mémoire camorra

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UNIVERSITÉ PIERRE MENDÈS-FRANCE INSTITUT D’ÉTUDES POLITIQUES DE GRENOBLE

BANET Rémi Master Sciences de gouvernement comparées

Quand chanter n’adoucit pas les moeurs : chanson néomélodique, camorra et antimafia à Naples

Crédits : Daniela Pergreffi pour l’Observatoire sur la camorra et l’illégalité

Année universitaire 2011-2012 Sous la direction de M. Alain Faure


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UNIVERSITÉ PIERRE MENDÈS-FRANCE INSTITUT D’ÉTUDES POLITIQUES DE GRENOBLE

BANET Rémi Master Sciences de gouvernement comparées

Quand chanter n’adoucit pas les moeurs : chanson néomélodique, camorra et antimafia à Naples

Année universitaire 2011-2012 Sous la direction de M. Alain Faure

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Remerciements

Je souhaite remercier ici toutes les personnes qui m’ont accordé de leur temps durant mes recherches. Je pense tout particulièrement à Enrico Sama et Simona Finamore, ainsi qu’à toutes celles et ceux que j’ai sollicités pour des entretiens et des échanges électroniques.

Je tiens par ailleurs à exprimer ma gratitude à M. Alain Faure, pour avoir accepté de diriger ce travail de recherche, aboutissement d’une réflexion entamée l’an dernier à Naples, et à M. Christophe Bouillaud, pour avoir accepté de participer au jury.

Enfin, une pensée affectueuse pour mon fidèle compagnon de recherche, Robocop, et ma nuisance salutaire, El Miñus, sans qui ces derniers mois auraient eu une saveur tout autre.

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Sommaire

Remerciements ..................................................................................................................... 4 Sommaire ............................................................................................................................. 5 INTRODUCTION .................................................................................................................... 6

PREMIERE PARTIE: UNE CAMORRA A FEU ET A SONS ? ........................................ 16 Chapitre I : De la violence programmée à la fabrique du consensus social ............. 17 Chapitre II : Chanson néomélodique et camorra : les liaisons dangereuses ............ 22 Chapitre III : Essai d’analyse de clips : entre justification et glorification de la malavita ................................................................................................................................ 30

DEUXIEME PARTIE : DES MOTS AUX MAUX OU QUAND CHANTER NUIT GRAVEMENT A LA CITE ................................................................................................... 39 Chapitre I : De la (cor)responsabilité sociale des chanteurs néomélodiques ? Retour sur un débat napolitain ....................................................................................... 41 Chapitre II : Les risques d’une identification aux chansons de malavita ................... 47

TROISIEME PARTIE : UNE ANTIMAFIA SOCIALE A L’EPREUVE DE LA NEOMELODIE ?.................................................................................................................... 57 Chapitre I – Quelle réponse apporter aux chansons de malavita ? ............................. 59 Chapitre II : Dénoncer et convertir ................................................................................. 65 CONCLUSION ...................................................................................................................... 71

Table des annexes .............................................................................................................. 74 Annexes............................................................................................................................... 75 Bibliographie ...................................................................................................................... 80 Table des matières ............................................................................................................. 91

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Introduction « Naples est la ville qui naît dans le chant et finit dans le cri. La ville où le chant et le pleur ont presque le même son, et souvent le même sens1 », écrit l’anthropologue Marino Niola. Les polémiques récentes2 sur les chanteurs néomélodiques, pour partie liés, de près ou de loin, à la camorra3, semblent lui donner raison : si la musique a par le passé participé de la renommée internationale de la ville – le président de Brosses n’a-t-il pas dit de Naples, en 1739, qu’elle était « la capitale du monde musicien » ?4 –, elle profite également depuis plus de deux décennies à une criminalité organisée qui, en plus de vouloir de peser de tout son poids dans les sphères économique et politique, est également en perpétuelle quête de consensus sur « son » territoire. Or, si les relations entre mafias italiennes et classes dirigeantes, la plupart du temps abordées sous l’angle de la criminalisation du politique et de l’économie, font l’objet d’une vaste littérature, en revanche la dimension culturelle des mafias ou, en d’autres termes, leur « soft power criminel », a jusqu’ici été abordée de façon plus partielle5. Cette dernière n’en est pourtant pas moins digne d’intérêt et apparaît même fondamentale pour comprendre davantage comment, dans une démocratie affirmée – l’Italie –, des organisations criminelles mafieuses se sont pérennisées jusqu’à produire aujourd’hui une richesse estimée entre 120 et 180 milliards d’euros par an6, soit 10% environ du produit intérieur brut national. Parmi elles, la camorra figure en « bonne » place ; l’historien Isaia Sales va même jusqu’à la qualifier de « plus étendue, flexible et élastique activité criminelle jamais connue7 ». 1

Cité dans FIERRO Enrico, « Camorra Music Corporation », il Fatto Quotidiano, 3 août 2010, consulté en ligne le 29/02/2012. URL : http://www.ilfattoquotidiano.it/2010/08/03/camorramusica-corporation/47052/ 2 L’arrestation le 7 février dernier à Herculanum du chanteur néomélodique Nello Liberti pour « incitation à délinquer » a déclenché une vague de réactions à Naples sur le rôle joué par ses chanteurs dans la diffusion de l’idéologie camorriste. 3 Nom donné à la mafia napolitaine, également appelée « Sistema ». 4 SARLIN Simon, « Une histoire politique de l’opéra. Pouvoir et musique à Naples des Lumières aux révolutions », Fabula, 21 mars 2011, consulté en ligne le 12/05/2012. URL : http://www.fabula.org/revue/document6208.php 5 Il convient toutefois ici, sans prétendre à l’exhaustivité, de citer les travaux, présents dans la bibliographie, de Rocco Sciarrone, Marcello Ravveduto ou encore Marco Santoro. 6 FORGIONE Francesco, Mafia Export, Baldini Castoldi Dalai Editore, Milan, 2009, p. 22 7 SALES Isaia, Le strade della violenza. Malviventi e bande di camorra a Napoli, L’ancora del Mediterraneo, Napoli, 2006, p. 254

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Retour sur la camorra, une mafia longtemps consentie Historiquement, la camorra naît au lendemain de la révolution manquée de 17998. Les Bourbons, pour mettre un terme à la République parthénopéenne, ont pu compter sur, outre celui de nombre d’intellectuels napolitains, le soutien de groupes de brigands, les lazzaroni. Ces derniers ont dès lors bénéficié d’un traitement de faveur de la part du régime bourbon, qui est même allé jusqu’à les traiter en véritables alliés, alliés à qui il a confié, jusqu’en 1848, la tâche d’assurer la sécurité des prisons, des marchés et de certains lieux malfamés9. Ainsi, les Bourbons choisissent sciemment, durant ces années, de partager le monopole de la violence légitime avec des lazzaroni qu’ils estiment les seuls à même de pouvoir amortir le danger potentiel du déficit d’intégration des classes populaires. Pour reprendre les mots de Foucault, la masse de manoeuvre constituée par les délinquants est alors utilisée Naples comme une « police clandestine et armée de réserve du pouvoir10 ». C’est à cette période que ces brigands s’organisent en « camorra »11, également appelée « Bella società riformata » à l’époque. Les camorristes tirent alors leurs revenus de deux principales activités12 : la taxation illégale – autrement dit, le racket – et le gioco piccolo, jeu proche du lotto. Cette tolérance de la part des autorités se perpétue après l’Unité de 1871 et ce n’est qu’au début du 20ème siècle, après une série d’homicides, que l’Etat central opère un véritable tournant en faisant montre d’une plus grande sévérité envers la camorra13, qui bénéficie jusqu’à alors de solides points d’ancrage dans la classe politique locale mais aussi nationale. La camorra se fera plus discrète durant le ventennio fasciste, pour ensuite quitter son statut de criminalité « latente » et réapparaître au grand jour au sortir de la seconde guerre mondiale14. 8

Avant Cosa nostra et la ‘ndrangheta, qualifiés à leurs débuts de « camorra palermitaine » et « camorra calabraise ». 9 Il s’agit notamment de la taxe sur la prostitution ainsi que du « barattolo » (le « bocal »), une taxe de 20% environ sur les recettes des maisons de jeu et du « sbruffo », taxe sur toutes les autres activités. 10 FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, Gallimard, Paris, 1975, p. 327 11 ALLUM Felia, Nuovo dizionario di mafia e di antimafia, Edizioni Gruppo Abele, Turin, 2008, p. 98 12 Il apparait ainsi que la camorra (qui tirerait son nom du terme camera, lieu où l’Etat levait l’impôt) est l’unique organisation criminelle tirant son nom de sa principale activité historique : le racket. 13 Voir notamment le Procès Cuocolo de 1911. 14 ALLUM Felia, op.cit., p.107

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Selon l’historien Gigi di Fiore, c’est la présence de mafieux italo-américains, en exil forcé à Naples dans les années 1960, qui permet à la camorra d’effectuer un premier saut qualitatif et, ce, grâce à la contrebande des cigarettes15 : de phénomène régional, elle devient une structure capable de se mouvoir à l’échelle internationale. La criminalité organisée napolitaine ne figure pas, alors, au premier rang des préoccupations politiques16 . Cette dernière jouit même d’un vaste consensus social: on dit à l’époque que la contrebande est à Naples ce que la FIAT est à Turin. Selon les estimations, quelque 100 000 personnes en vivaient alors, faisant dire à Michele Zaza qu’il était le Agnelli napolitain17. Pourtant, très vite, l’avènement de la drogue vient changer la donne. Les années 1970 marquent en effet un tournant majeur pour la camorra : l’héroïne fait sa grande apparition sur le marché napolitain, autorisant d’importants profits mais faisant perdre à la camorra une partie du consensus social dont elle a toujours bénéficié jusqu’ici18. A Forcella, bastion de la camorra du centre historique de Naples, des femmes – dont certaines sont impliquées dans la revente de cigarettes de contrebande – font entendre leur voix quand les premiers cas d’overdose surviennent parmi les figlje ‘e mamma, les jeunes du quartier19. Pourtant, la mafia napolitaine ne sort pas affaiblie de cette étape et va même connaître peu de temps après son second grand bond qualitatif. Le tremblement de terre de l’Irpinia, le 23 novembre 1980, qui secoue la Campanie et fait près de 3 000 morts et 300 000 sans abri, est une aubaine pour la camorra. Elle en profite pour détourner directement – ou indirectement, via le jeu de la sous-traitance – des millions d’euros en provenance notamment de la CEE grâce aux contrats de reconstruction20. Une guerre pour s’adjuger les appels d’offre fait rage. Cette dernière vient se greffer à la guerre sans merci que se livrent alors depuis 1979 deux groupes

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DI FIORE Gigi, La camorra e le sue storie. La criminalità organizzata a Napoli dalle origini alle ultime « guerre », Utet, Turin, 2005, p.142 16 SALES Isaia, RAVVEDUTO Marcello, Le strade della violenza. Malviventi e bande di camorra a Napoli, L’ancora del mediterraneo, Naples, 2006, p.140 17 Ibid, p.157-158. Les autorités, pour qui cette activité revêt une fonction d’amortisseur social, tolèrent plus ou moins ouvertement la contrebande de cigarettes. 18 RAVVEDUTO Marcello, Napoli... serenata calibro 9, Liguori Editore, Naples, 2007, p.32 19 RAI CRASH, « Il canto di Malanapoli », Rai 3, 12 octobre 2011, consulté en ligne le 15/04/2012. URL : http://www.crash.rai.it/sito/scheda_puntata.asp?progid=1519 20 RUGGIERO Giuseppe, Biutiful cauntri, Rizzoli, Milan, 2008, p. 20-22

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ennemis de la malavita napoltaine, la Nuova Camorra Organizzata, emmenée par Raffaele Cutolo, et la Nuova Famiglia, pour le contrôle, dans la province de Naples, de la contrebande de cigarettes et du marché de la drogue. En parallèle, les autorités n’ont d’autre choix que de réagir ; la camorra devient une préoccupation politique de premier plan. En 1982, année où la camorra fait quelque 284 morts21, la loi Rognoni-La Torre reconnaît l’organisation criminelle napolitaine comme une véritable mafia à travers l’inscription, dans le code pénal italien, de l’article 416 bis, relatif à l’ « association mafieuse ». C’est à ce moment-là qu’est menée la première véritable enquête sur la camorra22 ; le 17 juin 1983, une vague d’arrestations conduit plus de 400 camorristes en prison23. Pourtant, la camorra, une fois encore, retrouve vite de sa superbe. Peu à peu, son centre de gravité se déplace vers les périphéries est et nord de la ville, à Scampia notamment, où est formée en 1987 l’Alleanza di Secondigliano24, alliance la plus puissante encore aujourd’hui25. Le lancement de l’opération « Mains propres » en 1992 et l’avènement consécutif de la « Seconde république », dont le système politique fera pourtant de la lutte contre les mafias l’une de ses réthoriques de rachat et de relégitimation aux yeux des Italiens, n’y changera rien. La camorra devient dans les années 1990 une véritable « entreprise criminelle 26 », si bien qu’aujourd’hui, s’il fallait évaluer la « qualité » des phénomènes criminels eu égard à leur durée historique, au nombre de personnes qu’ils impliquent et au nombre de personnes tuées, la camorra apparaitrait, dans ce classement hypothétique, à la première place. Avec plus de 7 000 membres répartis au sein d’une centaine de clans27, eux-mêmes divisés en sousclans, basés à Naples et dans sa région, la camorra a en effet tué, ces trente dernières

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Voir l’annexe n°1 CARRISI Giuseppe, Gioventù camorrista, Newton & Compton Editori, Rome, 2010, p.134 23 MIGLIACCIO Antonella, « Gli anni ’70 et la NCO di Raffaele Cutolo », Biblioteca digitale sulla camorra, consulté en ligne le 03/06/2012. URL :http://www.bibliocamorra.altervista.org/index.php?option=com_content&view=article&id=65&Itemid=62 24 SALES Isaia, RAVVEDUTO Marcello, Le strade della violenza. Malviventi e bande di camorra a Napoli, L’ancora del mediterraneo, Naples, 2006, p.249 25 ALLUM Felia, Nuovo dizionario di mafia e di antimafia, Edizioni Gruppo Abele, Turin, 2008, p.111 26 DALLA CHIESA Nando, La convergenza. Mafia e politica nella Seconda Repubblica, Melampo, Milan, 2010 27 SALES Isaia, Le strade della violenza. Malviventi e bande di camorra a Napoli, L’ancora del Mediterraneo, Naples, 2006, p. 17 22

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années, près de 4 000 personnes, plus que n’importe quelle autre organisation terrorriste ou criminelle en Europe28.

La camorra figure ainsi, aujourd’hui, au premier rang des images associées à la ville. Pourtant, pendant longtemps, c’est dans le son, et non le sang, que Naples a forgé sa renommée internationale.

Naples, « ville-chanson29 », des villanelle à la néomélodie Qualifiée au 17ème siècle de « conservatoire de l’Europe », la musique constitue à Naples l’un des aspects les plus importants et les plus connus du riche patrimoine culturel de la ville. Des «villanelle30 » du 16ème siècle aux « opéras comiques » du settecento, de la chanson d’art à Renato Carosone (« Tu vuo’ fa‘ l’americano »), du blues de Pino Daniele au rap des Co’Sang, la ville n’a eu de cesse, au cours de son histoire, de s’exprimer à travers la chanson, « un de ses codes culturels les plus transversaux, qui unit les classes sociales et véhicule le pathos et l’èthos 31 ». Les origines de la chanson napolitaine remonte au 13ème siècle et cette dernière connaît un succès européen dès le 16ème siècle grâce aux « villanelle ». Toutefois, c’est l’année 1880 et « Funiculì funiculà », de Luigi Denza, qui marque véritablement le début de l’âge d’or de la chanson napolitaine, qui durera une quarantaine d’années et sera symbolisé par « ‘O sole mio » en 189832. La Première puis la Seconde Guerre mondiale viennent mettre un terme au rayonnement international de la chanson napolitaine qui commence son long déclin dans les années 1960, devenant peu à peu minoritaire dans le marché de la musique populaire italienne33. 28

Voir l’annexe n°1 et SALES Isaia, Le strade della violenza. Malviventi e bande di camorra a Napoli, L’ancora del Mediterraneo, Naples, 2006, p. 27. Il conviendrait d’ajouter à ces 4 000 morts – soit un tous les trois jours – les quelque 800 personnes qui, selon une étude de chercheurs étasuniens, décéderaient chaque année dans la province du nord de Naples en raison du stockage de déchets toxiques. 29 Voir l’expression de RAVVEDUTO Marcello dans « E solo il canto di (mala)Napoli ? », Corriere del Mezzogiorno, vendredi 30 mars 2012, p.19 30 Poème médiéval d’origine populaire fondé sur un jeu de refrains, le plus souvent destiné à 3 ou 4 voix, avec ou sans accompagnement instrumental. 31 Extrait d’un entretien réalisé en février avec le sociologue Lello Savonardo. 32 PALOMBA Salvatore, La canzone napoletana, L’ancora del mediterraneo, Naples, 2001, p.40 33 Ibid, p.127

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A de très rares exceptions près, les chanteurs napolitains peinent désormais à séduire en dehors de Naples et sa région. Certains chanteurs, qui font leur apparition au tournant des années 1980, sont même volontiers l’objet d’un mépris un peu snob en dehors de leur « zone d’influence ». Ces derniers restent cantonnés, à de très rares exceptions près, aux quartiers populaires de Naples et, pour les plus célèbres d’entre eux, à ceux des autres villes du mezzogiorno : il s’agit des chanteurs qualifiés aujourd’hui de « néomélodiques », le terme n’étant apparu officiellement qu’en 1997 dans le livre de Peppe Aiello, Concerto napoletano34. « La chanson néomélodique est l’expression d’une culture post-moderne. Elle associe, sans ordre hiérarchique, des styles musicaux et des comportements artistiques nouveaux avec des éléments traditionnels de la chanson napolitaine traditionnelle35 », explique l’historien Marcello Ravveduto, auteur de Napoli... senerata calibro 9. Ainsi, tout en ne reniant pas totalement l’héritage de la chanson napolitaine classique, la néomélodie s’en distingue à tout le moins de façon nette, aussi bien par le langage utilisé que par la présence scénique et le public qui est le sien. Cette nouvelle tendance apparaît comme le résultat de la transformation urbaine de la ville qui, au cours des dernières décennies, en raison notamment du tremblement de terre de l’Irpinia du 23 novembre 1980, et aux opérations de relogement consécutives, a connu une forte homogénéisation sociale et culturelle, interprétée par ses habitants au travers d’une nouvelle mélodie, développée de façon autonome au sein des quartiers populaires des périphéries36. Toutefois, c’est dans les années 1990, à l’heure où Gigi d’Alessio apparaît comme la figure de proue de la néomélodie, que ces chanteurs se multiplient de façon exponentielle à Naples. Salvatore Palomba37 estime en 2001 à trois mille environ le nombre de chanteurs – et chanteuses, bien qu’elles soient largement minoritaires – néomélodiques qui, dans la région de Naples, gagnent leur vie en se produisant de mariage en baptême et d’anniversaire en fête de quartier. Un certain

AIELLO Peppe et al., Concerto napoletano. La canzone dagli anni Settanta a oggi, Argo, Lecce, 1997 RAVVEDUTO Marcello, Napoli... serenata calibro 9, Liguori Editore, Naples, 2007, p.12: « La canzone neomelodica è espressione della cultura postmoderna. Mette insieme, senza ordine di gerarchie, stili musicali e comportamenti artistici nuovi con elementi tradizionali della canzone napoletana ». 36 Ibid. 37 PALOMBA Salvatore, La canzone napoletana, L’ancora del mediterraneo, Naples, 2001, p. 146 34 35

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nombre d’entre eux parviennent à passer sur les nombreuses radios ou télévisions locales, bien souvent en monnayant leur passage, à hauteur de 200 euros environ l’heure d’antenne38. Toutefois, la vaste majorité de ces musiciens, s’ils parviennent à en vivre, en chantant de mariages en baptêmes et d’anniversaires en fêtes de quartier, n’ont aucune visibilité39. S’exprimant à la ville et à la scène en napolitain, les chanteurs néomélodiques se font et se veulent les représentants de la musique de la jeunesse populaire de la ville et de sa région, avec qui ils partagent un même langage et les mêmes codes, notamment vestimentaires40. Leurs chansons, sur fond principalement de synthétiseurs, batteries, basses et guitares, traitent d’abord et avant tout d’amour, de trahisons, de grossesses précoces, de querelles familiales, de toxicomanie ou encore de prostitution. Toutefois, un certain nombre d’entre elles – c’est là le point de départ de notre enquête – font également référence à la camorra, de façon plus ou moins explicite mais de manière toujours élogieuse, révélant les aspects culturels de cette dernière.

