Sans bruit de bottes

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Sans bruit de bottes

Jacqk Nouvelle de SF


Sans bruit de bottes

Jacqk

Jacqk-Edit Paionni.jacques@neuf.fr FĂŠvrier 2008



Appuyé à la balustrade du balcon, Louis contemplait le trafic de la rue Valetaille. Un beau soleil de printemps éclairait les toits de la ville. Du 16e étage, il pouvait voir la banlieue, et bien au-delà, pratiquement jusqu’à la tour Eiffel. Il entendit des pas dans le couloir et regagna la salle d’attente. Une jeune femme brune s’approcha de lui. Elle ne portait pas d’uniforme. — Sergent Levabre ? Le colonel vous attend. D’un geste gracieux, elle lui indiqua la direction d’une porte vitrée. Il passa devant elle en lui souriant et se dirigea en face. La jeune femme le considéra de dos avec de la pitié dans le regard. Puis elle aperçut les bottes… Le colonel attendait. Sur son bureau se trouvait un dossier ouvert, contenant des photos qu’il avait examinées en tous sens et avec attention. Louis entra. — Asseyez-vous, mon vieux, je n’en ai pas pour longtemps. Comment se passe votre convalescence ? — Au mieux, mon colonel. J’ai repris l’entraînement physique la semaine dernière. — Vous allez partir quelques jours ? — Sans doute. J’ai de la famille dans le sud.


— Bien, très bien, j’aurai besoin que vous soyez en pleine forme pour reprendre votre poste. — Vous êtes très aimable. Le colonel toussota dans son poing, tripota une photo, semblant réfléchir. — Savez-vous pourquoi je vous ai fait venir ? — Non mon colonel ! — Vous n’avez aucun souvenir de l’accident ? — Rien, comme je l’ai dit aux enquêteurs. Il a surgi soudainement de la brousse, d’un massif touffu à quelques mètres devant moi. Je n’ai pas pu l’éviter. Ma Jeep a basculé sur le côté, j’ai été projeté dans les décors. Quand j’ai rouvert les yeux, j’étais dans une chambre d’hôpital, ici, à Paris. Le colonel orienta le dossier vers lui : — Tenez, voici les photos de l’accident. Louis les saisit et les examina un moment. — Mince, il ne reste rien. On reconnaît juste ma jeep. — L’autre véhicule a explosé. Le conducteur a été complètement carbonisé. Ce n’est plus qu’un tas de cendre. On ne saura jamais qui il est et d’où il vient. — Sa voiture ? — Ho sa voiture, une vieille Renault. Sans doute un Africain qui prenait la brousse pour un terrain de jeu. À ce jour personne n’a


signalé sa disparition. En fait, sans cette explosion, l’affaire serait classée depuis longtemps. Vous n’aviez pas d’explosif dans la Jeep ? — Absolument pas, je venais de déposer deux permissionnaires du régiment à l’aéroport de Pointe-Noire. Je n’avais même pas un canif sur moi, j’étais en survêtement. — Je sais, d’ailleurs nos experts n’ont pas identifié l’origine de l’explosion. Pour eux c’est inexplicable. Bon, je ne vous retiens pas plus longtemps. Merci de vous être déplacé. Louis se leva, salua et quitta le bureau. Le colonel le regarda s’éloigner dans le couloir en se demandant encore comment ce malheureux garçon d’une trentaine d’années pouvait, à ce jour, être debout, après avoir subi, six semaines auparavant, dix-sept fractures et un coma profond. Les médecins ne lui donnaient pas une chance sur cent de remarcher un jour, encore moins de reprendre du service… Et puis quelque chose le chiffonnait. Il observa Levabre s’éloigner. Il portait l’uniforme d’été, classique certes, mais avec un détail incongru : les bottines… — Hep ! Sergent ! Louis se retourna, étonné.


— Vous savez que vos chaussures ne sont pas réglementaires ? — Désolé colonel, mais il n’y a qu’avec ça aux pieds que je me sens à l’aise. Le colonel haussa les épaules et lui rendit un sourire de complaisance. — Pas grave, vous n’êtes pas en service. Bonne journée. De retour à son appartement, Louis se versa une bière et alluma la télé. Sur la table, du courrier s’empilait. Dans un coin, le linge en attente de repassage s’entassait. Il se dit qu’il faudrait mettre un peu d’ordre dans toutes ces affaires. Il ramassa un sac de voyage, le contempla interrogatif. Depuis son accident, la mémoire lui faisait défaut sur certains points. Pas des choses importantes, uniquement des détails. Ce sac par exemple, il ne se rappelait pas l’avoir possédé. Pourtant, les bottines qu’il y avait trouvées étaient assurément les siennes, puisqu’à sa taille… Le sac trouvé sur les lieux de l’accident avait été rapatrié avec lui. Le doigt du MLD501 enfonça une touche. Sur un des écrans, la planète Terre apparue. Un cadrage se matérialisa sur le globe. Il entra les données de la dernière position connue de la fainecapi Jogktihg Tim.


