NEMESIS #10 HORS-SERIE Actualité internationale juin 2020 ISCPA Lyon

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SYMBOLES p.6-7 Chute des symboles historiques

NÉMÉSIS 18/06/2020

HORS-SÉRIE Discriminations: alliances et rivalités ?

SOCIÉTÉ p.10 Nouvelle historique pour le Costa Rica


édito

ON N’EFFACE PAS L’HISTOIRE

Pour cette dernière édition de Némésis, nous vous proposons un hors-série axé sur les discriminations. Ces dernières semaines ont en effet été particulièrement mouvementées. La mort de George Floyd a entraîné une réelle prise de conscience chez de nombreuses personnes. Cela a débouché sur des manifestations pacifiques, mais aussi des renversements de statues qui étaient des symboles. Plus que des symboles, on peut considérer que ces actions supposément pacifiques détruisent l’Histoire. Si tous ces personnages ont une statue, c’est pour une raison, quelle qu’elle soit. Qu’on les enlève des places publiques, soit, mais elles ont au moins une place dans les musées. Simplement les renverser n’a aucun intérêt concret, cela ne changera rien. Et si toutes ces personnes ont parfois commis des atrocités (marchandage d’esclave par exemple), ils ont aussi grandement participé à l’histoire de leur pays. Renverser la statue d’Edward Colston peut s’envisager, mais celle de Winston Churchill peut faire débat. Faut-il désormais considérer qu’il n’est plus un héros de guerre ? Car il y a une chose à ne pas oublier, le racisme était présent à l’époque et c’est comme ça, aussi horrible que ce soit. Bien sûr qu’il faut mettre un terme au racisme, mais également à toutes les formes de discrimination. Les homosexuels, bi, transsexuels sont encore trop stigmatisés. Mais nous pouvons voir des lueurs d’espoir. Au Costa Rica, le mariage gay est enfin autorisé. C’est le premier pays d’Amérique Centrale à le légaliser et nous espérons que ce ne sera pas le dernier. Ces manifestations sont-elles le début d’un changement ? Peut-être. La jeune génération s’assume plus aisément que les plus âgés. C’était déjà le cas lors des manifestations pour le climat où la cause était grandement défendue par les jeunes. Il faudra du temps avant de mettre fin au racisme et penser qu’on peut l’éradiquer est une utopie. Mais les mentalités changent et les sociétés prennent conscience de ces nombreux problèmes. Un jour, peut-être, tout cela sera du passé. Nous vous remercions pour avoir été fidèle à Némésis depuis le début !

Adrien Chatre, rédacteur en chef

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Rédaction: ISCPA Lyon 47 rue Sergent Michel Berthet, 69009 Lyon, 04.72.85.71.73 Rédacteur en chef: Adrien Chatre Secrétariat de rédaction: Benjamin Lauriol, Léa Christol Rédaction: Pauline Choppin, Camille Romand, Sylvain Gauthier, Nicolas Delattre, Benjamin Lauriol, Léa Christol, Lucas Mollard, Adrien Chatre, Ameline Manissolle Maquettiste et graphiste: Ameline Manissolle


sommaire

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Politique

Allemagne: Une polémique sur le terme «race»

05

Média

Adama Traoré : une affaire de politique

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Symboles

La chute des symboles du passé

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Symboles

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Culture

Autant en emporte le vent, victime de son époque

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Société

Une loi pour interdire les « thérapies de conversion » des homosexuels

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Société

Le Costa Rica entre dans l’Histoire

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Économie

Apple débloque 100 millions de dollars pour lutter contre le racisme

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Interview

Samir Bou-Saïd « Qu’on me traite de singe ? Je deviens habitué »

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politique Allemagne: Une polémique sur le terme «race» En Allemagne, la mort de George Floyd a renforcé les appels de lutte contre les discriminations de minorités ethniques. La proposition des écologistes de reformuler l’article 3 de la « Loi fondamentale » divise la classe politique. Pouvons nous parler de race, quand nous savons que l’espèce humaine est homogène à environ 99,9%? En Allemagne, dans ce contexte des manifestations antiracistes, les écologistes exigent la suppression du terme « race » dans la constitution. L’article 3 de la « Loi fondamentale » de 1949 énonce que « nul ne doit être discriminé ni privilégié en raison de son sexe, de son ascendance, de sa race, de sa langue, de sa patrie et de son origine, de sa croyance, de ses opinions religieuses ou politiques ». « Ce terme manifeste une division des gens en catégories qui contredisent la revendication et l’esprit de notre Loi fondamentale. Il n’y a pas de « races ». Il y a des êtres humains » a expliqué Robert Habeck, coprésident des Verts, dans une tribune du quotidien de gauche, Tageszeitung. Ce dernier propose de remplacer le mot « race » par l’expression « attributions racistes ».

