MICHEL SCARPA BEWARE OF SCARPA!!! 22 Mars – 23 Avril 2011 Text by Julien CARBONE & Jill HARRY Translated by Jill HARRY Galerie Maison Dauphine -14 rue du 4 Septembre, 13100 Aix-en-Provence +33 (0)4 42 30 78 50 / kadri.v@wanadoo.fr / www.galerie-maisondauphine.com NM Galerie - Hotel de Gallifet - 15 rue Goyrand, 13100 Aix-en-Provence +33 (0)1 45 62 19 31 / info@nmgalerie.com / www.nmgalerie.com
Du Peep-show au Picture-sampling L’œuvre de Michel Scarpa prend naissance au cœur d’un paradigme iden-
constituant la diégèse complète dont on connaît inévitablement la fin.
titaire aux composantes très marquées tel que le sexe, le jeu et le jouet ou
Dans cette déconstruction du support filmique, où l’image se compte par
encore le cinéma, le tout mis en forme au travers d’un cynisme propre à
multiples de 24, elle est réduite à son expression « story-boardienne »
la personnalité de l’artiste. L’ensemble de ces thèmes se retrouve dans les
d’une image par scène. L’immatérialité translucide de la pellicule étant
différentes périodes que ses créations ont pu traverser ; dans les premiers
conservée grâce à la retranscription linéaire sur support plexiglas. Les li-
collages composés d’images de magazines Playboy ou de BD, dans les ta-
mites physiques et métaphoriques de l’œuvre sont alors remisent en ques-
bleaux de briques de papier compressé aux dimensions parfois monumen-
tion. L’œuvre d’art, de nos jours, n’a plus de forme, de limite prédéfinie,
tales ou encore au sein des jeux de cubes surdimensionnés. Les objets
elle se réinvente en permanence, dans des arts intermédiaires, alliant plu-
mettant en scène des personnages ou symboles qui font partie de notre in-
sieurs disciplines ; la musique se confronte et s’allie aux arts plastiques ;
conscient collectif sont eux aussi imprégnés de cette atmosphère propre
l’image cinématographique quitte les salles obscures pour le « white cube
à la création plastique de Michel Scarpa.
» des galeries d’expositions ou des musées.
Alors, comme s’il réinventait continuellement les règles de son jeu créatif,
L’œuvre d’art se dissout, petit à petit, pour n’être qu’essence de l’art, dé-
face à son esprit, face à lui-même, il nous propose aujourd’hui une nou-
matérialisée, elle glisse d’un environnement à un autre. L’œuvre d’art au-
velle forme plastique de son paradigme ancré dans la « pornographie de
rait-elle gagné en fluidité dans cette perte de plasticité ?
l’image ». J’entends par là une image qui s’offre au plaisir des yeux dans
La matérialité de l’œuvre, ce qui la délimite physiquement, c’est son bord,
un jeu bien cynique du « regarder au travers du trou de la serrure ». Car
sa surface, ses lignes, sa feuille, sa bande magnétique ou cinématogra-
comme nous le rappelle Paul Ardenne « L’image d’art érotique partage
phique. Et si nous parlions de perte, d’effacement des limites qui cadre
bien des points communs avec le peep-show, ce lieu d’apothéose du strip-
l’œuvre d’art, c’est du passage de l’art entre le matériel et l’immatériel
tease. En elle comme en celui-ci, on montre ce qu’on ne montre pas d’or-
dont il est question. L’artiste dispose actuellement, d’une panoplie consi-
dinaire. Mieux encore, on l’exhibera volontiers jusqu’à l’excès, sur un
dérable de techniques, dont certaines sont très anciennes, constituant un
registre hyperbolique. Le peep-show ? Il n’offre pas à mon œil un corps nu
réservoir immense dans lequel les artistes puisent perpétuellement. Les
de femme ou d’homme. Bien plus, il présente à mon corps transi un autre
techniques les plus récentes de production artistique, la vidéo, les images
corps fait pour le don, ouvert et vibrant de toutes parts, accueillant et à
de synthèses, les hologrammes, les dispositifs interactifs etc. ont eu un im-
prendre. »
pact considérable, de la même façon que les technologies ont toujours eu
C’est bien l’image pornographique qui fixe la trame de fonds de ce nou-
un impact sur le développement des différents arts, tout en modifiant en
veau travail. Une trame composée de la succession d’images filmiques,
profondeur les sociétés dans lesquelles elles s’amplifiaient. Dans le
contexte technologique actuel, nous pouvons constater certaines mutations
nant notre esprit dans un dédale jouissif.
représentant des tendances présentes dans l’art.