Le MLD501 ne se posa pas de question et mit le cap sur le continent africain. Après avoir retourné les poches du sac, sans rien y découvrir de particulier, Louis le rejeta dans un coin de la pièce, fit un ballot de son linge et le descendit chez madame Rose. Il sonna. Un poste de radio diffusait une émission populaire sur les problèmes de couple. La porte s’écarta sur un visage épais et soupçonneux. En le reconnaissant, madame Rose ouvrit en grand et lui afficha un bon sourire aux accents fripons. — Ha ! Louis, j’allais monter chez toi. Tu dois avoir une tonne de linge à repasser. — Le voici ! Il déposa le ballot dans l’entrée sans pénétrer davantage. — Entre, je te fais un café. — Pas le temps, j’ai un travail fou de classement à faire. On se voit plus tard. Elle n’eut pas le temps de répondre, il était déjà dans l’escalier. « Maintenant le courrier en retard » se dit-il … À l’approche de la Terre, le vaisseau capta le signal B. Le MLD501 vérifia les coordonnées. Sans se poser de question, il enregistra que la position du signal B était très éloignée de la


situation théorique de la fainecapi Tim. Il corrigea le cap et se plaçât en haute altitude, pour respecter la procédure. Le soleil se couchait. Louis n’en avait pas terminé du classement de ses paperasses, mais usé par toutes ces lectures ennuyeuses, il abandonna. Il se servit une autre bière et s’affala sur le fauteuil devant le match de foot que proposait la télé. Comme d’habitude, il ne tarda pas à piquer du nez et à s’endormir. Le MLD501 ouvrit le sas. Trente mille mètres d’altitude permettaient de conserver le vaisseau hors de vue des systèmes de détection des terriens. Il se jeta dans le vide. Son plongeon fut accéléré par la propulsion d’un jet gazeux. Il prit rapidement de la vitesse. Analysant la topographie, il constata qu’il se dirigeait vers une agglomération importante. Aussi, quand la température de son corps dépassa les deux cents degrés, il stabilisa sa vitesse afin de ne pas générer de trace dans l’atmosphère. Il parvint ainsi sur le toit d’un immeuble. Le signal était émis d’un des appartements. Il se laissa glisser vers le sol. Parvenu au troisième niveau, il reconnut le signal. La fenêtre n’était pas close…


Les informations qu’il captait lui apprirent tout sur l’état de santé de la fainecapi. Le MLD501 appliqua méthodiquement la procédure de rapatriement d’urgence. Il lui administra une injection de sérum Utut, afin que la femme ne subisse pas de séquelles en sortant de l’atmosphère, l’enveloppa du sac de protection, l’amarra sur son dos et retourna vers l’espace ou l’attendait le vaisseau. Là, il plaça le corps de la fainecapi en hibernation et repris le chemin du retour vers Drenne de Cassiopée. Après six semaines, il parvint aux frontières surveillées de l’empire des Huit. Il traversa sans encombre les différents contrôles et fut orienté vers la base stellaire de quarantaine. Il posa son appareil sur le tarmac, déverrouilla les entrées et se mis hors fonction, jusqu’à sa prochaine mission. Deux modèles SEH prirent en charge le conteneur et emportèrent la prétendue Fainecapi Tim vers le centre de décontamination. C’est au cours des vérifications de routine que la bourde fut découverte. La fainecapi Clarqk Jum, médecin en chef de la base, prit des mesures de précaution immédiates. Le terrien fut laissé en


hibernation et le gouvernement prévenu en urgence. Moins de deux heures plus tard, la déléguée impériale était sur place. — Une telle erreur n’aurait jamais dû se produire. Comment est-ce possible ? — Les bottes madame. Le terrien est en possession des bottes de la fainecapi Tim. Le robot ne pouvait prévoir… Ces bottes lui ont d’ailleurs probablement sauvé la vie. Nous avons décelé sur lui plusieurs traces d’un choc violent. Nous le datons exactement du moment même de la disparition de la fainecapi. — Que se serait-il passé ? — Je l’ignore encore, mais nous pouvons interroger le terrien. — Et les travaux de la fainecapi Tim? — Aucune trace. Dans son dernier rapport, elle signalait plusieurs opportunités. Des hommes à peau noire, correspondants parfaitement à nos besoins. Elle était sur le point de faire son choix, toujours prudemment, afin de conserver un maximum de discrétion. — Comment expliquez-vous que les bottes se soient trouvées en la possession du terrien ?? — Je pense qu’elle ne devait pas les porter sur elle. Le reste est un mystère. — Pouvons-nous voir ce mâle ?


— Suivez-moi Elles se dirigèrent vers un labo. Le corps refroidi de Louis était posé sur une couche de matière moelleuse. Il était nu. La déléguée resta silencieuse, comme pétrifiée de stupeur. — Il est pâle, c’est un blanc ! — Oui, ça parait incompréhensible, la zone explorée est sensée être peuplée d’hommes à peau noire. — Son sexe est tout petit ! La fainecapi Jum ne put retenir un petit rire. — C’est le froid. Rassurez-vous, quand il sera éveillé, son sexe reprendra une taille normale. La déléguée lui rendit son rire. — Bien, dégivrez-le. On va le questionner, il faut comprendre. Louis s’éveilla. Dans une pièce voisine, une commission attendait sa réaction tout en débattant sur les révélations qu’il avait faites sous l’effet d’une drogue. Ses membres en savaient maintenant autant que lui. — Il bouge, s’exclama l’une des onze femmes. Elles s’approchèrent de l’écran.