UN

SOUTIEN

DE NOMBREUX D’OPPOSITION

PARTIS

Les écologistes ont obtenu le soutien du parti libéral FDP (droite), de la gauche radicale « Die Linke » mais également des sociaux-démocrates (SPD). « La Loi fondamentale interdit la discrimination raciale. Elle doit aussi l’exprimer dans la formulation », a lancé, Marco Buschmann, secrétaire parlementaire du FDP, dans un tweet. « L’initiative gagne du soutien. Il faut espérer que l’élan sera suffisant pour convaincre le gouvernement fédéral », a annoncé Robert Habeck. En effet, une majorité de deux tiers au parlement allemand est nécessaire pour cette modification de la Constitution.

Le palais du Reichstag à Berlin © Claire Chaygneaud-Dupuyg

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Une manifestante lors d’une manifestation anti-raciste à Berlin © Reuters/C.Mang

Le ministre de l’Intérieur Horst Seehofer (CDU-CSU), connu pour ses positions très conservatrices, est également « ouvert à la discussion ». Il estime cependant, que ce débat est théorique et qu’il est primordial de « contenir le racisme dans la pratique ». De son côté, le parti d’extrême droite AFD n’a pas apporté son soutien à l’initiative.

UN DÉBAT LINGUISTIQUE La ministre de la Justice, Christine Lambrecht, pourtant socialdémocrate (SPD) se montre sceptique. Elle défend le mot « race » en le remettant dans le contexte de l’après-guerre. Selon une porte-parole du ministère de la Justice, le terme tel qu’il est écrit dans la Loi fondamentale, résulte de la persécution des minorités sous le régime nazi. Selon le ministère, le mot « race » établit aussi le « point de départ linguistique du terme racisme, contre lequel nous voulons également agir clairement ». En France le débat resurgit également à la faveur de la mobilisation antiraciste. Dans un entretien au Parisien, le ministre du Logement Julien Denormandie appelle également à supprimer le terme « race » du préambule de la Constitution. L’article 1 stipule que « tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». Pour certains juristes, cette mesure pourrait s’avérer contreproductive.

Par léa christol


média ADaMA TRAORé : une affaire de politique RIVALITÉ DE CLICS Les médias se suivent mais ne se ressemblent pas. Chacun veille à informer avec un angle, un bord ou une envie qui lui est propre. Et dans une affaire compliquée, rien de mieux qu’un résumé comme dans l’Express ou le Monde. Oui, l’initiative est intéressante car elle permet d’objectivement présenter des faits et tous les regrouper dans une même source. Mais l’accès à cette information essentielle est forcément payant pour ces deux-là, alors qu’elle peut être retrouvée ailleurs gratuitement sous la forme de fragments d’articles. Dommage. Assa Traoré, la demi-soeur d’Adama, place de la République le 13 juin. © Thomas SAMSON / AFP

« Justice » pour Adama Traoré. Une phrase scandée en boucle dans les manifestations contre les violences policières, depuis la mobilisation du 2 juin. Ces quelques mots repris par les médias et des rebondissements judiciaires incessants ont su perdre l’opinion publique dans un flot d’information continu. Quand le journalisme se politise… La mort de George Floyd a témoigné de problèmes vieux de plusieurs décennies partout dans le monde. La montée des violences policières, le racisme, les classes sociales sont autant de sujets sociétaux débattus depuis le début de l’affaire américaine. Si elle a au moins eu le mérite de faire éveiller les consciences ou plutôt de les extérioriser, la presse s’est aussi impliquée dans le mécanisme pour jouer sur l’opinion publique. En France, c’est l’affaire Adama Traoré qui revient sur le devant de la scène médiatique. La mort du jeune homme de 24 ans le 19 juillet 2016 a marqué les esprits grâce notamment au comité Adama Traoré, créé par sa sœur Assa, comptant de nombreux militants actifs. Celui-ci continue de lutter pour connaître la « vérité », mais manifeste aussi pour les violences policières et le racisme dans son ensemble. Il est aidé par toute une famille, meurtrie, qui avec leur avocat, tend à élucider les conditions du décès. Et rien de mieux que les médias pour faire un message au service d’une cause. Assa Traoré le sait et a tenu, via BFMTV, un discours passé en direct le 13 juin dernier.

L’information fraîche reste également une bonne source de clics et de revenus pour la plupart des médias. La nouvelle reconstitution des faits demandée ce 17 juin par l’avocat de la famille, Me Yassine Bouzrou, a été reprise par tous les médias traditionnels. Le Parisien, le Point ou encore Franceinfo se sont tous basés sur le même communiqué de l’AFP pour produire un article quasiment identique. Tout le problème de la presse actuelle qui n’arrive pas à gérer le terrain et le besoin instantané de l’information actuel, garantie par l’agence de presse.

