La Cosa Nostra n'est pas morte

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La Mafia italo-américaine est-elle morte ? Actualité et leçons sur un cliché criminologique tenace Jean-François GAYRAUD

Dans le grand cimetière des idées reçues sur le crime organisé, l’annonce récurrente de « la mort de la Mafia italo-américaine » occupe une place de choix. Certes, aucun phénomène social n’est immortel : tout périt un jour ou l’autre, les organisations criminelles comme les institutions et les hommes. Cependant, il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Afin de se convaincre de la vitalité des Familles mafieuses américaines, un simple tour d’horizon, non exhaustif évidemment, de la chronique judiciaire 2007/ 2008 est riche d’enseignements. D’autant que quelques surprises, souvent passées inaperçues, apparaissent. © Gettyimages

Is the Italian-American Mafia Dead? Updates and Lessons of a Tenacious Criminological Cliché In the cemetery of organized crime commonplaces, the recurring obituary of the Italian-American mafia stands out. It is true that no social phenomenon is immortal: all perish one day or another, criminal organizations like all other human institutions. However, it is not yet the occasion to raise glasses in a toast to its demise. In order to be convinced of the vitality of the American mafia families, a simple perusal of the 2007/2008 legal chronicles is instructive. All the more so as several surprises, hardly noticed anymore, begin to appear.

Jean-François Gayraud Docteur en droit, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et de l’Institut de criminologie de Paris. Après l’École nationale supérieure de police (ENSP/Saint-Cyr-au-Mont-d’Or), il a passé dix-sept ans à la direction de la Surveillance du territoire (DST). Commissaire divisionnaire, il est actuellement chargé de mission à l’INHES. Il est l’auteur d’articles traitant de violence politique et sociale, ainsi que d’ouvrages parus aux Presses universitaires de France et aux Éditions Odile Jacob, en particulier : Le monde des mafias. Géopolitique du crime organisé (2005).

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ans le grand cimetière des idées reçues sur le crime organisé, l’annonce récurrente de « la mort de la Mafia italo-américaine » occupe une place de choix 1. Ainsi, la tonalité dominante des analyses sur la Mafia ressemble souvent au titre évocateur de ce livre publié en 2006 : Is the Mafia still a force in America ? [Gale] Le sous-entendu est clair : la fin approche. Certes, les Familles 2 de la Mafia italo-américaine souffrent depuis les années 1980 et 1990. Après un siècle de quasi-léthargie, l’État fédéral américain s’est finalement réveillé dans les années 1970 - à la mort en réalité du directeur du Federal Bureau of Investigation (FBI), John Edgar Hoover (1972) - et a commencé à mener une répression vigoureuse, essentiellement à New York d’ailleurs, aidée en cela par de nouveaux outils : la loi antiracket dite RICO (Racketeer Influenced and Corrupted Organizations Act, 1970) et l’utilisation de repentis. Afin de se convaincre de la vitalité des Familles mafieuses américaines, un simple tour d’horizon, non exhaustif évidemment, de la chronique judiciaire 2007/ 2008 est riche d’enseignements. D’autant que quelques surprises, souvent passées inaperçues, apparaissent.

Un prétendu moribond qui bouge encore… L’exemple de Seattle Les ouvrages sur l’histoire de la Mafia sont formels. Il n’existe aucune trace documentée d’une Famille de Cosa Nostra à Seattle (État de Washington), et ce depuis le XIXe siècle. D’ailleurs, le crime organisé semble globalement moins présent dans l’État de Washington, (nord-est des États-Unis) qu’ailleurs sur le continent nord-américain. Pourtant, une opération judiciaire menée au début de l’été 2008 amène à reconsidérer cette certitude. Une Task force du FBI, de l’IRS (Internal Revenu Service, fisc) et de la police criminelle de Seattle lance ainsi, en juin 2008, des perquisitions dans l’empire des clubs de strip-tease de Frank Colacurcio Sr (90 ans) et de son fils Frank

Colacurcio Jr. Sont visés : quatre de leurs clubs, un à Seattle (Rick’s), trois en banlieue (Sugar’s à Shoreline, Honey’s à Everett, et Fox à Tacoma), ainsi que leur société de recrutement de danseuses et quartier général (Talents West à Seattle), et dans deux de leurs appartements. Les Colacurcio père et fils sont suspectés de racket, blanchiment et fraude fiscale. Leurs clubs sont soupçonnés d’abriter un vaste réseau de prostitution. Pendant les trois années qu’a durée l’enquête, les forces de l’ordre ont mobilisé de grands moyens : des informateurs, des équipes de surveillance et des officiers agissant sous couverture (undercover), dont l’un ayant pu se faire embaucher comme manager d’un des clubs. Les « danseuses » des clubs de strip-tease ne se contentaient pas de danser. Devant payer une taxe pour pouvoir exercer leur art corporel, elles étaient également « incitées » à se prostituer dans les VIP rooms des clubs. Les danseuses se transformaient ainsi en sex workers, les clubs touchant un pourcentage sur chaque prestation sexuelle. Ces quatre clubs, employant plusieurs centaines de personnes, étaient très lucratifs : de janvier 2006 à avril 2007, ils ont ainsi généré un chiffre d’affaires de 15, 2 millions de dollars. Le seul Rick’s a rapporté, pour 2006 et 2007, 10,3 millions de dollars. Certes, dira-t-on, voilà une simple association criminelle, à base familiale, dirigée par des Italo-Américains. Peut-être, encore que le chef de la police de Seattle, Gil Kerlikowske, parle à cette occasion de : « l’enquête la plus significative de l’histoire de son service, et ce à propos d’une organisation qui a nui à la ville. Il n’est pas question ici de morale, mais de violence, de crime organisé et de prostitution organisée » 3 ! D’autant que les enquêteurs ont rouvert depuis peu cinq dossiers criminels d’homicides remontant aux années 1970/1980 dont ils soupçonnent, sans preuve jusqu’à présent, Frank Colacurcio Sr. d’en être le commanditaire. L’opération judiciaire de l’été 2008 est l’occasion d’une plongée dans l’histoire criminelle de Seattle. On découvre ainsi qu’une Famille mafieuse aurait été fondée au XXe siècle par deux hommes : Giovanni Rossellini et William Colacurcio. William Colacurcio est un immigrant sicilien qui, si l’on en croit la presse locale en 1996, était déjà dans sa Sicile natale un membre avéré de la Mafia (sicilienne) 4. Il aurait été arrêté en 1926 pour trafic de drogue.

(1) De son vrai nom : Cosa Nostra : Notre Chose… (2) La Mafia italo-américaine est une société secrète dont les membres, tous d’origine italo-américaine, sont choisis puis initiés lors d’une cérémonie formelle. Au plan national, la Mafia se présente sous la forme d’une confédération de groupes criminels appelés « Familles ». La « Famille » est une construction calquée de manière allégorique sur la famille naturelle/biologique. Il y a en tout 20/25 Familles aux États-Unis - plus deux au Canada - situées principalement sur la côte Est. Chaque Famille est dirigée par un chef (boss), un sous-chef (under boss) et un conseiller ; des « capitaines » dirigent des « dizaines » regroupant les « soldats ». Les mafieux initiés (made members) travaillent, à l’extérieur de la Famille, avec des « associés ». (3) Cité in : Mike Carter, «Federal prosecutors seek to seize Colacurcio strip-club empire», The Seattle Times, 2 juin 2008. (4) Rick Anderson, «The Stripper King. The story of Frank Colacurcio, the Bellevue boy who built a notorious nightlife empire», Seattle Weekly, 10 juillet 1996.

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La succession des « Pères fondateurs » de cet embryon de Mafia expatriée est apparemment houleuse, un conflit surgissant entre deux clans rivaux menés l’un par John « Handsome Johnny » Carbone et l’autre par Frank « Big Frank » Colacurcio Sr, le fils de William Colacurcio. John « Handsome Johnny » Carbone tombe à la fin des années 1960, condamné avec des complices à vingt ans de prison pour racket. Libéré en 1997, il meurt chez lui d’une crise cardiaque. Frank Colacurcio Sr a, quant à lui, une plus longue histoire criminelle : pendant plus de 70 ans, des générations de policiers locaux (police de Seattle, bureau du sheriff) et d’agents fédéraux (FBI et IRS) vont tenter de le confondre. Dans les années 2000, les Colacurcio père et fils défraient la chronique locale avec un scandale politico financier surnommé par la presse le Strippergate. Qu’en est-il ? En 2003, une enquête conjointe du FBI, de la police de Seattle et du sheriff du comté de King apporte la preuve de « contributions secrètes » en faveur de trois candidats à la mairie de Seattle. Apparemment, les prétendants à la mairie étaient « sollicités » pour faciliter l’expansion du parking du Rick’s. Mais, comme le dira Tim Burgess, un adjoint au maire et membre pendant 12 ans de la City Ethics and Elections Commission de la ville : « Ce n’est que la pointe émergée de l’iceberg. L’industrie du strip-tease dans ce pays est fondée sur un modèle de corruption, de blanchiment d’argent, de violence physique et de prostitution, et c’est vrai aussi à l’Ouest, dans l’État de Washington. Le sujet n’est pas celui de la danse dénudée ou de la liberté d’expression. Il est question d’une entreprise criminelle qui opère dans notre région depuis des décennies » 5. Le plus inquiétant semble en effet se trouver à un autre niveau. Les Colacurcio auraient bénéficié pendant des décennies de la « bienveillance » d’un avocat, un temps élu gouverneur de l’État : Albert D. Rosellini. Ce que l’intéressé a toujours nié vigoureusement. Les soupçons se firent par exemple pressants durant le Strippergate. Cependant, l’essentiel est ailleurs, comme ce bref aperçu historique le suggère. Officiellement, les Colacurcio et leurs associés et complices ne forment qu’une sorte de home grown organized crime (crime organisé local). Il semble pourtant qu’une véritable Famille de la Mafia, donc une entité formelle, au-delà des seuls liens du sang, se soit anciennement implantée puis développée à Seattle, loin de l’attention générale concentrée généralement sur l’activité des Familles de la côte est et de Chicago. Une Famille comprenant probablement entre cent et deux cents membres initiés et associés, dont les métastases

