Hazard Zone Fanzine #4

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ANIMA LITÉ

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H



abri d’Êdition pour auteurs francophones


EDITO


[…] La vida loca nous rend animal Tout niquer devient vital […] PNL, Oh lala, Le monde Chico

Terreur admirable, frayeur puissante et peur étonnante. Les rejetés des tours tournent en rond pour attraper leurs vies, griffes dehors. Les ailes coupées, ils ont appris à courir, défiant les oiseaux d’Hugo. Les pieds dans la terre, ils contemplent les formes blanches poétiques des animaux sacrés. Ceux qui volent. Eux ne sont que des animaux accomplis, les monstres pardonnés des Contemplations - et de la jungle urbaine. Monstruosité créée par d’autres Hommes. L’animalité est partout. L’anima[LITTÉ] devrait être partout. Dans la tête des féroces dictateurs, dans les gènes des carnassiers passeurs, dans le cerveaux des sceptiques rageurs, dans l’âme des bestioles dirigeantes, dans le coeur des marcheurs blancs financiers. Elle doit nous accompagner, partout. Nous libérer, tout le temps. Nous faire respirer, toujours. Ne jamais disparaître. Éviter le pire, les rues sombres, et les dédales embrumés. Ici, encore une fois, on ouvre l’abri à ceux qui créent et parfois luttent avec leurs mots. On offre un petit halo du lampadaire qui clignote dangereusement, de plus en plus. À force, on trouvera l’énergie de remplacer l’ampoule par autre chose. Continuez ! Écrivez, déclamez ! Criez ! Criez.

H.Z.


/ je me sens comme un anchois grillé échoué près d’un épaulard après trois tentatives pour bander j’abandonne elle n’est pas grosse pourtant, et qu’est-ce qu’elle est belle... mais je me sens comme un anchois grillé à côté d’un orque luisant et froid sur sa banquise de matelas confortable avec le goût d’une vie normale qui ne s’estompe pas dans ma bouche.


alors je lui demande quel animal elle voudrait être elle me répond «a squirrel !» je dis : « ho you like turning arround the trees ! » « and you ? » demande-t-elle je lui réponds « bird » comme un automatisme « pour planer » of course alors que je me noie dans des profondeurs aquatiques tellement froides une immensité glaciale et dégueulasse où tressautent mes écailles pourrissantes


Vision des coquelicots

je vois des hommes mordre des hommes dire qu’ils sont des hommes je vois des abeilles butiner des thorax fleuris champ de coquelicots c’est l’après-midi des fleurs sur les assiettes en carton gâteau de miel tu n’es pas seul jusqu’à mille les hommes ruches qui se mordent les abeilles butinent tes yeux d’homme au milieu des thorax en fleur je vois des hommes finir leurs assiettes remplir le vide de leur absence dans le noir je vois des coquelicots au pays des hommes jusqu’à mille les cavités béantes vois les hommes se remplir de miel et refermer la porte dans une autre pièce croire qu’ils ne sont pas seul l’entre-prise des hommes jusqu’au bout se tiennent se tiennent l’un l’autre je les vois battre le fer dans le noir faire une cage pour le soleil


ils disent qu’ils sont des hommes qu’ils marchent librement une fois le soleil en cage je sens les hommes coquelicots remplis de nectar je mords des thorax miel creux écoute le bruit des abeilles je vois les assiettes en carton oubliées dans une autre pièce des abeilles butinent des thorax dans d’autres cavités jusqu’au bout butinent mille soleils coquelicots savoure le miel abondant je vois des fleurs sur les assiettes en carton résonne le bruit des abeilles dans le noir des corps entre-pris jusqu’au bout des corps se tiennent c’est l’après-midi tu n’es pas seul au pays des hommes immobiles mille soleils coquelicots béants


