l'Hémicycle - #477

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l’Hemicycle

Agora

À la tribune

Randa Kassis

Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier Rédacteur en chef : Thomas Renou

REMY GABALDA/AFP

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Jean-Pierre Filiu

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José Bové

P. 3

P. 11

« Pour reprendre le Sénat, la droite essaie de le dévaluer » Jean-Pierre Bel, président du Sénat

FRANCOIS GUILLOT/AFP

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Édito

Dossier

Municipales : le retour de la vague

Résidences de tourisme : Faut-il vraiment les politiques au rapport revenir en Libye ?

La Cour constitutionnelle allemande renonce à faire exploser la zone euro

par Éric Mandonnet

par Tatiana Kalouguine

par Jean Quatremer

p. 5

International

p. 6 et 7

Municipales : alerte au PS C’était il y a seulement 10 jours, et déjà une éternité : Harlem Désir, lançant officiellement la campagne, ambitionnait de « conserver toutes les villes à gauche mais aussi d’en conquérir de Gérard Leclerc de nouvelles, beaucoup d’autres ! » Nombre de sortants assuraient que leur implantation locale PRÉSIDENT DE LCP et leur bilan suffiraient à leur réélection, malgré un contexte national difficile. Quelques succès symboliques, comme Marseille ou Aix-en-Provence, masqueraient les pertes de villes moyennes. Las ! Le ton a brutalement changé. Le PS rase les murs, quand JeanFrançois Copé s’enthousiasme de voir « les vents favorables pousser l’UMP vers la victoire ». Ces vents, ce sont d’abord les sondages qui se succèdent sur l’impopularité croissante du pouvoir. Le Président Hollande passe pour la première fois sous la barre des 20 % de confiance selon TNS Sofres.

L’opinion

www.lhemicycle.com

par François Clemenceau

Un œil sur l’Europe

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Or le passé démontre à l’envi qu’un gouvernement impopulaire n’a jamais gagné d’élections intermédiaires. Les vagues roses de 1977 et 2008, ou bleues de 1983 et 2001, en témoignent. Le PS paie au prix fort la non-inversion de la courbe du chômage, l’absence de reprise et les hausses d’impôts. Le pacte de responsabilité en faveur des entreprises désespère la gauche de la gauche. Et pour compléter le tableau, le gouvernement et sa majorité continuent à accumuler les cafouillages, comme sur la loi sur la famille, au désespoir des “bobos” : « C’est Shadok Time », se désole Jean-Christophe Cambadélis. Un autre élément change la donne : le tassement du Front national, qui a dû revoir à la baisse les villes où il pourra présenter des listes. C’est autant de triangulaires en moins qui pénaliseraient la droite. Le journal Le Monde prédit déjà 85 grandes villes menacées pour le PS, comme Strasbourg, Saint-Étienne, Reims ou Metz. Le seul espoir de la gauche est de parvenir à mobiliser un électorat déçu et tenté par l’abstention. Il lui reste six semaines pour éviter un naufrage lourd de conséquences pour le quinquennat.

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Au sommaire • Entretien avec Randa Kassis : « Le problème majeur, c’est la confiance : elle n’existe pas aujourd’hui en Syrie entre ses communautés » > p. 2 • Entretien avec JeanPierre Filiu : « C’est dans l’unité nationale que naîtra une Syrie post-Assad, mais en aucun cas dans une partition » > p. 3 • Passé-présent : Quand les parlementaires se montraient à Poil, par Bruno Fuligni > p. 5 •

Un autre regard, le bloc-notes de Patrick Poivre d’Arvor > p. 10

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BERTRAND GUAY/AFP

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RANDA KASSIS PRÉSIDENTE DU MOUVEMENT DE LA SOCIÉTÉ PLURALISTE

« Le problème majeur, c’est la confiance : elle n’existe pas aujourd’hui en Syrie entre ses communautés » Randa Kassis fut l’une des membres du Conseil national syrien. Après en avoir été exclue, elle a fondé le Mouvement de la société pluraliste, qui réunit des représentants des minorités syriennes (chrétiens, kurdes, alaouites, laïcs) et de la majorité sunnite. Laïque, issue d’une famille chrétienne, elle milite contre la création d’un État islamique en Syrie. Pouvez-vous d’abord rappeler pourquoi vous avez été exclue du CNS ?

c’est de souhaiter la création d’un État islamique.

J’en ai été exclue quand j’ai alerté la communauté internationale sur la montée en puissance des islamistes fondamentalistes en Syrie. J’expliquais qu’un groupe proche d’Al-Qaïda s’y était infiltré. On me reprochait, en affirmant cela, de donner de la crédibilité au discours de Bachar el-Assad, qui ne cessait de discréditer la rébellion, mais c’était un fait. J’étais pourtant bien consciente que Bachar elAssad avait favorisé le terrain à ces djihadistes en Syrie – ils n’y étaient pas au début de la révolte. Certains membres du CNS ne voulaient pas reconnaître ce qu’il se passait, tout comme ils ne voulaient pas reconnaître les exactions commises par les brigades de l’Armée syrienne libre (ASL, nationaliste, N.D.L.R.). J’ai été attaquée, menacée, puis exclue du CNS.

Une coalition rebelle formée de l’ASL, du Front islamique (le plus important groupe de rebelles) et du Front Al-Nosra (djihadiste) ne s’est-elle pas attaquée à l’EIIL (groupe djihadiste proche d’Al-Qaïda) ?

Vous contestez aujourd’hui l’autorité de cette coalition…

Elle ne pèse rien sur le terrain. Aujourd’hui, vous avez trois zones en Syrie : une zone autonome kurde, une zone contrôlée par le régime, et enfin une partie est contrôlée par les islamistes. Vous ne faites pas la distinction entre l’islamisme modéré et les djihadistes ?

Non, l’islamisme modéré n’existe pas, je n’y crois pas. Il n’y a qu’une seule manière d’être un islamiste,

Le Front islamique a décidé de collaborer avec l’EIIL. Je ne crois pas que le Front Al-Nosra ou l’EIIL soient combattus par le Front islamique pour des raisons patriotiques, ce sont des luttes d’influence, des luttes pour conquérir des territoires. Il faut rappeler que l’Armée syrienne libre n’existe plus. Je ne crois pas que le Front islamique considère l’EIIL comme son ennemi, ils luttent pour la même cause : créer un État islamique et l’application de la charia. Qu’ils soient modérés ou fanatiques, ces islamistes ne se battent pas pour la liberté des Syriens. Je vois tous les jours se manifester la haine de certains sunnites contre les chiites, les alaouites, les druzes, les kurdes ou les chrétiens. Je ne peux pas tolérer cela sous prétexte que nous avons un ennemi commun, le régime de Bachar el-Assad. Je ne veux pas que la charia soit appliquée, car elle est la négation de la démocratie, elle nie les droits des individus. En Syrie, il y a 35 % de minorités qui n’accepteront jamais un État islamique et l’application de la charia. Entre le Front islamique et les djihadistes, seule la méthode change.

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Vous dites qu’il n’y a jamais eu de dialogue entre les sunnites et les minorités, que l’unité de la Syrie est impossible. Pourquoi ?

Où est l’unité en Syrie ? Je sais bien que 10 à 15 % des sunnites sont laïcs, mais ils ne peuvent rien faire face à ceux d’entre eux qui souhaitent un État islamique, sauf à prendre le risque d’être persécutés. L’identité est aujourd’hui essentiellement religieuse en Syrie. Dès lors, comment se mettre d’accord sur un projet politique ? Il y a une différence entre nos désirs et les réalités, l’unité du pays sera un long chemin, c’est une question de culture, d’éducation, il faudra plusieurs générations. C’est alors que nous pourrons affirmer que cette révolte était une révolution. Il ne faut pas courir derrière des mots vides de sens, il faut voir ce que nous pouvons faire concrètement pour la Syrie de demain. Vous affirmez que les alaouites n’accepteront jamais de perdre leur pouvoir absolu, et que jamais les sunnites n’accepteront de le partager, s’ils l’obtiennent. Comment espérer la paix ?

Le problème majeur, c’est la confiance : elle n’existe pas aujourd’hui en Syrie entre les communautés. Si on explique aux alaouites qu’ils doivent lâcher le pouvoir et accepter d’être gouvernés par des sunnites financés par des Saoudiens et des Qataris, ils ne l’accepteront évidemment pas. Pourquoi lâcheraient-ils ce pouvoir qu’ils détiennent totalement ?

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Les alaouites vont lutter jusqu’au bout. En revanche, il est possible de les convaincre de lâcher une partie de ce pouvoir. Je crois à un changement progressif, pas à un changement radical. Et vous militez pour une Syrie fédérale…

Oui, c’est la meilleure solution, parce qu’elle pourra fédérer toutes ces communautés pour créer une identité nationale. Au début de la révolte, il s’agissait bien d’un combat entre un régime tyrannique et un peuple aspirant à plus de liberté, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, avec l’appel au djihad, et avec une partie des sunnites disant vouloir exterminer jusqu’au dernier les alaouites et les chrétiens… Vous défendez le processus de négociation engagé à Genève. Pensez-vous qu’une solution puisse en sortir ?

Je défends ce processus politique, effectivement. C’est une pression sur le régime, contraint de faire des avancées, comme lorsqu’il a accepté la création de corridors humanitaires dans les villes assiégées. Je suis d’ailleurs sidérée que certains membres de la coalition aient pu s’opposer à cela, qu’ils souhaitent empêcher les habitants de Homs de sortir d’un enfer, c’est inhumain. Pendant ce temps, le régime, lui, marque des points : il vient de faire un compromis avec certains groupes rebelles, et divise la coalition.

La coalition n’a aucune chance de trouver son unité ?

