Infrarouge 224 - Climat et Capitalisme

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JOURNAL DES JEUNES SOCIALISTES

Juin 2022

INFRAROUGE


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Editorial Il est complexe de faire l’édito d’un numéro centré sur l’écologie sans tomber dans tous les poncifs du genre tels que l’urgence climatique, l’importance d’une politique écologique efficace ou du bien-fondé de trier de vos déchets. Il est également vain de rappeler que se faire livrer son quinoa bio produit en Argentine par un·e coursière·er Uber à vélo sous-payé·e n’est pas une solution, mais un problème. Ou que la droite n’apporte pas de solutions concrètes, mais tente simplement de donner un coup de peinture verte à un Titanic fonçant vers un iceberg de déchets. Vous l’aurez compris, cet édito se veut aussi léger que le programme du PLR sur l’écologie, car cette édition de l’Infrarouge parle de thèmes sérieux et durs, mais également de solutions, d’idées et de réflexions. Car aujourd’hui, c’est de solutions diversifiées, innovantes et réfléchies dont notre société a besoin. Ces solutions sont de plus en plus nécessaires afin de mettre fin au capitalisme débridé et destructeur qui nous gouverne. Dans ces pages, nous avons souhaité vous parler d’écologie mais également de certains thèmes d’actualité qui nous paraissaient pertinents. Nous vous emmènerons à la découverte des barrages et des centrales nucléaires, de l’Ukraine, des élections portugaises ou encore du fémonationalisme. Nous espérons que chaque camarade qui lira les textes qui suivront sera touché·e par une des étincelles du feu qui habite son autrice·teur respective·if. Nous espérons sincèrement que toi, lectrice·eur, après avoir lu nos mots, trouveras dans les pages qui suivent un sujet de débat, une idée de motion ou, qui sait, le combat d’une vie militante et bien remplie. Avant de te quitter, camarade, et de te confier aux plumes de notre rédaction, il nous semble de bon ton de recycler un vieux vers de la poétesse Sappho : « Quelqu’un, plus tard, se souviendra de nous ». Espérons que ce qu’iel retiendra de nous aura été notre volonté de chercher, de lutter, de trouver, et de ne rien céder à l’adversité.

La Rédaction

TU AS UNE IDÉE POUR U N A RT I C L E ? E N V I E D E PA RT I C I P E R AU PROCHAIN NUMÉRO ? FA I S - N O U S S I G N E À INFRAROUGE@JUSO.CH !


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Sommaire 04

Climat et capitalisme : quelques infographies

05

La souveraineté alimentaire, une alternative face à l’urgence ?

06

Critique de la nouvelle loi sur le CO2

07

Finis les profits, à nous l’avenir !

08

Centrales nucléaires : Le climat, t’en fais quoi ?

09

Le rehaussement des barrages

10

Ukraine : les causes d’une guerre

11

Le Mali : De la crise à l›affirmation de sa souveraineté

12

Némésis et le fémonationalisme

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Élections portugaises 2022 : Victoire dans les nombres, défaite dans les valeurs

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Ils changent le monde : 1001 initiatives de transition écologique

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Les agricultrice·eurs sont la clef de voûte de la transition écologique


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DOSSIER

Climat et capitalisme : quelques infographies Texte : Mathilde de Aragao et Théo Gieruc

La pandémie de coronavirus aura au moins eu le mérite de mettre en exergue les inégalités de richesses : d’après le rapport de l’ONG Oxfam du 17 janvier, « la fortune des dix hommes les plus riches du monde a doublé pendant la pandémie […] ». Il aura fallu seulement 19 mois pour que l’ensemble de la fortune de ces hommes passe de 700 à 1500 milliards de dollars. La fortune de Jeff Bezos (Amazon) est passée de 113 à 201 milliards de dollars, celle de Bill Gates (Microsoft) de 98 à 134 milliards et celle de Mark Zuckerberg (Meta/Facebook) de 54.7 à 134.5 milliards de dollars ; le plus spectaculaire restant le bond qu’a fait la fortune d’Elon Musk (Tesla), passant de 24.6 à 190.5 milliards. 10% des plus riches possèdent 76% de la richesse mondiale

diale n’est responsable que de 10% des émissions de CO2. Une étude plus récente du World Inequality Lab va dans le même sens Le rapport 2022 produit par le World Inequality Lab, situé au sein en soulignant que l’inégalité des émissions par habitant·e est due de l’Ecole d’économie à Paris, constate que « la moitié la plus à de grandes inégalités dans les émissions moyennes entre les pauvre de la population mondiale ne possède pratiquement aupays et au sein des pays : ainsi, les émissions moyennes en Eucune richesse, puisqu’elle ne détient que 2 % rope sont proches de 10 tonnes de CO2 par «lL moitié la plus pauvre personne et par an, d’environ 20 tonnes en du total » alors que « le 10% des plus riches concentrent 76% de la richesse mondiale ». Si Amérique du Nord, et de 1.6 tonne en Afrique de la population monles disparités économiques avaient tendance sub-saharienne. De plus, dans de nombreux diale n’est responsable à se creuser entre les différents pays, force est pays riches, les émissions par habitant·e de de constater qu’aujourd’hui elles s’accentuent que de 10% des émissions la moitié la plus pauvre de la population ont de CO2.» à l’intérieur même des Etats. Il convient de rediminué depuis 1990, contrairement à celles marquer l’effet « boule de neige » induit par des plus riches, qui se sont accrues. l’accumulation du capital : les inégalités de patrimoine étant plus importantes que celles du revenu, cela implique que les inégalités Le rapport met également en avant quatre recommandations pour se transmettent plus facilement, en particulier au travers de l’hédiminuer ces émissions: la surveillance des émissions de carbone, ritage. Ce dernier est considéré par plusieurs figures socialistes, à l’établissement de rapports afin de fixer des objectifs clairs en l’instar du député français François Ruffin, comme le moteur des termes de réduction des émissions par habitant·e – ainsi qu’une inégalités. évaluation systématique des bénéficiaires et des perdants des politiques climatiques –, une taxation progressive ciblant les investisD’après un rapport d’Oxfam publié en décembre 2015, les 10% les sements dans les activités polluantes et l’accroissement des invesplus riches de la planète génèrent 50% des émissions mondiales tissements dans les infrastructures de production d’énergie à faible de CO2, tandis que la moitié la plus pauvre de la population monémission de carbone afin d’assurer une transition équitable.