Dès lors, l’écoute de ces chansons et le visionnage de ces clips doivent être considérés comme la consultation d’une archive, car elles sont les « incisions » d’une communauté dans un temps historique. Pourtant, d’aucuns, à l’instar de Bourdieu, considèrent la musique comme « insaisissable ». Elle serait, selon le sociologue, « l’art pur par excellence » ; elle ne dirait rien et n’aurait rien à dire41. D’autres auteurs, en premier lieu desquels Weber et Adorno42, prennent au contraire le parti d’une analyse sociologique de cette activité sociale « faite de chair, par des humains, peuplée d’objets, mise en scène, lié aux industries culturelles43 », qui doit dès lors être pensée dans sa totalité et sa diversité. Nous nous inscrivons ici dans leur lignée et nous nous proposons d’analyser les chansons de notre corpus comme autant d’objets immatériels et indéfinissables qui se font pourtant les reflets d’une réalité sociale bien spécifique – celle des classes populaires de Naples et de sa périphérie – et supposée

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ALLISON Irene, « Baby neomelodici », La Repubblica, 22 aprile 2010, consulté en ligne le 29/02/2012 PALOMBA Salvatore, La canzone napoletana, L’ancora del mediterraneo, Naples, 2001, p. 147 40 Ibid. 41 RAVET Hyacinthe, « Sociologies de la musique », L’année sociologique, n°2, vol.60/2010, p. 273 42 JACQUES Tatyana, FERRAND Laure, « Editorial », Sociétés, n°104, 2009/2, p.6 43 RAVET Hyacinthe, op.cit, p. 273 39

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vécue (voire subie) par les chanteurs et leurs publics. Au niveau des sources d’information et de documentation, ces chansons, « archivées » sur des sites de partage sur internet, ont ainsi constitué une partie importante du corpus de notre première partie. Nous avons tâché d’en faire une analyse la plus scientifique possible, en gardant en tête que la musique ne peut être abordée comme une entité abstraite, mais bien comme un fait inscrit dans le social. Nous avons travaillé tant sur le discours que sur le contenu, en nous efforcant d’écarter ce qui relevait de l’anecdotique, pour mieux saisir l’essence. Notre corpus se compose également d’ouvrages, travaux scientifiques ou articles de presse ayant trait à la néomélodie et à ses liens avec la camorra, à la criminalité organisée et à ses aspects culturels ou à la musique en ce qu’elle relève du politique. Il nous a également été permis de réaliser, en février et en mai, une série d’entretiens semi-directifs, à Naples, avec des spécialistes (chercheurs notamment), que nous avons mis à profit principalement dans nos deuxième et troisième parties, parties où nous avons également mobilisé nos observations de terrain réalisées l’an dernier au cours d’un stage de quatre mois, à Naples, au siège régional du réseau antimafia Libera. Ces entretiens et observations se sont avérés capitaux pour approfondir certains points et répondre à notre question de recherche.

Ainsi, il s’agira ici de comprendre comment et pourquoi la chanson néomélodique est devenue, à Naples, un objet politique à part entière, suscitant controverses et prises de position ?

Nos hypothèses sont que la néomélodie et ses interprètes, devenus une des composantes du « soft power » camorriste, possèdent leur part de responsabilité dans les maux de la ville – nous verrons lesquels –, ce qui, en réaction, conduit le camp de l’antimafia, pour contrer ces mêmes maux à, lui aussi, mettre à profit le pouvoir de la musique.

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Pour explorer ces hypothèses, nous adopterons une démarche de type « exploratoire », et notre argument sera construit en trois temps. En voici, esquissé, un premier survol : Dans un premier temps, après être revenu sur la façon dont s’organise, pour une organisation mafieuse, le contrôle d’un territoire, compris comme l’espace où se déploient des relations sociales, nous nous attacherons, sans pour autant tomber dans une lecture par trop intentionnaliste,

à proposer une analyse de

l’ »instrumentalisation » de la chanson néomélodique par une camorra en quête perpétuelle de revenus mais aussi – et surtout ? – de consensus social. Pour cela, nous réaliserons, entre autres, une analyse de discours et de contenu de clips de chansons néomélodiques de malavita.

Nous verrons dès lors que ces liens entre l’industrie néomélodique et la camorra, avérés même si difficilement quantifiables, ont fait de la néomélodie un véritable objet politique. A Naples, où la musique revêt, historiquement, une importance capitale, la néomélodie fait en effet l’objet de polémiques et nourrit un débat, que nous nous attacherons à décrypter, autour de la part de responsabilité, ou non, de ses interprètes dans les maux (criminalité organisée notamment) dont souffre la ville. Loin d’enliser dans l’anecdotique, l’attention que nous avons porté aux vidéos-clips et à leurs commentaires nous permettra de mettre en avant un processus d’identification fort duquel découle selon nous deux risques principaux : l’intériorisation du nomos criminel, en particulier chez les plus jeunes, et le renforcement, dans les esprits, des frontières qui organisent les représentations collectives de l’espace urbain.

Enfin, il conviendra dans une troisième et dernière partie de s’intéresser au camp de l’antimafia et de voir comment une scène musicale anticamorra, émergée principalement dans les années 1990, a opposé à la néomélodie des chansons engagées cherchant à susciter un sursaut civique. Une analyse plus poussée de ce panorama musical nous permettra de mettre en avant comment ces chanteurs, à

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l’instar des militants de l’antimafia, mettent à profit, pour rallier à leur cause, les victimes innocentes de la criminalité organisée, et notamment un certain nombre – bien délimité – de « martyrs du totalitarisme mafieux ».

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Première partie : Une camorra à feu et à sons ?

Illustration de Henning Studte

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Chapitre I : De la violence programmée à la fabrique du consensus social

Quatre organisations criminelles mafieuses opèrent aujourd’hui en Italie : Cosa nostra, implantée en Sicile, la ‘ndrangheta en Calabre, la Sacra Corona Unita (SCU) dans les Pouilles et la camorra en Campanie. Cette dernière, fortement associée à la ville de Naples, où elle est née, fut la première de ces quatre mafias à voir le jour, à l’aube du 19ème siècle. Son histoire est d’abord une histoire de délinquance et de violence, mais elle est aussi celle d’une sous-culture qui s’est incarnée au tournant des années 1990 à travers la chanson néomélodique, en prenant la forme d’une véritable « industrie culturelle mafieuse », à même de déplacer les foules et, dès lors, de créer des croyances communes et de générer du consensus social.

Section 1 - La violence programmée, clé de voûte de la domination territoriale ? En sciences sociales, la notion de territoire ne recouvre pas seulement une dimension naturelle : elle désigne aussi et surtout l’espace où se déploient des relations sociales. Le rapport des mafias avec le territoire – ou les territoires – est hautement crucial, car ce dernier représente un élément constitutif du phénomène mafieux. Comme l’a souligné Rocco Sciarrone : « La mafia a (...) une forte spécificité territoriale : aussi, le contrôle du territoire (...) est une caractéristique essentielle de l’organisation mafieuse44 ». C’est, entre autres choses, ce qui la distingue d’autres organisations criminelles. En effet, pour qu’elle puisse être qualifiée de « mafieuse », une 44

SCIARRONE Rocco, Mafie vecchie, mafie nuove. Radicamento ed espansione, Donzelli, Rome, 1998, p.10 : « La mafia ha (…) una forte specificità territoriale: anzi, il cosiddetto controllo del territorio (...), è una caratteristica essenziale dell’organizzazione mafiosa radicata nelle aree tradizionali ».

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organisation criminelle doit présenter différentes caractéristiques. Parmi elles, et il ne s’agit pas ici de prétendre à l’exhaustivité ou de proposer une énième défition d’un phénomène ô combien complexe, figurent ainsi l’ « ancrage territorial » : une mafia, si elle peut être transnationale – c’est aujourd’hui vrai pour toutes les organisations mafieuses –, ne peut en aucun cas se révéler extraterritoriale. Elle est un phénomène territorialisé45. Le recours à la violence, aussi bien physique que mentale, fait également partie des caractéristiques requises pour pouvoir accoler l’adjectif « mafieuse » à une activité criminelle. « La mafia est un sujet politique qui exerce une souveraineté par l’usage de la violence46 », rappelle Fabrice Rizzoli dans la revue Pouvoirs. Cette violence mafieuse, qualifiée par le sociologue sicilien Umberto Santino de « violence programmée47 », est l’une des principales ressources de l’organisation mafieuse sur son territoire, où elle entre en compétition avec l’autorité étatique 48. Loin d’obéir à une quelconque pulsion, la violence mafieuse est codifiée. Elle est pour le clan une ressource et un mode de communication envers les affiliés et la population. Elle lui permet, entre autres, d’accéder à des biens et services mais aussi de faire régner la loi du silence (l’« omertà ») nécessaire à la bonne tenue de ses affaires et à son activité de racket-protection sur le territoire qu’elle veut le sien. Pourtant, là où les autres mafias italiennes – la ‘ndrangheta notamment – usent autant que possible de cette violence avec parcimonie, en en faisant un moyen au service d’une fin – le pouvoir – la camorra, historiquement, y recourt de façon récurrente, presque systématique, quoique les chiffres de ces dernières années témoignent d’un usage plus restreint de la violence49. Cependant, il convient de rappeler que la camorra a tué, ces trente dernières années, près de 4 000 personnes, dont quelque 150 innocents, soit plus que n’importe quelle autre organisation terrorriste ou criminelle en Europe 50. Comparant la mafia napolitaine à ses cousines 45

SCIARRONE Rocco, « Réseaux mafieux et capital social », Politix, n°49, vol.13, 2000, p. 35 RIZZOLI Fabrice, « Pouvoirs et mafias italiennes. Contrôle du territoire et état de droit », Pouvoirs, n°132, 2010, p. 42 47 SANTINO Umberto, CHINNICI Giorgio, La violenza programmata. Omicidi e guerre di mafia a Palermo dagli anni Sessanta ad oggi, Franco Angeli, Milan, 1991 48 SCIARRONE Rocco, Mafie vecchie, mafie nuove. Radicamento ed espansione, Donzelli, Rome, 1998, p.10 49 Cf annexe n°1 50 SALES Isaia, Le strade della violenza. Malviventi e bande di camorra a Napoli, L’ancora del Mediterraneo, Napoli, 2006, p. 27 46

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sicilienne et calabraise, l’historien Isaia Sales va même jusqu’à écrire : « Pour la camorra, au contraire, la violence est le moyen et la finalité de son pouvoir, et non pas la simple sanction pour celui qui ne la respecte pas51 ». Pour autant, la violence ne suffit pas pour s’assurer de façon pérenne le contrôle d’un territoire. Pire, cette dernière peut s’avérer contre-productive et ne doit être rendue strictement nécessaire que dans sur les territoires de nouvelle expansion52. Une domination réduite, pour se maintenir, à l’usage permanent de la violence s’exposerait en effet en réaction à une violence plus grande encore. Les mafias, tout en maintenant la violence à l’horizon des échanges sociaux, ont donc besoin, pour pérenniser leur domination, de fabriquer du consensus par le biais, notamment, de croyances communes. Comme le souligne le Procureur national antimafia Pietro Grasso, ce dernier est même une fin en soi : « N’oublions pas que la finalité de l’action mafieuse, au-delà du profit, c’est également la gestion, directe ou indirecte, du pouvoir et du consensus des citoyens53 ». D’où, dès lors, l’importance de la dimension symbolique du pouvoir et la nécessité, pour reprendre les termes d’Alain Accardo, « d’acquérir la plus grande légitimité possible en produisant – ou en entrenant – les représentations capables de justifier la domination, et de la rendre psychologiquement acceptable, voire désirable54 ».

Section 2 – Consensus social et domination légitime Plus d’un siècle après le lancement des premières recherches sur les mafias, nous savons aujourd’hui que ces dernières, en dépit de leurs spécificités respectives, sont des organisations fondées sur le modèle archaïque des confréries, à la structure organisationnelle relativement complexe, qui fonctionnent pour partie selon des rituels codifiés et pour une autre partie selon des stratégies de pouvoir en perpétuelle 51

SALES Isaia, Le strade della violenza. Malviventi e bande di camorra a Napoli, L’ancora del Mediterraneo, Napoli, 2006, p. 29: « Per la camorra, invece, la violenza è il mezzo e il fine del loro potere, non la semplice sanzione per chi non la rispetta ». 52 SCIARRONE Rocco, Mafie vecchie, mafie nuove. Radicamento ed espansione, Donzelli, Rome, 1998, p.14 53 DI GIACOMO Tobia, « Giovani e cultura antidoto alla mafia », Città Nuova, 16 mai 2011, consulté en ligne le 20/01/2012. URL :http://cittanuova.it/contenuto.php?idContenuto=33990&TipoContenuto=web&Mycn=1&idArgomento=59 54 ACCARDO Alain, Introduction à une sociologie critique. Lire Pierre Bourdieu, Agone, Marseille, 2006, p.88

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redéfinition, et qui offrent à leurs affiliés et à leurs « clients » une ample de gamme de services qui vont de la protection à la médiation55. Les mafias sont ainsi à la fois matérielles et symboliques : il n’existerait pas de structures de pouvoir mafieux ou de structures organisationnelles mafieuses s’il n’y avait pas de structures symboliques pour rendre ce pouvoir et cette organisation effectifs. « Aucune propriété, quelle qu’en soit la nature, ne pourrait exister socialement ni a fortiori rapporter une plus-value si elle ne donnait pas lieu à une représentation (au double sens d’idée et de mise en scène) entraînant l’adhésion56 », écrit Alain Accardo. Aussi, pour pouvoir, sur le long terme, utiliser la violence comme une ressource économique, il est nécessaire que cette violence soit considérée comme telle, en produisant des schémas cognitifs (et moraux) correspondants. Ainsi, « structure » et « culture » existent dans les mafias et s’entremêlent comme dans n’importe quelle autre expression de l’agir social de l’homme 57. C’est pourquoi, selon le sociologue Marco Santoro, « ces symboles, loin d’être de simples épiphénomènes, sont des éléments constitutifs du phénomène, de son identité et des identités de qui l’incarne, le représente, le rend socialement vivant 58 ». Ainsi les symboles de la camorra – mais aussi les chansons de la camorra – ne sont-ils pas de simples stratégies de marché d’une industrie de la protection et de la violence. Ils sont un patrimoine à travers lequel le pouvoir de la camorra et sa violence se transforment en pouvoir et violence symbolique ; et ce pouvoir, dirait Bourdieu, contribue à la stabilisation et à la légitimation des rapports de domination, permettant à la camorra de devenir un « dominant légitime ». Dès lors, l’une des principales forces de l’organisation criminelle mafieuse réside dans sa capacité à diffuser, en son sein mais également dans l’environnement dans lequel elle évolue, ce qui a été défini comme son « capital symbolique », à savoir l’ensemble des valeurs qui viennent se substituer à la confiance traditionnellement

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Voir en particulier - outre les travaux de P. Arlacchi et R. Catanzaro, qui ont les premiers, en Italie, lancé la recherche « sociale » sur la mafia - PAOLI Letizia, Fratelli d’Italia, Il Mulino, Bologne, 2000. 56 ACCARDO Alain, Introduction à une sociologie critique. Lire Pierre Bourdieu, Agone, Marseille, 2006, p.100 57 SANTORO Marco, SASSATELLI Roberta, « La voce del padrino », Il Mulino, n°3, mai-juin 2001, p.509 58 SANTORO Marco, La voce del padrino. Mafia, cultura, politica, Ombre corte, Vérone, 2007, p.32. « [...] i simboli della mafia non sono semplici epifenomeni, ma elementi costitutivi del fenomeno, della sua identità, delle identità di chi lo incarna, lo rappresenta, lo rende socialmente vivo »

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accordée en l’Etat. La circulation de ce capital symbolique est « une fonction essentielle des organisations mafieuses59 », selon les dires du magistrat napolitain Giovanni Melillo. Il s’agit ainsi, à travers cela, de renforcer la cohésion interne au groupe mais également d’étendre autant que possible la zone grise, entendue comme la zone échappant partiellement ou légalement à l’autorité légale, dans laquelle se meuvent les mafias, et au sein de laquelle domine leur système de valeurs qui se substitue au pacte social, venant consacrer le mépris des règles étatiques et des droits des autres. Comme le souligne Francesca Viscone, les camorristes ont « besoin de consensus, d’élargir moins les rangs de ceux qui les aident matérialement que de ceux qui, silencieusement, les soutiennent60 ». Ceci explique le recours croissant aux nouvelles technologies ; un instrument comme internet, avec Youtube notamment, leur permet d’être « suivis » aussi bien dans leur propre quartier qu’à l’extérieur, ce qui s’avère particulièrement intéressant pour des organisations criminelles qui recherchent à tout prix à « étendre autant que possible leur domination sur la société, d’un point de vue économique mais aussi via le consensus et la peur61 ».

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MELILLO Giovanni, « Il rischio è idealizzare disvalori », Corriere del Mezzogiorno, vendredi 30 mars 2012, p.19 60 Extrait d’un entretien avec la chercheuse et journaliste Francesca Viscone, auteure notamment de La globalizzazione delle cattive idee, Rubbettino, Cosenza, 2005 . 61 Ibid.

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Chapitre II : Chanson néomélodique et camorra : les liaisons dangereuses

« A Naples, si tu deviens chanteur et que tu commences à percer, alors il est impossible de ne pas finir dans ce milieu-là. Après, faire son boulot est une chose, entrer en collusion en est une autre62 », déclairait récemment l’ancienne figure de proue de la néomélodie Gigi d’Alessio dans la presse. La formule donne une idée acceptable de travaux récents63 qui font état de liens avérés – certes tantôt étroits, tantôt distendus – entre les chanteurs néomélodiques et les clans de la camorra. Tout comme il serait inexact de résumer la scène musicale napolitaine actuelle à la seule néomélodie, il serait en effet excessif de considérer la chanson néomélodique comme la musique de la camorra et d’imputer à ses interprètes des fautes qu’ils n’ont pas commises. Il apparaît ainsi nécessaire, au vu des critiques qui lui sont adressées, d’approfondir le contexte dans lequel ce genre musical est né et dans lequel se sont affirmés les chanteurs néomélodiques.

Section 1 - Les chansons de malavita, une genèse déjà longue : « La chanson napolitaine - écrit l’historien Marcello Ravveduto - a depuis ses origines eu deux parcours parallèles : un populaire, lié à la vie quotidienne des classes inférieures, et un autre plus « intellectuel», influencé par la musique de chambre et le mélodrame, destiné aux classes les plus aisées64 ». Dès le 19ème siècle, des chansons viennent en effet narrer une marginalité sociale autrefois contenue dans un 62

LAMBERTI Amato, « Le connessioni tra neomelodici e camorra », ilmediano.it, 8 février 2012, consulté en ligne le 09/02/2012. URL : http://www.ilmediano.it/aspx/visArticolo.aspx?id=16218: « Se a Napoli fai il cantante, e cominci a essere un po’ conosciuto, è inevitabile finire in quel giro. Poi, un conto è fare il proprio lavoro, un altro è essere colluso ». 63 Voir notamment CARRINO Luigi Romolo, PETRAROLI Ettore, A Napoli nisciuno è neo, Laterza, Bari, 2012 64 RAVVEDUTO Marcello, Napoli... serenata calibro 9, Liguori Editore, Naples, 2007, p.7 : « La canzone napoletana sin dalle origini ha avuto due percorsi paralleli: l’uno popolare legato alla vita quotidiana della gente che vive nei vicoli e nei bassi, l’altro colto, influenzato dalla musica da camera e dal melodramma, ad uso e consumo delle classi elevate ».

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panorama musical plus hétérogène65. Parmi ces chansons, destinées aux classes populaires de la ville, figurent des chansons de malavita. Les « canzoni di guappi » – le guappo est une figure typique de l’univers populaire napolitain, sorte de justicier oscillant entre le bien et le mal – ont par la suite connu un certain succès, notamment à travers la sceneggiata, représentation populaire mêlant chant et théâtre, très en vogue dans le Naples de l’entre-deuxguerres. L’intrigue est presque toujours composé du triangle amoureux isso, essa et ‘o malamente (lui, elle et le méchant), au sein duquel le mari ou le fiancé est trahi par la femme qu’il aime. La mise à jour de la trahison vient alors marquer le climax lyrique au cours duquel l’homme dénonce la femme : « Regarde-moi sans trembler, femme ingrate. Tu m’as trompé avec avec mon meilleur ami/.../ Tu es la pire des femmes, tu n’es pas digne de moi66 ». L’homme doit alors laver l’affront : il tue celui avec qui sa bien-aimée l’a trahi et inflige à cette dernière un sfreggio, une balafre, visible dès lors au vu de tous67. La sceneggiata se perpétue jusqu’au début des années 1980 et, ce, en grande partie grâce à Mario Merola, dit « ‘O rre » (« Le roi ») 68. Merola s’impose vite, dans les années 1960, comme une figure emblématique de la Naples marginale qui vit de contrebande et de petits trafics et se fait, pour le dire avec Marcello Ravveduto, l’« interprète d’une conscience justificationniste » incarnée par des chansons telles que «‘O criminale », « Malufiglio », « ‘O clan d’ ‘e napoletane » ou encore « Guapparia », dans lesquelles la justice de la rue prévaut sur celle des tribunaux69.

Toutefois, c’est Pino Mauro qui introduit dans la sceneggiata un répertoire plus agressif70. Dans « ‘A mafia », il chante ainsi :

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Extrait d’un entretien avec l’historien Isaia Sales. Extrait de « ‘O re da sceneggiata » d’Eduardo Alfieri et Giuseppe Giordano : « Guardeme e nun tremma, femmena ngrata co meglio amico mie tu me tradute/.../ si l’ultima de femmene e nun si degne e me ». 67 PINE Jason, « Contact, Complicity, Conspiracy: Affective Communities and Economies of Affect in Naples », Law, Culture, and the Humanities, 4.2 (2008), p. 201-223 68 PALOMBA Salvatore, La canzone napoletana, L’ancora del mediterraneo, Naples, 2001, p.85 69 RAVVEDUTO Marcello, op.cit, p.22 70 RAVVEDUTO Marcello, op.cit, p.40 66

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‘A mafia va accussì : dimane ‘e murì ! Pe’ chesta ‘nfamità che tu e’ cummesso, nun tiene scampo, nun te può salva’. ... Ombra nera, chest’è ‘a mafia e nun c’è posto pe’ ‘nu tradimento. Int’all’aria già se sente. ‘a morte ch’è venuta appuntamento ... Chest’è ‘a mafia, si’ perduto ma ‘sta lupara sape l’omertà. Sta cantata è stata ‘n attimo sultanto pe’ prega’. E ‘sta lupara a morte vo’ canta’ pe’ te spacca’ ‘stu core chine ‘e malvagità71.

