KOAS le magazine sur l'effondrement. ISCPA Lyon mars 2020

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KAOS


E D I T O

Directrice de publication : Isabelle DUMAS Directeurs de rédaction : Raphaël RUFFIER, Claire POURPRIX Rédacteur en chef : Max DESGOUTTE Maquettiste : Manon HECKMANN

47 rue du Sergent Michel Berthet, 69009 LYON idumas@groupe-igs.fr

Secrétaires de rédaction : Valika ROBERT, Célia DEMOLIS, Octavien THIEBAUD


‘‘Que représente la notion d’effondrement ? Vous avez quatre heures.’’ Voilà l’exemple typique d’un sujet d’épreuve de philosophie du baccalauréat. Et pour cause, la question a de quoi faire réfléchir car personne n’est réellement d’accord sur le sens donné à ce mot. Deux visions s’opposent : pour certains, l’effondrement aurait pris place au début d’une histoire. Car il est le point de commencement du renouveau. Après tout, le Phénix ne renaîtil pas de ses cendres ? D’autres verraient bien l’effondrement à

la fin d’une histoire, tel le dénouement malheureux d’une succession d’erreurs. Enfin, il y aurait les inclassables, ceux qui restent neutres et font figure d’observateurs qui ne se sentent pas concernés par l’effondrement. Mais dans la vraie vie, la société n’est pas aussi bien catégorisée et ses nuances idéologiques sont nombreuses. Le politologue français Jérôme Fourquet dressait bien le constat d’un ‘‘archipel français’’. Là est le travail, pour nous, les treize journalistes de la rédaction Kaos : couvrir cet archipel idéologique propre à la notion d’effondrement pour rendre compte de manière aussi précise que qualitative de l’effondrement. Les journalistes ont choisi

d’aller au-delà de leur mission d’information pour étayer, relayer ou contrebalancer les différents constats entourant cette idée de l’effondrement. Forte de sa diversité, la rédaction incarne certains débats, les ‘‘questions qui fâchent’’. Et à ceux qui m’accuseraient de diviser pour mieux régner, détrompez-vous ! Je n’ai souhaité au travers de ce magazine que l’épanouissement de mon équipe. C’est pour cela que tous ont choisi des thématiques qui leur sont chères. Grâce à cela nous avons tenu notre pari : vous retranscrire ce qu’est véritablement l’effondrement (enfin de notre point de vue !)

Max DE SGOUTTE


SOMMAIRE

L’ORACLE DE DELPHES Chronologie des évènements majeurs d’effondrement à venir p. 8-13

L’ARCHE DE NOÉ Exctinction de la faune p. 16-19 Débat sur la chasse p. 20-21 Tourisme de masse p. 22

LE cheval de troie La chute de l’idéal démocratique p. 25-27 Effondrement de la culture républicaine p. 28


la légende de babylone Effondrement du modèle familial traditionnel p. 31-39 Abolition du patriarcat p.40 - 41 Reportage sur les survivalistes p. 42-43 Faut-il encore faire des enfants ? p. 44 Perte des libertés individuelles et survivance de masse p. 45 L’abandon des campagnes et des banlieues p. 46-47

riche comme crésus Baisse du marketing classique pour le marketing d’influenceurs p. 51 Quel avenir pour la grande distribution? p. 52-53 L’argent va-t-il tuer le foot populaire? p. 54-57 Les stations de ski en danger p. 58-59

la bibliothèque d’alexandrie L’impact du streaming p. 61-65 Renouveau et bouleversement de la notion d’oeuvre d’art p. 66-67 Renouvellement de la mode p. 68-70


max et les douze dieux

dU kaos

Au tous ces dessus de server eille à con v Je i. o m notion a Dieux, il y e belle rédaction. La le mieux. it ett r c c e é d d e e r m ib l’équil n lle qui à mettre e ver" est ce r é e h s c n r o e h "c c e s ujour e pays même d des, j’ai to res de notr é. tu u é lt s u e c m s s le n t Da vaien attach qui conser suis profondément x u e c r u me le va ns car j’y rance et je io F g é la r e s d o e n et de séculair uvegarde. a ent l’ADN s d r n u fo le s r e u ll E jours po battrai tou

MAX

Hadès, s Enfers, est de Dieu son fidèle accompagné de Je suis l’Hermès eux chien à trois Cerbère, ce fam e. de la rédaction, voyageur, l’entrée du royaum têtes qui garde se oi m négociant et messager. Comme mon ur po me ce dieu, la vie t, en m le totem, je place l’habileté oratoire et la Tout com llè ra Pa la faune. fait aux côtés de la de i lu ce a et malice de circonstance au rang de valeurs monde du ciném primordiales. Dieu des voyageurs, oui, mais le ent des points em al ég nt mode so moi. également enraciné, je veille avec Hestia pour importants sur le Foyer. Amoureux de la culture et des arts, j’ai offert aux Hommes la musique et l’écriture, veritable Comme Zeus, le Dieu suprême, je souhaite renverser le pouvoir établi poésie de l’âme. en rendant justice et protection. Particulièrement engagé dans les sujets qui touchent au sport, à la musique et à l’écologie, je dirige et gère tout ce petit panthéon. Mais comme Zeus, ma faiblesse reste les femmes mortelles.

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zeus Artémis protectrice des la est ône sa liberté amazones et pr mes. gynie des hom malgré la miso défendre n’hésite pas à Comme elle, je et faire leur rendre justice ur po irs pa es m lutte pour ix. Féministe, je vo s ur le re nd te en es dans mes et des femm l’égalité des hom cat. ée sur le patriar une société fond

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Se m bl ab le m en t Dieu des à Héphaïstos, nt caractère bouilla volcans, j’ai un son é gr al M t. tout instan qui peut jaillir à teur en nv l’i t es il on boiteux, er rg fo de e nc re appa s. C’est la d’objets magique ur te éa cr le et divin er pour pourrais employ je e qu re ho ap mét ues. vaux journalistiq qualifier mes tra

Comme Dionysos, le Dieu de la vigne et de la démesure, je souhaite renverser les mentalités préétablies. Particulièrement engagé dans les sujets qui touchent au féminisme, à la reconnaissance des droits des LGBT+ et à l’inclusivité dans toutes les couches sociales, je laisse ma plume faire trembler l’Olympe. Mais toujours un verre de vin à la main.

hephaistos

apollon

Comme Apollon, je suis jeune, raisonné, amoureux du sport... mais pas vraiment musclé. J’apprécie plusieurs

is s e m e n

En arts comme le cinéma, la musique et tant que journaliste et femme, je surtout le football. Parce que oui, pour déteste l’injustice. Comme moi, le football est bien un art et surtout La joie Nemesis donc, j’ai parfois un le reflet de notre société. J’ai peur jugement tranché envers ceux mais aussi cette qu’il change car je veux pouvoir en auraient sans qui commettent des actes pervers attache au plaisir profiter et en parler jusqu’au pprocher (la ra us no pu e envers autrui. Mais avant, je ut aucun do nt, c'est ce goût restant de mes jours. ta ur Po . e) ag m’assure im personnellement des preuve en aujourd'hui à la lie e m i qu rt actes l'A qui ont été commis. prononcé à t délaissée dans en uv so op Tr e. Muse Euterp re cette m'entête à faire viv le journalisme, je e. rendant captivant activité, tout en la ns da " er us 'am Sans oublier de "m e dans la vie. m m co , re l'écritu Comme Athéna, je suis heureuse lorsque justice est faite, et bien faite. Dans mon travail de journaliste, j’aspire donc, comme la déesse, à ce que la parole de chacun soit traitée également. C’est sans doute pour cela que j’affectionne les sujets qui me semblent être laisséspour-compte, ou qui, selon moi, ne sont pas traités à leur juste valeur.

euterpe

athena

poseidon

À l’instar de Poséidon, je suis un homme des mers. Malouin d’origine, mais plus pirate que corsaire, je peux provoquer des tremblements de terre à l’aide de mon trident. De là est née ma culture désobligeante et irréductible envers les instances dominantes.

Déesse de l’amour, de la Beauté mais surtout du Plaisir, mieux vaut se méfier de l’apparence d’Aphrodite comme de la mienne. Malgré ses airs angéliques, elle a sû à de nombreuses tromper ses ennemis. Bonne vivante, j’embrasse comme elle tous les plaisirs que la vie nous offre.

aphrodite


l’oracle de delphes Les prédictions des événements d’effondrement à venir. D’’après Raymond Kurzweil, GIEC, Global Futur Councils, l’Obs.

Les États-Unis et l’Europe adoptent des lois réglementant les relations entre les individus et les robots. L’activité des robots, leurs droits, devoirs et autres restrictions seront formalisés.

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L’accès à l’internet sans fil couvrira 85 % de la surface de la Terre. Seuls les coins les plus reculés n’y auront pas encore accès (pôles Nord et Sud).

Les éléments d’intelligence artficielles seront obligatoires dans les voitures au sein des pays développés. Il sera interdit aux individus de conduire une voiture qui ne sera pas équipée d’une assistance informatique.

Une grande partie de la population pourra se doter des piles à bactéries. Ces objets seront capables de traiter la plupart des déchets du quotidien et de les transformer en énergie. L’humanité pourra ainsi réduire sa consommation d’énergie polluante et de déchets.


- L’énergie solaire sera si bon marché et répandue qu’elle satisfera l’ensemble des besoins énergétiques de l’humanité. Malgré cela, on conservera tout de même l’énergie nucléaire. Disparition du shopping comme on l’entend aujourd’hui et mise en place d’un réseau d’échanges et d’emprunts. Le premier être humain pose son pied sur Mars, les scientifiques confirment sans aucun doute l’existence d’une vie extra-terrestre.

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2030

- Les nanotechnologies vont fleurir dans l’industrie, ce qui entraînera une baisse significative de la fabrication de tous les produits. Cela pourrait également réduire l’énergie consommée et les déchets rejetés. Ces nanotechnologies servent tous les domaines de la société. Elles permettent aux êtres humains de développer leurs sens (vue, ouïe). - Avec l’augmentation de la population, 37 villes dans le monde compteront plus de dix millions d’habitants, contre 23 aujourd’hui. Tokyo recensera plus d’habitants que le Canada. 67 % de la population mondiale vivra dans les villes contre 52 % actuellement.

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2026

– Grâce au progrès scientifique, en une unité de temps nous prolongerons notre vie d’une durée supérieure à celle qui se sera déjà écoulée. - L’industrie musicale aura sensiblement évolué. Les CD et vinyles seront devenus des objets de collection. Le streaming, bien que toujours dominant, sera notamment concurrencé par la réalité augmentée.

Les imprimantes 3D seront utilisées dans tous les hôpitaux pour imprimer des organes humains. Cela entraînera la baisse du nombre d’hôpitaux, la technologie diminuant le nombre d’accidents et facilitant les soins. Elles permettent également de nombreuses avancées dans la société : impression de nourriture, d’habitations et de moyens de transport.

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– Le matériel spatial sera suffisamment développé pour assurer une protection permanente de la Terre contre les astéroïdes. Plusieurs yeux de mouches (énormes télescopes détectant les astéroïdes plusieurs semaines à l’avance) seront disposés à travers le monde entier. Les pays seront capables de détecter les astéroïdes plusieurs semaines avant l’impact, et de dévier leurs trajectoires. - La température continuera d’augmenter et aura même grimpé de 1,5°C par rapport à 2010.

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Les voitures sans conducteur circuleront et seront disponibles à des prix abordables. Cela entraînera de nouvelles réglementations concernant la conduite.

Un progrès gigantesque sera enregistré dans la compréhension du secret du cerveau humain. Des centaines de sousrégions ayant des fonctions spécifiques seront découvertes. Certains algorithmes qui codent le développement de ces régions seront décryptés et intégrés aux réseaux neuronaux d’ordinateurs.

Les dirigeants politiques utilisent la technologie afin de contrôler les populations. Ils seront sous le joug des grandes entreprises (Google, Amazon etc.). Le nombre de fonctionnaires réduira afin de centraliser le pouvoir. En France, une élite aura sûrement pris les pleins pouvoirs de manière légale avant d’y installer une sorte de dictature robotique et informatique.


- La première réalisation potentielle de l’immortalité aura lieu grâce à une armée de nanorobots qui complètera le système immunitaire et ‘‘nettoiera’’ les maladies. - L’économie mondiale représentera deux fois plus d’argent qu’en 2016, les pays émergents seront devenus les plus puissants (Inde, Nigéria …)

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Le débit internet maximal sera 500 millions de fois plus élevé qu’aujourd’hui.

Arrivée de la singularité technologique. La Terre se transformera en ordinateur gigantesque. Cette singularité technologique pourra entraîner des choses très étonnantes comme les mariages entre humains et robots. Cela pourrait même être considéré comme normal. Les êtres humains auront un rôle limité à partir de l’arrivée de la singularité technologique, et cela entraînera des changements imprévisibles dans la société.

- Les musées ne seront plus uniquement des bâtiments. La rue et la technologie seront les principaux lieux et formes d’expression. - L’alimentation sera bien différente d’aujourd’hui. La grande partie de nos protéines viendront de la consommation d’insectes. La viande sera devenue plus rare mais de meilleure qualité. La cuisine moléculaire se sera également développée. - Nous n’irons plus au cinéma de la même manière. La réalité virtuelle et les hologrammes seront au centre de l’art cinématographique.

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Le processus de singularité technologique s’étendra sur tout l’univers.

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2150

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- Le niveau de la mer aura monté de près d’un mètre par rapport à aujourd’hui à cause de la fonte d’environ 75 % de la banquise, voire de sa totalité. Cela entraînera la fuite de nombreuses populations, de plus en plus à l’intérieur des terres. Ce sera plus de 600 millions de personnes qui seront impactées. - Sans changement radical de l’humanité, la température continue à augmenter, environ 5°C de plus qu’aujourd’hui (ce chiffre ne peut être vraiment précis). - Du fait de l’augmentation du niveau des océans, les êtres humains auront construits des maisons sous l’eau. De nombreuses habitations sousmarines renouvelleront l’oxygène de l’eau pour respirer et l’hydrogène sera l’énergie principale. - Les gratte-ciels seront immenses et extrêmement solides grâce aux nanofils de diamant (100 fois plus résistants que les câbles d’acier), les voitures volantes ne seront plus un mythe et la ville sera sur plusieurs niveaux. On verra l’apparition de “gratte-terre”, des immeubles de nombreux étages enfoncés dans le sol.

2099

2050

- 20 à 50 % de l’eau potable dans le monde aura disparu. - Les pays émergents, de l’E7 (Chine, Inde, Brésil, Indonésie, Mexique, Russie, Turquie), pourraient peser près de 50 % du PIB mondial (30 % actuellement). Le G7 (ÉtatsUnis, Canada, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Japon) ne représentait plus que 20 % (contre 35 % actuellement). Le Nigéria pourrait connaître la plus grande explosion économique. - Sans changement radical au niveau de la pollution et de la déforestation, l’Amazonie deviendra un désert.

En observant l’évolution de l’être humain, on peut prédire que la taille moyenne des hommes sera de 2,08 mètres quand celle des femmes sera de presque 1,90 mètre. Néanmoins, il existe une limite biologique (2,20 mètres) au-delà de laquelle l’équilibre de notre corps et la solidité de sa structure seraient compromis.


La fonte de la totalité des pôles aura entraîné la montée des eaux de plus de 5 mètres.

100 000

La Terre entrera dans une nouvelle ère glacière. Les chutes du Niagara disparaissent à cause de l’érosion.

50 000

3000

2300

L’augmentation du niveau des eaux continuera : 3 mètres en plus.

La Terre subira l’éruption d’un supervolcan. Celleci produira au minimum 400 km³ de magma.

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Mieux vaut tard que jamais C’est une certitude, les mythes et théories liés à l’effondrement passionnent et interpellent. Cet intérêt échappait aux médias jusqu’à peu. Avant de s’y passionner brusquement. Revue de presse. ‘‘Longtemps taxés d’alarmistes, voire de fous, les collapsologues de notre civilisation n’ont jamais été écoutés avec autant de sérieux’’, écrit Libération en juillet dernier. Un constat que reprend 20 Minutes, le 29 novembre, qui se demande ‘‘comment la collapsologie a-telle finie par être prise au sérieux ?’’. Il faut dire que la starification de l’activiste Greta Thunberg, le développement d’un paysage d’informations alternatives sur l’effondrement et les rapports du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) ont précipité la médiatisation de l’effondrement. 14

Notamment au sujet de l’écologie. Face à la récente fascination pour le sujet, France Culture invite à relativiser. Dans sa chronique du 10 octobre “L’effondrement écologique : mythe ou réalité ?”, Brice Couturier va à contrecourant de la tendance alarmiste en donnant la parole aux éco-optimistes. La surpopulation est “un faux problème” selon la radio, “plus on est nombreux, plus on est inventifs”. Une population ne s’effondre


Face à la jubilation, Alternative Economiques dresse le portrait de la collapsologie © Capture d’écran Le HuffPost

Une population ne s’effondre pas, “ce sont les États qui [le] peuvent”. Jouer sur la peur, un vecteur de changement ? C’est le pari que prend le Huffington Post. La peur de l’effondrement est-elle ce qui sauvera les Hommes, s’interroge le pureplayer dans son édition du 23 novembre. Selon le Huff Post, la collapsologie n’est pas une science mais serait “plus proche d’une religion”. Une analyse que partage Usbek & Rica, faisant de l’effondrement la “nouvelle religion”, le 8 janvier dernier. Ainsi, la menace d’effondrement pesant sur l’humanité “pourrait la pousser vers une nouvelle

Le quotidien au losange rouge prend lui le pas de l’alarmisme, imaginant une fin prochaine © Capture d’écran Libération

croyance”. Pour Libération, cet effondrement ne réside pas seulement en un mythe ou

une croyance, c’est une réalité à laquelle il faut se préparer. “Pour mesurer l’ampleur du risque, il faut inscrire notre crise idéologique dans la longue histoire environnementale” relate le quotidien. Une crise qui affecte “tous les pans de notre société”. Reste alors une question pour le quotidien : “quel délai nous sépare de cette crise systémique ?” Arthus VAILLANT

Contre-pied, face à la spéculation de la peur de l’effondrement, le Huff Post y voit plus une solution que le début du chaos © Alternatives économiques

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L’‘’ARCHE DE NOÉe

L’effondrement écologique apparaît comme inévitable. Disparition des espèces, pollution de tous les milieux naturels, surpopulation et tourisme de masse, en détruisant notre planète, c’est une autodestruction. Effectivement, notre planète a déjà connu des extinctions de masse, des changements climatiques terribles et s’en est remise. Dans cette partie, on observera pourquoi la France est un pays où les espaces naturels sont extrêmement menacés. Mais également pourquoi le tourisme est l’une des activités les plus polluantes. 16


la faune française se meurt Souvent utilisée à des fins politiques, la préservation de la nature semble pourtant passer au second plan une fois les chefs d’États en place. La France est l’un des pires pays européens dans la conservation des espaces naturels. Une situation qui accélère fortement la disparition de certaines espèces comme le lynx, le vison d’Europe ou de nombreux oiseaux.

Le brocard est un animal extrêmement répandu, notamment du fait de la disparition des prédateurs (loups, lynx…)

“Alarmant”. C’est le terme employé par Franck Moutier, chercheur à l’INEE (Institut sur l’écologie et environnement du CNRS), pour décrire la situation de la faune française. En quelques années seulement, nous avons quasiment détruit l’intégralité des populations de lynx et de visons d’Europe en France. Bien que la chasse de ces mammifères soit interdite et condamnée, c’est la destruction de leur habitat qui entraîne les disparitions. Mais c’est loin d’être la seule raison à cette destruction de la faune française.

Pollution des sols : l’effet boule de neige La pollution générale de notre environnement est forcément l’un des facteurs mais c’est particulièrement celle des sols qui détruit les espèces. En effet, comme l’explique le chercheur, “les produits phytosanitaires (pesticides, ndlr) empoisonnent la terre et donc toute la base de la chaîne alimentaire (insectes, vers de terre, plantes, ndlr) et qui se retrouveront alors dans leurs prédateurs”. C’est un effet boule de neige. En polluant la base de l’alimentation de la faune, c’est absolument toute

la chaîne alimentaire qui va se retrouver impactée. En abimant ainsi les sols, la faune développe de nouvelles maladies qui déciment les populations, les oiseaux étant les plus touchés par celles-ci. Pour ce qui est des mammifères, “les produits phytosanitaires vont apporter des perturbateurs endocriniens, ce qui va entraîner des perturbations dans la reproduction chez les espèces”. La biodiversité en France connaît une importante régression qui se manifeste par la détérioration des milieux naturels (68 % des habitats menacés au niveau européen sont présents en France 17


d’après l’Agence française pour la biodiversité).

“En France, nous préférons donner des leçons plutôt que de les appliquer” Souvent utilisé par les élites afin de se faire bien voir, la réalité sur la protection de la nature est tout autre. Franck Moutier attaque même les différents gouvernements. “La préservation et la protection des habitats naturels n’est clairement pas suffisante. En France, nous préférons donner des leçons plutôt que de les appliquer. Nous sommes le pays européen où la disparition des oiseaux est la plus élevée sur les trente dernières années.” Les parcs nationaux, dernier espoir ? “Élève très moyen mais fait des efforts.” Ce serait sûrement le commentaire sur le bulletin de notes de la France concernant la protection de la faune et de leur habitat. En effet, le simple fait de mettre une

zone sous protection ne peut suffire à réduire la disparition de la faune. Pour Luc, l’un des trois gardesmoniteurs du parc naturel régional du Haut-Jura (1780 km²), “la baisse des effectifs dans ces parcs (ils étaient cinq il y a huit ans), ainsi que celle du budget alloué est un risque terrible pour la faune et la flore de ces parcs.” En 10 ans, tous les parcs naturels de France ont perdu 20 % de gardesmoniteurs. En plus de devoir protéger les lieux (infractions à la réglementation) et guider les visiteurs, les gardes-moniteurs entretiennent les équipements du parc. Ils prélèvent également des données afin de mieux comprendre la faune et la flore française. Ces parcs naturels constatent depuis plusieurs années une baisse significative de leur faune. Le lynx, par exemple, qui est présent en plus grand nombre dans le Jura (100 à 150 individus). Disparu au XIXème siècle en France, il était revenu de lui-même dans les Alpes et le Jura à la fin des années 2000. Néanmoins, il est très complexe à protéger car “extrêmement discret”.