Non, le seul dénominateur commun, c’est qu’ils sont tous financés par l’Arabie saoudite et le Qatar. Par décret royal, le roi Abdallah d’Arabie saoudite a décidé de punir sévèrement tout citoyen saoudien s’engageant ou soutenant une organisation extrémiste. Un leurre ?

Non, c’est peut-être vrai. Mais y parviendra-t-il ? En étant un peu cynique, je vous dirais qu’il faut une déstabilisation de l’Arabie saoudite pour qu’elle change… Il est aujourd’hui très difficile pour les journalistes d’aller travailler en Syrie. Comment vous informez-vous ?

Je suis en lien avec de nombreux comités locaux dans les territoires en révolte. Je suis également en contact avec des opposants alaouites. J’ai même des informateurs du régime, qui ne sont pas du tout favorables à la politique menée par Bachar el-Assad. Des alaouites qui souhaitent le départ d’Assad ?

Oui, ils me disent qu’ils ne se battent pas pour Assad, c’est pour eux un combat existentiel. Quand vous êtes dans un combat existentiel, la pensée disparaît, et vous êtes prêt à tout.

Propos recueillis par Thomas Renou


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JEAN-PIERRE FILIU PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS À SCIENCES PO (PARIS)

« C’est dans l’unité nationale que naîtra une Syrie post-Assad, mais en aucun cas dans une partition » L’historien Jean-Pierre Filiu, ancien diplomate en poste en Syrie, a passé l’été à Alep, une ville qu’il connaît bien. Une ville devenue un enfer, déclarée « zone interdite » à la presse internationale, depuis le rapt en juin 2013 de deux journalistes d’Europe 1. Il livre son témoignage dans un ouvrage : Je vous écris d’Alep (Denoël). Quelle analyse faire du premier round de la conférence de paix sur la Syrie qui s’est achevée vendredi 31 janvier, à Genève ?

La communauté internationale s’est focalisée sur Genève 2, en perdant le sens de l’atroce réalité du terrain, je trouve cela troublant. Loin de régler les problèmes de la Syrie, cela crée un processus de distanciation tout à fait redoutable, dont les résultats, décalés, n’ont absolument aucun impact sur le terrain, positif ou négatif.

sentants de la révolution, c’était pour ces diplomates courir le risque de subir une punition physique du dictateur syrien. Ce dernier est incapable de faire la moindre concession, car son régime repose sur un pouvoir absolu, animé par une terreur de masse. Que devrait faire la communauté internationale ?

Pour l’instant, la communauté internationale a parlé pour ne rien faire, ce qui est pire que tout.

Pourquoi ?

C’est-à-dire ?

Genève 2 est conçu comme si la Syrie était le théâtre d’une guerre par procuration, une négociation de forces extérieures au conflit, qui le couvrent ou cautionnent. Nous sommes dans ce pays face à une révolution qui, certes, a pu ouvrir des possibilités d’interventions extérieures, de la surenchère confessionnelle, des polarisations internationales, mais il faut la traiter comme une révolution. Lors de ce Genève 2, le sort de Bachar elAssad aurait dû être au cœur de toutes les discussions. Tant que son sort n’est pas tranché, il n’y a malheureusement aucun avenir pour la Syrie.

Déjà, en juin 2011, des révolutionnaires me disaient: « Vous, les Occidentaux, n’allez rien faire, alors taisez-vous! Si vous parlez, vous allez nous affaiblir face à la propagande de Bachar el-Assad, et vous susciterez des attentes dans la population qui vont être déçues. Vous aggraverez le désespoir et ouvrirez un boulevard aux djihadistes ». C’est exactement ce qui s’est passé. Nous les avons laissés mourir. Aujourd’hui, si l’on ne veut pas s’occuper du responsable de cette crise, Bachar el-Assad, alors nous devons assumer ce renoncement et ses conséquences, comme la naissance de ce sanctuaire djihadiste qui, je le rappelle, n’existait pas au début de la révolution. Ce qui est frappant, c’est l’absence d’autocritique de la communauté internationale sur la politique qui a mené à un tel désastre, résultat de notre complicité passive avec Bachar el-Assad, et de la complicité active de la Russie et de l’Iran.

Ce qui tranche avec Genève 1…

Ce round diplomatique de Genève 1, signé en juin 2012, ne souffre d’aucune ambiguïté, voilà pourquoi il a été rejeté avec constance par le régime de Bachar el-Assad. Il prévoyait une transition politique agréée par les deux parties. À Genève 2, Assad n’a donc pas envoyé des plénipotentiaires politiques, mais des diplomates pour discuter avec des pays étrangers de leur ingérence, et pour contester la légitimité de la délégation révolutionnaire qui leur faisait face. Accepter la légitimité de ces repré-

Tous les pays n’ont pas été passifs, et notamment la France, qui a une longue histoire commune avec la Syrie. Est-ce qu’elle a eu raison de vouloir agir ?

François Hollande est le seul diri-

geant occidental à avoir conservé face à la crise syrienne dignité, respect et clairvoyance. J’ai vu dans l’attitude du président de la République des accents mitterandiens: un choix courageux en termes de politique intérieure (cette intervention n’était pas populaire), mais qui correspond aux intérêts à long terme des peuples de la région, et donc à l’intérêt de la France, qui a besoin que ces pays puissent développer leurs droits collectifs. François Hollande est allé le plus loin possible. Il faut se souvenir que le 30 août 2013, alors qu’une intervention militaire ponctuelle était prête, nous avons été lâchés, abandonnés par les États-Unis, ce qui constitue à mon sens un événement très grave dans les relations francoaméricaines. Tant que n’est pas restaurée une alliance avec les ÉtatsUnis face au pire sujet d’insécurité mondiale, la France est condamnée à l’impuissance, car elle ne peut pas œuvrer seule sur un sujet aussi grave. Vous avez mis en cause ceux qui misent sur une partition de la Syrie, une erreur tragique selon vous.

Je suis historien. Ce qui anime le mouvement national syrien depuis les origines, depuis plus d’un siècle, c’est l’unité du pays. C’est très frappant de voir les deux drapeaux: celui de Bachar el-Assad a deux étoiles, qui représentent la Syrie et l’Égypte. C’est le drapeau de la République arabe unie…

Voilà, c’est la nostalgie d’une Syrie qui disparaîtrait dans une entité arabe plus grande. Le drapeau des révolutionnaires a trois étoiles, qui représentent Damas, Alep et Deir ez-Zor. C’est un drapeau qui date de 1932 et qui avait

été opposé aux Français, car ceux-ci avaient découpé la Syrie en cinq États différents. C’est dans l’unité nationale que naîtra une Syrie post-Assad, mais en aucun cas dans une partition. À Alep, comme partout en Syrie, le travail d’information est devenu difficile, comment jugez-vous le traitement médiatique de ce conflit, aujourd’hui? Vous dites souvent que la propagande d’Assad fonctionne très bien…

Je veux d’abord rendre hommage à tous les journalistes qui ont pris des risques énormes pour continuer de couvrir le conflit syrien, à mes amis Didier François et Nicolas Hénin, ainsi qu’à leurs compagnons Pierre Torrès et Édouard Elias, qui sont toujours retenus en otage. Bachar elAssad a largement remporté la bataille de la communication. Son discours est extrêmement brutal, il est toujours le même depuis le début, et dans nos sociétés de zapping, un discours brutal répété un million de fois finit par s’imposer. Dès le premier jour de la révolution, il a évoqué un complot international de djihadistes souhaitant déstabiliser la Syrie. C’est devenu l’analyse dominante. Par ailleurs, selon vous, les Français seraient aveuglés par le prisme libanais…

Le prisme d’interprétation libanais ne fonctionne pas en Syrie. Nous projetons des catégories qui ne sont pas celles de la Syrie. Ce pays est infiniment plus complexe que le Liban, et ses formes d’organisation ne sont pas celles des communautés libanaises. À Alep, des sunnites affrontent des sunnites…

Et ces sunnites sont arabes et kurdes, sans que cela constitue une diffé-

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rence. La réalité de la Syrie est très différente de celle du Liban, de l’Irak, mais par défaut, nous utilisons des lunettes qui viennent des pays voisins. Vous dites qu’Alep pourrait constituer le laboratoire d’une transition politique. Comment voyez-vous la situation évoluer ? Que peut-on espérer pour la Syrie ? Qu’espérez-vous personnellement ?

J’étais désespéré, du fait des bombardements quotidiens à Alep – beaucoup de personnes que je connaissais y ont perdu la vie. Ces dernières semaines, les révolutionnaires ont trouvé l’énergie de lancer ce qu’ils appellent leur seconde révolution contre Al-Qaïda, et ils sont en train de la gagner. Ils se battent aujourd’hui sur deux fronts: contre Assad et les djihadistes. Ils se battent sur deux fronts, plus isolés que jamais, et en même temps, avec un moral incroyable. Je pense que nous pourrions inverser la dynamique de Genève, non en partant du haut, car nous serions très vite bloqués par les diktats d’Assad, mais en partant de la base – et Alep me semble une base opérationnelle – pour une transition politique à l’échelon local. Alep rassemble deux millions d’habitants: un million à l’Est, sous contrôle révolutionnaire, et un million à l’Ouest sous contrôle d’Assad. Entre eux s’est dressée une frontière artificielle. Il faudrait un cessez-le-feu local, qui permettrait de soulager les souffrances des deux côtés, puis mettre en place des mesures de confiance. On peut rêver ensuite à la mise en place d’une autorité locale mixte. Voilà ce qui constituerait, selon moi, le laboratoire de l’après-Assad.

Propos recueillis par T.R.


