"L'Espoir meurt le dernier" de Florent Lenhardt

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Pax Europæ

L’Espoir meurt le dernier Texte de Florent Lenhardt Illustration de couverture réalisée en 2008 par Yvan Villeneuve


Sommaire L’Espoir meurt le dernier

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Présentation de Florent Lenhardt

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Présentation d’Yvan Villeneuve

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Mentions Légales

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Résumé

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L’Espoir meurt le dernier „Leuchte mir, Hoffnungsschimmer Meinen Weg aus dem Leid und der Qual Ich will noch nicht sterben Ich bin noch nicht bereit“ Finsterforst

MOUVEMENT 18 Kingston-upon-Hull, Région Anglaise, 10 juillet 2034 Dans le bureau aux vitres battues par la pluie flottait une déprimante odeur de café froid. La caserne semblait plus terne encore que d’habitude, comme si les évènements qui s’enchaînaient ces dernières heures l’avaient affectée autant que ses soldats. Le bureau en question n’était qu’une petite pièce cossue à peine décorée. De vieilles photos, quelques décorations militaires encadrées, et surtout un meuble de travail débordant de paperasse, de pochettes, classeurs et autres enveloppes qui lui donnaient des airs de déchetterie. C’était peut-être ce côté bordélique qui plaisait tant au colonel John K. Marlowe : ça lui rappelait la fin du Millenium Crash. Cette période qui avait suivi le Krach boursier de 2006 avait certes été le pire désastre économique de l’Histoire, mais John préférait se rappeler que sans le Crash, il ne serait pas ici, 4


dans ce bureau, avec sa barrette de colonel de l’Eurocorps sur le torse. S’il se remémorait avec nostalgie cette période de crise, c’était parce qu’elle avait vu l’avènement des États-Unis d’Europe et de son hégémonie mondiale. Parce qu’elle était synonyme de gloire retrouvée et d’unité du Vieux Continent. Et parce qu’à côté de la Troisième Guerre mondiale dans laquelle l’Europe s’était embourbée, elle ressemblait à une simple grève du métro londonien. John ressassait son amertume, le regard perdu à travers le rideau liquide de sa fenêtre. La guerre… Elle devait être courte, faire cesser le terrorisme slaviste, à l’Est1. Et puis la Russie Indépendante s’en était mêlée, les Arabes Unis, les Asiatiques, la Grande Inde… Presque un an de combats sur toute la planète, et lentement, inexorablement, elle se rapprochait, grignotait les États-Unis d’Europe, Région par Région… Jusqu’à la Région Anglaise. Sa Région natale, son ultime refuge. Les États-Unis d’Amérique, que le Crash avait poussés à la guerre civile ethnique, pensaient profiter de la situation pour renaître de leurs cendres, soutenant bien entendu le favori européen. Mauvais calcul. Le conflit avait finalement gagné leur continent, rappelant à eux leurs flottes. Cela incluait celles qui renforçaient la Marine eu-

État indépendant à la frontière européenne, la Principauté de Slavie a toujours été considérée comme une zone instable. Afin de mettre fin aux actes terroristes anti-européens, les E.U.E. ont lancé une grande offensive de pacification du pays le 8 septembre 2033, sous-estimant malheureusement l’alliance russo-slaviste. 1

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ropéenne pour le verrouillage de l’île britannique face aux vaisseaux d’invasion de la Russie Indépendante. À présent, et John le savait pertinemment, leur ennemi, qui attendait le moindre signe de faiblesse, ne tarderait pas à déferler sur les côtes des Régions Écossaise et Anglaise. Or, les troupes des E.U.E. étant dispersées massivement sur le front Est et à la défense de la Région Allemande, rien ne saurait arrêter la machinerie russe… Lorsque le téléphone sonna enfin, le colonel sortit de ses rêveries amères. Par cette horrible sonnerie, qui avait au moins le mérite de le préparer aux pires nouvelles, la réalité se rappelait à lui. « Marlowe. — Colonel, la Furie de Reconnaissance Aérienne vient de rentrer… » La voix grésillait, mais John ressentit le malaise de son interlocuteur. « Qu’est-ce qui ne va pas ? — Elle est dans un sale état, hangar 23. » Casquette d’officier vissée sur son crâne dégarni, le colonel quitta précipitamment son bureau sans même réajuster son uniforme. La pression des Russes était plus forte que son pointillisme : il voulait entendre par luimême le rapport, et ce le plus vite possible. Salué dans les couloirs, il sortit sous la pluie battante. Les rues de la caserne étaient pleines de troupes en alerte, de blindés, de half-tracks et de camions bâchés. Les soldats en uniforme bleu sombre ne laissèrent pas transparaître leur fatigue lorsqu’il leur fit quelques signes réconfortants, mais 6


Marlowe n’était pas dupe. Depuis la désertion des Américains les escarmouches en mer et dans les airs s’enchaînaient, sans compter cette vidéo calomnieuse diffusée sur la chaîne Euromédia qui prétendait que cette guerre était un complot ourdi depuis des décades ! De quoi alimenter le moulin des Défédératistes, ces parias dégénérés qui voulaient la mort des E.U.E. et un retour à l’autonomie des Régions, achevant sans remord le moral des militaires qui se battaient encore pour eux ! La guerre civile rien que ça, et en pleine guerre mondiale, quelle débilité crasse ! Marlowe leur aurait bien volontiers offert les cravates de Stolypine. Mais ce n’étaient pas là les valeurs de sa fédération. Et pendant que ces parasites brûlaient des voitures, ses hommes, eux, tiraient sur leurs cordes morale et physique pour protéger leurs droits et leur liberté. Il les salua encore avec une moue approbatrice. Après tout, dans sa situation, il ne pouvait guère faire plus… Lorsqu’il atteignit les hangars, il n’eut aucun mal à retrouver le bon. Les portes béantes de l’un d’eux vomissaient littéralement une fumée âcre et épaisse. L’odeur de brûlé, de métal et de plastique fondu annonçait la couleur. Trempé, mais trop inquiet pour s’en soucier, John Marlowe rejoignit l’équipe de mécanos et de techniciens qui s’affairait sur la carcasse fumante de la Furie. On distinguait malgré les volutes la forme sphérique typique de ces appareils, bien que les ailes de celui-ci fussent très amochées. Un lieutenant à l’uniforme sale se présenta à lui spontanément. « Désolé pour le bazar, colonel.

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— On se fout du décorum. Vous avez fait bonne récolte ? — Oui, colonel, beaucoup de données sur les navires ennemis et leur déploiement. Mouvements massifs côtiers confirmés, l’informa le subordonné d’une voix mal assurée. — Navals, aériens ? — Les deux… Colonel, la Furie a détecté un nombre élevé d’hélicos mais peu de barges… On a été pris en chasse par deux hélicoptères Skot mais on les a semés. » Marlowe, les sourcils froncés, jeta un regard vers l’épave fumante. « On a essayé, du moins… » Le colonel imaginait très bien la Furie esquivant les tirs de roquettes et lâchant ses pauvres missiles de défense pour s’en sortir. Avec une Furie d’Assaut classique, le combat aurait été vite plié, il le savait bien. Les Furies de Reconnaissance étaient bien plus faibles… Pourtant John tenait à marquer le coup : ils étaient dans une situation critique où chaque appareil – même le plus simple – comptait. « Vous m’avez bousillé une Furie de Reconnaissance, asséna-t-il pour la forme, j’espère que ça en valait la peine. » Le lieutenant détourna le regard, par honte peut-être, ou plus probablement pour ne pas offenser son supérieur par la colère qu’il contenait péniblement. « Moi aussi, mon colonel… — Allez prendre une bonne douche et reposez-vous. — Merci mon colonel… » 8


Il disposa après un salut sec et rapide et disparut sous la pluie. Marlowe s’approcha des techniciens alors qu’on lui tendait un petit masque antiparticules, qu’il appliqua sur son nez sans utiliser l’élastique. Cette odeur nauséabonde de carburant et de plastique chaud… cela faisait bien longtemps qu’il ne l’avait pas sentie. Ses souvenirs affluèrent dans son esprit, renouant ses tripes comme s’il revenait plusieurs dizaines d’années en arrière. Les émeutes après le Millenium Crash, les voitures qui brûlaient, les pillages… À l’époque, il servait encore la Reine d’Angleterre. Puis le président des États-Unis d’Europe. Les choses semblaient si simples en ce temps-là : reconstruire, relever ! Et aujourd’hui, quelles étaient les perspectives ? Empêcher l’écroulement total… Il n’avait jamais été du genre à positiver, et cette guerre mondiale le repoussait dans une résignation malsaine, elle l’acculait au désespoir. Les Régions de l’Est étaient occupées, celles du Nord se faisaient finalement piétiner après une longue résistance, et voilà que les Russes s’apprêtaient à porter l’estocade ! John réfléchit en voyant ses hommes s’échiner à récupérer les données des caissons contenus par l’épave, imaginant ce qu’elles avaient à lui révéler. Les derniers mouvements ennemis laissaient entrevoir un débarquement en Région Écossaise, dans le Yorkshire et Humberside. Vu comment ils avaient rasé Hambourg de la carte, il ne s’attendait pas à une démonstration de finesse stratégique. Écoutant la pluie battre la tôle du hangar, il chercha un moyen d’avoir les idées claires. Ou plutôt il cherchait à ne pas céder à la tentation d’une 9