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DOSSIER

La souveraineté alimentaire, une alternative face à l’urgence ? Propos recueillis par Kelmy Martinez

Pour imaginer un système alimentaire résiliant face à la catastrophe environnementale, nous avons rencontré Mathieu Genoud, membre du collectif de la ferme du Joran, pour qu’il nous parle de sa ferme à Orbe (VD) : une jeune pousse alternative dans un monde agricole où les fermes deviennent de plus en plus grosses et spécialisées.

Qu’est-ce qui t’a motivé à te lancer dans le maraîchage et la paysannerie ?

Dès mes études, je me suis engagé dans l’agriculture contractuelle de proximité (ACP). D’abord du côté consommatrice·teur, j’ai lancé des paniers de légumes dans des associations étudiantes. En parallèle, j’ai fait des stages et un service civil dans la production, ce qui a vite fait sens pour moi. Je trouvais cela génial de produire des légumes. Au fil des ans, j’ai progressivement rejoint le domaine. Un projet de jardins collectifs s’est fixé depuis 2015 et en 2017, on a commencé la production sur les terrains que l’on a actuellement.

C’est un équilibre à trouver. En agriculture conventionnelle, il reste par exemple trois grandes meuneries qui captent l’ensemble des productions et produisent 90% de la farine. Nous avons un modèle économique opposé à cette forme d’oligopole caché qui fait son blé sur le dos des productrices·teurs. Cela implique de retrouver des outils à dimension paysanne et de développer, de maintenir vivant et de se réapproprier des savoir-faire qui tendent à disparaître.

D’autre part, notre modèle implique les mangeuses·eurs par l’ACP, ce qui nous permet de discuter directement avec ces personnes de Quel est la particularité de votre ferme ? l’amélioration des conditions de travail. L’ACP nous permet égaleL’une des particularités est sa dimension. Notre ferme est petite ment de mieux planifier nos cultures sur le long-terme et d’éviter en comparaison avec les autres domaines les pertes. Ainsi, nous ne dépendons pas des «En agriculture conven- conglomérats qui font des achats de gros et suisses : nous avons 9 hectares alors qu’en moyenne, c’est plutôt 30. L’autre particularité des actions dans des logiques qui nous détionnelle, il reste par se trouve dans notre gestion collective : nous passent complètement. De plus, nos membres exemple trois grandes refusons le modèle d’un∙e chef∙fe d’exploitasont très fortement incité∙es à travailler meuneries qui captent tion avec des employé∙es, mais nous avons un quelques heures dans la ferme chaque année l’ensemble des produccollectif horizontal qui gère l’entier des quespour payer une partie de leur abonnement. Le tions relatives à la ferme. Cela nécessite des tions et produisent 90% lien aux aliments et à la production est totaleréunions régulières pour planifier les tâches ment différent. de la farine.» du quotidien, parler du fonctionnement et des valeurs de notre ferme. Cela va des décisions très concrètes comme la planification des semences à des questions plus philosophiques comme notre rapport à l’argent ou aux Est-ce que, pour toi, la ferme du Joran représente un animaux. modèle vers lequel toute l’agriculture devrait tendre

et pourquoi ?

La ferme du Joran revendique une intégration verticale avec un système pensé de la graine à l’assiette, qu’est-ce que cela signifie ?

Nous travaillons dans une logique où nous souhaitons garder un maximum de la plus-value sur notre ferme. Nous tentons d’appliquer une logique de transformation des productions et de maintien d’une échelle de production qui nous permette de la transformer.

Ce serait utopiste de vous répondre oui, mais il me semble essentiel de revenir à des formes d’agricultures paysannes, d’avoir davantage de gens dans les champs et de développer des systèmes locaux intégrés verticalement à l’image du mouvement pour une agriculture paysanne et citoyenne (MAPC) de Genève. L’idée étant de redonner une capacité d’autodétermination aux mangeuses·eurs et aux productrices·teurs sur les conditions de production et d’achat ainsi que de développer une agriculture paysanne et locale. C’est en somme une forme d’application de la souveraineté alimentaire.


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DOSSIER

Critique de la nouvelle loi sur le CO 2 Texte : Alma Diaz

L’objectif de ce nouveau projet comme de l’ancien est de réduire par deux les émissions suisses de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030. Or, si l’on veut avoir deux chances sur trois de contenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C comme le préconise le GIEC, il faut que la Suisse atteigne la neutralité carbone d’ici 2030. La loi prévoit deux tiers de diminution en Suisse et un tiers de vaut donc pas mieux que la précédente d’une part parce qu’elle diminution via des projets de protection du climat à l’étranger et, vise encore majoritairement les 99% et d’autre part parce que les malheureusement, compenser n’est pas réduire et le GIEC précomesures qu’elles proposent sont, osons le dire, très insuffisantes nise une réduction. Pour financer ce projet il y aura des taxes qui face à l’ampleur du changement climatique. reposeront sur les 99% et non sur les entreprises. Celles-ci seront exemptées de taxes si elles font partie du sysDe meilleures solutions sont possibles, par «l’on espère que les tech- exemple notre prochaine initiative. Nous tème d’échange de quotas d’émission (SEQE), nologies nous sauveront pourrions aussi lancer d’autres initiatives, soit système qui consiste à remettre gratuitement une certaine quantité de droits d’émission de alors qu’elles n’existent pas pour interdire aux banques et aux assurances GES aux entreprises sur la base de leur vodans les énergies fossiles et ainsi encore ou sont trop compli- d’investir lume de production ainsi que d’autres critères, les obliger à retirer leurs placements dans quantité à laquelle elles doivent ensuite se te- quées à mettre en œuvre.» ce domaine, soit pour proposer que tous les nir. Ces droits sont échangeables, ce qui signibiens de consommation portent une étiquette fie qu’ils peuvent être achetés et vendus. Ainsi, seules les émissions sur laquelle seraient inscrites les émissions de GES qu’il a fallu pour liées aux combustibles devraient être réduites et aucune échéance les produire. n’est posée. Pour ce qui est des banques et des assurances, qui sont les plus grandes sources d’émissions en Suisse à cause de Au-delà de mesures concrètes rappelons-nous que seul l’entraide, leurs investissements écocidaires, elles ne paieront rien mais dela solidarité et l’espoir d’y arriver ensemble nous permettront de vront communiquer les risques pour l’économie liés au changement rendre le monde meilleur et de créer un avenir désirable. climatique. Des taxes seront aussi perçues dans le secteur de la mobilité. Par exemple, le privilège fiscal accordé aux bus diesel «De meilleures solutions sont possibles, par sera supprimé ce qui permettra de récolter 90 millions exemple notre prochaine initiative.» pour acheter des bus fonctionnant à l’électricité ou à l’hydrogène. Les poids lourds seront incités à rouler à l’électricité ou à l’hydrogène car ceux qui le feront seront exonérés Pour aller plus loin : de taxes, de même les avions devront mélanger du carburant renouvelable à leur kérosène pour être exonérés. Ces mesures sont certes appréciables mais elles ne prennent en compte ni le développement des pistes cyclables, ni celui des transports publics. Une moitié des taxes perçues ira à la population et aux milieux économiques et l’autre financera des mesures de protection pour le climat comme le développement de technologies vertes. Cette idée n’est pas mauvaise mais elle rappelle que l’on espère que les technologies nous sauveront alors qu’elles n’existent pas encore ou sont trop compliquées à mettre en œuvre. Cette nouvelle loi ne