Alors dans un contraste fracassant, l’artiste nous met face au portrait d’un
Notamment, le changement du rapport à la matière : l’œuvre s’allège, s’af-
soldat mort au combat, sur la trame de fond d’une extase physique que
franchit de ces matériaux - bois, marbre, châssis et cadre -, constituant
celui-ci n’aura peut-être jamais vécu. Dans ce jeu permanent de distance
le support de l’œuvre, pour tendre vers une image fluidique, immatérielle
et de proximité, les subtilités de chacune des œuvres issues de ce travail
en apesanteur, image désincarnée des nouveaux médias. Le changement
plastique sont d’une force esthétique des plus contemporaines. La sensi-
dans le rapport à la matière passe en particulier par une modification du
bilité créatrice de cet artiste interroge par l’utilisation d’un paradigme qui
rapport à l’espace et au temps.
lui est propre (sexe, jeu, figure cinématographique ou encore culture de
C’est bien de cela qu’il s’agit dans cette nouvelle production que Michel
l’image d’art, de magazine ou d’histoire) des émotions émanant de notre
Scarpa nous propose ; au travers de l’usage de l’outil informatique, il dé-
humanité la plus instinctive.
cortique par « snap-shotting » des films pornographiques des années 30 jusqu’à nos jours pour n’en garder que la trame directrice de l’histoire sexuelle entre un homme et une femme. Ces trames de fond sont alors couplées à une image plus forte couvrant la totalité de celles-ci, proposant un jeu de lecture lié à notre position dans l’espace par rapport à l’œuvre elle-même. Des référents collectifs comme « Le déjeuner sur l’herbe » de Manet ou encore la figure publicitaire de « Banania » sont mis en abîme au travers d’une reconstruction picturale proposant une relecture de ces « icônes ». Comme le ferait un compositeur de musique électronique, l’artiste recompose une œuvre qui lui est propre par l’utilisation d’une technique que l’on maîtrise dans la musique contemporaine, celle du « sampling ». Ce « sampling » d’images, qui ré-architecture une nouvelle création se trouve être en résonance directe avec des concepts créés par les nouvelles technologies, l’imaginaire de l’interférence, de la transparence et des réseaux. De telles représentations nous ramènent au désir non assouvi d’une vision synoptique du réel, qui appellent des notions telles que l’hybridation, l’ubiquité, et le compactage des espaces et des temporalités, entraî-
Julien Carbone
From Peep-show to Picture-sampling The work of Michel Scarpa originates at the heart of a personal paradigm
of 24, it is reduced to its « story-board » version of one image per scene :
with very marked components such as sex, games and toys or the cinema,
the translucid immateriality of the film is preserved thanks to its linear re-
all presented with the cynicism specific to the artist’s personality. All these
transcription on a perspex support. The work’s physical and metaphorical
themes can be found in the various phases of his creations ; in the first col-
limits are then subjected to interrogation. Nowadays, a work of art no longer
lages composed of images from Playboy magazines or comic strips, in the
has any pre-defined shape or limits. It permanently reinvents itself, in the
works comprised of compressed paper bricks, sometimes of monumental
intermediary arts, combining several disciplines ; music confronts and al-
size, and in the oversized boxes of cubes. Objects representing characters
lies itself with the plastic arts ; the cinematographic image leaves the dark-
or symbols which form part of our collective unconscious also bear the
ness of the movie theater for the « white cube » of museums or
deep imprint of this atmosphere which characterizes the work of Michel
art-galleries.
Scarpa.
The artwork is gradually dissolving to become solely the essence of art : de-
As if he were constantly reinventing the rules of his creative game, confron-
materialised, it slips from one environment to another. Has the work of art
ting his own mind-set, confronting himself, he now proposes a new way of
perhaps gained in fluidity what it has lost in terms of plasticity ?
