EL MACHETE

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La petite France

Ils étaient blancs. L’histoire conte leurs aventures, avec une ostentation partisane. Ils furent conquérants du monde, et s’en nourrirent, chair et sang. Ils s’y installèrent à cheval, pour ce qu’ils prétendaient être l’éternité, la leur. À présent, leurs statues rongées du temps désoclent. Et leurs violons n’accordent plus que pâles pantomimes. Bernard-Marie Saint-Éloi était ambassadeur, et donc délégué de la civilisation occidentale en Salvador. Ramassé sur son mètre soixantecinq, il était fier de ne pas présenter d’embonpoint, malgré ses cinquante ans. Les cheveux courts, le visage anonyme, il sautillait au long des couloirs, vif et frétillant. Ancien boy-scout, il en avait conservé la candeur sportive, sourire bloqué sur révérence. L’imaginer en short anglais vous comblait de plaisir. Il portait des costumes discrets, dans la grisaille, avec des bas de pantalon très étroits sur escarpins usés. La cravate ordinaire, il ne se séparait jamais de sa légion d’honneur, à droite. Il avait tout du portrait robot, la France, de la moyenne bourgeoisie des villes. Il était au Salvador depuis cinq ans. Il s’y ennuyait ferme. Nommé sur recommandation politique, il avait pris l’avion sans grand enthousiasme. Le Salvador n’était pas un poste d’envergure. Pourtant, il fallait bien démarrer, pour prétendre, mais ensuite, à l’Europe. La carrière diplomatique nécessitait patience et relations, n’est-ce pas,


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