« D’autres solutions »


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DOSSIER

Finis les profits, à nous l’avenir ! Texte : Julien Berthod

Malgré le rejet en votation populaire, le 26 septembre 2021, de l’initiative 99%, la Jeunesse socialiste ne baisse pas les bras et se lance un nouveau défi. Comme nous l’avons montré lors de la dernière initiative, nous sommes un parti de militant·es avec des idées anticapitalistes et nous avons la force de mettre nos valeurs au centre du débat public. Cette nouvelle initiative est encore une fois une chance de frapper le camp bourgeois de nos idées et de faire prendre conscience à la population des enjeux du capitalisme. Avant de parler de l’initiative en elle-même et de ses atouts, il est important de situer son état actuel et son parcours. Cette initiative a vu le jour dans la logique du processus de recherche d’un nouveau projet majeur pour la JS Suisse, le « Projet 2020 », devenu « Projet 2021 » à la suite de divers retards liés à la pandémie de coronavirus. Acceptée à l’AD de juin 2021, l’initiative est encore passée au vote de la base sous forme d’une proposition du CD à l’Assemblée annuelle de février 2022, afin d’opter pour un impôt sur les successions et non pas un impôt sur la fortune. En l’état, et comme acceptée durant l’Assemblée annuelle du 19 juin 2022, cette initiative éco-socialiste propose d’imposer les successions et donations de plus de 50 millions de francs à un taux de 50%. Le lancement de la récolte des 100’000 signatures minimum est prévu pour la mi-août de cette année.

«L’écologie est une affaire sociale, et nous, en tant que socialistes et écologistes, devons tout faire pour que cela soit compris par le peuple.»

Cette initiative porte un message très important. L’écologie est une affaire sociale, et nous, en tant que socialistes et écologistes, devons tout faire pour que cela soit compris par le peuple. Nous devons nous séparer de l’idéologie néolibérale qui fait de l’écologie une affaire individuelle des consommatrice·eurs. Le dérèglement climatique ne sera réglé que par le dépassement du capitalisme. Il est temps d’arrêter de faire reposer sur le prolétariat les causes du dérèglement climatique ! Globalement, selon un rapport d’Oxfam de 2015 [voir l’article « Climat et capitalisme : quelques infographies » page 4, NDLR] le 1% le plus riche émet plus du double de dioxyde de carbone que les 50% le plus pauvres. Il est ainsi juste de prendre les ressources nécessaires à la transition climatique directement aux ultra-riches, celles et ceux qui ont pu construire leur fortune uniquement grâce à l’exploitation et la destruction de la planète et de ses ressources. Bien sûr, cette initiative à elle seule n’est pas une solution contre le dérèglement climatique et l’asservissement de la nature pour le profit des plus riches. Or, les idées prônant un changement de paradigme qu’elle contient sont la clé d’une réelle résolution du problème.

En addition à ses arguments écologiques, cette initiative s’insère dans la lutte contre les inégalités de richesses. Car, bien que le mythe néolibéral veuille que les ultra-riches aillent mérité leur fortune par leur travail acharné, la réalité est tout autre. Les ultra-riches naissent ultra-riches. La mobilité sociale est quasiment inexistante à ces niveaux de richesses. De plus, ces immenses fortunes, accumulées avec le temps et, la majorité du temps, transmises de générations en générations, ne peuvent avoir pour origine que l’exploitation des travailleuse·eurs. L’exploitation étant la seule origine du profit des capitalistes, il ne peut être qualifié injuste d’imposer cet argent sale !

Pour les raisons susmentionnées, il est donc important de se mobiliser, ensemble, pour cette initiative et cela peut déjà commencer par la promesse de la récolte de signatures sur le site internet de l’initiative.


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SUR LE FIL

Centrales nucléaires : Le climat t’en fais quoi ? Texte : Cloé Baladier

La destruction de notre planète n’est plus possible, le changement doit se faire maintenant. Les centrales nucléaires contribuent à la destruction de notre planète et des actions concrètes doivent être prises pour contrer la catastrophe vers laquelle nous tendons. La crise en Ukraine et les sanctions à l’encontre de la Russie nous ont montré à quel point nous étions dépendant·es de ce pays pour combler les manques que nous avons en Suisse en termes d’approvisionnement énergétique. Cette situation n’est pas tolérable. Il faut agir !

Chaque nouveau rapport du GIEC est plus alarmant que le précédent concernant la santé de notre planète. Des catastrophes naturelles comme les inondations, les tremblements de terre, la montée des eaux et une sécheresse importante, nous en verrons de plus en plus et il est difficile de ne pas se demander combien de temps nous allons pouvoir continuer ainsi. L’augmentation de ces catastrophes ont toutes un «Nous savons depuis des coupable en commun : l’Humain. Nous savons décennies que la producdepuis des décennies que la production et la tion et la consommation consommation massive des ressources qui a actuellement lieu ne peut pas continuer. massive des ressources qui

a actuellement lieu ne peut pas continuer.»