presenting his paradigm anchored in the « pornography of the image ». I
The material aspect of the artwork, what defines it physically, is comprised
mean by this, an image which offers itself as a treat for the eyes in the very
of its edges, its surface, its lines, its sheet of paper, its magnetic tape or
cynical game of « peeping through the key-hole ». For, as Paul Ardenne re-
reel of film. And when we talk about losing or effacing the boundaries
minds us : « An image of erotic art certainly has many points in common
which frame the artwork, we’re talking about art moving between what is
with the peep-show, the apotheosis of strip-tease. In both the latter and the
materiel and immaterial. The artist now disposes of a considerable panoply
former, one displays what is not ordinarily shown. Even better, it is willingly
of techniques, some very ancient, which constitute an immense reservoir
exhibited to the point of excess, in a hyperbolic register. The peep-show
constantly delved into by artists. The most recent techniques of artistic
does not offer to my eyes the naked body of a man or woman. Much more
production such as video, synthesized images, holograms, interactive of-
than that, it presents to my paralyzed body another body offered like a gift,
ferings etc., have had a significant impact, just as technologies have always
open and vibrant in all its parts, welcoming and waiting to be taken. »
had an effect on the development of the various art-forms while making
It is indeed a pornographic image which forms the very basis for these new
deep changes in the societies in which they are deployed. In today’s tech-
works. A backcloth composed of a succession of stills, constituting the
nological context, we can observe certain mutations which represent trends
complete story-line whose end we inevitably know. In this deconstruction
that are present in art.
of the support provided by film, in which the image is created in multiples
In particular, the change in the artist’s relationship to his materials : art-
ecstasy that he never perhaps experienced. In this constant play between
works are lighter, liberating themselves from materials such as wood, mar-
distance and proximity, the subtleties of each work that arise from this
ble, stretchers and frames, which served as supports for the work itself,
treatment of the material carry an esthetic force of the most contemporary
and tending towards a fluid, immaterial, weightless image, the disembo-
kind. By using a paradigm which is his alone (sex, games, characters from
died image of the new media. This change in the artist’s relationship with
movies or the culture of images from art, magazines or history), this artist’s
his materials particularly implies a modification of his relationship with
creative sensitivity challenges emotions which emanate from the most
time and space.
basic instincts of our humanity.
This, in fact, is what is involved in the new works proposed by Michel Scarpa ; in using the computer as a tool, he decorticates by means of « snap-shotting » pornographic films made from the 1930’s until the present day, only retaining the main theme of the sexual relationship between a man and woman. These backgrounds are then coupled with a stronger image covering the entirety of the work, proposing a new interpretation linked to our position in space with regard to the work itself. Recognized references such as Manet’s « Le déjeuner sur l’herbe » or the character in the « Banania » poster are engulfed in a pictorial reconstruction proposing a reassessment of these « icons ». Like a composer of electronic music might do, the artist recomposes a work which becomes in fact his own, by using a technique adopted in contemporary music, known as « sampling ». This « sampling » of images, which restructures a new creation, happens to be a direct reflection of concepts created by new technologies, a product of the imagination for combinations, transparency and networking. Such representations bring us back to our unquenched desire for a synoptic vision of reality, calling on notions such as hybridation, ubiquity and compression of spaces and temporalities, leading our minds into a climactic maze. Then in shattering contrast, the artist places us face-to-face with the portrait of a soldier who died on the battlefield, against a backcloth of physical
Julien Carbone
Michel Scarpa : joueur invétéré Issu d’un milieu russe, allemand, français et italien, petit-neveu du gourou
tions, Scarpa est parfois l’esprit de contradiction incarné et joue souvent
Gurdjieff, Michel Scarpa est né en 1942 près de Paris. De diverses in-
le rôle de l’avocat du diable pour creuser une vérité. Refusant de se pren-
fluences qui ont coloré une enfance précaire au cours des années d’après-
dre, ou de prendre la plupart des choses, trop au sérieux, il a vite échangé
guerre, suivie de la découverte opportune de Londres, en 1958. Ses études
l’esprit français contre l’humour et l’ironie anglo-saxonnes. Se méfiant de
au Chelsea Art School l’ont initié au monde de la peinture, et il a continué
“l’esthétique”, il a un œil infaillible, permettant volontiers aux éléments
de vivre à Londres jusqu’en 1981. Quelques années auparavant, il avait
extérieurs ou aléatoires d’intervenir, érigeant des passerelles par-delà des
commencé à investir dans les marchés des matières premières, une forme
abîmes. Artiste et être humain, il respecte le poids et la diversité de l’ex-
de spéculation qui convenait bien à son tempérament, mais qui n’allait pas
périence collective et subjective. Parcourant des images qui racontent des
durer très longtemps. Cette activité l’a amené à Monaco puis à une nou-
histoires, empruntant parfois des mots qui ont de la résonance mais peu
velle vie à Saint-Paul-de-Vence, où il s’est mis à travailler avec du papier
de logique, offrant des connections, des contrepoints et des contrastes qui
au lieu de la peinture.
présentent peut-être des indices, il déploie la complexité et la richesse de
Les œuvres qui ont vu le jour depuis – les collages, les grandes composi-
la condition humaine.