POINTS DE VUE PARTICULIERS L’affaire Adama Traoré est complexe et permet à l’inverse de balayer plus large pour sortir des sujets intéressants. La presse locale tire son épingle du jeu comme France Bleu qui titre sur le nom d’une rue à Valence, changée en rue Adama-Traoré pendant la dernière manifestation mardi 16. Un réseau de proximité, très important pour beaucoup de communes en France, où l’opinion publique se nourrit de canards présentés dans les kiosques ou sur le marché. Un véritable coup à jouer encore actuellement à l’ère du tout numérique. Même parti pris pour France Inter qui choisit de s’éloigner de l’affaire et des croyances ambiantes pour présenter le comité créé par Assa Traoré plus précisément, savoir qu’est ce qu’il est, comment il agit, avec qui etc.

Deux journaux placés à droite de l’échiquier politique s’organisent différemment. Valeurs Actuelles est allé chercher le témoignage de Manuel Valls sur la situation, afin de connaître l’avis d’une personnalité de gauche dans un journal bien dirigé à droite, avec un angle d’attaque bien précis. C’est aussi le cas de Marianne qui propose la chronique de Régis De Castelnau, avocat à la cour. Celui-ci revient sur l’histoire Cette dernière parle d’une « France (qui) reconnaît qu’il y a du et propose un paragraphe nommé « La réalité ». Une belle racisme, dans la police française, dans la gendarmerie française ». façon de politiser sa version des faits sans réelle contradiction Et quand elle parle de la France, elle s’adresse à des centaines journalistique… de milliers de téléspectateurs. Une prise de parole publique et politique récupérée par un média souvent critiqué pour son goût du buzz.

Par benjamin lauriol

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symboles La chute des symboles du passé Depuis la mort de George Floyd le 25 mai dernier, le monde a pris conscience du racisme. Partout, des protestations fleurissent pour réclamer la fin de l’oppression que subissent les personnes noires. Actes symboliques, les manifestants s’attaquent aux nombreuses statues représentant des personnages historiques ayant participé ou soutenu le colonialisme. Taguées, décapitées, vandalisées ou encore jetées dans des fleuves. C’est ce qui arrive en ce moment aux statues de colonialistes, marchands d’esclaves et figures de l’Histoire ayant soutenu ou participé à l’esclavagisme. Les manifestants antiracisme veulent faire disparaître ces symboles controversés de la voie publique. Une statue du roi Léopold II, pour son rôle dans la colonisation, a été prise pour cible à Anvers, en Belgique. Celle du marchand d’esclaves Edward Colston, à Bristol au Royaume-Uni, a été déboulonnée et jetée dans une rivière près de la ville. Aux Etats-Unis, des statues de Christophe Colomb, découvreur de l’Amérique mais aussi figure du génocide des Amérindiens, ont été décapitées ou dégradées comme à Boston ou Miami. Des dizaines d’autres statues évoquant le passé esclavagiste du pays ou représentant des soldats sudistes ont aussi été renversées.

UN COMBAT QUI NE DATE PAS D’HIER L’iconoclasme révolutionnaire n’est pas récent. Cette manière de mener, procéder à une révolution, symbolise avant tout le renversement du pouvoir. Il s’agit d’effacer les signes du pouvoir, épurer le passé, faire chuter une mémoire que l’on juge honteuse, hors de son temps ou en contradiction avec ses propres valeurs. C’est une façon de s’approprier la souveraineté, d’accélérer le cours de l’histoire. Pour cette raison, le débat du déboulonnage des statues à controverse n’est pas nouveau. En France, nous pouvons remonter à la Révolution Française. A partir de 1790, « tous les signes de la féodalité ont été pourchassés (…), en tant qu’ils blessaient le nouvel espace public démocratique, égalitaire », expliquait l’historien Emmanuel Fureix aux Inrocks il y a peu. Autre exemple lors de la chute de l’URSS, avec la destruction de statues représentant Lénine ou Staline entre autres. En 2003, une statue de Saddam Hussein avait été retirée à Bagdad. Un débat avait également fait rage en 2015 en Afrique du Sud à propos de la statue de Cecil Rhodes, figure de l’impérialisme britannique, qui avait finalement été décrochée en avril 2015 à l’université du Cap. Plus récemment, les manifestations en 2017 à Charlottesville demandaient le retrait de la statue du général sudiste Robert Lee. Les gens ne souhaitent plus que des personnes ayant commis des actes répréhensibles soient glorifiées.