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iraient de l’État de Washington (Seattle, comtés de King et Pierce), aux États de l’Oregon, d’Arizona, du Texas, du Nevada (Las Vegas), jusqu’à Vancouver, en Colombie britannique (Canada). Une implantation durable et profonde donc, passée presque inaperçue jusqu’à présent.

Les Gambino et les autres Au tournant du XXIe siècle, avec l’arrestation puis le décès en prison (2002) de son boss emblématique John Gotti, la plupart des observateurs ont considéré la Famille Gambino (État de New York 6) au bord de l’agonie. Peu pariaient sur sa survie criminelle. Cette famille était présumée morte et enterrée, payant ainsi la flamboyance dangereuse de John Gotti. Il est vrai que les dégâts opérés par le témoignage devant la justice fédérale du repenti Sammy « The Bull » Gravano, ex-underboss de la Famille, furent alors considérables. Son témoignage envoya John Gotti et des dizaines d’autres mafieux en prison. Pourtant, les « affaires », une fois réorganisées et reprises en main, se sont apparemment poursuivies, comme si de rien n’était. La chronologie montre même que, durant les assauts judiciaires de la période Gotti, la Famille poursuivait sa vie criminelle : En février 2008, lors d’une opération dite Old Bridge, les polices américaines et italiennes lancent un raid conjoint contre diverses Familles de la Mafia sicilienne en Sicile – à Brancaccio, Pagliarelli, Villagrazia - et contre la Famille Gambino à New York et dans le New Jersey. En tout, environ quatre-vingts personnes sont interpellées des deux côtés de l’Atlantique, dont environ soixante aux États-Unis. On découvre, à cette occasion, que la Famille Gambino, avec en particulier sa figure montante Francesco « Frank/Franky Boy » Cali, et diverses Familles de Sicile sous l’autorité du capi di tutti capi Salvatore Lo Piccolo, le successeur de Bernardo Provenzano (arrêté en 2006), avaient su renouer les liens anciens (Old Bridge) et lucratifs de la Pizza connection (héroïne) des années 1980 – que l’on avait pourtant décrite après l’opération comme définitivement défunte !-, mettant sur pied un complexe trafic international de drogue : en l’occurrence, de la cocaïne achetée au Venezuela. Avec ces arrestations massives dans la Mafia de New York, l’opération la plus importante depuis vingt ans, c’est en fait toute la hiérarchie supérieure de la Famille Gambino qui se trouve décimée : John « Jackie the Nose » d’Amico, Domenico Cefalu (souschef), Joseph « Jo Jo » Corozzo, Giovanni Inzerillo, etc.

(5) Paul Shukovsky, «Police and feds raid Colacurcio strip clubs», Seattle P.I., 3 juin 2008. (6) L’État et la ville de New York abritent cinq Familles mafieuses dont les racines remontent au XIXe siècle pour leurs prémices et aux années 1920-30 pour leur configuration actuelle : Lucchese, Colombo, Genovese, Bonanno et Gambino. Ces cinq Familles, avec celle de Chicago, surnommée The Outfit, dominent la scène mafieuse nord-américaine, y compris canadienne.

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À partir de 2003-2004, les polices américaines, italiennes et canadiennes avaient en effet commencé à observer des voyages transatlantiques et des réunions, aux États-Unis et au Canada, impliquant des mafieux des deux continents ; autant de signes de la revitalisation de liens historiques. Détail important dans cet univers clanique et méfiant par nature ; un mariage a semble-t-il facilité le rapprochement des mafieux des deux continents : celui de Frank « Franky Boy » Cali avec Rosaria Inzerillo. Cette femme est issue de la grande famille mafieuse sicilienne des Inzerillo, dont les partisans, brutalement défaits dans les années 1970/80 par les « Corléonais » (Toto Riina, Bernardo Provenzano, etc.), avaient dû s’exiler en Amérique ; du moins ceux ayant pu échapper aux massacres. Frank Cali est aussi le beau-frère de Pietro « Tall Pete » Inzerillo, restaurateur et surtout « soldat » de la Famille Gambino. Frank Cali a ainsi joué le rôle d’ambassadeur entre les Familles américaines et siciliennes. Un autre personnage a facilité les rapprochements transatlantiques : Giovanni Inzerillo, fils du boss sicilien « Totuccio » Inzerillo assassiné par les « Corléonais » 7, né à New York en 1972, retourna en Sicile en 2000 pour s’établir officiellement dans la banlieue de Palerme comme entrepreneur de construction. On perçoit l’ironie de la situation : les Inzerillo et leurs partisans, en s’exilant aux États-Unis en pleine guerre de Familles siciliennes vont, par effet de dispersion, jeter les bases d’une revitalisation tant des Gambino que de liens criminels transatlantiques 8. Encore fallait-il que le chef de la Mafia sicilienne approuve une telle évolution. La reconstruction de ces liens transatlantiques est initiée et autorisée par la politique de pacification de Cosa Nostra de Sicile entamée par Bernardo Provenzano. Le successeur de Toto Riina, plus « politique » que son prédécesseur, autorise en effet les mafieux vaincus et exilés (« les fugitifs ») aux États-Unis à revenir en Sicile et à réintégrer les rangs de l’organisation. Rentrés au pays, ces mafieux siciliens, désormais surnommés les « Américains », se réinvestissent alors dans le trafic et le blanchiment de l’argent de la drogue, en s’appuyant sur les « cousins » américains de la Famille Gambino. Et Frank Cali prit en charge la supervision du blanchiment de l’argent des « cousins » siciliens, par exemple dans l’immobilier. Les Familles mafieuses de New York se sont toujours enrichies en contrôlant le secteur du BTP : ciment, transport, construction, pose des fenêtres, etc. Quelques opérations judiciaires retentissantes dans les années 1980 et 1990 avaient laissé espérer la fin de cette mainmise. Et ce

contrôle était presque total. Les cinq Familles de New York avaient alors réussi à cartelliser tout le secteur du béton à leur profit, provoquant des surcoûts conséquents. Ne parlait-on pas, alors, du « club du béton » à propos de cette véritable direction par la Mafia du BTP à New York ? Et la Famille Gambino – en particulier Sammy « The Bull » Gravano - se trouvait au cœur de ce racket fort lucratif. On affirmait cette époque révolue et, pourtant, on apprend en février 2008 que rien n’a vraiment changé. Ainsi le montre l’affaire Schiavone Construction Co. (Secaucus, New Jersey). Cette société, fondée dans les années 1950, est une des plus importantes dans le secteur de la construction à New York et aux alentours. Elle apparaît impliquée dans une série de schémas criminels constitués de pots-de-vin, commissions et sociétés fictives (front societies), destinés à enrichir des membres et associés des Familles Genovese et Gambino de New York. Anthony Delvescovo, directeur des constructions de tunnels pour la société Schiavone Construction Co. est inculpé en compagnie de plusieurs autres cadres d’entreprises du secteur de la construction. Ainsi, Anthony Delvescovo, décrit par la Justice comme un « associé » de la Famille Gambino, Nicholas Calvo salarié de Nacimera Industries et « associé » de la Famille Genovese, et Michael King, un syndicaliste, sont accusés d’avoir racketté pendant trois ans un cocontractant : Joseph Vollaro, propriétaire entre autre de la société Andrews Trucking. La société Schiavone Construction Co n’est pas une entreprise ordinaire puisqu’elle a obtenu des dizaines de contrats publics, dont trois en cours avec la ville de New York, représentant des travaux d’un montant de plus d’1 milliard de dollars : tunnels sous l’eau, extension de ligne de métro, etc. Un contrat public du département de la protection de l’environnement de la ville de New York, le Croton project, semble avoir tout particulièrement attiré l’attention des enquêteurs : un projet de filtration d’eau dans le Bronx dont Schiavone Construction Co assure l’excavation et qui a vu curieusement ses délais d’exécution et surtout son coût grimper de 660 millions à presque 3 milliards de dollars. Pendant deux ans, au début des années 2000, l’agent du FBI Joaquin Garcia, alias Jack Falcone, fut infiltré au contact des Gambino. Au point même de se trouver à deux doigts d’être initié dans cette Famille (made man) ! Qu’apprend-on à la lecture de ses mémoires ? [2008]. D’abord que « pas une goutte de béton n’est déversée dans la ville [New York], pas un clou n’est enfoncé dans un mur, sans

(7) Les « Corléonais » assassinèrent aussi le frère de Giovanni, Giuseppe, âgé de 14 ans. Quand Toto Riina donna l’ordre d’exécution des Inzerillo, ses instructions furent claires : « Il ne devra même pas rester les pépins des Inzerillo ». (8) Sur ce mécanisme géopolitique de « dispersion », lire : Jean-François Gayraud, Le monde des mafias, géopolitique du crime organisé, Odile Jacob, 2005, puis 2008.

