Régulation publique des drogues

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Essai sur la régulation de l’informel au regard du trafic de drogue Fabrice RIZZOLI Docteur en science politique, représentant en France du réseau FLARE (Freedom Legality And Rights in Europe) Laurent APPEL Membre de l’Observatoire géopolitique des criminalités, coordinateur pour la réforme de la politique des drogues de l’association ASUD Les drogues ont toujours existé. Les plantes susceptibles de modifier les réactions physiologiques ont de tout temps suscité l’intérêt des hommes. La drogue colle à la peau des hommes si bien qu’elle est liée à de nombreuses activités humaines : la production, le commerce, la consommation, la guerre et la pratique du religieux. Utilisée de manière artisanale et naturelle pendant des millénaires, la drogue devient un objet scientifique grâce notamment aux progrès de la pharmacologie, au basculement du monde au XIXe siècle, à l’industrialisation et à l’internationalisation des échanges. Après un siècle d’hésitations, le monde accouche d’une réglementation créant deux marchés, celui des médicaments et celui des trafics de stupéfiants. L’impulsion est américaine. En matière de politique intérieure, le gouvernement fédéral subit la pression de ligues moralistes et, en matière de politique extérieure, l’administration américaine a besoin d’améliorer sa relation commerciale avec la Chine. Les États-Unis provoquent les conférences de Shanghai (1909) et de La Haye (1912) afin d’interdire le commerce de l’opium ; commerce en faveur duquel la Grande-Bretagne avait mené deux opérations militaires cinquante ans auparavant. Le processus de prohibition internationale des drogues aboutira à l’interdiction de l’usage des stupéfiants par l’ONU en 1961. Les conséquences ne se font pas attendre. En près d’un demi-siècle, le crime organisé devient l’acteur majeur du commerce illégal des drogues comme de presque tous les autres grands trafics. Aujourd’hui, le commerce des drogues représenterait 8 % du commerce mondial, générant un revenu d’environ 300 milliards de dollars1. Il constitue de loin le premier facteur d’accumulation de capital de toutes les organisations criminelles. En ce qui concerne Cosa Nostra, la mafia sicilienne la plus connue et la mieux étudiée, en près de 30 ans elle est devenue le principal importateur d’héroïne aux États-Unis2. En 2010, les quatre mafias italiennes, exemples de criminalités organisées parmi les plus abouties, ont engrangé 130


milliards d’euros soit 10 % de la richesse produite en Italie3. En France, le trafic de drogue représenterait 2 milliards d’euros par an4. Avec du recul, le constat est que la prohibition, associée à la répression, a finalement partout renforcé le crime organisé. L’escalade de la guerre de la drogue en Amérique du Sud a engendré de plus en plus de violence. L’échec de la politique de la tolérance zéro aux États-Unis a conduit à l’incarcération de millions d’usagers et de petits trafiquants, sans réduire ni la consommation ni le trafic. Comment expliquer que la première puissance mondiale, qui a interdit le commerce des drogues, est le pays qui consomme le plus de stupéfiants au monde ? Face à cette économie criminelle5, un autre monde est-il possible en régulant l’offre et la consommation des drogues ? Il s’agit, pour certains « innovateurs » dans ce domaine ô combien sensible, de répondre à cet état de fait par une expérimentation de nouvelles régulations de l’usage du cannabis, qui peuvent être mises en œuvre immédiatement dans le cadre des conventions internationales. Cela permettrait de lutter contre le développement des organisations délinquantes et contribuerait à l’élaboration de nouvelles conventions internationales pour sortir de la prohibition des drogues. 1. La prohibition des drogues dans le cas français : le paradigme de l’échec La loi de 19706 et les dispositions du Code pénal en la matière ne semblent avoir rempli aucun de leurs deux objectifs de santé publique (prévention de la consommation de drogue) et de sécurité publique (répression du trafic). 