sont faits d’une pierre qui détruit les chemins. Du haut de leurs châteaux, ils jettent l’ordure aux Mendieurs : Tous ! Tous les autres, à fond de fosses ménagères. Le pays n’est qu’un grand Bidonville. Déjà la grève, éclatante, immédiate. Et le dix-neuf, Marti, Luna, Zapata, sont arrêtés, les plans dévoilés, L’Armée quadrille, bloque, incarcère ; partout les mitrailleuses, et c’en sera fini des gueux ! Que faire !

Trois fois fut reportée l’insurrection. Oh rudes décisions ! Décider de la Mort ? Martinez ? Il ricane. Les Nantis, caquetant de panique crient : Émeute ! Émeute ! Ce sont les Communistes, les Communistes, les Communistes ! Là-bas, comme ici, lorsqu’un oiseau sort de sa cage, il est Communiste. C’est un suicide, disent les uns ; les autres se rongent les ongles ; comme à chaque érection du peuple. Mais peut-on, de brindilles, barrer un torrent : le Peuple Debout ?

Il roule les pentes, et s’en dégringole, avec dans la poitrine le hurlement du loup, et l’oppression sur lui, ce pied posé sur lui, dans la poitrine ; brindilles. Peut-on retenir un torrent,

comme cheval emballé, par les rênes ? Non, l’écume est trop forte : Le Peuple Debout débaroule des montagnes.

Ce fut à minuit du vingt-deux janvier de 1932. Ce fut à minuit, ce cri des vingt volcans ; et le café et la canne s’embrasèrent autour des propriétaires ; la nuit devint féroce, à l’Est, La terre en marche, regardez ! regardez ! Juayúa et Izalco, Nahuizalco et Tacuba, Apaneca et Lomasagua, Talnique et Tamanique et Colón.

TEN CUIDADO, TIERRA ! Ils remplissent la nuit de leurs pieds nus, Le poitrail lourd de résolution.

Ils partaient à l’assaut de mitrailleuses et canons, à coups de machetes ! à coups de couteaux ! à coups de pioches ! ou de pierres ! Une escopette, parfois ! Ils partaient, à l’assaut des balles à coups de machetes.

Tu es armé de vent, machetero. Tu es armé de vent, machetero. Souviens-t’en : l’argent dort dans les nids mitrailleuses.

Le peuple, Debout, tua quelques esclavagistes, forcenés, oh, quelques-uns ; si peu. Et peut-être écrasa-t-il quelques serpents,

courant les collines ? Mais eux ne s’en arrêtèrent pas : Exterminons la Vermine Rouge ! Ils tuèrent à la mesure de leur peur : la garde nationale, la garde civique, l’armée ! Ils poursuivirent, ils traquèrent, ils tuèrent, à la mesurer de leur peur. Le sang coulait des collines. La milice bourgeoise pendait les paysans aux poteaux télégraphiques, éventrait femmes et enfants ; pendus, pendus les boyaux sur la route. Le sang ruisselait des collines. Ils firent des pyramides de cadavres aux carrefours des villages ; dressèrent des bûchers, trouèrent des charniers. L’odeur de la mort, montée des corps brûlés, pourrissants, en tas, se leva sur tes volcans, Amérique du Centre, centre d’Amérique. Et l’Amérique du centre frissonna, glacée du génocide ; de Mexico à Panama, de l’Atlantique au Pacifique, l’odeur des morts fumait.

Le Peuple entier Debout s’est couché sur ses armes cassées : quinze mille, ou vingt mille, ou trente mille ? Tout ce qui avait nom ouvrier, paysan, était suspect, car ils tuèrent à la mesure de leur peur. Quinze mille, ou vingt mille, ou trente mille ? Le militant surpris était militant mort. Il n’y eut plus de Parti, ni de Syndicat,

en ce pays du monde libre. Dans le port d’Acajutla, ancrés, paisibles, trois vaisseaux de guerre, canons pointés sur le Peuple couché ; souviens-t’en, l’un nord-américain, les deux autres anglais – souviens-t’en. L’odeur des morts fumait.

Ce fut, camarades, à sept heures et quart, du lundi premier février de 1932, qu’ils abattirent : Mario Zapata, qu’ils abattirent : Alfonso Luna, qu’ils abattirent : Farabundo Marti, el negro Marti, le colonel de Sandino, guérillero d’Amérique du centre. Ce fut, camarades, à sept heures et quart, et Zapata fut le plus long à mourir, au fond du cimetière général. L’odeur des morts fumait.

Comme chaque fois, l’insurrection du peuple entier, couché sur sa terre, le volcan Izalco, que l’on croyait éteint, ce jour reprit activité, grondant de feu, terrible au ciel.

Le volcan Izalco, ce jour, reprit fureur.

L’Izalco : vingt volcans, pour menacer le ciel et lui cracher là-haut, ombre sur l’Amérique, immense et de poitrail solide : Un Peuple, Entier, Debout – Le Vrai Destin du Monde.

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