Viendra ensuite la néomélodie et – au milieu d’une foultitude de chansons d’amours et de trahisons – son lot de chansons « criminelles ». Pour autant, l’origine précise de ces chansons néomélodiques demeure encore aujourd’hui quelque peu floue. Comme toutes les formes d’expression de la culture populaire, le genre néomélodique possède ses racines dans des processus sociaux collectifs, anonymes et difficilement temporalisables72. Il apparaît cependant que ces chansons découlent pour une bonne partie de la sceneggiata, à qui elle emprunte de son esthétisme et de sa sensibilité73, mais aussi de la transformation urbaine de la ville, qui voit

au

tournant des années 1990 des « enclaves criminelles » se constituer dans le centre de Naples tout comme dans sa périphérie nord et est, dans les quartiers de Barra, Ponticelli et Scampia notamment74.

71

« La mafia est ainsi/ demain tu dois mourir !/ Pour cette infâmie que tu as commise/ tu n’as pas d’issue, tu ne peux pas te sauver/ ... / Ombre noire/ ainsi va la mafia/ il n’y a pas de place pour la trahison/ On sent déjà dans l’air/ la mort qui est venue au rendez-vous./ ... / Ainsi va la mafia/ tu es perdu/ mais ce fusil connaît l’omertà./ Cette chanson t’as seulement donné le temps de prier/ Ce fusil veut chanter/ pour te briser ce coeur plein de méchanceté ». 72 Voir notamment SANTORO Marco, SASSATELLI Roberta, « La voce del padrino », Il Mulino, n°3, mai-juin 2001, p.507 73 PINE Jason, « Contact, Complicity, Conspiracy: Affective Communities and Economies of Affect in Naples », Law, Culture, and the Humanities, 4.2 (2008), p. 201-223 74 SALES Isaia, « Criminalità urbana e periferie criminogene: il caso di Napoli », Territorio, n°49, 2009, p.124

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En ce qui concerne les interprètes de ces chansons « criminelles », Tommy Riccio apparaît, selon Roberto Saviano75, comme le grand précurseur. Son tube « Nu latitante76 » (« Le fugitif »), sorti en 1993, est pour l’auteur de Gomorra la première vraie chanson néomélodique racontant une « histoire de camorra »; en l’occurence celle d’un fugitif contraint de quitter les siens et qui ne peut compter que sur un seul ami pour apporter les cadeaux qu’il fait à ses enfants. Bien qu’elle ait bientôt vingt ans, cette chanson – ou la reprise de Gianni Celeste77, vue plus de deux millions de fois sur Youtube – continue d’être diffusée de façon quotidienne sur les radios locales de l’ensemble du mezzogiorno78. Le premier auteur de chansons néomélodiques fut, au tournant des années 1990, Luigi Giuliano, dit « Lovigino », boss du quartier de Forcella et beau-frère du directeur de Mea Sound, qui deviendra l’une des trois grandes maisons d’édition des chanteurs néomélodiques. En plus de s’être fait, au su et vu de tous, le parolier du plus célèbre des chanteurs néomélodiques de l’époque, Gigi d’Alessio, tout en écrivant des chansons à succès, telle que « Chillo va pazz’ pe’ te » (« Tu le rends fou »), pour son rival Ciro Ricci79, Luigi Giuliano a entrepris la diffusion du genre dans toute la ville en utilisant, en plus des traditionnels étals, le circuit des radios et des télévisions locales80.

Section 2 - La formation d’une industrie culturelle mafieuse Les chansons de malavita, nous l’avons vu, existent à Naples depuis le Novecento. Toutefois, l’avènement de la chanson néomélodique vient marquer une rupture nette avec le passé. Pour la chercheuse Francesca Viscone, on assiste dès le 75

SAVIANO Roberto, « Canzone criminale: la musica di Gomorra », La Repubblica, 12 février 2012, consulté en ligne le 21/02/2012 76 RICCIO Tommy, « Nu latitante », 1993, Youtube, consulté en ligne le 08/05/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=7TUbsCKp1U8&feature=fvst 77 CELESTE Gianni, « Nu latitante », Youtube, consulté en ligne le 08/05/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=IlCNlZKObs4 78 SAVIANO Roberto, op.cit. 79 RAVVEDUTO Marcello, Napoli... serenata calibro 9, Liguori Editore, Naples, 2007, p.90 80 LAMBERTI Amato, « Musica e camorra », ilmediano.it, 1er février 2012, consulté en ligne le 09/02/2012. URL : http://www.ilmediano.it/aspx/visArticolo.aspx?id=16153

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début des années 1990 à une instrumentalisation croissante de chansons désormais perçues comme un outil de communication de masse81. Avec la néomélodie se crée ainsi une véritable industrie culturelle, orchestrée par une camorra qui voit d’abord en elle un moyen de blanchir – et de gagner – de l’argent puis, rapidement, de véhiculer sa propre « culture » et, dès lors, séduire le plus grand nombre de personnes possible 82. Dès lors, si la musique est un moyen de construction de la réalité sociale83, le contrôle de la distribution des ressources devient, à son tour, une ressource importante du pouvoir de la camorra sur le territoire et ses habitants 84. C’est ainsi qu’à la suite de Luigi Giuliano, un certain nombre de boss de la camorra se sont faits connaître pour leur implication dans le business de la néomélodie, que ce soit dans l’ « industrie des cérémonies » ou à travers les textes dont ils se sont faits les auteurs. L’historien Isaia Sales écrit même: « Ce recours aussi ample à la production littéraire de la part des chefs de clan n’a d’égal dans aucune autre criminalité organisée85 ». Un des anciens boss de Scampia, Tommaso Prestieri, a joué dans les années 2000 un rôle très actif dans la carrière de nombreux chanteurs, pour lesquels il était tour à tour parolier et imprésario. Il a d’ailleurs été écroué en 2008 pour avoir commandité l’assassinat d’un autre manager, coupable d’avoir organisé, sans son aval, un concert sur son territoire86. Parmi les autres compositeurs les plus appréciés de la néomélodie figure également Rosario Armani, de son vrai nom Rosario Buccino, officiellement en cavale depuis plusieurs années, mais auteur du tube « Ma si vene stasera » (« Mais si tu viens ce soir »), interprété par Alessio et figurant dans la bande originale du film Gomorra87. Selon le sociologue Marco Santoro, c’est dans ce passage de la simultanéité à la reproduction médiatique que ces chansons se sont ouvertes vers un horizon plus

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Extrait d’un échange électronique avec la chercheuse Francesca Viscone, op.cit. LAMBERTI Amato, « Musica e clan », Corriere del Mezzogiorno, vendredi 30 mars 2012, p.19 83 Voir notre Chap. I Section II 84 LAMBERTI Amato, « Musica e camorra », op.cit 85 SALES Isaia, Le strade della violenza. Malviventi e bande di camorra a Napoli, L’ancora del Mediterraneo, Napoli, 2006, p.72: « In nessun’altra criminalità organizzata c’è un così ampio ricorso alla produzione letteraria da parte dei capi ». 86 Voir l’article du Courrier international : http://www.courrierinternational.com/article/2008/11/27/les-couacsde-la-chanson-napolitaine, 27 novembre 2008, consulté en ligne le 23/05/2012 87 LAMBERTI Amato, « Musica e camorra », op.cit 82

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vaste que celui de la fête de quartier, se transformant en un « produit culturel moderne », confectionné industriellement (ou artisanalement, mais toujours selon les technologies modernes de reproduction sonore) et « diffusé à travers les voies impersonnelles et pénétrantes d’un marché sans cesse élargi 88 », qui permet aujourd’hui à certains chanteurs néomélodiques de vendre autant – sinon plus – d’albums que les stars de la pop italienne89 et de gagner, selon Nello Pennino, expert-comptable napolitain, jusqu’à 300 000 euros par an rien qu’au travers de leurs représentations90, pour un chiffre d’affaire global estimé à 200 millions d’euros annuels, dont une bonne partie contribuerait à alimenter les caisses de la camorra91, comme peut en attester le fait que l’une des plus importantes agences de promotion des chanteurs néomélodiques, Bella Napoli, est dirigée par Carmine Sarno, frère de Ciro Sarno, chef du clan du même nom, aujourd’hui condamné à la prison à perpétuité92. Chanteurs néomélodiques et camorristes se rencontrent en effet dans l’enchevêtrement des relations communautaires, de façon quasi spontanée : auteurs, imprésarios, producteurs et public néomélodique appartiennent, dans la majeure partie des cas, à un environnement social homogène, celui des quartiers populaires de Naples93. Mais ce lien, culturel, se double bien souvent, comme nous l’avons vu, d’un lien économique, qui est aussi un moyen de contrôle social. La camorra vient doper le marché de la chanson néomélodique en se positionnant comme un puissant accélérateur de carrière. Car, à Naples, où la mobilité sociale est très faible 94, la musique est vue par beaucoup de jeunes des quartiers populaires comme l’un des

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SANTORO Marco, SASSATELLI Roberta, « La voce del padrino », Il Mulino, n°3, mai-juin 2001, p.507 Pour donner une idée du succès rencontrées par certaines chansons, « Male » de Rosario Miraggio ou « Nu guaglione malamente », interprétée par Sandro et Anthony, ont été visionnées respectivement plus de 3 et 2 millions de fois sur Youtube, sans compter les 5 millions de visionnages du clip « A me piac’ a nutella » de Piccolo Lucio. 90 Interrogé dans DE SIMONE Amalia, « L’ambiguo fascino dei neomelodici », Corriere del Mezzogiorno, vendredi 30 mars 2012, p.20 91 LAMBERTI Amato, « Le connessioni tra neomelodici e camorra », ilmediano.it, 8 février 2012, consulté en ligne le 09/02/2012. URL : http://www.ilmediano.it/aspx/visArticolo.aspx?id=16218. 92 CRUDELE Carlo, « Amore e camorra : i clan sono ’’neomelodici’’ », Inviatospeciale, mardi 9 décembre 2008, consulté en ligne le 26/05/2012. URL : http://www.inviatospeciale.com/2008/12/amore-e-camorra-i-clansono-%E2%80%9Cneomelodici%E2%80%9D/ 93 RAVVEDUTO Marcello, Napoli... serenata calibro 9, Liguori Editore, Naples, 2007, p.110 94 SALES Isaia, « Reimmergersi nel ventro di Napoli », Alfabeto democratico, n°4, 12/2008, p.6 89

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seuls moyen de sortir de leur condition95, ce qui se traduit par une concurrence effrénée sur le marché des chanteurs néomélodiques96. La camorra en profite alors pour s’imposer sur le marché et décider du sort de ces chanteurs, parfois prépubères – tantôt approchés à la suite de concours de chant, tantôt poussés par leur famille –, comme l’explique Irene Allison dans son article intitulé « Baby neomelodici »97 : « Le « rêve de chanteur » du fils coûte cher : 700 euros rien que pour le texte d’une chanson. Ensuite, il faut compter au moins 10 000 euros pour les arrangements, l’enregistrement et le clip. Pour finir, il y a la promotion : une heure d’antenne sur une télé locale coûte 200 euros. De nombreuses familles se font ainsi avoir par des avances qu’il faut ensuite rembourser à des taux usuraires. C’est pourquoi la camorra (...) se fait, le cas échéant, productrice et maison d’édition, en subventionnant les chanteurs, en écrivant leurs textes et en payant les télévisions locales pour passer leurs clips98 ». Dès lors, ces liens tissés entre chanteurs – parfois dès leur plus jeune âge – et la camorra créent des obligations réciproques hautement « liantes », même si l’échange se révèle, dans la plupart des cas, fortement asymétrique. Comme à l ‘époque romaine où les empereurs assuraient leur popularité en finançant des spectacles populaires99 grâce, notamment, aux « hydraules », à Naples, les chanteurs néomélodiques sont bien souvent instrumentalisés par le clan et le chef de clan, qui peut les imposer dans certaines cérémonies ou autres fêtes patronales, leur donnant de la visibilité mais accentuant par la même son emprise sur eux100. Les arrestations, ces dernières années, de plusieurs grandes figures de la néomélodie ont pu attester de cette emprise de la camorra sur ces chanteurs. Rosario 95

En atteste cette anecdote, extraite d’un courrier électronique reçu par le chanteur Daniele Sanzone: « Une amie à moi, qui est prof de chant, m’a raconté que des jeunes viennent la voir non pas parce qu’ils veulent apprendre à chanter mais parce qu’ils veulent réussir à passer les sélections pour Amici ou X Factor. Ca te donne une idée de comment ils voient la musique : comme la possibilité de se faire de l’argent rapidement et facilement ». 96 « A Naples, il y a plus de chanteurs que de chansons », entend-on souvent. 97 Voir aussi le reportage suivant : LE IENE, « Il successo dei bambini », Italia 1, 9/02/2012, consulté en ligne le 05/05/2012. URL:http://www.video.mediaset.it/video/iene/puntata/283071/lucci-il-successo-dei-bambini.html 98 ALLISON Irene, « Baby neomelodici », La Repubblica, 22 aprile 2010, consulté en ligne le 29/02/2012.URL :http://d.repubblica.it/dmemory/2010/04/10/attualita/attualita/096mer68996.html : « Il "sogno canoro" del figlio costa caro: 700 euro solo per il testo di una canzone, poi gli arrangiamenti, l'incisione, i video: per un disco ci vogliono almeno 10mila euro. E dopo c'è la promozione: un'ora di passaggi sulla tv locale costa 200 euro. Per questo molte famiglie si fanno stritolare dalle rate di finanziamenti a tassi altissimi. Per questo accettano prestiti che poi vanno restituiti. E per questo la camorra (...), si è fatta all'occorrenza autrice, produttrice e casa discografica, sovvenzionando i cantanti, scrivendone i testi e pagando le televisioni locali per trasmettere i video » 99 ATTALI Jacques, Bruits. Essai sur l’économie politique de la musique, PUF, Paris, 2007, p.63 100 Entretien avec Marcello Ravveduto, op.cit.

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Miraggio101, pourtant réputé pour ses chansons d’amour, a ainsi été interpellé pour extorsion en 2006, en pleine représentation sur une télévision locale102. Plus récemment, d’autres têtes d’affiche ont fait l’objet d’enquêtes de la part des juges antimafias : ce fut le cas de Zuccherino et de Ciro Ricci, écroués respectivement en 2008 et 2010 pour association mafieuse103. La Commission parlementaire antimafia, à diverses reprises, s’est ainsi intéressée de prêt aux liens, à Naples, entre le monde de la chanson et la camorra. Dans son rapport annuel de 2000, elle soulignait un autre aspect de la « dépendance » de certains chanteurs chanteurs vis-à-vis du crime organisé : « (...) de nombreux chanteurs sont victimes de l’usure et de la drogue. Les intérêts qui lévitent et le vice qui les rend esclaves contraint nombre d’entre eux à des prestations incessantes pour faire face à leurs dettes et à l’usage de stupéfiants104 ».

Mais le 7 février dernier, l’arrestation très médiatisée du chanteur Nello Liberti à Herculanum a, en plus de rappeler les connexions entre la néomélodie et les clans de la camorra, posé avec acuité la question des messages véhiculés par ses chansons, car c’est pour « incitation au crime » - dans sa chanson « Chef de clan105 » - qu’il a été mis en examen106.

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Sa chanson « La macchina 50 » a été choisie par Matteo Garrone pour ouvrir son film « Gomorra ». Voir notamment ROBERTI Gianmaria, « Camorra & canzoni », la Discussione, 9 février 2012, consulté en ligne le 23/05/2012. URL : http://www.ladiscussione.com/politica/in-primo-piano/2373-camorra-a-canzoni.html 103 RAVVEDUTO Marcello, « La camorra di Zuccherino », il Fatto Quotidiano, 29 septembre 2010, consulté en ligne le 23/05/2012. URL: http://www.ilfattoquotidiano.it/2010/09/29/la-camorra-di-zuccherino/65880/ 104 Commissione Parlamentare Antimafia, Doc. XXIII n°46 – ter, 2000, consulté en ligne le 23/05/2012. URL : http://www.camera.it/_dati/leg13/lavori/doc/xxiii/046ter/d010.htm. « Molti cantanti sono vittime dell’usura e della droga, gli interessi che lievitano ed il vizio che li rende schiavi costringe molti di loro a prestazioni incessanti per far fronte ai debiti ed all’uso di stupefacenti ». 105 LIBERTI Nello, « ‘O capoclan », 2004, YouTube, consulté en ligne le 14/01/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=ag5OxmlZ88o 106 SANNINO Conchita, « Un video-clip pro-camorra, arrestate quel cantante », La Repubblica, mercredi 8 février 2012, p.21 102

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Chapitre III : Essai d’analyse de clips : entre justification et glorification de la malavita

« Le fait musical n’est pas une abstraction ; c’est un fait de culture et en tant que telle la musique ne peut être neutre ; elle véhicule toujours une idéologie107 » A.M. Green

Une étude approfondie de la chanson néomélodique ne peut faire l’économie d’une analyse poussée des vidéos-clips qui peuplent la toile et qui en constituent, à l’ère du numérique, une des principales vitrines, lui conférant même une dimension potentiellement globale. La pénétration de la mentalité camorriste sur les réseaux sociaux est depuis plusieurs années déjà une réalité108 ; l’industrie de la néomélodie, à travers ses maisons d’édition et ses managers, fait en effet un usage considérable des sites d’hébergement de vidéos, en premier desquels le géant américain YouTube, où certains clips néomélodiques totalisent jusqu’à 5 millions de vues. A fortiori, il se dégage de l’écoute d’un large échantillon de chansons néomélodiques, après avoir réalisé une analyse de discours et de contenu sur les chansons que nous avons jugées les plus significatives et les plus pertinentes pour notre travail de recherche, qu’il existe selon nous deux types de chansons de malavita qu’il convient, dans un souci de scientificité, de distinguer, selon que le terme « malavita » fasse référence : - à un mode vie relevant de l’arte di arrangiarsi (art de la débrouille), qui englobe des économies qui vont de l’informel au criminel ; - à la camorra, dont « malavita » est devenu synonyme, dans le langage courant comme dans les pages des journaux et les travaux des chercheurs.

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Cité dans GUEDJ Julien, HEIMANN Antoine, Sociologie politique du rap français, consulté en ligne le 15/05/2012. URL : http://heimann.antoine.free.fr/ 108 RAVVEDUTO Marcello, « ‘O capoclan : Dio, Camorra e Famiglia », il Fatto Quotidiano, 28 août 2010, consulté en ligne le 29/02/2012. URL : http://www.ilfattoquotidiano.it/2010/08/28/%E2%80%98o-capoclan-diocamorra-e-famiglia/54063/

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Section 1 – Les chansons justificationnistes ou la « morale de l’illégalité » Un certain nombre de chansons justifient la malavita, entendue comme la « mauvaise vie », moralement réprimable voire contraire à la loi, et défendent l’Autre Naples, marginalisée par un Etat central absent, « cataloguée », victime des préjugés et trop souvent (toujours ?) accusée à tort. On trouve ainsi sur YouTube plusieurs centaines de clips répondant à la requête « miez ‘a via » (littéralement « milieu de la rue » en napolitain, mais l’expression traduit en réalité l’appartenance aux classes populaires ou, plus souvent, à la criminalité organisée et à son industrie – contrebande, etc.), avec des chansons telles que « Simme gente e miez ‘a via109 » (« Nous sommes les gens de la rue »), « So’ n’omm e miez ’a via110 » (« Je suis un homme de la rue »), « Nu guagliune e miez ‘a via111 » ou, autre variante, « Nu scugniz e miez ‘a via» (« Un gamin des rues »). Cette dernière112 , vue près de 400 000 fois, est interprétée par le très jeune Sasy qui, du haut de ses neuf ans, est au guidon – sans casque – d’une Vespa sur laquelle il débute le clip en roue arrière. Après être descendu du deux-roues, Sasy se met à chanter et vient saluer à la façon d’un boss une poignée d’adolescents qui, quoique plus âgés, lui témoignent leur respect. Les paroles, comme dans les autres chansons « miez ‘a via », dénoncent la stigmatisation dont seraient victimes les habitants des quartiers populaires de la ville – considérée dans les paroles comme la « vraie » Naples – élévés à ‘a scol’ e miez ‘a via, l’école de la rue : « Ils veulent nous juger / Disent que nous sommes des bandits/ Nous les Napolitains ». Puis : « Il ne faut pas nous juger / Nous ne sommes pas des racailles/ Comme ils l’écrivent dans leurs journaux ». Plus loin dans le clip, son père, recherché dans la vie réelle par la police113, vient le border, 109

CELESTE Gianni, CARADONNA Enzo, « Simme gente ‘e miez ‘a via », YouTube, consulté en ligne le 26/05/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=QINPjmNldXo 110 LIBERTI Nello, « So n’omm e miez ‘a via », YouTube, consulté en ligne le 26/05/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=wOEgb9Cn3A8 111 RICCI Ciro, « Nu guagliune e miez ‘a via », YouTube, consulté en ligne le 26/05/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=XYHr2YOGtyc 112 SASY, « Nu scugniz e miez ‘a via », YouTube, consulté en ligne le 24/05/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=bs3Ok3beqUw 113 Comme l’explique une proche de la famille dans ce reportage : URL : http://www.dailymotion.com/video/xi9btp_enquete-exclusive-mafia-combines-et-corruption-les-demons-denaples-p4-6_news

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puis sort de la chambre, tournant le dos à la caméra, pour éviter d’être reconnu par les forces de l’ordre.