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Statue de Christophe Collomb décapitée à Boston © Bryan Snyder/Reuters

LA POLITIQUE RÉAGIT Suite à ces actes de vandalismes, des maires et gouverneurs ayant dans leurs villes des statues controversées ont ouvert les yeux sur le problème. Aux Etats-Unis, le gouverneur de Virginie a indiqué la semaine dernière vouloir déboulonner rapidement une statue du général Robert Lee à Richmond. Le maire de Boston, Martin Walsh, a quant à lui, retiré la statue de Christophe Colomb située dans sa ville le 16 juin dernier, en attendant une décision définitive sur son sort, selon des médias locaux. A la demande du mouvement Black Lives Matter en Belgique, la statue de Léopold II à Anvers partira au musée local, où un texte expliquera les ravages humains de son règne en Afrique. En France, c’est la statue de Jean-Baptiste Colbert, près de l’Assemblée nationale, qui pose problème et ce, depuis quelques années. Ministre des finances de Louis XIV, il est aussi l’auteur du Code noir, sorte de guide de l’esclavage dans les colonies françaises. Le 6 juin dernier, un porte-parole de la Brigade anti-négrophobie a lancé un appel pour déboulonner la statue de Colbert lors d’une manifestation contre le racisme et les violences policières.

Statue de Leopold II, ancien roi belge, vandalisée. © OLIVIER HOSLET / MAXPPP


La statue du négrier Edward Colston, jetée par les manifestants dans l’Avon en Angleterre . © Giulia Spadafora/NurPhoto via AFP

Pour Louis-Georges Tin, président d’honneur du Cran (Conseil représentatif des associations noires de France), interrogé sur BFMTV, « il faut enseigner [Colbert] et ne pas l’honorer. Car on ne choisit pas de faire une statue ou un nom de rue pour enseigner, on n’enseigne pas avec les noms de rue, on célèbre ». D’après Libération, l’Assemblée nationale envisagerait de bâcher la statue de Colbert pour la protéger. Lors de son allocution le 14 juin dernier, Emmanuel Macron a affirmé qu’aucune statue ne sera enlevée. « La République n’effacera aucun nom ou aucune trace de son histoire. »

Alors pourquoi cet acte ? Dans une vidéo publiée sur Facebook, deux jeunes filles expliquent ces agissements. « Nous en avons assez, nous, jeunes Martiniquais, d’être entourés de symboles qui nous insultent. Victor Schœlcher était complètement favorable à l’indemnisation des colons, il y a plusieurs textes qui le prouvent », avance l’une d’elles.

Pour la directrice de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, Dominique Taffin, l’action a été mise « en œuvre avec une grosse dose d’ignorance de l’Histoire, même de la dynamique de l’esclavage en Martinique ». Marcel Dorigny, ancien membre DES ACTIONS DISCUTABLES D’UN POINT DE du Comité pour la mémoire de l’esclavage, est du même avis. « L’histoire ne peut être travestie, l’indemnisation des maîtres a été VUE HISTORIQUE décrétée en avril 1849 (...) À ce moment, Schœlcher n’était plus Si ce genre d’action montre une volonté de changement, cela au gouvernement. Il est donc totalement erroné de transformer pourrait avoir de très mauvaises conséquences. Beaucoup l’abolitionniste Schœlcher en ‘père de l’indemnité’ en faveur des craignent un effacement, une réinterprétation du passé ou maîtres ». des anachronismes. « L’Histoire, on doit l’assumer », affirme NE PAS OUBLIER LE PASSÉ l’historien Dimitri Casali dans une tribune. Retirer une statue n’est pas la solution, c’est au contraire « ouvrir la boîte de Les statues de personnages de l’Histoire en lien avec l’esclavage Pandore du révisionnisme historique ». Autre problème, c’est la perte de la complexité historique. doivent être traitées au cas par cas. Chacun a de multiples Juger le passé avec nos valeurs d’aujourd’hui, sans prendre en facettes, personne n’est tout noir ou tout blanc. Selon l’historien David Greenberg, mieux vaut la pédagogie à « la purge ». compte les facettes multiples d’un personnage. C’est le cas de l’anglais Edward Colston. Bien qu’il ait été Martin Luther King disait la même chose. Malheureusement, le négrier, il a aussi fait profiter de sa fortune mal acquise à la débat est devenu houleux. ville de Bristol. Churchill, qui a eu un rôle déterminant dans la Détruire ces statues, serait comme oublier l’Histoire. « Ceux qui Seconde Guerre mondiale a vu sa statue à Londre taguée avec ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter », l’écrivain George Santayana serait peut-être d’accord... la mention « Churchill was racist ». Le déboulonnage de la statue de Victor Schœlcher en Martinique est plus inquiétant. Journaliste et homme politique du XIXe siècle, il a pourtant obtenu l’abolition définitive de l’esclavage en France en 1848.