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que la Mafia n’en n’ait le contrôle ….et n’en profite » [op.cit.]. À New York, le ciment est surnommé « l’or italien » (Italian gold). Le BTP est une des sources de revenus préférées des mafieux : « C’est un corollaire à la première loi de la gravité new yorkaise : dans la région de New York, tout ce qui doit monter ou descendre, ne peut voir le jour qu’après le paiement des gangsters (wiseguys : affranchis) » [op.cit.]. Il y a ainsi un « impôt mafieux » (Mafia tax ou Mob tax) de 2 % sur tout ce qui se construit, et qui rapporte plus de 10 millions de dollars par an à la Famille Gambino. L’univers des Gambino est aussi celui du racket, l’activité de base de toute entité criminelle à assise territoriale. Source de revenus réguliers et faciles (dimension économique), l’extorsion de fonds est également un marqueur territorial unique (dimension politico symbolique). En mars 2007, deux membres de la Famille Gambino, le « capitaine » Salvatore « Fat Sal » Scala (64 ans) et le « soldat » Thomas « Monk » Sassano (61 ans), sont déclarés coupable de racket contre un club de strip-tease de Manhattan (New York), le VIP Club. Chaque mois, ils extorquaient au club des milliers de dollars en cash et en soirées arrosées non payées. Ils avaient également placé des « amis » dans des emplois fictifs (bogus jobs) dans le club. Préjudice global : 2,5 millions de dollars. Le « capitaine » Salvatore « Fat Sal » Scala est aussi reconnu coupable d’évasion fiscale pour ne pas avoir déclaré de revenus entre 1998 et 2001, et pour avoir caché son argent sous de fausses identités dans diverses banques. Les avocats de deux mafieux ont tenté d’expliquer, qu’en réalité, leurs clients étaient de simples investisseurs dans le VIP Club.

La Famille de Chicago Un observateur distrait pourrait le croire tant l’Outfit – « l’instrument » comme elle se surnomme elle-même – défraie peu la chronique judiciaire. D’où l’équation commune mais fausse : statistiquement invisible donc morte ! Et, quand l’Outfit apparaît devant les tribunaux, c’est souvent à l’occasion de procès de vieux mafieux, ce qui donne lieu aux sempiternelles évocations sur le déclin de cette Famille. Tel fut le cas, en juin 2007, avec le procès dit des « secrets de famille » durant lequel on vit défiler cinq légendes de l’Outfit âgées de 62 à 78 ans : Joey « The Clown » Lombardo 9, James Marcello, Frank Calabrese, Paul Schiro et Anthony Doyle, tous accusés de « crimes brutaux », principalement des homicides et du racket.

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Le crépuscule, donc ? La réalité est tout autre. Cette Famille est probablement la plus puissante et la plus rusée du continent nord-américain, ainsi que l’a si bien décrit l’écrivain Gus Russo dans son ouvrage fondamental : The Outfit [2001]. C’est aussi une des moins visibles, ce qui n’est pas l’un des moindres paradoxes quand on se souvient que l’un des gangsters les plus célèbres du XXe siècle est issu de ses rangs : Al Capone. Après ce fâcheux épisode qui a démontré les dangers de la surexposition médiatique, la Famille de Chicago a, depuis, pratiqué une politique d’immersion profonde qui lui a permis, hier comme aujourd’hui, de s’infiltrer profondément dans le big business, les syndicats et la politique. Comment in concreto a-t-elle pu passer ainsi sous le radar judiciaire ? Il semble que cette Famille ait fait le choix stratégique de s’éloigner des marchés trop « chauds » (hot deals) d’un point de vue judiciaire, politique et médiatique, ceux attirant une forte réprobation sociale et donc des risques pénaux réels. Ainsi, par calcul, cette Famille s’est tenue à distance du trafic de drogues et des crimes de rue (prostitution, etc.), alors même que ces marchés criminels sont potentiellement très lucratifs. Ces activités ont donc été récupérées par des gangs ethniques, noirs et hispaniques surtout, la nature (criminelle) ayant horreur du vide. De ce fait, les forces de police se concentrent plus sur ces gangsters de rue que sur les mafieux. En empêchant ses « soldats » de céder à la tentation d’activités criminelles lucratives, mais trop risquées, l’Outfit a, par là même, démontré sa forte discipline interne. La Famille de Chicago a ainsi développé ses investissements dans les marchés légitimes et la haute société (upperworld). Ce qui explique pourquoi la ville de Chicago est certainement la plus corrompue des ÉtatsUnis, avec la Nouvelle-Orléans, et ce depuis des décennies. On ne compte plus en effet les policiers, les juges et surtout les conseillers municipaux compromis. L’Outfit a acquis au fil des générations une influence politique, économique et sociale indéniable. À retenir, tant l’État de l’Illinois fait émerger de politiciens d’envergure nationale. Cependant, l’Outfit n’a évidemment pas quitté l’underworld : le racket syndical, la captation de marchés publics ou le jeu illégal demeurent ses sources majeures de revenus criminels. L’Outfit a toujours gagné beaucoup d’argent avec le jeu et ne supporte donc pas la concurrence sur son terrain de prédilection. Selon la Justice, la seule activité des jeux électroniques (video gaming machines) lui rapporterait 13 millions de dollars par an. À l’été 2008, deux bikers (motards) appartenant au club des Outlaws, Mark Polchan (41 ans) et Samuel Volpendesto (84 ans), sont interpellés,

(9) Ce surnom de « clown » n’a pas pour origine un caractère enjoué, mais une anecdote toute judiciaire : Joey Lombardo fut arrêté dans les années 1980 alors qu’il revenait chercher ses lectures préférées, des comic books. (10) Un « Chapitre » est un club dans le vocabulaire des bikers.

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soupçonnés d’avoir détruit, en février 2003, au moyen d’une bombe, et ce pour le compte de la Mafia, les locaux de la société C&S Coin Operated amusements. Cette société était spécialisée dans les machines de jeux électroniques et faisait de l’ombre à l’Outfit. Le club des Outlaws est de longue date suspecté de liens avec la Mafia – à Chicago comme d’ailleurs ses autres « chapitres » 10 ailleurs aux États-Unis - et Mark Polchan est identifié comme un « associé » de l’Outfit. Les deux bikers ont, semble-t-il, agi à l’instigation de John « Johnny Apes » Monteleone, un mafieux de l’Outfit basé dans la banlieue de Chicago, à Cicero. Dans cette ville de banlieue, Samuel Volpendesto a dirigé, dans les années 1990, un club de strip-tease et de prostitution. Suspectant un jour un de ses employés d’être un informateur du FBI, il le roue de coups avec une batte de baseball et le laisse semi-inconscient. Lors des perquisitions provoquées par cette affaire, les agents fédéraux trouveront dans son club vingt-deux grenades à main et des explosifs. Quant à Mark Polchan, il est connu pour ses manœuvres d’intimidation contre les témoins ou pour des faits de corruption de policiers.

