L'incontournable Magazine 01

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Romain attend que les souvenirs reviennent lui saccager le présent. Allongé sur ce lit sans draps, il attendait de jolis rêves et rien ne vient mis à part un mal de crâne lancinant qui tape sur sa rétine, comme si son cerveau écrasait son nerf optique. Après quinze minutes d'attente, une bouffée d'angoisse part de son ventre, semble vouloir sortir par sa peau, s'échapper par la bouche. En sueur, pris de panique, Romain se relève violement assis dans le lit puis retombe, les yeux révulsés pris dans un rêve qu'il n'aurait jamais du faire.

N

ous sommes en 2011, Romain et Julie ont alors 24 ans, ils se fréquentent depuis quelques mois et prennent leurs premières vacances ensemble. Le vent d'avril balaye les plages désertes de Royan, ramenant le sable sur les dunes, il fait doux et le soleil dore doucement les jambes nues de Julie, assise en tailleur sur le sable. Hors saison. Il ne lui a pas encore dit " je t'aime " mais le mot lui brûle les lèvres depuis des semaines. C'est sans doute l'endroit rêvé pour le faire. Romain plante sa cigarette dans le sable pour l'éteindre et glisse sa main sur la cuisse de Julie, qui fixe toujours l'horizon. Lentement ses doigts se frayent un chemin jusqu'à son entrejambe et la caressent à travers son short en jean. Les lèvres de Romain se posent sur l'épaule de Julie, puis son cou et cherchent enfin sa bouche comme son poignet décrit à présent de petits cercles entre ses cuisses. Jamais il n'avait autant souhaité le dire mais aucun son n'est sorti de sa bouche. Leurs yeux bleus se confondaient alors au ciel et à l'océan, leurs corps entiers faits de cette plage. Ils firent l'amour à cet endroit, ils n'étaient plus qu'un seul être de sable qui glissait entre les dunes, contre le vent, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde, jusqu'à tomber à bout de souffle sur le dos dans un désordre de bras et de jambes ensablés. Jamais Romain n'avait connu autant de paix et de sérénité, tout semblait si simple, rien ne pourrait jamais les séparer. Les souvenirs se mélangent doucement à des rêves dans le demi sommeil de Romain, acheter une maison, un chien, s'endormir tous les soirs contre Julie dans leur vieil appartement sans chauffage sur les Pentes, il faisait si froid l'hiver, qu'ils sortaient pour se réchauffer. De semaines en semaines on finit par prendre de mauvaises habitudes, un soir de Février 2012, l'hiver leur traversait les os, il n'avaient plus à manger et pire encore plus de clopes et plus d'alcool pour oublier la faim, le manque qui fait trembler les doigts et bruler l'âme s'installaient en eux, entre eux. La raison de Romain avait alors dérapé, et s'était raccrochée au visage de Julie. Il l'avait frappée, une fois, une gifle dont le son a résonné dans toute la ville. Le corps de Romain commençait à refuser de se souvenir, l'envie de vomir qui traverse le rêve. Il revivait chaque seconde, la dispute pour une histoire de vaisselle mal faite ou non faite, la rage qui monte en flèche, le contact de sa

main sur la joue fragile. Il n'oubliera plus jamais ce regard, il n'y a pas lu de la douleur, simplement de la tristesse pour lui et ce qu'ils étaient devenus. Elle était partie ce soir là, elle avait balancé des affaires dans un sac à dos et couru vers la porte sans un regard, sans un mot, laissant derrière elle une trainée de silence étouffant. Par la fenêtre, en larmes, Romain l'avait regardée courir à travers la rue Sainte Catherine, foncer dans les gens sans les regarder, ils s'écartaient sur son passage. À l'angle de la rue Terme elle s'était arrêtée pour vomir, de rage. Qu'avait il fait ? Romain n'avait pas dormi, enchainé les cafés et les textos pour s'excuser en attendant qu'elle revienne passer la porte de leur minuscule appartement. Il arrêterait tout, la drogue, l'alcool, les soirées, il trouverait un job, n'importe quoi, si elle revenait. Il se revoyait enfermé dans le noir, dans le hall d'entrée, assis contre le mur à attendre son retour jour et nuit. Aucun signe de vie pendant une semaine. Et puis elle était revenue. Il pleuvait et son maquillage avait coulé sur ses joues, elle était belle comme le soir où ils s'étaient rencontrés deux ans plus tôt. Elle s'est agenouillée près de lui et a passé la main dans ses cheveux, appuyé sa tête contre ses seins, juré que tout irait bien, qu'ils allaient s'en sortir. Ils avaient fait l'amour dans ce hall d'entrée glacial, à même le sol, avec les dernières forces qu'il lui restait il était entré en elle, s'était jeté tout entier dans son corps, jusqu'à ce qu'ils s'endorment sur le carrelage froid, l'un contre l'autre, à peine séparés par leurs peaux épuisées. Ils s'étaient jurés de ne plus jamais être séparés, que l'espace et le temps entre leurs corps leur appartenaient l'un l'autre désormais. L'été avait succédé au printemps puis vinrent l'automne et l'hiver à nouveau, ils étaient partis à Berlin quelques jours en Novembre. Avant de rentrer en stop, chacun de leur coté, ils s'étaient engueulés dans un squat de Treptower Park à cause d'une histoire de drogue, encore une fois Romain avait cru la perdre et tout était rentré dans l'ordre dans les larmes et les cris, les promesses d'éternité. Décembre, les soirées de Noël et les matins de redescente, à trembler à s'en casser en deux, à se gratter au sang et se tordre les os de douleur dans la salle de bain. Il avait fallu faire sans les amis et les parents, parce qu'il n'en restait plus, parce qu'on avait pas eu le choix encore une fois. Le soir du 31 décembre, il fallait fêter ça au moins un peu. Romain avait trouvé l'héroïne qu'on disait être la plus pure de la ville. Un cadeau de Noël en retard pour Julie, leur version personnelle du cadeau au pied du sapin. Ils étaient défoncés bien avant les douze coups de minuit et n'avaient rien vu du feu d'artifice tiré au dessus de la ville. Le matin du jour de l'an Romain s'est réveillé seul sur le canapé du salon, le corps en miettes et peu de souvenirs de la veille, quand il eut enfin la force de bouger ses membres endoloris, il était déjà 15H. Il connaissait par cœur chacune des fissures du plafond, il aurait pu les dessiner toutes de mémoire. Il avait ouvert la porte de la chambre


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