Visions des oiseaux


l e s c l e fs s u r l e t o rs e * l ’ave u g l e o u v re

les

p o r te s

cachées

e n t re

l e s ve i n e s * s o n d e l a n u d i té * l a c h a i r p e u p l é e d ’o i s e a u x d é m a n g e * s o n d e l a n u d i té j u s q u ’à l a d e r n i è re b r i q u e * l ’ave u g l e g r i f fe l a c h a i r * la langue démange * tournoie dans l e c i e l p e u p l é d ’o i s e a u x * l ’ave u g l e a p p e l l e l e s o i s e a u x * o f f re l a g o rg e é c a r te l e s é p a u l e s o f f re l a g o rg e l e t o rs e * o f f re l e s c l e fs a u x o i s e a u x * o f f re t o u t c e q u ’ i l p o s s è d e j u s q u ’à l a d e r n i è re b r i q u e * l e s o i s e a u x tournoient dans le ciel tournoient d a n s l a g o rg e a u s o n d u ta m b o u r i n * l a l a n g u e p e u p l é e d ’o i s e a u x o u v re l a c h a i r s o n d e l a n u d i té * o u v re l e s p o r te s c a c h é e s e n t re l e s ve i n e s o u v re l e c i e l * l ’ave u g l e p o s s è d e l e s c l e fs


Yeux Ce matin la propriétaire de mes yeux est morte. Il parait que je suis plus intelligent que la moyenne. L’image du parfait, gentil, serviable et aimant me colle à la peau. J’ai bu son sang pourtant. J’ai bu son sang. C’était chaud et ferreux. J’aimerais me terrer dans une des poches de son chandail. Je ne sais plus quoi faire de ces choses que je vois. / Depuis quelques semaines mes yeux sont orphelins. Il parait que j’ai du caractère, que je suis courageux. Sans instinct de chasse. J’ai pourtant grignoté un bout de pied. Un bout de pied. Je ne suis pas courageux et mon poil est graisseux. Les yeux dans le vague, j’ai vomi. / Trois mois. Ma vue baisse, elle ne sert plus à rien. Il faut rester proche et à l’écoute de son maître en toutes situations. Je devais garder une image sympathique auprès du grand public. Mais j’avais pourtant déjà bien entamée la cuisse droite et l’aine quand ils m’ont trouvé. Je suis gourmand et bon vivant. C’est dans ma nature.


/ Ça fait bientôt un an maintenant que mes yeux n’ont plus de mère. Personne ne veut les adopter. Ils ont vu tellement de choses. Ah s’il pouvait parler ce foutu clebs a dit un des inspecteurs. / J’ai vu ta mort. Labrador.


Animal

je suis un animal qui s’est trompé d’enveloppe une bonne bête sauvage roulure d’humus de vent d’épines et de lune un animal qui ne souffre l’humain que contre tout contre lové roulé entremêlé un animal qui tient entre ses pattes une tête pensante qui lui cause grave tourment


des blessures empuanties dites existentielles animal est le cœur seule la raison est froide je suis un animal à deux griffes de s’en retourner sauvage folle dira t-on mais que m’importe le dit je suis juste un animal.


Tanka 54 façades en ruine et sol couvert de débris - Syrie éplorée sous une pluie de bombes où l’homme n’est plus homme


I PUT MY SOUL TO BED J’AI ALITE MON AME HO MESSO LA MIA ANIMA AL LETTO

J’ai bordé mon âme À la couche du jour Pauvre coucou geignard dort seul   Volatile cabossé au ventre au coude à coude la cordée des ombres   Grand marabout des songes il hausse les épaules n’a pas froid conclave noir fée maladive


. les aboiements des chiens accompagnent un temps mon cheminement dans les bois le vent de temps à autre souffle l’écho de leurs hurlements me faufilant toujours plus avant dans la forêt esquivant esquissant évitant les racines et les souches ma peau fouettée par les enlacements des feuilles et des branches retournant à la source de je ne sais quel appel des vibrations me parcourent l’échine la rendent frémissante finissent à mes dents pulsantes de sang un étrange grondement sourd et léger se cache dans la gorge, entre le cœur et la gueule les sens décrottés dégraissés savonnés vengés par la fraîcheur des feuillaisons de nouveau réveillé de mon esprit embrumé impuissant rouillé de générations de vie citadine