Les Familles du Canada Moins connues que leurs consœurs des États-Unis, les deux Familles de la Mafia résidentes au Canada – celle de Montréal dite Rizzuto (État du Québec) et celle de TorontoHamilton dite Caruana-Cuntrera (État de l’Ontario) – se portent plutôt bien. La Famille de Montréal, sous la direction des Rizzuto, a ainsi acquis au fil des ans une puissance financière considérable, grâce en grande partie aux profits mirifiques issus du trafic international de la drogue, comme le raconte l’ouvrage de Lee Lamothe et Adrian Humphreys au titre évocateur : The Sixth Family 11. Certes, les Justices canadienne et américaine ont su porter des coups importants à cet empire criminel. Ainsi, en mai 2007, Vito Rizzuto était condamné par un juge fédéral de New York à dix ans de prison et 250 000 dollars d’amende pour un triple meurtre commis en 1981 pour le compte de la Famille Bonanno 12. Une peine modeste due à l’entente légale intervenue entre le procureur fédéral de New York et l’avocat du mafieux (procédure dite du plaider-coupable ou plea bargaining). La Justice américaine est si conciliante

que le juge a accepté que Vito Rizzuto purge sa peine dans une prison proche de la frontière canadienne 13. Comme le dit un de ses deux fils, Leonardo : « C’est très important pour ses cinq petits-enfants, ses enfants et sa femme » 14. En condamnant Vito Rizzuto à verser une forte amende, le juge fédéral n’a manifestement pas cru les déclarations du mafieux concernant sa situation financière. Le gangster se serait très endetté auprès de membres de sa famille afin de pouvoir payer ses frais d’avocat. Il ne posséderait ni maison, ni carte de crédit, ni compte bancaire. Ses seuls actifs viendraient de sa société de construction Renda. Ce qui, formellement, est certainement vrai puisque, en général dans la Mafia, les actifs sont juridiquement détenus par des tiers, souvent des familiers. Le juge fédéral, manifestement bon enfant, accepte au final des versements par tranches de 25 000 dollars. Pourtant, la richesse de Nicolo Rizzuto, le père, et de son fils Vito est bien réelle. La vaste enquête de la police canadienne dite « Colisée » (2006) a ainsi montré l’ampleur et la complexité de leur organisation criminelle. Elle comprendrait environ 600 personnes, essentiellement des criminels, mais aussi des hommes d’affaires et des politiciens. Durant l’opération « Colisée », 73 personnes sont interpellées, dont Nicolo Rizzuto, 90 perquisitions sont menées, et 1 000 chefs d’inculpation délivrés. Que découvret-on alors ? Au-delà du trafic international de la drogue - 800 kg de cocaïne et 40 kg de marijuana saisis, le clan Rizzuto se livre également au blanchiment de l’argent sale, aux paris sportifs, au vol de marchandises, aux prêts usuraires, à la fraude fiscale, aux appels d’offres truqués de marché, à la fraude fiscale, aux meurtres, etc. Et le traditionnel racket de protection (pizzo) n’a pas disparu, au contraire. Il est même généralisé auprès des commerçants et des hommes d’affaires de la communauté italienne, sans que la menace ne soit nécessaire pour faire rentrer « l’impôt ». L’infiltration des Rizzuto semble profonde dans le secteur de la construction, au Canada et en Italie. La police italienne aimerait bien ainsi poser quelques questions à Nicolo et Vito Rizzuto à propos du projet de construction du pont de Messine entre la Calabre et la Sicile. En association avec la ’Ndrangheta et la Mafia sicilienne, les Rizzuto père et fils étaient apparemment prêts à investir 8 milliards de dollars dans ce vaste chantier !

(11) Lee Lamothe et Adrian Humphreys dans The Sixth Family, The Collapse of the New York Mafia and the Rise of Vito Rizzuto, Wiley, 2006. La « sixième » Famille donc, et ce par référence aux cinq Familles de New York : Lucchese, Gambino, Colombo, Bonnano et Genovese. (12) Ce triple homicide est décrit dans le film Donnie Brasco, avec Johnny Depp et Al Pacino. (13) En l’occurrence, la prison de Ray Brook, au nord de l’État de New York, qui est en effet l’établissement pénitentiaire américain le plus proche de Montréal. C’est aussi une prison dite de medium security ! (14) Cité in: «Vito Rizzuto écope de 10 ans», La Presse (Montréal), 26 mai 2007 ; et aussi : «Judge hands Rizzuto 10 years», National Post, 26 mai 2007.

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L’autre Famille Canadienne, celle des Caruana-Cuntrera (Toronto) est tout aussi florissante, et ce grâce aussi au trafic international de drogue, en particulier via le Venezuela. Les Familles de Montréal et de Toronto fonctionnent en bonne intelligence : ni rivales ni concurrentes, elles vivent dans une réelle pax mafiosa, sachant même s’entraider à l’occasion. Cela s’appelle certainement la maturité…

La routine syndicale : même les bus scolaires L’infiltration des Familles de la Mafia dans nombre de marchés privés et publics a souvent emprunté la voie des syndicats. Quoi de plus facile pour contrôler, parasiter et finalement racketter des marchés publics ou privés que d’investir au préalable les syndicats professionnels : bâtiment, habillement, etc. Un syndicat en « odeur de Mafia » peut déclencher des grèves d’intimidation, offrir des emplois fictifs, détourner l’argent des fonds de pension, etc. Car, comme le montre l’ouvrage du professeur James J. Jacobs : Mobsters, Unions, and Feds The Mafia and the American Labor Movement [2006], s’il existe une particularité du syndicalisme américain, elle réside bien dans cette contamination récurrente et ancienne des syndicats par la pègre (mob). Apparemment, à New York, un secteur avait été jusque-là préservé : les transports publics. La désillusion est grande quand, en juin 2008, Salvatore « Hotdogs » Battaglia (61 ans), ex-président de la Local 1 181 (section) de la Amalgamated Transit Union de 2002 à 2006, est condamné à cinquante-sept mois de prison pour extorsion, après avoir plaidé coupable ; il doit aussi payer une amende de 50 000 dollars et en restituer 180 000 autres aux victimes. Ce syndicaliste est identifié par la Justice fédérale comme un « associé » de la Famille Genovese. Il a extorqué des dizaines de milliers de dollars aux propriétaires de trois sociétés de bus sous contrats avec le service de l’éducation (Department of education) de la ville de New York. Le New York Times, citant des autorités officielles fédérales, avance le chiffre de 2,7 millions de dollars 15. Salvatore « Hotdogs » Battaglia agissait sous la direction de Matthew « Matty the Horse » Ianniello, le « capitaine » et boss par intérim (acting boss 16) de la Famille Genovese. Que faisaient-ils ensemble ? Le syndicaliste recevait, par exemple, de l’argent du chef mafieux afin de ne pas syndiquer certaines compagnies de bus sous contrat avec la ville ; en retour, le boss touchait

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de l’argent (racket) de la part de l’entreprise ainsi exempte de syndicalistes. La fonction de président de la Local 1 181 était bien rémunérée : 199 000 dollars par an. La Local 1 181 représente les 15 000 conducteurs de bus travaillant pour les sociétés sous contrats municipaux. Selon la justice fédérale, l’emprise de la Famille Genovese sur cette Local remonte en réalité aux années 1980. Salvatore « Hotdogs » Battaglia est le 3e officiel en fonction de la Local 1 181 à être inculpé par la Justice. En 2006, il y eut ainsi Julius « Spike » Bernstein, secrétaire et trésorier (racket, jeux clandestins, vol, obstruction à la Justice) pour ses quarante ans d’association avec les Genovese et de carrière syndicale. Julius « Spike » Bernstein était souvent vu en compagnie de Matthew « Matty the Horse », l’acting boss de la Famille Genovese. Il plaide coupable en 2006 et meurt en 2008 à 86 ans. Ou encore en 2006, Ann Chiarovano, employée par le syndicat depuis plus de quarante ans, et directeur du fonds de pension et de sécurité sociale (obstruction à la Justice). Un mois avant la condamnation de Salvatore « Hotdogs » Battaglia, la Justice avait déjà poursuivi quatre employés municipaux du département de l’éducation de la ville de New York, pour avoir touché des pots-de-vin afin d’offrir un traitement indulgent à certaines compagnies de bus : inspections myopes, etc. L’infiltration mafieuse des syndicats est si ancienne et si profonde que le législateur permet la mise sous tutelle (trusteeship) par un juge des sections (Locals) les plus atteintes 17. C’est ainsi ce qui est arrivé en janvier 2007 à la Laborer’s Local 394 de la ville d’Elizabeth dans le New Jersey. Pourquoi ? Cette section syndicale est de facto sous le contrôle de la Famille du New Jersey, dite DeCavalcante 18, depuis des générations. La tutelle imposée par la Justice se prolongera aussi longtemps que les faits de corruption et de mauvaise gestion dureront. La Famille DeCavalcante a toujours considéré ce syndicat comme une « vache à lait » (cash cow) lui fournissant : emplois fictifs, occasions multiples de racket, marchés captifs dans le secteur de la construction, embauches préférentielles pour les « amis », etc. Les dirigeants des entreprises refusant les conditions imposées par le syndicat et ses mafieux étaient alors menacés, et devaient subir des grèves « spontanées ». Ce qu’exprimera fort bien un des cadres de cette Famille : « Pas un clou ne perforait un mur sans que nous ne touchions notre part » 19. En 2004, une commission d’enquête de l’État du New Jersey dénombrait quinze à vingt

(15) «Reports says mobsters controlled bus union», New York Times, 7 septembre 2007. (16) Acting boss : catégorie qualifiant le cadre d’une Famille ayant en charge les activités courantes quand le boss en titre est emprisonné et est donc empêché momentanément d’exercer son pouvoir direct. (17) Sur le dispositif légal, on lira avec profit : James J. Jacobs, Mobsters, Unions, and Feds, The Mafia and the American Labor Movement, New York University Press, 2006. (18) Famille qui a inspiré les Sopranos. (19) Cité in : «Married to mob, Union is whacked. Ruling ousts leaders of Elizabeth local», Star Ledger, 30 janvier 2007.