Partout dans le monde, de nombreux pays misent sur le nucléaire pour sortir notamment d’énergies fossiles comme le charbon. Les centrales nucléaires sont vendues comme une installation pouvant répondre aux besoins énergétiques de tous les pays. Cependant, ne nous laissons pas aveugler par les arguments disant que c’est une solution « temporaire », « peu polluante », qui « crée de l’emploi ». Les centrales nucléaires restent en réalité très polluantes sous plusieurs aspects : leur construction détruit des terres entières et les gaz qu’elles libèrent altèrent la qualité de l’air. De plus, les déchets nucléaires sont souvent déversés à l’air libre dans des terrains vagues ou dans des lieux définis. Il y a un projet en Suisse pour l’enfouissement des déchets, mais il comporte un risque certain sur la pollution des sols, ainsi qu’un impact négatif sur la qualité de la terre et potentiellement sur les cultures agricoles alentours.

Cela fait des années maintenant que certains partis politiques (socialistes et écologistes notamment), groupements politiques et associations comme Greenpeace alertent sur les dangers de ces installations et surtout sur l’urgence du changement. La transition vers des énergies propres ou moins polluantes ne peut plus attendre. De plus, en Suisse, nos quelques centrales ne suffisent pas à fournir

de l’électricité à toute la population : nous devons donc acheter de l’énergie à nos voisins européens mais aussi à des pays comme la Russie. La guerre en Ukraine nous montre qu’outre les considérations climatiques, il est de notre devoir de trouver des solutions car nous ne pouvons pas soutenir et dépendre d’un régime anti-démocratique. Nous avons un potentiel énorme en Suisse pour transiter vers les énergies propres. Le changement doit être collectif et doit être guidé par une volonté du bien-être commun plutôt que par le profit économique.

Les excuses budgétaires ne sont plus acceptables. Nous avons vu récemment qu’il est possible de promettre deux milliards supplémentaires pour l’armée : tout est donc une question de priorité. Les projets écologiques doivent être impérativement favorisés aux projets financiers favorisant les grandes entreprises et les ultra-riches en Suisse. La pandémie nous a enseigné qu’il était possible de débloquer des ressources financières en cas de crise. À ce titre, la crise climatique nécessite une augmentation similaire du budget consacré. Il y a de nombreuses possibilités aujourd’hui pour remplacer le nucléaire : l’énergie solaire, hydraulique ou éolienne. Nous devons donc impérativement repenser et optimiser les solutions alternatives que nous connaissons et tout mettre en œuvre pour nous concentrer sur l’humain avant le profit.


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DOSSIER

Le rehaussement des barrages Texte : Darius Boozarjomehri

L’année 2022 a commencé par les prédictions de Johann Schneider-Ammann concernant de possibles pénuries d’électricité d’ici 2025. Presque au même moment, le PLR a décidé de mener une campagne pronucléaire. Face au problème du futur, la droite néolibérale souhaite donc regarder le passé. Or ce choix politique se heurte à plusieurs problèmes majeurs, le premier étant démocratique : le peuple suisse a voté pour une sortie du nucléaire d’ici 2050, votation qui faisait suite à la catastrophe de Fukushima. Le deuxième problème est environnemental : l’énergie nucléaire reste et restera certainement pour longtemps une énergie non verte, et ce malgré ce que l’UE veut nous faire croire. Les problématiques actuellement liées au nucléaire telles que la gestion des déchets n’est toujours pas réglée et ne le sera pas avant longtemps. Finalement, et d’un point de vue technique, la remise ou la création de nouvelles centrales nucléaires prendrait un temps considérable, temps que nous n’avons pas.

Agrandir des colosses…

Néanmoins, bien qu’il soit toujours plaisant de critiquer la droite et sa politique énergétique, force est de constater que la gauche ne propose pas ou plus de projets d’envergure. Pourtant de nombreuses solutions alternatives existent, l’une d’elle étant le rehaussement de certains barrages suisses, partie intégrante du paysage alpin : la Suisse en compte actuellement plus de 200. Ces ouvrages se répartissent un peu partout, du Tessin aux Grisons en passant par le Valais et Fribourg. Les générations précédentes ont si bien fait leur travail que les emplacements pour construire de nouveaux barrages sont extrêmement limités. Une solution serait donc de rehausser leur hauteur afin d’augmenter leur volume de stockage

d’eau. Selon Anton Schleiss, président du Comité suisse des barrages et professeur à l’EPFL, une quinzaine de barrages pourraient être rehaussés en Suisse augmentant ainsi la production d’électricité suisse de 10 à 15%. Fin 2021, la Confédération et de nombreuses associations écologiques ont mis sur pied un projet global visant à promouvoir cette solution.

… aux pieds d’argiles ?

Cette solution n’est cependant pas la solution miracle. Les différentes études scientifiques le montrent : le réchauffement climatique est déjà en train de nous obliger à modifier nos infrastructures existantes. Le recul inévitable des glaciers ou leur disparition rendront certains ouvrages inutiles ou compliqueront leur exploitation. Les expert·es s’accordent à dire que les barrages vont connaître une période de remplissage dû à la fonte des glaces, avant que que cette situation laisse place à des difficultés de remplissage. Comme dit en introduction, le rehaussement des barrages n’est pas la solution miracle, mais peut s’inscrire dans une dynamique globale en même temps que le développement des infrastructures éoliennes et solaires afin de créer un système énergétique suisse durable et efficace. Car, il faut l’avouer, la stratégie actuelle du Conseil fédéral est suicidaire. Au rythme actuel des transformations, jamais la Suisse ne réussira sa transition énergétique. En tant que mouvement écologiste, il est donc temps d’apporter un vrai discours sur les solutions pratiques d’une part, mais également idéologiques. Nous devons nous demander collectivement comment produire, mais aussi comment consommer.


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MONDE

Ukraine :