Par camille romand et sylvain gauthier

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culture Autant en emporte le vent, victime de son époque

Affiche originale d’Autant en emporte le vent, 1939. © senscritique

POURQUOI CETTE POLÉMIQUE ? Le film existe depuis maintenant presque 90 ans, mais le contexte actuel a poussé HBO à le retirer de sa plate-forme. Evidemment, les manifestations depuis la mort de George Floyd ont été l’élément déclencheur, mais c’est aussi une façon de montrer qu’un film reste avant tout un produit de son époque, et qu’il faut garder un œil critique. Car bien que tendancieux, voire totalement déconnecté de la réalité sur certains points, le film reste un monument littéraire, à lire ou regarder absolument. Il est normal qu’avec l’évolution des mœurs, l’opinion collective, certains diraient « l’aseptisation » ou la « censure propre », certaines œuvres soient remises en causes aujourd’hui. Les liaisons dangereuses, de Chordelos de Laclos, paru en 1782 fut censuré à l’époque, et est aujourd’hui reconnu pour ses qualités littéraires. Point ironique, cette polémique a fait un bon coup de publicité au film, qui s’est hissé en tête des visionnage sur les plateformes de streaming.

Le film Autant en emporte le vent, paru en 1939 et oscarisé huit fois, est retiré de la plate-forme de vidéos à la demande HBO pendant quelques jours. En cause : la vision biaisée de l’esclavage donnée par le film, largement critiquée depuis le début du mouvement Black Lives Matter. C’est le film le plus rentable de l’histoire, et pourtant il aura fallu attendre 2020, et notamment le mouvement de contestation « Black Lives Matter », pour qu’Autant en emporte le vent fasse réellement polémique. Déjà controversé depuis sa sortie en 1939, l’œuvre est dite « raciste », « rétrograde », « simpliste ». La mort de l’Afro-américain George Floyd, étouffé lors d’une intervention policière, a ravivé les tensions autour de ce film.

HBO NE TARDE PAS À RÉAGIR

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La plate-forme HBO, notamment créatrice de la série Game Of Thrones, a retiré temporairement Autant en emporte le vent de ses vidéos à la demande. Il est pointé du doigt la représentation de l’esclavage, qui est présentée comme une bonne condition, et la vision altérée de la guerre de Sécession. HBO a annoncé vouloir inclure un contexte au début du film avant de le remettre en ligne. Adapté du roman du même nom de Margaret Mitchell, il est considéré comme un chefd’œuvre outre-Atlantique. Les américains le désignent même par l’acronyme « GWTW », pour Gone with the wind, le titre en anglais.

Hattie McDaniel dans le rôle de Mama, au côté de Vivien Leigh. © les échos.fr

Hattie McDaniel fut la première femme afroaméricaine à être oscarisée. Elle incarnait une domestique, « Mama », dans Autant en emporte le vent. Comme beaucoup d’acteurs noirs à cette époque, elle était appelée uniquement sur des rôles stéréotypés, et n’était parfois pas citée au générique. Durant toute sa carrière, elle apparaît dans plus de 300 films, mais n’est présente que dans les crédits de 80 films et joue 74 rôles de domestique.

Par NICOLAS DELATTRE


société Une loi pour interdire les « thérapies de conversion » des homosexuels Le 18 décembre, l’Allemagne a présenté une loi visant à interdire les « thérapies de conversion », qui visent à changer l’orientation sexuelle des homosexuels, dont les promoteurs risqueront jusqu’à un an de prison. « L’homosexualité n’est pas une maladie. Par conséquent, le terme ‘’thérapie’’ est trompeur. Nous voulons interdire autant que possible les thérapies dites de conversion. Là où elles sont effectuées, il y a souvent de graves souffrances physiques et mentales », a précisé le ministre fédéral de la santé allemande. Une loi pour interdire les « thérapies de conversion », c’est ce que souhaite le gouvernement allemand qui veut en finir avec ces méthodes jugées homophobes et « malsaines », assure le ministre de la santé Jens Spahn.

À contrario de l’Allemagne, les méthodes américaines de « guérisons » se font principalement par des injections massives de testostérone, des techniques pour induire une aversion, voire même des électrochocs en diffusant, devant le sujet, des images d’actes homosexuels.