1.1. De l’échec de la politique de santé publique et de la situation préoccupante du consommateur Les évaluations de la loi de 1970 en matière de santé publique montrent en effet qu’on n’a pas réussi à limiter l’augmentation continue du nombre de consommateurs, ni la croissance du nombre de pathologies associées à l’usage. A contrario, la baisse du nombre d’overdoses paraît être étroitement liée à la mise sur le marché d’un médicament de substitution à l’héroïne7. Or, les rapports officiels font tous état d’une seule politique : la répression. Le renforcement régulier du cadre législatif s’est ainsi accompagné d’une augmentation continue du nombre d’interpellations d’une part, du nombre des sanctions pénales d’autre part. À cet égard, le diagnostic du Conseil national du sida fait consensus. Les politiques répressives sont « coûteuses et inefficaces au plan sanitaire » (Conseil national du sida, 2011). Le nombre d’interpellations pour infraction à la législation sur les stupéfiants a été multiplié par soixante depuis 1970 et par deux ces dix dernières années. La plus forte progression des interpellations concerne les usages simples. Si bien que leur part dans les interpellations représente 86 % de l’ensemble des procédures pour ILS (infraction à la législation sur les stupéfiants) en 20098. Par effet mécanique, le nombre de


condamnations pour ILS a doublé entre 2002 et 2008 et celui pour usage simple a quadruplé ces vingt dernières années. 90 % des interpellations et des sanctions portent sur le cannabis, alors qu’il ne représentait que les deux tiers des interpellations jusqu’au milieu des années 1990. Or, le cannabis est, de loin, le stupéfiant illégal le plus consommé. 13,4 millions de Français l’ont expérimenté. La pénalisation de son usage n’a pas endigué l’explosion de sa consommation, aujourd’hui expérimentée par près d’un jeune sur deux. Pourtant la répression, de plus en plus systématique, a frappé environ 800 000 jeunes entre 2002 et 2009. La diffusion de ce psychotrope est telle que beaucoup de consommateurs pourraient cependant penser que le cannabis est déjà dépénalisé, de fait ou en droit, comme c’est déjà le cas chez la plupart de nos voisins en Europe (Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Danemark, Italie, Espagne, Portugal). Le consommateur n’a pas d’informations sur la réduction des risques liés à l’usage et il doit maintenir un contact direct ou indirect avec l’économie parallèle. Il a de facto accès à d’autres stupéfiants et finance contre son gré des organisations criminelles de différents niveaux, du dealer de quartier aux mafias transnationales. Les nuisances sont immédiates et très visibles dans les cités contrôlées par les gangs. Les usagers les subissent mais répugnent à se couper des fournisseurs, au-delà de la simple peur des représailles. À plus haut niveau, l’argent du cannabis gangrène l’économie officielle et multiplie les risques de corruption. Le consommateur français subit la pression du marché de rue : arnaques, agressions, racket, loi du silence, sexisme, homophobie… Il doit lutter contre la tentation de l’usage-revente puis le trafic et la criminalité. Le prix de détail des produits de qualité est devenu excessif (de 7 à 15 euros le gramme). La prohibition provoque beaucoup d’achats collectifs et de micro-deals entre amis afin d’obtenir de meilleures conditions, mais aussi de la petite délinquance pour se financer, des dettes, des tensions, des violences et des crimes. Le consommateur subit cette scène du cannabis parfois violente, surtout quand elle s’approche de celle de la cocaïne, alors que la séparation de ces marchés pourrait freiner le développement du polyusage de stupéfiants. Il semble donc que les effets pervers de la prohibition du cannabis soient plus nocifs que le produit lui-même. 1.2. Echec de la sécurité publique Jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’évaluation officielle du dispositif législatif de lutte contre les stupéfiants portant sur la sécurité publique. Le développement du trafic international et local a été considéré comme une conséquence inéluctable de la diffusion des consommations. Les sanctions pénales pour trafic et commerce ont pourtant été continûment renforcées, sans pour autant en limiter le développement.