les causes d’une guerre Texte : Mirko Ondras

Des dizaines de milliers de morts, des millions de réfugié·es, de nombreuses villes et villages en ruines. Tel est le bilan après plusieurs mois d’une guerre insensée qui n’a pas de fin en vue. Et ce désastre humanitaire ne semble pas déranger le président russe. Vladimir Poutine nie l’existence même d’un peuple ukrainien. Pour lui, il s’agirait de Russes endoctriné·es par des idées occidentales, au point de penser être un autre peuple. Il situe l’origine historique de son pays à Kyiv et considère avoir le droit de ramener l’Ukraine à la Mère Russie, de force s’il le faut. Son interprétation historique est bien évidemment fausse : Kyiv était la capitale de la grande principauté Rus’ de Kyiv, un État multiethnique et non pas une nation «russe» au sens moderne du terme. En réalité, le mot Rus’ de l’époque désignait les Vikings suédois·es qui formaient l’élite poplus étroits avec la Russie, des manifestations massives se déclenlitique de l’État. Ce n’est que des siècles plus tard que le peuple chèrent. Initialement centrées sur des sujets d’affaires étrangères, de la région de Moscou reprit ce mot pour désigner leur pays, leur les manifestations ont fini par remplir les places publiques, portant langue et leur ethnicité. Quant à la péninsule de Crimée, elle était des revendications sur la fin de l’autoritarisme et de la corruption. en-dehors de la sphère culturelle de l’Ukraine et de la Russie, Après cela, des violences meurtrières de la part des autorités enjusqu’à ce qu’elle soit conquise par l’Empire russe en 1774. Les vers les manifestant·es ont suivi. Criméen·nes sont un peuple majoritairement «Alors qui est fautif dans musulman avec une langue très différente de leurs voisin·es. cette guerre ? Le régime de Poutine et de celles et ceux L’aboutissement de cette crise fut la destitution constitutionnelle du président par le qui le défendent.» Parlement du pays. Un tel système de destiEn 1944, le régime soviétique a commis un tution existe dans presque tous les pays dégénocide contre les Tatars de Crimée, conduisant des massacres mocratiques, dont l’Ukraine, pour qui il s’agissait d’une nécessité et des relocations forcées. La minorité criméenne actuellement afin de préserver la démocratie et protéger le peuple de son propre présente soutient fortement l’identité ukrainienne de la péninsule. président. Pour le régime de Poutine, ce fut une opportunité : le En tant que peuple persécuté par les administrations russes pasprésident russe a déploré la destitution d’un président allié, et a sées et présentes, iels ont le droit moral et légal de s’opposer à utilisé ce prétexte pour une invasion russe. En 2014-2015, la Russie être rattaché·es de force à la Russie. Il paraît absurde de devoir a annexé la Crimée et occupé une partie du territoire ukrainien. La expliquer qu’il n’existe aucune raison légitime pour la Russie de guerre a été déclenchée à nouveau en 2022, avec une tentative revendiquer le territoire ukrainien. Après tout, aucune revendication d’invasion totale. semblable ne pourrait justifier une guerre pareille. Mais qu’en est-il de l’histoire plus récente et des faits qui ont directement menés à la guerre ? Alors qui est fautif dans cette guerre ? Le régime de Poutine et de celles et ceux qui le défendent. Toute tentative de justification historique de la guerre est impérialiste par nature, en plus d’être fausse. En 2014, l’Ukraine était gouvernée par Viktor Yanukovich, président La propagande russe est forte, même chez nous en Occident : c’est pro-Russe, qui usurpait de plus en plus le pouvoir et démantelait pour cela que nous avons à peine réagi lors du début de la guerre petit à petit la fragile démocratie ukrainienne. Des opposant·es poen 2014. Maintenant, il est essentiel de continuer à dénoncer les litiques se retrouvaient en prison, et la corruption régnait dans le agressions militaires et de refuser toute acquisition de territoire par pays. Il semblait alors que l’Ukraine allait devenir un pays autoritaire le biais d’une guerre, et ainsi que de soutenir des sanctions fortes comme l’est le régime de Poutine. Quand Viktor Yanukovich refucontre le régime russe afin d’empêcher le financement de sa masa le rapprochement avec l’Union européenne, en faveur de liens chine de guerre.


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MONDE

Le Mali :

De la crise à l›affirmation de sa souveraineté Texte : Serge Baï et Mehdy Henrioud

En octobre 2011, le Mali assiste à la création du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), faisant sombrer le pays dans une période d’instabilité. Dû à la communauté touarègue souhaitant la création d’un État indépendant au nord du Mali, berceau des touaregs, il est rejoint par des rebelles libyens et attaque avec l’aide de groupes djihadistes, en janvier 2012, cette sous-région, prenant plusieurs villes et déclarant l’indépendance de l’Azawad le 6 avril. Cette occupation par des groupes terroristes constitue une menace pour les États voisins et alliés, car pouvant servir de base à la préparation d’attentats en Afrique et ailleurs. Instabilité du pouvoir et escalade des tensions

Après l’opération française Serval, l’ONU lance en avril 2013 une mission de stabilité, toujours en cours. Malgré la présence de ces Protestations populaires et perspectives à gauche forces, les attaques contre les civil·es sont fréquentes et le pouLe coup d’État est bien accueilli par la population, qui soutient la voir en place, incapable de faire face aux attaques et affaibli par junte militaire arrivée au pouvoir par le biais du CNSP. En effet, la le MNLA, est remis en cause. En août 2020, à la suite de grandes population contestait de plus en plus le pouvoir de IBK et l’armée manifestations, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) française au Mali, présente alors depuis sept ans sans que la siest destitué par l’armée qui crée dans la foutuation sur place ne s’améliore. Plus globale«(...) cette présence mili- ment, cette présence militaire au Mali et dans lée le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), chargé de mettre en place un gouver- taire au Mali et dans la ré- la région est perçue par la nouvelle généranement de Transition en l’attente d’élections gion est perçue par la nou- tion comme une mainmise de la France sur générales programmées pour 2022. Le jour du l’économie et la politique ouest-africaines. velle génération comme coup d’État, le 18 août, les États d’Afrique de Cette crise malienne doit nous interroger sur l’ouest (CEDEAO) demandent la fin du putsch une mainmise de la France la capacité de l’Union Africaine à monter au et posent un ultimatum demandant le retour sur l’économie et la poli- créneau, à s’opposer et à condamner tout de IBK au pouvoir sous 48 heures. renversement de régime par les puissances tique ouest-africaines.» étrangères sur son sol, à l’image de la Libye, qui a conduit à une déstabilisation à long Un second putsch a lieu le 24 mai 2021 après que le président terme du continent. La crise malienne bouleverse le continent afride transition Bah N’Daw a écarté du gouvernement des anciens cain, tant par sa complexité que par son enchaînement de coups membres du CNSP et est remplacé par Assimi Goïta, initiateur des d’État, d’attentats terroristes et d’interventions internationales. deux putschs. En plus des sanctions déjà appliquées à la suite du premier coup d’État, Bamako subit un train de sanctions de la Banque Mondiale, des USA, et de la CEDEAO qui suspend le Mali Enfin, après les multiples attaques djihadistes contre les civil·es de ses rangs. Alors que la Transition devait durer six mois, Goïta et les sanctions infligées au pays, on peut espérer une améliorapropose en décembre 2021, dans une tentative de refonte des instition de la situation, avec la volonté commune qu’affichent les printutions politiques, de la prolonger jusqu’en 2026. La CEDEAO refuse cipaux acteurs politiques (pour les partis les plus importants : le la proposition, ferme ses frontières avec le Mali et sanctionne écoRassemblement pour le Mali, l’Alliance pour la Démocratie au Mali nomiquement le pays. Bamako saisit la Cour de justice de l’Union et l’Union pour la République et la Démocratie, tous sociaux-déEconomique et Monétaire Ouest Africaine qui annule cette dernière mocrates) de réformer en profondeur les règles du jeu politique : décision le 24 mars 2022. instauration de la proportionnelle aux législatives, création d’une Autorité indépendante de gestion des élections, création d’un Sénat des territoires. Il y a surtout l’espoir que le Mali devienne l’avantgarde de la souveraineté des États africains avec l’avènement, au sein de ceux-ci, d’un système démocratique et socialiste.