BIENTÔT EN FRANCE

La députée, de La République en marche, Laurence Vanceunebrock a annoncé mercredi 3 juin le dépôt d’une proposition de loi pour protéger les homosexuels et personnes transgenres souvent victimes d’obscurantisme. La députée LREM veut interdire les actes de maltraitance familiale et religieuse qui prétendent vouloir transformer l’orientation C’est le 7 mai 2020, que le Bundestag (l’Assemblée parlementaire sexuelle ou l’identité de genre d’une personne en « thérapies allemande) a acté cette loi sur l’interdiction des « thérapies de de conversion ». Cependant il reste encore du chemin pour la conversion » à destination des personnes homosexuelles de France. moins de 18 ans. Même si certains regrettent que le texte de loi ne protège que les moins de 18 ans. Le plus souvent les Car il n’y a toutefois pas encore de « date d’inscription à l’ordre du méthodes utilisées sont l’hypnose et les chocs électriques, « le jour de l’Assemblée nationale », « mais je vais mettre la pression », terme de thérapie est déjà trompeur » a souligné Jens Spahn, a assuré Laurence Vanceunebrock, en espérant un examen début 2021. Il reste tout de même à établir des « statistiques » membre de la CDU, lui-même ouvertement homosexuel. qui n’existent pas en France, ce qui permettra d’établir des « thèmes bien spécifiques » sur les plaintes et les poursuites UNE MÉTHODE BIEN PLUS PRÉSENTE AUX encourues.

ÉTATS-UNIS

Ces « thérapies de conversion » sont bien plus répandues aux États-Unis depuis les années 70, même si plusieurs États américains, comme la Californie, les ont depuis interdites. On estime tout de même jusqu’à 700 000 victimes, d’après une étude de la William Institute, entité de l’école de droit de l’Université de Los Angeles. Bien souvent ces thérapies manipulent, contre leur gré, des adolescents homosexuels ou transgenres.

Un drapeau arc-en-ciel est brandi devant la Colonne de la victoire à Berlin, le 28 juillet 2018. © Crédit REUTERS/Axel Schmidt

LES ORGANISMES RELIGIEUX ? Ces « thérapies de conversion » sont dans la plupart des cas adossées à des organisations religieuses radicales mettant à disposition des « stages de guérison » qui espèrent convaincre les participants qu’il est possible de se convertir à l’hétérosexualité. Et même si l’homosexualité, exclue en France depuis 1992 de la liste des pathologies psychiatriques, est toujours considérée comme une maladie par les promoteurs de ces « thérapies de conversion », qui couvrent « un spectre très large de pratiques souvent insidieuses », soulignent Laurence Vanceunebrock et Bastien Lachaud, député de la France Insoumise.

Par pauline choppin

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société Le Costa Rica entre dans l’Histoire Ces deux femmes ont célébré leur mariage à San Isidro de Heredia (au nord-ouest de San José). Leur union s’est tenue devant une avocate au visage couvert d’un masque ; il faut rappeler que la nouvelle est arrivée en pleine pandémie de coronavirus. Les festivités prévues ont donc été annulées mais la télévision publique et les réseaux sociaux avaient diffusé un programme rappelant l’histoire de la lutte contre les discriminations sexuelles subies par la communauté dans les années 1980. Ils avaient également retransmis des messages de personnalités du monde entier. Ana Vega, propriétaire d’un bar-discothèque gay, a évoqué les descentes policières qui avaient lieu dans son établissement. Victor Alexandra Quiros (gauche) et Dunia Araya (droite) lors de leur mariage, dans la nuit du 25 au 26 Madrigal-Borloz, expert du Conseil des droits mai © Ezequiel Becerra/AFP de l’homme des Nations unies a exprimé Mardi 26 mai, le Costa Rica est devenu le premier pays sa « gratitude envers le travail de si nombreux militants » et a d’Amérique Centrale et le 29e pays du monde à légaliser aussi tenu à rendre hommage à « ceux qui ont vécu sans voir le mariage pour tous. Une décision saluée par le président, ce moment ». De même, l’ILGA (International lesbian and gay Carlos Quesada, et par les médias. Mais du côté des association) a tenu à souligner l’avancée majeure en Amérique députés évangéliques conservateurs, on condamne cette Latine. officialisation. Pour la première fois, un pays d’Amérique Centrale légalise le mariage homosexuel. C’était l’une des promesses de campagne de Carlos Alvarado Quesada, arrivé au pouvoir en mai 2020. Mardi 26 mai, le Costa Rica (cinq millions d’habitants) est devenu le 29e pays du monde à autoriser le mariage entre personnes du même sexe, même si seulement 30% de la population y était favorable. « Ce changement provoque une transformation sociale et culturelle significative qui va permettre à des milliers de personnes de se marier légalement », félicite le président.