un instinct neuf et fonctionnant à balle attentif à la moindre chute de feuille réagissant au moindre mouvement au moindre son toutes les intuitions aux aguêts s’apprêtant tel à son premier rendez-vous de tendresse tel au combat tel une horde couleur poudre noire mon corps cherchant le mouvement et l’attente la battue des mouvements vifs du temps avec à la bouche un sang non visible jeune frais vierge nouveau les virtualités courant au fond de mon centre au feu de mon ventre en un cri redevenu vivacité de la sève souplesse du sang ferveur de la lumière débarrassé des faussetés urbaines des convenances fanées inventant des prières aux déesses bestiales redevenant enfin humain quittant le magasin des illusions et des porcelaines allant me transformant Y aura il un guide Y aura t il un point de chute


dans cette errance étrange et à mon hurlement qui répondra tandis que mes pensées sauvages cueillent des questions mon instinct y répond en soufflant dessus de façon amicale et radicale, je continuais de dégringoler la forêt, les sommets, et mon état civil je cavalcade sautant à travers les fossés et les haies m’accrochent aux arbres joyeux comme un échappé ivre tel un rescapé égaré comme à des baisers un sang chaud mouille mes lèvres sans posséder toute ma lucidité je file un animal le lièvre dévoré déchiqueté remercié en psalmodiant sa force plus tard ou à l’instant au fond d’une cache révélée entre les racines d’un grand arbre au contact frais de la terre épuisé je m’endors quand j ouvrais les yeux de nouveau, de l eau coulait doucement sur mon front, une femme m’observait


Elle a décloué le hibou qui était sur la porte, remis en place ses os brisés, lissé ses plumes, lui a fait reprendre son chant


contre-chant


J’ai mangé carnivore la mélancolie, les poèmes, les fantômes. De mes dents d’envergure et de montagnes, j’ai déchiré l’absence, les hanches de la nuit, l’eau séchée sur les paysages. Je dévaste les possibles, je les fouraille-sanguinaire, à grands coups de désespoir, à grands cris de nuits blanches. Mes regards vides sont une lunette-nuances sur la fourmilière des trous-nuit, des visages manqués. Toute une foule de bouches ouvertes, sont peintes sur mon ventre (ici la mémoire) : quand mon enfance donne des coups, je m’étouffe dans le temps propulsé-suspendu/ celui non-advenu-encore-là, dans la mort lyrique-gorge. Le rectangle lie-de-vin de la ville, tient à un fil dans le ciel que je tranche : une fenêtre à portée d’une main de mille pieds. Au vrombissement des machines, aux cris de coucous sur les arbres décharnés, au tintamarre d’enfants trop libres, aux regards muets que je soutiens : j’oppose mon poèmechant, mon long râle musical, ma bedainegrelot, mon joujou de tristesse et tout ce que je désespère d’atteindre.


rage



à la niche

« Fais attention à la façon dont tu me parles. Je ne suis pas ton chien... » « Sache que je ne te considère pas comme MON chien. Juste comme UN chien. Après tout c’est vrai, c’est bien à ça que se résume ta vie : tu obéis au doigt et à l’œil au maître système, tu bouffes ton immonde pâtée issue de l’industrie agro-commercialo-alimentaire, des merdes en boîte, sans goût et sans intérêt. Tu pisses là où on te dit de pisser, et quand tu veux baiser, tu renifles le cul des autres, jusqu’à trouver la saillie idéale. En priant pour qu’elle ne finisse pas par mettre bas une portée qui reproduira ta vie misérable. Ta chance, c’est d’être né dans un monde où tout est fait pour vous permettre d’exister, toi et ceux de ton espèce. La nature ne vous aurait jamais laissé survivre plus de quelques années. Vous êtes faibles. Faibles parce que vous avez laissé la société, celle que vous avez construite, penser, décider et tirer les ficelles


pour vous. Aujourd’hui, tu es incapable de produire ta nourriture, de vivre sans électricité ou sans toutes ces choses dont tu t’es rendu dépendant. Tu es, sans en avoir même conscience, totalement inapte à vivre dans ce monde qui t’a pourtant vu naître. Ok, c’était il y a longtemps. Très longtemps même. Trop longtemps sans doute. À l’époque, tes ancêtres se mettaient en route pour conquérir le monde. Aujourd’hui, c’est ce même monde qui vous domine. D’aucun vous qualifierait alors de sous-espèce. Souviens-toi, si tant est que tu l’ai jamais su, que si un jour le peu d’Humanité qu’il reste devait disparaître, les petits, comme toi, seraient les premiers à disparaître, dévorés par les leurs. Comme les canidés se dévorent entre eux. Simplement parce qu’ils sont d’une constitution plus grande et plus solide, et qu’ils sont finalement plus aptes à survivre. Alors grand Dieu non, je ne te considère pas comme un chien. Les chiens eux, le plus souvent, je leur accorde un respect que tu es loin de mériter. »