bonne bouteille de scotch. Non pas qu’il ait un problème avec l’alcool, mais les catastrophes qui s’abattaient sur les États-Unis d’Europe étaient trop insupportables pour les garder en mémoire. Il aurait aimé oublier, ignorer le conflit comme beaucoup, en migrant en Région Espagnole ou Portugaise. La solution de facilité. Mais le Haut Commandement Suprême ne lui avait guère laissé le choix. Oubliée la retraite pour services rendus à l’Europe : à 68 ans le revoilà colonel dans une caserne sous pression qui voyait déferler l’ennemi sans être certaine de pouvoir l’arrêter. Sans compter sur tous ces jeunes fous de guerre qui croyaient mieux connaître le boulot de l’Eurocorps qu’un vieux de la vieille comme lui. « Attention ! hurla alors une voix dans les haut-parleurs. Attention ! Hélicoptères russes en approche ! » Les techniciens levèrent alors la tête, arborant des mines déconfites. Leurs visages noircis par la fumée trahissaient leur appréhension. Décidément, les russkoffs se montraient de plus en plus audacieux, ce qui n’augurait rien de bon. Marlowe, qui avait senti son cœur se crisper, savait qu’il devait prendre les choses en main. Retrouver les vieux réflexes. Car cet instant fatidique qu’ils attendaient tous approchait à grands pas. « Préparez-moi un groupe de Furies ! vociféra-t-il en levant un poing rageur. Nettoyez-moi le ciel ! Je veux le rapport de la reconnaissance dans la salle d’op immédiatement ! » S’assurant d’abord de la célérité d’obéissance de ses soldats, il rejoignit précipitamment la salle de contrôle des opérations. La sirène antiaérienne s’était mise à pousser 10


sa plainte lancinante, les hommes jetaient des regards inquiets vers le ciel. La guerre était plus proche que jamais. La partie allait être sifflée, et pour la première fois de sa carrière, Marlowe jouerait à domicile. Dans le local crûment éclairé des pilotes, c’était l’effervescence ! Les hommes qui se tenaient prêts depuis des heures abandonnaient leurs cafés fumants, bondissaient sur leur casque et sprintaient sur le tarmac où les attendaient une dizaine de Furies d’Assaut. Leur sphère imposante, d’un peu moins de huit mètres de diamètres, contrastait avec la finesse de leurs ailes rétractables qui paraissaient bien frêles. Mais c’était sans compter sur le Kalanium, métal artificiel sur lequel se basait toute la technologie européenne : blindages ultrarésistants, explosif plus dévastateur que l’uranium, et sans radiation pour couronner le tableau ! Des années de recherche intensive pour une gamme d’appareils au potentiel destructeur monstrueux, des engins ultra-sophistiqués qui remplaçaient peu à peu les aéronefs classiques et assureraient la supériorité militaire européenne pour plusieurs décades. Enfin, c’était ainsi qu’on leur avait vendu ce miracle technologique… La réalité avait été une véritable douche froide. « On se revoit là-haut ! » L’heure du décollage, l’heure des rituels. Erik Jørgensen était originaire de la Région Norvégienne, aujourd’hui envahie. Ce trentenaire pâle et mince, aux yeux couleur de givre, avait participé aux derniers combats avant la retraite, manœuvrant sa Furie au milieu de l’en11


fer de Trondheim à Oslo, échappant de peu à la mort. Depuis ces jours sombres, il saluait toujours son ancien copilote de la sorte. Maxence Ortenfeld, que tous appelaient le Prussien, un dur à cuire avec qui il avait tenu la danse contre les russkoffs. Désormais chacun pilotait sa propre Furie, mais leur lien restait étroit, ils combattaient en duo, veillant l’un sur l’autre. « Je préfère qu’on se revoie en bas ! » répliqua Maxence comme à chaque fois. Un signe du pouce et Erik fermait la mentonnière de son casque. La rampe d’accès située derrière la Furie était béante, prête à l’avaler. Juste au-dessus, la bulle de mitrailleuse était déjà occupée par l’artilleur, qu’il salua à son tour avant d’embarquer et de se frayer un chemin jusqu’au cockpit. En un clin d’œil son nouveau copilote s’était glissé à ses côtés, préparant les moteurs au décollage. Son partenaire lui jeta un regard affligé. Depuis que son camarade avait bousillé une Furie dès le décollage, tous s’étaient mis à l’appeler méchamment « Crash-Test ». « Cette fois ça sent le roussi, fit-il remarquer. — Ça m’étonnerait qu’ils nous sortent déjà le grand jeu, les Ricains viennent juste de partir… — Comme si on avait besoin d’eux », lâcha le copilote en fermant son casque. Erik lui jeta un regard en coin. À croire que son acolyte vivait une autre guerre… « On a besoin de tous nos alliés », rétorqua-t-il avec insistance. Il suffisait de voir comment l’Union Africaine était parvenue à prendre les États Arabes Unis en étau et com12


ment la Grande Inde et l’Océanie poussaient les ÉtatsUnis d’Asie au bord du gouffre. Ce conflit était plus mondial encore que les précédents, du fait que chaque continent subissait des combats extrêmes ; des métropoles disparaissaient de la carte. Personne n’était épargné. Les bobines magnétiques de la Furie firent s’élever l’engin au-dessus du macadam, puis la poussée de ses deux puissants réacteurs la porta en un battement de cil dans le ciel de plomb. Les ailes rétractables jaillirent comme deux tresses entourant la tête d’une jolie femme. Erik aimait bien cette analogie, allez savoir pourquoi. « J’ai déjà des appareils ennemis sur le radar. — Que disent les rapports Euronet ? — Qu’il en arrive un paquet », pesta Crash-Test entre ses dents. Autour d’eux la dizaine de Furies fendait le ciel en rugissant. Les nuages sombres et la pluie diluvienne réduisaient la visibilité, mais l’instinct d’Erik lui disait de rester sur ses gardes, car l’ennemi était certainement plus proche qu’il n’y semblait. Et son instinct était la seule chose à laquelle il faisait confiance. Avec Maxence et… Non, il fallait l’oublier. Cette seule pensée pressa son cœur comme un citron et il refoula des larmes douloureuses. Sa Katia, sa petite Katia… L’espace d’une seconde, la Furie perdit son cap. Conscient que son trouble était dangereux pour le groupe, il ravala sa peine et se concentra sur les commandes. « J’en vois aucun, rumina son copilote. T’es sûr que le radar est OK ?

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— Bien sûr que non, grinça-t-il avec acidité, je vole toujours avec un appareil HS ! » D’un geste agacé, Jørgensen saisit son micro et le rapprocha de sa bouche pour couvrir le ronflement des moteurs dans le cockpit. « Maxence, tu repères quelque chose ? » La voix de son camarade lui parvint avec quelques parasites. « Ils ne sont pas loin, j’ai dû couper l’alarme à cause de la saturation… » Les Furies avaient survolé les terres vertes de l’Humberside, leurs moteurs hurlant au-dessus des maisons barricadées et des camps militaires. Le sol qui défilait à présent était plus rocailleux au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient de la côte – et de la flotte russe. Lorsque les falaises furent clairement visibles, les détecteurs d’urgence commencèrent à s’emballer. Les lumières orangées parcouraient les entrailles des engins comme une montée d’adrénaline mécanique. « Mais où sont-ils ?! — J’en ai… » Maxence fut coupé par une détonation violente et ils esquivèrent de justesse leurs camarades qui rompaient la formation ! Des traînées de missiles fusaient droit vers eux et les formes menaçantes des hélicoptères Skot et Baer russes sortirent du néant, tel un essaim de l’enfer. Erik lança sa Furie dans une manœuvre d’évitement qui fit bruyamment valdinguer quelque chose dans la soute. « Encore un technicien qui a oublié de ranger ses… »

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Les commandes fermement agrippées, il se lança dans une vrille et piqua vers la mer. Son casque était soudainement devenu une étuve, la sueur suintait sur sa peau. Le cœur battant à cent à l’heure, il serrait les dents aussi fort que les poings et jetait des regards frénétiques vers sa console. Les hélicoptères étaient à portée à présent, mais leur nombre semblait s’accroître de seconde en seconde. « Bon sang ! Max, combien y en a ? » Comme pour lui répondre, un bip annonça l’allumage d’un nouveau voyant. « On a été lockés ! paniqua Crash-Test en se cramponnant à la console. — Accroche-toi à ton caleçon ! » rugit Jørgensen avec énervement. Il partit d’une remontée spectaculaire et poussa les moteurs à fond pour s’enfoncer littéralement dans la première vague de Skot ! Les appareils ennemis se désorganisèrent autour de lui pour éviter les collisions et il profita de la confusion pour tirer des rafales au Kalanium. Deux hélicoptères d’Interception touchés, une explosion, une carcasse percutant un troisième appareil, et voilà qu’il replongeait, pris en chasse par cinq autres. « T’es malade ! gémit le copilote plus qu’il ne s’indigna. — C’est comme ça qu’on les sème, mon gars ! » lança le Norvégien pour tromper sa propre anxiété. Le ciel grouillait d’aéronefs, les Furies et les hélicoptères se mélangeaient dans un ballet mortel au-dessus de la mer en colère. Les explosions faisaient office d’éclairs dans ce maelström de métal ! Les pilotes redoublaient 15


d’agilité pour esquiver et feinter, mais malgré leur blindage proportionnellement supérieur à leurs armes, les Furies ne tiendraient pas longtemps, Erik en était parfaitement conscient. Le radar était saturé, les alertes se coupaient sous la surcharge. Alors qu’il faisait une boucle plus que serrée pour revenir en face de son poursuivant, il lâcha un missile et plongea vers la mer du Nord. D’un bref coup d’œil, il remarqua d’immenses hélicoptères cargos à deux ou trois rotors. Ce n’était pas une avant-garde. « Max ! C’est une flotte d’invasion ! » Le silence prit le pilote aux tripes. L’espace d’un instant, il sentit son cœur lâcher, imaginant déjà la scène d’une Furie pulvérisée et de son ami disparaissant dans les flots. Il fallut deux bonnes minutes à Maxence pour répondre d’une voix cassée : « On a perdu six Furies ! » Respirant soudain plus librement, Erik hocha gravement la tête. « On rentre immédiatement ! beugla-t-il sur le canal commun. On dégage de là ! » Les engins européens se dégagèrent sans peine des combats. Les Russes ne semblaient pas pressés d’en finir, comme si le résultat final se suffisait à lui-même. Leur vitesse maximale supersonique leur permit de distancer l’aviation adverse. Mais ce n’était malheureusement que partie remise. Et de quelques heures à peine. « Si on ne reçoit pas de renforts, on risque d’avoir de gros problèmes, grommela Erik en essuyant la sueur de son front.