Les rapaces sont les oiseaux les plus touchés par la disparition d’espèces.

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Luc, garde depuis plus de 15 ans, le constate : “j’ai dû observer deux lynx en quinze ans au sein du parc.’’ De plus, la chasse de l’animal, par les éleveurs notamment, ou la destruction de son habitat par les touristes sont deux autres gros problèmes. “Les visiteurs savent qu’il est très rare et pensent donc pouvoir tout faire pour le voir. Mais sans s’en rendre compte, ils détruisent des écosystèmes complexes et ne vont que rendre plus rare l’apparition du lynx tout en réduisant sa zone d’habitat.” En France, 10 % des mammifères sont en danger critique d’extinction. La situation des oiseaux est encore pire : 32 % des espèces sont en danger. En effet, ces animaux bougent et donc ne restent pas uniquement dans les parcs naturels protégés. “Le plus gros danger pour les oiseaux est la disparition de leurs sources de nourriture et c’est ce qui est en train d’arriver depuis 20 ans. Un oiseau sur huit est en danger en France, et cela s’accélère tous les ans” alerte le garde-moniteur. Ce ne sont pas seulement les espèces que nous faisons disparaître, c’est la vie en général que l’être humain est en train de dérégler. Une seule espèce qui disparaît peut engendrer un cataclysme au sein d’une chaîne alimentaire. Pour Franck Moutier, les années que nous vivons marquent probablement une rupture : “soit nous ne faisons rien et nous nous détruisons en même temps que la faune, soit nous agissons fort maintenant et nous aurons peut-être une chance de sauver nos enfants.” Denis LAGOUY


chaque année, l’homme tue 50 % de la faune dans le monde Tout comme en France, la préservation de la nature passe au second plan pour les gouvernements. Ce n’est pas propre à notre pays. Point sur la situation des espèces dans le monde. Saviez-vous que les espèces les plus touchées par l’urbanisation des milieux naturels sont les insectes ? Ces petits prédateurs se retrouvent fragilisés face à la conversion de leur habitat en terres agricoles notamment. Sans aucune surprise, c’est bel et bien l’activité humaine qui perturbe les écosystèmes jusqu’à baisser dramatiquement la biodiversité. Selon le Centre de recherche pour la biodiversité et l’environnement de l’université de Londres, les araignées ou même les coccinelles sont les plus susceptibles de disparaître lorsque leur habitat naturel est détruit à des fins de constructions urbaines ou agricoles. Après avoir analysé 25 000 espèces réparties dans 80 pays différents, il en résulte que l’exploitation des terres par l’homme conduit à la disparition de 25 % à 50 % des espèces. Des chiffres alarmants Depuis deux ans, notre planète compte environ 8,7 millions d’espèces de plantes et d’animaux. Selon des estimations, 86 %

d’espèces terrestres et 91 % d’espèces marines restent à découvrir. Mais parmi les espèces répertoriées, celles qui sont menacées sont très nombreuses : 1 204 mammifères, 1 469 oiseaux, 1 215 reptiles, 2 100 amphibiens, 2 386 poissons. Sans compter les insectes, mollusques, crustacés, coraux qui sont presque 4 600. Selon le rapport de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques), la planète est confrontée à la 6ème extinction de masse. Oui, 500 millions d’années plus tard, il est possible de comparer la disparition des espèces actuelles à celle des dinosaures. Pour être plus précis, une espèce de vertébrés sur deux disparaît chaque année. Et ce, depuis un siècle environ. Et pour empirer le tout, les derniers gros incendies qui ont eu lieu en Amazonie et en Australie ont tués respectivement 2,3 millions et 1,25 milliards d’espèces. Un triste record pour la planète.

Un appel à l’aide de la WWF Marco Lambertini, directeur général du WWF International, réclame que le monde réagisse pour trouver un accord et sauver la nature. ‘‘Préserver la nature ce n’est pas juste protéger les tigres, les pandas ou les baleines que nous chérissons. C’est bien plus vaste : il ne peut y avoir de futur sain et prospère pour les hommes sur une planète au climat déstabilisé, aux océans épuisés, au sol dégradé et aux forêts vidées, une planète dépouillée de sa biodiversité.’’ À l’heure où la biodiversité pousse ses derniers cris de détresse, certains pays tentent de trouver des solutions. Une réunion préparatoire à la COP 15 a lieu en ce moment à Rome. Jusqu’au 29 février, les 196 pays membres de la CDB (Convention sur la Diversité Biologique) préparent un futur accord mondial de protection des écosystèmes. La COP 15 aura lieu en octobre de cette année, en Chine.

Valika ROBERT 19


Chasse "Il n’y a aucune raison d’agresser les animaux" La chasse doit-elle cesser ou être perpétuée ? J’ai rencontré François Darlot, président du RAC (Rassemblement pour une France sans Chasse) depuis 2011. L’article de la page suivante viendra en opposition. De plus en plus d’études montrent que la biodiversité est perturbée à cause des activités en tout genre de l’Homme…

dans un chaos.

Certains habitants Il faut savoir qu’aujourd’hui, on des lâche 20 millions d’animaux campagnes sortis des élevages dans la disent être nature pour alimenter le plan de obligés de chasse. Ce sont des animaux chasser Le RAC demande un arrêt de la chasse le diqui ne connaissent pas la pour pouvoir se nourrir. Qu’en manche, mesure inconcevable pour les chasseurs. Pour eux, le dimanche est le “jour du saigneur”. biotope (vie biologique, pensez-vous ? ndlr) et meurent la plupart peu simpliste. Si vous Aujourd’hui, on dit que c’est du temps de stress et regardez les chiffres, les écrasés sur la route. mieux de tuer un animal en dégâts causés par le liberté que de prendre un animal loup sont très minimes. Fin des années 70, les qui a mal vécu et été abattu dans Il n’y a qu’entre 300 et instances de la chasse des conditions épouvantables. 400 loups en France. ont mis en oeuvre Mais ce n’est pas parce qu’il Ça peut être un problème pour l’expansion de y a la peste qu’il faut prendre les petits éleveurs face à une la chasse au le choléra. Cet argument de meute un peu trop invasive. gros (sangliers, “besoin de se nourrir donc Mais il y a des mesures cerfs, etc.). Ils la chasse est importante”, qui sont prises. Sauf que ont introduit des ce n’est pas un argument beaucoup ne peuvent pas être animaux recevable. Ça ne légitime pas développées parce qu’il y a une venant le fait de prendre plaisir à aller espèce d’hystérie autour de des pays tuer dans la nature. Si on veut ce problème-là. Les éleveurs de l’Est. Bref, ils ont une démarche éthique, il y a disent avoir des soucis, mais augmenté des labels qui indiquent les veulent continuer à pouvoir ces conditions dans lesquelles percevoir des subventions. l’animal a été élevé sur la Et les chasseurs, derrière, populations. L’expansion continue barquette de viande. On n’a pas soufflent sur les braises parce et il y en aura même besoin d’aller le pourchasser qu’ils ont un intérêt jouissif dans la nature, on n’est plus à traquer ces animaux. dans les villes. Il y aux temps préhistoriques. On pourrait par exemple a un cercle vicieux anticiper, se dire : ‘‘Le loup qui veut qu’on Des éleveurs se plaignent des est présent, comment va-tentretienne une prédateurs qui envahissent on s’organiser ?’’ On pourrait surpopulation et ça leurs élevages, notamment régler le problème avec justifie la pratique les loups. Ils sollicitent le cerveau, et pas le fusil. de la chasse. On donc les chasseurs... laisse des gens Propos recueillis par Valika s’amuser alors que ROBERT Tout ça est un discours un la biodiversité est


“Elle est absolument nécessaire !” Didier Mathé est un antiquaire à la retraite, habitant les Monts d’Or, près de Lyon. Il chasse depuis son plus jeune âge… Pourquoi

chassez-vous

?

J’aime la nature ! La pêche est une passion transmise par mon père. C’est tout naturellement que j’en suis venu à la chasse! Je vais souvent dans les Dombes et dans le Rhône, il y a des coins magnifiques. Je suis avec mon chien en pleine forêt, on se sent proche de la nature, tout simplement. Il y a tout ce qu’il faut en gibier : des canards, des lièvres, faisans, perdrix, et du gros, type sanglier ou chevreuil. Ma collègue est allée voir une association anti-chasse, qui justifie ses positions par trois axes : écologique, sociétal et éthique. Elle plaide qu’elle ne serait plus nécessaire, qu’en pensez-vous ? La chasse est plus qu’importante ! Un exemple : les sangliers, qui sont de plus en plus nombreux font toujours plus de dégâts, et viennent de plus en plus près des villes. À Collonges (au-Mont-d’Or, ndlr), ce sont les habitants eux-mêmes qui demandent à la mairie de faire des battues car les sangliers détruisent des terrains agricoles et constructibles. Les gens qui ne veulent pas de chasse, s’ils possédaient des terrains

ruinés par les sangliers, croyez- À propos du loup, prenez le moi, ils seraient bien contents Queyras (Hautes-Alpes, ndlr) : d’avoir des chasseurs à les troupeaux s’y font attaquer disposition ! Une laie (femelle tout le temps, les éleveurs sanglier, ndlr) peut faire des perdent des brebis. Les écolos portées dès l’âge de six mois. qui veulent des loups, très bien. Si la population n’est pas Mais il faut réguler la population, régulée, c’est une catastrophe! car ils ne comprennent pas les Regardez la Suisse, le pays a problèmes que ça engendre interdit la chasse il y a 46 ans, pour les locaux. Vous résultat : des gardes-chasses ne pouvez pas vouloir sont payés pour… aller à la en même temps des chasse ! Vu que les dégâts troupeaux qui font sur les cultures sont énormes vivre la montagne, et avec une surpopulation de les éleveurs avec, et de mammifères. En France, ce sont les chasseurs qui payent pour les dégâts de gibier. Quand un agriculteur se fait retourner son champ par des sangliers, c’est la fédération de chasse du coin qui trinque. Enfin, il y a des règles en partie de chasse, on ne tire pas sur tout ce qui bouge. Honnêtement, les chasseurs plus en plus que je fréquente sont plus de loups qui écolos que les écolos ! massacrent les bêtes. C’est facile d’être écolo, antispéciste (idéologie Je ne fais jamais de chasse refusant une au trophée. Tout animal que je tue, je le mange. Pour la hiérarchie entre chasse à courre, bien que cela les espèces, ndlr) ou ne soit pas ma façon de faire, je ne sais quoi quand je trouve ça très beau. Le travail on est citadin. Ces des chiens, leur récompense gens-là devraient en gibier, les trompettes de venir voir comment chasse, c’est magnifique à voir ! la vie se passe en Que pensez-vous de la chasse à courre ?

On entend beaucoup les éleveurs affirmer qu’il faut aussi chasser les prédateurs…

dehors des villes !

Propos recueillis par Jean-Baptiste RAMAT


Le tourisme de masse, un DÉSASTRE pour l’écologie Le tourisme de masse est de plus en plus pointé du doigt. Selon de nombreux scientifiques, il serait la cause de nombreux problèmes écologiques. La pollution de l’air, de l’eau et de la terre est décriée. Marie Négré-Desurmont, chercheuse en anthropologie, nous apporte son expertise. La mer bleu turquoise, les plages de sable blanc, tous ces paysages font rêver. La réalité est pourtant tout autre. Les lieux tant convoités par les touristes sont aujourd’hui en grand danger. La principale cause : le tourisme de masse. Un problème “complexe” pour Marie Négré-Desurmont, jeune chercheuse en anthropologie. Selon elle, “c’est le fait d’avoir une surpopulation, une surexploitation aux mêmes endroits qui est problématique. Il y a des endroits qui sont en surcharge de touristes. Par exemple, à Dubrovnik, en Croatie, il y a trop de touristes, les déchets débordent dans tous les sens. C’est trop de monde dans les musées, sur les sites touristiques, dans

les églises, dans les cafés. Il y a aussi trop de bateaux dans la marina. Le trop, c’est ce qui est mauvais pour l’écologie. La pollution est énorme et c’est mauvais pour l’environnement, l’écosystème marin, l’air.” Pour la jeune chercheuse en anthropologie, “en terme d’écologie, c’est vraiment cet effet de masse qui est problématique. Si c’était plus équilibré, ce serait bien mieux.” Un manque de diversité de l’offre Un problème dû à une pauvre diversité de l’offre. “Tout le monde a tendance à aller dans les mêmes endroits, mais parce qu’on nous le propose. Les offres de voyage sont très balisées. C’est plus simple pour les agences, tout est déjà construit : les sites, les livres de voyage, etc.” Néanmoins le touriste ne “peut être blâmé”. “On est dans une hyper capitalisation du travail. Les gens se tuent à la tâche et ont envie de prendre une semaine “all inclusive” à l’autre bout du monde et ça peut se comprendre.”

Le coût écologique est cinq fois plus élevé que le coût économique sur le long terme

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L’effet Instagram est lui aussi en cause. L’idée est d’aller dans un endroit magnifique, où tout le monde va pour avoir la même photo, au même emplacement. “L’envers du décor c’est qu’il y a beaucoup de personnes qui font la queue pour cette photo. L’humain aime imiter les autres. On a toujours fait ça, mais maintenant, ça se voit plus avec Instagram. On est dans ce système et ça fait partie du jeu. C’est dommage, on perd l’essence du voyage qui est de se recentrer sur soi ou de s’ouvrir à l’autre.” Vers un tourisme plus vert ? Pour Marie Négré-Desurmont, “ce sont les habitudes qu’il faut changer. Quand les gens vont se rendre compte que c’est agréable de voyager autrement et que l’offre se diversifiera, les gens changeront de mentalité. On est encore dans ce système de productivité de tout’’. Mais des solutions existent : “le tourisme créatif et participatif peut être une voie d’amélioration du tourisme. Il rend le touriste actif, impliqué, et lui permet d’avoir les clés pour comprendre le monde dans lequel il vit.” Elisa BRUNEAU


Une bonne journée ! 5ème jour suivant les ides de février, 120ème année après la Chute.

r e c i t f i c t i f

“Allez, cassetoi… arrache-toi de là bordel !”, pensait Flavius, le cœur battant à tout rompre. Il n’arrivait jamais à se calmer dans ce genre de situation. C’était toujours la même chose. Planqué, tant bien que mal, dans un endroit putride, nageotant dans la boue et la crasse, voire pire. Et puis l’attente… toujours l’attente… encore l’attente… insupportable ! Cela faisait deux jours qu’il n’avait rien mangé. Son estomac le mettait au supplice. Mais si les Dieux étaient favorables, il pourrait bientôt se remplir la panse. Toutefois, un menu détail le séparait encore du futur festin. Trois fois rien, juste un goliath de plusieurs coudées de haut. À l’affût derrière un mur en ruine, le jeune homme guettait le moment du départ. Les écorcheurs partiraient bientôt pour la tournée journalière, en quête de femmes, de nourriture, d’armes, d’essence ou de tout autre objet précieux. Flavius les observait depuis une dizaine de jours.

La bande ne laissait jamais de gardes dans leur camp de base, ils partaient toujours ensemble. Cela ne le surprenait pas, le clan faisait régner la terreur sur des kilomètres à la ronde. La population environnante restait immobile, paralysée par la peur, personne n’aurait songé à piller leur repaire. Du moins, pas ceux qui auraient quelque chose à perdre ou qui tenaient à la vie. Flavius n’avait rien à perdre et trouvait sa vie désagréable au possible, donc il n’en avait rien à carrer. Il commençait néanmoins à légèrement s’inquiéter, jetant un coup d’œil à sa montre : quinze heures. Puis à son thermomètre magnétique : - 10 degrés, enfin au ciel, couvert de nuages verdâtres. Dans moins de trois heures, la pluie acide reprendra et le vent soufflera en rafales. Il lui fallait environ 24 minutes pour regagner sa planque et être à l’abri. Si Goliath ne bougeait pas dans le prochain quart d’heure, le jeune homme allait devoir repartir les mains vides. La sentinelle restait là, quasiment immobile, le regard vide, pointant vers le lointain. Flavius remarqua qu’il portait le même masque à gaz que lui, un ANP F1, vieux modèle construit avant la Chute, fiable et très résistant. Le garçon n’a pu s’empêcher de regarder la machette crénelée, immense et rouillée, pendante à la ceinture du géant. Soudain, un ordre fusa du camp, un aboiement plutôt. Goliath tourna son crâne couturé de

cicatrices en arrière, approuva d’un grognement, et quitta (enfin !) son poste. Attendant sagement que les jeeps aient quitté la ligne d’horizon, Flavius s’élança dans le camp à la recherche de nourriture. Il ne disposait pas de beaucoup de temps, il le savait. Après avoir passé les remparts, composés de barbelé et de vieilles tôles de fer, il déboucha sur la cour intérieure. Des barils brûlaient encore du bois de chauffage. Dans un coin abrité par des planches, des matelas pleins de vermines et des couvertures déchirées pourrissaient à même le sol. Le garçon chercha les grands bacs de conservation, étranges objets appelés “isothermes”… Trouvés ! Impatient, il les ouvrit violemment : “De la viande, rouge en plus !”. Se hâtant de tout fourrer dans son sac à dos, un couinement derrière lui le fit sursauter. Avec l’impression que son cœur allait perforer sa cage thoracique, il se tourna et... soulagement ! C’était un chiot, à la robe noire, rachitique et les côtes apparentes. Il fixa Flavius de ses grands yeux larmoyants, ayant flairé la viande. Le jeune homme le toisa de haut : “Bah alors mon gars, on s’est perdu ?” Puis après une courte réflexion : “Bon… les temps sont durs pour tout le monde, amène-toi !” Flavius avait gagné de la viande et un nouveau compagnon. C’était finalement une bonne journée ! Jean-Baptiste RAMAT 23


le cheval de troie

En politique, la notion d’effondrement est omniprésente. Elle fait frémir les uns comme elle terrorise les autres. Mais alors, la démocratie pourrait-elle s’effondrer ? Depuis quelques temps, les scrutins montrent un détachement croissant à cette notion antique. Mais ce n’est pas le seul point où les États se retrouvent fragilisés. L’effondrement pourrait également venir de l’intérieur, par la montée en puissance des identités locales.

© Unsplash

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L’unité républicaine à l’épreuve des régionalismes LaRépubliquefrançaiseest-elleuneetindivisible?C’estbienladevisequel’onnous enseigne à l’école mais dans les faits, la réalité est toute autre. Depuis les années 1970, les identités locales se sont constituées en parti politique. C’est déjà le cas en Corse où la région est dirigée par coalition nationaliste. Mais cette situation fait grincer des dents. En France, l’UPR (Union Populaire Républicaine) et son président voient d’un mauvais œil la progression de cette idéologie parfois séditieuse. Trois semaines. C’est le temps qu’il reste avant le premier tour des élections municipales de 2020. En Corse, les partis nationalistes ont réussi à s’implanter dans le paysage politique et médiatique. C’est le cas d’Esteban Saldana, candidat nationaliste pour la commune de Prunelli-di-Fium’Orbu. Il justifie son combat pour faire valoir une culture différente face à une centralisation trop oppressante : “La France, c’est Paris ? Ça ne peut pas être un appareil d’État, exclusivement parisien, qui décide pour la Corse, l’Auvergne, la Savoie etc.”, énumère-t-il. Pour les nationalistes, cette question doit être traitée avec respect. Mais sur ce point, ils notent un désintérêt profond et frustrant des différents ministres et présidents français. D’ailleurs, cette attitude alimente le régionalisme au niveau électoral. Mais pour se faire entendre, les nationalistes corses cherchentils le conflit avec l’État ? “Absolument pas. Depuis le début, nous cherchons à construire un processus politique qui soit acceptable pour Paris comme pour les Corses. Nous voulons que l’État légifère en tenant compte des spécificités locales du pays et que tout ne se passe pas depuis la capitale. C’était

peut-être bon au XVIII ème siècle mais nous sommes au XXI ème siècle.” Pour Esteban Sladana, l’exemple à adopter vient des voisins européens adeptes de la décentralisation comme l’Espagne ou le Royaume-Uni : “Soit la diversité culturelle régionale est acceptée et la France en ressortie grandie, soit elle continue de la refuser mais prend le risque d’une crise politique profonde dont elle ne ressortira pas forcément gagnante”. Pour l’UPR, l’État est l’unique souverain Cependant, la percée des régionalismes n’est pas du goût de chacun. Sur cette question, l’avis de l’Union Populaire Républicaine (UPR) est tranché et son président François Asselineau, s’attache à “signaler” ce qu’il considère comme un “risque”. Selon Gaylord Desangles, référent local de l’UPR du Rhône : “Tels qu’ils existent, les conseils régionaux permettent à certains “barons locaux” d’acquérir une fausse notoriété. Ils profitent de revendications locales culturelles pour les utiliser à des fins politiques, histoire de se faire mousser”.

À la place, le parti propose de ramener les régions au rang d’établissements publics régionaux, comme ce fut le cas avant 1982. Gaylord Desangles critique également le principe des eurorégions, ces regroupements régionaux qui bénéficient d’un dialogue direct avec la commission européenne, sans passer préalablement par l’État : “Comment voulez-vous que la France soit souveraine dans ces conditions ? Certaines régions ont même la possibilité d’adopter institutionnellement une autre langue que la langue nationale”. Mais attention, comme le répète le chef de section lyonnais, l’UPR n’est pas opposée aux revendications régionalistes, à condition qu’elles soient culturelles. “Le jour où nous serons au pouvoir, nous entretiendrons les cultures régionales, leur langue et leur apprentissage avec des subventions de l’État. Nous sommes pas du tout opposés aux cultures locales. Et je pense que le jour où elles seront respectées et encouragées, le problème politique du régionalisme disparaîtra”, assure-t-il.