Deux rapports récents ont porté sur l’application des lois en vigueur, en prenant en compte l’ensemble des sanctions pénales, pour usage illicite, détention-acquisition, trafic (import, export), commerce-transport, offre, cession et autres (OFDT, 2010 ; CESDIP, 2009). Ces rapports rendent compte d’une progression continue du nombre de sanctions pénales depuis 1970. Mais le Rapport national de la délinquance révèle que l’accroissement des interventions policières de terrain se fait à l’encontre des usagers et des petits trafiquants et cible les infractions d’usage facilement élucidées et donc susceptibles de témoigner de l’efficacité des forces de police9. Le rapport de la Cour des comptes sur l’organisation et la gestion des forces de sécurité publique (Rapport public thématique, juin 2011) démontre que la priorité de la politique de répression a été accordée, de fait, à la lutte contre l’usage au détriment de la lutte contre le trafic. La Cour constate qu’entre 2002 et 2009 les ILS pour usage simple ont connu une progression de 76 %, pour usage avec revente de 30 % et seulement de 8 % pour le trafic. L’écart entre la répression de l’usage et la répression du trafic s’accroît encore avec les placements en garde à vue : augmentation de 91 % pour usage, de 42 % pour usage avec revente et de 3 % pour trafic. Selon la Cour des comptes, l’augmentation de la répression de l’usage de cannabis est due à la politique du chiffre imposée aux services de police. L’interpellation d’usagers contribue en effet à l’amélioration des taux d’élucidation dans la lutte contre la délinquance, plus d’un tiers des faits élucidés concernant l’interpellation des usagers entre mai 2008 et avril 2009. La répression frappe essentiellement les jeunes des milieux populaires ainsi que leur famille. L’inégalité devant la loi participe alors du sentiment d’exclusion de ces jeunes. L’institution judiciaire est d’autant plus décrédibilisée que la très grande majorité des usagers, appartenant aux classes moyennes, échappent aux sanctions judiciaires, ce qui conforte la croyance qu’il y aurait déjà une dépénalisation de fait. 1.3. La prohibition, produit de la criminalité La loi de 1970 n’a donc pas permis de limiter le développement des trafics internationaux et locaux ni de garantir la sécurité pour tous, et ainsi de faire face aux violences liées aux trafics. En France, le seul trafic de cannabis rapporterait plus d’un milliard d’euros pour environ 250 tonnes de résine de cannabis consommées annuellement12. À défaut d’une analyse précise du développement des organisations délinquantes dans les quartiers populaires, on peut au moins constater une escalade de la violence jamais atteinte en France, dont témoignent les règlements de comptes avec armes à feu. La multiplication des interpellations, associée à une baisse apparente de la lutte contre le trafic, a contribué au sentiment d’abandon des habitants dont la sécurité n’est plus garantie au quotidien.


La dégradation de la situation en France se manifeste en particulier dans les cités sensibles. L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales confirme la gravité de la situation en faisant état de la sévérité des politiques de lutte contre les drogues et de leurs insuffisances : « Malgré une répression toujours plus marquée depuis 2002, la consommation n’a pas baissé et les trafics continuent de perturber en profondeur la vie de centaines de quartiers sensibles » (ONDRP, 2010). L’OCTRIS en faisait le constat : « Implantés dans les cités sensibles, les réseaux de trafiquants de cannabis contribuent au développement de l’économie souterraine de quartiers entiers » (Rapport, 2010). Certes, dans la plupart des quartiers populaires, le trafic local est encore organisé sur un mode relativement artisanal mais, dans quelques quartiers du sud de la France, à Marseille, de la banlieue parisienne, comme à Sevran, à Corbeil, à la Courneuve, le développement du trafic est tel que des territoires sont désormais sous l’emprise d’organisations délinquantes. Les offices HLM évaluent que, dans 8 % des logements qu’ils gèrent, les halls d’immeuble sont occupés (contrôlés) par des bandes de jeunes. Tandis que les trafiquants, aidés de jeunes guetteurs, exercent leur contrôle sur un réseau inextricable de tours, d’allées, de culs-de-sac, de buissons et de caves, les populations paraissent comme prises en otage. Aucun étranger ne peut pénétrer dans le quartier et il arrive que des habitants soient contraints de montrer