paperJam economie & finances janvier 2013

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ACTUALITÉ ÉCONOMIE & POLITIQUE ENTREPRISES PLACE FINANCIÈRE

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ebondissements, soubresauts, flash-backs et polémiques. Cargolux et Luxair tiennent le haut des pavés d’actualité ces dernières semaines. Et encore les pages ne rendent-elles pas toutes (ou peu) compte des fièvres qui montent en coulisse. Il est vrai que les enjeux sont énormes, économiques et politiques. Tout cela est évidemment lié au contexte, qu’il n’est pas inutile de tenter d’explorer. Avec du recul, d’une part, par le petit bout de la lorgnette, d’autre part… Dire que Cargolux et Luxair ne peuvent marcher autrement que main dans main (aile dans aile disons) relève de l’évidence. La forte interdépendance entre les deux sociétés est historique et stratégique. L’intérêt pour le potentiel fret ne date pas d’hier. L’État actionnaire, Luxair, une série d’entreprises (flanquées de quelques « cow-boys ») ont rapidement misé sur Cargolux, devenue une référence européenne. Dans les « Golden Seventies », Cargolux a connu une croissance organique. La compagnie gérait un gros trafic, jouant sur les volumes. Au risque de jouer dans les marges : « C’était un peu à l’image de la place financière à l’époque, glisse un ancien cadre d’une grosse entreprise logistique passant par le Findel. Parfois un peu n’importe quoi, sans trop de contrôle, pourvu que ça rapporte. » En tout état de cause, le Cargo Centre de l’aéroport de Luxembourg est vite devenu une vache à lait. Cargolux y représente plus de 70 % de l’activité. Mais c’est LuxairGroup qui a surtout bénéficié du cargo, le centre lui appartenant. Il tirait des dividendes importants sur les bénéfices de Cargolux – Luxair, en actionnaire principal, décidant des dividendes – qui, une fois encaissés, dopaient les résultats financiers en permanence. Cargolux, moneymaker de LuxairGroup, cela donne une interdépendance forte et un business model de fait. Luxair, actionnaire majoritaire d’une société qui est son propre client et une grosse source de cash : on peut trouver le système curieux, même s’il est relativement répandu, et pas seulement au Luxembourg. Ce qui est clair – tout le monde s’accorde là-dessus –, c’est que si Cargolux s’enrhume, le Cargo Centre attrapera une grippe, et Luxair risquera la pneumonie. « Toucher à un des pans du triangle, c’est dangereux pour les trois », résume un délégué syndical, présent sur le terrain. Donc, on ne peut pas évoquer Cargolux en évacuant Luxair – et réciproquement –, surtout

CLAUDE WISELER

Les quatre défis de Cargolux Le ministre Claude Wiseler, qui a hérité du dossier Cargolux de par ses compétences aux Transports, résume les défis qui se présentent en quatre points. 1. Gérer au mieux la sortie de capital (35 %) de Qatar Airways. 2. Trouver un nouveau partenaire stratégique et financier, sachant que l’État peut porter un temps ces parts mais pas indéfiniment. 3. Définir une nouvelle stratégie commerciale (cette étape peut idéalement se placer en deuxième position et servir de soutien aux négociations avec les éventuels partenaires). 4. Procéder à une augmentation de capital plus que nécessaire.

SYNDICATS

Le cahier de revendications Ils tiennent un rôle clé et représentent la solidité de l’ancrage luxembourgeois par ce qu’il a de plus politiquement sensible : l’emploi. Les syndicats OGBL, LCGB et NGL-SNEP (syndicat des employés privés, comme on disait avant le statut unique), en manifestant devant la Chambre à la mi-novembre, ont rappelé leur cahier de revendications. 1. La sauvegarde de tous les emplois chez Luxair et chez Cargolux ainsi que le maintien des acquis sociaux. Cela passe par le modèle social luxembourgeois. 2. Un rôle luxembourgeois plus dominant chez Cargolux, conforme à la structure de l’actionnariat. 3. L’opposition à tout morcellement, externalisation ou délocalisation. 4. La mise en place d’une stratégie cohérente pour Luxair, Cargolux et la plate-forme aéroportuaire.

pas alors que le Cargo Centre se retrouve en perte depuis deux ans. Il faut au contraire l’intégrer, au moment où Cargolux est dans la tourmente et où LuxairGroup se cherche encore de nouvelles voies pour retrouver des finances saines. Partenaires particuliers

Mais là où Luxair a pris des mesures (certes dépassées par l’ampleur de la crise) avec le plan « Building a new Airline », dès 2006, pour s’adapter au contexte économique et financier en mutation, Cargolux n’a rien entrepris de similaire. Pire, Cargolux a traversé une sérieuse tourmente, allant jusqu’à une peine de prison purgée aux États-Unis par Ulrich Ogiermann et Robert Van de Weg, respectivement ancien directeur général de Cargolux et vice-président Sales and Marketing. Aujourd’hui, ce dernier est de retour à son poste chez Cargolux, alors que Ulrich Ogiermann travaille… pour Qatar Airways. On se souvient de cette fameuse affaire d’entente sur les prix et de concurrence déloyale, dont la compagnie luxembourgeoise a été accusée pour la période 2001-2006. Une vaste enquête menée par les autorités européennes a conduit à inculper 22 compagnies aériennes et 21 cadres dirigeants, accusés d’avoir entravé la libre concurrence en s’entendant, aux États-Unis et ailleurs, sur les tarifs de fret international. Après que Lufthansa eut amorcé la bombe en dénonçant les petits arrangements, Cargolux avait plaidé coupable en 2009, tout comme ses concurrentes Nippon Cargo (Japon) et Asiana (Corée). Elle avait alors accepté de verser 119 millions de dollars. Dans la foulée, Cargolux a réglé d’autres amendes internationales, doublant pratiquement ce montant. Et la sanction financière définitive n’a toujours pas été prononcée par la Commission européenne… Une épée de Damoclès évidente que nul n’ignore dans le monde aérien. Cargolux ne s’en remet pas. En 2009, c’était déjà la faillite virtuelle et Cargolux se cherchait un partenaire industriel. Les administrateurs luxembourgeois s’étaient d’ailleurs mis en quête depuis la faillite de Swissair, une première tentative de reprise des actions suisses ayant échoué (celles-ci risquant des saisies). On notera que, avant 2009, les partenaires étaient davantage snobés. Plusieurs compagnies du Moyen-Orient, comme Etihad (Émirats arabes unis) ou, déjà, Qatar Airways s’intéressaient au

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