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— Hoffnung stirbt zuletzt comme on dit chez moi ! rétorqua Maxence sur un ton moins défaitiste. » Calmé par la maîtrise de son camarade, Erik se permit un sourire. « C’est quoi ton charabia germanique ? — L’espoir meurt le dernier, traduisit Max. J’espère que ce proverbe ne me fera pas mentir… » Franck Nolson, dit Frankie la Cartouche, un jeune fantassin bien bâti originaire de la Région, se préparait depuis des heures à l’ordre fatidique. Jusque-là, l’infanterie avait été poliment cloîtrée dans ses quartiers – pas de risque, pas de déploiement. Il fallait dire que la presse avait les objectifs braqués sur eux. Ils étaient l’essence de l’Eurocorps, ils étaient l’Armée. Restez sereins, leur avaiton dit. Et là, soudain, le lieutenant Followay était moins rose que d’habitude. Il était plus sec, ce mou du ventre. En temps ordinaire Frankie aurait trouvé ça intéressant, voire inespéré. Mais là, il savait que ça sentait mauvais pour eux tous. « Par sections, suivez vos attributions ! beugla le lieutenant. Les unités dormantes vous vous taperez les défenses de la caserne ! » Grognement dans la masse, les unités dormantes, des civils rappelés sous les drapeaux après leur service militaire, n’avaient eu que quelques jours pour se reformer. Quelques jours, au lieu de quelques semaines ! La plupart étaient plus enrayés que les fusils de leurs grands-pères, complètement dépassés par l’ampleur de la tâche à accomplir. De vraies catastrophes ambulantes ! Frankie, lui, 17


était bien formé, excellemment formé. Bien qu’il ne soit pas particulièrement grand, son corps tout entier témoignait des heures d’entraînement intensif auxquelles le jeune homme se soumettait pour devenir le meilleur. Il avait même été sélectionné dans un bataillon de classe E – l’élite. Mais il n’avait pas encore reçu la confirmation du Haut Commandement Suprême. Surtout que ce dernier était un peu bousculé depuis que les russkoffs l’avaient chassé d’Oslo. « Hey, Frankie, comment tu la sens aujourd’hui ? lui lança Niels, un camarade de chambrée. — Mauvaise. — Sans déc, je croyais qu’on gagnait la guerre ! » Son cynisme était presque devenu lassant. Quelques mois plus tôt, on l’aurait conspué et accusé de défédératisme, mais aujourd’hui, plus personne n’y croyait vraiment. Franck avait tenté de prévenir sa famille, dans le centre urbain. « Faites vos valises, louez un appartement en Région Portugaise ! » Mais ni son père bedonnant ni sa mère aux cheveux gris n’avaient voulu quitter la « ville familiale ». Ville qu’il devrait défendre contre l’envahisseur comme l’exhortait papi Nolson, qui avait fait l’Irak. Après, tirer dans le tas, il savait faire. On ne l’appelait pas Frankie la Cartouche pour rien ! Pourtant cette fois, non, cette fois il ne la sentait pas du tout. Les groupes sortaient des bâtiments pour recevoir la gifle pluvieuse que leur soufflait le ciel britannique. Des VAB, des engins blindés trapus qui avaient fait leurs preuves depuis la fin du XX e siècle, attendaient sous les trombes, trappes arrière ouvertes. D’autres fantassins en 18


tenue de combat les appelaient à se dépêcher. Tous portaient l’uniforme bleu sombre de l’Eurocorps, avec les plastrons de protection, bardés de grenades, et surtout leur terrible Famas M3 dans les bras. Le casque ultrasophistiqué sur leur crâne rasé, chaque soldat ressemblait plus à un automate qu’à un être humain, une machine de guerre prête à offrir la mort. Franck et Niels embarquèrent côte à côte dans un des transports blindés. Écrasés les uns contre les autres, ils avaient au moins la satisfaction de se réchauffer. Lorsque les portes se refermèrent, une lumière orange baigna la troupe silencieuse. L’engin se mit en route, et les hommes fixèrent leurs rangers. La fatigue, le stress et le sentiment indélébile de rouler vers une énième défaite les cassaient moralement et physiquement. Tous avaient en bouche cette amertume mêlée de vieux café et de cigarette froide. Après quelques minutes – ou dizaines de minutes, qui avait compté ? – les vibrations cessèrent et l’ordre de sortir jaillit des haut-parleurs. Les deux soldats en bout de soute agrippèrent le loquet et les deux portes battantes s’ouvrirent pour laisser sortir le flot de fantassins. Franck mit du temps à se repérer, il y avait des arbres, un quartier pavillonnaire, de longues rues vides, une fontaine. Le nouveau Quartier Vert. Il ne faisait pas ses dix ans tant son aménagement avait été bien pensé. Les maisons étaient propres, belles et colorées. Les jardins asymétriques donnaient à l’ensemble un aspect moins urbain grâce au cours d’eau artificiel qui serpentait entre les terrains. Côté cour, c’était un véritable petit coin de nature,

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comme un parc cloisonné de clôtures aux formes diverses. Côté rue, en revanche, les rangées de boîtes aux lettres étaient alignées, et derrière des rideaux entrouverts, des regards curieux et craintifs. Espacés les uns des autres d’une centaine de mètres, les VAB avaient pris possession de la route. Les fantassins se déployèrent dans les voies adjacentes. Car il était fini le temps des guerres de banlieues. Aujourd’hui, quand on débarquait quelque part, c’était au centre urbain. Noyauter la cité et la pourrir de l’intérieur, c’était ça le but du jeu. Désormais, les Européens attendaient les Russes de pied ferme… devant leurs propres maisons. Frankie savait que, à moins d’un kilomètre de là, ses parents s’occupaient dans leur salon douillet. Inconscients du danger, ou plutôt l’ignorant volontairement. « Manœuvre classique russkoff ! » répéta le lieutenant Followay, son Famas M3 à la main. Les regards entendus se croisaient, s’encourageaient, et scrutaient le ciel avec angoisse. Lorsque quelques Furies quadrillèrent la voute de plomb, les hommes comprirent que l’heure H approchait inexorablement. Le lointain bourdonnement des hélicoptères était déjà perceptible pour qui l’avait trop souvent côtoyé. « Cette fois, ça y est… » Franck s’était posté genou à terre derrière le muret blanc d’un petit jardin. La maison qu’il protégeait était peinte d’un bleu très clair, les volets étaient clos, une lueur filtrait à travers les sauts-de-loup. La famille avait pris ses précautions. Si seulement les parents et papi pou20


vaient faire de même, soupira intérieurement Frankie. Il jeta un coup d’œil à Niels, accroupi derrière un arbuste. Il leva son pouce en retour à son signe de tête. C’était un brave type, pas toujours très futé mais il tenait la descente, c’était déjà un bon point. C’était aussi un accro de la caféine au petit déjeuner, le genre de café à récurer une chiotte slaviste. Une horreur, même avec quatre sucres. « Tenez-vous prêts ! » Les hommes se tordaient le cou pour épier les nuages, le bourdonnement devint clairement audible. Ça y est, se répéta-t-il en serrant nerveusement son Famas, on y est. Le ciel était pourtant toujours aussi vide, horriblement vide. À tel point qu’un soldat s’esclaffa lorsqu’un hélicoptère apparut, très haut dans la grisaille de plomb. Frankie plissa les yeux pour voir s’il s’agissait d’un Skot ou d’un Baer. Puis il secoua la tête. Après tout, on s’en foutait complètement. Soudain un grondement, un vrombissement, et au loin, des tirs de rafales. L’ennemi avait posé pied à terre, la partie pouvait commencer. Quelques secondes plus tard, plusieurs Skot survolèrent le quartier à toute allure, sans faire feu cependant, essuyant quelques cartouches de Famas. Les tirs, à l’est, se rapprochaient, des cris vaguement… « Ils ont des Bizarroïdes ! » Bizarroïde, un mot bien incongru, presque grotesque, qui cachait pourtant une monstruosité militaire. L’Europe avait jusque-là été à la pointe de la haute technologie avec sa gamme de Furies. Mais durant la guerre, la Russie Indépendante avait développé une technologie similaire. 21


Leur arme la plus répandue restait une sorte de char profilé capable de s’élever à faible altitude. Sa forme indéfinissable lui avait valu ce nom usuel par les Européens. Bizarroïde. « Et merde ! » jura Niels en crachant. Ça allait chier, aucun doute là-dessus. Et si des chars Furie ne se ramenaient pas dans les prochaines minutes, ce serait cuitas les bananas en quelques instants. De la fumée s’élevait maintenant de l’autre pâté de maisons sans que rien ne bouge autour d’eux. Une terrible détonation, à plusieurs centaines de mètres de là secoua le quartier, mais toujours rien. Franck se mordillait les lèvres. Il avait vraiment un mauvais pressentiment. Le grincement de chenilles ne laissait planer aucun doute : la menace se confirmait, il y avait bel et bien des Bizarroïdes. Le bruit montait en puissance, mais les rangées de pavillons l’étouffaient étrangement. Des fracas éclataient de temps en temps, et surtout de longues séries de rafales, des cris et des ronflements de moteur. D’autres hélicoptères traversèrent les nuages, puis des Furies, puis le ciel fut saturé des hurlements des réacteurs. Mais toujours pas un mouvement dans leur rue. En revanche, on distinguait au loin les premières colonnes de fumée par-dessus les toits. — Tenez-vous prêts ! cria tout de même Followay pour maintenir la garde de ses hommes en éveil. Tiens, ça lui réussit la guerre, songea Franck avec une moue surprise. Le lieutenant prenait les choses en main, il y avait donc peut-être un Dieu finalement – même si on n’avait plus le droit de le vénérer aux États-Unis d’Europe. 22