Max DESGOUTTE 25


La démocratie française, un système en crise ? L’histoire de la démocratie n’est pas linéaire. Depuis la Grèce antique, jusqu’à aujourd’hui, en passant par la Révolution française de 1789, elle a connu plusieurs siècles de changements et de développements. Jade*, conseillère départementale de la Dordogne au parti communiste français est convaincue, qu’en France, la démocratie est en crise.

D

epuis ses 17 ans, Jade s’est engagée dans des associations, avant de s’intéresser à la politique après son baccalauréat. Mais son rêve était de devenir archéologue. De nature très curieuse, elle cherche à découvrir ce qu’il se passe autour d’elle et plus profondément sous terre. Après un bac scientifique en Dordogne, elle part à Lyon faire des études d’histoire de l’art pour devenir archéologue. Très engagée politiquement à l’Université Lyon-II, elle s’engage au sein de groupes politiques universitaires contre des groupuscules d’extrême droite qui essayent de prendre position dans son université. Elle veut déjà faire entendre sa voix. Dans un état de droit régi par des règles, c’est naturel pour elle d’exprimer ses opinions et combattre ceux qui veulent mettre fin à certaines de ses opinions.

ministère de l’Intérieur, 25,4 % des électeurs ne sont pas allés voter. La plus forte abstention depuis 1969. Des élections qui sont de plus en plus boudées à cause de la classe politique très peu renouvelée. Selon Jade, “on a des comportements politiques qui ressemblent plus à une monarchie”. Elle décrit le président Emmanuel Macron comme “un président séducteur, qui rappelle les critères du dirigeant politique d’une monarchie. Il est très personnifié, on vote plus pour une personne pour sa beauté que pour ses compétences”.

Une

Vers un renouvellement de la démocratie

démocratie

inachevée

En France, chaque citoyen est libre de ses droits et a le droit de vote. Pourtant, au second tour des élections présidentielles de 2017, d’après des chiffres du 26

La démocratie doit être actualisée, elle a été définie par des règles qui datent de plus de deux siècles. Elle doit évoluer avec la société et non pas aller à contre-courant. Or, les électeurs sont de plus en plus passifs et ils ne participent à la politique que lors des élections.

“Je n’ai pas l’impression que l’on soit vraiment libres en France”, raconte Jade. Il faut que les Français puissent exercer

leurs droits de citoyens dans la vie de tous les jours, dans toute forme de participation et de contribution politique, au niveau national comme local. “Le pouvoir au peuple, où chacun s’approprie la vie politique pour régir des règles afin qu’elles soient au même statut pour tous. Ces règles doivent être régies pour obtenir une forme d’harmonie sociale.” Jade a le sentiment de ne pas être dans une réelle démocratie car, en tant que citoyenne, elle n’a pas l’impression d’avoir du pouvoir. Pourtant, elle fait partie des moins de 1% des Français qui sont engagés dans un parti politique selon l’INSEE. Dans son idée de la démocratie, on serait en capacité de se faire entendre par tous, dans une société de respect. Un système fondé sur l’éducation pour donner une vraie liberté au peuple. *Nom d’emprunt utilisé afin de protéger son identité pour des raisons politiques. Luana PAULINEAU


Effondrement de l’idéal démocratique : Cette jeunesse qui n’y croit plus ! Romain a 24 ans. Ce jeune agriculteur est responsable lyonnais de l’Action Française, un mouvement royaliste au sein duquel il est engagé depuis cinq ans. Rencontre… Romain a tout d’un garçon de sa génération. Celle née à l’extrême fin du XXe siècle, la dernière avant les années 2000 et ses catastrophiques millenials que plus personne ne comprend. Les cheveux courts, les yeux vert émeraude, les muscles saillants, la rencontre se fait dans un bar du Vieux Lyon. Le jeune homme est agriculteur et se considère comme paysan. ‘‘ C’est une fierté !’’, dit-il avec assurance. Mais ce qui le distingue de la masse, ce sont surtout ses idées, plutôt rares à notre époque : il est royaliste. Attention, n’allez pas lui vanter les mérites d’une monarchie parlementaire, surtout pas ! Ce qu’il veut, lui, c’est une monarchie non parlementaire et décentralisée. En somme, l’abolition de la République démocratique. Le mouvement pour lequel il milite, l’Action Française (AF), est la plus ancienne mouvance nationaliste en France, datant de 1898, et lutte depuis pour cet accomplissement. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’idée de la destruction de la République, voire de la démocratie, souvent présentée comme le meilleur des régimes, n’est pas très courant. Mais Romain a ses arguments : ‘‘Le

Roi est le garant de la stabilité du pays, car indépendant des partis politiques et des lobbys étrangers. Il n’a pas besoin d’être soutenu financièrement pour arriver au pouvoir et peut donc gouverner librement sur son pays. De plus, il reste en place pour toute sa vie, et lègue à son fils aîné la charge du pays.‘‘ La démocratie est un leurre ! Il considère qu’une République élective est, de fait, vouée à l’échec : ‘‘Le président est élu sur des promesses qu’il ne peut pas tenir, car le profil d’un futur élu est d’être un vendeur, un commerçant, un marketeur, et non un dirigeant politique. L’arrivisme, le carriérisme et la volonté de gravir les échelons sont des compétences nécessaires pour réussir en République.’’ Pas plus tendre avec la démocratie, il considère que c’est un leurre, une utopie, un idéal impossible : ‘‘La démocratie actuelle n’est pas faite pour que le peuple puisse gouverner, mais pour que les oligarques se maintiennent en haut, tout en opprimant le peuple.’’ Le déclic chez lui s’est produit il y a cinq ans. Dégoûté de l’école républicaine qui n’enseigne pas ‘‘ l’amour de notre pays, de notre

histoire ou de notre identité’’, se posant beaucoup de questions sur la France d’aujourd’hui, ‘‘les problèmes d’insécurité, le chômage, la crise d’identité, de spiritualité’’, l’Action Française est venue à lui naturellement. Il ne le regrette pour rien au monde, ça été un changement majeur dans sa vie. ‘‘Le mouvement m’a permis de devenir l’homme que je suis aujourd’hui. Depuis, je me suis converti à la foi catholique, j’ai trouvé le chemin professionnel qui me plaît, et qui je pense m’apporte une joie chaque jour. L’AF est une formidable école de la Vie ! ‘‘, confie Romain. Ayant bon espoir que son message perce dans la population française ‘‘à long terme’’, il est toutefois bien moins coulant avec la jeunesse actuelle qu’il juge ‘‘trop occupée à sortir en boîte, à swiper sur Tinder et à fumer du chichon. C’est dramatique ! ‘‘ Jean-Baptiste RAMAT •

Action Française : Groupe Monarchiste fondée en 1898 • Principaux penseurs et théoriciens : Charles Maurras, Pierre Boutang, Léon Daudet, Maurice Pujo. • Positionnement politique : Droite contre-révolutionnaire et antirépublicaine, antiparlementarisme. • Nombres d’adhérents : 3000 en février 2018.

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le survivalisme politique EN RÉPONSE À L’ Effondrement sociétal Arnaud est un jeune homme de la vingtaine, maraîcher de son État. Il se prépare à l’effondrement dans la campagne dauphinoise. Contrairement à certains de ses semblables, il assume entièrement le côté politique de sa démarche. Le corps de ferme, typique de l’Isère, est assez reculé. À 20 minutes de Vienne, vous devez serpenter par des routes campagnardes à peine assez larges pour un croisement. Le paysage change à mesure de la montée, des champs, des forêts, les lumières scintillantes des villes en contrebas. L’hiver y est plutôt rude, voire l’automne. En novembre 2019, les chutes de neige ont été si importantes qu’Arnaud s’est retrouvé sans électricité ni chauffage pendant plusieurs jours. Cependant, le jeune homme ne quitterait son coin de campagne pour rien au monde. Il y est tranquille, avec en prime une vue magnifique sur les massifs de la Chartreuse et des Écrins. De la tranquillité justement, il en a besoin ! Exécrant la “ville”, sa pollution, sa décadence, peuplée de “déracinés”. Arnaud insiste sur le fait qu’il est “autonomiste” plus que “survivaliste”. “Même si les deux sont presque pareils, le mot survivaliste fait peur aux gens.” Il insiste sur le fait que l’autonomie n’est pas seulement nécessaire en temps de crise. “Cela permet une vie plus harmonieuse entre les hommes, et avec la nature,

c’est bénéfique au niveau personnel.” Il juge la société trop dépendante “du pétrole venu du Proche-Orient, des grandes surfaces, des paysans de l’autre bout du monde” alors que plusieurs alertes lui font croire à un avenir plutôt sombre. “La surpopulation, la raréfaction des ressources, la criminalité explosive.” Il ajoute, pour l’Occident, le “Choc des Civilisations” (théorie géopolitique de Samuel Huntington, ndlr) qui exacerbe les tensions dans les sociétés européennes : “Pour l’instant les États tiennent encore, mais pour combien de temps ?”. Des affrontements ethniques dans une Europe effondrée Pour Arnaud, la société française est sur le point de s’effondrer, “grandement aidée par l’immigration de masse extra-européenne”. Pour lui, le survivalisme doit être communautaire, regrouper des Français de souche pour assurer leur survie. Voilà son but. Il ne conçoit absolument pas des communautés autonomistes métissées, qui seraient selon lui vouées à l’échec: “Nous n’avons rien en commun ! Il y a une véritable fracture entre l’immigration maghrébine ou

subsaharienne et les Européens de souche, une haine datant de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Cela se démontre tous les jours, via un racisme anti-blancs extrêmement violent !”. Arnaud émet l’hypothèse que les “bandes de racailles” d’aujourd’hui seront possiblement les “pillards et égorgeurs de demain”, et reconnaît sans ambages que l’immigration et ses descendants sont l’un des “piliers” de son survivalisme. Accusant lourdement les politiques du passé, il rappelle que “s’il n’y avait pas eu une trahison des élites, qui ont importé par cargos entiers une immigration de remplacement (théorie du Grand Remplacement, ndlr), et ce depuis les années 70, la société serait bien plus apaisée, le survivalisme moins nécessaire…”. Grand lecteur de Nietzsche, il estime que seuls les combattants peuvent survivre. “Que veut-on pour l’avenir ? Se laisser piller ? Tuer ? Voir notre héritage détruit ? Ou, au contraire, se battre pour nos vies, pour notre terre, pour nos ancêtres ? Il faut entrer en révolte contre le monde moderne, c’est mon cas !” Jean-Baptiste RAMAT

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i l s l ‘ o n t d i t

“Les gens nous enseignent toujours la démocratie mais les gens qui nous enseignent la démocratie ne veulent pas l'apprendre eux-mêmes.” Vladimir Poutine

“Parfois la démocratie doit être baignée dans le sang.” Augusto Pinochet.

«L’État espagnol est une prison pour les peuples» du groupe indépendantiste basque : l’ETA (pendant le conflit Catalan de 2017)

“La propagande est à la démocratie ce que la matraque est à la dictature.” Citation de Noam Chomsky, intellectuel et politicien souvent associé à Pol Pot et à nier divers génocides.

Nicola Sturgeon, première ministre écossaise : «La seule voie pour que l’Ecosse revienne au cœur de l’Europe passe par l’indépendance» - 30 janvier 2020 par rapport au Brexit 29


la léegende de babylone

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Depuis de nombreuses années, avec l’arrivée des mouvements féministes, LGBT+ et des différents modèles de parentalité, notre société subit de nombreux changements. Ces mutations sont perçues par certains comme de véritables effondrements, mais d’autres les voient comme un renouveau, un cheminement vers une société bien plus égalitaire. Les fractures sociétales mettent aussi en avant des dangers actuels et futurs comme la surveillance de masse et la baisse démographique. © Unsplash


DOSSIER

la fin du modèle familial traditionnel

Familles recomposées, homoparentales, monoparentales, le désir d’enfant naturel ou procréation médicalement assistée, voici les thèmes abordés dans notre dossier. Des questionnements sur notre société qui mettent en avant les transformations de cette dernière. Près d’une famille sur dix est aujourd’hui une famille recomposée. C’est-à-dire que le tiers des enfants en France vivent avec l’un de leurs parents et un beau parent. Un statut qui n’est pas encore bien défini dans notre société. À l’image de la famille traditionnelle classique, les familles recomposées ou homoparentales cherchent à s’identifier à un schéma familial. Au-delà des relations affectives et biologiques, le statut de ces «nouveaux» parents a dû mal à prendre une place dans certains de ces schémas. À travers ce dossier, vous découvrirez des sujets qui mêlent les opinions des différents journalistes de la rédaction ainsi que des spécialistes du sujet.

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vers une pluralisation des modèles familiaux Depuis quelques décennies, on assiste à une transformation de la famille dite “traditionnelle”. Aujourd’hui, en France, d’après l’Insee, un enfant sur dix vit dans une famille dite “éclatée”. Une image loin de celle de papa, maman, enfant, qu’on pouvait voir il y a encore quelques années. Justine Vincent, doctorante à l’ENS pense que le modèle de la famille classique se transforme.

Aujourd’hui, on constate une augmentation des familles homoparentales, monoparentales et recomposées © Unsplash

Lorsqu’on parle de famille, on imagine tout de suite le modèle traditionnel. C’est-à-dire un père, une mère et un ou plusieurs enfants. Mais d’après Justine Vincent, doctorante à l’ENS et préparant une thèse dans laquelle elle cible les familles recomposées, on assiste à “une érosion de ce modèle”. C’est-à-dire que les modèles familiaux sont en éternel mutation. En effet, elle ajoute que cette “famille nucléaire” tend à “être concurrencée par d’autres formes familiales qui aspirent à être ordinaires”. On parle là des familles monoparentales, homoparentales et 32

recomposées. Mais cela fait moins d’un siècle que le modèle de la famille nucléaire est dominant. La place de la femme a transformé la famille Pour comprendre cette mutation dans la représentation de la famille, il faut revenir aux années 1960. C’est à ce moment précis que la position de la femme dans la société change. L’accès aux études, le droit au divorce et l’indépendance financière ainsi que l’entrée sur le marché du travail permettent aux femmes de s’émanciper. “Cela a

transformé les rapports sociaux de genre y compris à l’intérieur de la famille”, explique Justine Vincent. “Le divorce devient possible et communément admis. Il a bouleversé les trajectoires familiales.” La question de la contraception avec l’arrivée de la pilule contraceptive a également fait bouger les choses : “toutes ces modifications ont apporté des transformations de comportement et des modèles familiaux possibles”. Il s’agit de rappeler que la femme, libre de prendre ses propres décisions, peut donner une toute nouvelle trajectoire à sa vie et à sa


La socialisation à l’école joue aussi un rôle déterminant dans la représentation et l’acceptation des différents modèles familiaux © Unsplash

famille par conséquent. Autrefois, tenir son foyer et élever les enfants étaient ses seules priorités et ses seules possibilités. Ces nouvelles libertés leur permettent de construire d’autres familles, faisant apparaître de nouvelles formes de parentalité. Vers la fin de la famille nucléaire ? Aujourd’hui, on constate une augmentation des familles homoparentales, monoparentales et recomposées. Pour la doctorante, si ces modèles sont, de nos jours, plus facilement acceptés, c’est parce qu’ils sont “plus visibles, donc plus faciles à identifier et à comptabiliser”. Une famille est également

‘‘Selon l’INSEE en 2017, 11% des enfants en France vivent dans des familles élargies (recomposées, homoparentales, monoparentales...)’’

en constante évolution, tout au long de sa vie. Notamment pour les familles monoparentales. “La monoparentalité, c’est plutôt une période, une séquence dans une trajectoire plutôt qu’une réalité extrêmement durable. Il ne faut pas penser la famille comme une configuration figée mais plutôt comme différentes étapes d’un parcours”. Elle met tout de même l’accent sur le fait que la famille traditionnelle, donc un papa et une maman, reste “l’univers de référence”. Puisque la famille traditionnelle est en déclin, Justine Vincent constate que nous allons vers une “pluralisation des modèles familiaux donc une pluriparentalité”. Des familles marginalisées

encore

Si la famille nucléaire reste encore le modèle prédominant dans l’imaginaire collectif, c’est aussi à cause du manque de représentation des autres formes de parentalité dans les médias. La jeune doctorante explique que les médias, l’actualité, les séries, les films et l’école sont “des entrepreneurs

‘‘Entre 25 000 et 40 000 enfants sont actuellement élevés par des couples de même sexe’’ de morale”, comme on les appelle en sociologie. En France, nous n’avons encore jamais vu une publicité sur la lessive montrant un couple homoparental regarder ses enfants jouer dans le jardin. “C’est ce manque d’inclusivité qui joue dans la crispation et l’incompréhension des autres formes de parentalité”, explique la doctorante. La socialisation à l’école joue aussi un rôle déterminant dans la représentation et l’acceptation des différents modèles familiaux. “Des études ont prouvés que la manière de transmettre le savoir de l’amour aux enfants étaient toujours très hétéronormatives.” Il faudrait donc que les mentalités évoluent pour laisser place à ces nouvelles formes de famille. Luana PAULINEAU et Octavien THIEBAUD 33


“Le beau-parent ne veut pas prendre la place du parent biologique” Aujourd’hui, en France selon l’INSEE, on comptabilise 720 000 familles recomposées, soit 11 % des familles. Mais ce modèle familial soulève encore beaucoup de questions, notamment autour de la place des parents biologiques et des beaux-parents. Justine Vincent, doctorante en sociologie à l’ENS, prépare une thèse concernant ce type de familles. interrogées me faisaient référence à l’horrible marâtre de Cendrillon. On ne voit pas ce genre de phénomènes ou de représentations chez les hommes. La dimension de l’instinct maternel est encore très présente et incompatible avec l’image de la belle-mère. Le rôle du père est bien plus flou, il fait figure d’autorité. Cette place peut donc plus facilement être reprise par quelqu’un d’autre. Pour écrire sur le sujet, Justine Vincent a rencontré de nombreuses familles recomposées afin de comprendre leur situation. ©Octavien THIEBAUD

Est-ce qu’aujourd’hui, le rôle du parent biologique est encore dominant dans une famille recomposée ?

Tout dépend si le parent est présent, s’il y a une résidence alternée ou s’il est totalement absent. Le beauparent peut devenir un parent de substitution ou un parent additionnel. Mais il y a toujours la crainte de respecter la place du géniteur. Le beau-parent ne veut pas s’imposer ou essayer de prendre la place du parent biologique. Cette importance est montrée lorsque des couples ont recours à la PMA. Les caractéristiques physiques du donneur doivent être au plus proches de celles des parents. C’est pour que l’enfant lui ressemble physiquement. 34

Si le parent biologique est aussi important, est-il difficile de trouver sa place en tant que beau-parent dans une famille recomposée ? Oui parce qu’il est difficile d’asseoir son autorité en tant que beau-parent. C’est le parent biologique qui aura souvent le dernier mot. Le beauparent va se censurer et se considérer comme illégitime. Il y a aussi une différence de traitement entre les beauxpères et les belles-mères. Peut-être parce que l’image de la belle-mère est souvent négative ? Oh oui ! L’image de la bellemère est souvent diabolisée. Souvent, celles que j’ai

Le regard des autres fait-il sentir aux familles recomposées qu’elles sont une minorité ? Souvent, ceux qui vivent dans un modèle familial classique vont rappeler aux autres qu’ils ne sont pas dans la norme. Cela peut amener à une forme de souffrance ou de malaise. Mais avec la pluralisation des parentalités, c’est quelque chose qui évoluera. Avant, des enfants de parents divorcés n’étaient que deux dans une classe. Maintenant, on peut en trouver plus de la moitié. Si les statistiques changent en faveur des familles moins traditionnelles, l’acceptation sera bien plus facile, pour les enfants et pour les parents. Luana PAULINEAU et Octavien THIEBAUD


La PMA en Europe

PMA autorisĂŠe pour les couples lesbiens et aux femmes seules

PMA autorisĂŠe pour les femmes seules

PMA interdite NB : En France, la PMA est en cours d'adoption

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POUR OU CONTRE UN MODÈLE FAMILIAL UNIQUE ? Familles traditionnelles, monoparentales, recomposées ou encore homoparentales… La société d’aujourd’hui n’a plus un seul et unique modèle familial. Mais qu’en pensent ces personnes aux éducations et idées complètement radicales ?

Clément Le Surge a été élevé dans la religion voyant ainsi l’évolution traditionnelle de la famille d’un mauvais oeil. ©Clement Le Surge

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Clément a 18 ans. Sa famille est catholique pratiquante et va à la messe en latin tous les dimanches. Clément est quelqu’un de très religieux. La religion fait donc partie de son quotidien et forge ses idées. Néanmoins, pour ce dernier, “ce n’est pas parce que l’église le dit qu’il faut y croire. Je veux donc savoir pourquoi c’est bon ou pas et je réfléchis. Bien évidemment je prends en compte le point de vue de l’église mais c’est vraiment une réflexion personnelle.” Face à lui, Laurent. Cet homme, âgé de 48 ans, est père de famille. Electrotechnicien, il a longtemps caché son homosexalité à cause du poids de la société. Il vit aujourd’hui accompagné d’un homme. Pendant plus d’une dizaine d’années, ce dernier a vécu avec une femme, avec qui il a eu deux enfants.

Confrontons

leurs

idées.