Dans « Nu guagliune malamente114 » (« Une racaille »), véritable succès depuis sa sortie en 2009 – les différents clips ont été vus près de 3 millions de fois sur YouTube –, Sandro et Anthony jouent les rôles de deux frères orphelins dont l’un, Sandro, apprend que son aîné serait un guagliun’ e miez ‘a via (« mec de la rue ») – expression ici utilisée comme un euphémisme pour signifier son appartenance à la camorra. En larmes, il demande des comptes à son frère, Anthony, qui arrive à l’arrière d’un scooter : « Ne t’en fais pas/... / C’est le destin qui m’a choisi/ Nous avons grandi sans père ni mère / Souviens-toi, comment pouvais-je faire ?/ Je ne t’ai jamais fait manquer de rien115 ». Avant d’ajouter, en guise de refrain : « Une racaille/ c’est comme ça que les gens m’appellent/ ils parlent sans savoir/ ils ne sont bons que pour juger116 ». L’argumentaire se termine avec la justification classique - « Si je le fais, c’est seulement par nécessité » - qui finit de convaincre le frère cadet : « Tu es tout pour moi / Et je suis fier d’avoir un frère comme toi/ Personne ne nous a jamais aidés/ Comment ferais-je sans toi ?/ Je t’aime117 ». Un certain nombre de commentaires des utilisateurs vont d’ailleurs dans ce sens : « On vole parce qu’on a faim, pas pour s’amuser118 », écrit Longwonxxx ou encore, selon tony11221066 : « C’est l’Etat qui nous fait de nous des délinquants. Seulement qui est passé par là peut en savoir quelque chose119 ».

Conséquence directe de cette « mauvaise vie », la prison fait également figure, avec le thème de la cavale120, de grand classique de la chanson néomélodique. « Napule carcerata121 » (« Naples emprisonnée »), « Carcere minorile122 » (« Prison 114

SANDRO et ANTHONY, « Nu guaglione malamente », 2009, YouTube, consulté en ligne le 08/05/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=rm6ZyBSCzoc. Voir également notre annexe n°2 115 « Nun te preoccupà /.../ Chest é ‘o destino cà m’aggia scigliut/ Simm criscuit senza mamma e pate/ rimmell tu, ma comm putivà fa/ i niente t’aggia fa mancà ». Voir l’intégralité du texte dans l’annexe n° 116 « Nu guaglione malamente / accussi’ me chiamm ‘a gente/ parlan e nun sann niente/ so’ bravi sulamente a giudicà » 117 « Tu pe’ mme si tutt’e cose/ e so’ orgoglioso cà so’ frate a te/ Mai nisciuno ci ha aiutat/ Comm faciss se perdess a te/ Te voglio bene » 118 « Si ruba x fame non x divertimento » 119 « E lo stato che ti ci porta a essere un delinquente solo chi ci e passato puo sapere qualcosa » 120 Voir notamment la chanson-référence : RICCIO Tommy, « Nu latitante », 1993, YouTube, consulté en ligne le 08/05/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=7TUbsCKp1U8&feature=fvst 121 RICCIO Tommy, « Napule carcerata », YouTube, consulté en ligne le 25/05/2012. URL:

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pour mineurs »), « All’amici carcerati123 » (« Aux amis emprisonnés »), « Stanza 39124 » (« Cellule 39 »), « Figlio e carcerato125 » (« Fils de prisonnier » ) ou « Nu pate carcerato » (« Un père emprisonné ») sont autant de chansons qui ont pour thème principal l’incarcération. Dans « Nu pate carcerato126 », vue quelque 500 000 fois en ligne, Anthony, dans le rôle du fils, et Nello Amato, qui incarne le père, se font face au parloir. Anthony, tout en tenant la main de son père, dénonce dès la deuxième strophe une justice coupable d’avoir emprisonné « le meilleur des pères », qui plus est « innocent ». « Je n’ai rien fait de mal/ je me trouvais là sans raison/ Dieu doit m’aider/ Ils m’ont traité comme une racaille/ comme si j’étais un délinquant127 », explique Nello Amato, reprenant l’argumentaire classique des chansons de « carcere128 », dans lesquelles le prisonnier apparaît sous les traits de la victime sacrificielle d’une société par trop injuste, incapable de comprendre un autre mode de vie. Pour ajouter au dramatisme de la chanson et accroître son réalisme et, ainsi, sa crédibilité, Nello Amato joue en vérité dans ce clip son propre rôle, comme l’on peut le comprendre à la fin de la chanson lorsque, après un court interlude et l’apparition à l’écran de la mention « Deux jours plus tard », un zoom avant sur le journal laisse apparaître un article : « Un célèbre chanteur néomélodique blanchi de toute accusation. Affaire classée pour Nello Amato129 ». Le message de ces chansons est univoque : la pauvreté contraint toute une frange de Naples à la débrouille ou, plus souvent, à la délinquance. Ces habitants des quartiers populaires apparaissent comme les laissés-pour-compte d’une société qui les stigmatise et, le cas échéant, les incarcère injustement. Ils dénoncent ansi les http://www.youtube.com/watch?v=vjygcKWTuow RAFFAELLO JR, « Carcere minorile », YouTube, consulté en ligne le 25/05/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=-q9B72qVsso&feature=related 123 MACRI Angelo, « All’amici carcerati », YouTube, consulté en ligne le 26/05/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=-K8vLnRhzew 124 RICCIO Tommy, « Stanza 39 », YouTube, consulté en ligne le 26/05/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=ZG7rJNKjC9Q 125 CELESTE Gianni, PRESTIERI Christian, « Figlio ‘e carcerato », YouTube, consulté en ligne le 26/05/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=ij4oQEV9WMQ&feature=fvst 126 ANTHONY et AMATO Nello, « Nu pate carcerato », 2010, YouTube, consulté en ligne le 08/05/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=DJhQ0xXNjW0 127 « Nun agg fatt nient male/ Me trov cca senzz ragione/ e Dio m’adda aiutà/ m’ann trattat malamente/ comme si fosse delinguent » 128 RAVVEDUTO Marcello, Napoli... serenata calibro 9, Liguori Editore, Naples, 2007, p.XI 129 « Scagionato da ogni contestazione un noto cantante neomelodico : caso archiviato per Nello Amato » 122

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injustices sociales et cherchent dès lors à légitimer un mode de vie marginal voire une activité criminelle. « Le justificationnisme, mélange de ressentiment et de rancoeur social pour ceux qui ont réussi, semble dominer l’idéologie camorriste130 », écrit à cet égard Isaia Sales dans Le strade della violenza.

« ‘A

società131 »,

de

Gino

Ferrante,

véhicule

ce

même

message

justificationniste. Un flash back, au début de la chanson, montre une mère sommant son fils de dix ans à peine d’aller à l’école, lequel refuse et répond, d’une voix éraillée et catégorique : « Maman, j’veux pas aller à l’école. L’école elle ne me donne rien 132». Il réapparaît une dizaine d’années plus tard au guidon d’une grosse cylindrée, s’apprêtant à commettre un assassinat. Entre temps, les paroles invoquent « une vie de pauvreté », sur fond d’images de madonnes et d’embrassades entre le protagoniste et son jeune fils. Puis les paroles viennent exalter l’omertà et la camorra, horizons indépassables de « ceux qui ont toujours été incarcérés » (sous-entendu à tort) ou qui, « petits, ont perdu père et mère », contraints dès lors d’intérioriser ‘a legge miez ‘a via, la loi de la rue, et de vivre for’a società, en dehors de la société.

Section 2 - Les chansons glorificatrices : la camorra comme horizon indépassable Nous l’avons vu, un certain nombre de chansons s’attachent à justifier, sous couvert d’une pauvreté et d’une marginalisation exacerbées, une « mauvaise vie » à cheval entre l’illicite, l’illégal et le criminel. D’autres, moins nombreuses et à la popularité moindre, sont nettement plus explicites et font montre d’une plus grande violence. A l’instar des « narcorridos » mexicains, ces chansons qui exaltent les cartels de la drogue133 , elles justifient et glorifient ouvertement la « malavita » (synonyme 130

SALES Isaia, RAVVEDUTO Marcello, Le strade della violenza. Malviventi e bande di camorra a Napoli, L’ancora del mediterraneo, Naples, 2006, p.174 131 FERRANTE Gino, « ‘A società », YouTube, consulté en ligne le 08/05/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=zaCuJaI-EjA 132 « Mamma a scol’ non ci vo andà, a me ‘a scol non ma da nient » 133 HEAU LAMBERT Catherine, « Los narcorridos : incitacion a la violencia o despertar de viejos demonios ? Una reflexion acerca de los comentarios de narco-corridos en YouTube », Trace, n°57, juin 2010, p. 99-110

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cette fois de « camorra ») et la violence qui est la sienne, à l’endroit notamment des repentis. Ces chansons, que l’on pourrait aussi assimilier aux chants guerriers de Tyrtée, destinés aux soldats spartiates partis au combat, semblent s’adresser directement aux membres des clans. Elles sont celles qui sont le plus sujettes aux polémiques, car elles décrivent avec force détails le comportement de l’affilié à la camorra, ce qu’il doit faire et ce qu’il ne doit pas faire. Leurs titres, à eux seuls, sont évocateurs: « ‘O killer134 » (« Le tueur »), « Pe’ colpa e nu pentito135 » (« A cause d’un repenti ») ou encore « ‘O capoclan136 » (« Le chef de clan »).

Parmi celles-ci, « ‘O capoclan » figure en bonne place, tant et si bien que, le 7 février dernier, son interprète Nello Liberti a été arrêté à Herculanum, lors d’un série d’arrestations lancée contre une quarantaine de membres d’un clan de la camorra, pour « incitation au crime », avant d’être relâché. Sa chanson phare, vue plusieurs centaines de milliers de fois sur Youtube137 narre l’histoire d’un chef de clan, incarnée dans la vie réelle par Vincenzo Oliviero138, et pour qui « la liberté n’existe pas » car, enfant, il n’a eu d’autre choix que la rue pour manger139. Ses qualités, comme dans « Il mio amico camorrista140 » (« Mon ami le camorriste ») de Lisa Castaldi, apparaissent au fil de la chanson. Alors qu’il demande à ses hommes d’éliminer un « traître », les paroles font de lui un être : -

Infaillible : « Le chef de clan non, il ne se trompe jamais » (« ‘O capoclan no, nun sbaglia »)

134

Voir notamment VEZZOSI Gianni, « ‘O killer », YouTube, consulté en ligne le 08/05/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=VwAueg8wEis 135 PRIMO Mirko, « Pe’ colpa e nu pentito », YouTube, consulté en ligne le 26/05/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=ickbT02M0PA 136 LIBERTI Nello, « ‘O capoclan », 2004, YouTube, consulté en ligne le 14/01/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=ag5OxmlZ88o 137 Un temps censurée, la chanson est vite réapparue sur le site de partage en ligne. 138 Voir CANTONE Raffaele, « Inno al boss, lo scandalo neomelodico », Il Mattino, 8 février 2012, p.12 139 « Da guagliune nun ha potuto mai studia’/ pe’ sfortuna se n’ando’ a fatica’... si sacrifico’ pe’ magnà a sera » (« Enfant il n’a jamais pu étudier/ par malchance il s’en est allé travailler/ Il s’est sacrifié pour manger le soir ») 140 CASTALDI Lisa, « Il mio amico camorrista », YouTube, consulté en ligne le 19/05/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=2Hn2SbWiTy8

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-

Doté de pouvoirs surnaturels : « Dieu, protège mes enfants/ mais si parfois tu n’y parviens pas/ ne t’en fais pas, je m’en chargerai moi-même » (« Dio, proteggi i figli mii/ ma se cacc’ vvota nu po fà/ nun te preoccupà cà ce pienz’ io »)

-

Prêt à se sacrifier : « Pour cet homme la liberté n’existe pas/ pour l’honneur il doit cacher la vérité » (« Pe’ chest’ommo nun esiste ‘a libertà/ pe’ onore s’annasconne ‘a verità »)

-

Affectueux : « Son coeur est toujours à la maison /.../et toutes les nuits il rêve de ceux qui l’attendent à la maison» ( «Co’ core sta sempe ‘a casa /.../ e tutt’ e notti sogna chi sta a cas’ a l’aspetta’»)

-

Habile au commandement : « Les gars l’attendent devant/ ils savent ce qu’il faut faire » (« I guagliuni stann’ fore a l’aspetta’/ e sann’ già c’ adda fa’ »)

-

Inflexible : « La sentence pour celui qui a trahi/ C’est un chef et il sait ce qu’il doit faire/ Ils nous procure du respect et nous le respectons/..../ Ses erreurs il les commet seulement par nécessité » (« La condanna pe’ chi aggia sbagliat’/ è nu capo a sape che adda fa’/ ci fà rispettà e nuje l’avvimmo rispettà /.../ I suoi errori so’ pe’ necessità »

Le phénomène de la repentance, abordé dans cette chanson, est l’un des autres grands thèmes de la chanson néomélodique « criminelle », inexistant dans le reste du panorama musical italien, comme le souligne l’historien Marcello Ravveduto141. «’O pentito » (Le repenti), «Pe’ colpa ‘e nu pentito » (A cause d’un repenti), « Vite perdute142 » (Vies perdues) ou « ‘A colpa e dei pentiti143 » (C’est la faute des repentis) font partie des grands classiques du genre, totalisant chacune plusieurs dizaines voire centaines de milliers de vues sur YouTube. Le pentito (le repenti) est placé dans les textes sous le sceau de l’infâmie pour avoir brisé l’omertà et mis à mal, en dénonçant les membres du clan, la « solidarité criminelle ». Il est d’autant plus abject que, bien souvent, il était considéré comme un véritable frère. Il convient dès lors,

141

RAVVEDUTO Marcello, Napoli... serenata calibro 9, Liguori Editore, Naples, 2007, p. 177 CELESTE Gianni, MASSIMO, « Vite perdute », YouTube, consulté en ligne le 26/05/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=WRicLiQJmxI 143 MAGLIOCCIO, « ‘A colpa è dei pentiti », YouTube, consulté en ligne le 19/05/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=Nm9U0eAJyXU 142

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faisant fi de l’amitié passée, de l’éliminer, comme dans «‘O capoclan », où les paroles précisent qu’« on ne peut pas raisonner avec le coeur144 ». Le clip de «’O pentito145 » («Le repenti ») de Zuccherino commence par la prononciation de la sentence de la part du juge: « Au nom du peuple italien les juges de la Cour d’assises de Naples, reconnues fiables les déclarations des collaborateurs de justice, et au vu de l’article 416 bis (association mafieuse), tiret 1, 2, 3 du Code pénal, condamnent Vincenzo Caputo à 18 années de réclusion146 » Puis la chanson débute et Zuccherino s’en prend à un repenti qu’il considérait jusqu’ici comme son propre frère147. Ce dernier est désormais un « infâme » qu’il faut éliminer: « Tu es condamné par la loi de la rue/ repenti, maintenant tu es condamné à vie148 ». Le message est clair: qui a appartenu à une organisation criminelle n’en sort pas aussi simplement qu’il le veut. Et s’il décide de trahir les siens, il n’échappera pas à la vendetta.

C’est ce même message de suprématie du clan sur l’individu que véhiculent deux autres chansons de Gianni Vezzosi et de Gino del Miro, toutes deux intitulées «’O killer149 », mais interprétées à dix années d’intervalle. Elles racontent – selon un scénario similaire – l’histoire de deux tueurs à gages chargés par le chef de clan d’une énième éxécution. Mais tout deux refusent: Gino del Miro, qui ne supporte plus de vivre dans la peur et loin des siens, jette son arme dans un étang. Gianni Vezzosi refuse lui de s’éxécuter – bien qu’il ait déjà commis trois homicides au cours du clip – et rend son arme quand le boss lui tend la photo d’une femme qu’il doit assassiner. Dans les deux cas, tout deux sont ratrappés quelques instants plus tard par d’autres membres du clan, qui ne peuvent tolérer l’affront, et sont tués alors qu’ils s’apprêtent, soulagés, à retrouver les leurs.

« co’ core nun si po raggiunà » ZUCCHERINO, « ‘O pentito », YouTube, consulté en ligne le 25/05/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=Er2iSuRFF 146 « In nome del popolo italiano i giudici della Corte d’assise di Napoli, ritenute attendibili le dichiarazioni dei collaboratori di giustizia, visto l’articolo 416 bis, comma 1,2,3 del Codice penale, condannano Vincenzo Caputo a anni 18 di reclusione » 147 « ... ce penzo ie ca t’ so frate » (« je pensais que j’étais ton frère ») 148 « d’’a legge e miez ‘a via si cundannato/ pentito, mo tu si cundannato a vita » 149 VEZZOSI Gianni, « ‘O killer », YouTube, consulté en ligne le 08/05/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=VwAueg8wEis et MIRO Gino del , « ‘O killer », 1996, YouTube, consulté en ligne le 25/05/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=4gpt4SYmfuE 144 145

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On retrouve bien ici, en filigrane, les comportements claniques qui permettent d’assurer la solidité structurelle des familles mafieuses et qui doivent dès lors être scrupuleusement observés par les affiliés, sous peine de s’exposer à la «violence programmée150 »: -le respect absolu de la hiérarchie établie, matérialisé ici par la soumission au chef de clan ; -le culte du secret, dont découle la loi du silence – l’omertà – et dont dépend l’imperméabilité du clan ; -l’abnégation de l’individu au profit du groupe ; le camorriste fait en quelque sorte don de soi au clan ; -l’utilisation systématique de la violence à l’encontre de quiconque enfreindrait le clan ; c’est ici l’état initial de la vendetta.

150

Cf chapitre 1, section 1

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Deuxième partie : Des mots aux maux ou quand chanter nuit gravement à la cité

Crédits : Stefano Renna

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« Extraordinary how potent cheap music is » Noël Coward151

Chaque jour davantage, la musique envahit notre espace, rythme nos vies. Gilles Lipovetsky le soulignait déjà en 1983, dans L’ère du vide : « Nous vivons une formidable explosion musicale : musique non-stop, hit-parade, la séduction postmoderne est hi-fi. Désormais la chaîne est un bien de première nécessité, on fait du sport, on déambule, on travaille en musique, on roule en stéréo, la musique et le rythme sont devenus en quelques décennies un environnement permanent, un engouement de masse. Pour l’homme disciplinaire-autoritaire, la musique était circonscrite dans des lieux ou moments spécifiques, concert, dancing, music-hall, bal, radio ; l’individu postmoderne, au contraire, est branché sur de la musique du matin jusqu’au soir, tout se passe comme s’il avait besoin d’être toujours ailleurs, […] tout se passe comme s’il avait besoin d’une déréalisation stimulante, euphorique ou enivrante du monde152» A Naples plus qu’ailleurs, la musique revêt une importance capitale. Comme l’écrivait récemment l’historien Marcello Ravveduto dans le Corriere del Mezzogiorno, « Naples est la ville-chanson par excellence, comparable seulement à la Buenos Aires du tango : les deux seules villes au monde connues et racontées à travers des textes qui décrivent des contextes locaux élévés au rang de stéréotypes globaux153 ». Dès lors, il n’est pas étonnant que la chanson néomélodique, dont certains textes – nous l’avons vu – justifient voire exaltent la criminalité mafieuse, y soit devenue un sujet politique faisant l’objet, au gré de l’actualité judiciaire, de vives controverses.

151

Cité dans MIDDLETON Richard, Studying Popular Music, Open University Press, Philadelphie, 2002, préface, p.V 152 LIPOVETSKY Gilles, L’ère du vide. Essai sur l’individualisme contemporain, Gallimard, Paris, 1983, p.33 153 RAVVEDUTO Marcello, « E solo il canto di (mala)Napoli ? », Corriere del Mezzogiorno, vendredi 30 mars 2012, p.19. « Napoli è la città-canzone per eccellenza, paragonabile solamente alla Buenos Aires del tango : le uniche due città al mondo conosciute e raccontate attraverso testi musicali che descrivono contesti locali assurti a stereotipi globali ».

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Chapitre 1 : De la (cor)responsabilité sociale des chanteurs néomélodiques ? Retour sur un débat napolitain

La sagesse populaire laisse entendre que la musique adoucirait les moeurs154. Pourtant, en décembre 2006, au moment de la présentation du livre Le strade della violenza, co-écrit par Isaia Sales et Marcello Ravveduto, l’alors ministre de l’Intérieur Giuliano Amato jette le pavé dans la marre en pointant du doigt les liens entre la chanson néomélodique et la criminalité organisée napolitaine. « J’ai remarqué comment plusieurs chansons se faisaient les expressions de la ‘’pervasité’’ de la mentalité camorriste155 », explique-t-il un an plus tard dans la préface de Napoli... serenata calibro 9, l’ouvrage de Marcello Ravveduto consacré à la chanson néomélodique. Les réponses au ministre n’ont pas tardé à arriver du côté des intéressés : « Nous faisons de l’art, nous ne défendons pas la culture camorriste156 », lui avait alors rétorqué Enzo Barucci, le patron de Zeus, l’une des trois grandes maisons d’édition spécialisées dans la néomélodie, posant les bases d’un débat toujours d’actualité.