leurs papiers pour accéder à leur propre appartement, tandis que les forces de sécurité se limitent à des interventions ponctuelles, y compris avec hélicoptère en soutien aérien. Les habitants sont donc les premières victimes de cette escalade de la violence. Si « la guerre à la drogue » a d’abord été un simple slogan, elle est désormais menée avec des armes de guerre dans des conflits entre bandes rivales, mais aussi contre les forces de sécurité. L’augmentation du nombre de morts violentes au cours de ces deux dernières années est un indicateur qui ne trompe pas. 12 morts violentes liées aux drogues ont été constatées en Seine-SaintDenis en 2010. C’est encore plus vrai à Marseille. 19 policiers ont également été blessés en 2010. Des enfants ont même été les victimes collatérales des affrontements entre bandes, telle cette fillette de 9 ans à Marseille. En Corse, il serait aisé de croire que les clans ne font plus dans la drogue mais, en 2012, l’arrestation à Avignon d’individus en train d’échanger une valise de cocaïne contre une valise d’argent à un trafiquant parisien démontre le contraire. Or, en Corse, on dénombre 30 homicides par an pour 300 000 habitants. L’importance des sommes en jeu explique la violence des règlements de comptes. La présence d’armes de guerre, acquises pour quelques centaines d’euros, entretient la violence du conflit entre bandes concurrentes qui s’entretuent à coups de kalachnikovs, comme à Marseille ces dernières années, mais aussi à Sevran, à Stains ou encore à Grenoble. La corruption est un autre danger étroitement lié à la prohibition ; c’est une véritable menace qui disqualifie les institutions aux yeux des habitants. Les soupçons de corruption généralisée de la Brigade anticriminalité des quartiers Nord de Marseille marqueront à jamais l’histoire de la police française. Enfin,


la mise en examen du numéro 2 de la police judiciaire de Lyon, Michel Neyret, démontre à l’envi une répression pernicieuse. En définitive, la question qui se pose est bien de savoir s’il est possible de faire autrement. 2. Restaurer le formel ? Il serait donc possible de réformer le régime de prohibition des stupéfiants afin de lutter plus efficacement contre les organisations criminelles, mais aussi contre les dommages sanitaires et sociaux liés à leur consommation et à leur trafic. La priorité de ce cas concerne le cannabis, le stupéfiant le plus consommé en France. Dans le respect du cadre légal national, européen et international, il serait possible d’expérimenter une politique intégrée de production, de diffusion et de consommation encadrée du cannabis, cette substance étant l’objet de plus de 80 % des trafics de drogue en France. 2.1. Un contexte international qui évolue Le mois de juin 2011 marque un virage historique dans l’expertise mondiale. La Commission internationale sur les politiques des drogues (Report of Global Commission on Drug Policy, 2011) tire les enseignements de quarante années de guerre contre la drogue. Elle pose la notion d’échec et établit des recommandations reposant sur l’expérience et les recherches internationales. La Commission ne prétend pas résoudre définitivement tous les problèmes liés aux drogues mais propose d’y contribuer ainsi : • encourager l’expérimentation par les gouvernements de nouveaux modèles juridiques pour les drogues, en particulier le cannabis, pour saper la puissance du crime organisé et préserver la sécurité des citoyens ; • mettre fin à la criminalisation, la marginalisation et la stigmatisation des usagers de drogues ; • s’assurer des accès aux traitements, dont la méthadone et la buprénorphine, mais aussi aux programmes de sevrage, qui ont fait leurs preuves dans de nombreux pays ; • développer l’expérimentation scientifique de prescriptions médicalisées d’héroïne et de cannabis, afin que les patients puissent protéger leur santé tout en échappant au marché noir. Ce rapport coïncide avec les changements en cours dans des pays confrontés aux ravages du trafic international : la Colombie et le Mexique viennent de dépénaliser l’usage et la détention associée. L’expérimentation scientifique d’une légalisation contrôlée du cannabis offrirait des avantages en termes de sécurité, de cohésion sociale et de santé publique : • En termes de sécurité : le trafic de cannabis étant le plus important, la légalisation ferait reculer l’emprise des trafiquants sur le territoire. Elle