Que pensez-vous de l’évolution actuelle de la famille avec les familles recomposées et homoparentales notamment ? Je pense qu’avec l’augmentation du féminisme dans la société, ça a cassé la cellule familiale traditionnelle. Je serais plus de l’avis d’avoir une cellule familial avec un père, une mère et des enfants. Il y a plusieurs études qui sont parues là-dessus, même du point de vue de personnes féministes, disant que c’était important pour les enfants d’avoir un père, une mère présents à la maison et ça entraînait plus de soucis s’il n’y avait que deux mères, que deux pères, ou juste une mère. Etant issu d’une famille de cinq enfants, avec un père militaire qui part souvent en mission, je vois la différence quand il est là et quand il ne l’est pas. J’ai un petit frère qui a des problèmes psychiatriques et quand mon père n’est pas là, c’est beaucoup plus difficile pour lui. John Gray et Warren Farrell ont écrit “the boy crisis”. Ils montrent les “ravages” que le mouvement féministe peut


avoir sur les garçons. On peut voir que si le père n’est pas là, il y a une baisse de concentration, des résultats à l’école, une hausse de la criminalité. Pourquoi avez-vous cet avis ? Déjà étant catholique, j’avais, on va dire, une prédisposition à ces pensées là. Le modèle de famille et l’éducation que j’ai eu aussi, me prédisposait à ça. Mais ensuite en me questionnant, et en remettant en cause mes idées, j’ai commencé à chercher les études, à aller sur internet, etc. Et je suis arrivé à la conclusion que pour moi, ce serait mieux si ça se passerait comme ça. Si je vous mettais face à un couple de parents homosexuels qu’est-ce que vous lui diriez ? Après tout c’est leur choix mais il faut voir en fonction des enfants. Avoir des enfants, c’est une chance. On ne doit pas vouloir à tout prix avoir des enfants. On doit bien réfléchir avant et voir ensuite quelles pourraient être les conséquences sur l’enfant et pour eux. Comment annoncer et faire comprendre à ses enfants qu’on est homosexuel ? Mes enfants avaient 11 et 13 ans. Ils l’ont appris un peu dans la douleur. Quand on a rompu avec mon ex-femme, j’ai découvert qu’elle entretenait une relation virtuelle avec une femme. Ça a été très dur au niveau du couple et les enfants en ont souffert car ça s’est mal passé pendant trois mois où l’on a vécu sous le même toit.

Laurent Figuet a longtemps caché son homosexualité à cause de la société. © Laurent Figuet

Elle n’acceptait pas l’image du “père pédé”. Ça a été violent car j’ai fait une tentative de suicide, car poussé à bout par mon exfemme. Je me suis retrouvé à l’hôpital psychiatrique et c’est là où ils l’ont appris. Quand je suis sorti, j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes. J’ai fait mon comingout à tout le monde. Je me souviens d’une conversation avec mon fils ainé où il m’a dit “nous on est neutres, aussi bien pour toi papa que pour maman”. Ils n’ont jamais jugé. Que pensez-vous de l’évolution actuelle de la famille avec les familles recomposées et homoparentales notamment ? Je suis très content que la société évolue dans ce sens là. J’aimerais que ça aille dans le raisonnable bien sûr, mais dans le sens de la GPA. On parle beaucoup de PMA actuellement pour les femmes mais ça va créer une inégalité entre hommes et femmes. C’est compliqué, je sais, mais on est en France, dans un pays où l’on pose, l’on regarde bien les choses. Il faut que l’enfant n’ait pas de soucis. Il faut

que ce soit fait dans un cadre spécifique. Il ne faut pas non plus que ça devienne de la marchandisation. Mais si on se place du côté des garçons, je ne vois pas pourquoi on pourrait leur interdire.

Si vous aviez une personne contre ces familles recomposées et homoparentales, qu’est-ce que vous lui diriez ? J’essaierai de lui faire comprendre que des fois ce n’est pas parce qu’on a une famille avec une père et une mère, qu’ils peuvent être meilleurs pour l’éducation d’un enfant. Alors après on va nous dire, l’image du père qui va manquer. Là, j’argumente en disant qu’il peut y avoir un grand-père, un oncle. On n’est pas obligé d’avoir un père pour avoir une image paternelle. D’ailleurs, mes enfants se construisent tout à fait normalement, en ayant une mère lesbienne et un père homosexuel ! Elisa BRUNEAU 37


pma : quand Après six ans de sommeil, ce devait être le grand retour de la Manif pour Tous. Cette fois-ci, les débats sont focalisés sur l’ouverture de la procréation médicalement assistée - PMA - aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires. Mais comme pour tous les sujets de sociétés où sont mêlés éthique, réligion, économie, famille... Le peuple en sort divisé. Mais contrairement à 2013, la division fait pâle figure. Les Français étaient-ils ressortis fatigués de ces interminables débats ? C’est possible ! L’aura qui entourait la Manif pour Tous s’est-elle estompée ? À coup sûr. Le nombre de manifestants est passé de 500 000 à 74 500... Un chiffre difficilement compréhensible car c’est bel et bien sur ce sujet que l’opposition aurait dû faire face. Car adopter l’extension de la PMA, c’est franchir un cap jusqu’ici jamais égalé. Quand le dangereux

progrès

devient

Il faut bien comprendre qu’aujourd’hui, le problème n’est pas la PMA mais son extension. En France, depuis les années 1990-2000, les couples hétérosexuels pouvaient avoir recours à cette pratique, souvent pour des raisons d’infertilité d’un des deux membres du ménage. Jusque-là, rien de gênant. La science venait pallier un dysfonctionnement de la nature, une anomalie. Mais aujourd’hui, cette extension rebat les cartes. Désormais, le progrès de la science sera utilisé pour supplanter ce que la nature n’a jamais pu offrir : “La médecine est là pour soigner, pas pour céder à un caprice personnel”, disait Eric 38

Zemmour sur le plateau de Face à l’Info en octobre 2019. Deux femmes de même sexe n’ont jamais pu procréer, de même qu’une femme seule. Alors pourquoi les choses devraient changer aujourd’hui ? La question de la liberté ou du bonheur sur fond d’avancée scientifique peut se poser. Mais n’est-elle pas aussi, voire plus égoïste, que le point de vue d’une personne opposée à la PMA ? Et une bonne fois pour toutes, une grande majorité des réfractaires à l’ouverture de la PMA ne sont pas contre la possibilité de fonder une famille pour les personnes de même sexe puisque la pratique existe déjà grâce à d’autres moyens. Mais demander à la science d’inventer quelque chose que le modèle naturel ne peut pas créer, n’estce pas un peu beaucoup ? Quelle suite après la PMA ? Tous les sept ans, les projets de loi bioéthique sont révisés. Ce qui est désormais à craindre, ce sont les dérives de la science. Et elles existent déjà. Si le mot “eugénisme” fait bondir les bien-pensants, des catalogues existent déjà aux États-Unis pour choisir les critères physiques de son futur enfant. À quand l’importation de cette idée chez nous ? La question sera bien posée un jour.

Le projet de loi bioéthique évoque également le sujet des embryons chimères, ces embryons animaux où sont introduites les cellules-souches humaines. Si aujourd’hui, un large consensus s’oppose à cette idée, un léger rappel s’impose quant à l’attitude versatile de nos politiques, enivrés par l’idée du progrès à tout prix. En 1999, le PACS (Pacte Civil de Solidarité) se met en place, mais pas de mariage gay. En 2012, ce mariage est bien là. En revanche, la PMA jamais. En 2020, elle est également là. Et bien évidemment que dans un souci d’égalité, la GPA (Gestation Pour Autrui) sera prochainement à l’ordre du jour, elle, alors que tout le monde refusait il y a encore quelques mois. Aujourd’hui, un cap a été franchi et ce n’est que le commencement. Mais l’avenir ne s’annonce guère meilleur. Dans 20 ou 30 ans, dans quel monde vivrons-nous ? Ce qui est sûr, c‘est que la technologie nous dépasse de manière fulgurante et inquiétante. Alors une bonne fois pour toutes, tapons du poing sur la table et montrons que nous ne sommes pas uniquement passifs sur ces questions.

Max DESGOUTTE


le progrès divise Ils étaient environ 74 500 à manifester contre la PMA pour toutes en octobre 2019. Avec le slogan, “liberté, égalité, paternité”. Mais depuis quand une famille se définit-elle uniquement par la présence d’un père ? Les temps ont changé, le mariage pour tous est passé et un nouveau modèle familial est né. Aujourd’hui, une famille, ce n’est plus un papa et une maman, bien que les opposants veulent nous faire croire que le seul modèle familial possible est le leur. Et les arguments avancés par les 22 associations du collectif “Marchons Enfants !”, dont la “Manif pour tous” fait partie, n’ont plus aucun sens. Une loi l’intérêt

“contraire à de l’enfant”

C’est le premier argument que les joyeux manifestants de la “Manif pour tous” s’empresseront de sortir lors d’un débat sur la PMA. Leur plus grande peur : “que l’enfant n’ait pas de modèle masculin”. Cet argument n’est pas valide ! Que l’on naisse d’un couple hétérosexuel, d’un couple de femmes ou d’une femme seule, il y a toujours la possibilité de trouver une figure masculine et féminine dans son entourage. Qu’il s’agisse d’oncles, de tantes, d’amis de la famille, les possibilités sont multiples. Mères célibataires : “on va créer des familles précaires” Il

est

vrai

que

les

familles monoparentales, et particulièrement les mères célibataires, vivent dans une plus grande précarité que d’autres. En effet, d’après la CNAF, 34,9 % des familles monoparentales disposent de revenus inférieurs au seuil de pauvreté. Mais ce n’est pas aux femmes vivant dans la précarité que s’adresse la PMA. En tout cas pas tant que celle-ci ne sera pas remboursée. Une femme seule ayant déjà du mal à joindre les deux bouts ne pensera pas à avoir un enfant, surtout lorsqu’on voit les dépenses à réaliser pour un nouveau-né. Mais une femme gagnant bien sa vie, indépendante, n’aurait donc pas le droit de connaître le bonheur d’être mère car elle n’a pas envie d’un homme dans sa vie ? Beaucoup de femmes élèvent leurs enfants seules et personne ne vient remettre leur maternité en question. Ne commençons pas avec celles demandant la PMA. Couples lesbiens : ‘‘ un enfant né de deux mamans sera moqué à l’école ‘‘ Mais pourquoi ? Un enfant ne naît pas plein de haine et de préjugés, pensant que son modèle familial est supérieur à celui de ses camarades. La seule raison pour laquelle un enfant se moquerait d’un autre, c’est parce ses parents lui auraient mis dans la tête que ce n’était pas normal. Le débat de la PMA pour toutes ne vient donc pas de la recherche du

bonheur de l’enfant, mais de l’homophobie enfouie dans les racines de la nation française. L’amour de

: seul ingrédient la parentalité

D’après une étude du Journal of Developmental Behavior Pediatrics, il n’y a aucune différence de comportement, de santé mentale ou de bien-être chez les enfants nés de couples homosexuels ou hétérosexuels. Mais si un enfant n’a pas besoin d’un papa et d’une maman, de quoi a-t-il besoin ? D’amour ! C’est le seul ingrédient nécessaire pour être parent. Que l’on soit un couple hétérosexuel, homosexuel ou une personne seule, on peut donner de l’amour à son enfant. Alors donnons de l’amour aux enfants au lieu de les traîner à des manifestations sexistes et homophobes. Octavien THIEBAUD Max ne conteste pas que le bonheur de l’enfant dépend de son modèle familial. Un couple homosexuel, une femme seule ou un couple hétérosexuel peut aussi bien élever un enfant que n’importe qui. Mais pour ce qui est des bienfaits de la PMA et de l’évolution scientifique, nos avis divergent totalement. Pour Octavien, si la science peut enrichir la vie personnelle et permettre à tout le monde d’accéder au bonheur, pourquoi s’en priver ? 39


“Ce n’est pas demain la veille que les hommes et les femmes seront sur un pied d’égalité” Nombreuses sont les personnes souhaitant la chute du système patriarcal. Un système où l’homme est dominant et privilégié. Pour beaucoup, la chute du patriarcat signifierait la création d’une société où la femme et l’homme sont égaux sur tous les points. Mais certains, comme Jhayline Rojas, mère au foyer de 25 ans, doutent que cela soit possible. Pour toi, quelle est la place et le rôle d’un homme et d’une femme dans notre société ? Je n’aime pas parler de “place de la femme” parce qu’on dirait qu’on doit absolument la mettre dans une case. Pour moi, la femme doit être indépendante. Elle va au travail, elle s’occupe des enfants, c’est une Wonderwoman. Malheureusement, encore aujourd’hui, les hommes voient leur femme comme leur cuisinière. Normalement, l’homme doit être à égalité avec sa femme et peut rester à la maison s’occuper des enfants. Mais on pense encore que l’homme est celui qui ramène le pain sur la table, qui représente l’autorité. Et personnellement, comment te vois-tu ? Je me sens surtout comme une mère parce que je ne travaille pas, je suis mère au foyer. Je n’abandonne pas mon rôle de femme pour autant. Tout peut marcher en même temps. Je peux tout faire et je reste avant tout un individu. Il faut que mon mari soit d’accord avec moi pour se répartir les tâches. Je ne suis pas uniquement 40

là pour rester à la maison et m’occuper des enfants. Est-ce que tu te considères comme féministe ? Pas totalement. Parce que je ne rentre pas dans tous les débats féministes. Je suis d’accord pour l’égalité des salaires. Une femme mérite le même salaire pour le même travail. Les congés maternité ou les jours pour les enfants malades doivent aussi être équitables. Mais sur certaines choses, les féministes vont trop loin. Les femens qui se baladent seins nus ont des revendications légitimes. Mais ce n’est pas en se mettant seins nus qu’on va mieux les entendre, au contraire. As-tu le sentiment de vivre dans une société patriarcale ? Oui, il y a une société patriarcale et on avance à pas de fourmis pour l’éliminer. Les femmes sont encore trop attachées au regard de l’homme car beaucoup sont dépendantes de ce regard et de cette validation masculine. Elles en ont besoin pour avoir confiance en elles et pour ne pas se faire dénigrer par leur mari. Ce regard empêche la femme d’avancer. Dans mon quotidien, je ne le ressens

pas,

bien

heureusement.

Penses-tu que nous allons assister à une chute du patriarcat d’ici quelques temps ? Très honnêtement, je ne pense pas. Ce n’est pas demain la veille que les hommes et les femmes seront sur un pied d’égalité. Ça fait des années qu’on en parle, et on a beau créer des lois, les choses n’avancent pas réellement. Sur le papier, c’est bien beau, mais pour l’instant, rien n’a véritablement avancé. Par exemple, pour les salaires, on est censées être payées autant que les hommes. Mais si on va dans une entreprise et qu’on observe les fiches de paie, les choses sont bien différentes. Il y a tout de même des évolutions, que ce soit sur le harcèlement ou les agressions. Mais on étouffe encore un peu les choses. C’est dur de se faire entendre et si les femmes veulent être prises au sérieux, ça prendra encore du temps.

Propos recueillis par Octavien THIEBAUD


“Si en tant que mec, on ne fait rien, on commet indirectement un crime" Engagé dans la cause féministe, Nicolas Berno, auteur et réalisateur, affirme que les hommes peuvent aussi être des féministes à part entière. Il nous explique ses convictions vis-à-vis de la cause ainsi que l’importance de donner la parole aux hommes dans ce combat. Pourquoi vous sentez-vous concerné par la cause féministe ? Tout simplement parce qu’on a laissé se creuser un fossé entre deux sexes du même pays, avec la même culture et la même histoire. Ce n’est pas normal qu’en 2020, tout le monde n’ait pas le droit exactement à la même justice sous prétexte qu’on naît avec un vagin ou un pénis. Si en tant que mec, on ne fait pas ce relai-là, on commet indirectement un crime. Le féminisme, c’est masculin et féminin. C’est avancer ensemble vers la progression du droit des femmes, vers plus d’équité et de justice pour tous. Quels sont les valeurs actuelles du féminisme que vous soutenez ? Je défends les combats qui se battent pour que justice soit réellement faite, notamment pour les personnes victimes d’agressions sexuelles, d’attouchements, de harcèlement ou encore d’abus de pouvoir. Je suis aussi très attaché à la révision des dossiers des femmes qui ont tué par légitime défense leur mari ou le père abusif de leur(s) enfant(s) parce que la justice n’agissait pas. Après, il n’y a pas une valeur plus haute qu’une autre, je pense que toutes

les valeurs se tiennent entre elles et sont fondamentales. À l’inverse, y a-t-il des actions ou des revendications féministes que vous ne comprenez pas ? Il y a certains combats qui sont menés avec une virulence qui est presque extrême par rapport à la priorité du problème. Je trouve qu’en France, on va brandir quelque chose avec beaucoup de véhémence comme si on vivait comme une femme afghane excisée. Alors qu’on se bat pour mettre le féminin au mot docteur. Je ne remets pas en question les racines de leurs combats mais la forme. L’agressivité et la radicalité, on sait que ça ne marche pas. Si on veut casser le système, il faut être l’exemple d’un autre système. Comprenez-vous les personnes qui ne veulent pas sortir du système patriarcal ? Je pense que ces personnes sont juste conservatrices d’une société dans laquelle elles ont trouvé un certain confort, que ce soit un homme ou une femme. Du coup, leur dire qu’il faut casser tout ça parce que sinon c’est régressif, ça peut être quelque chose qu’elles n’ont pas envie d’entreprendre. C’est même au-delà du patriarcat pour certains,

En novembre dernier, le collectif féministe Les Nanas d’Paname a donné la parole à Nicolas Berno ainsi qu’à d’autres artistes tournés vers la cause. ©Chloé BONNARD

c’est la vision d’un monde qu’on ne veut pas changer. Selon vous, qu’est-ce qu’il faudrait faire pour changer cette vision générale de société patriarcale ? Je pense que ça passe par l’éducation et l’information auprès des gens. Il faut continuer, encourager les possibilités de créer des endroits de discussion, montrer qu’il n’y a pas de peur à aller vers ce progrès là parce que tout le monde en ressortira grandi d’un point de vue cynique. Il ne faut jamais lâcher jusqu’à ce que les générations qui ont été élevées dans ce discours là prennent conscience qu’une société patriarcale n’est pas saine. Célia DEMOLIS 41


Le survivaliste, Certains font le choix d’un mode de vie adapté à leur vision de l’effondrement : les survivalistes. Plus loin que l’image ancrée dans l’imaginaire collectif du survivalisme américain, né dans les années 1960 et centré sur la sauvegarde d’une identité, il existe autant de survivalistes qu’il y a d’individus. Parmi eux Sylvain, un de ces “preppers”, ou prévoyants, à la recherche d’autonomie. et même une émancipation politique tout court. On s’éloigne du politique pour se dire qu’il ne peut pas tout et que c’est à nous, citoyens, de prendre notre destin en main.” “Le survivalisme, ça commence au moment où vous avez deux bouteilles de gaz pour faire cuire votre bouffe” Dans sa boutique, Sylvain vend du matériel pour les professionnels de la défense et les randonneurs : des vêtements aux pansements israéliens, en passant par des filtres à eau. ©Prescillia BOISSEAU

En entrant dans sa boutique, il serait facile de glisser vers la caricature et de lui coller l’étiquette de l’homme survivaliste, passionné de gadgets et sur la défensive. Couteaux, équipements tout camo : Sylvain vend du matériel pour les forces de l’ordre, l’armée et la randonnée. Le trentenaire le dit lui-même : “Ceux qui ont bien compris la démarche survivaliste n’ont pas besoin de venir dans ma boutique, d’acheter un sac militaire ou un gilet pare-balles. Il y a des choses prioritaires : se former aux premiers soins et faire en sorte que leur habitation soit la plus autonome possible.” 42

“Devenir autonome c’est une émancipation intellectuelle et politique” “On sent bien la ligne éditoriale du reportage : les survivalistes sont des fachos sanguinaires qui se préparent à faire la guerre.” C’est l’un des nombreux commentaires satiriques récoltés en postant une demande de témoignage sur le groupe Facebook des ‘‘Survivalistes francophones’’. À croire que le stéréotype du survivaliste d’extrême droite persiste. Sylvain insiste : “Ça n’a rien de politique, les gens sont trop divers dans le mouvement pour les classer. Devenir autonome, c’est une émancipation intellectuelle

Si Sylvain, après notre appel, s’est demandé s’il devait vraiment nous recevoir, c’est parce qu’il craint justement ce sensationnalisme autour du survivalisme. Et pour cause, le cliché de l’homme américain armé et retranché dans son bunker existe. Mais il y a aussi tous ceux qui se définissent plutôt comme prévoyants, les “preppers” : “Le survivalisme, ça commence au moment où vous avez deux bouteilles de gaz pour faire cuire votre bouffe. C’est du préventif en permanence”, appuie-t-il. Sylvain ne craint pas un effondrement apocalyptique qu’il dit être “fantasmé”, mais plutôt des effondrements, un “lent délitement de la société pour basculer sur une autre” . “On le voit avec les services


un citoyen responsable ? publics qui sont de moins en moins performants, les hôpitaux saturés, etc.” Son credo donc, éviter de dépendre des “systèmes complexes” comme EDF, “prendre conscience que l’État ne pourra pas tout”. Des problématiques praticopratiques Une pensée qui se traduit en un grand niveau d’autonomie. Sylvain est formé aux premiers soins et dispose dans son véhicule du nécessaire en cas d’accident de la route (poches de froid, de quoi faire une attelle, bandages, garrots, sangles d’amarrage, etc.). Professionnellement, il a fait le choix d’être auto-entrepreneur afin d’être indépendant financièrement. Chez lui ( à 1 200 m d’altitude au Bessat ) dans la Loire, il ne se chauffe qu’au bois : “Quand il y a des coupures de courant, il fait six degrés chez mes voisins, quand moi j’ai 20”. Du côté de l’alimentation, l’homme a quelques stocks de nourriture. Pour ce qui est de l’eau, Sylvain n’a pas de crainte puisque dans son village se trouvent des lavoirs avec de l’eau potable. Bref, en cas de pépin, il serait autonome environ un an, à tous les niveaux. “Envisager des stockages à plus long terme, ça n’a pas de logique. Si une situation est vraiment pourrie pendant plus de quatre mois, c’est qu’il faudra trouver une alternative très vite et se passer complètement de système”, justifie-t-il. Son but ultime : générer sa propre électricité et

viser l’autonomie alimentaire en acquérant du terrain. “Mon voisin a les clés de chez moi, s’il arrive quelque chose, pas besoin de Verisure” Outre l’aspect matériel, la priorité dans le mode de vie de Sylvain, c’est le lien social : “Mon voisin de gauche, il a les clés de chez moi. S’il arrive quelque chose, pas besoin de Verisure quoi.” (rires) Il ajoute : “À la boutique, j’ai eu deux tentatives de cambriolage, et à chaque fois, ce sont aussi les voisins d’ici qui s’en sont occupés. Je dors sur mes deux oreilles, en vivant à 20 bornes…” Parallèlement, l’autonomie passe selon lui par une première approche très individualiste : “Charité bien ordonnée commence par soimême.” En résumé, être bien préparé avant de pouvoir aider les autres. Mais il insiste, loin de l’image du survivaliste qui ne pense qu’à sauver sa peau, en cas de crise, il est en capacité d’accueillir des gens : “On est de plus en plus contraints à être des primo-intervenants : c’est le citoyen lui-même qui se doit de pouvoir aider ses confrères.” Le salon du survivalisme? Mieux vaut un séjour solitaire dans les montagnes À l’heure où le survivalisme est mis sur le devant de la scène, Sylvain constate une “inversion des valeurs : “Des gens avec des savoirs approximatifs dispensent une pensée qui n’est pas la bonne.” Et ça, le commerçant le constate à

Le survivalisme en France En France, selon Clément Champault, organisateur du Survival Expo 2019, il y aurait entre 100 000 et 150 000 survivalistes. Un nombre néanmoins difficile à estimer puisque les contours du survivalisme sont flous. Sur Facebook, il existerait 120 sous-communautés de survivalistes francophones, selon la journaliste Ghalia Kadiri qui a réalisé un reportage sur le survivalisme en Suisse.

l’échelle de sa boutique, avec des clients venant chercher des gilets pare-balles “alors que chez eux, ils n’ont même pas de quoi tenir trois jours”. La faute, selon lui, au manque d’acteurs, de formateurs “carrés”, à la multiplication d’écoles, de stages de survie pas adéquats. Sylvain ne s’est pas rendu au troisième salon du survivalisme, les 20 et 22 mars à Paris. En guise de loisir, il partira plutôt une semaine, seul dans les Pyrénées. “C’est un vaccin de se dire : quand je suis chez moi et qu’il fait quatorze degrés, c’est déjà un luxe. Le luxe il commence à la douche chaude. Une fois qu’on a compris ça, tout coule de source”.