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Aux Quatre Colonnes

Le Sénat veut redorer son blason Face au Sénat bashing ambiant, les sénateurs socialistes montent au créneau, le président Jean-Pierre Bel en tête. Ils préviennent ceux qui doutent de l’utilité de la Haute Assemblée : ces sarcasmes insistants pourraient nourrir l’antiparlementarisme. Par Pascale Tournier ’affaire n’a pas fait beaucoup de bruit. Elle peut même paraître anodine. Et pourtant une mini-révolution a eu lieu dans les couloirs du Sénat, il y a deux semaines. À l’initiative du président Jean-Pierre Bel, les règles d’accès des journalistes au Sénat ont été grandement assouplies. Le sens de la démarche : « Faire de la salle des Conférences un lieu d’échange avec les sénateurs, à l’image de la salle des Quatre Colonnes de l’Assemblée nationale », explique le communiqué. Il y a, en effet, urgence à changer l’image du palais du Luxembourg. Depuis quelques mois, le Sénat est

L

l’objet de nombreuses attaques. Car semaine après semaine, les textes structurants de la majorité, comme le budget, les retraites et la loi sur le non-cumul, sont rejetés. L’actualité récente l’a encore montré. Si le projet de loi sur le logement a été adopté en deuxième lecture, la proposition de loi de Florange a été retoquée. Pas étonnant que l’expression « Triangle des Bermudes », fasse florès dans la majorité. Lancée par le député PS Jean-Jacques Urvoas et la sénatrice PS Laurence Rossignol, elle a été reprise par le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, qui y a ajouté la men-

pour défendre la qualité et le sérieux du travail accompli. Que deux tiers des propositions de lois présentées en 2013 émanent des sénateurs est souvent souligné. Lors de ses vœux, le patron des sénateurs PS, François Rebsamen, qui a qualifié les propos du chef de l’État de « mauvaise blague », a aussi rappelé que « si la gauche n’était pas majoritaire au Sénat, la tâche du gouvernement serait encore plus difficile ». Pour le porte-parole du groupe PS Jean-Jacques Mirassou, les sénateurs sont très appréciés sur le terrain. « Il y a un véritable décalage entre le microcosme parisien et la réalité locale. Les maires, en particulier, ont été par

tion : « engloutit la quasi-totalité des textes démocratiques ». Sur les bancs des sénateurs UMP, le président socialiste Jean-Pierre Bel a aussi le droit au surnom « Jean-Pierre Babybel », en référence à sa mollesse supposée. Même le président de la République a rejoint le cortège des voix agacées de la majorité. En marge de ses vœux à Tulle, François Hollande a lâché sur le ton de la plaisanterie comme il sait si bien le faire : « Je n’ai jamais été candidat comme sénateur, c’est le seul regret que je peux nourrir. Enfin je ne suis pas sûr que ce soit un regret. » Devant ce Sénat bashing généralisé, les sénateurs PS montent au créneau

exemple très satisfaits des modifications apportées sur la loi sur le logement. Il n’y a pas de sous-classes de parlementaires déficients et je préfère être sénateur que député ! » Pour le président PS de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Beaucoup de textes sont adoptés au palais du Luxembourg. « De nombreuses PPL votées au Sénat attendent même de passer devant l’Assemblée nationale », précise-t-il. Alors que le sénateur UMP Gérard Larcher a confirmé son envie de briguer la présidence du Sénat, le président JeanPierre Bel, pourtant peu habitué à s’exposer, se met à sortir les crocs.

« Pour reprendre le Sénat, la droite essaie de le dévaluer » Ce qui est dit est insupportable mais pas très différent de ce qu’on a pu entendre par le passé. Depuis le début de la Ve République et de manière régulière, le Sénat est mis en accusation. Ce fut d’abord le général de Gaulle, puis Lionel Jospin, enfin la droite. Ceux qui veulent changer de République portent aussi sur le bicamérisme un regard souvent teinté d’une forme d’ignorance et de mépris qui m’a toujours surpris. Mais attention les critiques portent aujourd’hui sur le Sénat. Demain, elles seront dirigées contre l’Assemblée nationale puis contre le personnel politique. La question de l’utilité du Sénat revêt-elle un sens aujourd’hui ?

S’il faut mettre dans le débat la question des institutions, j’y suis prêt. Au Sénat, le travail est opéré avec sérieux et qualité. Que serait ce pays si la loi était élaborée au terme d’une seule lecture, quand on connaît les imperfections qu’elle peut comporter à ce niveau ? Je suis pour le bicamérisme à la française. Toute spécialisation du Sénat sur les questions liées aux collectivités locales nous amènerait à s’interroger sur son rôle. Des textes importants du gouvernement comme le budget ou les retraites n’ont pas été votés au Sénat. L’Institution n’est-elle pas fragilisée ?

Certains ont vu le Sénat passer à

gauche et ils ne comprennent pas pourquoi les textes du gouvernement ne sont pas votés. Certes, cela peut donner l’impression qu’on ne maîtrise rien. Mais la majorité qui soutient le président du Sénat n’est pas la majorité gouvernementale. Mes prédécesseurs ont voulu faire croire qu’il existait une communauté sénatoriale au-delà des appartenances partisanes, c’est faux. On demeure une assemblée politique, avec des groupes qui se déterminent en fonction de leurs propres positionnements, surtout à l’approche des échéances électorales.

Parmi les attaques qui circulent, certaines vous visent directement.

La non-levée de l’immunité parlementaire de Serge Dassault a encore contribué à alourdir l’image conservatrice de la Haute Assemblée…

J’ai toujours été le premier à soutenir le président de la République. Mais comment voulez-vous que j’intéresse la presse, si je dis du bien de François Hollande ? Je sais que je peux être désespérant pour les journalistes. Mais les règles du jeu médiatique actuel ne m’intéressent pas. Aujourd’hui on doit être capable de dire n’importe quoi et si possible du mal de ses

La justice vient de nous saisir à nouveau pour le cas de Serge Dassault, je vais proposer au bureau du 12 février le retour du vote à main levée pour les demandes de levée d’immunité.

On m’a toujours sous-estimé, je prends cela avec le sourire. Plus généralement, on a fait vivre l’alternance au Sénat, face à une droite qui prenait l’institution pour sa propriété. Pour reprendre le Sénat, la droite essaie donc de le dévaluer. Elle fait feu de tout bois. On vous a reproché de ne pas être en première ligne quand l’exécutif était en difficulté ou de briller par votre absence médiatique.

«

JE PEUX ÊTRE DÉSESPÉRANT POUR LES JOURNALISTES »

Je rappelle aussi que nous avons été capables de faire lever l’immunité parlementaire pour certains de nos amis comme Robert Navarro et Jean-Noël Guérini. De son côté, l’Assemblée nationale ne s’est pas toujours employée à le faire.

4 L’HÉMICYCLE

Questions à

petits camarades. Susciter une dépêche de l’AFP, c’est la consécration, tandis que parler de sujets sérieux et utiliser un ton respectueux attirent peu l’attention. Peut-être faut-il que j’en tire les conséquences.

NUMÉRO 477, MERCREDI 12 FÉVRIER 2014

BERTRAND GUAY/AFP

Comment réagissez-vous au Sénat bashing ambiant ?

JEAN-PIERRE BEL PRÉSIDENT DU SÉNAT Quelles réformes de fonctionnement comptez-vous mener dans les prochains mois ?

Mon prédécesseur avait commencé à travailler sur le niveau de vie de cette maison. Nous avons continué. Le budget a été baissé. Bien avant l’Assemblée nationale, les règles de répartitions de la réserve des sénateurs sont transparentes. Je suis doté moi-même comme sénateur de l’Ariège et non comme président du Sénat. Pour les chantiers à venir, j’ai demandé un travail de dépoussiérage de nos

méthodes de travail. La réforme de 2008 a bousculé notre façon de fonctionner. Durant les semaines gouvernementales, les cadences sont infernales. Lors des semaines d’initiatives parlementaires, le rythme est plus léger. Une résolution a aussi été adoptée par le bureau du Sénat. Elle vise l’application de règles plus contraignantes pour sanctionner les absences des sénateurs. La commission des lois a été saisie sur ce sujet.

Propos recueillis par P.T.


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Édito

Municipales : le retour de la vague

L’opinion d’Éric Mandonnet ongtemps, les socialistes se sont rassurés : bien sûr, le premier tour des élections municipales serait mauvais, mais, grâce au second, ils réussiraient à sauver les meubles. Quelques villes viendraient contrecarrer une impres-

L

vague il y a, elle est alors d’autant plus spectaculaire. La gauche surfe sur une trop longue série de municipales plutôt réussies pour ne pas redouter celles des 23 et 30 mars. Gagner Marseille ? Ce fut, cela reste encore, l’espoir principal. Mais la situation sur la Canebière se complique sérieusement : outre que Jean-Claude Gaudin semble retrouver en campagne une combativité que l’on croyait perdue, la candidature de l’ancien président de l’Olympique de Marseille, Pape Diouf, électeur de François Hollande le 6 mai 2012, n’arrange pas les affaires du socialiste Patrick Mennucci. Le chef de l’État n’a pas réussi à l’en dissuader, ce qui est un signe de son affaiblissement politique. Les sondages étaient rassurants ? Les ténors de la gauche commencent à ne plus les croire. D’ailleurs, voici que certaines pertes sont annoncées, à commencer par Reims,

dont la logique voudrait qu’elle retourne à droite. Dans les grandes villes, d’autres menaces pèsent, que ce soit à Saint-Étienne ou à Metz. Il faudrait au moins garder Toulouse, ou la bérézina ne sera pas loin. Et dans les villes de taille moyenne, les chutes devraient être légion. C’est maintenant que les élections municipales se jouent. C’est maintenant que l’exécutif se remet à accumuler bourdes et couacs, après un mois de janvier moins pire que d’autres mois. Ce n’est donc pas un hasard si Anne Hidalgo, qui veut éviter que même la capitale ne tombe dans l’opposition, se remet à tirer à boulets rouges sur le gouvernement. La semaine dernière, le cafouillage, à enseigner dans toutes les écoles de communication publique et de sciences politiques, autour de la loi sur la famille, a réussi à ne faire que des mécontents. À droite, bien sûr, à gauche tout autant. Comment,

dans ces conditions, mobiliser son propre électorat, alors que le danger numéro un pour les socialistes s’appelle l’abstention ? Le Président bat des records d’impopularité, tombant sous les 20 %, le Premier ministre redevient la cible de ses propres camarades, les icônes gouvernementales, Manuel Valls, champion des sondages, Christiane Taubira, chouchou de la gauche, trébuchent simultanément. La droite a beau ne pas être flamboyante, elle se retrouve en situation de tirer les marrons du feu. Comme elle l’avait été en 1983, deux ans après la victoire de François Mitterrand, comme la gauche l’avait été en 2008, un an après celle de Nicolas Sarkozy. Vu l’état actuel de ses forces, la première haie électorale qui se présente à François Hollande dans son quinquennat s’annonce dorénavant très périlleuse. SIDONIE MANGIN