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individus, membres ou « associés » de cette Famille mafieuse, comme faisant parti de la Local 394. Faut-il préciser d’ailleurs qu’aucun d’entre eux n’y travaillait réellement (emplois fictifs : no show job) ? La Local 394 est-elle un cas isolé, un exemple aberrant et non significatif ? Non : dans un passé récent, elle est la seconde dans le New Jersey. En 2005, la Local 734 de la ville de Rochelle Park avait connu le même sort et pour les mêmes raisons de contamination mafieuse avérée.

Les déchets et ordures, un grand classique toujours à la mode La Mafia et les ordures ! C’est une longue histoire, jamais démentie. Peu de secteurs économiques, du moins sur la côte est des États-Unis, et sauf peut-être le BTP, sont autant contaminés par la présence mafieuse. Il suffit de se baisser pour en trouver les traces. Ainsi, en mars 2007, Richard Caccavale (48 ans), de Stormville (État de New York), plaide coupable de racket dans une vaste enquête fédérale portant sur l’influence de la Mafia dans l’industrie des ordures (trash industry) dans les États du Connecticut et de New York. Operation manager de la société Automated Waste Disposal, Richard Caccavale admet devant la Justice avoir participé à la cartellisation du secteur. Les entreprises du secteur s’entendaient pour ne pas se faire trop de concurrence entre elles sur les prix face aux consommateurs, et pour les proposer toujours gonflés. Quand une entreprise ne comprenait pas, Richard Caccavale savait alors la rappeler à l’ordre, avec un appel téléphonique aussi inquiétant que celui-ci cité en Justice : « […] do yourself a favor for your health, don’t […] go this way. Do the right thing » 20. Mais Richard Caccavale n’est que l’un des vingt-neuf mis en cause. On trouve aussi Joseph Santopietro, un ancien maire de la ville de Waterbury, et consultant dans une société de déchets et ordures. Et, surtout, le boss de la Famille Genovese, Matthew « Matty the Horse » Ianniello qui, dans ce dossier, a plaidé coupable de racket et évasion fiscale. Le vieux boss de 86 ans a certes admis avoir participé à ce schéma de fraude avec des complices, mais pas d’appartenir à la Mafia.

Les marchés boursiers et Wall Street Les mafieux savent faire de l’argent partout, y compris dans le monde sophistiqué des marchés financiers. En attendant de peut-être découvrir leur trace dans quelques opérations criminelles en marge de la crise des subprimes, reconnaissons que les décennies 1990 et 2000 leur ont apporté beaucoup de satisfaction à la bourse de New York.

Ainsi, en novembre 2007, la Justice fédérale de Brooklyn (New York) condamnait Craig Marino (37 ans) à dix ans de prison et à 100 000 dollars d’amende pour sa participation à une vaste et lucrative escroquerie boursière sous le contrôle de la Famille Colombo. Les gains sont estimés à environ 20 millions de dollars. La manipulation des cours de bourse s’est étendue sur une dizaine d’années (1994-2005). Craig Marino n’était que l’un des dix associés ou membres des Familles Colombo, Lucchese et Bonnano qui ont organisé ces escroqueries. Comment faisaient-ils ? Ils avaient réussi à prendre le contrôle d’une douzaine de firmes de courtages situées principalement à Manhattan (New York). Ils lançaient alors un schéma classique de spéculation boursière, dit pump and dump, consistant d’abord à faire monter fictivement, par des tiers contraints ou naïfs, le cours de bourse de certaines actions, puis à les revendre à leur pic.

Le jeu clandestin : une inépuisable vache à lait (cash cow) Les jeux clandestins rapportent toujours autant d’argent liquide, si l’on en juge par les sommes révélées lors de quelques opérations et procès judiciaires. En mai 2007, Andrew Merola (40 ans), un « soldat » de la Famille Gambino est arrêté dans la New Jersey où il réside, et ce dans le cadre d’une opération judiciaire de grande envergure (Family Ties) dont il est la cible centrale : en tout 25 arrestations, 200 policiers mobilisés appartenant à douze agences différentes dont le FBI, et vingt perquisitions. Officiellement, Andrew Merola tire ses revenus de deux syndicats : la Local 825 de l’International Union of Operating Engineers (à Springfiefd) et la Local 1 153 du Laborer’s International Union of North America (Newark). Cette activité syndicale permet bien sûr divers rackets. Ainsi, avec un membre de la Famille Lucchese, Martin Tacetta, Andrew Merola a voulu extorquer 20 000 dollars à une entreprise de BTP qui ne souhaitait pas embaucher d’ouvriers syndiqués de la Local 825. Surtout, le « soldat » de la Famille Gambino dirigeait une opération vaste et sophistiquée de jeu illégal avec deux complices, Ralph Cicalese (un ancien policier) et Kyle Ragusa (tout juste sorti de prison pour meurtre), en utilisant un site internet, Topbettors.com, offrant des services de jeux à l’étranger, dans un centre off-shore. Via ce site, il était possible de parier sur des événements sportifs et de pratiquer des jeux de casinos. Le réseau de jeu illégal couvrait la ville de New York et l’État du New Jersey. Ralph Cicalese et Kyle Ragusa supervisaient une quinzaine de complices qui, à leur tour, traitaient une centaine de joueurs. Évidemment, les joueurs endettés se faisaient rappeler à l’ordre

(20) Cité in : «Trash company manager pleads guilty to racketeering conspiracy», Associated Press, 21 mars 2007.

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virilement. Andrew Merola est aussi poursuivi pour : prêts usuraires (loan sharking) puisque les joueurs endettés se voyaient prêter de l’argent à des taux exorbitants ; et pour emplois fictifs (no show job) puisque ses fonctions syndicales ne correspondaient à aucune activité réelle. En mars 2007, la police de New York arrête dix gangsters impliqués dans un vaste réseau de paris sportifs illégaux, tous liés aux Familles Genovese et Lucchese. Ils prenaient environ 1 000 paris tous les mois représentant un montant annuel de 17,5 millions de dollars. Le responsable de l’opération criminelle, Allen Sherman (66 ans), était lié à l’underboss des Genovese, Venero « Benny Eggs » Mangano (85 ans), récemment sorti de prison. Le Canada n’est pas en reste. En juin 2007, on apprend qu’un underboss, Francesco Del Balso, dirigeait vingt-cinq opérations de jeu illégal à Montréal, Toronto et Ottawa qui, sur une période de onze mois, avaient vu transiter en tout au moins 500 millions de dollars. Francesco Del Basto se vantait même d’un chiffre d’affaires de plus d’un milliard de dollars. Au Québec, son partenaire Lorenzo Giordano (43 ans) s’occupait de paris sportifs sur Internet (World Sport Centre : betwsc.com) et par téléphone ; dans la seule ville de Kahnawake, ce business rapporta 391,9 millions de dollars canadiens, de décembre 2004 à novembre 2005. En tout, l’estimation approcherait même les 520 millions de dollars canadiens (333 millions d’euros). Francesco Del Basco aurait réalisé un bénéfice personnel de 17 millions de dollars. Les joueurs se voyaient accorder des lignes de crédit et des codes d’accès secrets au site internet. Le serveur se trouvait au Belize, puis dans la réserve amérindienne de Kahnawake. Francesco Del Balso et Lorenzo Giordano se plaignaient qu’ils avaient trop d’argent liquide : « le cash, tu ne peux rien en faire ! » 21. En décembre 2007, la police criminelle du New Jersey annonce que, après seize mois d’enquête, deux douzaines de gangsters (wiseguys), dont trois membres de la Famille Lucchese, sont poursuivies dans le cadre d’une affaire de jeux clandestins, blanchiment d’argent et racket portant sur 2,2 milliards de dollars. Les autorités judiciaires n’hésitent pas à parler « d’une des plus grandes affaires de jeu illégal jamais découverte ». Les mafieux avaient créé une véritable salle des marchés du jeu, en liaison directe avec le Costa

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Rica. Au-delà du jeu, ils se livraient aussi au trafic de drogue et de téléphones volés. Les vrais mafieux du New Jersey sont donc bien actifs, loin de l’image décadente de leur représentation télévisuelle des Soprano 22. La branche du New Jersey de la Famille Lucchese dirigeant l’opération comprenait entre autre : Joseph DiNapoli (72 ans), Mathew Madonna (72 ans), et surtout le « capitaine » Ralph Perna (61 ans), responsable de la branche du New Jersey, et ses trois fils Joseph (38 ans), Ralph (35 ans) et John (30 ans) 23. L’examen des finances personnelles de Joseph Perna offre un aperçu de la profitabilité d’une carrière criminelle bien menée : cinq comptes en banque totalisant 329 000 dollars alimentés entre juillet 2005 et août 2007, pour un revenu déclaré avec son épouse de 64 000 dollars ; seize propriétés dont une maison valant 712 500 dollars ; et des voitures haut de gamme (Jaguar, Mercedes, Cadillac, etc.). À propos de ces masses d’argent tirées principalement des opérations illégales du jeu, les autorités judiciaires parlent alors « d’un torrent de revenus illicites ». En mars 2008, le procureur fédéral de New York demande que Christopher Colombo, fils du boss Joe Colombo, appartenant à la mafieuse éponyme des Colombo, soit condamné à purger vingt-sept mois de prison pour son implication dans un réseau de jeux clandestins ayant rapporté 3,6 millions de dollars sur dix ans. En juin 2008, après vingt mois d’enquête menée par quatorze services de police de trois États (Maryland, New Jersey, Pennsylvanie), débute à Atlantic City (État du New Jersey) un procès mettant en cause vingt-quatre gangsters, apparemment détendus et bronzés selon la presse, accusés d’avoir organisé une opération de paris clandestins, et ce sous la direction de la Mafia. Les charges sont lourdes : racket, blanchiment d’argent, association de malfaiteurs, paris clandestins, etc. Les accusés âgés entre 21 et 63 ans forment un Who’s Who des figures montantes de la pègre et des paris sportifs illégaux. L’opération criminelle était menée par Jack Buscemi (50 ans), un des plus gros bookmakers de Philadelphie, et Andew Micali (32 ans), deux gangsters qui rendaient compte de leurs activités à deux mafieux réputés de la Famille de Philadephie : le « soldat » Anthony Nicodemo (36 ans) et le « capitaine » Michael « Mickey Lance » Lancellotti (45 ans) 24. Le « soldat »