Section 1 - Les chansons des « vicoli », simple art néoréaliste ?

Dans son ouvrage référence157 aux allures de dictionnaire de la musique napolitaine, Salvatore Palomba laisse quelque peu de côté le qualificatif de « néomélodique » et lui préfère, dans le titre de son chapitre tout au moins, celui de « canzoni dei vicoli » (« chansons des ruelles »), en référence aux ruelles pavées du 154

ATTALI Jacques, Bruits. Essai sur l’économie politique de la musique, PUF, Paris, 2007, p.54 RAVVEDUTO Marcello, Napoli... serenata calibro 9, Liguori Editore, Naples, 2007, préface, p.XI: « Ho notato come alcuni canzoni fossero espressioni della pervasività della mentalità camorrista ». 156 LUCARELLI Ottavio, SANNINO Conchita, « Napoli, Amato contro i neomelodici. Celebrano i camorristi come eroi », Il Mattino, 14 décembre 2006, consulté en ligne le 23/04/2012. URL : http://www.repubblica.it/2006/12/sezioni/cronaca/camorra-canzoni/camorra-canzoni/camorra-canzoni.html 157 PALOMBA Salvatore, La canzone napoletana, L’ancora del mediterraneo, Naples, 2001 155

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centre historique de Naples sur lesquelles donnent les « bassi », ces petits appartements dont la porte ou la fenêtre, seules sources de lumière, restent bien souvent ouvertes pour permettre au logement de respirer, laissant passer, par la même, des bribes de chansons expulsées des stéréos158. Roberto Saviano, dans un article intitulé « Chanson criminelle », écrit ainsi : « Quand je vivais dans les Quartiers espagnols159, je les connaissais toutes par coeur. A vrai dire je les connais encore ces chansons néomélodiques qui résonnent dans les ruelles, sortent des fenêtres des voitures, servent de sonneries de téléphones. Le matin, à l’heure du ménage, on entend Tony Colombo, Rosario Miraggio, Stefano et mille autres voix depuis les fenêtres160 . Avant d’être « néomélodiques », nos chansons étudiées ci-avant ne sont-elles pas « néoréalistes », en ce sens qu’elles proposent, selon un langage simple et direct, une représentation réaliste de la réalité, sans en occulter les aspects les plus sombres? Comme quand, en 1963, Vittorio de Sica dépeint – non sans une certaine bienveillance – dans la première partie de Ieri, oggi, domani, le quartier de Forcella, où des femmes par dizaines vendent des cigarettes de contrebande sur de petits étals161. Et si, pour disqualifier le genre néomélodique, la violence de certains textes est souvent invoquée, cette dernière n’est-elle pas un élément récurrent de nos sociétés, et un ingrédient majeur de toute littérature : déjà dans l’Iliade ou La Chanson de Rolland, les blessures des combattants sont décrites avec force détails. Aussi, à Naples, « des écrivains comme Raffaele Viviani, Ferdinando Russo ou Salvatore di Giacomo

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RAVVEDUTO Marcello, Napoli... serenata calibro 9, Liguori Editore, Naples, 2007, p.119. La métaphore de l’historien Marcello Ravveduto résume bien l’atmosphère qui y règne : « Le quartier est organisé comme une grande maison. La ruelle est le couloir sur laquelle donne les différentes chambres dans lesquelles vivent les membres d’une gigantesque ‘’famille’’ (« Il rione è organizzato come una grande casa. Il vicolo è il corridoio su cui affacciano le diverse stanze in cui vivono i componenti di una ‘’famiglia’’ numerosissima »). 159 Un des quartiers populaires du centre historique de Naples, coincé entre deux des principales artères de la ville, la Via Toledo à l’est et le Corso Vittorio Emanuele à l’ouest. 160 « Quando vivevo ai Quartieri Spagnoli le conoscevo tutte a memoria. In verità, le conosco ancora le canzoni neomelodiche che dalle radio al massimo volume esplodono per i vicoli, escono dai finestrini delle auto, suonano come suonerie dei cellulari. La mattina si fanno le pulizie e dalle finestre escono Tony Colombo, Rosario Miraggio, Stefania Lay... e mille altre voci ». SAVIANO Roberto, « Canzone criminale: la musica di Gomorra », La Repubblica, 12 février 2012, consulté en ligne le 21/02/2012. URL : http://www.repubblica.it/spettacoli-e-cultura/2012/02/12/news/saviano_neomelodici-29737271/ 161 Vittorio de Sica s’inspire d’ailleurs ici de l’histoire vraie de la contrabandière napolitaine Concetta Muccardi, interprétée dans le film par Sofia Lauren.

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ont raconté la violence et le sang versé dans la ville162 », écrivait en décembre 2006 le romancier napolitain Erri de Luca, en réaction à la sortie de Giuliano Amato. La musique n’est-elle pas, dès lors, simplement, « miroir de la réalité », pour le dire avec Marx163? C’est en substance ce que déclarait en 2006 au quotidien La Repubblica Raiz, ex-leader des Almamegretta, un des groupes phares de la scène musicale napolitaine (non-néomélodique) pour qui les chanteurs néomélodiques, avec leurs voix da din’t ‘o cor’(de l’intérieur du coeur), ne sont que les interprètes de la vie des vicoli de Naples et ne font, en fin de compte, que mettre des mots sur les maux : « Si un artiste photographie la réalité, il ne fait pas l’apologie de la camorra [...]. Selon moi, ces chanteurs sont davantage néoréalistes que néomélodiques164 ». Peppe Lanzetta, écrivain de cette Naples populaire, s’inscrit lui aussi en faux contre les critiques dirigées à l’endroit de la néomélodie, mettant également en avant son réalisme et son authenticité. Il est convaincu que « la force et la beauté de certaines mélodies populaires, avec les visages authentiques et sanguins d’interprètes qui chantent ce qu’ils sont véritablement, ce qu’ils voient – leur époque en somme –, est un fait indiscutable165 ». Quel serait donc le tort de ces chanteurs ? Celui de se faire les interprètes d’une réalité criminogène dans laquelle ils évoluent, à l’instar de plusieurs centaines de milliers d’autres Napolitains166 ? Au lendemain de l’arrestation le 7 février dernier de Nello Liberti pour « incitation au crime », Simona Brandolini écrivait dans les colonnes du Corriere del Mezzogiorno : « Sommes-nous certains qu’il partage le contenu

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DE LUCA Erri, « Sbaglia, non conosce la tradizione artistica della città », Corriere della Sera, 15 décembre 2006, consulté en ligne le 08/06/2012. URL :http://archiviostorico.corriere.it/2006/dicembre/15/Sbaglia_non_conosce_tradizione_artistica_co_9_06121 5125.shtml 163 Voir ses Manuscrits de 1844 164 « Se un artista fotografa la realtà, non fa apologia della camorra [....]. Secondo me più che neomelodici, questi cantanti sono neorealisti ». « Ma il nemico non siamo noi », La Repubblica-Napoli, 15 décembre 2006, p. 2, consulté en ligne le 17/05/2010. URL :http://ricerca.repubblica.it/repubblica/archivio/repubblica/2006/12/15/da-raiz-tommy-riccio-ma-ilnemico.html 165 « Difendo quel canto antico come la città », La Repubblica- Napoli, 15 décembre 2006, consulté en ligne le 25/05/2012. URL : http://ricerca.repubblica.it/repubblica/archivio/repubblica/2006/12/15/difendo-quel-cantoantico-come-la-citta.html « La forza e la bellezza di alcune liriche popolari, i volti veraci e sanguigni di certi interpreti che cantano davvero ciò che sono, ciò che vedono, il loro tempo insomma, è un fatto indiscutibile ». 166 Selon Francesco Forgione, ex-président de la Commission parlementaire antimafia, 12% des habitants de la Campanie sont employés dans « l’industrie mafieuse », ce qui signifie qu’ils travaillent pour ou « grâce » à la camorra. Voir FORGIONE Francesco, Mafia Export, Baldini Castoldi Dalai Editore, Milan, 2009, p.23

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de la chanson ? Pensons-nous que Marlon Brando e Al Pacino sont des mafieux parce qu’ils ont joué dans ‘’ Le Parrain ‘’ ?167 ». En outre, ces chansons de malavita, si elles mettent en musique une réalité criminelle, incitent-elles pour autant au crime ? La justice napolitaine est restée divisée sur cette question au lendemain de l’arrestation de l’interprète de « ‘O capoclan », Nello Liberti168.

Section 2 – Une « propagande culturelle » au service du « totalitarisme » mafieux ?

Plusieurs célèbres chanteurs néomélodiques – nous l’avons vu dans le chapitre II de notre première partie – ont eu à s’expliquer devant la justice transalpine pour des faits relevant de l’article 416 bis du code pénal italien, à savoir « association de type mafieux ». Toutefois, dans le cadre de l’opération anticamorra qui a conduit à l’arrestation de 41 personnes le 7 février à Herculanum, les magistrats Pierpaolo Filipelli et Claudio Siragusa, du parquet de Naples, avaient demandé l’arrestation d’Aniello Imperato, plus connu sous son nom de scène – Nello Liberti –, mais aussi celles de l’auteur de la chanson et des acteurs du vidéo-clip (présumés camorristes169), non pas pour la commission présumée de crimes ou délits mais pour « incitation au crime », en conclusion des soixante-dix pages de l’ordonnance du placement en détention provisoire170. Mais le juge d’instruction Pierpaolo Filippelli, bien qu’il ait reconnu l’« apologie à la camorra », a désavoué le parquet en qualifiant la concrétude de l’incitation d’« insuffisante »171, permettant de facto la remise en liberté du chanteur au terme de la garde à vue. La responsabilité pénale des 167

BRANDOLINI Simona, « Ravveduto : non è più sottocultura, ormai quei "valori" piacciono », Il Corriere del Mezzogiorno, mercredi 8 février 2012, p.4. « Siamo davvero sicuri che condivida il contenuto della canzone ? Vogliamo dire che Marlon Brando e Al Pacino sono mafiosi perché hanno recitato nel ‘’Padrino’’ ? » 168 Voir l’article de BENEDUCE Titti, « Il pm : " Neomelodico da arrestare. La sua canzone inneggia ai boss" », Il Corriere del Mezzogiorno, mercredi 8 février 2012, p.4 169 SANNINO Conchita, « Un neomelodico sotto accusa », La Repubblica-Napoli, mercredi 8 février 2012, p.7 170 Ibid. 171 BENEDUCE Titti, « Il pm : " Neomelodico da arrestare. La sua canzone inneggia ai boss" », Il Corriere del Mezzogiorno, mercredi 8 février 2012, p.4

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interprètes des chansons de malavita n’a ainsi jamais été engagée jusqu’ici. Tout juste une partie d’entre elles ont-elles subi la censure de sites de partage comme YouTube pour des vidéos jugées par trop explicites172. L’Université Federico II de Naples organisait lundi 30 janvier dernier, en présence du maire de la ville, Luigi de Magistris, un colloque intitulé « ‘a CAMORRA SONG io173», auquel étaient conviés des universtaires (Marcello Ravveduto, Marco Santoro, Amato Lamberti) mais aussi des artistes engagés contre la camorra (Lucariello, Daniele Sanzone ou encore Maurizio Capone)174. Il y était notamment question de la responsabilité, ou non, des chanteurs néomélodiques dans les maux de la ville, et notamment le fléau que représentent les micro et macrocriminalité. Pour Lello Savonardo175, organisateur du colloque, ces derniers « ne peuvent être pointés du doigt quand ils photographient la réalité ». Pour autant, il souligne que les chanteurs néomélodiques n’utilisent à aucun moment le pouvoir – réel ou supposé – qu’ils ont sur leur auditoire pour véhiculer des « messages » « positifs ». Ainsi peut-on déplorer l’absence d’incitations à dépasser sa condition, à « démolir la mentalité défaitiste », ou, plus encore, à aller voter pour changer les choses, ce qui va dans le sens de la pensée du sociologue Amato Lamberti quand il déplore, plus qu’une désillusion ou une défiance à l’égard de la classe politique locale ou nationale, une absence de rapport à l’Etat, désincarné ou vu comme autre que soi176. Mais nombreux sont ceux – en premier lieu desquels les représentants de l’antimafia sociale – qui vont plus loin et pointent la « corresponsabilité » sociale des chanteurs dans la « pollution des consciences » et dans la « légitimation d’une normalité criminelle ». Ces derniers feraient, selon Geppino Fiorenza177, référent du réseau Libera pour la Campanie, la « propagande culturelle d’une camorra totalitaire » qui 172

Le vidéo-clip de « ‘O capoclan » de Nello Liberti a été censuré à plusieurs reprises par le site du géant américain ces dernières années. Ce fut également le cas par le passé de la chanson « Nu latitante » de Tommy Riccio. 173 Du nom de la chanson du groupe ‘A 67 (voir notre dernière partie) et traduisible en français par « La camorra c’est moi ». 174 DI GUIDA Carmine, « Dove si incontrano musica e camorra », Il Giornale di Napoli, mardi 31 janvier 2012, p.6 175 Extrait d’un entretien mené à Naples le jeudi 9 février 2012. 176 Voir l’article de DURANTE Francesco, « Camorra song : le colonne sonore del sistema tra fede e famiglia », Corriere del Mezzogiorno, 31 janvier 2012, consulté en ligne le 29/02/2012. URL :http://corrieredelmezzogiorno.corriere.it/napoli/notizie/arte_e_cultura/2012/31-gennaio-2012/camorrasong-colonne-sonoredel-sistema-fede-famiglia-1903081591254.shtml 177 Entretien, op.cit.

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cherche à instrumentaliser chaque aspect de la vie civile pour renforcer son hard power comme son soft power. Selon le magistrat Raffaele Cantone, ces chanteurs deviennent ainsi les complices de la camorra et sont dès lors corresponsables du choix des centaines de jeunes qui viennent gonfler ou reconstituer, chaque année, les rangs de la camorra178. Car le réalisme de la néomélodie, que personne ne remet en cause, entraîne une identification forte. Des centaines de milliers de personnes se reconnaissent dans ces chansons, comme peuvent en témoigner les nombreux commentaires des vidéos-clips postés sur les sites de partage en ligne.

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CANTONE Raffaele, « Inno al boss, lo scandalo neomelodico », Il Mattino, mercredi 8 février 2012, p.12

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Chapitre 2 : Les risques d’une identification aux chansons de malavita

« Non esiste nessun altro luogo dove il processo d’identificazione tra una città e la sua produzione poetico-musicale è così pieno e totale ed ha radici così profonde nella sua storia e nella vita quotidiana dei suoi abitanti179 » Iolanda Napolitano180

Francesca Viscone va dans le sens de l’historienne Iolanda Napolitano quand elle souligne qu’ « il suffit de se rendre sur le premier marché venu pour se rendre compte que les Napolitains écoutent d’abord et avant tout des chanteurs napolitains. Cela est particulièrement vrai dans les milieux populaires, qui privilégient une offre musicale encore davantage napolitano-centrée, dans laquelle ils se reconnaissent 181 ».

Section 1 – Les commentaires YouTube, révélateurs d’un fort processus d’identification Il nous est apparu extrêmement intéressant, après avoir parcouru avec grand intérêt les commentaires des vidéos-clips néomélodiques que nous avons étudiées dans notre première partie, d’en faire ici une analyse plus poussée afin d’en tirer quelques enseignements quant au processus d’identification qui est à l’oeuvre. Audelà d’une multitude de commentaires racialisants – les Napolitains y étant dépeints dans leur globalité sous les mêmes traits de la fourberie et de l’incivisme par les internautes non-napolitains – qui, tour à tour, raillent ou vilipendent la néomélodie,

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« Il n’existe aucun autre lieu où le processus d’identification entre une ville et sa production poéticomusicale est aussi plein et total et a des racines aussi profondes dans son histoire et dans la vie quotidienne de ses habitants » 180 Citée dans IANNACCONE Marialetizia, « L’amico boss è neomelodico », Il Denaro, 17 avril 2010, consulté en ligne le 19/06/2012. URL : http://archivio.denaro.it/VisArticolo.aspx?IdArt=595001&KeyW= 181 Entretien, op.cit.

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il se dégage d’un certain nombre de ces réactions que nous pouvons voir s’élaborer entre l’internaute et la musique un processus d’identification qui semble se nourrir, en plus de la proximité sociale entre les chanteurs et leur public, d’une proximité géographique et linguistique. En d’autres termes, ces vidéos-clips « parlent » aux internautes qui les visionnent. Ces histoires sont les leurs : ils vivent les mêmes problèmes, dans les mêmes quartiers et les expriment dans un même langage dialectal. Parmi les 1 220 commentaires de la vidéo « Nu latitante182 » (« Un fugitif ») de Gianni Celeste, ajoutée sur YouTube en 2008, et vue plus de 2 millions de fois, l’utilisateur lorenzodux écrit ainsi : « Je me souviens de ma cavale183 », tandis que Sensoroso commente : « Je suis fugitif depuis 23 mois et cette chanson me tient compagnie184 ». Dans le même genre, GiuliollPocho informe que, lui aussi, est actuellement en cavale185. Un autre commentaire, volontairement évasif, de Peppe9494, semble faire office de message (partiellement) codé : « Un appel à Totor le sage de Lussyo et de Pep le fou : reviens, la situation est calme186 ». Nombreux, également, sont ceux qui se reconnaissent dans « Nu guagliune malamente187 » (« Une racaille »), chanson dans laquelle un frère explique à son cadet pourquoi il n’a eu d’autre choix que la « rue » – comprendre ici la camorra188. Il y a un mois, LillaCertoUnica postait ainsi en commentaire : « A mon frère, ma plus grande fierté. Je t’aime, tu es mon sang <3189 ». Curis007able écrit lui « belle chanson, je veux la dédier à mon meilleur ami190 », tandis que MrCapoTheBest commente : « magnifique chanson... comme quand mon cousin me parlait...191 »

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CELESTE Gianni, « Nu latitante », YouTube, consulté en ligne le 08/05/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=IlCNlZKObs4 183 « Mi ricordo la mia latitanza » 184 « io son latitante da 23 mesi sta canzone mi fa compagnia » 185 « anche io sono un latitante » 186 « Un appello a totor o saggje da lusyyo e da pep o pazz : torna a situazion è calm » 187 SANDRO et ANTHONY, « Nu guaglione malamente », 2009, YouTube, consulté en ligne le 08/05/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=rm6ZyBSCzoc 188 Voir plus en détail dans la Partie I, Chapitre III, Section 1 189 « A mio fratello, il mio orgoglio più grande. Ti amo sangue mio <3 » 190 « Bella la voglio dedicare al mii migliore amico » 191 « bellissima canzone... sembra come quando mi parlava mio cugino... »

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Sous le clip « Nute pate carcerato192 » (« Un père incarcéré »), qui comptabilise quelque 500 000 visionnages, l’on trouve ce commentaire de amicful, posté il y a deux mois : « Cette chanson me donne des frissons, Papa j’espère que tu reviendras vite, comme c’est moche quand tes amis me demandent de tes nouvelles, moi je réponds toujours que ça va, Papa reviens, c’est moche ce 41 bis193 »194 . Plus bas, il nous est permis de lire, de la part de Valenapoli92 : « Papa tu me manques j’ai hâte de pouvoir te serrer à nouveau dans mes bras. Je t’aime195 ». Angelo12372 écrit quant à lui : « Hé ! je l’ai vécu. Papa <3196 ». Parmi la centaine d’autres commentaires, l’on peut également lire : « Papa je te dédie cette chanson, toi qui es innocent. Je t’aime... souviens-toi que tu es en prison mais pour moi tu es toujours le meilleur des pères197 » ; « Papa ça fait un an que t’y es, ça me paraît une éternité... j’espère que tu vas sortir ce mois-ci... tu me manques à mourir...198 » ou encore « Papa je te dédie cette chanson (...) tiens le coup, tu es mon héros199 ». Une autre chanson ayant trait à l’incarcération a suscité maints commentaires attestant d’une forte identification à l’histoire qui y est racontée. Seleys écrit ainsi, en commentaire à « Stanza 39200 » (« Cellule 39 »), vue plus de 1 million de fois : « Il n’y a pas que ceux qui ont vécu la prison qui peuvent comprendre ces chansons... il y a aussi nous, femmes, mères et soeurs qui sommes au côté de nos hommes... tu me manques chaton... j’écoute ces chansons pour me sentir plus proche de toi201 ». Massimo933, en réponse à un commentaire critique, poste lui : « Pour un fils à papa comme toi c’est facile à dire, mais pour les gens comme nous c’est différent, parce que même si on finit en prison on a un honneur, on entre et on sort de prison la tête haute, sans honte. Les criminels ce sont ceux qui violentent les petites filles et qui tuent, pas ceux qui font quelques extras pour mieux nourrir

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ANTHONY et AMATO Nello, « Nu pate carcerato », 2010, YouTube, consulté en ligne le 08/05/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=DJhQ0xXNjW0 193 Equivalent italien du régime de haute sécurité, appliqué notamment aux membres des organisations criminelles mafieuses. 194 « Mi fa venire i brividi questa canzone papà spero che ritori presto comm e brutt quand e cumpagn tuoi mi dicono comm sta io dico sempre bene papà ritorna e com e brutt stu 41 bis ». 195 « Babbù mi manchi non vedo l'ora di poterti di nuovo riabbracciarti .Tiamo » 196 « Eh, ij l’agg vissut. Papà <3 » 197 « Babbo la dediko a te ke sei innocente ! Ti AmO... Rikorda Si Nu Carcerat Ma P Me Si Semp O Megl Pat.. ! » 198 « Papà è un anno ke stai lì dentro, mi sembra una vita... spero ke uscirai qst mese... mi manki da morireee... » 199 « Ti dedico questa canzone papa (...) tieni duro che sei il mio eroe ». 200 RICCIO Tommy, « Stanza 39 », YouTube, consulté en ligne le 26/05/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=ZG7rJNKjC9Q 201 « nn solo ki ha vissuto la prigione può capire queste canzoni… ma anke noi mogli mamme sorelle ke siamo al fianco dei nostri uomini … mi manki cucciolo… ascolto queste canzoni x sentirti più vicino a me… »

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ses enfants202 ». Plus bas, l’on trouve une multitude d’autres commentaires du même genre, parmi lesquels : « Tonton reviens vite203 », « Une blessure qui saignera à tout jamais...204 « ou encore : « Mon pote je souffre avec toi205 ». A l’instar des radios et télévisions locales, où les auditeurs et téléspectateurs peuvent appeler pour laisser des messages et dédicacer des chansons, voire passer des messages codés, comme c’était le cas sur « Nuova Ercolano », fermée depuis 2007 après qu’une enquête eut démontré que la radio servait avant toute chose de moyen de communication au clan Birra de Herculanum206, il apparaît qu’un site de partage comme YouTube – selon des mécanismes similaires – possède une fonction sociale importante de premier plan. Il permet notamment à celles et ceux qui s’identifient à ces chansons d’intéragir entre eux au travers des commentaires, dans lesquels ils font part de leurs expériences personnelles, délivrant des messages tantôt de soutien aux « leurs », tantôt de repentance, sans jamais pour autant renier de façon définitive cette « mauvaise vie ». Ces échanges de messages, selon Marcello Ravveduto207, « contribuent également à la consolidation de messages culturels dégénératifs », en ce sens qu’ils participent de la formation d’un imaginaire collectif tendant à légitimer la diffusion d’une mentalité criminelle.

