VERTU numero 29

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tion: nous allions êtres bousculés, choqués, mais nous allions aussi rêver, rire et s’ennuyer. C’est bon aussi parfois, de se laisser son esprit s’envoler: Carlos Raygadas nous y convie, lui, le seigneur des voyages oniriques. Sa dernière œuvre nous plonge dans la puissance de la nature qui va à contrario des effets spéciaux, avec une nostalgie évidente de l’émotion rurale. Un peu à la façon d’Apichatpong Weerasethakul qui était sélectionné cette année hors compétition pour une névrose autour du Mekong. Une déception vite balayée par la famille Cronenberg célébrant le grand retour sur la croisette de l’étrange. On aurait pu croire le fils Brandon éclairé par la beauté, la nature ou les sentiments? Il n’en est rien, et tout comme son père David, son cinéma nous ballade dans les mécanismes de la folie. Univers glauque, gentiment branchouille; mais il a du chemin à faire encore avant de nous happer, comme son père, dans des univers étranges et foisonnant de références. Pas toujours de lecture facile; Cosmopolis, dont on a tous noté les étranges similitudes avec le film de Léos Carax, faisait jubiler le cinéphile tout en laissant le spectateur sur le carreau. Pourtant ce fut une brillante vision apocalyptique de la fin du capitalisme, très dans l’air du temps. Visionnaire? Affabulateur? Qui sait, mais son cinéma lui, est intact c’est ce qui nous plait. Il y a aussi les révélations. Le dernier jour, alors que l’on croyait tout décidé, terminé, que les yeux saturés en sont à refuser tout nouvel exploit, c’est Jeff Nichols qui nous filait cette deuxième grande claque avec son film Mud, allant jusqu’à retourner tous nos jugements de la quinzaine. Il y avait, parmi les habitués de Cannes, un petit pincement du côté de Brad Pitt, qui sous la caméra très léchée de Andrew Dominik servait la dose nécessaire de mafiosos: distrayant mais sans grand intérêt. Ah… si! Une magnifique scène de meurtre au ralenti en 3D qui bat tous les records d’élégance. Discutable. Mais plaisant. Car Cannes a aussi son lot de films franchment pénibles, liste à laquelle j’ai dû ajouter Alain Res-

nais que d’ordinaire j’apprécie, mais cette fois nous conviait à un supplice maximal. Même pensée pour Xavier Dolan, décevant au possible par son embourgeoisement si rapide, happé par les sirènes du confort esthétique. Je préfère encore parler des moments de joie de rire, ou d’étonnement, et il y en avait de très forts. En osant sortir du Palais, j’ai découvert Désordres, le nouveau film d’Etienne Faure au marché du film, qui m’a redonné confiance au cinéma français. J’ai aussi rêvé quelques instants devant une scène de Paperboy où Nicole Kidman m’a ébloui en robe de mariée, me rappelant la vision sublime de Ginger dans Casino. C’était la magie de Lee Daniels, cet amoureux de l’amérique des années cinquante, fourmillante de discriminations et de scandales. Dommage que son délire soit gaché par sa collection de clichés, à savoir Zac Efron en slip à chaque plan…y compris mouillé! On croit rêver. C’est une nouvelle fois du côté du Danemark que mon cœur s’est arrêté avec le film extrêmement troublant de Thomas Vinterberg, tellement prévisible et pourtant si vrai sur le «Principe de Précaution», cette absurdité inventée par le monde politique en coalition avec les média; une véritable machine à tuer. Et question cynisme, le nord de l’europe n’était pas en reste avec Ulrich Seidl venu célébrer le début de sa trilogie sur le Paradis. Il y avait deux scéances de minuit pour des films dits «de genre». Le maître du genre Dario Argento qui a fait vibrer les seventies a brisé le mythe avec sa version de Dracula affligeante de nullité, tandis qu’un petit remake de Maniac par Franck Khalfoun redonnait, lui, des ailes à un secteur en friche. Allez, un dernier petit mot pour la bouffée d’air frais donnée en cadeau par Ken Loach, qui dans une fable humoristique fantaisiste, réussit à glisser l’impossible: une leçon d’humanité violente de beauté. Le Festival de Cannes est sublime pour sa diversité, son audace, ses contrastes. Cette année encore, il a prouvé au monde cette vision incroyablement humble du cinéma.

Reese Whinterspoon et Matthew McConaughey - Mud

Carlos Raygadas - Post Tenebras Lux

Emmanuelle Devos - Membre du Jury

Mads Mikklesen - Jagten

SPECIAL FESTIVAL DE CANNES

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