Prescillia BOISSEAU 43


“on utilise déjà la reconnaissance faciale au quotidien” La Quadrature du Net se veut figure de proue de la défense des libertés fondamentales dans l’environnement numérique. Depuis quelques années, l’association, fondée en 2008, œuvre face aux problématiques de reconnaissance faciale et de surveillance de masse. Rencontre avec Sylvain, un de ses membres.

En France, avec les outils effectifs de reconnaissance faciale et de surveillance de masse, 1984 n’a jamais paru aussi proche © MIB

Où en est-on au sujet de la reconnaissance faciale en France ? Le discours gouvernemental laisse entendre qu’on ne fait pas de reconnaissance faciale en France et qu’il faut l’expérimenter pour aider les industriels. En réalité, on a déjà des dispositifs de reconnaissance faciale qui sont bien implantés en France. Le dispositif PARAFE sert à faire du contrôle dans les aéroports et aussi dans le cadre de l’Eurostar. À la place de passer devant un douanier humain, on passe devant un portique qui fait de la reconnaissance. Encore plus grave, la police peut, facilement, dans le cadre d’une enquête, faire de la comparaison faciale. Cela en utilisant toute la base de données du TAJ (un fichier de police de 44

Traitement des Antécédents Judiciaires, ndlr). Il y aurait plus de huit millions de photos de face sur lesquelles on peut opérer de la reconnaissance. Donc, l’utilisation de la reconnaissance faciale au quotidien est déjà d’actualité, à des fins sécuritaires. Et pas du tout que pour le terrorisme, le moindre petit délit peut faire l’objet d’une demande TAJ. Quel est l’encadrement juridique de telles expérimentations ? Ce sont des textes qui ont été adoptés plus ou moins par décret en s’appuyant sur une loi. Dans le cadre d’une TAJ, l’encadrement juridique, on le questionne. La Quadrature du Net a demandé son abrogation en estimant que le dispositif posait des

problèmes. Cette demande nous a été refusée mais nous allons attaquer le refus de la demande d’abrogation. En termes d’applications de la directive européenne policejustice et ce qui va avec, la légalité du dispositif n’est pas assurée. Le décret qui visait à mettre en place Alicem, une application qui utilisait la reconnaissance faciale pour faire de l’authentification pour accéder à des fonctionnements de service public, via son téléphone, ce n’était pas non plus une expérimentation. Le but était de la mettre en place sérieusement. Ce qui est pour l’instant mis en pause, parce que nous l’avons attaqué sur des violations du RGPD et sur des problématiques de base légale. C’est-à-dire une absence de consentement valable.


Que pourrait être l’utilisation d’Alicem dans le futur ? Ça dépend de l’orientation de la politique, mais si toutes les lois sont changées pour aller dans ce sens-là, il n’est pas impossible que l’application devienne obligatoire. Mais pour la carte d’identité par exemple, tout le monde considère qu’elle est obligatoire et de fait elle l’est pour énormément de choses. Moins de 100 ans auparavant, cette carte a été mise en place durant le gouvernement de Pétain et elle était très questionnée à l’époque. Aujourd’hui, plus personne ne la remet en cause. À long terme, le gouvernement pourrait réussir, loi après loi, à imposer que tout le monde passe par de la reconnaissance faciale pour accéder aux services administratifs. Quel est, aujourd’hui, le pouvoir de la CNIL française ? La CNIL française est plus puissante que d’autres autorités de contrôle européennes. Elle a des pouvoirs mais il y a des réalités politiques. La CNIL peut avoir peur, quand elle s’attaque à Google, par exemple. Parce que, devant elle, elle a une machine qui travaille avec le gouvernement au quotidien. Donc elle prend des pincettes. Elle pourrait aller plus loin mais tout ça s’intègre dans une logique de gestion du pouvoir conséquente avec les différents gouvernements et différentes CNIL européennes. En quoi le système actuel favorise-t-il le développement de la surveillance de masse ? On appelle “démocratie” quelque chose qui donne assez peu

de pouvoir au peuple. Elle lui donne seulement le pouvoir de s’exprimer une fois tous les cinq ans globalement. Énormément de textes sont adoptés ou en cours d’adoption par le gouvernement et l’Assemblée Nationale, qui sont en frontale opposition avec les attentes de la population. C’est le cas de la réforme des retraites, et le gouvernement s’en moque. Ils considèrent que puisqu’ils ont été désignés trois ans avant, ça leur donne le droit de faire ce qu’ils veulent. C’est la même chose pour la surveillance de masse des réseaux sociaux et pour toutes les autres lois sécuritaires. Que reste-t-il de nos libertés individuelles face à la surveillance de masse ? Les libertés fondamentales, telles qu’elles sont éditées dans les grands textes, continuent d’exister. C’est juste qu’elles ont toujours

été pensées comme étant délimitées les unes avec les autres et ça laisse une marge de manœuvre aux personnes au pouvoir pour les orienter. Malheureusement, les organes qui devraient les considérer dans un sens plus absolu comme la Cour européenne des droits de l’Homme sont aussi influençables par le poids du gouvernement, les industriels… La Cour de justice de l’Union européenne a rendu deux bonnes décisions en 2014 et 2016 sur la conservation des données de connexion et leur usage à des fins policières. Cela correspondait à des actes de surveillance de masse très problématiques par rapport au respect de la vie privée et qui pouvaient induire des dérives bien pires que celles que l’Europe a connues pendant la Seconde Guerre mondiale. Malgré la demande de suppression, la France, en 2020, n’a rien mis en conformité. Arthus VAILLANT

Sylvain : “Nous sommes des rats de laboratoire” Sylvain est membre du bloc Horda Frenetik 1997 depuis cinq ans. À 21 ans, le supporter ultra du FC Metz assiste, pantois, au développement de la reconnaissance faciale dans l’enceinte de son stade de coeur : Saint-Symphorien.

“Ce dispositif vise essentiellement les ultras plutôt que des supporters classiques. Ce serait dans un but de prévention mais je n’en crois pas un mot. Le but est de sanctionner puis de supprimer une par une des personnes, suite à des événements courants en tribune (craquage en particulier). La phase d’expérimentation a été cachée par le club car le public messin et surtout les ultras sont un public difficile. La raison de ce mutisme est sûrement pour ne pas affoler les personnes. On filme des gens à leur insu, on prend leurs données biométriques à l’aide de matériel à la pointe. Nous sommes des rats de laboratoire comme l’a bien souligné l’Association Nationale des Supporters. L’objectif est clairement de virer des membres “virulents” entre gros guillemets, et bien évidemment de rassurer les familles. Mais plutôt me rebeller que regarder mon stade devenir une antre sans âme, sans chants.” 45


Les résidences crous, commerce de l’insalubrité

À Lyon, la colère des étudiants monte. Les habitants dénoncent un manque d’aides et d’actions des bailleurs sociaux pour leurs résidences et logements du Crous. Dans sa nouvelle édition, L’Étudiant adoube la ville de Lyon, qui se classe seconde meilleure ville étudiante. Le classement se calcule selon cinq critères, dont l’un est particulièrement mauvais à Lyon. Un décalage s’opère en effet entre la vie étudiante, l’attractivité, la formation, l’emploi et le cadre de vie. Notamment en ce qui concerne les résidences du Crous. En octobre dernier, les habitants de la résidence du Crous Jean Mermoz, dans le 7e arrondissement, protestaient contre l’insalubrité de leurs logements. Non loin de là, à Laennec, se trouve la résidence Paradin, dans le 8e arrondissement lyonnais. “On se plaint chacun de notre côté, il n’y a pas vraiment d’organisation collective.”

Cette douche ne provient pas d’une maison à l’abandon mais bien d’une résidence étudiante © Arthus Vaillant

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Contrairement à Mermoz, les résidents de Paradin n’ont pas fait de manifestations pour se plaindre des conditions de vie. Sans doute à cause du mutisme des bailleurs sociaux. “On se plaint souvent, mais il n’y a pas vraiment de réponse, et aussi, c’est rare qu’il y ait quelqu’un à l’accueil.” Pour seul moyen de faire remonter les problèmes, les résidents ont un mail qui ne semble pas efficace pour Kim : “Je n’ai pas vu d’amélioration”. Fixant les murs de l’accueil, comme neufs, l’étudiant regrette : “Ils préfèrent repeindre les murs que régler les vrais problèmes.” Laissant les étudiants dos au mur. Des “taches noires” dans le couloir Kim y est locataire depuis 2017. Cette année, il a troqué sa licence d’info-com pour un BTS en métier de la banque. Il vit dans un T1 qu’il paye 225 € “grâce aux APL”. Comme pour la résidence Mermoz, le bâtiment est en proie à des problèmes d’insalubrité. “Il y a surtout des problèmes d’humidité.” “Dans les couloirs, il y a des taches noires”. Dans son appartement, Kim se plaint notamment de sa salle de bains. Il montre ses carreaux de douche cassés, “En dessous de la douche aussi, l’humidité ne part pas et il y a des taches un peu partout”. L’évier est également fissuré et l’une des prises n’est

Trous dans le carrelage, saleté, pour Kim la douche laisse un goût amer © Arthus Vaillant

pas sécurisée. “Elle est comme disloquée du mur” déplore-t-il. “Des problèmes respiratoires” Cette humidité peut causer des problèmes de santé, pour des étudiants déjà victimes de précarité financière. En traversant le couloir, Kim se souvient d’un couple “qui habitait dans cette résidence et qui a dû déménager parce que leur fille était asthmatique et que l’humidité lui causait des problèmes respiratoires”. Face à l’insalubrité de son logement, le jeune homme s’adapte : “Je ne passe pas beaucoup de temps dans mon appartement, j’y vais juste pour me doucher et dormir”. Pour sa salle de bain, il a dû trouver des parades pour réduire l’humidité. “Je mets le chauffage à fond pour faire sécher toute l’eau qui reste, j’essaie d’aérer au max”, sourit-il. Arthus VAILLANT


Terra Nostra : une initiative enracinée contre le mal des campagnes Alors que la France rurale se meurt, manquant toujours plus de structures, de médecins, de transports, d’attention de la part des politiques, une bande de copains des Monts s’insurge contre la fatalité.

Un membre de Terra Nostra dans les Monts © Jean-Baptiste Ramat

Il fait, ce lundi 24 février, une douceur plus que printanière. Le ciel est d’un bleu profond, le soleil à son zénith illumine jusqu’aux versants neigeux des Alpes. La température avoisine les 17 degrés, même ici dans les basses altitudes des Monts du Lyonnais, où se succèdent la verdure, des pâturages et l’ombre des bois. L’hiver semble bel et bien parti, comme en témoignent Damien, Lucas et Pierre, tous les trois en tee-shirts. Cependant, ils préviennent : “Depuis deux ou trois ans, on a un redoux en février, puis un mois de mars pluvieux, avec des gelées tardives, c’est une catastrophe pour les récoltes !”. La plupart des militants de Terra Nostra sont des fils d’agriculteurs, d’artisans, qui assistent à la lente déliquescence de leur coin de campagne. Ce qui frappe, c’est d’abord leur prime jeunesse. 18 ans pour Damien, et c’est le plus vieux des trois. Il s’excuse pour le “bazar” du local, dont ils viennent de finir la peinture, il est confiant : “On sera dans les temps pour

l’inauguration samedi prochain !”. Préserver les villages, les artisans locaux, consommer au plus proche plutôt qu’au moins cher, retisser le lien social où il a disparu, redonner l’amour de la terre à une jeunesse “perdue”. Voilà leur sacerdoce. “Nous sommes des jeunes d’ici, nous avons grandi dans l’esprit paysan français, et dans ses valeurs ! Nous voulons nous battre pour le préserver, pour empêcher sa totale disparition !” Terra Nostra est apolitique ! Se disant d’abord “localistes et enracinés”, ils refusent l’étiquette politique. Le trio déplore cependant la “mauvaise presse” et le “mauvais procès” qui a été fait à l’association. “Terra Nostra est, et restera, apolitique ! Certains médias nous ont directement assimilés à l’ultra-droite, nous présentant même comme des néofascistes, c’est absolument ridicule ! Nous aimons notre terre, nous voulons la faire

vivre, et nous sommes enracinés !” Pour autant, ils ne renient pas leurs soutiens : “Notre association a été relayée par des groupes de droite, et nous les en remercions. Cependant, un militant antifasciste nous amalgame au GUD, disant même que les membres de Terra Nostra sont des anciens du GUD Lyon réfugiés dans les Monts. C’est entièrement faux !” Ils confient que s’ils en avaient le temps et l’argent, ils porteraient plainte pour diffamation. Mais l’argent est plus utile ailleurs, le projet étant de reverser les sommes récoltées lors des événements et soirées organisés par Terra Nostra à des gens ou des associations dans le besoin. “Solidarité Paysans, clubs de football et écoles primaires, ça ne manque pas dans le coin !” Le respect des anciens est aussi l’une de leurs vertus cardinales : “Si une personne âgée est dans le besoin pour des travaux, de l’aide à la personne, elle peut nous contacter. Nous sommes là pour aider. D’ailleurs c’est aussi l’une des valeurs campagnardes, l’entraide !” Pour les villageois inquiets, Damien assure : “On n’est pas là en conquérants, mais en conservateurs ! Les gens peuvent venir à notre rencontre, ils verront que nous sommes juste une bande de copains qui veut aider, rien de plus !” Jean-Baptiste RAMAT 47


Ils refusent d’avoir des enfants pour le bien de la planète Face à l’urgence climatique et à l’explosion démographique, certains renoncent à faire des enfants. Parmi eux, Justine, 23 ans, et Claire, 27 ans. Mais ne pas avoir d’enfants dans un “monde bousillé” n’est pas de l’avis des plus optimistes, pour qui la technologie peut être la solution pour pallier aux problèmes environnementaux. Faire moins d’enfants pour réduire son empreinte carbone. L’idée fait son bout de chemin. En juillet 2017, une étude suédoise de l’université de Lund, publiée dans Environmental Research, démontre qu’une famille américaine qui choisit d’avoir un enfant de moins fournit le même niveau de réduction des émissions de Co2 que 684 adolescents qui décident de recycler leurs déchets toute leur vie. Lors de la thèse sur les personnes volontairement sans enfant, la raison écologique n’était pas avancée au profit d’arguments “libertaires” (être bien sans enfant, vouloir rester libre, etc.). Mais il semble que les choses ont changé avec les “ginks” : “Green inclination no kids”, les personnes engagées pour l’écologie qui ne veulent pas d’enfants. “Je n’ai pas envie de lâcher mes enfants dans un monde où il y aura des dérèglements climatiques atroces” Justine est une Lyonnaise de 23 ans, sensibilisée, de par ses études, aux enjeux sociétaux et environnementaux. Si elle n’a pas de parti pris “franc”, la jeune femme avoue se poser la question : “J’ai toujours voulu avoir des enfants, mais quand 48

je vois l’état du monde, est-ce que c’est vraiment une bonne idée ? J’ai pas envie de lâcher mes enfants dans un monde où il y aura sûrement des guerres pour se nourrir, pour boire, des dérèglements climatiques atroces. Des enfants en moins, c’est de la pollution en moins, de l’énergie consommée en moins, des déchets en moins etc.” Beaucoup plus ferme, Claire, une technicienne française de 27 ans, expatriée au Québec, veut se faire ligaturer les trompes. Si beaucoup d’arguments entrent en compte dans son choix, c’est aussi parce que “le monde est bousillé”. “Je suis pour une décroissance démographique. Je ne fais pas confiance aux politiques pour régler les problèmes environnementaux et je ne veux pas imposer à un enfant de naître dans un monde pareil, il y a déjà assez d’enfants malheureux”. “Développer la technologie pour que les gens puissent vivre libres, heureux, avec des enfants” Damien Ernst, ingénieur dans les technologies durables, reste convaincu qu’il faut continuer à faire des enfants : “Je suis pour le fait de développer la technologie afin que les gens

Justine, étudiante en école d’innovation, est pessimiste face à l’état de la planète. ©Prescillia BOISSEAU

puissent vivre libres, heureux, avec des enfants. Je pense que c’est tout à fait possible d’aller dans ce sens là.” Sur la seule raison écologique, Damien Ernst est d’ailleurs radical : “Il y a des personnes qui ne veulent tout simplement pas d’enfants. Comme nous sommes dans une société où on est mal vu quand on n’en veut pas, je pense que certaines d’entre elles utilisent la cause environnementale pour justifier leur décision.” Une remarque qu’ont l’habitude d’entendre les personnes volontairement sans enfants pour des raisons environnementales qui regrettent, comme Justine, de ne “pas être prises au sérieux”. Prescillia BOISSEAU et Elisa BRUNEAU


“Une société trop fermée pour un effondrement des théories de genre” Queer, gender fluid, non-binaire, cisgenre, transgenre… Il n’est pas rare de nos jours d’entendre ces termes lorsque l’on parle de son genre, du sexe auquel on s’identifie. Ces nouvelles théories de genre sont encore peu rentrées dans les moeurs. Elles annoncent même la transformation voire la fin de la binarité homme/femme que nous avons connue jusqu’à présent. Pour y voir un peu plus clair, Alex Flores, un homme transgenre, et sa petite amie, Irena Sennar*, militante dans une association LGBTQ+ (lesbiennes, gays, bisexuels, queers…), répondent à nos questions. Trouvez-vous que les termes désignant les “nouveaux” genres sont suffisamment connus du grand public ? Alex : Pas assez. Ils ne sont pas encore assez visibles bien que l’on remarque des améliorations. Ce sont des termes qui sont très mal interprétés et très mal expliqués par les médias, qui sont sûrement peu informés. Je pense qu’il est très important que ces termes se popularisent et soient un peu mieux expliqués au grand public pour que les gens puissent comprendre. Irena : Je pense qu’il faut éduquer les enfants dès l’école sur les questions de genre et déconstruire les idées socialement préétablies par les jeunes et leurs parents. Mais je pense que ça n’arrivera pas avant longtemps. Est-ce qu’aujourd’hui, malgré les avancées en matière de tolérance, on vit encore dans un monde hétérocentré et binaire ? Alex : Oui, totalement. Même s’il commence à y avoir des changements, c’est un processus très lent. Malheureusement, les

gens sont trop renfermés, mal renseignés et ils ont peur de ce qu’ils appellent la différence. Ils ne comprennent pas qu’ils s’enferment eux-mêmes dans des stéréotypes et qu’ils étiquettent tout le monde.

puisse

Pourquoi la communauté LGBT utilise-t-elle autant de termes pour se définir, elle qui aimerait justement se débarrasser des étiquettes ?

Alex : Non, cette binarité n’est pas prête de s’effondrer. Pour l’instant, je pense qu’on se trouve dans une société bien trop fermée d’esprit pour espérer assister à un effondrement des théories de genre. Mais bien plus tard, je pense que si les gens s’ouvrent plus au monde et ouvrent leurs esprits, on pourra voir un changement à l’horizon.

Irena : Selon moi, on aimerait tous se débarrasser des étiquettes. On se sent comprimés entre quatre murs, comme obligés de s’y soumettre. Mais ce n’est pas un souci que rencontre uniquement la communauté LGBTQ+. Toute notre société est marquée comme cela. Alex : Je pense que cela a toujours été ainsi et ça le restera. Nous vivons dans une société ancrée dans l’étiquetage et qui adore mettre des mots sur tout. Bien que la communauté LGBTQ+ soit contre les étiquettes, il faut mettre des mots sur ce que l’on ressent et sur qui on est vraiment, pour que tout le monde

mieux

comprendre.

Pensez-vous que l’on assiste aujourd’hui, comme certains le disent, à un effondrement des théories de genre actuelles et de la binarité homme/femme ?

Irena : Si on veut espérer voir la binarité homme/femme disparaître et que tous les modèles de genre soient acceptés, il faut absolument passer par l’éducation. Et sur plusieurs générations ! Aujourd’hui, le monde n’est pas encore prêt à accepter toutes les formes d’identités et de genres.