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MONDE

Némésis et le

fémonationalisme Texte : Audrey Petoud

L’organisation Némésis a émergé en France en 2019 peu après le mouvement #MeToo et à contre-courant des groupes féministes qui recevaient alors une part de l’attention politico-médiatique. En Suisse romande, le mouvement a pris forme à l’été 2021, sous le chapeautage d’Alice Cordier, la présidente de Némésis France. À l’heure actuelle, on compte une vingtaine de militantes présentes et actives dans tous les cantons romands, à l’exception du Jura. Se réclamant d’un « féminisme identitaire et anticonformiste », selon leur compte Instagram, leur combat est celui des violences faites aux femmes. Ces femmes désignent par ailleurs les responsables de leurs souffrances sans détour : pour elles, les hommes étrangers sont les coupables. Eléments de contexte

Réappropriation lexicale et projet politique opposé

Ces femmes prétendent aborder des problématiques que les mouElles se disent apolitiques, ni de droite, ni de gauche, et pourtant, vements féministes n’évoquent pas. C’est notamment ce qu’exparler de violences faites aux femmes, de féminisme ou d’immiplique Sarah Bottagisio, ancienne porte-parole et co-fondatrice de gration est éminemment politique. Comment se revendiquer du la section suisse : « Je trouvais que c’était le seul collectif qui nous féminisme ? Comment concilier un discours raciste et xénophobe représentait, parce que dans les collectifs féministes mainstreamavec un mouvement qui prend forme au cœur même des discrimicomme on les appelle, on parle beaucoup de trucs comme l’écrinations ? ture inclusive, l’épilation, des combats que je dirais secondaires, anecdotiques, alors que moi ma principale Dans un article publié sur Slate, Florence préoccupation c’est de rentrer à la maison « (...) leurs objectifs sont Rochefort, spécialiste de l’histoire du fémisans me faire importuner, ce qui n’est pas le nisme et chercheuse au CNRS, répond à ces clairement ceux de l’excas ». Et de continuer : « Le harcèlement de questions en envisageant les formes de rérue et les violences sexuelles sont principale- trême droite : sécuritaires, appropriations lexicales dont témoignent les anti-immigration ment un phénomène dû aux hommes issus de prises de position publiques du mouvement l’immigration, qui nous accostent de manière Némésis. Manifestations, collages, slogans, et anti-islam » vulgaire, qui nous agressent parfois (…) ». Il le mouvement ne se prive pas de s’approprier faut donc comprendre : ne pas se faire importuner par des hommes des pratiques pour les vider de leur sens. Némésis donne ainsi à ses étrangers. pratiques d’autres significations et change le contour des luttes. Les violences faites aux femmes sont ainsi réduites au harcèlement de Proche des mouvements et médias d’extrême droite en France, rue. Dans cette perspective, le féminisme s’apparente à des formes du RN à Valeurs Actuelles en passant par Eric Zemmour, Néméidéologiques, identitaires et racistes que l’on peut désigner comme sis France ne cache pas sa volonté de lutter contre l’islamisation un « féminisme de droite » ou comme un « fémonationalisme ». du pays. En Suisse, le discours est un peu plus nuancé au vu du contexte politique différent, mais les membres sont proches des Cependant, les mouvements féministes (progressistes, de gauche, mouvements d’extrême droite et se rapprochent de ce féminisme intersectionnels et antiracistes), bien que traversés par des désacidentitaire. Dans les deux pays, elles sont combattues par les moucords ou des contradictions, ont en commun un projet d’égalité et vements féministes qui contestent la teneur féministe de leurs rede justice sociale, un idéal à atteindre ; une société juste, égalivendications. Ainsi, à plusieurs occasions, le mouvement Némésis taire dans laquelle les discriminations n’ont pas de place. Qu’on a été exclu des manifestations, parfois de force. Leur discours n’a se le dise : ce n’est pas le même projet de société que forment effectivement rien à faire dans nos luttes. les groupes identitaires, quels qu’ils soient. Ce n’est pas le projet


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Image : Samuel de Vargas, 2019

de Némésis. Selon Florence Rochefort, « leurs objectifs sont clairement ceux de l’extrême droite : sécuritaires, anti-immigration et anti-islam ». Pour dénoncer des violences prétendument exercées par les hommes étrangers, Némésis se base uniquement sur le vécu personnel de certaines femmes. Ces dénonciations ne prennent en considération qu’une partie des violences sexuelles et sexistes (VSS) pour appuyer des idées racistes. Dans cette lutte contre les violences faites aux femmes, les hommes issus de l’immigration apparaissent comme des coupables désignés d’office. Ces dénon-

Pour aller plus loin :