Resté en arrière, le seul homme présent les interpella. — Faites-le couvrir. Ce voyeurisme est indécent Louis ouvrit les yeux et découvrit un environnement inhabituel. Il pensa immédiatement à une chambre d’hôpital. Il chercha autour de lui un bouton ou une poignée pour appeler, mais la pièce était totalement vide. Hormis le curieux matelas incolore suspendu dans le vide, il n’y avait rien que des murs blancs. Apparut alors une créature étrange. Un empilement de boites en alu brossé, muni de bras articulés et d’une roue centrale sur laquelle elle se mouvait. Elle déposa un paquet devant lui et disparut dans la cloison. Éberlué, Louis se frotta les yeux. Puis il comprit que le paquet était une combinaison orange. Il était nu, il l’enfila. Presque aussitôt, un des murs s’effaça pour laisser paraître un groupe de femmes. Elles étaient toutes vêtues d’une combinaison identique à la sienne, mais de couleurs variées. Elles étaient belles, grandes, jeunes, souriantes, avenantes et la peau dorée, couleur chocolat. L’une d’elles s’approcha et posa une main sur son bras. — Bonjour Louis. Bienvenue dans l’Empire des Huit.


— Heu… bonjour madame… Qui êtesvous ? Où suis-je ? — Je suis Aglemkrt Nov, l’impératrice désignée. Vous êtes dans une chambre de décontamination. C’est un protocole de sécurité obligatoire pour tous les voyageurs qui entrent dans nos domaines. Louis cligna des yeux, à la fois ébloui par la lumière un peu forte de la pièce et par le charme de la jeune femme. — Heu… Pourquoi suis-je là ? — Une désolante erreur. Nous pensions récupérer une de nos concitoyennes, celle qui vous a accidenté dans la brousse. Comme vous portiez ses bottes, le robot a confondu et c’est vous qu’il a rapatriés. Mais soyez sans crainte, nous sommes un peuple pacifique et vous ne regretterez pas votre voyage. Les filles s’esclaffèrent autour de l’impératrice. Une voix d’homme les rappela à leur devoir : — Mesdames, un peu de sérieux. Le conseil devra statuer sur l’avenir de ce jeune garçon. Rien ne sera décidé avant. Louis découvrit l’homme. Il était grand, enlevé, vif, mais chauve. — Je suis Grijklar Mogd, l’un des Huit. Vous devez me suivre. Le conseil va vous recevoir.


Louis se retrouva soudain plongé dans la science-fiction. Suivant l’homme, et entouré des jeunes femmes, il découvrit le cœur d’un complexe incroyable fait de robots, de machines et de décors de film. On l’installa dans une sorte de bus ou tout le monde prit place. L’engin fut propulsé dans l’espace qu’il franchit à une vitesse fantastique en direction d’une planète nuageuse. C’est enfermé dans un salon qu’il attendit la suite. Il disposait de certain confort, meubles tableaux, bar, musique… et de la compagnie de trois femmes chargées de répondre à ses questions. En fait, c’étaient elles qui étaient les plus curieuses. — Vous avez un travail sur terre ? — Je suis soldat ! Sergent. Je participe à la force pacifique des casques bleus, en Afrique Centrale. — Vous avez une maison ? Une épouse ? Des enfants ? — J’ai une copine à Paris, rien de sérieux… — Comment se passe la vie des hommes ? Ils sont aussi nombreux que les femmes ? — Ben oui, pourquoi ? — Ici c’est différent. L’empire manque d’homme. Et les réserves de semence sont pratiquement épuisées, ou stériles.


— C’est vrai que j’ai vu beaucoup de femmes, et toutes jolies, mais juste un homme, c’est un drôle de ratio. Elles s’esclaffèrent. — L’Empire compte deux milliards de sujets, dont huit hommes. Pas un de plus. La porte du salon s’effaça. Louis reconnut l’impératrice. — Bonne nouvelle Louis, vos tests sont extraordinairement positifs. Le conseil des Huit a décidé de vous choisir, malgré votre couleur de peau. — Me choisir ? Pour quoi faire ? — Les filles vous ont prévenus ? Nous sommes à court de semence mâle… Bien, je vois qu’elles ne vous ont pas tout dit. Venez prêt de moi. Je vais vous conter une histoire qui va vous étonner. Autrefois, il y a des dizaines de millénaires de cela, l’empire n’était pas encore dirigé par les femmes. Les hommes imposaient leur loi et, vous vous en doutez, guerroyaient allègrement. D’abord ici, sur la planète mère, qui était divisée en une multitude de royaumes et nations, puis dans l’espace, au fur et à mesure de la fondation des colonies . Cette anarchie prit fin lors d’une révolte menée par des femmes. Elles entraînèrent dans leur sillage tous les humains désirant