Octavien THIEBAUD 49


riche comme créesus

L’effondrement en économie est une crainte énorme. En 1929 et en 2008, des krachs boursiers ont dévasté l’économie mondiale. Pour le dernier, c’était une bulle spéculative qui en était l’origine. Cette situation pourrait se produire dans le monde du football. Certaines industries ne sont pas non plus à l’abri d’un écroulement. C’est notamment le cas pour celle du ski à cause du manque d’enneigement croissant. Ce magazine est également l’occasion d’aborder des sujets variés tels que la dévitalisation des centres-villes, le déclin des hypermarchés, et la fin du modèle classique du travail. © Unsplash 16


À l’ère du digital, la fin du salariat classique Influenceurs, Youtubeurs, Instagrameurs : des nouveaux métiers qui font rêver ceux qui les suivent. Dans une ère où le numérique est prédominant, les modes de travail ont éclaté. Fini les 35 heures par semaine et les cinq semaines de congés payés par an. L’heure est à l’entrepreneuriat et à la recherche d’un équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Le modèle de travail traditionnel se définit par un contrat de travail souvent de 35 heures encadrées par le code du travail. Mais aujourd’hui, le nouveau modèle dit atypique découle de l’entrepreneuriat. Un format encouragé mais qui peut conduire à des situations de précarité. Pour le docteur en économie William Njaboum, “cette précarité est liée aux changements de paradigme, avec l’arrivée d’une nouvelle ère, le numérique, qui permet de nouvelles relations entre l’entreprise et le client. On avait le B2B, la vente entre entreprises et le B2C, la vente de l’entreprise au consommateur. Et là, on a un autre intermédiaire qui est l’entrepreneur individuel. L’entrepreneur individuel vers le client”. On s’est rendu compte de l’influence que peuvent avoir des personnes sur la consommation des individus, et on s’appuie sur la capacité de ces influenceurs pour constituer et animer une communauté afin de l’inciter à suivre ses avis et recommandations. Les marques à la recherche d’ambassadeurs “Aujourd’hui, les marques se sont rendu compte que les entreprises ne veulent plus parler avec un logo mais avec des humains. Elles demandent de plus en plus à être actives sur les réseaux sociaux”, explique Paul Fresnel, responsable

marketing de contenu. Elles veulent créer une discussion. Depuis les a n n é e s 2000, on est dans un phénomène de mécontentement et la perte de confiance dans les marques s’est globalisée. Les consommateurs ayant mieux accès à l’information, ils font moins confiance aux entreprises. C’est pour cela que les marques font appel à des ambassadeurs. “Les influenceurs sont des personnes qui répondent à certaines exigences, que ce soit au niveau de la forme ou au niveau du fond”, explique l’économiste William Njaboum. L’intérêt, c’est la proximité. “Le travail est plus ou moins prémâché pour les chefs de marketing. On va vers un influenceur qui a déjà une certaine cible et sa cible est censée correspondre avec la vôtre” souligne William Njaboum. Les nouveaux esclaves du numérique ? En France, nous assistons à une augmentation constante des travailleurs indépendants. Ils seraient 2,7 millions selon l’INSEE. Le terme ‘‘indépendance’’ est toutefois biaisé car les profils de ces

travailleurs convergent. Sur une plateforme comme Instagram, ils répondent au cahier des charges imposé par la marque qui les rémunère. Paul Fresnel, raconte : “Il y a des pays en voie de développement comme l’Inde ou le Vietnam dans lesquels les travailleurs du clic sont devenus des esclaves du numérique.” Des entreprises font appel à eux pour trier leurs emails ou pour développer des sites web à moindre coût. Bien souvent, il s’agit de métiers précaires, à tel point qu’en France par exemple, rares sont les influenceurs à en faire leur principal métier. “On nous fait croire que ce sont des nouveaux métiers de rêve. Les jeunes sont persuadés que tout le monde est influenceur ou veut devenir influenceur”, déplore Paul Fresnel. Finalement le principal attrait de ce métier c’est le besoin d’attention. La reconnaissance est la première source de revenu de ces personnes.

Luana PAULINEAU 51


Grande distribution : le déclin Une importante mutation touche actuellement le secteur de la grande distribution. Totalement dépassés, les hypermarchés n’ont pas vu venir la vague du e-commerce et sa praticité pour les consommateurs. Parallèlement, les magasins spécialisés fleurissent et deviennent de nouveaux concurrents. Le modèle des grandes surfaces a-t-il donc encore un avenir ? En 2017, Amazon, le géant du e-commerce, s’était engagé à recruter 100 000 personnes aux États-Unis. Le 19 février dernier, la plateforme web proposait encore 37 200 postes à travers le monde. Une expansion qui n’est pas sans conséquences. Tandis que les leaders du net ne cessent de se développer, un tsunami déferle sur la grande distribution traditionnelle. Un phénomène qui touche particulièrement le continent américain. Les grandes chaînes de magasin comme Macy’s ou Walmart ferment ou réduisent considérablement la voilure. L’avenir des hypermarchés et de ses rayons à perte de vue semble donc compromis. “On leur reproche ce qu’on adorait autrefois” Selon Philippe Moati, économiste et cofondateur de l’ObSoCo (Observatoire de la Société et de la Consommation), le modèle de l’hypermarché n’est plus vraiment en phase avec la société. “À sa création, dans les années 1960, il fait rêver car les clients peuvent tout acheter sous le même toit. Aujourd’hui, le fait que ces mastodontes soient des lieux où tout le monde trouve son bonheur ne séduit plus”, analyse-t-il. Désormais rattachés à la surconsommation et perçus comme facteur de malbouffe, les hypers font 52

Rejetant la surconsommation, l’épicerie bio “À la Source” (Lyon 3) anime des ateliers autour de l’écologie. ©Célia DEMOLIS

face à une évolution des habitudes de consommation. Une menace s’abat notamment dans le secteur du non-alimentaire. Défiés par les géants du web, les hypermarchés ne peuvent pas rivaliser. “Casino possède environ 100 000 références en rayon alors qu’Amazon en offre 300 millions”, souligne Martial You, journaliste économique. Internet offre également plus de praticité, permettant un gain de temps et un accès continu. “L’époque où l’on venait dans les grandes surfaces faire des courses durant des heures est révolue !”, relève l’expert. Les consommateurs devenus consom’acteurs Mais le web n’est pas le seul responsable de cette mutation. Dans l’alimentaire, les hypermarchés se trouvent

en concurrence avec un nouveau commerce de précision qui cible chaque demande. “Les consommateurs sont devenus des consom’acteurs. C’est-à-dire qu’ils cherchent à donner du sens à leurs achats”, constate Martial You. À Lyon, des dizaines de magasins proposant du bio et du local sont apparus dernièrement. C’est le cas de l’épicerie bio “À la Source”, qui met à disposition des produits locaux, sans déchets. “Les gens privilégient désormais les circuits courts et pensent leur consommation comme un acte citoyen”, explique Aneta, fondatrice du magasin. D’après Philippe Moati, la grande distribution doit se réinventer mais n’est pas vouée à disparaître : “On assiste, certes, à un déclin mais l’hypermarché a toujours des atouts. Il garde un noyau dur de clients fidèles.” Célia DEMOLIS


Dévitalisation des centres-villes, entre mythe et réalité D’après un récent sondage réalisé par OpinionWay, plus de deux Français sur trois se rendent en périphérie pour faire leurs courses au supermarché. Pour autant, peut-on dire que les zones périphériques tuent le commerce de ville ? Éléments de réponse. Rappelez-vous. Lors de son inauguration en mai 2018, “The Village”, le village de marques situé à Villefontaine (à 30 minutes de Lyon) n’a pas été bien accueilli par tout le monde. Et pour cause ! Ce temple du shopping outlet a ouvert, du jour au lendemain, 80 enseignes haut de gamme. Un coup dur pour les commerçants des communes voisines qui redoutaient alors pour leurs boutiques de centre-ville des licenciements, voire, à terme, des fermetures. Mais alors, ontils eu raison de s’inquiéter ? Le centre-ville, difficile d’accès

un

endroit

Franck Gintrand, délégué de l’Institut des Territoires décrypte le phénomène de dévitalisation des centresvilles. Pour lui, ce constat est majoritairement présent dans les villes moyennes, victimes de périurbanisation. “Les personnes s’installent maintenant de plus en plus loin des villes pour

trouver un logement plus grand et un cadre de vie plus agréable. Elles vont alors faire leurs courses près de chez elles, voyant que d’immenses parkings, gratuits, sont mis à disposition”, détaille-t-il. En effet, pour beaucoup, le centreville reste un endroit difficile d’accès, souvent en travaux et tributaire des parkings payants. Autre explication, en périphérie des villes, le prix du mètre carré est imbattable. “Et les foncières qui construisent des centres commerciaux promettent monts et merveilles aux politiques. Elles s’engagent notamment sur la création d’emplois”, relève l’expert. Lyon, un cas à part À Lyon, le constat est tout autre. L’an dernier, la Presqu’île a été désignée “meilleur centreville commerçant”, parmi 20 métropoles françaises. Depuis plusieurs années, les magasins de proximité tels que Franprix, ou encore Carrefour

Situé à quinze minutes du centre de Lyon, le centre commercial du Carré de Soie accueille près de cinq millions de clients chaque année. ©Célia DEMOLIS

City poussent aussi comme des champignons dans la capitale des Gaules. Ils proposent des horaires étendus, une ouverture 7j/7, des caisses automatiques, etc. Selon l’IRI (Institut des Ressources Industrielles), “ils répondent aux courses d’appoint des baby-boomers vieillissants et aux courses plus déstructurées des millenials”. D’une manière générale, le commerce de centreville résiste mieux dans les grandes villes, plus attractives en matière de démographie, d’emploi et de tourisme. Des zones abandonnées

rurales

aussi

À contrario, les zones rurales, vieillissantes, doivent quant à elles affronter un phénomène de désertification. Afin de redonner vie à ces villages, un nouveau modèle de commerce a été lancé depuis 2016. Il s’agit de Comptoir de Campagne qui ouvre, en milieu rural, des lieux multiservices où l’on trouve des produits frais, issus de circuits courts. “Un village sur deux en France n’a plus de commerce. Nous permettons donc aux habitants de bénéficier des mêmes services qu’en ville”, explique Virginie Hils, fondatrice du projet. Avec neuf magasins en AuvergneRhône-Alpes, l’enseigne souhaite s’étendre sur tout l’hexagone. Célia DEMOLIS 53


prix des abonnements tv et des places : un risque pour la visibilité du football Les droits TV s’arrachent à prix d’or par les chaînes de télévision sportives. Les clubs sont les premiers à en profiter, mais les fans de football en pâtissent. Pour accéder à l’ensemble des matchs, ils doivent débourser une somme avoisinant les 80 € en France. Le sport le plus populaire au monde devient de moins en moins accessible. Barcelone à Paris, déplore cette montée en flèche des prix. “Il y a dix ans, la place la moins chère pour un Barça - Séville coûtait 10 €. Aujourd’hui, un match contre Leganés coûte minimum 70 €”, explique-t-il.

1,15 milliard d’euros. C’est la somme déboursée par le groupe espagnol Mediapro pour obtenir les droits de diffusion de la Ligue 1 entre 2020 et 2024. Une aubaine pour les clubs de l’élite française mais un danger pour les consommateurs fans de foot. C’est une chaîne qui s’ajoute au bouquet déjà onéreux pour suivre le football en France. Pour s’abonner mensuellement à Mediapro, il faudra compter 25 €, seulement pour la Ligue 1. Pour Franck, supporter de l’ASSE, membre des Green Angels depuis quinze ans, cette offre est excessive. “Je suis fan de l’ASSE mais j’aime regarder tous les championnats. Cela ne sera plus possible l’année prochaine, parce que je ne suis 54

pas en capacité de payer près de 100 € par mois pour tout voir”, s’agace-t-il. Franck ne pense pas s’abonner à Mediapro et compte regarder les matchs de son équipe au stade ou en streaming. “Je ne pense pas être le seul dans ce cas, c’est dommage pour le football.” Mais les abonnements TV ne sont pas les seuls à augmenter. Les clubs ont toujours besoin de plus de recettes pour amortir les transferts et les salaires des joueurs. Ils sont aussi nombreux à rénover ou agrandir leur stade. C’est pour cette raison que les tarifs des places dans les stades grimpent. Ruben, membre d’un groupe de supporters du FC

Fabien

CHEVALLIER et Baptiste MULATIER

25€ 19€ 15€ 5,99€ 19,90€ * Prix par mois

total = 84,99€ / mois

Le Camp Nou peine à se remplir avec l’augmentation des prix des places. © Fabien CHEVALLIER

Les fans arrêteront-ils pour autant de regarder du foot ? D’après le sondage ci-dessous que nous avons réalisé sur Twitter le 19 février, aucun ne ferait un tel choix. Le streaming semble prendre de l’ampleur et présente un réel danger pour les télévisions.


“L’UEFA doit sauver le football populaire et satisfaire les gros clubs européens” Et si une bulle spéculative éclatait et faisait plonger le football dans une crise financière ? C’est l’une des questions que se pose l’économiste du sport, Pierre Rondeau, dans son livre “Le foot va-t-il exploser ?”. D’autant plus que cette éventualité n’est pas le seul danger pour le foot populaire. Les grands clubs pourraient quitter l’UEFA et créer une super-ligue fermée.

en 2017. Richard Bouigue et moi avions commencé à s’inquiéter d’une probable Une bulle spéculative intervient explosion de la bulle, en lorsqu’une valeur augmente mettant en avant le fait que mais qu’elle va dépasser la la valeur des transferts et les valeur réelle de la chose étudiée. droits télévisés avaient explosé La bulle spéculative, c’est donc depuis quelques années. Dans lorsqu’une action augmente par notre livre Le football va-tle jeu de l’offre et la demande il exploser ?, on alerte d’une sans que l’entreprise ne probable bulle spéculative. dégage, comparativement ou D’autres économistes ont écrit proportionnellement parlant, des livres dans lesquels ils les bénéfices nécessaires estiment que cette bulle n’existe au versement du dividende. pas, car les bénéfices sont bien présents. Quand on regarde Pourquoi en parle-t- la croissance économique on dans le football ? du football, la croissance des profits, la croissance des Il y a un débat entre différents recettes, la diminution de la économistes, qui a commencé dette, des déficits, et la mise quand Neymar a signé au PSG en place du fair-play financier, l’argent ne manque pas. La question que l’on peut se poser, c’est de savoir d’où provient l’argent ? Essentiellement des droits TV. Les clubs ont plus d’argent donc ils dépensent plus, le prix des joueurs augmente et les salaires augmentent. Le seul problème, c’est Pierre Rondeau, expert en économie du sport et chroniqueur à RMC Qu’est-ce qu’une spéculative ?

Sport © Twitter

bulle

derrière, comment on assure la rentabilité des chaînes de sport qui paient ces droits TV ? Ainsi, on a les clubs, les chaînes de télé. Mais le consommateur qui est fan de foot, est aussi un acteur important pour rentabiliser. Et ce consommateur là, estce qu’il va accepter très longtemps d’être pris pour une vache à lait et de continuer à payer des abonnements avec Canal +, Bein Sports, RMC Sport, Mediapro, Eurosport ? Mais bulle

comment cette pourrait exploser ?

C’est là que je réponds aux économistes qui utilisent l’argument de l’argent. Si le consommateur arrête de payer les chaînes, s’il se tourne vers le streaming, le partage de connexion ou encore la mutualisation des abonnements, à terme les télés feront faillite. Et si c’est le cas, ce seront les clubs qui feront faillite. Et c’est l’éclatement d’une bulle, une bulle qui aura lieu du fait du consommateur.

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La super-ligue europeenne, ou la peur pour les championnats europeens La super-ligue européenne est un projet mené par les grands clubs européens. Elle pourrait être créée en 2024 et concernerait 40 équipes. En France, le PSG, l’OL et l’AS Monaco voire l’OM pourraient être concernés. La Ligue 1 est absolument contre ce projet, comme de nombreux clubs. Les championnats nationaux perdraient en valeur et la Ligue des champions disparaîtrait.

Que va-t-il se passer si les chaînes font faillite ? Le discours des ligues c’est de dire : “Ce n’est pas grave puisqu’au pire, on a les GAFA”’ (Google, Apple, Facebook, Amazon, ndlr). La ligue et les présidents du football ne s’inquiètent pas de cette bulle car ils pensent aux GAFA, qui accepteraient de remplacer les chaînes télé. C’est déjà le cas d’Amazon avec la Premier League anglaise. Ils estiment qu’il y aura toujours de nouveaux acteurs. Par contre, si ces acteurs mondiaux comme Netflix ou Amazon arrivent sur le marché, ils voudront rentabiliser leurs chaînes. Ils voudront peut-être contrôler la vente des abonnements, les matchs, les calendriers… On peut tout à fait imaginer un paiement des droits à la carte. Si vous supportez le PSG, vous payez pour le PSG par exemple. Le problème, c’est que dans ces cas-là, l’immense majorité des gens va payer pour Paris, Monaco 56

et Marseille. Et inversement, l’immense minorité va payer pour Lorient, Strasbourg, etc. Une énorme disparité pourrait apparaître entre les grands et les petits clubs. La super-ligue européenne peut-elle engendrer la fin du football populaire ? L’arrivée d’une super-ligue européenne financée par les GAFA, ce sera l’affirmation internationale du football mainstream, du football bling bling. Il y aura des matchs délocalisés, des matchs joués à treize heures pour le public asiatique etc. L’affirmation de cette super-ligue, désirée par les grands clubs européens, serait néfaste pour le football populaire mais il continuerait tout de même d’exister. Néfaste, car les droits TV de la Ligue 1 sans le PSG, Lyon, Marseille, seraient très faibles. Cela pourrait engendrer des pertes monétaires chez les clubs de seconde zone, car il faudra continuer de payer des contrats, de payer des joueurs, des services, des centres de formation. D’un autre côté, la baisse des droits TV pourrait permettre la diffusion de matchs en clair par l’Équipe 21 ou France Télévisions. L’instauration du fair-play financier (voir encadré) en 2010 par l’UEFA a-t-elle pour but de sauver le football populaire en contrant l’expansion des plus grands clubs européens ? Ce qui rapporte le plus d’argent à l’UEFA, c’est la Ligue des champions (2,3 milliards d’euros par an, ndlr). Elle sait que sans les gros clubs générateurs d’audience, elle

peut perdre en crédibilité, en visibilité et donc en argent. Elle est dans une position très schizophrénique où elle doit, à la fois sauver le foot populaire pour intensifier l’équilibre compétitif et le suspense, et aussi satisfaire les gros clubs qui, depuis 30 ans soulèvent la menace d’une sortie de l’UEFA et d’une création d’une super-ligue européenne. Donc l’instance est dans une situation ambigüe. Pour que les gros clubs et les gros championnats acceptent l’idée du fair-play financier, l’UEFA leur a donné quatre places qualitatives pour la Ligue des champions. Le partage des droits TV aussi n’est non pas calculé sur la performance sportive mais sur la performance historique des dix dernières années. Les vieux clubs historiques vont gagner de l’argent quels que soient leurs résultats sportifs. Le Real Madrid, sorti en huitièmes de finale l’année dernière, a gagné plus que Tottenham qui a joué la finale. Fabien CHEVALLIER et Baptiste MULATIER Le fair-play qu’est-ce que

financier, c’est ?

Le fair-play financier est une règle instaurée par l’UEFA en 2010. Son objectif : empêcher les dépenses excessives des clubs et vérifier qu’ils ne dépensent pas plus qu’ils ne gagnent. Récemment, Manchester City a été sanctionné pour avoir enfreint les règles en surévaluant des contrats de sponsoring entre 2012 et 2016. Résultat : exclusion de deux ans de toutes les compétitions européennes.


L’argent peut-il tuer le foot populaire ?

NON selon Fabien

avec un championnat, des coupes nationales et des coupes d’Europe. Par exemple, l’année dernière, une équipe comme l’Ajax atteint les demi-finales de Ligue des Champions avec un jeu flamboyant. Cela ne pourrait pas arriver avec la super-ligue européenne car l’Ajax ne ferait pas partie des Non justement, la super-ligue équipes sélectionnées. De même pour l’Atalanta en cette édition européenne peut 2020. Ce genre d’épopées permettre aux pour des clubs à championnats moindre budget nationaux d’améliorer qui rivalisent avec leur visibilité auprès les mastodontes d‘un plus du foot mondial grand public. n’e x i s t e r a i e n t Imaginons que plus. les droits TV de la super-ligue s’arrachent à prix d’or, les ligues nationales pourraient être diffusées sur des chaînes publiques comme France TV, l’Equipe ou TF1. Si les gros clubs se retrouvent avec d’autres gros, les petits pourront aussi espérer mieux que de jouer le maintien ou de viser le ventre mou du classement. Tout le monde peut y trouver son compte. - Le sondage effectué sur Twitter est très clair. Quoi qu’il arrive, les fans de football vont continuer de regarder du football, que ce soit en streaming ou à

la télé. Et si, dans le pire des cas, les chaînes de télévision venaient à faire faillite à cause de la montée en puissance du streaming, d’autres acteurs, comme les GAFA, seraient prêts à investir dans le football. C’est par exemple déjà le cas pour la Premier League, le championnat anglais, avec Amazon. Le football ne manquera pas de diffuseurs.

Étant donné qu’il y a de plus en plus d’argent dans le foot, on constate de plus en plus de dérives, les joueurs sont des produits. Davantage de clubs s’intéressent à peine à leurs résultats sportifs. Ils achètent des tas de joueurs et espèrent réaliser une plus-value à la revente. C’est la politique par exemple de l’AS Monaco qui compte 73 joueurs sous contrat, pour 11 places sur le terrain… De moins en moins de joueurs sont amenés à faire toute leur carrière dans un club, à moins d’être prolongés et revalorisés financièrement t r è s régulièrement. Les premiers touchés sont les supporters. Ils ne sont pas considérés à leur juste valeur et leur avis n’est que trop peu souvent pris en compte.

OUI selon Baptiste

Comme précisé par Pierre Rondeau, la confirmation d’une super-ligue européenne signifierait la fin d’une forme de football : le football populaire. Selon moi, la formule d’aujourd’hui est la meilleure,

Donc l’offre pourrait changer (matchs à la demande, offre spéciale PSG…), mais un vrai fan de football fera tout son possible pour avoir un oeil au moins sur son équipe favorite. 57


aux Plans d’Hotonnes D’après Samuel Morin, directeur du Centre d’Études de la Neige, les stations de basse altitude vont perdre 25 % d’enneigement hivernal d’ici à 2050, en grande partie à cause du réchauffement climatique. Les Plans d’Hotonnes sont concernés, les pistes n’ont pas pu être ouvertes depuis le début de la saison. Reportage au sein de cette station de l’Ain située à environ 1 200 mètres d’altitude.

