paperJam economie & finances janvier 2013

Page 52

52

COVERSTORY

2012

5 Yves Mersch

LE FRANC-TIREUR Le désormais ex-directeur de la Banque centrale du Luxembourg, qui s’apprête à siéger à la BCE à Francfort, aura marqué de son empreinte ses 15 années de présence à la tête de l’institution, notamment au travers de ses prises de position sans concession. TEXTE JEAN-MICHEL GAUDRON PHOTO DAVID LAURENT / WIDE

L

e feuilleton aura finalement duré six mois, entre l’annonce, en mai, de la probable nomination d’Yves Mersch, directeur général de la Banque centrale du Luxembourg (BCL), au conseil de la Banque centrale européenne (BCE, poste pour lequel il fut officiellement candidat dès janvier) et le feu vert donné le 22 novembre par le Conseil européen. Une demi-année de débats et de joutes politiques menés initialement sur le front de la parité hommes-femmes, l’arrivée de M. Mersch à Francfort repoussant, au plus tôt à 2018, toute possibilité de faire entrer une femme dans un conseil 100 % masculin. Le point d’orgue de cette saga fut l’avis négatif rendu, fin octobre, par le Parlement européen, 325 eurodéputés s’opposant à cette nomination (contre 300 votes favorables et 49 abstentions). Un avis qui n’était, toutefois, que consultatif et n’a donc pas empêché la décision finalement prise par les dirigeants européens. Yves Mersch a dû se résoudre à poursuivre la gestion, un peu plus longtemps qu’il ne le pensait, des affaires courantes d’une banque centrale qu’il dirige depuis sa création, en 1998. « Je me suis juste davantage rapproché du détail du travail de la BCE, ce qui m’a donné encore une charge supplémentaire. Mais cela a été une bonne couche de protection contre les effets extérieurs. Tout le débat qui a eu lieu est étranger à mes compétences professionnelles. » Il a donc eu tout le loisir de jouer, au Luxembourg, le rôle dévolu par chaque banque centrale nationale : celui de transmettre le message insufflé par la Banque centrale européenne au niveau de l’Eurosystème. « La particularité d’une banque centrale est de porter sur les événements une vision à plus long terme que celle portée par le monde poli-

— Janvier 2013

tique. Celui-ci s’arrête généralement aux échéances électorales. De ce point de vue, ma communication a toujours été portée par des considérations de durabilité et de soutenabilité de l’action économique au niveau du pays. Or, si les politiciens ont une vision qui va au-delà de ces échéances électorales, et qui s’accommode d’une responsabilité vis-à-vis de l’intérêt commun, il n’en reste pas moins vrai que pour mettre en œuvre cette vision, il faut qu’ils soient réélus ! Cela représente sinon un objectif, au moins une contrainte qui est parfois contradictoire. » Inlassablement, Yves Mersch a toujours mis en garde les dirigeants politiques sur la façon de gérer les finances publiques. Il regrette que ses mises en garde du début des années 2000 n’aient pas été écoutées et il déplore surtout ce qu’il appelle « un déni de la réalité » et « une certaine insistance » à considérer les déficiences structurelles comme de simples avanies conjoncturelles. Il en va de même pour les recommandations établies en matière de vieillissement de la population, phénomène voilé par l’afflux des frontaliers. Là aussi, M. Mersch regrette la timidité des mesures mises en œuvre et dresse un constat sans concession. « La pérennité de la situation favorable de ce pays peut être aujourd’hui mise en doute. »

La vie de la BCL va commencer Le problème est que le Luxembourg n’a jamais disposé d’instruments monétaires susceptibles d’amortir certains chocs, ce qui rend d’autant plus essentielle la capacité de réaction par l’instrument budgétaire et macroéconomique. « Ce qui veut dire que les considérations sur la compétitivité doivent être portées sur le devant de la scène, comme cela a été reconnu dans tous les pays avoisinants, le dernier en date étant la France », estime Yves Mersch, qui constate que le Luxembourg

commence à être un peu isolé. Et de plaider pour la mise en œuvre la plus rapide possible de mesures « incisives ». « Cela permettra d’avoir un maximum d’instruments diversifiés pour agir. Sans quoi, les mesures seront socialement toujours plus douloureuses. » Depuis son bureau au directoire de la BCE à Francfort, le futur ex-directeur général de la BCL n’aura donc pas le loisir de terminer le traitement de certains dossiers que devra reprendre son successeur, Gaston Reinesch. Celui de l’autorité de contrôle unique en fait partie, dossier sur lequel le gouvernement n’est pas encore parvenu au moindre accord, les professionnels de la Place ne voyant pas ce projet d’un très bon œil. « Il est certain que les échéances européennes ne vont pas prendre en considération ces hésitations luxembourgeoises », prévient M. Mersch. Il ne verra pas non plus aboutir les différentes demandes de réforme de la gouvernance de la BCL, qu’il avait initiées au travers d’un avantprojet de loi soumis au gouvernement. L’identification de l’institution à son seul directeur général, amplifiée par le fait que ledit directeur général est en place depuis près de 15 ans, n’est pas nécessairement une bonne chose à ses yeux. « Il est bon qu’une personne ne se perpétue pas dans une seule fonction. Ces 15 années passées sont amplement suffisantes. La vie d’une institution telle que la BCL ne commence vraiment que lorsqu’elle connaît au moins un deuxième directeur général. Ce n’est qu’à ce moment-là que l’on voit qu’elle existe vraiment. » Au moment de passer le relais à Gaston Reinesch, avec qui il avait déjà étroitement collaboré au milieu des années 90, lors des négociations précédant l’élaboration du traité de Maastricht (Yves Mersch était alors le directeur du Trésor), le nouveau membre du conseil de la BCE émet le vœu que son successeur puisse continuer « selon les principes que la banque s’est toujours donnés, dont le plus précieux est celui de l’indépendance ». Une qualité dont Yves Mersch a toujours su faire preuve, au moins autant que la patience. En 2010, il aurait déjà pu (dû ?) quitter ses fonctions pour devenir vice-président de la BCE (alors encore dirigée par Jean-Claude Trichet) à la suite du Grec Lucas Papademos. Mais le Portugais Vítor Manuel Ribeiro Constâncio lui avait finalement été préféré. Cette fois, le voilà bel et bien en route pour s’installer sur les rives du Main et tourner définitivement une page de l’histoire économique et financière du pays.


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.