vivre en paix et réussirent à unifier et créer l’Empire. Plusieurs années furent nécessaires pour y parvenir, car quelques irréductibles imbéciles tentèrent des frondes à plusieurs reprises. Enfin, après moult tentatives pour les éduquer, voyant que leur cas était sans espoir, ils furent bannis vers une planète lointaine : la Terre. C’est ainsi que naquit cette colonie dont vous êtes l’un des descendants. Naturellement, toute liaison avait été rompue, ceci par prudence, par discipline et aussi par le fait de la distance. Au fil du temps, l’histoire et l’existence des terriens tombèrent dans l’oubli. Et il en serait encore ainsi à ce jour, si une terrible déchéance n’avait frappé notre peuple. Bien que notre science soit capable de nous maintenir en vie et en bonne santé durant de nombreuses années, nous avons perdu la faculté de produire les chromosomes Y, indispensables pour féconder des garçons. Petit à petit, la population mâle ne fut plus renouvelée, et notre peuple semblait condamné à s’éteindre lentement. Les membres du conseil des Huit, seuls hommes encore de ce monde, sont vieux et ne produisent plus de semence de qualité. Pour la reproduction de l’espèce, nous en sommes à compter les naissances


hebdomadaires sur les doigts d’une main. Et uniquement des filles. Notre espoir est venu de la découverte d’anciens documents, faisant état de l’existence de la Terre. Nous avons immédiatement envoyé une mission d’exploration avec comme but de vérifier s’il y avait des survivants et si nous pouvions trouver un donneur. Notre surprise fut grande de constater la vigueur de votre espèce et aussi la palette de morphologie si différentes d’un endroit à l’autre. La fainecapi Tim devait identifier un mâle ayant des caractéristiques proches de l’origine, c'est-à-dire peau dorée. Vous connaissez la suite. — Vous avez parlé de test, vous ne m’avez pas dit de quoi il s’agissait. — On vous a prélevé du sperme, profitant d’une condition très favorable pendant votre réveil. Les analyses sont enthousiasmantes, vous pourriez fournir de quoi ensemencer l’empire et refournir des garçons. Le Conseil des Huit a juste fait observer que la couleur de nos rejetons sera un peu plus claire. — Vous voulez qu’à moi seul j’engrosse deux milliards de femmes ? — Pas toutes le même jour, nous allons nous organiser pour ne pas être enceinte en même


temps, mais je vous assure, avec une ou deux éprouvettes, nous aurons de quoi faire. — Ha oui, par insémination artificielle… Il y a d’autres moyens. — À l’ancienne, comme les bêtes ? Bah, c’est dégoûtant. Quel gâchis de sperme ! — Pourtant… Louis fut installé dans une somptueuse villa avec piscine et robots de dernière génération. À sa demande, le protocole de prélèvement dut être modifié. Il prétexta un risque d’allergie pour refuser toute anesthésie. À la surprise des infirmières chargées de prélever le précieux liquide, l’opération était possible même éveillé. La cadence de prélèvement appliquée aux membres du Conseil des Huit ; soi, une fois tous les deux mois pour les plus vigoureux, se révéla obsolète. Louis pouvait faire beaucoup mieux. Il se dévoua pour la bonne cause, faisant preuve d’un tempérament inconnu dans l’Empire des Huit, renouvelant les stocks, assurant ainsi un avenir serein pour l’Empire. Après une semaine de labeur, l’impératrice vint lui faire ses adieux. Son mandat d’un mois se terminait, elle devait regagner sa planète natale avec toutes les amies qui l’accompagnaient. À l’occasion du tirage au


sort de la nouvelle impératrice, le conseil dut se réunir pour suivre et surveiller le bon fonctionnement de la loterie. Louis fut invité. Il découvrit et fit connaissance avec les sept autres hommes de l’Empire. Le plus âgé ; Druihml Fasp approchait les trois siècles. Le plus jeune, Grijklar Mogd avait cent quatrevingt-deux printemps. Ils le questionnèrent sur la vie sur terre, chose qui les préoccupait au plus haut point et surtout sur ses érections matinales qui les rendaient baba. Aucun d’eux n’avait connu de femme au sens biblique. Louis ne fit pas de commentaire, mais il savait que parmi les femmes de la cour qui faisaient leurs valises, quelquesunes (dont l’impératrice) avaient, grâce à lui, vu le loup. Louis fut honoré de cette marque de sympathie, surtout qu’entre eux, les vieux (qui ne paraissaient pas si vieux) étaient plutôt décontractés. Naturellement, deux approches politiques différentes les divisaient, mais ils avaient appris au fil des ans à travailler ensemble. Comme chaque premier samedi du mois, les femmes de l’empire achetaient un ticket de loto. Le numéro gagnant emportait le trône pour un mois. La nouvelle impératrice s’installait au palais avec ses dames de compagnie, conseillères et autres


courtisanes, en tout trois cents femmes débarquaient bruyamment dans la capitale. L’impératrice régnait, en faisait à son gré, le conseil des huit étant à sa disposition et pouvant être consulté n’importe quant, sur tous les sujets. En fait, les filles les ignoraient souvent. On leur demandait juste de produire de la semence de qualité, ce qui ne s’était pas vu depuis des lustres, et de surveiller la roue du loto. Lamclarts Dièce, la nouvelle impératrice était encore plus belle que sa prédécesseure. Ce fut un coup de foudre. S’ensuivit une chose étrange et nouvelle en ce monde, une liaison amoureuse. Louis devint le favori de la cour. Toutes les femmes étaient à ses pieds. Mais Lamclarts, un peu jalouse, décréta qu’elle seule pratiquerait les prélèvements de semence. Ce n’était pas du goût de Louis qui avait pris certaines habitudes. Il dut se soumettre ainsi que les infirmières volontaires, pourtant de plus en plus nombreuses. Très vite, avoir la même partenaire jours et nuits lui devint fâcheux. Durant plusieurs semaines, il avait joui d’un tourbillon de femmes. Lamclarts avait pourtant un sacré tempérament, des siècles à rattraper au nom de ses ancêtres. Là pour le coup (si l’on peut