Alors qu’il perdait le fil de ses pensées, le jeune homme fut pris de court quand une résidence pavillonnaire explosa au bout de la rue. Immédiatement, il raffermit sa prise sur le Famas et scruta l’angle du quartier. La ruine ne fumait pas beaucoup sous cette pluie diluvienne. Le silence des abords immédiats éclata comme une bulle de savon lorsque la forme aérodynamique et grisâtre d’un Bizarroïde apparut au bout de la route. Son blindage était noirci par des roquettes mais, à part quelques déformations, il semblait intact. La tension monta d’un cran, tous les hommes prièrent pour que la prochaine roquette détruise ce monstre de métal. Ils retinrent leur souffle lorsque deux traînées de feu filèrent droit sur lui, attendant plein d’espoir de voir les deux tirs exploser sur sa coque… avant d’ouvrir grand la bouche en constatant que le Bizarroïde continuait sa route, ses mitrailleuses entrant en action. Les façades de bois des maisons volèrent en éclats tandis que celles en béton encaissaient durement les rafales. Vitres et volets furent pulvérisés, des arbres quasiment sectionnés et plusieurs cheminées s’écroulèrent : l’engin tirait partout, au hasard. Mais sa stratégie était efficace, car il provoqua un vent de panique dans les troupes européennes. « Restez en position ! » ordonna Followay avec fermeté. Facile à dire ! Des hommes s’étaient déjà écroulés et leur sang se répandait sur les pelouses bien tondues. Certains traversèrent la rue tête baissée, les tirs en happèrent quelques-uns dans d’horribles gerbes pourpres. Les restes

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méconnaissables de leurs camarades donnaient la nausée aux fantassins traqués. « Niels, tu restes de ton côté de la route ! » gronda Franck en voyant son ami hésiter entre deux positions. Avec un rythme d’enfer, l’engin russe avançait vers eux, défonçant un des VAB restés sur place. Ses chenilles craquelaient le bitume, et sa silhouette menaçante faisait tourner ses mitrailleuses dans toutes les directions. Parfois un tir de ses canons principaux venait disloquer une maison qui se dispersait en fragments semblables à de simples allumettes. Les planches et plaques de plâtre s’écrasaient dans les jardins et sur la route. Et le mastodonte avançait, avançait sans cesse. « Nom d’un chien », jura Frankie en voyant un deuxième Bizarroïde apparaître derrière son acolyte destructeur. Le feu nourri se multiplia par deux, ravageant le quartier entier. La technique russe était la même que d’habitude : la terre brûlée 2.0. Ce qui est saccagé est acquis, l’adversaire n’a plus de raison de le récupérer. Et les russkoffs pratiquaient cette méthode sur des villes entières. Cette région serait une tête de pont, il leur fallait pousser l’ennemi à lâcher prise – en menaçant de tout détruire, sachant que les Européens résistaient mal à cette politique. Ils avaient beaucoup trop peur de perdre leurs acquis, Moscou l’avait très bien compris. « Qu’est-ce qu’elles foutent ces putains de Furies ? » beugla Followay dans sa radio, le visage livide. Le Bizarroïde de tête n’était plus qu’à deux cents mètres de Franck qui commençait à trembler. L’engin mi24


traillait les barrières et les clôtures des propriétés, tuant de nombreux soldats sous les yeux horrifiés de leurs camarades. Des rigoles de sang se diluaient dans l’eau de pluie. « Feu ! » hurla quelqu’un à pleins poumons. Franck jeta un regard halluciné derrière lui et entrevit deux tubes lance-roquettes au Kalanium disparaître derrière un muret, alors que deux traits de fumée fusaient au-dessus de lui, droit vers le blindé russe. Il tourna la tête juste à temps pour se faire arracher la rétine par une vive lumière, puis une terrible détonation lui déchira les tympans. Une onde de choc fracassa les vitres qui avaient tenu le coup jusque-là, et la lumière décrut, révélant une carcasse de métal enflammée. « Bien joué les gars ! » exulta Followay depuis son point d’appui, à une dizaine de mètres de là. Le second Bizarroïde s’immobilisa et ses deux canons semblèrent rechercher la source des tirs. Il lâcha quelques salves terribles qui ravagèrent une maison et son garage attenant. Des rafales crépitaient de tous côtés pour perturber l’engin – à défaut de le détruire. Deux nouvelles roquettes européennes jaillirent de nulle part et la rue s’illumina à nouveau une fraction de seconde. Le blindé se remit alors en mouvement, à la grande détresse de tous les fantassins. « Il n’est pas encore HS ! » Franck observa le monstre de métal et remarqua que ses deux canons principaux étaient hors d’usage, mais que ses mitrailleuses n’étaient pas prêtes d’arrêter leur carnage ! Les soldats de l’Eurocorps avaient commencé 25


un repli retardateur, mais la manœuvre s’accéléra quand un troisième Bizarroïde apparut derrière celui moribond. Sous les ordres de Followay, Franck se détacha de sa position et se mit à reculer par pallier, Niels sur les talons. « On passe derrière le lotissement ! » lui dit Franck avec un mouvement de Famas. Comme beaucoup d’autres, ils avaient bifurqué perpendiculairement pour s’éloigner de la vue des blindés. Ils couraient maintenant dans une rue semblable à l’autre, propre et vide. Mais soudain, à l’angle d’un carrefour, un grincement de chenille ! « C’est pas vrai ! pesta Franck en attrapant Niels par le bras. Planque-toi ! » Les soldats se précipitaient dans les cours et les terrains aménagés, se mettaient à l’abri derrière les maisons. Franck n’échappait pas à la règle. D’un bond, il avait franchi un petit mur de brique et traversé un jardin aménagé avec une coquette balançoire. Avec Niels, ils longèrent la façade pour mettre le pavillon entre eux et le mastodonte mortel. Le cœur battant, ils s’accroupirent contre le crépi et s’accordèrent quelques secondes pour reprendre leur souffle. « On doit rebrousser chemin, ahana Niels le visage rouge. — Si on revient sur nos pas on va croiser l’autre, maugréa Franck la tête basculée contre le mur. — Alors on est coincés ? déduisit son camarade d’une voix morne. Bordel, qu’est-ce que je ferais pas pour un bon café brûlant…

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— Un peu de civilité, Niels, c’est tea time », plaisanta Frankie pour évacuer sa tension. Deux hélicoptères rasaient les toits quand soudain l’un d’eux se disloqua dans une boule de flammes et s’écrasa lourdement entre deux habitations. Franck scruta les nuages, espérant entrevoir une Furie mais il n’y avait rien, hormis une légère traînée de fumée qui partait d’une arrière-cour. Un lance-roquettes. L’abattage de l’appareil sembla aiguiser la méfiance du Bizarroïde qui s’était immobilisé – Franck n’entendait plus ses chenilles. Il y eut de tonitruantes détonations, détruisant résidence après résidence. Chaque explosion serrait le cœur du soldat, car il ne pouvait s’empêcher de songer aux familles ensevelies sous les décombres de leur propre foyer… S’ils continuaient à se protéger derrière les logements civils, c’était le massacre assuré, mais en même temps, avaient-ils le choix ? Qui dit combat urbain dit dommages collatéraux. C’était une loi immuable de la guerre. Les chenilles gémirent à nouveau, coupant court à ses réflexions. Il fallait se décider à bouger ! Franck se releva promptement et se glissa le long de la façade jusqu’à une petite terrasse décorée de plantes. La pluie se faisait moins forte à présent. « Il arrive, murmura-t-il à l’attention d’un Niels pâlot. On va passer de l’autre côté et sauter les clôtures… » À quelques kilomètres de là, les Furies sillonnaient le ciel du centre-ville pour tenter d’endiguer le débarquement russe. D’énormes hélicoptères cargos à trois rotors 27


vomissaient des Bizarroïdes par dizaines ! Et des soldats, par grappes entières ! Les Skot tenaient les Furies occupées, tandis que l’ennemi commençait déjà à s’infiltrer dans toute la ville. Des combats de rue enflammaient le centre historique, la Marine adverse repoussait la flotte européenne dans l’estuaire du Humber, menaçant les chantiers navals. L’immense port aménagé pour les grands navires de commerce était une tête de pont idéale pour lancer une invasion des terres. D’un autre côté, il fallait aussi défendre les nombreux monuments historiques de la ville, la Holy Trinity Church ou encore la prestigieuse université de Kingston… Depuis la salle de contrôle des opérations, située dans un bunker souterrain, John savait qu’il faudrait faire un choix. Un choix douloureux que les Russes imposaient aux Européens, ville après ville, Région après Région… La « salle d’op », comme on la surnommait, était assez vaste et se trouvait occupée par une équipe de conseillers tactiques qui donnaient des ordres aux différentes unités sur le terrain. Des sous-officiers traitaient des données récoltées par les Furies et les satellites devant des ordinateurs à écran plasma ultrafin. La lumière était apaisante, le drapeau fédéral pendait à un mur de béton. La table de contrôle tactique, au centre des dispositifs de communications et d’analyse, était interactive, une sorte d’énorme écran horizontal à contrôle tactile. La carte de Kingston-upon-Hull brillait en vert et affichait les unités de combat, l’Eurocorps en bleu, l’Armia russe en jaune. Les satellites européens indiquaient difficilement les positions humaines, Marlowe devait donc bien souvent se 28


contenter des positions d’appareils, Furies, hélicoptères, chars, Bizarroïdes… Un appel via Euronet l’avait informé que lesdits satellites étaient déjà fortement mobilisés, les engins ennemis débarquaient en masse sur les côtes anglaises. Grimsby en était déjà à l’évacuation, une honte pour le colonel qui maudit le défenseur de la ville. Il n’avait guère tenu longtemps. « Colonel, l’interpella un lieutenant devant son écran de contrôle. La flotte s’enfonce dans l’estuaire… — Que font les cuirassés ? pesta Marlowe en faisant défiler la carte sous ses doigts. — Les russkoffs en ont coulé deux, colonel. » Deux ? Il compta mentalement ses unités et jura intérieurement. Deux ! Contre toute attente, les corvettes tenaient plutôt bien le coup. Il n’y avait plus qu’à prier pour que les navires de ravitaillement ne soient pas envoyés trop tôt par le fond. « Et comment s’en sortent les Furies ? — Elles sont débordées, colonel… — Balancez-moi une vue satellite en direct ! » Sur un immense écran encastré dans le mur, les données techniques qui défilaient jusque-là furent remplacées par une vidéo vue de l’espace en temps réel. Les engins volants se croisaient et formaient en explosant de petites taches lumineuses. Étrangement, les hélicoptères russes semblaient se rassembler massivement au-dessus de la cité. On distinguait – avec un peu de pratique – les formes sombres des chars et des Bizarroïdes. Le centre-ville s’embrasait à vue d’œil, les points lumineux sur la console tac-