L’INDIGNATION POUR LES ÉVANGÉLIQUES CONSERVATEURS

Un enthousiasme qui n’est pas partagé par les députés chrétiens évangéliques, très nombreux à siéger au Parlement (14 sur 57) et qui ont à plusieurs reprises tenté d’empêcher cette légalisation. « Jour de tristesse pour la famille traditionnelle costaricaine […]. L’entrée en vigueur du mariage pour tous porte un coup à l’âme de générations de Costariciens qui ont cimenté les bases d’un grand pays attaché à la famille et à la vie », critique Nidia Céspedes, députée évangélique. Bien que présenté comme un allié des personnes LGBT, LES PREMIERS MARIAGES À MINUIT le président Carlos Alvarado Quesada reste toutefois très conservateur quant aux droits des femmes. Il est notamment Une décision qui était néanmoins attendue : en août 2018, la opposé à la légalisation de l’avortement dans son pays. Cour suprême du Costa Rica avait déclaré inconstitutionnelle l’interdiction du mariage entre partenaires homosexuels, présente dans le Code de la famille. Ainsi, elle avait donné Le 9 janvier 2018, la Cour interaméricaine des droits de l’homme 18 mois au Parlement pour revoir la loi. Passé ce délai et sans (Cour IDH), institution émanant de l’Organisation des Etats modifications apparentes, cette interdiction a été levée lundi américains (OEA), avait exhorté les pays de la région à modifier leur législation afin de reconnaître le mariage entre conjoints du 25 mai à minuit. De nombreux couples avaient choisi de s’unir dès les premières même sexe, marquant un nouveau tournant en Amérique latine. minutes, comme ce fut le cas pour Alexandra Quiros et Dunia Araya.

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Par ameline manissolle


économie Apple débloque 100 millions de dollars pour lutter contre le racisme Le géant californien a annoncé jeudi dernier mettre en place un budget de 100 millions de dollars contre les discriminations qui sévissent actuellement aux Etats-Unis. Une décision qui intervient tandis que le gouvernement américain tente de réagir face aux manifestations antiracisme. « L’équité raciale et la justice » ont un prix : pas moins de 100 millions de dollars d’après Apple ! Un budget qui devrait selon son patron, Tim Cook, permettre de braver les « barrières systématiques » auxquelles font notamment face les Afroaméricains, a-t-il expliqué dans une vidéo sur Tweeter. Sans quoi, il n’a pas manqué de compléter en porte-flambeau : En réaction à la mort de George Floyd, Tim Cook a envoyé une lettre à tous ses « Que ce soit chez Apple ou n’importe où dans la société, le poids employés dans laquelle il souligne la nécessité de : « reconnaître la peur, la du changement ne doit pas reposer sur les épaules de ceux qui douleur et l’indignation provoquées à raison par le meurtre insensé de sont sous-représentés. […] Il incombe avant tout à ceux qui sont George Floyd et une bien plus longue Histoire de racisme ». © Rossel & Cie en position de pouvoir et d’influence de changer les structures Et même si les chiffres datent de quelques années, ils pour le bien commun. » dépeignent le fossé qui persiste entre leur image et la réalité. Selon les statistiques de 2017 d’Apple présentées à UN ACTE POLITIQUE l’administration américaine et rapportées par des confrères Même si l’initiative sera menée par la vice-présidente d’Apple de EchoTechno.fr, seulement 20 femmes travailleraient dans chargée de l’environnement, de la politique et des initiatives la société basée à Cupertino pour un total de 107 salariés. sociales, Lisa Jackson, ces annonces restent encore très floues. Une inégalité de genre troublante dans la plus haute sphère Mais elles représentent déjà une prise de partie évidente tandis d’Apple, tout comme la disparité ethnique au sein du siège, que dans un contexte de crise sanitaire encore bien présent, puisque deux-tiers des employés dirigeants sont blancs. de violents litiges opposent les manifestants Afro-américains aux forces de l’ordre. Et comme à son habitude, le président américain, Donald Trump ne rate pas l’occasion de jeter de l’huile sur le feu. Après avoir menacé de déployer l’armée en réponse au déferlement de colère de certains manifestants, ce dernier a organisé la date de son premier meeting dans la ville meurtrie de Tulsa, en Oklahoma. « En 1921, pendant deux jours, des Blancs ont massacré la communauté noire du quartier de Greenwood. Et ils ont brûlé et saccagé maisons et entreprises leur appartenant », rappellent nos confrères du Huffington Post. Prévu le 19 Juin, date de commémoration de la fin de l’esclavage aux Etats-Unis, le meeting a finalement été repoussé après avoir été vivement critiqué sur les réseaux sociaux.

LE REVERS DE LA MÉDAILLE Mais malgré cette image novatrice, que continue d’entretenir Apple comme avec ce genre d’annonce, certaines enquêtes ont démontré que de nombreuses inégalités persistaient pourtant au sein de la firme.