dire) il y eu du gâchis de semence… Même si, les jours passants, elle sembla perdre un peu de son tempérament de feu. Louis comprit pourquoi à l’occasion de l’anniversaire de Lamclarts, il remarqua que le gros gâteau à la crème, disparaissait sous le nombre des bougies… C’est avec soulagement qu’il vit arriver le premier samedi du mois suivant. Le ballet des valises reprit, un flot de femmes chassant l’autre. La nouvelle Impératrice Dragjoa Ctac était prude, il put retrouver le bataillon d’infirmières volontaires pour l’assister lors de ses dons quotidiens. Vint enfin le jour où l’impératrice lui annonça qu’il pouvait retourner sur la Terre. La vie ici ne lui déplaisait pas, mais sa famille, ses amis et Paris lui manquaient. On lui organisa une grande fête. Le couvrit de cadeaux et d’attentions. L’impératrice et pas mal d’autres femmes étaient émues et tristes, elles avaient découvert des plaisirs intimes partagés avec Louis. De quoi leur faire verser quelques larmes… Quoi qu'il en soit, l’Empire était sauvé, et les gènes prometteurs. Cent quatre-vingt-deux mille grossesses recensées officiellement, une cinquantaine de retards des règles dans l’entourage immédiat… Un immense soupir


s’éleva dans l’empire. Plus qu’une quinzaine d’années à patienter pour retrouver le goût de vivre (C’est à cet age que Louis avait commencé). Louis fut accompagné jusqu’au vaisseau par le Conseil des Huit au complet. Il avait appris à les connaître, les apprécier et les avait initiés au poker. La séparation fut difficile et chaleureuse. MLD501 sortit de son sommeil, enregistra sa nouvelle mission et prit les mesures qu’indiquait la procédure… Louis plongea dans un profond sommeil, et placé au frigo. Six semaines plus tard, MLD501 voulut déposer Louis dans son appartement. De nouveaux locataires l’occupaient. Il l’installa donc sur le toit de l’immeuble, déposa le petit sac de voyage et disparut dans la nuit. Louis frissonna. Il s’éveilla transi d’humidité par la rosée matinale. Surpris de se retrouver à cet endroit, il mit un certain temps à se situer. « Qu’est-ce que je fiche ici, sur ce toit ? » Il approcha le petit bagage, en sortit ses papiers, un peu de monnaie et une boite en fer qu’il ouvrit. Elle contenait une vingtaine de pierres taillées. Sans être un grand spécialiste, il comprit que ça représentait une


belle fortune. Les idées s’entrechoquaient dans sa tête. Il chercha un accès vers l’escalier qu’il découvrit près d’une cheminée. Il descendit jusqu’à son palier. Tâta ses poches pour y trouver ses clefs, il ne les avait pas sur lui. Énervé, perdu, il s’aperçut que le nom sur la porte n’était pas le sien. « Qu'estce qui se passe ? Je deviens dingue ». Bientôt six mois sans donner signe de vie, le propriétaire avait reloué. Mais ça, Louis ne pouvait le savoir. Son aventure spatiale avait disparu de sa mémoire. Il n’avait pas conscience des problèmes qu’il allait avoir avec sa hiérarchie. Il descendit au rez-de-chaussée. Même son nom sur la boite aux lettres avait disparu. Il sortit dans la rue et marcha vers un bar. Les passants étaient rares. Il entra, commanda un crème et un croissant. Il tourna son regard vers la baie qui lui renvoya son reflex. Il se rendit compte qu’il portait une combinaison verte, genre de truc que portent les éboueurs, qu’il avait les traits tirés et que son visage disparaissait sous une barbe façon Robinson Crusoé. Sur une table voisine traînait un journal de la veille. Les titres ne lui disaient rien, complètement décalés avec sa réalité. Dans son actualité, il se voyait ouvrir une bière et s’installer devant la télé pour regarder du foot…


C’est alors qu’il tomba sur la date : jeudi 22 septembre. Quelque chose clochait, il en était resté au 25 avril ! Il paya, sortit sur le trottoir et se dirigea vers la station la plus proche en emportant son bagage. Il était hébété, complètement déboussolé. Pour lui une seule solution possible, descendre en Avignon retrouver ses parents. Là-bas, on l’aiderait bien à comprendre. Il passa devant trois clochards qui se serraient sur une grille de ventilation du métro, installés à même le sol sur des cartons. L’un d’eux l’interpella : — T’n’as pas une pièce, mec ? Louis tâta ses poches en prenant un air contrarié. Il lui restait à peine de quoi prendre un billet. — Pas un rond, désolé les gars. Il continua sa route et, au moment ou il s’engageait dans l’escalier de la station, il entendit dans son dos : — S’fout de nous ce mec, t’as vu ses pompes ! Peu après, il débouchait à la gare de Lyon. Il monta dans le TGV sans prendre de billet. Il n’avait pas le choix. Il s’installa en seconde, mais fut obligé de décamper car la place était réservée. Du coup, il attendit le départ dans le coin à bagages.