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tique se répandant comme de l’eau entre les cailloux d’une rivière. Le colonel les regardait distraitement, plongé dans une rêverie nostalgique teintée d’inquiétude. Il tressaillit lorsqu’on l’appela et réalisa avec effroi qu’il décrochait. Lui, le vieux roublard, il décrochait ! Il baissait les bras ! « Colonel ! La vidéo satellite ! » Marlowe jeta un œil préoccupé vers l’écran mural et retint son souffle. Des petits points blancs fleurissaient sur l’image, d’abord des dizaines, puis des centaines de points blancs ! « Et merde ! » John frappa rageusement le cadre de sa console. Il ne manquait plus que ça ! Des parachutages ! Dans quelques minutes toute la ville deviendrait un véritable coupegorge… Il fit afficher sur sa carte interactive la position de ses sous-officiers dont le casque possédait un émetteur et observa la disposition des forces en présence. La seule chose qui était sûre, c’était que les Européens seraient dépassés. L’ennemi emportait largement les pronostics grâce à sa supériorité numérique. Le silence de mort qui planait dans la salle souterraine devenait insoutenable, et son cœur se serrait plus douloureusement de seconde en seconde. Il n’entrevoyait pas de solution miracle… « Accélérez l’évacuation des civils ! » asséna-t-il à son équipe. Les transports Furie, qui devaient en temps normal servir à déployer les fantassins en terrain ennemi, avaient été pour le coup convertis en canots de sauvetage improvisés. Une bonne idée, la dernière peut-être. 30


« Un rapport du Haut Commandement Suprême, mon colonel. » Il soupira et afficha dans le coin en bas à gauche de sa carte une fenêtre de texte. Il hésitait à se lancer et désirait ardemment pouvoir secouer la tête et sortir de ce cauchemar infernal ! Ses pensées allaient à sa femme qui attendait de ses nouvelles dans leur magnifique villa de Leeds, à cinquante petits kilomètres de là… Avait-elle déjà des images sur Euromédia ? Prenait-elle conscience de la catastrophe qui s’abattait sur leur île ? Il fixa le téléphone posé sur son socle, à côté de l’écran tactique. Mais il n’esquissa pas un geste. S’il appelait sa femme pour lui ordonner de fuir en Région Irlandaise ou Française, il admettrait devant tous ses hommes qu’il n’avait plus d’espoir pour Kingston. S’il ne le faisait pas, elle réaliserait trop tard que les Russes étaient proches, si proches, et que son mari avait échoué. Il pouvait aussi décider de sortir de cette salle et de réquisitionner un hélicoptère ou une Furie, il aurait alors le temps de l’emmener loin de cet enfer. L’idée était tentante, si on oubliait qu’il manquerait à son poste et passerait pour un lâche, un traître. Adieu la retraite, bonjour la prison fédérale, ou pire… John se décida enfin à regarder le rapport et le regretta aussitôt. Son inquiétude se mua en horreur : Grimsby assaillie, Bridlington occupée, Middlesbrough à feu et à sang, Sunderland débordée… Presque deux cents kilomètres de côtes assiégées ! Il semblait également évident que l’Armia tentait de s’interposer entre les Régions Anglaise et Écossaise, probablement pour empêcher tout 31


soutien aux défenses de cette dernière. Les grands centres pétroliers et gaziers de la Région Écossaise avaient jusqu’ici été excellemment protégés, cela ne durerait plus. Il se pinça le haut du nez, les paupières closes par la lassitude. Autour de lui plusieurs paires d’yeux attendaient impatiemment d’avoir droit aux nouvelles. À la vue de son visage, les épaules des sous-officiers du bunker s’affaissèrent. Le colonel tentait de réfléchir pour trouver les bons mots, et pourquoi pas la bonne tactique… Mais il n’y avait rien à faire, ils étaient écrasés, point barre. « La résistance à Newcastle upon Tyne est solide, dit-il sans conviction. — Ils s’enfoncent dans les terres, fit remarquer un jeune homme au visage blanc comme un linge. Ils nous piétinent ! — Silence ! ordonna John plus fermement. — Pourquoi on n’a pas de renforts de Furies ? demanda un autre la bouche entrouverte. — Elles arrivent… mentit Marlowe. Il faudra attendre un peu… » Attendre ! Ils n’avaient plus le temps, et le rapport était formel : pas d’appui avant plusieurs heures… Il serait trop tard dans plusieurs heures ! On lui promettait des Furies d’Assaut Lourdes, dernier modèle, mais à quoi bon s’ils étaient déjà tous refroidis ? Son regard balaya la salle avec une confiance feinte. S’il avait nourri quelque espoir concernant des renforts in extremis et un soutien du Haut Commandement Suprême, ce rapport lui renvoyait au visage sa naïveté de vieillard idéaliste. Il n’était pas fait

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pour cette guerre, il était d’un autre temps, il le savait… et il réalisait que, maintenant, tout était perdu. Dans les airs, les combats étaient aussi acharnés qu’au sol. Un ballet mortel se jouait entre hélicoptères et Furies pour le contrôle du ciel, et les carcasses enflammées s’écrasaient de temps en temps, éventrant les immeubles. Erik avait les doigts agrippés aux manettes de son engin, les dents serrées, le regard lourd. Esquives, parades, tirs, sa Furie fendait la bataille aérienne à vive allure : les Russes étaient partout ! Centre-ville, centre culturel, université, quartiers résidentiels… Seul le port se défendait encore plus ou moins. Cette vision d’horreur lui renvoyait les flashs de la bataille fatidique, le combat qui le marquerait à jamais dans sa chair et son cœur. Les images défilaient devant ses yeux : Bergen, en Région Norvégienne. Une métropole moderne aux tours brillantes jouxtant les maisons traditionnelles en bois, si colorées, un petit paradis scandinave… ravagé, saccagé, décimé par l’armée ennemie. Les derniers fantassins résistaient héroïquement pour défendre les zones résidentielles… Et dans l’une des milliers de maisons qu’il survolait alors dans sa Furie, il y avait Katia. Pleurait-elle ? L’attendait-elle ? Croyait-elle qu’il saurait sauver Bergen – et elle ? Il n’en avait jamais rien su. Il pouvait encore voir ces lumières intenses et ces époustouflantes fleurs de feu qui s’élevaient au-dessus du champ de ruines. Et pas seulement dans ses cauchemars, non… Cette vision d’horreur se répétait ailleurs en Europe. Encore, et encore, et encore. 33


Les bombes au Kalanium ravageaient désormais la nation qui les avait inventées… « Erik, qu’est-ce que tu fous ! lui hurla Crash-Test en gérant lui-même le pilotage de la Furie. — Quoi ? sursauta-t-il. — J’arrête pas les manœuvres d’esquive ! On n’a pas le temps de rêver ! » Cauchemarder, tu veux dire… « Hé, le Prussien ! Tu me reçois ? lança-t-il dans le micro de son casque pour ignorer cet imbécile. — Cinq sur cinq, mais ça va pas durer ! répondit Maxence Ortenfeld. Je quadrille le centre-ville et c’est plutôt chaud ! Plus on sera de fous, plus on rira, tu vois ce que je veux dire ! — Je fonce vers toi ! » répondit-il en reprenant le contrôle de son engin. Il poussa les moteurs et mitrailla tout ce qui passait dans son champ de tir. « Demande des consignes ! » ordonna-t-il sèchement. Une alerte clignota soudainement et la Furie encaissa une rafale sur l’aile gauche. Une terrible vrille en chandelle permit à Erik de limiter les dégâts, il rétablit son appareil et poussa un juron bien senti. Il n’eut presque pas le temps d’esquiver l’hélicoptère Skot qui arrivait en biais et tira un missile à regret. L’appareil ennemi explosa et la Furie percuta quelques débris en flammes. « Heureusement qu’on est bien blindé, hein ? » lança-til à son acolyte presque vert.