A l’époque, le journaliste rappelle que ces chiffres restent inchangés depuis des années et même si cette nouvelle initiative relève d’une réelle volonté progressiste, la politique d’Apple ne déroge pas à la règle : c’est toujours plus simple sur le papier !

L’effet domino : Sur les traces d’Apple, YouTube et PayPal ont eux aussi pris part au combat. You Tube assure un fonds de 100 millions de dollars dans ce même objectif, tandis que PayPal va investir 530 millions de dollars par le biais de PayPal Ventures, dont 500 millions de dollars dédiés aux entreprises et startups développées par des minorités et 15 autres visant à encourager la diversité dans les milieux professionnels. Les 15 millions de dollars restants constitueront des subventions d’urgence dédiées aux entreprises lancées par des Afro-Américains et concernées par la crise économique après la pandémie.

Par lucas mollard

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interview © Samir Bou-Saïd

« Qu’on me traite de singe ? Je deviens habitué » Samir est en intérim dans une manutention de colis Samir Bou-Saïd a 19 ans. Il est installé à Meyzieu et depuis la maternelle, il est confronté au fléau du racisme. Quand est-ce que vous avez vécu le racisme ?

J’y ai toujours été confronté. Dès la maternelle, je subissais déjà des moqueries. On m’appelait « peau de caca ». En primaire c’était difficile, on était que 2 noirs dans tout le CM1 et on était que 7 dans toute l’école. Je n’étais pas habitué. C’était un environnement très blanc. Il y a peu de diversité à Meyzieu. Mais je ne l’ai pas vécu durant une période seulement, je l’ai toujours vécu. Au collège comme au lycée. C’était ça le plus dur. Les insultes faisaient mal : « lèvres de suceuse », « putain de nègre ». Et ça venait aussi des professeurs. Pour les Travaux Pratiques Encadrés (TPE) en 1ère, j’avais fait la meilleure prestation, j’avais donné toutes les bonnes réponses quand mes camarades se trompaient et n’étaient pas à l’aise. Ils m’avaient félicité en me disant que j’allais les battre. J’ai eu 13, ils ont eu 18. Au quotidien, comment le vivez-vous ? Je suis parfois pris pour un voleur. Dans le bus, parfois on s’écarte de moi par peur que je vole leur téléphone, d’autres serrent leur sac en me regardant. Parfois ce sont des gestes anodins, mais qui sont dérangeants. Quand quelqu’un vient toucher mes cheveux, c’est chiant. Jusqu’au lycée je croyais que c’était normal, mais c’est juste dégradant. Et ça continue sur Internet. Comme c’est anonyme, c’est encore pire. On me traite de « nègre » et de « singe ». Je deviens habitué à toutes ces insultes, ce n’est pas normal. Le terme de nègre est devenu banal, alors que c’est vraiment dérangeant. Comment avez-vous vécu la mort de George Floyd ? Les noirs tués par la police, ça ne me choque même plus. Je suis en colère, mais je ne réagis plus. J’espère que les choses vont changer, et il y a des chances pour que ça arrive. Le policier est désormais accusé de meurtre. J’étais allé à la manifestation et les policiers nous regardaient mal, ils nous ont dévisagé. Depuis tout petit la police représente un danger. Ils sont censés protéger, mais je ne me sens pas en sécurité avec eux. Est-ce que vous appréhendez le futur ? Bien sûr, pour tout. J’ai peur de mes futures recherches d’appartement ou pour les entretiens d’embauche. Depuis tout petit on me dit que ça va être difficile. Mes parents m’ont raconté que lorsqu’ils cherchaient une maison, ils en ont visité une. Tout se passait bien jusqu’à ce que le vendeur apprenne que mon père était arabe. Il a alors dit que la maison avait déjà un acheteur. Et quand une collègue de ma mère a essayé de l’acheter, pour tester, cet « acheteur » avait disparu. J’ai besoin d’un blanc pour visiter des maisons. On te regarde mieux si tu traines avec des blancs et on t’embête moins. Mais paradoxalement, je n’aime pas être qu’avec des blancs, je ressens un malaise. Comment briser ce malaise ? Il faudrait peut-être plus de noirs dans la politique et les médias. A Meyzieu par exemple, il n’y a pas un noir qui se présente. Il n’y a pas assez de représentation. Il n’y a pas non plus assez de considération pour les pays africains. On voulait même faire des tests d’hydroxychloroquine sur des noirs ! Il faut une meilleure éducation à l’école sur ce sujet et assumer le passé raciste de la France. Mais je n’aurais même pas à dire tout ça. Propos recueillis par appel téléphonique

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par adrien chatre


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