** il y a un loup à l’intérieur il ouvre les yeux quand je ferme les miens une bête qui a faim traque sa proie hurle avec les chiens au fond de ma gorge elle a sa gorge tapie dans ma nuit et sous ma peau son pelage gris il y a un loup une bête sauvage qui tourne en rond gronde s’élance dans le noir cherche une issue à l’intérieur d’un cercle elle est blessée me blesse sans cesse saigne et me fait saigner elle aime le sang cherche le sang me dévore et se dévore tout le temps


elle cherche dans la mort à sortir de la mort à surgir dans le jour pour que triomphe sa nuit elle vit avec sa mort il y a un loup à l’intérieur il fermera les yeux quand je fermerai les miens une bête qui a froid une bête qui a faim qui se traque elle-même à l’intérieur d’elle-même se tait au fond de ma gorge le noir l’éblouit elle attend la nuit elle ne voit plus rien


filature dans la nuit Plusieurs facteurs ont fait que je suis venu m’installer à Ax. J’y étais déjà passé tout petit, avec mes parents, mais comme je n’y étais jamais revenu depuis, les contours du paysage urbain étaient flous dans ma mémoire. J’ai répondu à une annonce passée par la mairie. Je suis revenu dans la ville, avec mes yeux d’adulte. Je me suis rendu à l’entretien d’embauche, au terme duquel j’ai appris que j’étais recruté. Mon coup de chance a été que ma tante, décédée plusieurs mois plus tôt, avait laissé un patrimoine immobilier important, dont une maison à Ax. Un accord a été trouvé avec le notaire pour que je puisse la récupérer. Comme pas mal de villes du Sud-Ouest, Ax avait eu un passé glorieux, qui laissait place à un présent malheureusement plus terne. Tout s’était un jour figé, et plus rien n’avait jamais bougé depuis. C’était à la fois rassurant et terrifiant, parce que l’issue, d’évidence, était la lente destruction des lieux et des personnes, que rien ne venait plus régénérer. Elle baignait dans une atmosphère étrange. Quelques kilomètres plus loin, le soleil brillait, et s’étalait. Ici, au contraire, il était filtré par un bain de brouillard, qui descendait de la montagne et dans lequel nous flottions. On s’y habituait pourtant.


L’originalité de la ville était qu’elle se situait au pied des montagnes. Les dernières maisons étaient posées là où la plaine se terminait, laissant place à l’épaisseur et la brutalité des rocs escarpés plantés de sapins. La départementale partait à l’assaut de cette tumescence rocheuse. J’étais ébloui par sa beauté, cela ne m’avait pas traversé quand j’étais un enfant, trop centré sur moi-même. Elle ne se donnait pas à tout le monde, elle avait en elle quelque chose de sombre et mystérieux qui me fascinait. J’ai pris mon poste à la mairie, et je me suis installé dans la routine. Ce qui l’a brisée, ça a été quand j’ai fait la connaissance de Claire. Elle habitait la maison juste à côté de la mienne, une maison pas vraiment différente, qui avait un long passé, mais un futur incertain, à l’image de la ville. J’étais traversé par des images bizarres, que cette ville disparaitrait, un jour, balayée par un coup de vent, ou que peut-être nous étions ici ailleurs, dans une autre dimension, que j’étais passé à travers le miroir. Claire avait à peu près mon âge, elle n’était pas très grande, blonde, avec une beauté parfaite, et un rien surannée. La première fois où je l’ai vue elle transportait des sacs