(21) Cité in : «Suspected Mafia underboss boasts of 1 billion sports betting network», The Gazette/National Post, 6 mars 2007. (22) Cette série de la chaîne HBO montre une Famille de la Mafia du New Jersey en plein chaos, dont le boss, Tony Soprano, tente de gérer ses angoisses par une cure psychanalytique. (23) Durant l’enquête, un micro clandestin de la police captera même une cérémonie d’initiation ayant eut lieu le 10 novembre 2007 au cours de laquelle John et Joseph Perna furent formellement initiés au sein de la Famille Lucchese, et ce dans la maison familiale de Toms River (New Jersey). Une nouvelle preuve que la Mafia est une véritable organisation structurée et formelle. La première cérémonie enregistrée le fut par le FBI en octobre 1989 : The Ceremony, The Mafia Initiation tapes, 1992. (24) Il est intéressant de noter que Jack Buscemi est le neveu d’un soldat mafieux « mort en service » en 1993 et qu’il est réputé proche du conseiller (consigliere) Gaetano Lucibello.

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Anthony Nicodemo dépendait lui-même du boss du Sud de la ville de Philadelphie, Joseph Ligambi. On voit aussi apparaître des « associés » clairement identifiés de la Mafia : Steven « Stevie Gongs » Casasanto, William DePena, Domenic Grande et Vincent Procopio. Au quotidien, les « affaires » étaient menées par Andrew Micali qu’une caméra filmera prenant des paris venant d’un officier de police opérant sous couverture. Les opérations de paris sportifs clandestins (bookmaking), mais aussi de prêts usuraires (50 % d’intérêts !) et de blanchiment d’argent, se tenaient à l’intérieur de la sale de poker du casino Borgata Hotel Casino & Spa d’Atlantic City. Les mafieux et leurs associés avaient réussi à recruter pour leurs opérations criminelles plusieurs cadres et employés dudit casino. Depuis 2006, cette organisation de jeu illégal avait réussi à prendre pour environ 22 millions de dollars de paris ! Durant le procès, Anthony Nicodemo doit aussi répondre d’une accusation d’homicide en 2003 d’un gangster, John « Johnny Gongs » Casasanto (frère de Steven, voir supra), homicide qui lui aurait valu son initiation/promotion dans la Mafia 25. En juillet 2008, un « capitaine » réputé de la Famille Gambino, Nicholas « Little Nicky » Corozzo (68 ans), plaidait coupable des seules charges de jeux illégaux, lors d’accusations plus larges menées par le procureur du Queens (New York) pour : extorsion, meurtre et blanchiment d’argent. L’opération de bookmaking admise par Nicholas « Little Nicky » Corozzo partait du quartier du Queens, se prolongeait au Costa Rica, et portait sur des paris pour des compétitions de sports professionnels, mais aussi amateurs (collèges). Sur deux années, les paris engagés se sont élevés à 10 millions de dollars. Comme le rappelle le procureur du Queens, Richard Brown : « Le jeu illégal a toujours été la vache à lait (bread-and-butter moneymaker) du crime organisé, car cette activité génère d’énormes profits qui sont ensuite utilisés pour alimenter d’autres formes de criminalité plus insidieuses ». Le « capitaine » Corozzo est défendu par un avocat qui n’est autre que son neveu, Joseph Corozzo Jr : une vraie « affaire de famille ». En juillet 2008, la police d’État de Pennsylvanie met fin à l’activité criminelle de Nicholas « Nicky the Hat » Cimino (49 ans), qui était à la tête d’une organisation de jeu illégal et de prêts usuraires - deux activités indissociables, les parieurs s’endettant souvent – fonctionnant depuis 2002 dans le sud de la Pennsylvanie. Après cinq ans d’enquête, dix-sept personnes sont interpellées. Ces activités criminelles généraient un chiffre d’affaires d’environ 1 million de dollars par mois. Nicholas « Nicky

the Hat » Cimino employait divers malfrats tels : Gregory « King » Triantafillou (39 ans), Daniel Dietrich (34 ans), Victor « Vic » Novelli (28 ans), Spiro « Bart » Barbalios (34 ans) et Joseph Pizza (59 ans), dont le rôle consistait à recueillir les paris, à payer les gains et à collecter l’argent des perdants. « Nicky the Hat » Cimino dirigeait également un casino clandestin dans la ville de Folsom. Il s’appuyait sur un cadre de la Famille mafieuse de Philadelphie, Louis « Bent Finger Lou » Monacello (41 ans) dont la présence s’avérait ponctuellement nécessaire pour récupérer l’argent des perdants et recouvrer les prêts accordés. En réalité, le rôle de Louis « Bent Finger Lou » Monacello ne pouvait évidemment pas se limiter à celui très subalterne de « gros bras » (enforcer). Afin de pouvoir exercer sur le territoire du mafieux, « Nicky the Hat » Cimino payait en effet une « taxe » mensuelle au mafieux Louis « Bent Finger Lou » Monacello. « Nicky the Hat » Cimino blanchissait ses revenus criminels tirés du jeu et de l’usure en investissant dans l’immobilier et en faisant racheter par des complices – Joseph Pizza, Ralph « Ralphie Head » Abbruzzi (59 ans) et Robert « Bobby Beck » Beck (43 ans) – des tickets de loterie gagnant ; tickets lui permettant d’afficher des ressources légitimes. Le réseau de jeu et paris illégaux s’étendait jusqu’en Californie et via également un site Internet off shore. L’organisation se faisait appeler Le Club. Quand Louis « Bent Finger Lou » Monacello apprend qu’il est sous enquête judiciaire, lui et ses complices, il demande alors à son avocat, Gregory Quigley, de rencontrer un des futurs témoins à charge pour le « cadrer ». Gregory Quigley donne alors ses instructions au témoin : « Tu as six options avant de mentir : oui, non, je ne sais pas, je ne m’en souviens pas, le 5e 26, mentir ». En août 2008, John Caggiano (59 ans), un associé de la Famille Genovese, plaide coupable : il reconnaît diriger un réseau de jeu illégal dans le Bronx (New York) lui rapportant 1 500 dollars par semaine, plus 10 000 dollars de bonus à noël. Il est condamné en novembre à une peine d’un an et demi à quatre ans de prison et à 176 000 dollars d’amende. L’opération de surveillance de la police a duré deux ans. En tout, dix personnes ont été inculpées. Il apparaît que John Caggiano agissait sous la direction du « soldat » de la Famille Genovese Ralph Balsamo. Cette opération de jeu illégal rapportait 1 million de dollars par an. En août 2008, un juge de l’État de New York autorise la poursuite de l’enquête pesant sur un « soldat » réputé de la Famille Genovese : Joseph « The Eagle » Gatto (64 ans). Il est accusé d’être à la tête d’un réseau international de

(25) Ce qui en argot mafieux se dit : to earn the bones (décrocher son os). (26) Il s’agit du 5e amendement à la constitution des États-Unis qui permet de conserver le silence face aux questions (droit au silence) et ce, afin de ne pas se trouver en situation de devoir s’incriminer soi-même.

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paris sportifs clandestins, fonctionnant au profit de quatre des cinq Familles de New York, portant sur des millions de dollars. Joseph « The Eagle » Gatto contrôle apparemment une véritable salle de paris clandestins (wire room) au Costa Rica du nom de Catalina Sports. Plus de quarante personnes ont été mises en cause dans ce dossier. On découvre aussi qu’un associé des Genovese, Carmen Cicalese, dirigeait une seconde salle de paris au Costa Rica, du nom de DataWagers, qui devait lui rapporter de belles sommes d’argent. Dans les coffres de sa banque, les enquêteurs ont saisi 680 000 dollars.