permettrait aux forces de sécurité de définir clairement leurs priorités : garantir la sécurité au quotidien d’une part, lutter contre les organisations criminelles locales et les mafias internationales d’autre part. • En termes de cohésion sociale : la dépénalisation de l’usage pourrait éviter l’enfermement dans la délinquance de jeunes mal insérés ; elle favoriserait le dialogue intergénérationnel ; elle déstigmatiserait les habitants des quartiers populaires. • En termes de santé publique : elle favoriserait l’éducation sanitaire et une prévention fondée sur la réalité des risques ; elle garantirait le contrôle de la qualité des produits. 2.2. La régulation de la consommation Le premier pas pour tout système réglementaire serait la dépénalisation : n’étant plus criminel, le consommateur aurait accès aux soins. Cette dépénalisation serait strictement encadrée. De nombreuses études (cf. rapport de la Global Commission, juin 2011) démontrent que la dépénalisation de la consommation privée de cannabis, de la détention d’une quantité réglementée, de la production limitée individuelle ou collective pour usage personnel, et même de la vente en petites quantités, ne provoquerait pas d’augmentation de la consommation et de dommages mais serait susceptible d’encourager l’éducation sanitaire et le soin des usagers problématiques. Les 13 États qui ont dépénalisé l’usage aux États-Unis ont des niveaux de consommation comparables aux États qui continuent de sanctionner la consommation. Des nations comme l’Allemagne, l’Argentine, l’Espagne, les Pays-Bas, la Belgique, le Portugal ou la Tchéquie ont adopté une législation et/ou des règlements et une jurisprudence comprenant de telles dispositions, en conformité avec les conventions internationales et le Règlement européen11. S’il convient de dépénaliser la consommation dans la sphère privée pour les majeurs, il serait alors logique d’accompagner cette mesure d’un droit à la possession publique assez faible pour ne pas faciliter le deal clandestin. La possession au domicile ne serait délictuelle qu’en cas de vente illégale ou de stockage dans ce but avéré. Dans ces hypothèses de dépénalisation de l’usage, la consommation publique de cannabis resterait interdite sur la voie publique. Fumer des joints dans les administrations, aux abords des établissements d’enseignement, des installations sportives et de loisirs accessibles aux mineurs constituerait une circonstance aggravante. Le non-respect de cet interdit serait passible d’une contravention suffisamment dissuasive et alourdie en cas de récidive mais ne donnerait pas lieu à un procès. Une commission administrative évaluerait les dommages sanitaires et sociaux de la consommation de stupéfiants du contrevenant, délivrant ainsi un message de prévention et de réduction des risques, en orientant notamment les usagers problématiques vers un dispositif de soins et de réhabilitation sociale.


Pour les mineurs, après un programme obligatoire et complet d’information et de prévention à la première infraction constatée, les récidivistes devraient faire l’objet d’une orientation sociosanitaire et de travaux d’intérêt collectif. Il ne serait pas permis d’utiliser une automobile ou un engin dangereux sous l’effet des drogues. La conduite sous influence du cannabis serait donc toujours pénalement punie, mais une étude devrait être menée afin de valider une procédure fiable de détection. Conclusion Quarante années de prohibition de l’usage et de répression du trafic n’ont pas contré l’augmentation importante de la consommation de drogues, ni fait durablement reculer l’offre. L’échec du modèle prohibitionniste est patent. La consommation de drogues génère d’importants dysfonctionnements socioéconomiques et des troubles de l’ordre public. Cet immense marché parallèle déstructure l’organisation socioéconomique et démocratique de nombreux territoires et menace gravement la cohésion sociale. L’expérience montre que le renforcement de la répression induit un renforcement des organisations criminelles. L’absence d’une véritable lutte contre le trafic associée à la multiplication des interpellations pour usage ont conduit à une exaspération de la violence et à un sentiment d’abandon des habitants dont la sécurité au quotidien n’est plus garantie dans certains quartiers. Les nombreux règlements de comptes avec arme à feu témoignent d’une escalade de la violence jamais atteinte en France. L’illégalité fausse le rapport à l’autorité et à la loi, le marché noir gangrène les quartiers populaires, les dommages sanitaires et sociaux sont aggravés. Le remède est devenu pire que le mal. Ce constat induit l’idée d’une nouvelle orientation dans les politiques publiques afin de réduire les risques liés à cette pratique devenue massive et contribuerait ainsi à la formalisation de l’informel ? Notes 1. Rapport ONUDT, 2010. 