CHATIN/EXPANSION-REA

sion d’ensemble négative et rééquilibrer la lecture médiatique. Cette petite musique, on ne l’entend plus aujourd’hui. Le pouvoir redoute le pire pour le rendez-vous de mars. Personne n’ose le dire publiquement, mais responsables du PS comme ministres envisagent désormais un scénario noir, celui du glissement de terrain qui emporterait tout ou presque. Une étude du Figaro (publiée dans l’édition du 15 janvier) a souligné la rareté des alternances à l’échelon des communes. En 31 ans, la France a vécu sept alternances, mais aucune commune de plus de 100 000 habitants n’en a connu plus de trois en 55 ans ! Être sortant est un défaut rédhibitoire lorsque l’on exerce les responsabilités du pays, être sortant est un atout considérable lorsque l’on est à la tête d’une commune. Les socialistes ont voulu croire cette vérité des urnes. Sauf que… Quand

Passé-présent

Quand les parlementaires se montraient à Poil es incursions de la presse dans la vie privée des politiques n’ont rien de tout à fait neuf et c’est ainsi que le journal L’Éclair publiait, il y a un siècle, cet aveu bizarrement exhibitionniste du sénateur Le Peletier d’Aunay : « Je vous autorise bien volontiers à m’inscrire parmi les membres du comité du centenaire d’Hégésippe Simon ; mais, à mon vif regret, je prévois qu’il me sera sans doute difficile de me trouver à Poil… » Voyeurisme et presse people avant la lettre ? Pas tout à fait : petite commune de la Nièvre, Poil avait été choisie comme ville natale d’un « précurseur de la démocratie » dont le seul défaut fut sans doute de n’avoir jamais existé… Un plaisantin de haute volée, l’imprimeur montmartrois Paul Birault, avait créé de toutes pièces cet Hégésippe Simon, improbable synthèse du peintre Hégésippe Moreau et du républicain Jules Simon. Censément né en 1814, le grand homme devait avoir sa statue pour son centenaire, le 31 mars 1914,

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PAUL BIRAULT même si aucun dictionnaire, ni la plus compendieuse encyclopédie,

ne mentionnait quoi que ce soit au sujet de cet esprit éclairé, dont le

La concordance des temps de Bruno Fuligni HISTORIEN

comité d’honneur ne citait qu’une haute maxime : « Les ténèbres s’évanouissent quand le soleil se lève. » Un prénom grandiloquent et une sublime tautologie suffirent à emporter l’adhésion de neuf députés, quinze sénateurs et trois conseillers de Paris, dont les lettres enthousiastes furent livrées au public. Parmi les victimes, quelques prises de choix : outre le sénateur Le Peletier, comte d’Aunay, descendant de Vauban et ancien ambassadeur, citons René Besnard, docteur en droit et député de Tours, le sénateur Aimond, polytechnicien, rapporteur général de la commission des finances, son collègue Lintilhac, agrégé de l’université, ou encore le sénateur Maurice Faure, de la Drôme, ancien ministre de l’Instruction publique… Sans oublier l’ineffable Ferdinand Sarrien, ancien président du Conseil, celuilà même que Clemenceau appelait : « Ça ? Rien ! » La pêche aurait pu se révéler plus abondante encore si Paul Birault avait sollicité l’ensemble des élus

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nationaux, mais L’Éclair, organe de la droite antiparlementaire, ne voulut viser que les radicaux, comme le rappelle Jean-Louis François dans son étude très documentée, 1914, un centenaire (Mille et une nuits). Ces réjouissances égaillèrent grandement les premiers mois de l’année 1914. Un dernier éclat de rire avant les éclats d’obus… Bientôt l’actualité passa de Poil aux poilus ; Paul Birault s’éteignit en 1918, sans doute victime de la grippe espagnole, puis les inaugurations de monuments aux morts succédèrent aux statues de précurseurs. Au moment du centenaire de la Grande Guerre, ayons tout de même une pensée pour Hégésippe Simon. Fut-il vraiment à l’origine, comme le déclara Roland Dorgelès, de « la laïcisation des poids et mesures » ? Rien n’est moins sûr ; mais le Précurseur, s’il n’exista guère, n’en réussit pas moins à condenser sur son nom tout l’esprit d’une époque où l’humanisme le disputait à l’humour.


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Résidences de tourisme : les p Les faillites d’exploitants de résidences et les baisses de loyers forcées se poursuivent dans le secteur des résidences de tourisme. Les propriétaires ulcérés s’organisent et commencent à se faire entendre au plus haut niveau. Par Tatiana Kalouguine es dizaines de milliers de propriétaires piégés par des investissements en résidences de tourisme reprennent espoir : leur cas commence à être pris très au sérieux par le gouvernement depuis la faillite d’un énième exploitant de résidences, la société Tourisma Vert, fleuron du tourisme corrézien. Intervenue le 18 novembre dernier, la liquidation judiciaire de cette entreprise qui exploitait six villagesvacances sur le département a brutalement privé de leurs revenus locatifs quelque 300 familles, propriétaires des chalets. Loin d’attirer les touristes, cette situation a créé des résidences « fantômes » dans les communes, et privé d’emploi des dizaines de salariés et de saisonniers. Aujourd’hui l’affaire tourne au vinaigre. Un nouvel exploitant, Terre de France, tente de s’imposer malgré la résistance de plusieurs villages. Les propriétaires floués envisagent de se retourner contre Tourisma Vert pour avoir vendu des biens immobiliers leur appartenant par destination (ballons d’eau chaude, radiateurs, éviers). Sûr que Bernadette Chirac et d’autres élus locaux se mordent les doigts d’avoir qualifié en 2011 dans la presse Tourisma Vert de « chance pour le territoire ». D’autant que la preuve est faite aujourd’hui que les dirigeants de cette société n’avaient rien de vertueux (encadré).

Les « majors » renégocient les baux Mais Tourisma Vert est loin d’être la première société à avoir profité sans état d’âme du juteux marché des résidences de tourisme avant de jeter l’éponge et de précipiter les propriétaires devant les tribunaux. Avant elle, les sociétés Transmontagne, Mona Lisa, Quiétude Évasion, LTB ou encore Rhode Tourisme avaient déjà défrayé la chronique pour des affaires similaires, sans réaction notable des politiques. Or depuis un an les choses s’accélèrent. Confrontées à la baisse de leurs revenus, les principales « majors » du secteur tentent de renégocier à la baisse les montants des loyers versés aux particuliers propriétaires des murs : Lagrange,

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Hameaux de Miel, Corrèze Odalys, Park & Suites, Eurogroup, MMV et même Pierre & Vacances, toutes voudraient passer outre les fameuses « garanties » pourtant inscrites dans les contrats de bail (encadré). Ces baisses de loyers ont parfois des conséquences dramatiques pour les ménages les moins aisés, certains ayant souscrit des prêts équivalents au montant de leurs revenus locatifs. Les victimes sont de plus en plus nombreuses, à en croire Georges Guérin, le président de la Fédération nationale des associations de propriétaires de résidences de tourisme (FNAPRT) : « Après un an d’existence la fédération compte 40 associations, représentant 5 000 foyers. Depuis janvier

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les demandes de renseignements se multiplient. Je pense que ce problème représente au moins deux fois plus de personnes en France. » Certains observateurs avancent le nombre de 20 000 ménages touchés, en France et à l’étranger – environ 10 % des investisseurs seraient étrangers, essentiellement britanniques, irlandais et belges.

Moratoire sur les redressements fiscaux Alertés par la FNAPRT après le désastre Tourisma Vert, les élus de Corrèze ont donc fini par réagir. Or il se trouve que plusieurs d’entre eux ont l’oreille du président de la République. À commencer par Bernard Combes, vice-président du

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conseil général de Corrèze et proche conseiller de François Hollande. Dans deux courriers estampillés « présidence de la République », que nous nous sommes procurés, Bernard Combes enjoint Sylvia Pinel et Bernard Cazeneuve à accorder « une attention toute particulière » à ce dossier, et rend compte des revendications des associations : « Compte tenu de la situation difficile de nombreux propriétaires, ils demandent un moratoire sur les redressements fiscaux en cours dans les cas de défaillance du gestionnaire, de non-renouvellement du bail d’origine par le gestionnaire, de redressement lié à une faute du gestionnaire et d’absence du gestionnaire ou d’absence de mise en service de la résidence. »

Depuis, le ministère du Tourisme a pris langue avec les représentants de propriétaires. Il leur propose en particulier de participer aux travaux préparatoires des Assises du tourisme qui se tiendront en avril prochain. Une autre personnalité corrézienne à avoir été sensibilisée, Sophie Dessus, députée et maire d’Uzerche, fait elle aussi bouger les lignes. Son amendement au projet de loi Alur (n°634), déposé avec le député d’Isère François Brottes et adopté le 10 janvier, permettra de protéger les propriétaires qui veulent changer d’exploitant contre d’éventuelles mesures de rétorsion de leur ancien exploitant.