La station des Plans d’Hotonnes n’a jamais pu ouvrir l’intégralité de ses pistes dans la saison © Fabien CHEVALLIER

Restaurateurs, hôteliers, loueurs de matériels… Ils sont tous impactés par le manque d’enneigement. Ce jeudi 20 février, en pleine période de vacances scolaires et au milieu de la saison de ski, les pistes sont désertes et seuls quelques enfants font de la luge aux Plans d’Hotonnes. Sur les descentes, de la terre est visible, et les téléskis sont à l’arrêt. Qui dit pistes vides, dit moins de travail pour les magasins de location. C’est le cas de Tanguy Perret, qui loue du matériel de ski alpin et 58

nordique dans la station depuis quinze ans. “Cette année, nous sommes en déficit financier. Le ski représente 80 % de mon chiffre d’affaires, donc s’il disparaît…” Une situation qui le pousserait à se débarrasser de sa boutique ? “Non, avec mon père nous avons deux autres entreprises de motoculture hors de la station. Cela nous permet d’anticiper le manque d’enneigement sur certaines saisons aux Plans d’Hotonnes”, explique Tanguy. La quantité de neige n’est pas

suffisante pour pratiquer du ski alpin, mais des initiations et parcours au ski de fond sont proposés. “Les professeurs de ski donnent des cours de biathlon, faute de ne pas pouvoir donner des cours classiques”, assure Priscille Perret, hôtesse d’accueil de l’Ecole du Ski Français. “J’ai mon

perdu 80 % de chiffre d’affaires”

Face à cette situation, la station doit se réinventer et proposer d’autres activités que


la neige se fait rare le ski. “La montagne, ce n’est pas seulement le ski. On propose également de la randonnée, du VTT et quelques visites. Toutes les stations de basse/ moyenne altitude comme la nôtre cherchent à développer d’autres activités pour prévoir le manque d’enneigement des années à venir”, explique la secrétaire de l’Office de tourisme des Plans d’Hotonnes. Pour Hervé Brest, propriétaire de l’hôtel restaurant Berthet, la commune ne se diversifie pas assez. “Beaucoup de gens pensent que la montagne c’est que le ski, même dans Les Alpes. Je propose mes idées lors de réunions avec la ville. J’aimerais qu’il y ait un stade de vélo et un plan d’eau. On pourrait en profiter l’été comme l’hiver et l’affluence de la station serait plus importante.” Une désertion

L’hôtel d’Hervé Brest souffre du manque d’enneigement © Fabien CHEVALLIER

de la neige et donc des touristes qui est fatale pour l’affaire d’Hervé. “J’ai perdu 80 % de mon chiffre d’affaires sur la saison. Ce serait bien que la commune se bouge.” Et pourtant, le gérant ne pense pas être le premier touché par l’absence de neige. “Les loueurs de skis sont les plus en danger. Ils doivent très vite se renouveler. Moi pour mon hôtel, je compte exploiter le domaine du bien-

être. Nous sommes proches de Mâcon, Lyon, Genève, cette station peut ramener du monde qui ne vient pas forcément skier”, assure Hervé. Les faits et les paroles sont là, il va désormais falloir agir pour la station des Plans d’Hotonnes et pour de nombreuses stations de basse altitude, car le réchauffement climatique n’attend pas. Fabien

CHEVALLIER et Baptiste MULATIER

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Les téléskis et les pistes sont déserts © Fabien CHEVALLIER

C’est le nombre de jours de neige en moins tous les dix ans en moyenne montagne d’après Météo France. D’après Béatrice Vincendon, scientifique spécialisée dans la neige, cela est dû “à une hausse de la température.” 59


la bibilothèeque d’’alexandrie

Que ce soit dans le cinéma, la musique, la télévision ou la radio, le streaming s’est largement imposé ces dernières années. Avec l’arrivée de nouvelles plateformes et la démocratisation des sites illégaux, le secteur de l’audiovisuel est en déclin. Le cinéma se perd, les disques également, le milieu de la culture subit des changements considérables. C’est le cas également du domaine de la mode, qui a connu un chamboulement dans les années 2010. On fera également le point sur l’art contemporain, très controversé ces dernières années et parfois qualifié d’imposture.

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© Unsplash


dossier Quand le streaming réinvente le cinéma Depuis 2017, le milieu de la mode connaît de grands changements. On observe une diversité de mannequins aux origines, sexes, âges et morphologies différentes sur les podiums. Le monde de la mode est-il vers le chemin de l’inclusivité ? Vous souvenez-vous de l’époque où, lorsque vous ratiez un film au cinéma, il fallait attendre plusieurs mois, le temps qu’il sorte en vidéo ? Eh bien cette époque est révolue. Plusieurs plateformes de streaming, comme Netflix et Amazon Prime financent les films de sorte à ce qu’ils sortent quasiment en même temps dans les salles de cinéma et en ligne. Des cinéastes tels que Spike Lee ou Martin Scorcese se prêtent au jeu. Selon Jonathan, acteur, ‘‘Le cinéma est une expérience sonore, visuelle avec d’autres gens, que tu connais ou non, là où Netflix c’est plutôt chez toi. En comparaison, ce n’est pas le Grand Canyon que tu verras, mais simplement une falaise. Ça reste bien, mais ce n’est pas une expérience unique.” Il poursuit : “Ce qui me dérange sur les interfaces, on paie un abonnement pour avoir un choix illimité. Je n’y vais pas tant que ça sur Netflix, mais quand j’ouvre, ça me donne la nausée parce qu’il y a trop d’offres”.

Netflix investit dans sa propre salle de cinéma Netflix serait un Hollywood 2.0 ? Après avoir acheté des studios de production dans le Nouveau-Mexique en 2018, le site de streaming s’est doté du cinéma Paris Theatre, en plein centre de New York, fin 2019. La durée entre la sortie d’un film et la diffusion sur Internet étant de 90 jours aux ÉtatsUnis, Netflix demande un raccourcissement de cette durée. Et c’est en s’emparant de salles de cinéma que le site se donne les moyens de négocier. Martin Barnier, historien du cinéma à l’université Lyon 2 explique qu’il n’est pas légal en France de diffuser un film au cinéma en même temps que les sites de streaming. “On a un système de protection du cinéma. Mais pour d’autres pays, l’explosion du streaming peut être un risque. Ils pourraient prendre exemple sur nous pour éviter ça.”

Une baisse des fréquentations dans les salles, mais pas de disparition totale pour autant En avril 2019, un congrès a réuni les exploitants américains de salles de cinéma, les distributeurs de films et les membres de la MPAA (Motion Picture Association of America, association interprofessionnelle américaine qui défend les intérêts des six plus grands studios hollywoodiens sur le territoire des États-Unis). La conclusion : les plateformes de streaming ne tuent pas les salles de cinéma. Pour preuve, les chiffres d’affaires ont explosé en 2018, avec presque douze milliards de dollars de recettes. La vente des billets de cinéma a même augmenté de 5 %, et 75 % des Américains se sont rendus dans les salles obscures au moins une fois dans l’année. Pour Martin Barnier, le numérique a permis aux salles obscures d’avoir des outils comme la 3D, qui ont boosté les entrées, 61


notamment avec le film Avatar. “Il y a toute une série d’éléments techniques. Quand on va voir un film en iMax, on ne peut pas ressentir les mêmes choses que lorsqu’on est devant son écran d’ordinateur”. Le streaming récompensé lors de cérémonies En 2018, le festival de Venise récompensait le film Roma d’Alfonso Cuarón (réalisateur d’Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban et Gravity). Mais bien que produite par Netflix, le réalisateur visait le cinéma avant tout, selon l’historien. ‘‘Quand on voit le film en grand écran, c’est extraordinaire. Il utilise le dolby (système de réduction des bruits

de fonds des enregistrements sonores utilisés pour les salles de cinéma, ndlr).’’ Selon lui, il y aurait un paradoxe : “Netflix peut donner beaucoup d’argent pour avoir un cinéaste prestigieux dans son catalogue mais on voit que celui-ci a fait ça pour le grand écran”. Avec Roma, Netflix a remporté cinq prix lors des Golden Globes 2019 : prix du meilleur réalisateur pour Alfonso Cuarón, mais aussi titre du meilleur film étranger. La plateforme de streaming Hulu a été doublement nominée pour sa série The Handsmaid’s Tale et Amazon a reçu neuf nominations. Par ailleurs, travailler avec Netflix pour un réalisateur signifie trois avantages : un gros chèque, une visibilité dans le

monde entier et même une prime si le film est récompensé lors des cérémonies dédiées au cinéma. D’après le média économique Bloomberg, la plateforme souhaiterait contrer les bonus donnés aux acteurs et cinéastes en cas de gros succès. La prime est donc un moyen de «gagner le coeur» des réalisateurs et compenser cette perte. À quand le prochain Tarantino signé Amazon Prime, Netflix ou même Apple TV ?

Valika ROBERT

Le CD, grand perdant de l’arrivée du streaming Comme pour la télévision ou le cinéma, la musique a aussi connu une grosse révolution avec l’arrivée du streaming. Arrivé sur le marché international au début des années 2000, le streaming musical représente aujourd’hui plus de 50% du marché. Mais quelles sont les conséquences d’une telle révolution notamment sur les CD et autres vinyles ?

De nos jours, n’importe qui peut faire un morceau de musique puis le mettre directement sur Internet avec des sites comme SoundCloud ou Bandcamp. Un artiste peut y créer un buzz très rapidement. Enregistrer et diffuser de la musique n’a 62

jamais

été

aussi

simple.

Une vitrine énorme pour la nouvelle génération La Framboaz, jeune rappeur lyonnais, est de cette nouvelle génération de chanteurs. Présent sur l’intégralité des plateformes

de streaming (Spotify, Apple Music ou Deezer), c’est avant tout sur SoundCloud qu’il a commencé à se faire connaître. “Avec Youtube et les clips, ça reste le meilleur moyen de se faire de la visibilité. Avec une trentaine de sons l’an dernier, j’ai eu plus de 100 000 écoutes sur SoundCloud.


C’est une bonne base.” C’est souvent sur ces sites, Youtube ou SoundCloud, que la plupart des jeunes chanteurs vont se lancer pour la première fois. Ils vont ensuite se diriger vers les plus grosses structures comme Spotify (125 millions d’abonnés payants dans le monde) ou Apple Music (65 millions). La Framboaz qui s’y trouve depuis maintenant quelques mois, nous livre son avis : “Je pense que sans un vrai son qui a vraiment fait du bruit, ces plateformes restent très fermées et dirigées vers les gros artistes. Personnellement, mis à part Apple Music qui permet une petite exposition, je n’ai que peu de personnes sur Spotify ou Deezer.” Malgré cela, ces plateformes et le streaming représentaient en 2019, 57% (+16% en deux ans) du chiffre d’affaires du marché de la musique. Une nouvelle chute pour le CD (-16% sur l’année) alors que le vinyle continue à reprendre des couleurs (cinq fois plus de ventes en cinq ans). Cependant, le chiffre d’affaires total du marché de la musique ne représente que 40% de ce qu’il était en 2002. Les années 2010 et la transition vers le streaming furent terrible pour la musique avec des revenus en chute libre. L’amour de l’objet n’est pas mort On le voit avec l’explosion de la vente de vinyles, l’objet a encore une place chez les Français. C’est d’ailleurs la direction qu’on pris la plupart des disquaires encore en activité. En effet, Edouard, disquaire avec sa femme depuis maintenant cinq ans, possède uniquement des

vinyles dans sa boutique du 2ème arrondissement de Lyon. “Les gens qui viennent chez nous cherchent des disques assez anciens. Bien que la plupart des musiques soient présentes sur les plateformes de streaming, c’est l’objet, le souvenir et la qualité sonore des vinyles qui les amènent à acheter. De plus, avec l’arrivée du streaming, ces objets sont en train de devenir des objets de collection.” Si le streaming et le vinyle connaissent une évolution vers le haut, ce n’est pas le cas du CD. Délaissé par les clients, les ventes ont encore baissé de 15% en un an. Vendus essentiellement dans de grandes enseignes comme la FNAC ou Amazon, les ventes de disques restent principalement de la variété française. Effectivement, cette explosion du streaming peut être mise en parallèle avec le fait que la musique urbaine soit devenue la plus écoutée en France. Le public étant plus jeune, ils sont plus facilement tentés par la technologie que les disques qui nécessitent un lecteur et surtout un achat (environ 10€/CD) quand le streaming coûte au maximum 10€ par mois avec plus de 50 millions de titres disponibles.

Le CD est donc moins intéressant économiquement que le streaming et moins attrayant visuellement que le vinyle, une situation qui devrait l’amener à disparaître ou à rapidement évoluer. Les voitures ne possèdent par exemple plus de lecteurs de disques. L’une des seules solutions trouvées actuellement par les chanteurs pour amener les gens à acheter des disques, mettre des sons inédits et uniques au CD (disponible également pour les vinyles). Néanmoins, le streaming devrait s’imposer comme le principal support d’écoute dans les prochaines années.

Denis LAGOUY

Mais alors pourquoi le vinyle connaît une meilleure forme que le CD ? “Ce qui permet au vinyle de survivre par rapport au disque, c’est la beauté de l’objet. C’est un élément musical mais aussi de décoration. Parfois, les acheteurs n’ont jamais écouté le chanteur ou même n’écouteront jamais le vinyle, ce qui les a fait acheter c’est l’élégance ou l’originalité de la pochette” explique le disquaire. 63


Le secteur de l’audiovisuel en souffrance face au streaming Avec l’arrivée du streaming, les télévisions et les radios ont pu se renouveler, notamment en proposant des rediffusions et des directs sur Internet. Mais aujourd’hui, de nouvelles plateformes et des sites de streaming illégaux bouleversent le monde du petit écran et de la radio. En 2016, 13 millions de Français ont consommé illégalement du contenu sur internet. La télévision gratuite a engendré des pertes de 120 millions d’euros de recettes publicitaires. C’est le constat effectué par le cabinet EY dans une enquête publiée en 2017. On ajoute à cela les 140 millions d’abonnés de Netflix, et on se dit que la télévision a toutes les raisons d’être en mauvaise posture en termes d’audiences. “Est-ce que les replays des émissions de télévision sont négatifs pour elle ? Non. Par contre, est-ce que Netflix est négatif pour la télévision ? Évidemment. Pour la radio c’est pareil. Écouter les radios en streaming, c’est bénéfique pour elles. En revanche, le streaming musical est très négatif pour les audiences radiophoniques”, affirme François Quairel, responsable du développement éditorial de La Lettre Pro. En 2008, selon Télérama, la meilleure audience s’élevait à 13,2 millions de téléspectateurs, contre seulement 10,6 millions en 2017. Désormais, de plus en plus de personnes privilégient une soirée devant 64

Netflix plutôt qu’une soirée devant la télévision. “Les modes de consommation ont totalement changé”, assure François Quairel. Les diffuseurs de sports sont les plus impactés Mais il faut bien distinguer le streaming légal du streaming illégal, qui est la véritable cause de la perte d’audience des télévisions. C’est d’autant plus le cas pour les chaînes qui retransmettent du contenu sportif. Selon un rapport du Sénat, paru en janvier 2019, le streaming illégal représente près de 20% des audiences lors de chaque rencontre sportive. David Thomas, chef de service à Eurosport déplore ce chiffre : “Cela peut être vraiment problématique pour nous et pour toutes les chaînes de sport en général.” Mais le ministre de la Culture, Franck Riester, veut faire changer les choses. “La France va s’inspirer du modèle portugais de lutte contre le piratage sportif, avec l’agence Mapinet”, a-t-il expliqué lors du conseil des ministres.

L’agence, créée en 2010 et dirigée par Carlos Eugénio, auditionné au Sénat, permet tout simplement de faire suspendre, en direct, un site susceptible d’accueillir un lien de streaming. Franck Riester a présenté, en décembre, une loi sur l’audiovisuel. Elle intègre une nouvelle règle de droit autorisant les juges à faire fermer des sites soupçonnés de contenir du streaming, pendant la rencontre. Le streaming a du bon et du moins bon pour les médias, tout dépend de quelle forme il s’agit. Le streaming illégal est un fléau et devrait continuer d’être combattu dans les prochaines années. Fabien

CHEVALLIER et Baptiste MULATIER


netflix 140

millions d’abonnés dans le monde

15.8 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2018 30

millions de nouveaux souscripteurs en 2018 Source : BFM Business

musique 1350

titres téléchargés par seconde sur les plateformes de streaming musical dans le monde

42,5 milliards de titres écoutés en 2017 sur Spotify, Deezer, iTunes... 25 heures d’écoute en moyenne par mois et par personne Source : Planetoscope

télévision 1

million d’internautes français par mois visionnent des rencontres sportives via du streaming illégal

13 milliions d’internautes français ont consommé illégalement des vidéos sur Internet en 2016

Source : EY

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L’art contemporain : une imposture ? “Cher”, “moche”, “incompréhensible”. L’art contemporain n’a pas été épargné par les critiques cette dernière décennie. Critiques qui viennent souvent de nombreux sceptiques à cette pratique ou de fanatiques des peintres et sculpteurs des siècles précédents. Appuyée par le regard de spécialistes, je tente donc de répondre aux clichés les plus répandus sur l’art contemporain afin de déceler leur part de vérité ou de caricature.

L’an dernier, Jeff Koons a battu le record de l’oeuvre la plus chère vendue par un artiste vivant. Un lapin moulé en acier a été acheté pour 91,1 millions de dollars. ©Célia DEMOLIS

“Les œuvres moches”

sont

toutes

À cette remarque, Hervé Percebois, responsable de la collection au MAC de Lyon, vous répondra fermement : “Cela ramène à la question d’art esthétique. Et il n’y a pas d’art qui ne le soit pas !”. Et toc ! Néanmoins, si on veut aller plus loin, Nathalie Anquez, professeure d’arts plastiques au lycée, déclare que les artistes contemporains ne cherchent plus forcément à faire du beau. “On attend désormais d’une œuvre qu’elle questionne, déstabilise”, explique-t-elle. 66

C’est le cas de l’œuvre Comedian de Maurizio Cattelan. En décembre dernier, à Miami, une banane scotchée à un mur s’est vendue 120 000 dollars. “C’est moche, on ne comprend pas, mais ça attise la curiosité”, mentionne l’enseignante. Cela dit, faire du “moche” a parfois du sens et cache souvent un fort engagement de l’artiste. Pour preuve, l’œuvre Octopus de P.M Tayou montre des tuyaux de pompes à essence emmêlés, rappelant les tentacules d’une pieuvre. Il dénonce ici la pollution des mers. “Un enfant de quatre ans pourrait faire la même chose” On reproche aujourd’hui à l’art contemporain une forme de simplicité. Exemple typique : les monochromes. Bien qu’ils apparaissent au début du XX ème siècle, ils illustrent bien ce qui dérange aujourd’hui dans l’art. Pour Nathalie Anquez, ‘‘tout le monde peut avoir l’idée d’un monochrome, mais encore faut-il le faire et apporter quelque chose de nouveau derrière. Avoir une démarche artistique.” Par exemple,

pour Marcel Duchamp et son ready-made Fontaine, c’est la démarche qui en fait une pièce majeure. Car oui, tout le monde peut acheter un urinoir, le mettre à l’envers et l’appeler “Fontaine”. Toutefois, lorsque le plasticien a présenté cet objet dans une exposition à New York en 1917, il a fait preuve d’un culot révolutionnaire : il a contribué à redéfinir ce qu’est une œuvre d’art. “L’art contemporain, c’est pour faire du fric” Sur ce point là, difficile de ne pas être d’accord. Aujourd’hui, l’argent influence une grande partie de l’art contemporain. Le street-artiste Banksy en est le parfait exemple. Lorsque ses œuvres sont vendues aux enchères et qu’il met en scène l’autodestruction d’une de ses toiles, elle prend automatiquement de la valeur. Ce phénomène prend des proportions énormes, notamment pour les artistes les plus chers du monde. “La production de Damien Hirst ou Jeff Koons s’est transformée en une industrie qui emploie des dizaines de personnes pour satisfaire la demande. C’est un business affolant”, admet Dominique Allain, sculpteur travaillant la céramique. Célia DEMOLIS


“Aujourd’hui, la durée d’une œuvre n’est pas plus longue que celle d’une fringue” Dominique Allain est sculpteur depuis 17 ans. Cet artiste singulier nous donne son point de vue face à la représentation de l’art contemporain de nos jours et aux œuvres qui se font actuellement. Comment définiriez-vous l’art contemporain en 2020 ? C’est à la fois tout et n’importe quoi, mais comme on dit, Dieu reconnaîtra les siens à la fin ! Dans de vieux catalogues d’œuvres d’art, on voit des peintres, des sculpteurs qui valaient des sommes folles à l’époque et qui ne valent plus rien aujourd’hui. En quinze ans, tout a changé, on joue avec des modes. C’est un vrai problème. On se retrouve avec des Raynaud et ses pots de fleurs tandis que beaucoup de grands artistes passent à la trappe. Actuellement, on voit des installations en tout genre, des performances artistiques où l’artiste utilise son corps comme support, etc. Quelle est votre vision de ces œuvres d’art ? Ça ne m’intéresse pas en tant qu’artiste mais je ne veux absolument pas condamner ça. À un moment donné, ça fera avancer le schmilblick de l’art. C’est-à-dire que dans la dématérialisation de l’art, c’est eux qui créent ce chemin et ils vont au bout. Avant, on jouait avec une toile et de la peinture, puis avec des objets. Maintenant, on joue avec son corps comme on jouera plus tard avec des choses

Afin que ses oeuvres perdurent dans le temps, Dominique Allain travaille la céramique, qui peut tenir 30 000 ans. ©D. TOURDJMAN

totalement

dématérialisées.