DELLA SUDDA, Magali, « Quand les “nouvelles femmes de droite” s’invitent dans la campagne », The Conversation, 2022. FARRIS, Sara R., In the Name of Women’s Rights. The Rise of Femonationalism, Durham, Duke University Press, 2017. Enquête sur le harcèlement et les violences sexuelles en Suisse : https://bit.ly/Enquete-Violences Article Femina du 17 janvier 2022 : https://bit.ly/Interview-Nemesis Article Renversé du 14 décembre 2021 : https://bit.ly/Neofascisme-Nemesis Article Slate du 19 février 2021 : https://bit.ly/Slate-Nemesis

ciations ne s’appuient sur rien : aucune statistique ne prouve que les hommes issus de l’immigration sont plus auteurs de ces violences. Sur le compte Instagram de Némésis Suisse, on voit surtout que les féminicides ou VSS sont utilisés pour exemplifier leur idéologie. Et c’est bien cela qui rend le discours dangereux. Orienté idéologiquement, les propos simplifiés permettent de proposer des solutions rapides et concrètes : le renvoi des hommes étrangers auteurs de VSS. Mais ce que nous savons des VSS nous montre que le harcèlement de rue n’est qu’une partie du problème. Les violences subies sont multiples, plus importantes que ce que l’on pense, car seuls 8% des VSS sont déclarées à la justice. Grand nombre des VSS faites aux femmes ont lieu dans la sphère privée et l’agresseur est connu de la victime dans 68% des cas. Il est donc essentiel de se souvenir que les luttes féministes doivent se mener sur tous les fronts et qu’elles ont pour but de dénoncer toutes les formes de VSS. Il faut penser les formes de domination conjointement. L’appropriation de nos luttes pour justifier un discours identitaire et raciste est un danger, car il transforme le débat en amenant sur le terrain des luttes ces idéologies racistes. C’est pourquoi nous devons aujourd’hui nous rappeler que notre combat féministe doit impérativement s’ancrer dans l’antiracisme.


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PERSPECTIVES

Élections portugaises 2022 : Victoire dans les nombres, défaite dans les valeurs Texte : Margarida Janeiro

Le 31 janvier dernier, le Parti socialiste portugais a obtenu une victoire triomphante aux législatives. Il obtient à lui seul la majorité absolue, pouvant gouverner seul sans avoir à composer d’accords. La réalité est pourtant tout autre à l’issue de ce scrutin : un Parti socialiste arrogant, l’effondrement de la gauche plurielle et la montée de l’extrême-droite. Un peu de contexte

L’histoire politique récente du Portugal est ébranlée un certain 10 novembre 2015. Après plusieurs années d’austérité menées par la droite, le gouvernement en place est reconduit malgré la victoire de la gauche au scrutin d’octobre 2015. Au bout de quelques jours, la gauche s’unit et censure le gouvernement : le Parti socialiste prend le pouvoir grâce à ce qu’on a appelé plus tard la geringonça. Elle a l’effet escompté : de vraies avancées se mettent en place, l’économie et la population se portent de mieux en mieux. Toutes les composantes de la gauche sont plébiscitées en octobre 2019… avant une autre crise majeure. La pandémie a comme partout eu ses effets sur l’économie et sur l’exacerbation des inégalités : le budget 2022 défendu par le gouvernement socialiste est bloqué par les partis d’opposition et par la gauche radicale. Sans issue, le Président de la République dissout l’Assemblée et provoque de nouvelles élections en janvier. Le PS a une chose en tête : avoir la majorité absolue pour pouvoir approuver ses projets.

Une victoire qui cache une défaite

Au soir du 31 janvier, le Parti socialiste gagne son pari : premier dans les urnes, il se dirige vers une majorité absolue au fil du dépouillement (117 sièges sur les 230 sans les Portugais·es de l’étranger). Cette fulgurante victoire cache la défaite de la gauche plurielle : le Bloco de Esquerda (Bloc de gauche, BE), la coalition du Parti Communiste et des Verts (CDU) s’effondrent, perdant plus de la moitié leurs sièges et la gauche passe de 140 à 132 sièges.

Une victoire qui en cache une autre, dangereuse

Il y a quelques années, la gauche européenne se réjouissait que la montée de l’extrême-droite ait épargné le Portugal. La blessure de la dictature était encore béante. Cela n’a duré que jusqu’en 2019 quand André Ventura, leader du parti Chega (littéralement (ça) suffit) fit son entrée au Parlement. Économiquement libéral et ultraconservateur, il proposa des idées profondément xénophobes, racistes (en particulier contre les personnes tsiganes) et mena une lutte contre une prétendue « subsidio-dépendance ». Deux ans plus tard, les résultats du parti augmentent fortement pour faire entrer une douzaine de députés et devenir la 3e force politique du pays. Profondément démagogue, le parti devient audible auprès des laissé·es pour compte, surtout dans les régions rurales.

Alors, quid ?

Plus de 10 ans après la crise de 2008, le chantier est encore important. Les services publics sont lourdement impactés, les infrastructures manquent toujours plus on s’éloigne du littoral et les inégalités sont encore fortes. Le système électoral actuel n’est peut-être plus adapté pour entendre les préoccupations de la population dans son ensemble. La gauche, y compris les socialistes, ont la lourde tâche de pouvoir répondre aux besoins, mais aussi combattre la montée des idées de haine tout en accélérant des politiques véritablement sociales, écologiques et de gauche.


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P O U R C E N TA G E C U LT U R E L

Ils changent le monde :