Section 2 – Enfants-chanteurs et intériorisation du nomos camorriste

Naples est la ville avec la population la plus jeune en Europe208. Elle est aussi celle avec le plus vaste marché paralégal de biens musicaux209. L’adhésion populaire à ce système de distribution parallèle est massive ; l’on trouve un peu partout, en 202

« Per un figlio di papa come te e facile a dirlo, ma per la gente come noi e diverso, perché anche se finiamo in galera abbiamo un onor, entriamo e usciamo a testa alta senza vergogna, criminali sono quello che violentano alle ragazzine e ammazzano, no chi fa qualche lavoretto extra per portare un pezzo di pana ai propri figli » 203 « Zio torna presto » 204 « Una ferita ke sanguinerà sempre... » 205 « Cumpagn mi soffr assijem a te » 206 DE ARCANGELIS Irene, « Blitz a Ercolano, chiusa radio-clan », La Repubblica, 12 juin 2007, consulté en ligne le 07/06/2012. URL :http://ricerca.repubblica.it/repubblica/archivio/repubblica/2007/06/12/blitz-ercolanochiusa-radio-clan.html 207 Entretien, op.cit : « questi scambi di messaggi contribuiscono a celare messaggi culturali degenerativi » 208 25 % des Napolitains ont moins de 18 ans, contre 14% des Italiens. 209 RAVVEDUTO Marcello, Napoli... serenata calibro 9, Liguori Editore, Naples, 2007, p.128

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magasins, en kiosques, dans les supermarchés ou, plus encore, sur les étals des marchands et des vendeurs ambulants, des CD contrefaits, pour une bonne partie issus de l’industrie de la néomélodie. Dès lors, cette dernière, distribuée et écoutée « industriellement », « produit des effets durables et socialement significatifs210 », explique le sociologue Amato Lamberti. L’ancien ministre de l’Intérieur Giuliano Amato, lorsqu’il a lancé la polémique sur la néomélodie et ses chansons de malavita, disaient de ces dernières qu’elles attestaient de la pervasivité de la mentalité de la camorra, en même temps qu’elles participaient de sa diffusion211. Le procureur napolitain Giovanni Melillo va dans le même sens : il considère que le risque principal est l’idéalisation de valeurs négatives212. La plus grande menace découlant de ces chansons n’est donc pas tant la reproduction pure et simple de comportements criminels « appris » à travers leurs écoutes ou leurs visionnages, mais l’intériorisation d’un message et de valeurs potientellement criminogènes. Cela est d’autant plus vrai que, parmi les chansons de malavita – celles qui chantent ou justifient la mauvaise vie –, l’on trouve un nombre conséquent de jeunes voire très jeunes interprètes qui, bien souvent, n’ont pas encore mu. S’il n’est pas chose aisée d’en dresser une liste exhaustive, tant la néomélodie, bien que de plus en plus présent sur les sites de partage, échappe aux canaux de distribution classiques, un certain nombre d’entre elles, parce qu’elles sont populaires, sont facilement repérables sur YouTube213. L’on trouve ainsi, visionnées plusieurs dizaines ou centaines de milliers de fois, « Scugniz ‘e miez ‘a via214 » (« Gamin des rues ») de Sasy, 9 ans, « Carcere215 » (« Prison ») ou « Colp e pistol216 » (« Coup de pistolet ») de

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Entretien, op.cit. LUCARELLI Ottavio, SANNINO Conchita, « Napoli, Amato contro i neomelodici: celebrano i camorristi come eroi », Il Mattino, 14 décembre 2006. URL:http://www.repubblica.it/2006/12/sezioni/cronaca/camorra-canzoni/camorra-canzoni/camorra-canzoni.html 212 MELILLO Giovanni, « Il rischio è idealizzare disvalori », Corriere del Mezzogiorno, 30 mars 2012, p.19 213 Voir aussi ALLISON Irene, « Baby neomelodici », La Repubblica, 22 aprile 2010, consulté en ligne le 29/02/2012.URL :http://d.repubblica.it/dmemory/2010/04/10/attualita/attualita/096mer68996.html ou LE IENE, « Il successo dei bambini », Italia 1, 9 février 2012, consulté en ligne le 05/05/2012. URL : http://www.video.mediaset.it/video/iene/puntata/283071/lucci-il-successo-dei-bambini.html 214 SASY, « Nu scugniz e miez ‘a via », YouTube, consulté en ligne le 24/05/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=bs3Ok3beqUw 215 DE MARCO Nando, « Carcere », YouTube, consulté en ligne le 08/06/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=MkH8QOUC7TE 211

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Nando de Marco (14 et 12 ans à l’époque), « Carcere minorile217 » (« Prison pour mineurs ») de Raffaello Jr (13 ans) ou Piccolo Nardi, plus jeune encore et interprète également de « Il figlio del latitante218 » (« Le fils du fugitif »). Ces chansons véhiculent des messages similaires, souvent selon les mêmes « procédés », à celles analysées dans notre première partie, bien qu’elles s’adressent plus spécifiquement à une autre tranche d’âge. Pourtant, pour Erri de Luca, ces chansons « doivent être prises pour ce qu’elles sont, sans penser qu’elles ont une quelconque importance dans l’éducation des enfants 219 ». Marcello Ravveduto, dans son livre consacrée à la question, raconte toutefois la scène suivante, dont il a été le témoin, et qui peut aisément faire office d’argument contraire. Un enfant à moto y chante et mime alors l’une des plus célèbres chansons de malavita, « Nu latitante220 » de Tommy Riccio: « Epiphanie 2007, piazza Dante [....]. Un gamin déboule d’un coin sombre. Il n’a pas plus de 10 ans. Sur une petite moto orange, il traverse la place sur la roue arrière, chantant à tue-tête : ‘’Un fugitif n’a plus rien, loin du bien, caché des gens/ son dernier ami devient important/ pour apporter les cadeaux aux enfants’’221 ». Ce court récit, loin d’enliser dans l’anecdotique, montre bien comment un enfant d’un quartier populaire, à travers des moyens audiovisuels, a assimilé le modèle culturel identitaire de la camorra.

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DE MARCO Nando, « Colp e pistol », YouTube, consulté en ligne le 08/06/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=sc9bNPRX66k&feature=related 217 RAFFAELLO JUNIOR, « Carcere minorile », YouTube, consulté en ligne le 25/05/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=-q9B72qVsso&feature=related et PICCOLO NARDI, « Carcere minorile », YouTube, consulté en ligne le 08/06/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=RCVSiXN1Usc 218 PICCOLO NARDI, « Il figlio del latitante », YouTube, consulté en ligne le 08/06/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=XttgodD9-lU&feature=related. A noter que ce dernier a été arrêté en 2008 pour trafic de cocaïne : http://93.63.239.228/archivio/2008/Ottobre/04/Giornale_di_Napoli/04-03-GDN31K1.pdf 219 DE LUCA Erri, « Sbaglia, non conosce la tradizione artistica della città », Corriere della Sera, 15 décembre 2006, consulté en ligne le 08/06/2012. URL :http://archiviostorico.corriere.it/2006/dicembre/15/Sbaglia_non_conosce_tradizione_artistica_co_9_06121 5125.shtml 220 Ici dans sa version intégrale : RICCIO Tommy, « Nu latitante », 1993, YouTube, consulté en ligne le 08/05/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=7TUbsCKp1U8&feature=fvst 221 RAVVEDUTO Marcello, Napoli... serenata calibro 9, Liguori Editore, Naples, 2007, p.134 : « Epifania 2007, piazza Dante. [...] da un angolo buio, sbuca un bambino. Non supera i dieci anni. In sella ad una motoretta arancione attraversa la piazza sulla rota posteriore, cantando a squarciagola : ‘’’Nu latitante nun tene cchiù niente, luntano d’’o bene, annascuso d’’a gente/ e l’urdemo amico diventa importante,/pe’ fa’ nu regalo a chi aspetta papà’’ »

52


Les associations de l’antimafia sociale – en premier lieu desquelles Libera222 - , qui ont fait de l’éducation à la légalité223 leur cheval de bataille, s’en inquiètent. Il ressort des entretiens effectués avec plusieurs de ses membres que ces chansons, en participant

de

l’intériorisation

d’une

mentalité

tantôt

« défaitiste »,

tantôt

« criminelle », entravent leur travail de fond, les chanteurs jouissant en outre d’une autorité morale importante auprès des plus jeunes224. « Ils sont vus comme ceux qui ont réussi et ils font en sorte de le montrer, à travers des signes extérieurs de richesse. Les enfants les admirent pour cela », explique Fabio Giuliani225, membre de l’association Libera et chargé de mission auprès de l’adjoint à la sécurité et à la transparence à la mairie de Naples. Et, s’inquiètant de la centralité du camorriste dans la vie quotidienne, à travers son rôle de médiation, d’ajouter : « Ce qui est inquiétant aussi, c’est que les enfants, qui savent bien souvent que la camorra a une influence dans la carrière de ces chanteurs, la voient comme le plus sûr moyen d’ascension sociale. C’est comme ça que, petit à petit, plus personne ne se tourne vers l’Etat ou ses représentants. Le camorriste est au centre de tout ».

Section 3 – Les Quartiers-Etat de l’autoségrégation ou le « mur du son » camorriste Naples, très généralement perçue comme une ville-frontière entre Nord et Sud, mais aussi comme une ville-seuil, à la fois sud de l’Europe et nord de la Méditerranée, voit son territoire traversé de frontières sensibles qui, bien qu’elles ne soient ni inscrites au sol ni tracées sur le plan, séparent les différentes couches

222

Le réseau « Libera. Associations, noms et nombres contre les mafias », composé de plus de 1500 associations, groupes, écoles et particuliers, incarne presque à lui seul cette antimafia sociale. Fondée à Rome le 23 mars 1995 par Don Luigi Ciotti et Rita Borsellino, la veuve du juge Paolo Borsellino, Libera est née d’une longue phase de gestation et d’élaboration qui a connu, avec la vague d’attentats mafieux de 1992 et l’explosion simultanée de « Mani Pulite », une accélération décisive. Ses objectifs « de créer une société sans mafias grâce à l’éducation et à la prévention, d’offrir de l’aide aux victimes de la violence mafieuse, du narcotrafic, du racket, de l’usure ou de la prostitution, de reconstruire les bases de la légalité, essentielle à la démocratie, de développer l’accès à la culture et à l’information, et de se battre pour l’affirmation d’une véritable justice sociale 223 Les cours de « légalité » sont devenus obligatoires en Campanie depuis 1982. 224 Entretien avec Geppino Fiorenza, op.cit. 225 Extrait d’un entretien réalisé à Naples le mardi 22 mai 2012.

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sociales – et, à une échelle plus réduite, les différents clans de la camorra – en même temps qu’elles organisent les représentations collectives de l’espace urbain226. L’anthropologue Stefano De Matteis a ainsi pu, au début des années 1990, relever la prégnance de ces frontières dans les perceptions collectives et, ce, à partir des discours des habitants eux-mêmes : « Souvent, quand on parle de certains quartiers, comme Forcella, les quartiers espagnols, Vicaria, etc., on entend, chez les indigènes euxmêmes, des termes comme celui de “ghetto” : celui qui naît dans certains quartiers déterminés est marqué à vie. L’influence du territoire est forte, précisément dans le sens du manque de possibilités offertes227 ». L’étude, même partielle, du répertoire néomélodique permet de faire ressortir ces représentations collectives et cette séparation, dans les esprits, entre, si ce n’est les différents quartiers, au moins deux Naples bien distinctes. En effet, à l’instar d’un genre musical comme le rap, qui s’inscrit dans un cadre spatial bien délimité228 – en l’occurence celui, dans le cas français, des banlieues – avec des références constantes à un département, à une ville, à une cité voire à une barre d’immeuble, volontiers opposé à l’espace des en dehors, les chansons néomélodiques qui, pour un certain nombre d’entre elles, semblent s’attacher à justifier le mode de vie de la Naples populaire, marginalisée, fait ainsi fréquemment référence à l’Autre Naples, bourgeoise, qui ne la comprend pas: « Ils veulent nous juger / Disent que nous sommes des bandits/ ... / Il ne faut pas nous juger /Nous ne sommes pas des racailles/ Comme ils l’écrivent dans leurs journaux », chante le jeune Sasy dans « Nu scugniz e miez ‘ a via229 » (« Un gamin des rues »). Dans les commentaires des internautes, ces représentations collectives se manifestent de façon plus marquée et il s’agit là bien souvent, à travers ces courts messages, de mettre en avant son propre quartier, souvent en l’opposant aux autres, rendant tangible la séparation entre les différentes zones : « je la dédicace à tout le quartier Salicella, les gars même s’ils nous traitent comme des racailles on reste les 226

Voir notamment GENDRAULT Camille, « Naples : repenser la ville à partir de la qualités des frontières internes », Espaces et sociétés, 2009/3 n°138, p.85 227 DE MATTEIS Stefano, « Camorra e famiglia », Dove sta Zazà, n°5, 1994, p.54 228 Voir à cet égard SNIPER et FAUDEL, « Du 78 au 95 », YouTube, consulté en ligne le 10/06/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=AKCotxCwpRg 229 SASY, op.cit.

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meilleurs230 » écrit gennynumberone en commentaire de « Simme gente e miez ‘a via231 » (« Nous sommes les gens de la rue ») de Gianni Celeste, tandis qu’un autre vante les mérites du clan mafieux qui règne sur le quartier de Ponticelli, dans la zona orientale de la ville232. Il apparaît ainsi incontestable que la chanson néomélodique participe, de façon non-intentionnelle, de l’inculcation de limites sociales aux aspirations personnelles, avec sa logique d’inclusion/exclusion. La néomélodie contribue à la manipulation symbolique des aspirations en répétant sans cesse que la société est inégalitaire et que le lieu de naissance possède une influence qu’il est impossible de contrer. Les frontières, géographiques et sociales, deviennent infranchissables. Aussi, ce défaitisme renforce, selon Amato Lamberti, la centralité de la camorra, qui fait figure, dans les esprits, de rare voire seule alternative à la précarité, et permet dès lors de doubler la séparation sociale du territoire d’une séparation criminelle, en ce sens que certains quartiers, à la population homogénéisée, se sont constitués au tournant des années 1990 en de véritables enclaves criminelles, théorisés sous le concept de « Quartiers-Etat 233 », où le « système » de la camorra s’est substitué au régime républicain : « ... parce que – écrit Enrico Fierro dans L’Unità – à l’instar de l’Etat, elle (la camorra) exerce le monopole de la violence, lève l’impôt, contrôle de façon militaire des tranches de territoires et possède ses propres tribunaux qui jugent et condamnent. Parce que, à la différence de ce que l’Etat réussit à faire à Naples, elle distribue du travail, de l’argent, de la richesse234 ». La musique, « puissant facteur de construction des communautés235 », a ainsi, selon Marcello Ravveduto, « accompagné, soutenu et défendu le processus d’autoségrégation des

230

« dedicato tutt al rione salicell wuagliu pur si simm giudicat malament simm semb e megli » CELESTE Gianni, op.cit. 232 « Viva la famiglia Sarno » 233 Le concept de « Quartier-Etat » a été avancé la première fois par le juge Corrado Guglielmucci dans un acte judiciaire de 1989. Le journaliste et essayiste Gigi di Fiore, spécialiste de la camorra, l’a ensuite popularisé. Il a notamment été repris par Pietro Grasso, procureur national antimafia. 234 FIERRO Enrico, « Ora camorra si dice ‘o sistema », L’Unità, 23 janvier 2005, consulté en ligne le 10/06/2010. URL :http://cerca.unita.it/ARCHIVE/xml/150000/145909.xml?key=Enrico+Fierro&first=561&orderby=0&f=fir 235 SANTORO Marco, SASSATELLI Roberta, « La voce del padrino », Il Mulino, n°3, mai-juin 2001, p.510 231

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Quartiers-Etat236 ». Car en choisissant de ne raconter – et de justifier voire glorifier – que la partie la plus sombre de ces quartiers, cela a contribué à accentuer la caractérisation dangereuse qui accompagne dans les représentations collectives les quartiers populaires de la ville, ce qui alimente les peurs et contribue à son tour à refermer le territoire sur lui-même. Ainsi, des chansons visant pour partie à dénoncer la marginalisation de ces quartiers populaires ou Quartiers-Etat contribuent-elles en vérité à les marginaliser encore davantage, ce qui contribue à renforcer, du fait d’un manque de contact et, plus encore, de circulation entre les zones hétérogènes, une segmentation de l’espace urbain, structuré en îlots237, où la camorra, seul moyen de « réussite » sociale, jouit dès lors d’une fort consensus.

236

Extrait d’un échange électronique en date du 29/05/2012 : « La musica neomelodica svela il volto della città illegittima, separata e dinamica, che furtivamente, accompagna, sostiene e difende il processo di autosegregazione dei Quartieri-Stato » 237 Pour ce point-ci, voir notamment GENDRAULT Camille, « Naples : repenser la ville à partir de la qualités des frontières internes », Espaces et sociétés, 2009/3 n°138, p.92

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Troisième partie : Une antimafia sociale à l’épreuve de la néomélodie ?

Le rappeur Lucariello au théâtre San Carlo de Naples dans le cadre de la Journée de la légalité, le 28 mars 2011. Crédits : Francesco Squeglia

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La lutte contre les mafias puise ses racines dans le mouvement paysan des fasci siciliani à la fin du 19ème siècle. L’action de ces derniers, qui prend fin au sortir de la Seconde Guerre mondiale, est considérée comme la première forme de lutte organisée contre la mafia238. L’antimafia fut ainsi longtemps l’apanage de la seule Sicile, avant que les décennies 1980 – avec, notamment, la loi Rognoni-La Torre239 – et surtout 1990, qui s’ouvre avec la vague d’attentats mafieux de 1992, ne viennent donner une coloration davantage nationale à cette lutte. Cependant, cette dernière, en dépit de l’implantation sans cesse croissante des clans mafieux au nord, reste encore aujourd’hui largement cantonnée au mezzogiorno240. Aujourd’hui, cette « antimafia » peut être divisée en deux grandes catégories. L’on trouve, d’une part, les représentants d’une antimafia institutionnelle, axée sur la répression. Il s’agit principalement de parlementaires et de magistrats opérant au sein de la commission parlementaire antimafia et des « pool » antimafias. D’autre part, une antimafia dite « extra-institutionnelle », ou « sociale », agit en dehors du circuit des institutions – bien qu’elle cherche à influer sur ses dernières, en faisant action de lobbying241 – et se focalise principalement sur la prévention. Le réseau Libera. Associations, noms et nombres contre les mafias, fondé en mars 1995 par Rita Borsellino242 et Don Luigi Ciotti243 a su, depuis sa création, rassemblé les principales forces de l’antimafia sociale ; il incarne aujourd’hui presque à lui seul cette antimafia extra-institutionnelle244.

238

Voir notamment le premier chapitre de SANTINO Umberto, Storia del movimento antimafia, Editori Riunuti, Rome, 2000 239 Elle institue, entre autres, le délit d’association mafieuse. 240 En termes de biens confisqués aux mafias, la Lombardie (région de Milan) apparaît ainsi à la cinquième place derrière la Sicile, la Campanie, la Calabre et les Pouilles. Milan est par ailleurs considéré comme le second siège social de la ‘ndrangheta, la mafia calabraise. 241 Le réseau Libera, après avoir collecté plus d’un million de signatures, a ainsi, en 1996, permis le vote de la loi 109/96 sur la réutilisation à des fins sociales des biens confisqués aux mafias. 242 Elle est la veuve du juge Paolo Borsellino, victime d’un attentat mafieux 243 Libera est née d’une longue phase de gestation et d’élaboration qui a connu, avec la vague d’attentats mafieux de 1992 et l’explosion simultanée de « Mani Pulite », une accélération décisive. Les objectifs de ses membres fondateurs étaient alors « de créer une société sans mafias grâce à l’éducation et à la prévention, d’offrir de l’aide aux victimes de la violence mafieuse, du narcotrafic, du racket, de l’usure ou de la prostitution, de reconstruire les bases de la légalité, essentielle à la démocratie, de développer l’accès à la culture et à l’information, et de se battre pour l’affirmation d’une véritable justice sociale ». Voir le site internet du réseau Libera : www.libera.it 244 Le réseau se compose aujourd’hui de plus de 1500 associations, groupes, écoles et particuliers.