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s politiques au rapport Défiscalisation « pousse-au-crime » Des avancées certes, mais qui ne résolvent pas le fond de l’affaire. Pour les avocats défenseurs des propriétaires, le bail commercial serait bien trop favorable aux intérêts de l’exploitant et inadapté à ce type d’activité. La FNAPRT voudrait une prise de conscience des politiques : « Le propriétaire se retrouve pieds et poings liés avec un preneur qui peut baisser les tarifs de location. De son côté il ne peut pas résilier le bail sous peine d’indemnité d’éviction. Or le fonds de commerce de l’exploitant ce sont nos baux, c’est nous qui avons réalisé l’investissement immobilier ! », se lamente Georges Guérin. Il reste étonnant qu’autant de particuliers se laissent séduire par ces produits presque trop beaux pour être vrais, offrant des rendements pouvant aller jusqu’à 5 %. Or les biens en location meublée non

professionnels (LMNP) vendus comme des placements simples et sans risques reposent en réalité sur des montages financiers complexes qui échappent totalement à l’acheteur non initié. « Face à de telles dérives, les intermédiaires devraient jouer à plein leur rôle de conseil et de mise en garde. Mais dans la réalité c’est la logique commerciale qui prévaut », note un avocat. « Le marché du LMNP repose sur la confiance. Or ces produits sont commercialisés par les plus grandes entreprises d’intermédiation et par les réseaux bancaires. Et surtout il ne faut pas oublier que ces produits défiscalisés sont encouragés par l’État et que ce sont les municipalités qui donnent les permis de construire », souligne Franck Lebosse, associé d’ARH Actisource. Franck Lebosse n’est pas le seul à pointer les dispositifs de défiscalisation comme un pousse-au-crime. Nombreux sont ceux qui réclament

la suppression pure et simple du dispositif Censi-Bouvard, dernier dispositif actif après une longue série (Malraux, Scellier, Girardin, Demessine…). En décembre, 30 députés ont même déposé deux amendements au projet de loi de finance rectificative pour que soient retirées les résidences de tourisme du périmètre de ce dispositif. « La fuite en avant actuelle conduit à devoir toujours construire plus pour espérer atteindre le seuil de rentabilité. Favoriser la création d’une bulle spéculative avec l’argent du contribuable n’est pas acceptable alors même que le gouvernement cherche à économiser dans tous les domaines », faisaient valoir les députés. Les deux amendements ont été rejetés.

Le dispositif Censi-Bouvard sur la sellette Plus hardis, les sénateurs ont adopté le 26 octobre un amendement à la loi Alur prévoyant une

étude gouvernementale sur le Censi-Bouvard avant la fin 2014. L’objectif est de mesurer le coût et l’efficacité de ce dispositif, ainsi que le nombre de logements de chaque catégorie en ayant bénéficié (résidences de tourisme, étudiants, seniors, EHPAD). Bien qu’estimé à la louche aux alentours de 180 millions d’euros, le CensiBouvard n’avait jamais été évalué depuis son lancement, pas même au moment de son renouvellement pour quatre ans, fin 2012. De moins en moins populaire, la niche fiscale Censi-Bouvard pourrait donc, à terme, disparaître pour les investisseurs en résidence de tourisme. Et, comme l’espèrent les associations de victimes, permettre ainsi d’assainir le marché. Mais il y a de grandes chances que ce dispositif soit maintenu pour les investissements dans les autres LMNP, à savoir les résidences étudiantes, senior ou EHPAD.

La faillite de Tourisma Vert le 18 novembre 2013, ne doit pas grand-chose au manque d’attractivité de la Corrèze, mais beaucoup aux pratiques douteuses de son dirigeant, Hervé Robert, et de ses partenaires. Décryptage Entre le premier et le dernier hameau construit, le promoteur a considérablement augmenté les prix de vente de ses chalets, de l’ordre de 80 %. Ces « survaleurs » ont permis de grassement rémunérer (près de 13 % du prix de vente) le commercialisateur exclusif des chalets, le cabinet Winner-Winner dont le dirigeant n’était autre qu’un des actionnaires fondateurs de Tourisma Vert – sorti du capital entre-temps. Une autre partie des survaleurs est reversée à Tourisma Vert sous la forme de « fonds de concours », opération d’autant plus facile que les deux sociétés appartiennent à la même holding. Ces fonds servent à payer une partie des loyers aux propriétaires, car la rentabilité de 4 % à 5 % annoncée dans le bail n’est pas tenable. Résultat, vers la fin des années 2000, au plus fort des fonds de concours, les propriétaires avançaient sans le savoir dans le prix d’achat une partie de

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Tourisma Vert, un désastre annoncé

Hameaux de Pomette, Lot leurs revenus futurs ! Un procédé intenable sur la durée. En 2011 les ventes faiblissent, la moitié des chalets des « Hameaux de Pomette » ne trouvent pas preneur. Avec pour conséquence un manque à gagner de 2,6 millions d’euros et un tarissement du fonds de concours. Les loyers du premier semestre 2012 ne sont pas payés, la société se place sous le régime de la sauvegarde en octobre. Les copropriétaires regroupés en associations se voient proposer un plan de restructuration : ils doivent renoncer aux loyers du premier semestre 2012 et accepter une baisse de loyer de 30 %. Une partie d’entre eux refuse le deal. La liquidation est prononcée un an plus tard.

Les loyers pas si « garantis » Destinée à rassurer l’acheteur d’un bien en « loyer meublé non professionnel » (LMNP) la fameuse « garantie » des revenus locatifs prévue dans le bail fait partie des critères qui déterminent l’acte d’achat. Pour autant elle est allègrement remise en cause par un nombre croissant de sociétés d’exploitation de résidences, dès lors que leurs propres revenus sont menacés. Les moyens pour y parvenir frôlent parfois la légalité. Ils n’ont cependant jamais été remis en cause par la justice.

Florilège – Résitel et Soderev, deux filiales du groupe Lagrange (troisième opérateur français du secteur) en situation de déficit, ont demandé leur placement sous sauvegarde judiciaire en 2012, avant de réclamer aux propriétaires des avenants au bail entérinant des baisses de loyers significatives. Bizarrement, la société de tour-opérateur du même groupe Lagrange, basée aux Pays-Bas, est florissante. L’activité de Résitel vient de redémarrer sur décision du tribunal de commerce, après révision à la baisse de ses charges locatives… pour combien de temps ? Les propriétaires de Soderev seront fixés sur leur sort en mars.

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Avec les mêmes risques de dérive. En privé, certains députés enragent. « Le Censi-Bouvard devait mourir de sa belle mort fin 2012. Il a fallu que Jérôme Cahuzac nous le remette sur le tapis ! », peste l’un d’entre eux. De fait, le 14 novembre 2012, c’est bien le ministre de l’Économie et des Finances de l’époque qui dépose un amendement de dernière minute à la loi de finance pour 2013, visant à prolonger de quatre ans le dispositif. « Je tiens à le souligner, cette prorogation s’appliquera également aux résidences de tourisme, qui permettent la création de nombreux emplois et contribuent incontestablement à l’attractivité touristique de notre pays », déclare alors le ministre devant les députés. L’amendement est voté sans anicroche. Trois semaines auparavant, le 30 octobre 2012, l’agenda du ministre indiquait une rencontre avec Gérard Brémond, PDG de Pierre & Vacances.

– Montagne Mer Vacances (MMV) : environ 1 000 des 2 200 propriétaires de résidences Proméo Village Center rachetées il y a six mois par MMV avaient jusqu’au 31 janvier 2014 pour accepter des baisses de loyer allant de 20 % à 50 %, faute de quoi leur résidence sera vendue ou leur bail résilié. En cause : la situation déficitaire des résidences concernées. « Notre responsabilité d’entreprise est de limiter les pertes, c’est un acte de gestion », se justifie Jean-Marc Filippini, PDG de MMV. – Odalys : Le second opérateur du secteur s’acquitte des loyers avec de plus en plus de retard, conduisant les propriétaires à multiplier les injonctions de payer. Même problème rencontré chez Park&Suites. « C’est inquiétant car cela pourrait signifier qu’il y a un problème de trésorerie », observe Georges Guérin, président de la FNAPRT. – Pierre & Vacances : même le leader du secteur (Center parcs, Maeva, Sunparcs et Adagio) renégocie les contrats, mais a la délicatesse d’attendre la fin du bail. Son objectif pour 2013 était de négocier des réductions de loyers (allant jusqu’à 50 %) et des transferts de charges d’entretien vers le locataire sur un tiers du parc immobilier. Objectif atteint : l’opération déchaîne l’ire des propriétaires, mais a permis à l’action Pierre & Vacances de doubler de valeur en bourse en 2013.


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International

Faut-il vraiment revenir en Libye ? L’évocation ces derniers jours de la nécessité pour les grandes puissances d’agir en Libye illustre une préoccupation grandissante face à un État failli ou en passe de l’être entre le Sahel et la Méditerranée. Par François Clemenceau ’amiral Guillaud, chef d’étatmajor des armées jusqu’à la fin de la semaine, sait de quoi il parle lorsqu’il évoque la Libye. C’est bien lui qui supervisa il y a trois ans l’opération Harmattan visant à protéger les populations civiles libyennes de la terreur orchestrée par le colonel Kadhafi. Depuis, les services de renseignements militaires lui ont apporté régulièrement les preuves de l’implication de plus en plus forte de groupes liés à AlQaïda dans la déstabilisation du pays afin de se doter de sanctuaires dans le Sud, mais également sur la côte libyenne, entre Benghazi et Derna. Or que dit l’amiral Guillaud fin janvier devant quelques journalistes ? Qu’il faut éviter la formation d’un « trou noir » pouvant devenir « un nouveau centre de gravité, de régénération en équipement et en armes » et qu’une « action internationale » pour y parvenir serait « idéale ».