Le train partit bondé. Impossible de trouver un siège. Il se posa sur les valises. Il savait qu’il allait avoir des ennuis, que le contrôleur allait le taxer… Autant dormir. Le bruit d’air comprimé de la porte le réveilla. C’était un voyageur qui allait aux toilettes. Il se sentit observé, avec sa barbe et sa tenue, il ne faisait pas jeune cadre dynamique. Il se recroquevilla dans son angle. Une minute plus tard, la porte s’ouvrit à nouveau. Louis aurait voulu disparaître, le regard des autres l’indisposait. Or, deux personnes passèrent, essayèrent d’ouvrir les WC qui étaient encore occupés, et s’en allèrent plus loin sans lui jeter un regard. Le premier homme ressortit, s’approcha d’une valise, vérifia le cadenas et retourna dans le wagon ne lui accordant pas un coup d’œil. D’autres passèrent, faisant comme s’il n’était pas là. Puis un contrôleur vint, ouvrit les WC, vérifia qu’il n’y avait personne, balança son grand pif à droite et à gauche sur les bagages et disparut sans rien lui demander. Louis ne revenait pas ! « Quel bol, ce couillon ne m’a pas vu » Le paysage défilait, campagne verte et fleurie… Soudain un tunnel. La glace de la portière renvoya le reflet des bagages. Il mit quelques secondes avant de piger qu’il ne s’y


voyait pas. Il regarda ses mains, ses jambes, elles étaient bien visibles, mais pas dans le reflex… Va comprendre ! Il n’attendit pas Avignon, dès Lyon, premier arrêt, il descendit, perturbé. Il fit quelques pas sur le quai. Les voyageurs le frôlaient sans le toucher. Il hésita, ne sachant quelle attitude prendre, puis voyant s’avancer un gros bonhomme tirant une valise à roulettes, il fit un écart pour lui barrer le chemin. L’homme le percuta, épaule contre épaule ; — Excusez-moi, dit celui-ci avec un accent belge. — C’est de ma faute, je suis désolé. « Bon, j’ai dû faire un cauchemar, je ne suis pas invisible ». D’autres voyageurs passaient, l’évitant à l’évidence. « Je suis cloche ». L’annonce imminente de départ du train le fit réagir, il y remonta et se réinstalla de la même façon. Le train s’était vidé, il repéra des fauteuils libres, plus confortables que ces valises un peu raides. Il alla s’asseoir. Un magazine people traînait là. Il l’ouvrit, le feuilleta sans curiosité, avec nonchalance. Il était sur le point de s’assoupir, quand une voix derrière lui le fit frémir : — Vos billets s’il vous plait !


Le contrôleur était juste derrière. Il aurait voulu se faire tout petit, glisser sous le siège pour disparaître… Une dame tendit son billet, elle demanda quand on arriverait à Avignon… — Dans vingt minutes madame, bon voyage. Le contrôleur s’avança dans l’allée centrale. Passa à côté de lui sans lui prêter attention et s’arrêta au niveau des passages des sièges de devant… qu’il contrôla, puis s’éloigna. Louis en lâcha son magazine qui tomba dans l’allée. Une jeune femme qui avançait le ramassa et le lui tendit avec un sourire… Avignon, 12 h 35. Il n’avait prévenu personne de son arrivée. Quand il sonna à la grille, la porte de la maison s’entrouvrit et Mouflon, le chien gris, se rua sur le portail en aboyant. Son père resta figé sur le seuil, la bouche béante. — Qui c’est ? demanda une voix à l’intérieur — C’est Louis ! Sa mère surgit, bouscula le père et se précipita vers lui. Lavé, rasé, peigné et changé, Louis, installé sur le canapé du salon regardait ses parents avec tendresse. Simone, sa mère lui préparait un repas chaud en l’écoutant. Lucien son père essayait de débrouiller l’itinéraire de son fils.


— Tu ne te souviens pas de ce que tu as fait ces six derniers mois ? Pas une piste, pas un souvenir ? — Rien papa. Je me suis réveillé ce matin avec l’impression de m’être endormi la veille devant mon poste de télé. — Mais nous t’avons cherché partout, ton portrait a été diffusé dans les gares, dans les commissariats. L’armée t’a cru déserteur. Et quand nous avons constaté que tu avais tout laissé sur place, y compris tes chéquiers et ta carte bleue, il a bien fallu se rendre à l’évidence. On t’a cru mort. — Je sais, c’est incompréhensible. Je me martyrise le cerveau depuis ce matin. — Il faut prévenir les gendarmes, mais avant, je vais appeler mon bureau pour prévenir que je prends mon après-midi — Et le docteur, ajoute Simone. Tu vas avoir besoin d’un examen approfondi. Ton amnésie fait peut-être suite à ton accident. Une heure plus tard, le docteur Fermin remballait son stéthoscope. — Rien d’anormal, bonne tension, pas de trace de lésion. Je vais quand même vous adresser à un spécialiste. À ce moment, deux gendarmes se présentèrent. — Vous devez nous suivre, nous avons des questions à vous poser. Ça prendra le temps