à provisions. Je ne l’avais vue que de dos. Je l’avais aidée sans désir de la séduire. Elle s’était retournée, et j’avais commencé à éprouver ce qui ne s’est jamais éteint : une attirance irrésistible pour elle. Nous nous sommes souvent parlé dans les jours et les semaines qui ont suivi. Je n’ai pu que constater que l’attraction que je ressentais pour elle était mutuelle et nous sommes devenus de plus en plus proches. J’étais heureux, de ce bonheur lisse comme la surface d’un lac que peut vous procurer une relation amoureuse. Pourtant, je sentais qu’il y avait quelque chose en elle de sombre qui était tout sauf négligeable, et dont j’étais incapable de comprendre la nature. Claire ne me semblait pas tellement différente de cette montagne, elle en était pour ainsi dire l’écho. L’une renvoyait à l’autre, et réciproquement. Nous passions certaines nuits ensemble, d’autres non. À chaque étage de la maison, se trouvaient de longues terrasses qui donnaient sur la rue, sur la ville, et la puissance de la montagne. Je m’y calais souvent les soirs où j’étais seul et je contemplais cette ville et cette montagne qui me fascinaient autant l’une que l’autre, et que je ne comprendrais sans doute jamais vraiment.


C’est ainsi qu’un samedi soir, aux alentours de minuit, je l’ai vue arriver. Elle m’avait prévenue qu’elle partait en stage à T., qu’elle rentrerait tard, et qu’elle ne passerait pas chez moi . J’avais malgré tout envie de la voir Il me suffisait de traverser la rue et de sonner chez elle. Mais je n’avais pas eu le temps d’aller au bout de mon envie. Un quart d’heure plus tard, un groupe d’hommes et de femmes sonnaient à sa porte. Elle les avait rejoints sans qu’un mot ne soit échangé. Ils se connaissaient, d’évidence. *** Je suis descendu et je les ai suivis. J’étais tout autant intrigué que certain que j’allais apprendre beaucoup sur la ville et ses pratiques. Ils ont traversé la ville jusqu’au pied de la montagne. Ils savaient d’évidence où ils allaient. Mon regard n’a jamais été acéré pour repérer, au pied de la montagne, un sentier qu’ils connaissaient apparemment bien. J’avais pour excuse qu’il se fondait dans l’obscurité du lieu.


Je suis resté derrière eux, à distance, en espérant ne pas être repéré. Ils ont quitté le tracé rectiligne, une piste de bucherons sans doute, pour s’engager dans la forêt. Ils ne sont pas allés bien loin. Une clairière les attendait. Ils se sont déshabillés, posant leurs vêtements en tas sur le sol. Dissimulé derrière un arbre, je me suis demandé pourquoi. J’ai un instant imaginé un accouplement en plein air, avant que le premier d’entre eux ne bascule sur le sol et ne commence à se métamorphoser. La beauté et l’horreur se sont mêlées dans ce moment au terme duquel ils se sont révélés autres. Des loups aux corps fins et puissants. *** Ils avaient gardé leur regard humain, mais s’y lisait un mélange de lucidité et de cruauté effrayant. J’ai eu tort de penser que j’étais bien caché. Ils sont venus me dénicher. L’un d’entre eux a les yeux dorés, les yeux de Claire. Il m’a mordu, me faisant devenir ce que je suis aujourd’hui.



accoupler l’enfance « Bec-de- lièvre se retourne, elle est sur les genoux, elle tend son derrière au chien. Le chien pose ses pattes de devant sur le dos de Bec-de- Lièvre, ses membres postérieurs tremblent1. »

Les filles viennent de fermer la cage sur les animaux. Elles se reculent pour avoir une vision d’ensemble de la scène. Leurs bottes s’enfoncent vers la boue, mais elles n’ont pas d’oreilles pour ce qui est derrière. Les lapins baisent. Ça laisse une drôle d’impression entre les cuisses. Leurs yeux ne regardent pas vraiment, comme un peu vitreux, ils s’arrêtent à une vision opaque. Puis, la vision traverse au-delà de l’image. Un bourdon tourne près de leurs têtes sales, leurs tresses à moitiés défaites sentent la crème glacée aux fraises.