1001 initiatives de transition écologique Texte : Romain Gapany

Dans son ouvrage, Rob Hopkins pose le constat suivant : face à la catastrophe climatique et aux injustices, il faut agir, mais nous nous sentons actuellement désemparé·es. Comment agir alors que les gouvernements et les entreprises s’enfoncent dans une série d’erreurs qui rendent impossibles la vie sur Terre ? Pour l’auteur, nous sommes face à une crise à la fois énergétique (les énergies fossiles coûteront bientôt plus en énergie pour être produites qu’elles n’en rapportent), climatique (les conditions de vie sur Terre sont de plus en plus compromises) et économique (les possibilités matérielles garantissant la croissance du système atteignent leur fin). Ce constat, mêlé à celui de notre impuissance ressentie, le mène à formuler ce qu’il appelle une « grande idée », à savoir la mise en place globale (dans son ambition) et locale (dans ses actualisations) de projets concrets à petite échelle, tant d’alternatives éco-sociales (et non pas socialistes) « résilientes » et susceptibles de créer les possibilités d’une nouvelle vie collective émancipatrice. Il est nécessaire pour la lutte éco-socialiste de traiter de la question capitaliste en tant que telle, de comprendre l’existence d’une Distillant çà et là des conseils quant à l’étaclasse de capitalistes historiquement formée blissement pragmatique de ces nouvelles et dont les intérêts sont, au moins en partie, sociabilités (comment prendre des décisions, sinon totalement, structurés par leurs condiintéresser des gens, etc.) et en donnant de Rob HOPKINS, Ils changent le monde : tions matérielles d’existence, leur possesnombreux exemples (ateliers de réparation 1001 initiatives de transition écolosion des moyens de production et leur mainde vélos, monnaies locales), il désire enga- gique, Seuil : Paris, 2014 : contre les mise politique. Si l’on emprunte de l’argent ger son lectorat dans ce réseau d’alternapour mettre en place des alternatives locales, simples récits éco-sociaux, la nécessitives. Là où sa critique réussit (donner des nous sommes pris·es par la nécessité de dété de l’anticapitalisme perspectives concrètes d’actualisation de gager un profit, suivant les règles du jeu caprojets éco-sociaux), elle échoue en même pitaliste. Si l’on établit une alternative locale temps par manque d’analyse macro-politique. L’auteur propose par sur un lieu possédé par des capitalistes, ils peuvent, de concours exemple d’emprunter de l’argent à des banques pour mener à bien avec la police, nous en expulser. Si les alternatives locales mettent des projets ou met l’accent sur la nécessité de s’ancrer dans des en danger un commerce lucratif, elles seront vraisemblablement cadres légaux (sans vraiment discuter de cas en dehors de la léinterdites ou intégrées à la logique marchande. Les récits d’altergalité, pourtant nécessaire à la lutte). Critiquant la « cupidité » et la native comme ceux d’Hopkins sont nécessaires pour stimuler nos volonté de « domination » qui sommeillerait toujours en nous, il ouimaginations et nos savoirs (permaculture, techniques d’agriculture blie de fournir une analyse matérielle des conditions d’actualisation anciennes, etc…), mais on doit être capables de les allier à une des oppressions et des actes qui détruisent la planète et nos vies. Il analyse anticapitaliste et matérielle afin de concourir à des persévoque certes les multinationales, ou les riches toujours plus riches, pectives d’émancipation et de lutte réalistes. C’est là, je crois, le mais ne nomme pas ce mal : le capitalisme. rôle de la Jeunesse socialiste aujourd’hui.


JS SUISSE SUR LE FIL

LES AGRICULTRICE·EURS SONT LA CLEF DE VOÛTE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE Texte : Alexandre Bochatay et Thomas Silva

Trop souvent, la Gauche peine à répondre aux attentes des paysan·nes

Les militant·es de gauche ne s’intéressent que trop peu aux thématiques agricoles. Pourtant, ces métiers sont les plus aptes à protéger nos sols, notre environnement et à garantir une alimentation d’une protection sociale pour les femmes paysannes méritent aussi saine pour tout le monde. Mais leurs conditions de vie sont si méd’être promues. Cependant, l’agriculture doit sortir de sa logique diocres que l’agriculture mérite qu’on lutte pour elle. Ces travailproductiviste et capitaliste. Pour cela, la JS propose d’interdire la leuse·eurs sont soumis·es au dictat de la grande distribution, des spéculation sur les denrées alimentaires et de réguler les importamultinationales et du système capitaliste ! Ce sont des prolétaires à tions ainsi que les prix d’achat et de vente entre la production et la part entière. Un salaire horaire moyen de CHF 15.—, des semaines distribution. Ensuite, l’Association des Petits Paysans souhaite que dépassant les 50 heures, une population active qui a chuté de 25 % les paiements directs deviennent une incitation claire à la diversité en 20 ans et 26 CCT différentes dans tout le pays. Cette réalité, qui entre exploitations agricoles et réclame des incitations politiques nous rappelle le XIXème siècle, est celle des personnes qui nous massives pour la consommation locale. nourrissent. Certain·es diront que l’État les aide amplement, car iels reçoivent des paiements directs pour effectuer En outre, nos voisin·es proposent également «Les travailleuse·eurs sont différentes tâches d’utilité commune : CHF 3.6 différentes solutions : La France insoumise soumis·es au dictat de la milliards en 2018. Cependant, une moitié reste pense que la politique agricole doit être oriengrande distribution, des aux transformatrice·eurs et à la distribution, et tée vers la conversion écologique et propose de ce montant reste toujours deux fois plus faible multinationales et du systè- reprendre les dettes agricoles des paysan·nes me capitaliste ! Ce sont des converti·es au 100 % bio, de fixer des taux que le budget de l’armée suisse. prolétaires à part entière.» d’intérêt maximaux aux paysan·nes ou encore d’instaurer une dégressivité des « aides à l’hecCamarades socialistes, nous ne pouvons accepter tare ». Le Parti communiste français propose une nouvelle organisaune telle injustice ! tion de l’agriculture dans le cadre des Nations Unies afin de soutenir Nous ne pouvons entamer la transition écologique alors qu’un acle développement de marchés régionaux et de réguler les marchés teur essentiel de ce changement est en pleine crise. Nous ne poumondiaux. En Allemagne, Die Linke propose de se concentrer sur vons laisser l’extrême droite dominer le discours sur ces injustices. la production, la transformation et la consommation régionale pour Luttons pour notre planète, luttons pour nos agricultrice·eurs ! Nous contredire et s’opposer aux grands groupes. devons maintenant trouver des solutions concrètes pour améliorer leurs conditions afin de nous battre contre le dérèglement climaCamarades, nous devons mettre fin à ce système productiviste eftique. fréné qui avale les petites exploitations et les soumet à la grande distribution. Dès à présent, il faut permettre aux agricultrice·eurs de travailler indépendamment du système capitaliste. Nous, consomQuelques pistes proposées par différents courants matrice·eurs devons consommer localement pour garantir une emsocialistes et écologistes suisses et étrangers preinte écologique minime et soutenir des exploitations agricoles Premièrement, la JS Suisse demande que les employé·es agrià taille humaine et respectueuses de l’environnement. Cette lutte coles perçoivent un salaire minimum de CHF 5000.— et aient des est la nôtre, luttons pour une agriculture humaine et responsable, horaires de travail décents. La légalisation de toustes les travailluttons pour celles et ceux qui nous nourrissent : leuse·eurs en situation illégale ou encore l’extension systématique sauvons notre planète !

Édition : Infrarouge · Theaterplatz 4, 3011 Berne, www.juso.ch/fr · Contact : infrarouge@juso.ch, 031 329 69 99 Rédaction : Mathilde de Aragao, Serge Bai, Darius Boozarjomehri, Clémence Danesi, Romain Gapany, Mehdy Henrioud, Mathilde Mottet, Cloé baladier · Design et mise en page : Silvan Häseli · Impression : Druckerei AG Suhr, 5034 Suhr · L’Infrarouge paraît deux fois par année.


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