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Mais l’engin qui l’avait verrouillé ne lâchait pas prise ! Le Baer russe se faufila dans la bataille et rétablit son réticule de tir, faisant hurler les alertes de sa machine. « Il lâche pas le morceau ! » Erik accéléra brusquement, tandis que dans le dos de la Furie, l’artilleur dans sa bulle faisait tout pour intercepter l’hélicoptère. Des esquives, des tours de passe-passe, mais rien n’y faisait ! Le pilote décida donc – sans consulter le pleutre du siège d’à côté – d’employer la méthode forte. Une violente poussée et un virage sec sur la droite firent presque se retourner le bolide qui se stabilisa grâce à ses bobines magnétiques. Puis il arma un missile et fonça droit sur le Baer. Ce dernier, trop surpris, ne réagit pas assez vite : le projectile fusa sur lui et l’explosa en plein vol ! Quant à la Furie, elle avait déjà plongé sous la boule de feu et volait entre les buildings du quartier des affaires. Un Skot qui se faufilait entre les immeubles surgit alors et les reprit en chasse. « C’est pas notre journée », maugréa Jørgensen en restant en rase-mottes. La Furie volait avec une certaine lenteur pour continuer à slalomer de rue en rue sans dépasser le plafond des tours de verre et de granit. Elle tourna brusquement à un carrefour, faisant vibrer les vitres des buildings. Le Skot la collait de près. Des rafales frôlèrent l’engin européen, ricochant parfois sur le blindage de la sphère. Brusquement, le moteur droit détonna et vomit une âcre fumée noire. « Bordel ! » 35


La Furie remonta aussitôt, suivie par l’hélicoptère. Ce dernier, voyant les dommages, songea sans doute qu’il pouvait se payer le luxe de porter l’estocade « à bout portant » et s’approcha vivement, mais il fut aussitôt criblé d’impact : l’artilleur dans sa bulle devait se croire à l’entraînement. Le cockpit du Skot fut défoncé et l’appareil perdit tout contrôle pour finir son vol dans la façade d’une banque. « Hé ! Le Prussien ! Je suis touché ! » L’appareil peinait à garder l’allure et Erik dut ralentir, s’obligeant à raser le sol à nouveau pour éviter d’être acquis. Ce qui n’était guère utile avec la fumée dense qu’il traînait derrière lui. Les gratte-ciel laissèrent la place aux barres d’immeubles. En dessous d’eux, ils entrevoyaient des masses de civils qui se pressaient vers des transports d’évacuations. La silhouette caractéristique en double sphère des Transports Furie côtoyait les énormes hélicoptères transporteurs de troupes. « Max, tu me reçois ? insista-t-il la peur au ventre. Max, réponds ! — On perd le moteur droit, je dois le larguer vite où les durites de carburants s’enflammeront et hasta la vista baby ! pesta Crash-Test. — Alors on devra se poser… » L’engin blessé ralentissait de plus en plus, et les bobines magnétiques étaient mises à rude épreuve pour maintenir l’appareil en vol. Les voyants passaient de l’orange au rouge les uns après les autres. « Largue-le… » ordonna-t-il sans conviction.

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Les durites de carburants se sécurisèrent dès que le moteur se décrocha et s’écrasa sur la route en roule boulant. Agonisante, la Furie parvint à se glisser dans un parc public avant de se poser péniblement. Le moteur gauche émit une longue plainte en refroidissant. Les deux hommes défirent leur harnais de sécurité et se redressèrent en grognant, leurs muscles tendus étaient endoloris. Ils entendirent l’artilleur tousser en descendant les échelons du sas pour les attendre dans la soute. « Et maintenant ? demanda le copilote en vérifiant son pistolet automatique et ses nombreux chargeurs. — Maintenant on ouvre l’œil, répliqua Erik en mettant son baudrier à trois holsters – petit souvenir de la bataille de Kiruna. Le coin doit être infesté de paras russes… » Il sortit du cockpit pour ouvrir le sas arrière. L’artilleur, un pote de bar nommé Mathew, le salua avec un pauvre sourire. Il tenait dans ses mains un Famas M3 et avait attaché des grenades à son plastron, visiblement prêt à tout. « C’est maintenant qu’on s’amuse ? » « Cours, nom de Dieu ! » Les balles de Kalanium défonçaient palissades, bitume, voitures et façades. Un souffle destructeur balayait le carrefour derrière Franck et Niels qui piquaient le sprint de leur vie. Famas dans une seule main, ils se précipitaient de rue en rue pour échapper à la fureur d’un Bizarroïde coriace. D’autres soldats s’éparpillaient dans toutes les directions pour s’enfuir sous ce feu nourri. Plusieurs avaient déjà été fauchés dans leur course contre la mort. 37


« J’ai un point de côté ! gémit Niels à bout de souffle. — Et moi je dois pisser, est-ce que je m’arrête ? » répliqua Franck pour motiver son compagnon. Il bifurqua brusquement sur la droite et plongea derrière une palissade qu’il fracassa de tout son poids. Niels se laissa tomber à ses côtés et ils rampèrent vers le jardin, derrière l’immense pavillon. Épuisés, ils se traînèrent sous un conifère et reprirent péniblement leur souffle. « Quel goût de merde », fit remarquer Niels entre deux hoquets. Franck observa les alentours et découvrit une collection de nains de jardin laids à faire cauchemarder la nuit. Ils entendaient les cris des autres soldats qui passaient à quelques mètres de là. Un grand bruit de bois cassé, et ils virent un fantassin européen claudiquer vers eux. L’homme les remarqua si tard qu’il sursauta et les braqua de son arme. « Du calme ! — Désolé les gars… » L’inconnu s’affaissa contre le mur opposé à la rue. Ses yeux noirs semblaient profondément enfoncés dans sa figure basanée. « Ça va aller ? demanda Niels en voyant la souffrance sur son visage. — On… on s’est fait massacrer ! Bon sang, quatre putains de Bizarroïdes en feu croisé… — Il en vient de partout, cracha Franck le regard lourd. Comment tu t’appelles ? — Antonio… Farrès… — Franck Nolson. 38


— Niels… » Ils reprirent leurs esprits quelques instants, quand soudain une détonation plus forte que les autres les fit tressaillir. Le fracas fit trembler le sol. Un bruit de chenilles monta en puissance. Mais pas de Bizarroïde. Des chenilles de chars européens ! Une bouffée d’espoir leur remplit le cœur et ils se relevèrent pour jeter un œil du côté de la rue. « Tu vois quelque chose ? » La forme massive d’un blindé passa en trombe devant leur maison, et une Furie fendit le ciel avec un boucan d’enfer. Des rafales étaient échangées des deux côtés du quartier. Franck comprit alors que les fantassins russes se mettaient en position et se déployaient dans la ville. « Les russkoffs la jouent enfin à la loyale, grogna-t-il en faisant un signe à ses deux camarades. » La rue elle-même était saturée par le crépitement des mitrailleuses et les échanges de roquettes. Explosion après explosion, des fleurs de feu se muaient en colonnes de fumée montant à l’assaut des nuages. Les trois hommes se mirent à couvert derrière les plots de béton qui supportaient la clôture et se ménagèrent des ouvertures dans le bois pour observer discrètement. Un seul regard leur suffit pour repérer les principales positions ennemies. Certes, les Européens avaient enfin fait bloc, cependant Franck réalisa qu’ils étaient presque arrivés dans les milieux à forte densité de population. Ils étaient refoulés aux limites du centre-ville ! « Merde, on va finir par la perdre cette ville ! » jura Antonio. 39


Nolson lui aurait bien répliqué qu’ils l’avaient déjà perdue depuis longtemps, mais l’heure n’était pas au négativisme. En tout cas pas s’ils souhaitaient survivre au carnage. Une roquette fila trop haut et survola les maisons pour finir sa course dans la façade d’une des premières tours d’habitation. Plusieurs étages vomirent une importante masse de gravats. Les balcons s’écroulèrent sur ceux d’en dessous, entraînant les autres avec fracas jusqu’au rez-de-chaussée. « Cette fois le cœur est touché… On perd, les gars, on perd… — Ta gueule Niels ! le rabroua Franck avec une bourrade. Baisse pas les bras aussi vite ! — C’est sans espoir, Frankie ! » insista son ami d’une voix implorante, alors qu’une grenade explosait à quelques foulées de là. Soudain, un groupe de quatre soldats ennemis traversa la route à trois cents mètres derrière eux, courant en diagonale pour avancer par paliers. Les tirs se déchaînèrent et l’un d’eux fut happé par une lourde rafale. Les autres disparurent derrière une camionnette criblée d’impacts. « Ils se rapprochent… — On va les bloquer. » Franck tenait son Famas bien en main, animé d’une détermination farouche. Il devait montrer l’exemple, garder la tête froide. Il longea la palissade jusqu’au coin de la propriété séparée de sa voisine par une haie de thuyas. D’un signe de la main, il invita ses deux camarades à le rejoindre en silence. Une nouvelle grêle de balles annonça

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une autre vague de tirs d’oppression, mais les cris en disaient plus : les Russes arrivaient en force. La tension monta d’un cran : arrêter une seule unité, pourquoi pas ? Mais une armée ? Le bruit terrible des chenilles des Bizarroïdes semblait revenir de l’enfer, et il n’y avait plus aucune trace du char européen. Une voix qui se voulait basse leur parvint, toute proche. Semblable au murmure d’un baryton, il était juste assez fort pour être remarqué, mais trop faible pour que l’on puisse reconnaître la langue. Dans le doute, les trois hommes s’avancèrent silencieusement, Famas braqués vers la haie. Ils tendirent l’oreille. Était-ce seulement du russe ? Cela sonnait slave… Un Européen de Région Polonaise qui parlait son dialecte, peut-être ? « Tu crois que… — Chut ! » La voix s’était arrêtée nette. Un silence de mort – relatif dans le chaos ambiant. Un froufroutement, une hésitation, un doute. Le cliquetis des armes. « Kto Idiot ? — Feu ! » hurla Franck, mitraillant la haie tout en roule-boulant pour éviter la riposte. Ses deux camarades firent de même. Certes, ils évitèrent les rafales mais Franck doutait de l’efficacité de leurs tirs. Il dégoupilla une grenade qu’il envoya de l’autre côté des thuyas. Le souffle secoua les conifères dans un bruit écœurant de chair déchiquetée. « Mitraillez ! » Des balles russes sifflèrent autour d’eux et creusèrent le mur du pavillon, explosant les fenêtres. Lapidés par les 41