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Pas de planification À ce stade pourtant, « il faut cesser de fantasmer », précise-t-on dans l’entourage du ministre de la Défense. « Il n’existe en France aucune planification, aucune génération de force et aucun scénario » d’une telle intervention. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’inquiétude. Au contraire. Un sentiment partagé au Quai d’Orsay, où un conseiller de Laurent Fabius avoue que le dossier de la Libye « est en haut de la pile ». Premier constat commun des diplomates, des attachés de défense et des services de renseignements en Libye : l’État est de plus en plus « déliquescent ». En fait, la notion de sécurité nationale reste en grande partie théorique malgré des tentatives de se doter de forces de sécurité. Politiquement et militairement, la grande majorité des provinces du pays ne sont plus sous le contrôle du gouvernement central, car les milices héritées du combat révolutionnaire contre Kadhafi ont dessiné des fiefs ou continuent de se battre entre elles pour maîtriser les richesses qu’elles recèlent. Dernier exemple en date de cette incurie généralisée, l’assaut donné à l’état-major de l’armée libyenne à Tripoli jeudi dernier par un groupe d’hommes armés inconnu, même s’il a été finalement repoussé.

« Il n’y a plus de Libye », tente dans un raccourci le député UMP Alain Marsaud. « Nous avons détruit un régime, il a été remplacé par des groupes surarmés et des mafias guerrières tandis que notre ambassade n’est plus qu’un tas de gravats. » La formule fait mouche, elle traduit un regret évident d’avoir laissé faire une opération militaire francobritannique soutenue à la dernière minute par les États-Unis. Mais il faut disséquer tout cela. Pour la chercheuse européenne Florence Gaub, qui vient de publier un rapport sur la sécurité en Libye pour le compte de l’International Institute for Strategic Studies, la menace d’aujourd’hui vient naturellement de l’existence de sanctuaires terroristes. Mais tout autant, si ce n’est plus, de l’incapacité des autorités libyennes à contrôler un service de sécurité digne de ce nom, « un système judiciaire qui fonctionne sur l’état de droit plutôt que sur la vengeance, et une économie de rente qui tente d’acheter de la paix civile ».

Sueurs froides Le pire, selon elle, vient aussi du fait que ces mêmes autorités, au nom d’un nationalisme sourcilleux et déconnecté de la réalité de la menace, ne veulent plus dépendre d’une aide étrangère pour résoudre leurs défis sécuritaires. Si des troupes libyennes sont formées à Malte, si l’Union européenne s’essaie à entraîner des douaniers au contrôle des frontières, si des soldats des forces spéciales américaines aideraient

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Des milliers de Libyens ont manifesté le 7 février contre la prolongation du mandat de la plus haute instance politique, le Congrès général national. PHOTO STRINGER/ANADOLU AGENCY/AFP

a même été enlevé l’automne dernier pendant quelques heures. Tout cela donne des sueurs froides aux pays voisins et aux riverains européens. Et jusqu’à Washington, où le meurtre de l’ambassadeur américain à Benghazi en septembre 2012 est resté dans toutes les mémoires.

stocks d’armes, notamment dans la foulée de la méga prise d’otages d’In Amenas en janvier 2013. Les États-Unis en surveillant attentivement au moyen de drones l’activité des groupes djihadistes du Nord, surtout dans la zone de Benghazi, où la traque des responsables de l’attaque sur le consulat américain

SI PERSONNE N’AGIT, CE SERA DE PIRE EN PIRE AVEC LE RISQUE ÉVIDENT DE VOIR LA LIBYE DEVENIR UNE SOMALIE DOUBLÉE D’UN AFGHANISTAN »

quelques agents libyens triés sur le volet à monter des opérations antiterroristes, rien de tout cela n’est suffisant. Pas de quoi construire sur du dur un système national avec des bases, une légitimité, des moyens et des effectifs à même de répondre aux défis des katibas éclatées à travers tout le pays. Le gouvernement a dû changer trois fois de chef d’état-major et de ministre de la Défense, le Premier ministre

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Agir au coup par coup Si rien de facile et rapide n’est possible en termes de coopération sécuritaire sur le terrain avec ce qui reste de pouvoir central à Tripoli, quid d’une action sur les groupes armés eux-mêmes ? Les puissances concernées n’ont pas attendu pour agir au cas par cas et au coup par coup. L’Algérie, par exemple, en s’engageant de l’autre côté de sa frontière pour saisir des

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et l’antenne de la CIA se poursuit toujours. La France, qui, via ses capteurs dans le Nord-Mali et dans le nord du Niger, tente de contenir ou de dissuader les responsables djihadistes réfugiés en Libye de revenir dans la zone de Tessalit et de l’Adrar des Ifoghas. Mais comme le signale la chercheuse Laurence Aïda Ammour, du Center for International Affairs de Barcelone, le principe de réalité exige de consi-

dérer les événements dans leur globalité, – « faute de quoi l’on se condamne à une vision cloisonnée, bridée par le tracé colonial des frontières, qui ne permet pas d’appréhender pleinement les logiques transnationales et la plasticité des réseaux du djihadisme ». Le mois prochain se tiendra à Rome une réunion ministérielle des pays du Groupe des amis de la Libye pour évoquer ce vide sécuritaire. Mais en l’absence d’une volonté claire et de moyens décisifs des autorités libyennes de résoudre ce défi, et de tout appel de leur part à ce que des forces étrangères (sous mandat onusien ou pas) viennent les aider sur leur propre sol, la spirale du chaos ne fera que grossir. « Si personne n’agit, ce sera de pire en pire avec le risque évident de voir la Libye devenir une Somalie doublée d’un Afghanistan », n’hésite pas à pronostiquer Florence Gaub. Allusions à la tragédie d’un État africain soumis si longtemps aux War Lords et au règne des talibans et de leurs protégés d’Al-Qaïda avant le 11 septembre 2001.


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Un œil sur l’Europe

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La Cour constitutionnelle allemande renonce à faire exploser la zone euro

La chronique européenne de Jean Quatremer

ette semaine, deux sujets qui n’ont rien à voir. D’une part, une excellente nouvelle pour l’avenir de l’Union, la décision de la Cour constitutionnelle allemande de renoncer à interdire à la Banque centrale européenne de venir au secours de la zone euro. D’autre part, une révélation sur la face la

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plus sombre d’un dirigeant de l’Union, Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen. Les juges de Karlsruhe étaient devenus un cauchemar pour les politiques allemands. En effet, au fil de sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle fédérale en était venue à affirmer la supériorité de la loi fondamentale allemande sur les traités européens, ce qui revenait à s’ériger en juge suprême de l’Union : toute décision européenne devait donc d’abord être validée par la Cour de Karlsruhe… Les tergiversations du gouvernement allemand pendant la crise de la zone euro, qui ont fini par coûter très cher financièrement et économiquement, viennent de là : à chaque fois, Berlin a voulu sécuriser juridiquement sa solidarité financière, ce qui a fait perdre un

temps précieux. Mais, vendredi 7 février, les juges ont pris peur devant les conséquences de leur propre jurisprudence et ont enfin reconnu, comme l’ensemble des autres cours constitutionnelles, que le juge suprême de l’Union était la Cour de justice européenne (CJE). Une décision contraire serait revenue à signer l’arrêt de mort de l’euro. Les juges constitutionnels devaient se prononcer sur la légalité de la décision prise par la Banque centrale européenne (BCE) d’intervenir massivement sur le marché secondaire de la dette publique afin d’aider les États attaqués par les marchés (programme OMT, opérations monétaires sur titre). Annoncée en juillet 2012 par Mario Draghi, son président, elle a instantanément mis fin à la crise de

la zone euro. Or, si Karlsruhe jugeait ce programme contraire à la loi fondamentale allemande, cela revenait à désarmer la BCE et donc à relancer une crise qui risquait d’aboutir à l’explosion de la zone euro. En dépit de l’opposition de la Bundesbank au programme OMT, les juges ont décidé sagement de renvoyer la balle à la Cour de justice européenne en lui demandant son avis. Un jugement logique : n’est-il pas normal que seule une juridiction communautaire puisse juger de la légalité d’une politique européenne ? Néanmoins, six juges sur huit ont tenu à faire savoir que, pour eux, le programme OMT était contraire au traité européen, qui interdit le financement monétaire des déficits publics. Un avis que ne partagent

pas deux juges qui estiment, dans des opinions dissidentes, que la règle de droit n’a rien à faire dans cette affaire : il ne revient pas à des tribunaux de décider de la survie ou non de l’euro, mais au pouvoir politique. Gageons d’ailleurs que la CJE décidera que la décision de la BCE est parfaitement légale. Cette décision de Karlsruhe est une défaite sévère pour les eurosceptiques. Car elle démontre que même une cour gagnée aux idées souverainistes sait qu’elle ne peut se substituer au pouvoir politique surtout lorsque celui-ci souhaite le maintien de l’intégrité de la zone euro et soutient donc la BCE. Une leçon de réalisme : les eurosceptiques, s’ils veulent en finir avec l’euro, devront d’abord gagner la bataille des urnes.

maginons un instant que, sur son site personnel, François Hollande ait publié, avant d’être élu président de la République, un extrait du discours que Marcel Déat prononça en juillet 1933 au congrès du Parti socialiste, dans lequel il s’en