d’une déposition et d’un contrôle auprès du médecin militaire de la base. Vous serez de retour ce soir. Sans résister, Louis les suivit. Lucien voulut l’accompagner, mais les gendarmes s’y opposèrent. Soucieux il regarda son fils s’éloigner. Louis se prêta au jeu des questions, ses réponses étaient simples, il ne se souvenait de rien. On lui permit de rentrer chez ses parents avec ordre de ne pas quitter la ville et de rester disponible pour l’enquête. Une enquête fut ouverte, avec comme objectif ; remonter son parcours depuis le toit de son immeuble. Les inspecteurs ne trouvèrent rien, personne n’avait vu Louis ni les jours ni les semaines précédentes. Une semaine passa ainsi, Louis se rendant chaque jour à une convocation, soit à l’hôpital, soit à la caserne. Le samedi en quinze, Lucien proposa à son fils de l’accompagner en forêt. — C’est la pleine saison de cèpes, je connais un bon coin. — Impossible papa, je dois me présenter devant un psy à 10 heures. Je ne sais pas combien de temps ça va durer. Vas-y seul. Dépité, Lucien s’équipa. Au moment de mettre ses chaussures de marche, il rouspéta. — Simone ! C’est toi qui as touché à mes pompes ?


— Je les ai lavées. Elles étaient pleines de boue. — C’est malin ! Avec quoi vais-je marcher en forêt ? — Pends mes bottes papa, tu verras, elles sont super confortables, de vrais chaussons… Pour la première fois depuis des centaines d’années, un mouvement de contestation prenait vie dans l’Empire des Huit. Grijklar Mogd avait réuni le Conseil pour une cession particulière, avec un ordre du jour extraordinaire. — Mes amis, si nous ne faisons rien, nous courrons droit à la catastrophe. — Mais qu’est-ce qu’elles ont donc, ces donzelles ? — Elles exigent des hommes. — Et bien elles vont en avoir, les premiers examens cliniques laissent penser que les futures naissances vont fournir la disparité que nous souhaitons. — Elles refusent d’attendre — Tiens donc, mais pourquoi faire ? Grijklar Mogd toussa dans sa paume… — Des choses que Louis leur a fait découvrir. L’extase selon certaines. — Baliverne ! De quoi parlez-vous ?


— Tout simplement d’accouplement, comme les bêtes sauvages. — C’est inouï ! — Stupide ! — Fabulation ! — Non, c’est vrai ! Certifia soudain Druihml Fasp, le vétéran de la bande. Je suis le seul ici à avoir pratiqué la chose, dans ma jeunesse. Je n’en ai jamais parlé, car nos dégénérescences ne nous permettent plus de le faire, mais je me souviens que les troisquatre fois que j’ai essayé, j’ai trouvé ça plutôt agréable. Grijklar attira leur attention. — Si nous ne voulons pas que ce mouvement se développe, il faut rapidement trouver une solution. — Qu’en pense l’Impératrice ? — Elle mène le mouvement ! Elle est épaulée des deux impératrices précédentes, de toutes les femmes qui les accompagnaient, ainsi que des infirmières de la réserve. — Ça ne représente qu’un millier de femmes, ce n’est pas encore la révolution ! — Si nous ne faisons rien, ça risque de s’étendre. — Que proposes-tu ? — Je n’ai pas vraiment d’idées, il faut y réfléchir.


C’est à cet instant que de Dragjoa Ctac l’impératrice, fit irruption dans la salle du conseil. — Alors messieurs ? Qu’avez-vous trouvé comme solution au problème ? — Nous y travaillons, majesté. C’est un sujet grave et compliqué… — Pas si compliqué que cela. Ma décision est prise, j’ordonne au MLD501 de faire demi-tour et de nous ramener Louis. Ce n’est qu’une première phase. Nous allons organiser des migrations de terriens mâles vers l’empire. — Mais ce sont des hommes bannis ! — Ça ne tourne pas rond dans votre tête, mon pauvre Grijklar. MLD501 mit le vaisseau en approche lente pour se positionner à haute altitude au-dessus de l’agglomération parisienne, et déclencha les capteurs. Pas de signal B. Il augmenta la force de réception. Il reçut un écho orienté plus au sud. Il déplaça le vaisseau vers la zone identifiée. L’endroit était peu urbanisé, c’était une forêt assez dense. Il bloqua les commandes et se jeta dans le vide. Il repéra facilement l’homme au milieu des bois. Il se posa à côté de lui, en douceur. Lucien entendit un craquement de branches,


il pensa à un sanglier et se retourna lentement. Il ne vit rien. Mais il sentit une piqûre sur sa joue, voulut se la frotter, et s’écroula dans la mousse sans connaissance. MLD501 l’arrima, et toujours invisible, il l’emporta dans les nuages. Simone était inquiète, dès le retour de Louis, elle lui fit part de ses craintes. — Ton père n’est pas rentré pour déjeuner, ce n’est pas dans ses habitudes de ne pas me prévenir, je suis morte d’inquiétude. — On va attendre, il a peut-être rencontré un copain. Il connaît ces bois comme sa poche… C’est le soir, vers huit heures qu’il appela la gendarmerie. Le lendemain, une battue fut organisée. Deux jours durant les recherches s’activèrent, sans résultat. Il fallut se rendre à l’évidence. Lucien avait disparu… de la même manière que son fils, six mois plus tôt. Quand le MLD501 arriva en vue du tarmac, il enclencha la procédure classique et gagna sa place. Son cerveau artificiel enregistra juste que du monde était présent et l’attendait. L’impératrice accéléra la procédure. Le sarcophage fut déchargé et, suivi par la foule, fut conduit vers le labo.