mottes de terre et les débris de verre, les trois Européens s’élancèrent loin de la haie pour passer le coin de la maison et retrouver les hideux nains de jardin. « On l’a vue de près, nom d’un chien ! » croassa Niels tandis qu’Antonio couvrait leur coin de mur de courtes rafales de trois. Les Russes beuglaient à présent des phrases inintelligibles et une de leurs grenades ravagea la façade. Au loin, un bruit d’arrachage et de branches brisées. « Merde, ils ont un lance-roquettes ! » À ces mots, les trois hommes se précipitèrent de l’autre côté de la maison dont l’aile gauche fut soufflée par l’explosion. Ils levèrent les yeux vers la rue, ils virent un Bizarroïde passer là où, quelques dizaines de minutes plus tôt, un char européen défilait en sens inverse. « Là, on est mal barrés… » Les soldats ennemis s’étaient engouffrés par le trou de la haie tandis que les trois Européens changeaient leurs chargeurs de l’autre côté du pavillon. Un Skot bourdonna au-dessus d’eux, tirant deux missiles vers les barres d’immeubles. Antonio lâcha une rafale vengeresse mais futile. Franck aurait bien voulu passer dans la propriété adjacente, mais un haut mur l’en empêchait. Il faudrait sortir sur le trottoir et espérer pouvoir se glisser aussitôt dans la cour d’à côté. Un pari risqué. De toute façon, le quartier résidentiel était pris. Il fallait se replier dans les blocs. Alors qu’il était torturé par l’hésitation, un signe tomba du ciel comme un coup de pouce céleste : un deuxième Skot fut abattu en plein rase-mottes et s’écrasa au milieu de la route, à cent mètres de là ! Alors que l’explosion de 42


la carcasse soufflait toutes les vitres aux alentours, Franck attrapa Niels par l’épaule et hurla pour se faire comprendre : « On se taille d’ici, et vite ! » Les deux autres bondirent littéralement et défoncèrent une nouvelle fois la palissade. Antonio trébucha et s’étala sur le bitume, vite agrippé par Franck qui le traîna d’une main le temps qu’il reprenne pied, les balles sifflant trop près de leurs oreilles. Les mitrailleuses ne les manquaient que par pur miracle et, avec ces accumulations de chance inespérée, Frankie commençait vraiment à se demander s’il n’y avait pas un Dieu qui regardait cette guerre de làhaut. Si c’était le cas, Franck n’osait imaginer sa consternation, sa douleur et sa honte. Au loin, plusieurs fantassins européens leur faisaient signe et tentaient de les couvrir. « On retrouve les camarades ! » beugla Franck pour pousser ses deux compagnons. Mais la chance était de courte durée. Une balle bien ciblée, un jet de sang. Niels perdit le contrôle de ses jambes et s’écroula sur la route telle une poupée de chiffon. Sa tête heurta bruyamment le sol – le casque sans doute. Franck sentit son estomac remonter à sa gorge, son cœur éclater comme une grenade. Il cessa de courir, hésitant. Les autres l’appelaient ! Ils criaient, et Antonio, qui avait couru encore quelques mètres, avait rebroussé chemin et le tirait par le bras ! « On doit partir ! » Ça, il le savait bien. Mais il ne put s’empêcher de faire un pas vers Niels dont le sang coulait le long du trottoir, 43


une main tendue comme si son ami allait s’en saisir, et qu’ils pourraient continuer comme avant. Antonio l’obligea pourtant à avancer dans la bonne direction, celle du salut, et ce fut en spectateur impuissant qu’il abandonna le corps derrière lui sans retenir ses larmes. Il savait ce que ça faisait maintenant. Frankie la Cartouche réalisait définitivement qu’ils n’étaient plus à l’exercice. Et qu’on ne tirait plus sur des silhouettes en carton. Les trois rescapés de la Furie d’Erik s’étaient réfugiés dans l’arrière-cour d’un immeuble, les sens aux abois. Des formes mouvantes apparaissaient et disparaissaient entre deux blocs, derrière des voitures, des cabines téléphoniques, des bennes de recyclage. Et elles ne portaient pas l’uniforme bleu. « Y en a partout, grogna le copilote. Comment est-ce qu’on va se sortir de là… ? » À trois cents mètres de là, des Européens avaient formé un vrai barrage derrière lequel les civils embarquaient par dizaines dans les transports pour être évacués. C’était si proche, juste à côté, au coin de la rue, on entendait les cris paniqués. Mais il fallait sortir à découvert pour se faire reconnaître de leurs camarades. S’exposant au premier tireur russe venu. « On pourrait essayer de contourner le pâté d’immeuble », suggéra Mathew. Erik approuva d’un signe de tête : il n’avait pas mieux à proposer. En restant discrets, ils avaient une chance. Il fixa l’artilleur pour se rassurer. L’homme avait un air farouche avec son barda de grenades et son Famas. Pour 44


avoir croisé les bières avec lui bien souvent, Jørgensen le connaissait un peu. Une tête brûlée qui adorait se glisser dans sa bulle à l’arrière des Furies pour regarder son adversaire face à face. « Suivez-moi, on va passer par les garages… » Ils longèrent rapidement le mur de béton et s’engagèrent dans un passage étroit et humide à l’odeur écœurante mêlée de moisissures et d’urine de chat. Quelques foulées et les voilà arrivés à un petit parking qu’Erik avait repéré. Il y avait là une porte battante pour pénétrer dans l’immeuble. « On pourra sortir par la porte principale si tout va bien, dit-il pour les encourager. — Si tout va bien, répéta le copilote avec anxiété. — Tu vas nous porter la poisse alors ferme-la », asséna Mathew avec un regard torve. Erik le remercia intérieurement et jeta un œil inquiet vers les toits et les balcons. Un sniper pouvait être embusqué, quelque part, à les attendre. Après une longue inspiration, il décida de se lancer le premier. Ses deux compagnons jaillirent derrière lui et ils sprintèrent vers la porte arrière. Aussitôt, une rafale crépita contre les murs gris ! Les trois hommes baissèrent la tête par réflexe et se précipitèrent sur la porte métallique. D’un coup d’épaule, elle s’entrouvrit et ils s’y glissèrent. Les balles ricochèrent sur le battant, mais ils la claquèrent fermement. La pétarade résonnait dans le local étriqué où ils se trouvaient. Les deux petites fenêtres explosèrent et quelques canalisations piaulèrent quand elles furent percées. « Nom de… » 45


Une onde de choc les projeta contre les murs et un souffle brûlant pénétra par les fenêtres tel un panache infernal. Le vacarme se prolongea par le grincement métallique de la porte arrachée de ses gonds. À peine le temps de se redresser que des tirs fouillaient la zone enfumée. Erik sentit une douleur intense dans tout son dos lorsqu’il fut violemment écrasé contre l’escalier. Crash-Test se tenait sur les genoux et les poings, un filet de sang sur les tempes. Mathew, lui, se relevait péniblement au fond du local, entre deux poubelles communes. Il redressa son Famas et tira une rafale de trois dans l’ouverture béante provoquée, sans doute, par un lance-roquettes. Le pilote norvégien saisit son propre fusil mitrailleur et grimpa quelques marches dans la plus grande panique. Complètement sonné, il ne réalisait pas vraiment ce qui se passait et sa douleur étouffait toute réflexion. Il fallait fuir ! « Mathew, on s’arrache ! » L’artilleur hocha de la tête et fonça vers lui. Mais le copilote restait prostré au milieu du passage, tétanisé. Erik le regarda avec colère. Beaucoup lui avaient dit en ricanant que cet idiot causerait sa perte un jour, et il semblait que Crash-Test s’était décidé pour aujourd’hui. Tant pis ! Jørgensen escalada trois marches de plus d’un pas rageur, mais un semblant de conscience l’obligea à se retourner et à lancer du haut de l’escalier : « Dépêche-toi ! » Aucune réaction. Mathew l’attrapa par le baudrier, plongeant son regard dur dans ses yeux azur. « On ne doit surtout pas s’arrêter ! »

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Erik fit une moue déstabilisée. Il ne pouvait pas l’abandonner ici. OK, il ne le supportait pas, mais c’était un citoyen européen ! Et c’était un camarade de combat ! Alors qu’il hésitait, des formes spectrales apparurent dans la fumée qui se dissipait. Des voix en russe, Mathew qui le tirait littéralement vers le haut. Erik ne réalisait pas, non, c’était si surréaliste ! Le pire était peut-être cette apathie chez son copilote, ce regard vide dans lequel on devinait les flammes de Kingston dévorant ses derniers espoirs. Les défaites successives, la fuite, la débandade pour finir sur cette véritable Bérézina… Crash-Test n’y croyait plus. Il se savait perdant et abandonnait la partie. Ça, c’était le plus dur à encaisser pour Jørgensen. Car même en ces heures les plus sombres, même si lui non plus n’y croyait plus, quelque chose le poussait à avancer, quelque chose lui intimait de ne pas mourir, lui refusait le luxe de baisser les bras. L’instinct de survie, tout simplement ? Mais qu’était l’instinct de survie sinon l’espoir qu’en bout de course, mieux valait vivre pour se battre encore un autre jour – et remporter la partie ? Un espoir de fou, qui comme l’avait prophétisé son ami le Prussien, serait le dernier à mourir. Sans s’en rendre compte, il était déjà arrivé sur le palier du rez-de-chaussée. Mathew mitrailla la cage d’escalier pour les couvrir tandis que, machinalement, Erik entrouvrait la porte principale vitrée pour se retrouver devant les boîtes aux lettres. Adieu, Crash-Test… Mathew le rejoignit en un clin d’œil et ils se plaquèrent contre le mur pour se couvrir et scruter sur la zone.