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prenait à l’aveuglement du marché et vantait l’interventionnisme étatique. Imaginons qu’on le découvre aujourd’hui et que le chef de l’État se défende en expliquant qu’à l’époque, Déat, condamné à mort par contumace, n’était pas encore

Bulletin d’abonnement 1 an (20 numéros*) pour 72 ¤ au lieu de 90,30 ¤ 2 ans (40 numéros*) pour 126 ¤ au lieu de 180,60 ¤ Tarif étudiant : 54¤ pour 20 numéros* Offre valable en France métropolitaine jusqu’au 31/07/2014

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devenu collaborateur des nazis pendant l’Occupation. Inimaginable ? Pas en Belgique. Nous avons, en effet, découvert par le plus grand des hasards que Herman Van Rompuy, président du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement depuis 2009 et chrétien-démocrate flamand, a publié en juillet 2007, sur son site personnel, un poème du prêtre flamand nazi et antisémite forcené Cyriel Verschaeve, condamné à mort par contumace à la Libération. Contacté, Van Rompuy n’a pas réagi. Flamingant (défenseur de l’indépendance de la Flandre) de la première heure, admirateur puis collaborateur des nazis au nom de la défense de l’identité flamande, Verschaeve a été nommé par les autorités allemandes d’occupation à la tête du « Conseil culturel flamand » en novembre 1940. À partir de l’été 1941, il s’est occupé de recruter des soldats pour la Waffen SS flamande envoyée combattre le « bolchevisme satanique » (les mots sont de lui). En août 1944, ce charmant personnage est évacué dans les wagons de la SS et devient conseiller de l’éphémère « gouvernement flamand en exil » dirigé par Jef van de Wiele. En 1945, il s’enfuit en Autriche. La justice belge le déchoit de sa nationalité et le condamne à mort par contumace. Il meurt dans un monastère autrichien en 1949. Mais son destin ne s’arrête pas là : en 1973, une organisation paramilitaire flamande fasciste, le Vlaamse Militanten Orde, exhume son corps et le rapatrie illégalement en

Flandre où il repose désormais… Autant dire que publier un poème d’un tel personnage n’est pas anodin, même s’il a été écrit en 1909, à une époque où le nazisme n’existait pas. Il faut cependant reconnaître que Van Rompuy n’est au fond qu’au diapason de sa région, la Flandre n’ayant jamais accepté ni reconnu le passé collaborationniste et nazi d’une bonne partie du mouvement flamand. Ainsi, on trouve dans plusieurs communes flamandes des rues Cyriel-Verschaeve, dont une à Puurs, à quelques centaines de mètres du camp de concentration de Breendonk, et même des statues en l’honneur du grand homme si injustement traité… Van Rompuy ne cherche pas seulement à gommer le passé de Verschaeve et à le réhabiliter, il rend aussi hommage au flamingant qu’il fut. Car le texte en question – d’une qualité littéraire médiocre – est, sous son aspect anodin, une ode à l’indépendantisme flamand. En effet, la mouette dont Verschaeve narre la lutte acharnée contre les éléments déchaînés est le symbole des flamingants, bien avant le lion noir. Leur cri de ralliement était d’ailleurs : « Vliegt de Blauwvoet ! Storm op zee ! » (« Que vole le pied-bleu – une variété de mouettes –! Tempête sur la mer ! »). Dans les années 1930 et durant la guerre, le parti nazi néerlandais NSB (NationaalSocialistische Beweging) a repris ce symbole et aujourd’hui, c’est encore le logo du PVV de… Geert Wilders, tout comme celui de nombreuses associations fascisantes flamandes. Une affaire belge ? Que nenni : Van

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DANI POZO/AFP

Les références littéraires sulfureuses d’Herman Van Rompuy

Herman Van Rompuy, président du Conseil européen

Rompuy est censé incarner l’Europe. D’ailleurs son site personnel, créé en 2005 et toujours en activité, comporte des liens vers ses sites européens officiels. L’Union peut-elle avoir à sa tête un homme qui réhabilite un poète nazi, fût-il flamand, alors qu’elle condamne dans le même temps le Premier ministre hongrois Viktor Orban parce qu’il s’est livré au même exercice avec l’écrivain nazi Jozsef Nyiro ?


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CATHERINE GUGELMANN/AFP

ZULMA

Un autre regard

Chaque semaine, cinq pistes pour s’évader

route j’irai, et je dirai aux ânes, mes amis : Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis… » Gilles Lapouge a appris ce poème quand il était en septième en 1933. 80 ans plus tard, il le complète par une étude zoologique fort pertinente, souvent drôle et très poétique. Son livre, L’âne et l’abeille, est un enchantement et, comme on le disait en son enfance, une formidable leçon de choses.

UNE PIÈCE

avec

Entrez et fermez la porte

Patrick Poivre d’Arvor

de Marie Billetdoux (Ciné XIII Théâtre, jusqu’au 20 mars)

UN ROMAN

Théorie de la vilaine petite fille d’Hubert Haddad (Zulma) Elle n’est pas si vilaine, cette petite fille-là, pas davantage que ses deux sœurs, dont H u b e r t Haddad nous raconte, avec sa faconde habituelle, l’étonnante histoire. C’était en 1848, à l’heure où la France révolutionnait. De l’au tre côté de l’Atlantique, dans l’Amérique puritaine, les sœurs Fox inventent le spiritisme. Par jeu d’abord puis, sous l’impulsion de l’aînée, Leah, par goût du business. Des financiers de Wall Street l’aideront en effet à exploiter les talents de médium de la cadette, Kate. Le dernier roman d’Hubert Haddad, un très grand styliste et un conteur foisonnant, est très enlevé. On ne perd pas une miette de ses 400 pages fort enjouées.

UN THRILLER

L’Héritage Windsmith de Thierry Gandillot (NiL éditions) Il faut toujours prendre garde aux avertissements péremptoires qui ouvrent un roman, du type : « Ce livre est une fiction. À l’exception des personnages historiques cités, toute ressemblance avec des personnages

Hubert Haddad

existants ou ayant existé serait pure coïncidence. » On cherche aussitôt des clés – parce qu’on ne croit jamais l’auteur et l’éditeur – et on se dit qu’au mieux, le livre a dû être relu par un avocat. En tout cas, cela excite la curiosité. Thierry Gandillot a choisi de faire précéder ses 365 pages, autant que de jours dans l’année, de cette note sibylline. Laissons-le en paix avec ses fantômes. Et entrons de plain-pied dans l’histoire qu’il nous raconte. Elle est si captivante qu’on a du mal à en sortir. Dès la deuxième page, nous faisons connaissance de Raphaëlle, une héroïne très troublante qui va nous faire découvrir les mystères et les secrets de l’immense fortune des Windsmith, des collectionneurs et galeristes qui ont pignon sur rue à New York. D’où viennent leurs tableaux de maîtres ? Que s’est-il passé pendant la Seconde Guerre mondiale, quand les nazis pillaient à tour de bras les chefs-d’œuvre possédés par les Juifs ? Léo, le jeune héritier de L’Héritage Windsmith va tout apprendre en même temps que nous. Haletant de bout en bout.

UN MANUSCRIT

L’Écume des jours de Boris Vian (Les Éditions des Saints Pères) Trudaine 5417. Tel était le numéro de téléphone de Boris Vian, qui, après avoir rajouté son adresse de l’époque (98 fg Poissonnière), a expédié son premier roman à un éditeur. Il avait fait précéder L’Écume des jours d’un avant-propos écrit à la Nouvelle-Orléans : « Dans la vie, l’essentiel est de porter sur tout des jugements a priori. Il apparaît en effet que les masses ont tort, et les individus toujours raison… » Je sais tout cela grâce à une formidable réédition du manuscrit luimême, voulue par une jeune maison qui vient de se lancer dans cette aventure originale : retrouver les textes dans leur pureté, avec les ratures, les coquilles, les hésitations de l’auteur. C’est ainsi que je découvre que Boris Vian a écrit tout son texte au dos d’imprimés de l’Afnor, l’Association française de normalisation, où Boris Vian a travaillé de 1942 à 1946. Le manuscrit est d’ail-

leurs daté du 10 mars 1946, le jour du 26e anniversaire de l’auteur de L’Écume des jours. C’est un bonheur de feuilleter ces 222 pages dans leur jus de naissance. Merci à Jessica Nelson et aux Éditions des Saints Pères pour cette initiative et pour toutes celles à venir.