Elles l’entouraient, Lamclarts au premier rang, et toutes avaient le cœur en émoi. Quand le givre s’évapora, elles découvrirent un Louis vieilli de trente ans, aux cheveux rares et gris, aux lunettes à grosses montures, la bedaine rebondie. — Mon dieu, que c’est-il passé ? s’écria Lamclarts, c’est devenu un vieillard ! — N’exagérons rien, dit Grijklar qui arrivait juste. Il a pris un petit coup de vieux, c’est tout. — Tirez-moi ça au clair ! Exigea l’impératrice. Ce n’est pas Louis, c’est un autre homme. — Décidément, le MLD501 n’est pas fiable pour ce genre de missions. Il faudra trouver une autre méthode. — Réveillez le, on va quand même le tester. Lucien ouvrit les yeux sur trois anges dorés lui souriant. Il frissonnait, aussitôt des mains attentives posèrent une couverture sur son corps nu. Il se sentait las, mais détendu. Une des jeunes femmes emporta une éprouvette. Les autres le frictionnèrent. Elles lui parlèrent gentiment, l’assurant que tout allait bien. — Où suis-je ? Une autre femme entra. Elle s’approcha avec grâce.


— Ne vous posez pas trop de question, je vais tout vous expliquer, mais avant, ditesmoi : où avez-vous trouvez vos bottes ? — Les bottes ? C’est celles de mon fils, Louis. Il me les… Il ne put terminer sa phrase, les filles criaient et sautaient en tapant des mains… « C’est son père ! C’est son père ! C’est son père… » Une demi-heure plus tard, il dînait en tête à tête avec l’impératrice. Il avait pris connaissance de toutes les explications. Il fallut qu’il intègre que trois cents milles femmes allaient lui donner des petits enfants, qu’il allait être le grand-père le plus prolifère de l’univers. — Ha ça, si on m’avait dit que mon fils allait être le donneur le plus fécond du monde… Enfin, vos techniques aident bien, malgré tout. — Il en a quand même mis plus de deux cents enceintes, directement. C’est une autre technique qu’il maîtrise à merveille. — Ha ? Tant que ça ? — Oui, répondit-elle d’un air songeur. Mais je suis certaine que vous serez aussi talentueux que lui. Lucien faillit en avaler de travers. Il plongea ses yeux bleus dans ceux de l’impératrice.


— Vous n’imaginez pas que je vais prendre la relève ! Je suis marié ! — C’est quoi, marié ? — Mais bon sang, ça veut dire que j’ai une femme que j’aime, et que je n’ai pas l’intention de lui être infidèle. Le visage de l’impératrice se transforma, il prit une expression douloureuse. — Vous n’allez pas refuser ! Nous avons besoin de vous. — Désolé ma petite dame, mais il faudra trouver quelqu’un autre. — Votre fils a pourtant bien apprécié de le faire… — Tu parles, vous avez effacé sa mémoire. Si encore ça lui faisait des souvenirs ! Vous êtes de vrais barbares dans votre genre. Si c’est la seule chose que je puisse faire pour vous, c’est raté ! Vous n’avez plus qu’à me redéposer. L’impératrice en perdit l’appétit, elle fit appeler Grijklar. Il les retrouva dans la salle a manger du palais. Lucien terminait un dessert nappé de chocolat. — Grijklar ! Ce monsieur refuse de nous aider. Il ne veut pas coopérer ! — Fâcheux, majesté. Mais qu’y pouvonsnous ? — Il demande à retourner chez lui ! — Rien de surprenant ! Les Terriens ont leurs coutumes, leurs usages. Il a toujours été


convenu que notre entreprise de régénération devait être basée sur le volontariat. N’oubliez pas que si nous avons expatrié Louis de sa planète, c’est suite à un cruel concours de circonstances. Notre Fainecapi Tim ayant perdu la vie, nous pensions récupérer son corps. Sa mission consistait à collecter de la semence. — Si je peux me permettre de m’immiscer, proposa Lucien. Votre problème ne me parait pas si compliqué à régler… Le domaine de Terloin, au sud d’Avignon, comprenait le manoir avec ses dix-huit chambres de très haut standing, la piscine, le golf, Les quinze hectares de vigne donnaient un très respectable Châteauneuf-du-Pape. La boite de nuit était un peu plus loin, de l’autre côté du coteau, vers le bois privé. Louis gara sa Ferrari devant l’entrée du hall. Il escalada les marches du perron et entra dans la bâtisse. Malgré l’heure avancée de la matinée, les clientes dormaient encore. Deux MLD354 s’occupaient du ménage dans le hall, il les salua en passant et se dirigea vers un petit bureau ou un MLD809 tenait la comptabilité. — Alors ? Qu’a donné la nuit ? « Très bonne récolte, onze fioles de sperme de première qualité »


— Nous devons approcher de nos objectifs pour ce mois-ci. Les filles sont comblées ? « Au-delà de leurs espérances, celles qui partent ce soir le regrettent.» — Le départ est prévu pour quelle heure ? « La navette se posera vers deux heures. Elle emportera un demi-litre de semence. Une vingtaine de nouvelles clientes débarqueront pour un séjour d’une semaine. »


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