2. Muti Giuseppe, Rizzoli Fabrice, « Mafias et trafics de drogue : le cas exemplaire de Cosa Nostra sicilienne », Hérodote, « Géopolitique des drogues illicites », premier semestre 2004, n° 112, pp. 167-177. 3. Rizzoli Fabrice, OGC, Revue géopolitique, avril 2013. 4. Sirasco (Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée), rapport sur la criminalité organisée en France (2010-2011), Police judiciaire, Paris, 2011, 71 pages, diffusion restreinte (confidentiel) – 172 400 opérations antidrogue, interpellation de 157 500 individus, 129 500 saisies en 2010, 29 millions d’euros saisis (159 millions d’avoirs saisis en 2010) –, page 26. 5. L’économie criminelle pose un problème de définition. Le FMI, sans aucune source ni méthodologie, déclare que la shadow economy représenterait 10 % de l’économie mondiale. Mais de quelle économie s’agit-il ? Les journalistes, quant à eux, utilisent fréquemment l’expression « économie souterraine » pour les activités de trafic de drogue dans les cités françaises. Il existe plusieurs types d’économie de l’ombre. L’économie illégale regroupe toutes les activités illicites


dont la drogue est le premier secteur. L’économie souterraine regroupe les activités qui génèrent des biens et des services légaux mais délibérément dissimulés aux autorités publiques et à leur administration. L’économie informelle représente des activités générant des biens et des services dont la production et la distribution sont légales mais dont les revenus ne sont pas déclarés, le Code du travail n’étant en général pas respecté et les diverses taxes n’ayant pas été acquittées. Ici, l’acteur possède une entreprise mais ne respecte pas les règles (hygiène, travail au noir, cotisations non payées) dans le but express de faire des profits. L’économie criminelle est donc un concept particulier qui regroupe différentes économies mais en exclut d’autres. L’économie criminelle regrouperait ainsi les activités illicites, des parties de l’économie souterraine et de l’économie informelle, ajoutées aux activités légales infiltrées par des agents mafieux. En effet, on ne peut pas positionner dans l’économie criminelle le chef d’entreprise qui ne paie pas ses cotisations ou emploie une personne au noir. On inclura le chiffre d’affaires de cet entrepreneur uniquement s’il a un lien avec le crime organisé, soit que son négoce abrite un trafic, soit qu’il participe à des opérations de blanchiment. 6. Conformément à la convention unique de l’ONU de 1961, la loi française a institué un dispositif de lutte contre la toxicomanie et la drogue inscrit dans le Code de la santé publique ; il s’agit de la loi n° 070-1320 du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et la répression du trafic et de l’usage illicite de substances vénéneuses (J. O. du 3 janvier 1971). 7. Gourarier Laurent, Conférence buprénorphine : colloque toxicomanies, hépatites, sida, (Cannes, 27-30/09/1995). 8. Obradovic I., « La réponse pénale à l’usage de stupéfiants », Tendances, n° 72, novembre 2010. 9. Bauer A. (dir.), La criminalité en France. Rapport de l’Observatoire national de la de linquance, CNRS éditions, 2009 ; Mouhanna C., Matelly J.-H., Police, des chiffres et des doutes, Michalon, 2007. 10. Ibid., note 6. 11. L’Union européenne laisse chaque pays maître de sa réglementation concernant la consommation et la possession pour consommation personnelle de cannabis, comme l’a rappelé en 2005 le commissaire à la Justice Franco Frattini en réponse à l’eurodéputé italien Giusto Catania. Conformément à la décision-cadre de l’Union européenne du 25 octobre 2004 fixant les dispositions minimales sur les éléments constitutifs d’actes criminels et les pénalités dans le domaine du trafic de drogues illicites : « les États membres garantissent que la culture de plantes de cannabis, effectuée illégalement, est un délit punissable. » Cette obligation disparaît dans le cas de culture pour la consommation personnelle parce que, d’après le commissaire Frattini, « l’article 2.2 exclut [de l’interdiction de] la culture de cannabis pour la consommation personnelle, telle qu’elle est définie selon la législation nationale, de la décision-cadre du Conseil. »


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