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Chapitre I – Quelle réponse apporter aux chansons de malavita ?

La question de la réponse à apporter à la néomélodie et à ses messages dégénératifs est désormais posée. Doit-on, et peut-on, censurer certaines chansons ? Par ailleurs, existe-t-il une riposte ou une alternative musicale, véhiculant des messages autres ? Des chanteurs s’opposent-ils de front à la camorra ?

Section 1 - L’impossible censure

La chanson « ‘O capoclan245 », de Nello Liberti, a ces dernières années été censurée à plusieurs reprises par le site de partage YouTube246. Suite à des signalements d’utilisateurs, le clip avait purement et simplement été retiré du site. Il a depuis été remis en ligne, et l’on trouve aujourd’hui, en description de l ‘une des trois versions de la vidéo, un message de la part de l’utilisateur l’ayant partagé, qui invoque l’article 21 de la Constitution italienne sur la liberté d’expression, et dénonce celles et ceux qui avaient reproché à la chanson de glorifier le « chef de clan » et, à travers lui, la camorra. Il est donc bien question, ici, de censure, car il s’est agit de dénoncer une chanson légitimant une autre normalité, en l’occurence criminelle. En effet, considérée au sens strict, « la censure désigne l’organe ou le procédé qui condamnent une opinion, un texte, une oeuvre, l’interdisent ou exigent des modifications247 » et, historiquement, elle tire ses origines de la reconnaissance que la culture peut donner forme à un ordre alternatif248.

245

LIBERTI Nello, op.cit. Voir l’analyse de la chanson dans le chapitre 3 de la partie I. FIERRO Enrico, « Camorra Music Corporation », il Fatto Quotidiano, 3 août 2010, consulté en ligne le 29/02/2012. URL : http://www.ilfattoquotidiano.it/2010/08/03/camorramusica-corporation/47052/ 247 GOEDERT Nathalie, Censure et libertés : atteinte ou protection ?, L’Harmattan, Paris, 2011, p.9 248 Voir notamment STREET John, Politics and Popular Culture, Polity Press, Cambridge, 1997 246

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Au moment de l’arrestation de Nello Liberti, en février dernier, pour « incitation au crime », d’aucuns, alertés par le contenu de la vidéo, ont ainsi brandi la menace de la censure dans les commentaires des articles consacrés au sujet. Pourtant, prévient le sociologue Amato Lamberti249, vouloir censurer certaines chansons néomélodiques, « en plus d’être inutile, serait privé de sens ». Une censure à l’encontre de chansons néomélodiques jugées par trop explicites ou incitatives se révèlerait inefficace ou pire, contreproductive, allant jusqu’à produire des effets pour le moins pervers. En effet, il convient tout d’abord de rappeler que le marché néomélodique, s’il draine des sommes colossales – 200 millions d’euros par an selon les estimations des experts250–, échappe presque en totalité au marché légal et, dès lors, aux réglementations qui lui seraient imposées le cas échéant. La question n’est donc pas tant la reproduction de ces chansons de malavita mais la formation, déjà ancienne, d’un vaste marché de la contrefaçon, qui s’accompagne d’une évasion fiscale massive. « Ces chanteurs s’auto-falsifient », écrit Roberto Saviano. « Ils innondent le marché de milliers de leurs faux CD, éliminant ainsi la concurrence des potentiels faussaires251 ». Par ailleurs, il pourrait être tentant, pour les autorités compétentes, de demander à YouTube de censurer certaines vidéos, surtout si l’on garde à l’esprit que la classe politique italienne a fait, depuis l’affaire « Mains propres » et l’avènement de la « Seconde République », au début des années 1990, de la lutte contre les organisations mafieuses l’une de ses réthoriques de relégitimation. Mais censurer la néomélodie contribuerait à renforcer son aspect subversif et à la rendre ainsi plus attractive encore. Cette censure équivaudrait à jeter l’opprobre sur tout un public. Cela pourrait renforcer, chez lui, une défiance – déjà forte – vis-à-vis de l’Etat, et le risque serait,

249

Entretien, op.cit. LAMBERTI Amato, « Le connessioni tra neomelodici e camorra », ilmediano.it, 8 février 2012, consulté en ligne le 09/02/2012. URL : http://www.ilmediano.it/aspx/visArticolo.aspx?id=16218 251 « Questi cantanti si autofalsificano. Immettono sul mercato migliai di loro falsi CD, sconfiggendo cosi la concorrenza dei pirati ». Voir SAVIANO Roberto, « Canzone criminale: la musica di Gomorra », La Repubblica, 12 février 2012, consulté en ligne le 21/02/2012. URL : http://www.repubblica.it/spettacoli-ecultura/2012/02/12/news/saviano_neomelodici-29737271/ 250

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selon le sociologue Marco Santoro252, de « retraduire en charme subversif ce que la résistance symbolique des dominés et la marchandisation a déjà objectivé, historicisé, ‘’aliéné’’ ». Il semble que les membres de l’antimafia l’aient bien compris. Loins de céder aux sirènes de la censure, il ressort de nos entretiens qu’aucun d’entre eux ne condamne véritablement les chanteurs néomélodiques, bien que plusieurs projets avec des chanteurs engagés dans la lutte contre la camorra aient vu le jour ces dernières années voire derniers mois, esquissant une lutte musicale pour le consensus social. Ainsi, pour Geppino Fiorenza, il est nécessaire, « au lieu de mépriser la musique néomélodique, de véhiculer au public traditionnellement acquis à la néomélodie, qui vit dans des environnements criminogènes, des chansons à même de susciter un sursaut civique ».

Section 2 – L’avènement d’une scène musicale anticamorra

« Vous n'avez pas à brûler les livres pour détruire une culture. Faites seulement que les gens cessent de les lire253 » Ray Bradbury

La scène musicale italienne compte en son sein nombre d’artistes ayant affirmé en chansons leur engagement dans la lutte contre les organisations mafieuses. Parmi eux, des musiciens médiatisés, tels que les Modena City Ramblers254, Lorenzo Jovanotti255 ou Fabrizio Moro256, mais aussi d’autres plus méconnus, à l’instar de

252

Extrait d’un message électronique reçu le 06/06/2012 : « La censura rischia così di ritradurre in fascino sovversivo ciò che la resistenza simbolica dei dominati e la mercificazione globale potrebbero avere già oggettivato, storicizzato, “alienato”». 253 Issu de ses Chroniques martiennes. Voir notamment http://www.berthomeau.com/article-afterwork-dutaulier-la-solitude-est-un-cercueil-de-verre-vous-n-avez-pas-a-bruler-les-livres-p-106538465.html, consulté en ligne le 11/06/2012 254 Voir leur chanson en mémoire du journaliste sicilien Peppino Impastato, fils de mafieux et assassiné par Cosa Nostra en 1978. MODENA CITY RAMBLERS, « I cento passi », YouTube, consulté en ligne le 12/06/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=KUpcxdg2Iqs 255 A la veille du 16ème anniversaire de l’attentat de Capaci, dans lequel le juge Falcone, sa femme et leurs trois gardes du corps ont perdu la vie, Lorenzo Jovanotti, en concert à Palerme, dénonce les mafias. Voir

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Luca Carboni257. A Naples, il a fallu attendre les années 1990, et plus encore la décennie 2000, pour voir apparaître les premiers chanteurs dénonçant la camorra. Aujourd’hui, un certain nombre d’artistes, dont Lucariello, les ‘A 67, Maurizio Capone ou Andrea Sannino cherchent à travers leurs chansons à susciter prise de conscience et sursaut civique. Il apparaît, en s’intéressant de plus près au parcours de chacun, que l’environnement social dans lequel ces artistes militants ont grandi, et les capitaux social et culturel qui en ont découlé, ont eu une influence majeure dans leur engagement. En effet, à la lumière des différents entretiens qu’ils nous a été permis de lire et d’effectuer258, il ressort que tous sont issus de quartiers où la camorra s’est hissée au centre de la vie sociale. Des chanteurs comme Lucariello ou Daniele Sanzone (leader du groupe ‘A67), figures de proue de la scène musicale anticamorra, ont tout deux grandi dans le quartier de Scampia, centre de gravité depuis vingt-cinq ans de la mafia napolitaine, et épicentre des dernières guerres de camorra259. Dans ce quartier de 80 000 habitants (à la population particulièrement jeune), célèbre mondialement depuis le livre – et le film éponyme – « Gomorra » de Roberto Saviano, et où le chômage touche les deux tiers de la population, la camorra dispose dans la jeunesse d’une véritable armée de réserve, des « no future » qui voient en elle le seul et unique moyen de mobilité sociale. Scampia est ainsi devenue le plus grand supermarché de drogues à ciel ouvert en Europe, et le quartier détient par ailleurs le triste record du plus haut rapport dealers/population à l’échelle européenne260. Daniele Sanzone, dans un entretien de juillet 2011, déclarait ainsi : « Je cherche à véhiculer des messages forts qui puissent faire réfléchir les nouvelles générations. Je crois que c’est fondamental ; je sens cette responsabilité d’avoir entre les mains un instrument

http://www.youtube.com/watch?v=k8PgXvQf_c8&feature=BFa&list=PL29C8495CC3F4B9C9, consulté en ligne le 12/06/2012 256 MORO Fabrizio, « Pensa », YouTube, 2007, consulté en ligne le 12/06/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=PaSU8hrgPYQ. C’est avec cette chanson que l’artiste a remporté le concours jeunes du Festival de San Remo en 2007. 257 CARBONI Luca, « Alzando gli occhi al cielo », YouTube, 1992, consulté en ligne le 12//06/2012 : URL : http://www.youtube.com/watch?v=R42Fz09aD84 258 Notamment avec Daniele Sanzone, chanteur des ’A67. 259 Voir annexe n°1 260 BRAUCCI Maurizio, ZOPPOLI Giovanni, Napoli comincia a Scampia, L’ancora del Mediterraneo, Napoli, 2005, p. 15.

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puissant, qui atteint de nombreux jeunes261 ». Le rappeur Lucariello va dans le même sens quand il explique sur son site internet que « (s)es chansons sont un cri pour faire changer les choses dans une Italie résignée et ‘’omerteuse’’262» ajoutant : « ce territoire a été abandonné, même culturellement, musicalement. Les jeunes qui veulent chanter, qui ont cette passion en eux, sont obligés de faire la queue devant des agences et des radios qui sont bien souvent liées à la camorra. On ne verra jamais un néomélodique dénoncer le ‘’Système’’ ». Le chanteur, engagé auprès de la Fondation Pol.i.s.263, dont les deux principales activités sont le soutien aux des familles des victimes innocentes de la criminalité et la valorisation des biens confisqués à la camorra, s’est d’ailleurs engagé à reverser l’intégralité des bénéfices de la vente de son dernier album à la fondation. Un certain nombre de projets alliant ces chanteurs et les associations de l’antimafia sociale ont ainsi vu le jour ces dernières années. Il est vrai que leur combat est le même : « remettre la ville sur les rails de la légalité » en se battant « contre une criminalité organisée totalitaire et liberticide qui empoisonne l’économie et les relations sociales264 », selon les termes de Geppino Fiorenza, référent du réseau Libera et lui même parrain du projet « Scampia Trip », porté par le groupe ‘A67, et qui vise, à travers trois langages (la musique, la littérature et le cinéma), à raconter ceux qui, à Scampia, résistent contre l’emprise de ‘o Sistema265. Libera parraine également le projet « Musica contro le mafie », auquel ont pris part plus de 100 artistes en 2011266, et qui débouchera sur la sortie à l’automne 2012 d’un livre-CD autour de l’engagement contre les mafias, suivie d’une tournée nationale. Si ce type d’initiatives permet à certains groupes ou chanteurs de gagner en visibilité, ce constat est aussi vrai pour les associations de l’antimafia sociale qui participent aux projets. C’est également un

261

Extrait de l’entretien de IUORIO Eliana, « La mia, è urgenza di raccontare. Intervista a Daniele Sanzone, leader della band ‘A67 », L’Espresso Blog, 20 juillet 2011, consulté en ligne le 12/06/2012. URL : http://fuoridalloblo.blog.espresso.repubblica.it/blog/2011/07/la-mia-%C3%A8-urgenza-di-raccontare-intervistaa-daniele-sanzone-leader-della-band-a67.html: « per quanto mi riguarda,cerco di veicolare messaggi importanti che possano far riflettere le nuove generazioni, credo sia fondamentale; sento la responsabilità di avere tra le mani uno strumento potente che arriva a tanti giovani » 262 http://www.lucariello.net/, consulté le 14/06/2012 263 Politique intégrée de sécurité 264 Entretien, op.cit. 265 Voir notamment http://www.a67.it/progetti/scampia-trip, consulté en ligne le 14/06/2012 266 « Cento artisti contro le mafie 2011 : ecco i tre finalisti : Lucariello, Le Formiche e Biscuits », radiowebitalia.it, 4 novembre 2011, consulté en ligne le 14/06/2012. URL : http://www.radiowebitalia.it/index.php?option=com_k2&view=item&id=73313:cento-artisti-contro-le-mafieecco-i-tre-finalisti-lucariello-le-formiche-e-biscuits&Itemid=400

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moyen, pour ces dernières, de s’octroyer le soutien des ces chanteurs dans le cadre de leurs missions. Le réseau Libera, dont les membres interviennent dans les écoles pour dispenser des cours d’éducation à la légalité, s’appuient bien souvent sur ces chanteurs (à travers leurs clips ou, éventuellement, leur présence) pour faire passer leurs messages. Ces cours se terminent ainsi quasi systématiquement en chanson avec le visionnage du clip d’une chanson « anticamorra », un travail sur les paroles ayant par avant été entrepris267.

267

Observation réalisée l’an dernier au cours d’un stage de quatre mois au sein du réseau Libera à Naples. Les chansons « I nuovi mille » et « Cappotto di legno »

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Chapitre II : Dénoncer et convertir Tout comme il nous est apparu pertinent d’analyser en détails les clips des chansons néoméolodiques de malavita, pour mieux en saisir les « ficelles » et l’idéologie qu’elles véhiculent, il s’est agit ici d’en faire de même avec les clips des chansons « anticamorra ». Il ressort de cette analyse de ces derniers que ces chanteurs recourent, dans leurs textes – comme le font les militants de l’antimafia sociale dans leurs discours – aux figures des martyrs de la camorra, pour rappeler sa violence, sa « barbarie », et tenter de convertir les auditeurs à leur cause.

Section 1 - Briser les chaînes de la camorra : de l’aliénation au sursaut civique « Cappotto di legno268 » (« Manteau de bois »), du rappeur Lucariello, est sans nul doute la chanson qui incarne à ce jour le mieux le répertoire musical anticamorra. Dans l’argot de la camorra, « cappotto di legno » désigne la tombe, ici celle du journaliste et écrivain Roberto Saviano269, contraint de vivre caché depuis que le clan des Casalesi – auquel il consacre une large place dans Gomorra –, le plus puissant de la camorra, l’a menacé de mort. Le rappeur napolitain raconte ici l’assassinat fictif de celui qui, en Italie et, plus encore à l’étranger, incarne ces hommes et femmes, journalistes, juges, hommes politiques ou simples citoyens, contraints de vivre sous escorte permanente pour s’être opposés aux mafias. Le clip montre un jeune camorriste, au guidon d’une moto, parti à la recherche de sa victime, le « bouffon270 ». « Sur la tête un casque noir lucide/ Alors que dans la tête t’es putride/... / la

268

LUCARIELLO, « Cappotto di legno », 2007, YouTube, consulté en ligne le 14/06/2012. URL: http://www.youtube.com/watch?v=M_FIgOZ6Q7o 269 Roberto Saviano a lui même participé au projet. 270 C’est par cet adjectif que Nicola Schiavone, père de l’ancien chef des Casalesi Francesco Schiavone, également connu sous le nom de « Sandokan », avait qualifié Roberto Saviano devant des caméras de télévision en 2007.

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rage comme oxygène dans les os/ tu le sais : si tu fais une erreur, tu paies271 ». La chanson se poursuit : « Huit balles dans le dos dans l’obscurité/ et même si ce bouffon avait raison/en tête toujours cette même chanson d’amour/ je dois regarder par terre jusqu’à ce qu’il meurt272 ». Ce morceau n’est pas le seul que Lucariello a consacré à la camorra. Dans « Don Peppino273 », tiré de son dernier album, il relate l’histoire tragique d’un autre martyr du clan des Casalesi, le prêtre Don Peppe Diana, aujourd’hui figure de proue des quelque 160 victimes innocentes de la camorra. Ce dernier a été assassiné dans son église en 1994, peu de temps avant le début de son office, pour son engagement contre la camorra. Le groupe ‘A67 a également écrit une chanson qui honore la mémoire du prêtre assassiné, « Smettiamo di essere una Gomorra274 » (« Arrêtons d’être une Gomorrhe »). Pour autant, son hymne anticamorra le plus célèbre demeure « ‘A camorra song io275 » (« La camorra c’est moi »), extrait de l’album éponyme sorti en 2005. Ce morceau semble être un cri dicté du désir de dire « stop » à la toute puissance de la camorra à Scampia. Le message est clair : « ‘o Sistema », comme le définissent eux-mêmes les camorristes, avant d’être un empire économique, est d’abord une mentalité, une culture : « La camorra c’est nous/ Qui avons peur de parler/ De se regarder en face pour sortir/ De cette mentalité/ La mafia c’est nous/ Qui avons peur de parler/ De se regarder en face et de vaincre/ L’omertà276 ». Les paroles invitent l’auditeur à réfléchir, partant du présupposé que l’envie de changer les choses existent même dans un environnement social aussi difficile que celui du quartier de Scampia, d’où sont originaires les membres du groupe. A Herculanum, situé dans la baie de Naples, Andrea Sannino, jeune musicien, cherche lui aussi à susciter prise de conscience et sursaut civique . Dans « Pe’ l’età che

271

« Ncap o casc ner lucid, quann arint staj putrid/ .../ Port arragg comm ossiggen nta l’uoss/ u saj chi sbagl pav » 272 « ott’bott mpiett ra ret i rin ntu scur/ e pur se stu buffon avess ragiun/ ncap son semp a stess canzon r amorr/ l’agg guardà nterr fin a quann nu mor ». 273 LUCARIELLO, « Don Peppino », 2011, YouTube, consulté en ligne le 14/06/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=XQoBm-y0arg 274 ’A 67, « Smettiamo di essere una Gomorra », 2008, YouTube, consulté en ligne le 16/06/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=9Zx3laATock&feature=player_embedded 275 ’A 67, « ‘A camorra song’ io », 2005, YouTube, consulté en ligne le 16/06/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=ZsONgriEk-I. Pour les paroles, voir l’annexe n°3 276 « La camorra siamo noi/ che abbiamo paura di parlare/ di guardarci dentro per uscire/ da questa mentalità/ Le mafia siamo noi/ che abbiamo paura di parlare/ di guardarci dentro e vincere/ l’omertà... »

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tengo277 », il invite la population à refuser la loi du silence 278. La ville, longtemps considérée comme l’une des places fortes de la camorra, et théâtre de la lutte sanglante279 que se livrent les clans Ascione-Papale et Iacomino-Birra, connaît son « printemps de la légalité » depuis 2009, quand plusieurs dizaines de commerçants ont dénoncé leurs extorqueurs, conduisant à l’incarcération de quelque 250 membres des deux clans de la ville. Dans sa chanson, sortie fin 2011, Andrea Sannino se glisse dans la peau du fils d’un chef de clan, prédestiné à assurer la succession mais qui, très vite, dans une sorte de catharsis purificatrice, brise les chaînes de l’autorité parentale et, dans les rues de la vieille ville, invite les habitants – qui affichent tous, dans le clip, un morceau de scotch sur la bouche – à briser l’omertà. Le clip se termine par l’arrestation du père du protagoniste et un gigantesque rassemblement sur la place Pugliano, où plusieurs centaines d’habitants viennent se réapproprier leur propre territoire. L’histoire rappelle par de nombreux points celle du journaliste Peppino Impastato, assassiné en 1978 et entré dans la postérité pour avoir combattu Cosa Nostra, après avoir rompu avec un père lui-même membre de l’organisation mafieuse sicilienne. Il est ainsi devenu l’un des martyrs de la cause antimafia.

277

SANNINO Andrea, « Pe’ l’età che tengo », 2011, YouTube, consulté en ligne le 14/06/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=f0xgIJkyl6s 278 Voir son entretien: IADICICCO Lorenzo, « Un brano anti-camorra per Sannino », Roma, 5 octobre 2011, consulté en ligne le 15/06/2012. URL : http://93.63.239.228/archivio/2011/Ottobre/05/Roma/05-13-pag.pdf 279 60 morts ces dix dernières années.

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Section 2 – Musique sacrée et religion de l’antimafia

A gauche, le prêtre Don Peppe Diana, assassiné à Casal di Principe en 1994. A droite, le journaliste Giancarlo Siani, tué en 1985 à Naples par la camorra.