Cela remet en question la temporalité d’une œuvre d’art... Aujourd’hui, la durée d’une œuvre n’est pas plus longue que celle d’une fringue. L’installation de la banane de Maurizio Cattelan est intéressante parce que c’est sans doute l’un des fruits qui pourrit le plus vite. Alors, je ne sais pas s’il l’a fait innocemment mais il y a une vraie question de temporalité derrière. Concernant les gens qui touchent à leur corps dans l’art, ça finit généralement par une photo. Tous ces éléments raccourcissent la temporalité d’une œuvre d’art. Est-ce que vous avez le

sentiment qu’il n’y a plus de recherche esthétique ? À l’époque on critiquait les Monet, les Gauguin en disant que c’était horrible, qu’il n’y avait pas d’esthétique làdedans. Pourtant, ce sont des artistes dont on parle encore aujourd’hui. L’important de l’art ce n’est pas d’être beau, c’est de provoquer de l’étonnement, un vrai ressenti. Il faut qu’il se dégage un sentiment que vous puissiez adopter. Le reste, on s’en fout. L’œuvre de Cattelan avec la banane, ça a étonné les gens. Les sculptures de Jeff Koons, qui se vendent des millions, ça étonne. Célia DEMOLIS 67


La mode, un monde en perpétuelle (r)évolution Depuis 1868, les fédérations de Haute Couture se créent. Mais un siècle et demi plus tard, les codes ont changé. Et ce, pour plusieurs autres secteurs de la mode. Inclusivité dans le mannequinat, luxurisation du style de rue… Point positifs pour certains, points négatifs pour d’autres. Depuis les années 2010, la Fashion Week accueille des labels moins connus que les maisons du groupe LVMH (Louis Vuitton, Dior, Fendi, Givenchy, Marc Jacobs, etc.) et Kering (Gucci, YSL, Balenciaga, Alexander McQueen, etc.). Il y a maintenant, non seulement de la Haute Couture (voir encadré), mais aussi du prêt-à-porter de grand luxe. Les nouveaux arrivants représentent une autre facette de la discipline. Les modalités ne sont pas forcément respectées mais l’esprit est présent. Le monde de la mode prend goût à la cause environnementale Stella McCartney, styliste britannique, a notamment habillé Naomi Campbell et Kate Moss. Dans le but de montrer son respect pour la planète et les êtres vivants, elle travaille sur des matières comme le coton bio. Impossible de trouver du cuir, de la fourrure ou encore des plumes dans ses créations. Elle a d’ailleurs collaboré avec l’organisation Parley for the Oceans, engagée dans la cause des milieux marins, et Adidas. L’idée était de réaliser des baskets fabriquées à partir de bouteilles plastiques récupérées dans les océans. D’autres marques moins 68

connues y sont également engagées : tissage réalisé à la main, cuir à partir de matières naturelles ou encore semelles de chaussures en pneus usagés. Depuis 2006, Copenhague accueille également la Fashion Week. Certains de ses labels locaux, tels que la marque Carcel sont eux aussi soucieux de leur empreinte écologique. Fondée en 2016, la société est basée dans la capitale danoise avec ses deux directeurs, et une équipe de 25 femme employées dans des prisons au Pérou et en Thaïlande. Un moyen de leur faire acquérir de nouvelles compétences tout en gagnant un salaire. Les matériaux sont locaux et biodégradables.

Diversité et inclusivité dans le mannequinat Années 80, le critère de la minceur est primordial pour correspondre à la beauté féminine. Les top-modèles apparaissent, ces femmes à la peau, pour la plupart, pâle, la peau sur les os, les membres tous très fins. Mais à partir des années 2010, la diversité se met en place. Aussi bien au niveau ethnique que physique. Des mannequins grande taille apparaissent, tels que Ashley Graham. Le côté atypique est très sollicité : yeux verrons, vitiligo, albinisme… Toutes sortes de caractéristiques que l’on n’a jamais eu l’habitude de voir


dans le milieu du mannequinat. Eric est mannequin depuis maintenant quatre ans. Du haut de ses 1,87 mètre, il casse les codes classiques du mannequinat : yeux clairs, cheveux bouclés, teint bronzé, c’est ce qui l’a permis de réussir dans le métier. “C’est fini les hommes baraqués, grands, blonds, 1,80 mètre. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout ça. Dans le mannequinat, la différence est maintenant une force”. En 2017, les grandes agences telles que LVMH et Kering interdisent la taille 32 lors des défilés. En cas de non respect, les agences risquent 75 000 € d’amende. Rihanna a d’ailleurs prouvé que ces temps sont révolus. En septembre dernier, elle a présenté sa marque de lingerie qui célèbre toutes les morphologies, Fenty x Savage à New-York. “Le défilé m’a beaucoup marquée. C’est ça l’avenir” exprime Perrine, grande passionnée de mode. Avenir que les grandes maisons de Haute Couture devront adopter un jour ou l’autre. Car malgré leur ouverture à la diversité ethnique, les mannequins présentent pour la plupart

La Haute Couture est un terme français, et représente l’écosystème de la Mode. L’origine revient à Charles Frédéric Worth, qui crée la première Maison de Couture en 1858. Elle se démarque d’ailleurs du prêt-à-porter par le côté unique des pièces, qui sont ensuite faites sur mesure pour la clientèle.

toujours la même morphologie effilée. “Ce n’est pas quelqu’un qui travaille chez Chanel depuis 25 ans qui va tout faire bouger” explique Perrine. À ce jour, les mannequins veulent faire passer un même message : il n’y pas un seul idéal, et le corps parfait n’existe pas, le mieux est de s’accepter et de s’aimer. Streetwear et Haute Couture, la bonne entente Catherine Hoarau est couturière depuis 30 ans, et a notamment travaillé pour Chanel et habillé des personnalités au festival de Cannes. Elle explique : “La mode a évolué. Les formes de vêtements ont changé. Avant c’était très féminin, les coupes mettaient en valeur la silhouette. Maintenant c’est déstructuré, ça devient trop simple et ça va à tout le monde. Ça fait multitaille et ça ne ressemble plus à grand chose’’. Ferait-elle allusion au streetwear ? Le streetwear, autrement dit, ce qui est porté dans la rue est un style vestimentaire apparu vers les années 80-90. Il s’agit d’une mode très décontractée, avec des vêtements amples. En somme, les inspirations sont trouvées dans la culture du skate, du surf ou du hiphop. Mais depuis quelques années, le luxe s’est approprié les codes vestimentaires du streetwear, en les intégrant à ses vêtements, accessoires et chaussures. Les grandes maisons vont même jusqu’à faire des collaborations avec des marques de streetwear. Un moyen d’échanger leur savoirfaire et de toucher une clientèle plus large. Par exemple, Louis Vuitton a collaboré avec la marque de streetwear haute

Ashley Graham, est le premier mannequin grande taille à faire la couverture de magazines et à couvrir des événements. ©John SHEARER

de gamme, Supreme. “Wang (créateur de mode américain, ndlr) l’a fait entrer chez Balenciaga. C’est quelque chose qui marche, et ça a permis à des maisons de se renouveler. Mais je trouve dommage que ce ne soit plus comparable à ce que c’était avant, contrairement à d’autres maisons. Quand tu dis “Balenciaga” maintenant, les gens pensent aux grosses sneakers. Ce n’est pas ça à la base”, déplore Perrine. À l’heure où la Fashion Week a lieu à Milan, Alessandro Michele, directeur artistique de Gucci, casse les codes des défilés habituels. Le défilé a eu lieu mercredi. Et au lieu de faire patienter les invités, ces derniers pouvaient circuler dans les backstages et observer les stylistes et coiffeurs procéder aux dernières retouches. La mode n’a pas fini d’évoluer. Valika ROBERT 69


La société redéfinit les codes de la mode Depuis 2017, le milieu de la mode connaît de grands changements. On observe une diversité de mannequins aux origines, sexes, âges et morphologies différentes sur les podiums. Le monde de la mode est-il vers le chemin de l’inclusivité ? Balmain, Fenty Beauty…etc. Des marques qui redéfinissent la mode avec un casting diversifié. Elles font partie des pionnières à proposer des défilés avec des mannequins noirs, indiens chinois, transgenres ou encore albinos. Avant tout grâce à des directeurs artistiques, à l’image d’Olivier Rousteing qui créent de nouveaux critères dans la mode. Il est fier d’être représenté comme le premier métisse à être à la tête d’une grande maison française. Il a fait le pari de remettre au goût du jour la maison Balmain grâce aux stars d’Instagram comme la famille Kardashian. Des femmes transformées par la chirurgie esthétique et qui revendiquent leurs formes voluptueuses. Une chose inimaginable quand on pense aux mannequins phares des années 1980 comme Cindy Crawford, Carla Bruni ou Inès de La Fressange. Des femmes très grandes, avec des tailles très fines et surtout non retouchées. De l’effet de une norme

mode à sociale

Le noir, porté comme vêtement, est toujours à la mode. Le total look black est un indémodable. En tant que couleur de peau, c’est moins 70

à la mode. Un manque de représentation qui pose problème notamment quand on est une femme noire ou ronde et que l’on ne peut pas s’identifier à ces femmes. La mode a longtemps envoyé comme message que seul un type de femme existait. Comme si la beauté était associée à une couleur de peau et une morphologie. Il est important de montrer que toutes les beautés doivent être représentées. Ce qui a permis à Rihanna et à sa marque Fenty de se faire remarquer par l’utilisation de mannequins de tous types. “C’est un phénomène de mode qui est devenu social”, selon Audrey Richelmy, étudiante à l’ESMOD à Lyon (école internationale de mode, design et commerce). Aujourd’hui, certaines marques ont même des quotas pour représenter tout le monde. Des marques qui touchent le grand public sont obligées d’inclure tout le monde car leur cible est plus large. Les vêtements sont aussi faits pour des types de corps spécifiques et les marques ne veulent pas forcément s’adapter car cela coûte cher. “Chaque couturière engagée, chaque tissu travaillé coûte du temps et de l’argent’’, explique Laëtitia, vendeuse à la “Boutique

Le village des créateurs est une association qui permet de mettre en avant tous les créateurs lyonnais. © Luana Paulineau

du village des créateurs”. Une boutique qui met en avant les produits de tous les créateurs adhérents à l’association “Village des créateurs”. Alors que la Fashion Week bat son plein à Milan, la rumeur court qu’elle va atteindre un record en termes de diversité. Un exploit quand on sait qu’en 2018 seulement, le premier mannequin noir défilait pour la maison Chanel. Alton Mason, âgé de 20 ans, est entré dans l’histoire en étant le premier mannequin de sexe masculin et noir à défiler pour la célèbre marque de luxe. Après 108 ans d’existence, il reste du chemin à parcourir. Luana PAULINEAU


© Manon Heckmann

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© Manon Heckmann

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1494 : Savonarole fait basculer Florence dans l’Apocalypse À Florence, c’est un personnage qui ne laisse personne indifférent. Pour les plus pieux, c’est un véritable modèle. Pour les plus libertaires, il n’est qu’un tyran radicalisé. Tant d’avis divergents et une opposition frontale pour un seul et même nom : Jérôme Savonarole. Mais qui était réellement ce religieux “fanatique de l’Apocalypse”, comme le nommait Norman Cohn ?

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Statue de Savonarole à Worms, bastion allemand du protestantisme. ©Pixabay - Albers Heinemann

ais que va-t-il bien rester de la péninsule italienne ? C’est la question que tout le monde se pose ici. Car depuis le début du mois de septembre 1494, le roi de France Charles VIII déferle sur les républiques, duchés et royaumes du pays. Accompagné de 35 000 hommes, le jeune souverain pille tout sur son passage pour récupérer le royaume de Naples, autrefois gouverné par ses ancêtres. Mais une ville particulièrement prospère se dresse sur sa route, c’est Florence. Lorsque son seigneur, Pierre II de Médicis apprend que le Charles VIII vient d’entrer en Toscane ce 30 octobre 1494, la

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panique l’emporte et il vient se soumettre aux Français avec son duché tout entier... Pour les Florentins, cette négociation est une humiliation. Ils se révoltent en exilant leur seigneur, sa famille et proclame une république. En toute hâte, un certain Jérôme Savonarole, émissaire de Florence, part pour Pise rencontrer le Roi et négocier un véritable traité. Mais cet émissaire n’est pas comme les autres. C’est un dominicain, particulièrement austère et charismatique dont la puissance des discours frappe de plus en plus le cœur les Florentins. Il est devenu l’homme fort de la cité. Profondément millénariste,

Savonarole est une sorte de prophète qui prédit depuis longtemps l’effondrement de la société actuelle voulue par les Médicis, décadente et pervertie. Ses prêches visent à préparer un royaume nouveau, celui du règne terrestre du messie. Contre toute attente, le charisme hors du commun de Savonarole fait plier le roi de France en obtenant la non-violation de la cité florentine grâce au traité de Pise du 25 novembre 1494. À son retour, Savonarole est accueilli en héros et met en place un régime clérical. Un charisme hors du commun au service de sa réussite C’est à Ferrare, au nord de l’Italie, que le futur prédicateur naît en 1452. À l’âge de 23 ans, l’appel de Dieu est plus fort que tout et Savonarole intègre les ordres pour devenir dominicain. Très bon pédagogue, il devient lecteur du prestigieux couvent Saint-Marc de Florence en 1482 avant d’en devenir le prieur en 1491, grade le plus élevé de l’institution. C’est durant ces années-là que frère Jérôme se fait remarquer pour son charisme. Son discours


est rude et prône l’aide aux plus démunis, une nouvelle répartition des richesses et, en bref, un retour des valeurs morales perdues depuis bien longtemps. Il se met également à prophétiser. Et comme si le Ciel veillait sur lui, les sermons de Savonarole s’avèrent justes ! En 1492, il annonce la mort de Laurent de Médicis qu’il ne cesse d’attaquer dans ses prêches depuis plusieurs années, et la mort du pape Innocent VIII, qu’il considère comme un souverain indigne d’exercer la fonction suprême. Laurent et Innocent mourront le 9 avril et le 25 juillet de l’année 1492. Pour le dernier, il avait même prédit qu’il serait remplacé par un pape encore plus dépravé. C’est chose faite puisque Innocent VIII cèdera sa place à Alexandre VI, plus connu sous le nom de Rodrigo Borgia. Et pour parachever son succès, frère Jérôme annonce une dernière prophétie et non pas des moindres : en rémission des innombrables péchés – selon Savonarole - des Florentins, la ville sera envahie par une armée étrangère. Quelques semaines plus tard, l’Italie apprend l’arrivée de plusieurs dizaines de milliers d’hommes dirigés par le roi de France. À la suite de cet événement, Savonarole devient le maître absolu de la cité en 1494. Florence, la nouvelle “Jérusalem céleste” À la tête de la cité, Savonarole casse les codes à coups de prophéties apocalyptiques. Autrefois resplendissante, la ville se mue dans la dévotion ostentatoire. Un seul objectif : faire de la puissante capitale toscane un exemple de la cité

Peinture anonyme du XVIIe siècle représentant le bûcher de Savonarole en 1498. ©Museo Nazionale di San Marco

de Dieu. La preuve en est que le nouveau roi de Florence n’est autre que… Jésus-Christ. Le prédicateur met en place une redistribution spartiate des richesses où les plus aisés doivent donner aux plus démunis dans des proportions jamais égalées. Les usuriers - autrement dit les juifs - sont jetés de la cité. Mais ce n’est pas tout. Les sodomites qui n’étaient condamnés que par des amendes encourent désormais la peine de mort. Et dans l’immense majorité, ce sont des artistes qui sont concernés par cette loi. Or, la cité florentine est tout de même le berceau de la Renaissance ! En 1496, Savonarole décide de créer une police des mœurs. La particularité est qu’elle n’est composée que d’enfants d’une dizaine d’années à peine. Cette milice se permet tout et n’importe quoi et fait régner un sentiment de peur sur la cité. À l’hiver 1497, Savonarole tente le coup de maître dans sa quête de l’effondrement. Et pour célébrer la fin du carnaval de Florence, le religieux organise un Bûcher des Vanités où sont brûlées toutes les œuvres jugées immorales et tout ce qui rappelle la splendeur dégoulinante des Médicis. Le grand Botticelli brûlera de nombreuses toiles et ne repeindra jamais de nu.

Une chute annoncée Mais les actions et les dires de Savonarole irritent le Pape, lui qui est désormais accusé d’hérésie de la part de frère Jérôme. Alexandre VI tape du poing sur la table et décide de convoquer Savonarole à Rome. Ce dernier refuse, la rupture est définitivement consommée. Mais Alexandre VI est un Borgia. Et les Borgia sont de véritables stratèges. Il menace cette fois-ci d’excommunier non seulement le turbulant prophète Jérôme, mais bien toute la ville de Florence, avec toutes les conséquences désastreuses qui pourraient s’ensuivre. Pris de panique, les habitants de la ville se retournent contre leur gourou et vont même le chercher dans sa cellule du couvent Saint-Marc. Pour Savonarole, la messe est dite. Le 23 mai 1498, il est condamné à la pendaison avant d’être jeté au bûcher place de la Seigneurie. Signe d’anéantissement suprême, ses cendres sont jetées dans l’Arno et dispersées pour l’éternité. La ville vient de bannir à tout jamais la mémoire du plus puissant des millénaristes florentins. Max DESGOUTTE 73


En pleine Fashion Week, le manque de représentation dans la mode est à nouveau pointé du doigt. A l’ère du body positivisme et à l’inclusion, le monde de la mode est toujours en retard sur le traitement de la diversité dans la mode. Souvent accusées de discrimination, les marques ont encore des difficultés à inclure des personnes plus représentatives de la société. À l’image des femmes rondes qui sont encore marginalisées et qui n’ont pas accès à un panel de vêtements adaptés à leur morphologie. «En France, nous sommes très en retard sur le sujet», raconte la blogueuse Lalaa Misaki. «On ne voit aucune diversité dans les campagnes publicitaires et sur les podiums. (...) Il y a 40 % des femmes qui font une taille 44 et qui ne peuvent pas s’habiller dans les marques de grande distribution.» Quand on sait que les Françaises font en moyenne du 42, il serait temps de laisser la place à plus de diversité.

Luana PAULINEAU

COUP DE COEUR La connerie en série-ghelli enfin arrêtée ? Polémique de trop pour Agnès Cerighelli. L’ancienne élue de la macronie a été condamnée le 16 décembre pour ses propos homophobes sur Twitter. Son caractère excessif et sa propagation de haine ont fini par être réprimés. Les associations de lutte contre l’homophobie ont donc gagné un combat, sans doute le premier d’une longue série face à la haine. Rappelons qu’une enquête a également été ouverte contre l’ancienne élue pour «provocation à la haine» suite à des messages islamophobes. Fini le conservatisme désabusé, il est temps de réellement progresser !

Arthus VAILLANT

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Article

49-3

:

Pourquoi

tout

le

monde

s’insurge

?

Les interminables débats sur la réforme des retraites vont-ils accoucher d’un 49-3 ? Edouard Philippe ne l’exclut pas. Et comme toujours, les réactions pleurnicheuses des responsables politiques ne se sont pas fait attendre. Il est constamment décrié mais, pour rappel, l’article 49-3 est une arme constitutionnelle, pourquoi s’en priver ? Les politiques ont la mémoire courte mais la Vème république est un régime fort. Elle a été faite pour gouverner et sortir du marasme parlementaire de la IVe République. Débattre c’est bien, mais si personne n’est d’accord, il faut trancher. Et les Français ont voté pour un président, pour son projet. C’est à lui et à son gouvernement que revient le dernier mot.

Max DESGOUTTE “Une (vraie) justice pour l’environnement”, il serait temps. Depuis le 25 février, un projet de loi créant une justice pour dame nature est étudié au Sénat. L’objectif, raccourcir les délais de traitement des dossiers concernant des délits écologiques avec la création de juridictions spécialisées et la mise en place de “transactions” pour réparer rapidement les dommages lorsqu’une société reconnaît sa responsabilité. Au vu des prédictions environnementales désastreuses que nous avons évoquées dans notre chronologie, décourager ce genre d’atteintes est indispensable. Surtout quand on sait qu’actuellement, le taux de réponse pénale aux infractions environnementales n’est que de 47%.

Prescillia BOISSEAU

COUP DE GUEULE Le 5 décembre 2019 a eu lieu une défaite majeure de l’industrie française, la spoliation par une OPA (Offre Publique d’Achat) de l’entreprise Latécoère. Comme à leur habitude, les Français sont restés mous, catatoniques, des veaux en somme. Apparemment, le fait qu’un des fleurons de l’industrie française passe sous contrôle américain («oui mais c’est des alliés» ! Commentaire de Jean-Kevin sur l’affaire) les laissent de marbre. En fait, laisser la France se faire pénétrer agressivement par le monde entier (vignobles chinois ou indiens, clubs de foot arabes, entreprises américaines…) indiffère les Gaulois, mais retirez les 35 heures, et là, ah ! Vous allez voir ! Mais là non, aucune réaction, si ce n’est l’habituel discours marxisant de la CGT à base de «Droit des travailleurs, blablabla, congés payés». Mon Dieu…quelle tristesse !

Jean-Baptiste RAMAT 75


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l e s r e f d e l a r e d a c

CINÉMA L’Effondrement - Guillaume Desjardins et Jérémy Bernard - 2019 Le jour d’après - Roland Emmerich - 2004 Black Mirror - Charlie Brooker - 2011 à 2019 Take shelter- Jeff Nichols -2012 Bienvenue à Gattaca - Andrew Niccol - 1997 Le Livre d’Eli - Frères Hughes - 2010 Survivre - Alexandre Pierrin/France TV Slash - 2019 Our Planet - narré par David Attenborough - 2019

littérature Le choc des civilisations - Samuel Huntington - 1996 Après l’effondrement (Tome 1 et 2 ) - Christophe Martinolli - 2019 Guérilla tomes 1 et 2 - Laurent Obertone - 2016 et 2019 Le Meilleur des Mondes - Aldous Huxley - 1932 Fahrenheit 451 - Ray Bradbury - 1953 Devant l’effondrement, essai de collapsologie - Yves Cochet - 2019

autres Earth Song - Mickael Jackson - 1982 Resident Evil - 1996 - Jeu vidéo Fallout - 1997 - Jeu vidéo post-apocalyptique Les Romains de la décadence - Thomas Couture - 1847 - Peinture L’ouverture d’esprit du nazisme - Alfred Hitler - 1952 Pièce de théâtre


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