Et toujours l’indispensable corruption des autorités judiciaires

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des prostituées de la part du « capitaine » de la Famille Colombo, Gregory Scarpa Sr, et ce en échanges d’informations confidentielles (écoutes, etc.). Lindley DeVecchio aurait ainsi permis aux amis de Gregory Scarpa Sr de sécuriser leur situation personnelle en pleine guerre mafieuse durant les décennies 1980 et 1990 ; ou encore d’apprendre aux mafieux qu’un de leurs clubs était sous surveillance. Les informations fournies auraient même aidé à l’assassinat de rivaux dans la Mafia. Libre sous caution (1 million de dollars), l’ex-agent Lindley DeVecchio a toujours nié, alléguant que le « capitaine » était en fait sa source. Depuis, Gregory Scarpa Sr est mort en prison alors qu’il purgeait une peine pour racket et meurtre.

Difficile à déraciner En juillet 2007, David Gross, un ancien juge du comté de Nassau (État de New York) plaide coupable d’avoir tenté de blanchir plus de 400 000 dollars pour des membres de la Famille Genovese. S’il savait que l’argent provenait d’un vol de bijoux, il ignorait en revanche que la transaction qu’il avait essayé de réaliser se faisait avec un agent du FBI agissant sous couverture. L’ex-juge devait ensuite conserver 20 % de la somme blanchie en rétribution. Il était prêt à blanchir ensuite 280 000 dollars venant de diamants volés. David Gross fut élu juge pour la première fois en 1999 et arrêté en 2005 pour ce crime. Le directeur du bureau du FBI de New York, Mark Mershon, évoque à propos de ce dossier : « la plus fieffée trahison de la confiance publique » qui soit. David Gross était en « affaires » avec Nicholas Gruttadauria, un membre avéré de la Famille Genovese. On ignore si cette fréquentation de la Mafia avait commencé alors que le juge était en exercice. En 2007, les graves accusations de corruption pesant sur l’ex-agent du FBI Lindley DeVecchio se sont précisées. Ce cadre important de la police fédérale est poursuivi depuis 2006 pour avoir reçu de l’argent liquide, des bijoux volés, le paiement de chambres d’hôtels, de l’alcool et

La Mafia italo-américaine est certes probablement moins dominante aujourd’hui dans la société américaine que durant les années 1950-1960. Qu’en sera-t-il demain ? Comment les mafieux appellent-ils les traîtres (informateurs et repentis) qui parlent aux autorités judiciaires ? Des « rats » (rats)… Et c’est bien la figure inquiétante de cet animal souterrain et adaptatif qui doit inspirer ceux en charge de l’éradication de Cosa Nostra. Comme le dit Randy Mastro, un ex-procureur fédéral et ex-maire adjoint de la ville de New York, spécialisé dans la lutte anti mafia : « La Cosa Nostra ressemble à une infection de rats. Au moment où vous croyez les avoir éradiqués, ils se reproduisent et réapparaissent » 27. Ainsi, une répression judiciaire molle ou menée par intermittence – sous la seule pression de l’émotion publique – peut paradoxalement renforcer l’organisation criminelle en l’obligeant à se régénérer.

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(27) Cité in : «Mafia in U.S. down, but not yet out», Reuters, 9 février 2008.

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Encadré 1

La longue carrière criminelle de Frank Colacurcio Sr : Soixante-dix ans de crime organisé En 2008, Frank Colacurcio répond à une brève interview de la presse de Seattle durant laquelle il tient un propos que sa biographie connue ne dément pas : « Ils [la police] enquêtent sur moi depuis ma naissance » 28. Et à chaque fois qu’on lui parlera de « Mafia », il répondra : malarkey (bobard). 1918 Naissance à Bellevue, État de Washington. Aîné d’une famille de huit ou neuf enfants (selon les sources) dont sept garçons. Commence dans la vie par divers métiers : boucher, employé de ferme, conducteur de camions.

1959 Convocation de Frank Colacurcio Sr devant le Congrès, au Senate Select Committee on Improper Activities in the Labor or Management Field, dite « Commission McClellan ». Cette commission enquête en fait sur le crime organisé. La commission veut avoir des lumières sur l’accusation portée alors contre Frank Colacurcio Sr d’avoir violenté quatre concurrents à Seattle. Il refuse de comparaître. En 1957, le jeune Robert F. Kennedy, un des membres les plus actifs de la commission, avait interrogé en séance publique un gangster de Portland (État de l’Oregon), James « Big Jim » Elkins. Le gangster de Portland avait alors qualifié Frank Colacurcio de « racketteur », opérant à Seattle et dans l’État de Washington, et affirmé que ce dernier lui avait demandé de l’aide pour ouvrir trois ou quatre maisons closes, ce qu’il aurait refusé. 1960

1943 Frank Colacurcio Sr est condamné, pour la première fois de sa vie, à deux ans de prison pour des relations sexuelles avec une mineure de 16 ans. Il a 25 ans. Il fait un peu plus d’une année de prison. Son avocat s’appelle Albert « Al » Rosellini. 1950 (décennie) Avec ses frères Bill et Samuel « Sam », Frank Colacurcio Sr se lance dans le business des machines à cigarettes et des jukebox placés dans les bars et restaurants. Ils ont alors la réputation de tenter d’intimider leurs concurrents par la force. Ils prêtent aussi de l’argent aux gérants des bars et restaurants et récupèrent les fonds de commerce quand les emprunteurs ne peuvent pas payer. Leur société s’appelle : Colacurcio Bros. Amusement Co. Bill Colacurcio est surnommé le pinball king (roi du flipper) de Seattle et Frank le Jukebox king (roi du jukebox). 1958 Frank Colacurcio Sr ouvre les premiers clubs de strip-tease à Seattle, dont le Firelite Lounge à l’hôtel Moore. Pour éviter l’obstacle de la délivrance des licences d’alcool, Frank Colacurcio utilise des « hommes de paille » (front men) comme gérants et propriétaires officiels de ses clubs.

Le contrôle du marché des pinballs (flippers) et des machines à sous fait rage à Seattle. Des attentats ont lieu dans ce cadre. Pas d’arrestations. 1962 Frank Colacurcio Sr est poursuivi pour provocation d’un mineur à la délinquance. 1971 - La Justice fédérale condamne Frank Colacurcio Sr pour racket. Il versait des pots de vins à des policiers de Seattle - et probablement aussi des conseillers municipaux – pour qu’ils ferment les yeux sur ses opérations de jeu clandestin illégales dans l’État de Washington. L’État de Washington baigne alors dans une ambiance de grande permissivité. - Environ à cette période, Frank Colacurcio est observé rencontrant à Yakima (État de Washington) Salvatore « Bill » Bonanno, fils du boss Joseph « Joe Bananas » Bonanno, fondateur historique de l’une des cinq Familles de la Mafia de New York. Apparemment, ils discutent « affaires ». Interrogé par la presse sur cette rencontre, Frank Colacurcio Sr explique qu’il s’était rendu à Yakima en famille pour acheter du poivre « mais pas des bananes » 29.

(28) Cité in : Steve Miltich, «The cops vs Colarcurcio, the last round», The Seattle Times, 2 juin2008 (29) Steve Miltich, op. cit.

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1974 Frank Colacurcio Sr est condamné pour fraude fiscale. Il passe vingt-cinq mois en prison. 1975 L’ombre de Frank Colacurcio Sr va planer sur deux meurtres commis cette année-là. - Durant l’été, un patron de night-club et partenaire en affaires de Frank Colacurcio Sr du nom de Arson propose à Everett « Fritz » Fretland de lui racheter son bar (The Strand café, à Yakima). Ce dernier refuse. En août, le bar explose et brûle. Arson est suspecté. Le 6 septembre, Everett « Fritz » Fretland est retrouvé mort assassiné de cinq balles dans le dos, dans le fond d’un de ses restaurants (The Wagon Wheel). Puis, un ancien portier d’un club de Frank Colacurcio Sr à Seattle reprend The Wagon Wheel. Un certain Gary Isaacs sera poursuivi pour ce meurtre. - Le 3 novembre, Frank « Sharkey » Hinkley et sa fiancée sont retrouvés assassinés dans leur club de strip-tease, le Bear Cave strip club. Un certain James Braman sera arrêté. 1978 Le 26 janvier, Leroy Grant, un mécanicien, est retrouvé mort, assassiné. Plus tard, une certaine Karen L. Martin se constituera prisonnière et déclarera avoir exécuté un « contrat du Milieu », sans donner le nom du commanditaire. Là aussi, l’ombre de Frank Colacurcio Sr planera sur ce dossier. 1980 (décennie) L’empire de clubs de Frank Colacurcio Sr et de son fils s’étend alors à au moins dix États de l’ouest des ÉtatsUnis dont : Washington, Alaska, Arizona, Texas, Oregon, Nouveau Mexique.

La Mafia italo-américaine est-elle morte ?