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« Le barrage est tout près ! » grogna Mathew en vérifiant son chargeur. Erik risqua un œil et approuva. « En courant vite… » Les deux hommes s’interrogèrent du regard. Dans moins de dix secondes, les Russes les auraient rattrapés, et plus ils attendaient, plus ils offraient du temps à ces derniers pour les abattre dans leur fuite. Un signe de tête. Ils foncèrent ! Jamais ils n’avaient couru aussi vite de toute leur vie. Leur souffle se perdait, tête baissée, ils ne regardaient pas devant eux. Mais ils sprintaient ! Des balles sifflèrent de toutes parts, Erik leva les yeux, juste à temps pour voir trois hélicoptères remplis de civils qui décollaient entre les immeubles pour évacuer. Des traits de fumée filèrent dans leur direction depuis les toits des bâtiments occupés par les parachutistes russes. Une roquette défonça un half-track équipé d’une mitrailleuse anti-aérienne, une autre se perdit dans la façade d’une tour, mais la troisième transforma un hélicoptère en météorite enflammée qui finit sa course au dernier étage d’un petit building. « T’arrête pas ! » Erik refoula son désespoir devant ce carnage et lorsqu’il atteint la barricade européenne il s’y écroula, presque mort. Son cœur s’était emballé et il craignait de le sentir lâcher d’une seconde à l’autre. Combien de temps resta-t-il ainsi sur le macadam ? Qui le traîna à l’abri ? Il n’en eut pas conscience. Des taches lumineuses dansaient devant ses yeux et son souffle hésitait dans sa gorge. Lorsqu’il reprit ses esprits, il se rendit compte que lui et 48


Mathew avaient été déposés au fond d’un VAB avec d’autres blessés. Les soldats étaient couverts de sang, certains semblaient même déjà morts. Jambe broyée, visage arraché, c’était une véritable galerie des horreurs. Les portes du transport blindé étaient béantes, et on voyait distinctement la rue encombrée de militaires et des derniers civils, le dernier Transport Furie qui décollait, et les fantassins qui mitraillaient les immeubles alentour. Le ciel résonnait des passages d’avions à réaction russes et du fracas des bombardements sur la ville. La fumée avait envahi les cieux déjà lourds de tristesse qui recommençaient à pleurer. Le bruit des réacteurs de Furies déchira l’air à son tour et le tumulte des combats aériens leur parvenait comme les trompettes du jugement dernier. Erik, immobile et prostré, pensait à Max, son vieux pote Maxence. Volait-il ? Vivait-il seulement encore ? Son regard flotta sur ces civils condamnés par le manque de moyens d’évacuation. Chaque visage prenait les traits de sa chère Katia, chaque destin individuel lui paraissait devenir un drame, et ils étaient là, des centaines et des centaines de drames. Même la mort de son copilote, ce pauvre Crash-Test le mal-aimé, lui apparut comme une défaite cuisante, un échec personnel. Aujourd’hui encore, il les avait tous abandonnés, il ne les avait pas sauvés. Il ferma les yeux pour en contenir les larmes, il en avait vu assez. Pourtant l’image de ce corps prostré, incarnation de l’abandon, ne le hantait pas seulement parce qu’à cet instant, son copilote était probablement mort. Mais bien parce qu’Erik savait qu’il devrait affronter son propre désespoir encore bien des fois avant de voir la fin 49


de cette guerre. Et qu’il avait peur de ne pas être assez fort pour le vaincre à chaque fois. « On doit dégager », entendit-il près de lui, dehors. Les cris se firent plus implorants, les hélicoptères vrombissaient et des explosions indiquaient que les lanceroquettes étaient toujours là. Une terrible détonation et une vague de hurlements désespérés. Le VAB s’ébranla, quelqu’un en claqua les portes, et la foule dehors fut réduite à un son étouffé. Un frémissement, l’engin roulait. « C’est fini, sanglota un soldat aux yeux bandés. C’est fini ! » « Les Bizarroïdes prennent le centre-ville », informa un opérateur au colonel Marlowe. Ce dernier n’osait plus soupirer afin de ne pas trahir son abattement. Les Furies se battaient comme des lionnes, mais les Russes les écrasaient par le nombre. Il était temps de prendre une décision. Ou bien ils luttaient vaillamment pour l’honneur et la gloire et se faisaient annihiler jusqu’au dernier, ou bien il donnait l’ordre de se replier, sauvant les derniers hommes, blindés et Furies de l’anéantissement – et pourquoi pas en vue de se rassembler pour mieux résister ? Pourquoi ne pas reculer jusqu’à Leeds et faire bloc ? La question était de savoir si, dans le cas où Leeds deviendrait une tête de pont pour récupérer le sol européen, Marlowe serait capable d’éviter à cette ville stratégique le sort de Kingston-upon-Hull. La ruine, la défaite, l’humiliation et surtout un bain de sang. Cette incertitude rongeait le colonel comme un acide. Il se faisait vieux, et cette guerre n’était plus dans ses compé50


tences, il devait se forcer à l’admettre malgré son orgueil. Son époque était révolue, la période du Crash était un lointain souvenir, il ne faisait plus partie de son temps. La Troisième Guerre mondiale avait achevé et enterré ce qui restait des glorieuses années 20… « Colonel, quels sont les ordres ? » Marlowe avait sous les yeux sa carte de la ville. Les unités en bleu s’éparpillaient, les unités en jaune grouillaient de partout. La cité était perdue. Quelques heures avaient suffi. Bien sûr, il pouvait ordonner de tenir et la bataille se prolongerait des heures, peut-être quelques jours, mais guère plus. Son cœur penchait plutôt pour l’économie de troupes, et il tentait de se persuader qu’une contre-offensive était possible depuis Leeds. Pourtant, une autre voix s’exprimait, quelque part, dans sa tête. Il agrandit mélancoliquement la carte pour obtenir une vue de l’Europe du Nord, et son cœur se serra. Du jaune, partout. Régions scandinaves prises, Région Allemande assiégée, Région Anglaise éventrée, Région Écossaise enveloppée. C’était la Bérézina. C’était la fin. Le colonel de carrière qu’il était avait toujours su qu’un jour, il aurait peut-être à renoncer. Mais devant le fait accompli, la solitude l’envahit comme jamais auparavant. Il était seul, en cet instant, seul face à sa conscience. Seul face à ses responsabilités. Seul face à la destruction programmée des États-Unis d’Europe. Ses dents serrées, sa gorge nouée, il caressa la barrette de son uniforme. L’ordre qu’il allait donner – qu’il devait donner ! – serait certainement le dernier de sa carrière brillante, le premier de sa décrépitude. Tous l’accuseraient de couardise, tous 51


le pointeraient du doigt pour avoir fui le combat. Mais ce n’était le combat qu’il esquivait, non, c’était une mort certaine et inutile, un sacrifice aussi noble que vain. Si vivre le combat de demain était de la couardise, alors oui, il était un lâche. Cela, la jeune garde ne lui pardonnerait pas, alors autant ne pas se voiler la face, c’était fini pour lui. Non, vraiment, il n’était plus de ce monde… « Préparez-moi une Furie et sonnez la retraite. » Il tourna les talons, se figea un instant, dos à ses hommes, le regard tristement tourné vers le drapeau aux douze étoiles et à la rose des vents, la bannière européenne. Et il quitta la salle d’opération sans oser lever les yeux de ses bottes.

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Florent Lenhardt Florent Lenhardt est un Européen d’origine franco-allemande finissant des études de travailleur social en Finlande. Passionné d’Histoire, de littérature et de mythologie, il travaille depuis plusieurs années à l’élaboration d’un univers d’anticipation uchronique nommé Pax Europæ. Vous pouvez retrouver l’univers de Florent Lenhardt sur le blog Europæn tribune.

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Yvan Villeneuve

Yvan Villeneuve a commencé très jeune à développer le goût du dessin. Petit enfant, ses premières influences graphiques furent les mondes enchantés du grand Walt Disney. Vinrent s’immiscer, à l’adolescence, les héros mythiques des comics américains, qu’il recopiait avec acharnement, au même titre que l’inénarrable petit gaulois créé par le génialissime duo formé par Goscinny et Uderzo... Ce n’est que bien des années plus tard, que fut prise la décision de faire de son amour du dessin : son métier. Sa carrière débuta véritablement en 2007 avec le jeu de rôle « les Ombres d’Esteren » pour lequel il œuvre avec ses camarades sans relâche. Un véritable terrain de jeu qui lui permit d’explorer et développer avec une grande liberté d’action ses compétences graphiques. Ce travail sur les Ombres d’Esteren, qu’il proposa comme sésame pour de nouvelles collaborations, le fit entrer en contact avec des dessinateurs et scénaristes de bandes dessinées. C’est ainsi qu’il fut employé comme coloriste de couvertures pour les éditions Glénat, Delcourt et les Humanoïdes associés. Il illustra aussi pour les éditions Icare (le jeu de rôle Pendragon), mais aussi pour les éditions Voy’[el], Thalez, quelques travaux pour une agence de communication Fosséenne et plus récemment pour un grand réseau de distribution national de pièces de rechange automobiles.

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Un projet plus personnel est en cours, en collaboration avec un directeur artistique, s’appuyant sur la « légende » de la bête du Gévaudan. Et bien entendu l’aventure Esteren se poursuivant, son investissement reste total. Vous pouvez retrouver l’univers et toute l’actualité d’Yvan Villeneuve sur son blog et sa galerie numérique.

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Mentions Légales Auteur : Florent Lenhardt Couverture (2008) : Yvan Villeneuve ISBN : 978-2-37227-020-5 Ebook publié en 2015 par © Mots & Légendes Comité de lecture et corrections : Malena Emo, Haldryc, Julie Rogani, Madeleine Staquet, Tatooa, Ysaline et Ludovic Païni – Kaffin Maquette : Ludovic Païni – Kaffin

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Résumé Juillet 2034. Embourbés dans une Troisième Guerre mondiale dont la victoire leur échappe, les États-Unis d’Europe n’ont pas pu empêcher la chute de la Région Norvégienne face aux armées de la Russie Indépendante, ni la destruction de Hambourg. La majeure partie du continent européen est à feu et à sang, l’ennemi s’avère sans pitié, prêt à tout pour écraser son adversaire. Face à l’armada qui s’amasse dans la mer du Nord, le colonel John K. Marlowe doit organiser la défense de la Région Anglaise assiégée. D’un moment à l’autre, les Russes vont débarquer en force, et il n’est pas sûr que l’avantage technologique de l’Eurocorps soit suffisant pour repousser cette implacable lame de fond. Pour les Européens assaillis, c’est l’heure de vérité : il faudra tenir… ou abandonner tout espoir.


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