Parmi les presque 4 000 victimes officielles de la camorra, les associations de l’antimafia sociale, en premier lieu desquelles la Fondazione Pol.i.s. et Libera, dénombrent 155 « victimes innocentes ». Une distinction est ainsi faite entre, d’une part, des « victimes coupables », liées de prêt ou de loin à la criminalité organisée et, d’autre part, des « victimes innocentes », victimes collatérales ou sacrificielles, assimilées, elles, à de véritables martyrs280, le tout selon une dichotomie aux forts accents religieux avec, d’une part, le Mal et, d’autre part, le Bien. Giancarlo Siani et Don Peppe Diana étaient respectivement correspondant pour le quotidien napolitain Il Mattino et prêtre de la paroisse de Casal di Principe. Giancarlo Siani a été assassiné pour avoir enquêter de trop près sur les clans Nuvoletta et Bardellino281, tandis que le clan des Casalesi reprochait au prêtre son engagement anticamorra et, notamment, sa lettre de 1991 intitulée « Par amour de mon peuple je ne me tairai pas282 », qu’il avait diffusé dans toutes les églises de la province du nord de Naples. Mais au contraire d’autres « victimes innocentes » s’étant trouvées au mauvais endroit au mauvais moment, leur mort a été investie – à

280

Le Petit Robert 2011 définit le martyr comme « une personne qui meurt, qui souffre pour une cause » Le journaliste soupçonnait les deux clans de vouloir « vendre » le chef du clan Gionta à la police. 282 « Per amore del mio popolo non tacerò » 281

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l’instar, en Sicile, de celles de Peppino Impastato, des juges Falcone et Borsellino ou encore de Libero Grassi – d’une dimension collective qui s’apparente par bien des points à une vénération laïque; et si tous les représentants et militants de l’antimafia répètent qu’il ne faut pas les dépeindre comme des héros mais comme de simples citoyens exemplaires, pour ne pas faire, aux yeux de la société, de la lutte contre les mafias l’apanage d’individus vertueux aux pouvoirs surnaturels, ils leur ont toutefois conférés, au travers d’un système de mythes, de symboles, de rites et de liturgies, un caractère indéniablement sacré, créant dès lors un véritable culte autour de ces martyrs du « totalitarisme mafieux »283. En effet, plusieurs fois par semaine, ainsi que chaque 21 mars, lors de la Journée de la mémoire et de l’engagement, institutions et représentants de l’antimafia institutionnelle et sociale commémorent ces victimes innocentes, cherchant à mettre à profit ces cérémonies pour traduire, chez les proches des victimes notamment, la souffrance en citoyenneté active. En d’autres termes, la mémoire tend ici à devenir le vecteur d’une religion civile. Les chanteurs anticamorra s’inscrivent pleinement dans cette religion civile en ce sens qu’ils recourent eux aussi à la figure de ces victimes sacrificielles pour convertir les auditeurs à leurs messages. De nombreuses chansons ont ainsi été consacrées à quelques uns de ces « martyrs de la résistance face au totalitarisme mafieux », pour reprendre les mots des membres de l’antimafia sociale eux-mêmes. Comme nous l’avons vu, le rappeur Lucariello et le groupe ‘A 67 ont chanté la mémoire de Don Peppe Diana, dans « Don Peppino » et « Smettiamo di essere una Gomorra » (« Arrêtons d’être une Gomorrhe «). D’autres artistes moins connus en ont fait de même, tel Alfonso De Pietro, parrainé par le réseau Libera et interprète en 2011 de « Per amore del mio popolo284 ». Le collectif napolitain Biscuits est par ailleurs arrivé finaliste du concours « Musica contro le mafie » 2011 avec son morceau « Fortapasc285 », dédié au journaliste Giancarlo Siani, tombé sous les balles de la camorra en 1985. Enfin, il convient de noter que si Roberto Saviano est vivant, la contrainte qui pèse sur lui de vivre caché en fait aussi, par définition, un martyr. 283

Observations réalisées au cours du stage effectué l’an dernier au sein du réseau Libera. DE PIETRO Alfonso, « Per amore del mio popolo », 2011, YouTube, consulté en ligne le 15/06/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=_UJjRper2H0 285 BISCUITS, « Fortapasc », YouTube, 2009, consulté en ligne le 15/06/2012. URL : http://www.youtube.com/watch?v=dLHt8Ixdpe0 284

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Ainsi peut-on percevoir, de la part des associations antimafia comme de la part de « ses » chanteurs, une stratégie mémorielle visant à générer consensus et appartenance identitaire. Les chansons anticamorra, utilisées par les représentants de l’antimafia sociale au moment des commémorations ou lors de leurs interventions en milieu scolaire, ne sont plus seulement de la musique, elles deviennent un instrument de conversion à une cause.

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Conclusion L’opération Canta Napoli, menée le 25 mai dernier par la Guardia di finanza, est venue le rappeler : l’industrie néomélodique, depuis ses origines, s’est placée en dehors de la sphère de contrôle de l’Etat. Deux grandes figures de la néomélodie, Tommy Riccio – célèbre pour ses chansons de malavita286 - et Antonio Ottaiano, ont en effet été arrêtés pour une évasion fiscale estimée à six millions d’euros287. Il est vrai que la néomélodie et ses interprètes ont émergé dans des environnements où la camorra s’est hissée au centre de la vie sociale, jusqu’à devenir la seule ou presque à même d’offrir, directement ou indirectement, des opportunités économiques. En effet, le genre musical est né à l’aube des années 1980, dans un contexte de forte homogénéisation sociale et culturelle de certains quartiers du centre historique (Forcella, Sanità, Quartiers espagnols) et de la périphérie (Scampia, Ponticelli, Barra) de Naples, dont d’aucuns sont qualifiés depuis la fin des années 1980 de « Quartiers-Etat », du fait que le « système » de la camorra s’y soit substitué à un ordre étatique déjà fragile. La rencontre entre la camorra et la néomélodie s’est ainsi faite de façon assez spontanée, les chanteurs et leurs futurs imprésarios ou producteurs étant issus d’un seul et même milieu. Pour autant, ce lien culturel s’est dès le départ doublé d’un lien davantage économique. Très vite placée sous l’emprise de la camorra, la chanson néomélodique est ainsi devenue un phénomène local de masse, machine capable de générer le consensus dont toute organisation criminelle mafieuse a besoin pour pouvoir exercer son influence sans avoir à recourir à la violence ou à l’intimidation. En effet, la néomélodie, en plus de constituer un business lucratif, est devenue l’une des composantes du « soft power » camorriste : certaines de ses chansons, parfois écrites par des chefs de clan eux-mêmes, justifient la déviance criminelle et glorifient 286

Il est notamment l’interprète de « Nu latitante », op.cit. « Indagini Gdf su due neomelodici. Scoperta evasione per sei millioni », La Repubblica Napoli, 25 mai 2012, consulté en ligne le 24/06/2012. URL : http://napoli.repubblica.it/cronaca/2012/05/25/news/fisco_indagini_gdf_su_due_neomelodici_scoperta_evasione _per_sei_milioni_di_euro-35878784/ 287

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la malavita, rendue inévitable par l’absence d’Etat-Providence et d’opportunités économiques. Dans leurs expressions les plus spontanées, les chansons de camorra ont donc contribué à la construction de son identité collective en tant qu’instance de pouvoir local. Chantées, dansées et vendues à Naples et dans sa région depuis plus de deux décennies, ces chansons constituent une composante importante du « paysage sonore288 » dans lequel se sont formées des générations entières de Napolitains, jusqu’à poser la question, devenue politique, de l’intériorisation, par les jeunes générations notamment – auxquelles certaines chansons, inteprétées par des chanteurs prépubères, sont directement adressées – du nomos camorriste. Il ressort de nos recherches et de nos entretiens que si certains, partie prenante ou extérieurs à cette industrie, récusent l’influence criminogène de ces chansons et mettent en avant leur dimension réaliste ou néoréaliste – ces chansons ne seraient, somme toute, qu’un miroir de la réalité –, d’autres, en premier lieu desquels les militants de l’antimafia sociale, ou certains sociologues, affirment au contraire que ces chansons, autour desquelles se crée un fort processus d’identification, participent de la consolidation de valeurs négatives et de l’assimilation du modèle culturel identitaire de la camorra. Pire encore, la chanson néomélodique, elle-même fille d’une société close, marginalisée, produirait de l’exclusion en ce sens que ces textes contribuent à accentuer la caractérisation dangereuses des quartiers populaires en même temps qu’ils assènent des frontières infranchissables dans les esprits de ses habitants. Au lieu de se retourner contre un système qui les marginalise, les chanteurs néomélodiques préfèrent chanter les louanges d’une camorra qui devient implicitement la seule possibilité de « réussite » sociale, participant ainsi d’une forme d’autoségrégation criminelle dans des quartiers qui se présentent comme autant d’îlots d’une ville devenue archipel du crime. Dès lors, ce renforcement des « Quartiers-Etat » complique la tâche des associations de l’antimafia sociale qui cherchent, à travers, entre autres, leurs

288

Voir le concept de « soundscape » (traduit en français par « paysage sonore ») développé par Ray Murray Schaffer. Il s’agit pour résumer de l’ensemble des sons de la nature et de la société technologique qui, en se mélangeant, impriment l’identité sonore des personnes et des communautés, en en devenant la mémoire sonore. MURRAY SCHAFER Raymond, Le paysage sonore. Le monde comme musique, Stock, Paris, 2010

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interventions en milieu scolaire, à remettre les villes sur les « rails de la légalité ». Plus que de lutter à proprement parler contre les chansons qui véhiculent l’idéologie camorriste, le camp de l’antimafia, et les chanteurs qui en font partie, ambitionnent à travers, notamment, les figures des martyrs de la criminalité organisée – très fréquemment utilisées dans les chansons anticamorra – de convertir à leur cause, l’antimafia, érigée en véritable religion civile. Au-delà, il s’agit de briser la servitude volontaire et la dépendance psychologique et culturelle à la camorra pour, dès lors, intégrer ou réintégrer toute une population à une société dont elle se sent exclue. Mais le défi semble de taille : pour l’historien Isaia Sales, la camorra est justement « l’insuccès de Naples comme ville moderne289 » au sens, où, contrairement à des villes comme Londres ou Paris, la ville n’a jamais su absorber, au 19ème siècle comme au 20ème siècle, sa « criminalité plébéienne », qui est demeurée for’a società, en dehors de la société. C’est donc peut-être dans la musique des quartiers populaires de la ville qu’il faudra chercher, à l’avenir, les signes de l’efficacité, ou non, de cette action de l’antimafia sociale. Comme le rappelle David Rumeau : « Tout choix musical, toute prise de position implique les comportements et les perceptions, les désirs latents, les valeurs réelles ou fantasmées, d’un individu ou d’un groupe historique. Car tout courant musical inclut un système de significations ; chaque groupe y projette sa réalité socio-historique290 ».

289

Extrait d’une conférence donnée à Naples le 21/03/2011 dans le cadre d’un séminaire sur les criminalités organisées. 290 RUMEAU David, « Pour une in-tuition musicale », Sociétés, n°104, 2009/2, p.57

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Table des annexes

Annexe n°1 : Morts violentes à Naples de 1975 à 2007 .............................. 75 Annexe n°2 : Paroles traduites de la chanson « Nu guagliune malamente » (« Une racaille ») de Sandro et Anthony : .................................................... 76 Annexe n°3 : Paroles traduites de la chanson « ‘A camorra song’ io » (« La camorra c’est moi ») du groupe ‘A67 .......................................................... 77 Annexe n°4 : Captures d’écran du clip « ‘O capoclan » (« Le chef de clan ») de Nello Liberti............................................................................................. 78 Annexe n°5 : Capture d’écran du clip « Chillo va pazz pe te » (« Tu le rends fou ») de Ciro Ricci : .................................................................................... 79

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Annexes

Annexe n°1 : Morts violentes à Naples de 1975 à 2007

Guerra NCO - NF (1979-83)

1981

1983

1989

Omicidi di camorra

1995

Totale omicidi

1993

300 Guerre di assestamento. Predominio Casalesi/Alfieri (1988-91)

1991

250

Guerra Di Lauro Scissionisti (2004-05)

2005

Guerra Bardellino Nuvoletta (1984-88)

2001

200

1999

Guerra Alleanza di Secondigliano Misso/Mazzarella/Sarno (1998-99)

1997

150

1987

100

1985

50

0 1975

1977

1979

2003

2007

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Annexe n°2 : « Nu guagliune malamente » (« Une racaille ») de Sandro et Anthony :

Version originale

Version traduite

Sandro Te vogl parlà ij te sò frate, rimm 'a verità cà sì nu guaglione 'nmezz'a via E nun è overo cà avia a faticà me l'hann ritt proprio n'ora fa ma nu ce crero

Sandro Je veux te parler Je suis ton frère, dis-moi la vérité Que tu es un mec de la rue Et que ce n’est pas vrai que tu vas travailler Ils me l’ont dit il y a tout juste une heure Mais je n’y crois pas

Anthony Ma che chiagne a fa di me tu 'o saje cà nun te ha preoccupà ormai sò custrett aggià te l'aspiegà Chest è 'o destino cà m'aggià scigliut Simm criscuit senza mamma e pate rimmell tu, ma comm putivà fa ij niente t'aggià fa mancà

Anthony Mais pourquoi tu pleures Tu n’as pas à t’en faire pour moi Désormais je suis contraint je te l’ai expliqué C’est le destin qui m’a choisi On a grandi sans mère ni père Souviens-toi, comment pouvais-je faire Je ne t’ai jamais fait manquer de rien

Nu guaglione malamente accussì me chiamm 'a gente parlan e nun sann niente sò bravi sulamente a giudicà 'O regalo pe Natale, ij nun te l'aj fa desiderà ij teng sul'a tte

Une racaille C’est comme ça que les gens m’appellent Ils parlent san s savoir Ils ne sont bons que pour juger Tu n’as jamais manqué de rien à Noël Je ne tiens qu’à toi

Sandro Chell cà me dic 'a gente a me nun me importa nient Tu pe mme sì tutt'e cose e sò orgoglioso cà sò frate a tte Mai nisciunu ci ha aiutat comm facisse se perdess a tte Te vogl bene

Sandro Ce que disent les gens Je m’en fiche Tu es tout pour moi Je suis fier d’être ton frère Jamais personne ne nous a aidés Comment ferais-je sans toi Je t’aime

Anthony E mò che chiagne a fà sò facc è sulamente pe necessità

Anthony Et pourquoi tu pleures maintenant Si je le fais c’est seulement par nécessité

Sandro Mò sacc 'a verità nun ce sta niente cà nun m'aggia spiegà tengo paura sulamente 'e te cà passi 'e notti sempre 'nmienz a via

Sandro Maintenant je connais la vérité Il n’y a rien que tu ne m’aies pas expliqué J’ai juste peur pour toi Tu passes toutes tes nuits dans la rue

Anthony Ji veng ampress, mò vatt'a durmì nun m'aspittà, tu nun t'ha preoccupà ce verimm dimane

Anthony Je dois m’en aller, va dormir maintenant Ne m’attends pas, tu n’as pas à t’en faire On se verra demain

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Annexe n°3 : Paroles de la chanson « ‘A camorra song’ io » (« La camorra c’est moi ») du groupe ‘A67

Version originale

Version française

La camorra sono io che ti guardo negli occhi è sangue innocente e lacrime di chi non può più niente

La camorra c’est moi Qui te regarde droit dans les yeux C’est le sang innocent Et les larmes de celui qui ne peut plus rien

La camorra sono io che ti guardo negli occhi è la voce impotente di chi tra stato e mafia è niente

La camorra c’est moi Qui te regarde dans droit les yeux C’est la voix impuissante De celui qui entre l’Etat et la mafia n’est rien

E se 'a paura fa nuvanta 'a dignità fa Cientuttanta tanta tanta tanta tanta tanta voglia 'e cagnà voglia 'e cagnà voglia di cambiare

Et si la peur fait quatre-vingt dix La dignité fait cent quatre-vingts Tant tant tant tant tant d’envie de changer d’envie de changer envie de changer

La camorra siamo noi che abbiamo paura di parlare di guardarci dentro per uscire da questa mentalità

La camorra c’est nous Qui avons peur de parler De se regarder en face pour sortir De cette mentalité

Le mafia siamo noi che abbiamo paura di parlare di guardarci dentro e vincere l’omertà...

La mafia c’est nous Qui avons peur de parler De se regarder en face et de vaincre L’omertà

E se 'a paura fa nuvanta 'a dignità fa Cientuttanta tanta tanta tanta tanta tanta voglia 'e cagnà voglia 'e cagnà voglia di cambiare

Et si la peur fait quatre-vingt dix La dignité fait cent quatre-vingts Tant tant tant tant tant D’envie de changer, d’envie de changer Envie de changer

solo prendendo coscienza del male sarà possibile un reale cambiamento

C’est seulement en prenant conscience du mal Qu’un vrai changement sera possible

E se 'a paura fa nuvanta 'a dignità fa Cientuttanta tanta tanta tanta tanta tanta voglia 'e cagnà voglia 'e cagnà voglia di cambiare

Et si la peur fait quatre-vingt dix La dignité fait cent quatre-vingts Tant tant tant tant tant D’envie de changer, d’envie de changer Envie de changer

77


Annexe n°4 : Captures d’écran du clip « ‘O capoclan » (« Le chef de clan ») de Nello Liberti « Le chef de clan est un homme sérieux, il n’est pas vraiment mauvais, on ne peut pas raisonner avec le coeur »

« Le chef de clan non, il ne se trompe pas, c’est le chef de famille et il doit savoir commander »

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Annexe n°5 : Capture d’écran du clip « Chillo va pazz pe te291 » (« Tu le rends fou ») de Ciro Ricci :

« [...] Cette vidéo est dédicacée à Ciro Ricci et à la chanson néomélodique napolitaine dans son ensemble, et c’est une juste reconnaissance pour tout ce qu’ils représentent. Cette vidéo est un hommage à la richesse d’une tradition qui survit seulement grâce à ceux, nombreux, qui vivent encore dans ces ruelles, dans le bien et le mal. Les auteurs ».

291

Chanson d’amour écrite à l’époque par Luigi Giuliano, boss du quartier de Forcella

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Vidéos: LE IENE, « Il successo dei bambini », Italia 1, 9 février 2012, consulté en ligne le 05/05/2012. URL : http://www.video.mediaset.it/video/iene/puntata/283071/lucci-il-successodei-bambini.html RAI CRASH, « Il canto di Malanapoli », Rai 3, 12 octobre 2011, consulté en ligne le 15/04/2012. URL : http://www.crash.rai.it/sito/scheda_puntata.asp?progid=1519

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Table des matières Remerciements ..................................................................................................................... 4 Sommaire .............................................................................................................................. 5 INTRODUCTION .................................................................................................................... 6 Retour sur la camorra, une mafia longtemps consentie .................................................... 7 Naples, « ville-chanson », des villanelle à la néomélodie................................................ 10

PREMIERE PARTIE : UNE CAMORRA A FEU ET A SONS ? ....................................... 16 Chapitre I : De la violence programmée à la fabrique du consensus social ............. 17 Section 1 - La violence programmée, clé de voûte de la domination territoriale ? ...... 17 Section 2 – Consensus social et domination légitime ....................................................... 19 Chapitre II : Chanson néomélodique et camorra : les liaisons dangereuses ............ 22 Section 1 - Les chansons de malavita, une genèse déjà longue : .................................... 22 Section 2 - La formation d’une industrie culturelle mafieuse ........................................ 25 Chapitre III : Essai d’analyse de clips : entre justification et glorification de la malavita ................................................................................................................................ 30 Section 1 – Les chansons justificationnistes ou la « morale de l’illégalité » .................. 31 Section 2 - Les chansons glorificatrices : la camorra comme horizon indépassable .... 34

DEUXIEME PARTIE : DES MOTS AUX MAUX OU QUAND CHANTER NUIT GRAVEMENT A LA CITE ................................................................................................... 39 Chapitre I : De la (cor)responsabilité sociale des chanteurs néomélodiques ? Retour sur un débat napolitain ....................................................................................... 41 Section 1 - Les chansons des « vicoli », simple art néoréaliste ? ..................................... 41 Section 2 – Une « propagande culturelle » au service du « totalitarisme » mafieux ? 44 Chapitre II : Les risques d’une identification aux chansons de malavita ................... 47 Section 1 – Les commentaires YouTube, révélateurs d’un fort processus d’identification ....................................................................................................................... 47 Section 2 – Enfants-chanteurs et intériorisation du nomos camorriste ......................... 50 Section 3 – Les Quartiers-Etat de l’autoségrégation ou le « mur du son » camorriste 53

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TROISIEME PARTIE : UNE ANTIMAFIA SOCIALE A L’EPREUVE DE LA NEOMELODIE ?.................................................................................................................... 57 Chapitre I – Quelle réponse apporter aux chansons de malavita ? ............................. 59 Section 1 - L’impossible censure ......................................................................................... 59 Section 2 – L’avènement d’une scène musicale anticamorra .......................................... 61 Chapitre II : Dénoncer et convertir ................................................................................. 65 Section 1 - Briser les chaînes de la camorra : de l’aliénation au sursaut civique .......... 65 Section 2 – Musique sacrée et religion de l’antimafia ...................................................... 68

CONCLUSION ...................................................................................................................... 71

Table des annexes .............................................................................................................. 74 Annexes............................................................................................................................... 75 Bibliographie ...................................................................................................................... 80 Table des matières ............................................................................................................. 91

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