UNE FABLE

L’âne et l’abeille de Gilles Lapouge (Albin Michel) Francis Jammes, un magnifique poète que les plus grands chanteurs – qui sont aussi des troubadours – ont mis en musique, a un jour écrit une supplique au créateur : « Lorsqu’il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites que ce soit par un jour où la campagne en fête poudroiera. Je désire, ainsi que je le fis ici-bas, choisir un chemin pour aller, comme il me plaira, au Paradis, où sont en plein jour les étoiles. Je prendrai mon bâton et sur la grand-

Il s’agit de la première pièce écrite par Marie Billetdoux, qu’on a connue naguère sous le prénom de Raphaëlle. Elle écrivait alors des romans aux titres magnifiques, Prends garde à la douceur des choses (Prix Interallié 1976), Mes nuits sont plus belles que vos jours (Prix Renaudot 1985)… et elle réalisa un long-métrage, La Femme enfant, avec Klaus Kinski. Aujourd’hui elle nous raconte – et met en scène – l’histoire d’un casting qu’elle résume ainsi, « À 20 ans, le désir de gloire est quasi hormonal, et elles connaissent leur Histoire du Cinéma : ces hommes-là, si tu les intéresses, s’ils te demandent de gonfler un peu tes cheveux, de retoucher ton nez, de changer ton nom en doublant la première lettre, ils peuvent faire de toi une vedette internationale et, d’abord, te permettre de claquer la porte de ta chambre d’enfant. Ce metteur en scène célèbre auquel, pour les besoins d’un casting, des jeunes filles viennent se livrer, sans conscience des dangers qu’elles encourent, est l’ogre des contes de toujours… » Marie Billetdoux est servie dans son entreprise par un casting formidable, et c’était indispensable vu le thème de sa pièce : Margaux Vallé, Léa Dauvergne, Camille Lockhart, Jeanne Monot, Armelle Abibou, Marion Trémontels, Aurélie Noblesse sont toutes plus belles les unes que les autres. Jacques Higelin, qui joue le metteur en scène, n’est pas présent sur scène, mais sa voix parle pour lui…

EIP l’Hémicycle, Sarl au capital de 12 582 ¤. RCS : Paris 443 984 117. 55, rue de Grenelle - 75007 Paris. Tél. 01 55 31 94 20. Fax : 01 53 16 24 29. Web : www.lhemicycle.com - Twitter : @lhemicycle GÉRANT-DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Bruno Pelletier (brunopelletier@lhemicycle.com) RÉDACTEUR EN CHEF Thomas Renou (thomasrenou@lhemicycle.com) ÉDITORIALISTES/POINT DE VUE François Ernenwein, Gérard Leclerc, Éric Mandonnet, Éric Maulin, Renaud Dély AGORA Thomas Renou ADMIROIR Éric Fottorino UN AUTRE REGARD Patrick Poivre d’Arvor AUX QUATRE COLONNES Pascale Tournier DOSSIERS Jean-Marc Engelhard INTERNATIONAL François Clemenceau EUROPE Jean Quatremer ÉCONOMIE Olivier Passet INITIATIVES Ludovic Bellanger COLLABORENT À L’HÉMICYCLE Julien Chabrout, Guillaume Debré, Brice Teinturier CORRECTION Maïté Simoncini MAQUETTE David Dumand PARTENARIATS Violaine Parturier (violaineparturier@lhemicycle.com - Tél. : 01 45 49 96 09/06 28 57 43 16) IMPRESSION Roto Presse Numéris, 36-40, boulevard Robert-Schumann, 93190 Livry-Gargan. Tél. : 01 49 36 26 70. Fax : 01 49 36 26 89 ACTIONNAIRE PRINCIPAL Agora SASU Parution chaque mercredi ABONNEMENTS abonnement@lhemicycle.com COMMISSION PARITAIRE 0418I79258 ISSN 1620-6479 Dépôt légal à parution

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À la tribune

UE : reprendre la main U

fections et ses défauts, réels et problématiques, l’Union européenne n’est pas le problème en soi. Elle est le cadre commun aux Européens pour imaginer ensemble les voies politiques qui nous permettront de sortir des crises et des défis globaux, comme le réchauffement climatique. Paradoxalement, sur fond de remise en cause de l’Europe, cette période

ple : acceptons-nous de construire une réelle démocratie à l’échelle du continent, ou pas ? Le chemin de la démocratie européenne passe par une meilleure visibilité de l’Europe, une réelle responsabilité des acteurs politiques et par une légitimité renforcée de l’échelon européen. Pressées par l’exigence croissante des citoyens et certaines initiatives

«

L’EXÉCUTIF EUROPÉEN DOIT ÊTRE RESPONSABLE DEVANT LE PARLEMENT EUROPÉEN. POUR CELA IL DOIT ÊTRE CHOISI PAR LE PARLEMENT EUROPÉEN. C’EST DEVENU UNE URGENCE ABSOLUE » électorale est particulièrement propice pour renouer avec l’ambition d’une Europe vraiment politique, qui soit autre chose qu’un grand marché engagé dans la course mondiale à la compétitivité, ou un simple syndic de copropriétaires limités aux grands États membres. L’enjeu du débat, du vote et des équilibres qui en résulteront est sim-

pionnières comme notre primaire écologiste, les grandes familles politiques ont accepté le principe d’une confrontation entre des candidats – nous sommes deux pour les écologistes, par souci de parité – censés incarner leur sensibilité, et qui brigueront le poste de président de la prochaine Commission européenne. Il s’agit bien de mener pour la première fois une véritable campagne européenne, et non pas de se contenter de conduire 28 débats parallèles qui se réduisent souvent à des enjeux purement nationaux. Nous ne voulons pas seulement donner un « visage » aux politiques communes. Nous souhaitons surtout de donner « corps » aux différentes orientations que peut prendre la politique européenne des prochaines années. Nous devons montrer qu’il existe des alternatives aux programmes néolibéraux imposés depuis trop longtemps par les institutions européennes. Les sociodémocrates, la droite et les libéraux devront se positionner ; dire s’ils entendent maintenir cinq ans de plus des politiques néolibérales, accepter l’accord de libre-échange avec les États-Unis, maintenir l’austérité, passer en force pour imposer le gaz de schiste et les OGM ou au contraire se lancer dans des programmes ambitieux de relance économique pour soutenir l’emploi, développer les énergies renouvelables, soutenir les PME et l’agriculture locale, oser se lancer enfin dans le XXIe siècle comme nous le proposons et donner à l’Europe, avec ces valeurs, un véritable rôle sur la scène internationale.

Le bilan des deux mandats de Barroso est celui d’un simple secrétariat du Conseil, un collège exécutif au service des grands États et des grandes firmes et non pas de l’intérêt général des Européens. Cette situation n’est plus acceptable. De fait le bilan de Barroso est celui des gouvernements qui l’ont installé, conforté et maintenu – et ce bilan est catastrophique à bien des égards, tant il a négligé l’esprit européen, affaiblissant le Parlement et même la Commission, pour donner le réel pouvoir au Conseil européen, c’està-dire aux États. L’exécutif européen doit être responsable devant le Parlement européen. Pour cela il doit être choisi par le Parlement européen. C’est devenu une urgence absolue. Les États rechignent à l’idée de voir l’Union faire un pas de plus pour renforcer la démocratie européenne. Jaloux de leurs prérogatives, ils étaient déjà opposés dans les années 1970 à l’élection directe des députés européens par les citoyens. Aujourd’hui, ils se cabrent à l’idée de ne plus pouvoir imposer le président de la Commission européenne. En témoignent les longs atermoiements de Berlin avec la complicité de l’Élysée, pour laisser émerger un chef de file au Parti populaire européen répondant à leurs attentes. En témoignent surtout les manœuvres du président du Conseil, Herman van Rompuy, qui précipite le calendrier du Conseil pour tenter de prendre le prochain Parlement de vitesse et préempter le choix du successeur de Barroso. Explicite tentative du Conseil et des grands États pour garder la main face au Parlement européen – et aux parlements nationaux qui n’auront même pas droit de regard sur l’action de leur gouvernement. Cette « démocratie de couloirs » est la négation même de l’esprit européen. Le 25 mai prochain, les Européens éliront leurs 751 représentants, dans 28 États membres, pour former la huitième législature du Parlement européen : plus que jamais la qualité des députés que nous enverrons dans cette assemblée fera la différence. Pour reprendre la main sur la construction européenne, nous aurons besoin d’une majorité de députés combatifs, prêts à s’engager pour que la construction européenne redevienne l’affaire de tous et non celle de quelques grands États – fût-il le nôtre. Des députés qui choisiront un président de la Commission sans s’en laisser

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Par José Bové, député européen, tête de liste des Verts (avec l’Allemande Ska Keller) pour la campagne des élections européennes

REMY GABALDA/AFP

n vent mauvais souffle sur l’Europe, vent de désespérance et de colère, attisé par les politiques d’austérité et qui avive la montée d’un populisme eurosceptique qui secoue un certain nombre de pays de l’Union. Soucieuses de dédramatiser un revers possible, voire prêtes à retourner leur veste pour profiter de la remise en cause du projet européen, de nombreuses figures politiques baissent les bras et fuient leurs responsabilités, en rejetant sur les institutions communautaires leurs propres impérities. L’Europe n’est pas un truc lointain, cause de tous nos maux. L’Europe c’est aussi nos gouvernements successifs, qui se réunissent à Bruxelles – parfois, comme c’est souvent le cas en France, sans réel contrôle des élus nationaux sur les choix politiques entérinés par les ministres ou le chef de l’État. L’Europe, c’est surtout les Européens, c’est-à-dire chacun d’entre nous. Une aventure humaine et une invention juridique inédite qui s’adapte en marchant. Si l’Europe est loin, c’est que nous n’avons pas su nous en saisir pour en faire notre objet, notre avenir commun. Dans une grande mesure elle a été abandonnée aux technocrates, cible facile pour les populistes. Quels que soient ses imper-

conter par les petits jeux de chaise musicale et les corridors de la diplomatie technocratique organisée uniquement pour promouvoir des personnalités dépolitisées, dont le premier mérite est de ne faire d’ombre à personne. Des députés prêts à tenir cette Commission européenne, qu’ils auront investie, pour responsable devant tous les Européens. Une Commission hautement politique, dont les commissaires auront à cœur de défendre leurs initiatives tout au long de la chaîne de responsabilités politiques, jusqu’aux arènes nationales et pas seulement dans les « milieux autorisés ». Une Commission qui aura aussi les moyens de s’affranchir de la culture néolibérale dominante dans sa technostructure, en changeant les directeurs généraux qui encadrent et cornaquent les commissaires européens. C’est pour toutes ces raisons que je me suis engagé, avec ma collègue Ska Keller, dans la bataille pour la présidence de la Commission, au nom des écologistes, sans illusion sur le rapport de force politique actuel, mais pas sans ambition : incarner un nouveau souffle démocratique, influer sur la rénovation des pratiques, et accélérer la transformation écologique.


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