1984 Durant l’été, Rex Parsons, un repris de justice et informateur de la police et du FBI, disparaît. Son corps est retrouvé le 1er avril, toujours porteur d’une forte somme d’argent. À l’été, Rex Parsons s’était rendu à Seattle pour négocier un emprunt immobilier avec une caisse d’épargne (Savings and Loans). À son hôtel, il a rencontré un associé de Frank Colacurcio Sr, James F. McQuade. 1985 - Frank Colacurcio Sr sort de prison (affaire de fraude fiscale de 1981). - Lors d’une commission d’enquête parlementaire dans l’État du Nouveau-Mexique, un procureur fédéral affirme que le groupe criminel de Frank Colacurcio Sr regroupe une cinquantaine de membres. 1988 Trois des frères de Frank Colacurcio, Patrick, Daniel et Samuel « Sam », plaident coupable dans des procès fédéraux. Ils sont accusés entre autres d’avoir détourné les profits de leurs bars topless en Arizona, à Phoenix et Tucson. À cette date, cette enquête fut la plus importante menée par le bureau du procureur fédéral de l’État d’Arizona. 1991 Frank Colacurcio Sr, avec son fils, est à nouveau condamné pour fraude fiscale : ils n’avaient pas déclaré tous les revenus de deux clubs situés en Alaska. Pour Frank Colacurcio Sr, il s’agit de sa 4e condamnation. 1995 Frank Colacurcio Sr est accusé d’avoir harcelé (assault) une jeune femme qu’il interviewait pour un emploi dans l’un de ses clubs. 2003

Bill Colacurcio est poursuivi pour racket et jeu illégal à la Nouvelle Orléans. 1981 Frank Colacurcio Sr est condamné à quatre ans de prison pour fraude fiscale par la justice fédérale : il a omis de déclarer une partie des profits de deux de ses clubs.

- Début du scandale dit du Strippergate. Les Colacurcio père (86 ans) et fils sont soupçonnés d’avoir contribué aux fonds de campagne de trois candidats à la Mairie – Judy Nicastro, Heidi Wills, Jim Compton - de Seattle, pour environ 39 000 dollars via des chèques signés par des amis, des employés et des collaborateurs, dont certains ne vivaient pas à Seattle. Parmi eux : l’exgouverneur de l’État, Albert Rosellini, ainsi que son fils John Rosellini, Gil Conte, Marsha Furfaro, Stanley

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et Jeanne Naccarato. Judy Nicastro et Heidi Wills ne seront pas réélus. Jim Compton le sera mais démissionnera plus tard. Une fois l’affaire rendue publique, les trois conseillers municipaux rembourseront les sommes en cause. - La même année, Frank Colacurcio Sr est poursuivi pour avoir harcelé (assault) une des serveuses du club Rick’s, âgée de 23 ans. 2004

de payer 75 000 dollars chacun d’amendes civiles et pénales. - Juin : Raid sur quatre clubs et le quartier général des Colarcurcio à Seattle et dans sa banlieue. Les Colacurcio père et fils sont des « hommes d’affaires » avisés puisque tous deux sont millionnaires en dollars. Les « associés » et partenaires identifiés de la « Famille » Colacurcio :

Début de l’enquête officielle sur le Strippergate.

- Nicholas « Nick » Furfaro : gérant de clubs ;

2005

- Gilbert Kapuha Pauole Jr : gérant de clubs ;

- Les Colacurcio père et fils sont poursuivis dans le cadre du Strippergate.

- Gil Conte : ancien chanteur de club, copropriétaire du club Rick’s et chauffeur de Frank Colacurcio Sr ;

- Mise en place de la Task force (FBI, police de Seattle, IRS) destinée à neutraliser l’organisation criminelle de Frank Colacurcio Sr.

- James F. McQuade : homme d’affaires ;

- Frank Colacurcio Sr est condamné à quatre-vingt-dix jours de prison et 2 500 dollars d’amende pour avoir harcelé (assault) une serveuse de 23 ans du Rick’s. Il est incarcéré.

- Stanley Naccarato : restaurateur ;

- Enfin, cinq dossiers d’homicides criminels sont rouverts, Frank Colacurcio étant suspecté de les avoir commandités : assassinats de Everett « Fritz » Fretland (1975) ; Frank « Sharkey » Hinkley et sa fiancée (1975) ; Leroy Grant (1978) ; Rex Parsons (1984) - voir supra.

- Marsha Furaro : manager de Talents West ;

- Michael Tucci : homme d’affaires ; - Richard Marzano : vice-président de l’union locale de l’ILA (syndicat des dockers) et port commissionner de Tacoma ; - Leroy Christiansen : copropriétaire de clubs des Colacurcio, et cousin de Frank Colacurcio Jr ;

2008

- Steve Fueston : copropriétaire de clubs des Colacurcio ;

- janvier : les Colacurcio père et fils plaident finalement coupable dans le procès du Strippergate. Ils acceptent

- David Ebert : copropriétaire de clubs des Colacurcio.

Encadré 2

Albert « Al » D. Rosellini : ex-gouverneur, avocat et homme d’affaires Albert Dean Rosellini, né le 2 janvier 1910, à Tacoma (État de Washington), est avocat de profession. Membre important du parti démocrate de l’État de Washington, il fut élu sous cette étiquette : d’abord au Parlement (Sénat) de l’État de 1939 à 1947 ; puis, à deux reprises, comme gouverneur, de 1957 à 1965. Il fut le premier Italo-américain élu gouverneur à l’ouest du Mississipi. 122

Dès 1943, comme avocat, il défend Frank Colacurcio Sr dans une affaire de harcèlement (assault). Albert D. Rosellini connaissait bien, semble-t-il, la famille Colacurcio. Frank Colacurcio Sr apporta ensuite une aide substantielle durant les diverses campagnes électorales successives de l’avocat. Après avoir quitté le poste de gouverneur en 1965 – il est battu -, Albert D. Rosellini redevient avocat. Il est aussi un consultant politique écouté du parti démocrate, spécialisé dans l’industrie des liqueurs et du divertissement


Jean-François GAYRAUD

(entertainment). Il lève des fonds pour les candidats du parti démocrate. Il est également le propriétaire d’une station-service d’essence/lavage de voitures/magasin se trouvant juste à côté du club de strip-tease Rick’s. Il est propriétaire également : d’une société de courtage (broker company), d’une société de pétrole (Fortune Oil Company Inc.), et d’une société de distribution de bière (Premium distributors). En 1972, alors qu’Albert D. Rosellini se présente à nouveau à une élection, sa campagne déraille. Ses liens avec Frank

Annexe Règles Familiales de l’initiation à New York Effectifs des Familles de New York, en 2007/2008 : Règles : Contrairement à une idée reçue, il n’y a pas de chiffre fixe de membres autorisés par Famille. Cependant, les chiffres sont tout de même relativement stables au fil des ans, car l’initiation au sein d’une Famille mafieuse suit des processus bien établis. À New York, de nouveaux membres ne peuvent être initiés (made members) qu’en respectant certaines règles : - de nouveaux membres sont initiés seulement en remplacement de membres défunts et, paraît-il, deux en plus à chaque fête de noël ; - les noms des proposés à l’initiation, ainsi que ceux des défunts, circulent dans les autres Familles qui ont deux semaines pour formuler une éventuelle objection ;

La Mafia italo-américaine est-elle morte ?

Colacurcio Sr réapparaissent quand un journal local affirme que l’avocat a tenté d’aider un proche du gangster à obtenir une licence de vente d’alcool à Hawaï. En 2003, c’est le Strippergatte. Il est accusé d’avoir distribué des fonds de campagne à des candidats à la mairie de Seattle, et ce pour le compte de Frank Colacurcio Sr. L’avocat avait approché les trois candidats aux élections mis en cause plus tard et même délivré directement des contributions financières à l’un d’eux (Nicastro). Il sort cependant pénalement indemne du Strippergate, sans même avoir été poursuivi.

- une Famille ne peut pas remplacer un membre collaborant avec la Justice (repenti). Il faut pour cela attendre son décès ; - une Famille ne peut pas remplacer un membre qu’elle a fait assassiner elle-même ; - les deux parents du futur initié doivent être de sang/lignée italien. Il s’agit du retour à une vieille règle qui avait été abandonnée un temps et qui avait donc autorisé l’initiation d’individus n’ayant que le père de sang italien. Désormais, « la mère est à nouveau requise ». Évidemment, il y a parfois des exceptions et des déviances à ces règles. La société mafieuse n’est pas plus parfaite que la société légale !

Effectifs (hors associés) : Famille Lucchese : 75 membres ; Famille Genovese : 250 à 300 membres ; Famille Gambino : 200 à 250 membres ; Famille Colombo : 120 membres ; Famille Bonanno : 110 membres.

Bibliographie Livres GARCIA (J.), 2008, Making Jack Falcone, An Undercover FBI Agent Takes Down A Mafia Family, New York, Simon & Schuster. GAYRAUD (J.-F.), 2005, Le monde des Mafias. Géopolitique du crime organisé, Paris, Odile Jacob, 444 p. JACOBS JAMES (J.), 2006, Mobsters, Unions, and Feds, The Mafia and the American Labor Movement, New York, University Press. LAMOTHE (L.), HUMPHREYS (A.), 2006, The Sixth Family: The Collapse of the New York Mafia and the Rise of Vito Rizzuto, John

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