tions abstraites, les “briques” et les “cubes”, les objets inspirés par des
Dotés de ressources intellectuelles qui ne nous mènent souvent que plus
jouets anciens et d’autres icônes, ainsi que les images doubles sur plexi
loin dans le labyrinthe, nous éprouvons des moments de vérité dans les ex-
d’aujourd’hui – peuvent être vues comme des variations sur un seul thème.
pressions physiques de nos instincts les plus profonds : en cherchant l’au-
Sachant que les concepts d’originalité et de créativité ne sont que des
tre dans les relations sexuelles, en ressentant l’exaltation des exploits
leurres pour les artistes comme pour tout autre personne, Scarpa reprend
physiques, en se réjouissant de la beauté sous toutes ses formes, en fai-
des matériaux existants et leur donne une nouvelle vie. Un collectionneur
sant vibrer une corde sensible chez autrui, là ou les paroles auraient
né, un connaisseur de films, de magazines et de bandes dessinées, Scarpa
échoué. Dans un travail que l’on pourrait appeler l’art de la litote, Scarpa
a accumulé des milliers d’images qui attendent qu’on les remarque, qu’on
offre son univers personnel, ne prétendant jamais que ce dernier est
y puise de l’inspiration, qu’on les choisisse, comme des bouts d’un patch-
unique ou universel. Son expérience est celle d’un joueur qui connaît les
work ou d’un puzzle dont l’énigme attend, elle aussi, qu’on la résolve. Tant
enjeux, qui distribue les cartes et attend que les dés retombent. Malgré
de fragments isolés ou entre-mêlés, comme les instants d’une vie, dont la
l’ensemble des outils et des techniques à notre disposition, le jeu de la vie
signification peut être éphémère, frappante ou momentanément perdue,
exige toujours humilité, intuition, passion et lucidité.
à cause de notre manque de recul dans une histoire qui se déroule. Indifférent aux théories, peu désireux à imposer ses propres interpréta-
Jill Harry
Michel Scarpa : inveterate gambler Born near Paris in 1942, the grand-nephew of the guru Gurdjieff, Michel
mour and irony. Mistrusting “esthetics”, he has an infallible eye, happy to
Scarpa has a Russian, German, French and Italian background. Diverse
let external or random elements play their part, building bridges with leaps
influences that coloured a precarious childhood in the post-war years, fol-
of faith. As an artist and a human being, he respects the weight and di-
lowed by the welcome discovery of London in 1958. A brief spell at the
versity of collective and subjective experience. Sifting through images that
Chelsea Art School took him into the world of painting, and he continued
tell stories, occasionally borrowing words that have resonance but little
to live in London until 1981. A few years earlier, he had begun trading on
consequence, offering connections, counterpoints or contrasts that may
commodity markets, a form of speculation which suited his temperament
provide clues, he unfurls in his works all the complexity and richness of
but was not to last. It took him to Monaco, then to a new life in Saint-
man’s estate.
Paul-de-Vence, where he started to work with printed paper instead of
Endowed with intellectual resources that often only lead further into the
paint.
labyrinth, we find moments of truth in physical expressions of our basic
The works that have since resulted – collages, large abstract compositions,
instincts : reaching out to each other in sexual relationships, experiencing
the “bricks” and “cubes”, objects inspired by old toys and other ikons,
the elation of physical achievements, delighting in beauty in all its forms,
and now the dual images on perspex - may be seen as variations on a single
striking chords in others where words would fail. In work that could per-
theme. Aware that the concepts of originality and creativity are lures for
haps be described as the art of understatement, Scarpa offers his private
both artists and anyone else, Scarpa re-fashions existing materials and
universe, never claiming that it is universal or unique. His experience is
gives them a new lease of life. A born collector, a connoisseur of movies,
that of a gambler who knows the stakes and deals the cards, playing the
magazines and comic strips, Scarpa has amassed thousands of images
game and observing the rules, while waiting for the dice to fall. Despite all
waiting to be noticed, waiting to inspire, to be chosen, like parts of a patch-
the tools and techniques at our disposal, the game of life still demands hu-
work or puzzle whose enigma also waits to be solved. So many isolated or
mility, intuition, lucidity and passion.
inter-connected fragments, like moments in life, whose importance or significance may be fleeting, striking or momentarily lost due to our lack of focus on a story still unfolding. Uninterested in theories, reluctant to impose his own interpretations, Scarpa is sometimes the soul of contradiction and often plays the devil’s advocate to get closer to a truth. Refusing to take himself or most other things too seriously, he quickly exchanged French wit for Anglo-Saxon hu-
Jill Harry