1. Agota Kristof, Le Grand Cahier, Paris, Éditions du Seuil, 1986, p. 40, 41.


Elles quittent l’abris d’été, leurs silhouettes glissent sur le premier tiers du mur et frisent le foin séché dans la course. Une marche qui gigote plus qu’elle n’avance. De celles qui apprennent sans se soucier. Les sœurs passent par le poulailler, la plus vieille attrape un petit poussin, danse avec lui, le repose et le regarde se vider de ce trop grand brassage. C’est une victoire lorsque le petit être vomit et chie à la fois. Plus loin dans l’enfance, Sara sera celle qui videra leurs tripes quand ils seront encore chauds de morts, alors que Sophie s’opposera qu’on tue ce qui a grandi l’été.


Dans la journée, elles s’enferment du soleil et font tourner la télévision autour des offres à écouter. Rien à se mettre sous la dent, à plastifier sur l’ennui des vacances. Sara arrête le marathon sur une émission de bouffe. Une femme cuisine un poulet, elle est en train de le farcir, la caméra suit en gros plan la main nue qui opère un va-et- vient dans le trou du petit oiseau. Les filles ressentent le même silence que dans la grange, du sang s’accumule dans leur vulve, leur bourdon rose enfle, la fascination ne soulève pas de questions, elle habite. L’aînée propose de jouer au petit poulet. À tour de rôle, elles cuisinent leur corps et se soumettent aux étapes de la recette. Sophie soulève les jambes de Sara et approche sa bouche de la fourche en jean de sa sœur. Elle utilise son nez pour rentrer la farce imaginaire. Sans délicatesse, sa main pousse vers le sexe. Elle prend une voix perchée de madame Châtelaine, un peu pincée et dépassé par l’ampleur du trou à remplir. L’émission de cuisine fini, les fillettes lassent, retournent courir avec le chien et surveiller les poules. L’âge adulte opacifiera leur amitié. L’une voudra rappeler ce souvenir à l’autre, mais sera la seule à découvrir son animalité.



le peuple animal

Les vers se mangent salés, comme ces os à moëlle qui rampent en salivant le long du nerf optique, ces récompenses étranges et chronostratigraphiques dont on ne voudrait pas et finissent par nous enfermer dans des sortes de destins mous et opaques… Curieuse la manière dont ils prennent alors possession de nous ces monstres avides de chairs, lesquels nous feraient parcourir des kilomètres dans une frénésie haletante, hors de toute rationalité, nous pousseraient, en un coup de rein fabuleux qui serait à lui seul une éloquente synthèse entre le corps et l’âme, hors de notre sphère d’influence, juste parce que cela aura été inscrit quelque part dans les ondes moites de leur mémoire amniotique.


Peut-être faudrait-il les accueillir comme on le ferait d’un super lot de consolation (de requins-marteaux ?) en provenance d’une chaine de grande distribution, ou d’un don du ciel. Nous épargneraient-ils ces soirées ennuyeuses passées à attendre en vain l’appel d’une amie, morte sans que nous en ayons eu la moindre connaissance. Amie qui nous aurait demandé, la veille, de lui acheter du miel de Rhodes, pour mieux se défendre de ces attaques nocturnes dont elle se croirait la victime. Tout ça parce qu’elle aurait décidé, un matin où elle chevauchait son amant, nue et fière, et s’apprêtait, d’un coup de mâchoires, à lui déchiqueter la nuque, de tomber le masque de la Civilisation et révéler au Monde sa sale et odieuse animalité ! Se mettraientils aussi en quête d’un temps on ne peut plus réglo ouvert à toutes sortes de folies.


Traverseraient-ils l’Atlantique à la vitesse d’un pygargue, pour vérifier si les Kerouac et autres Brautigan avaient toujours droit de cité au pays des coyotes. Ou si la Révolution française, et son idée d’une littérature réaliste coupée du monde de l’aristocratie et de ses célèbres « salons », façon Récamier, avaient toujours aussi bonne presse dans l’esprit de ceux qui font la littérature d’aujourd’hui. Et si ces derniers l’alimentent encore selon leur propre « tempérament », ainsi que l’avait souhaité, en son temps, une certaine madame de Staël, sensible à l’idée non dépourvue de bon sens que nous, autrement dit le Peuple animal, étions perfectibles !



autant en emporte


Ne crains pas le râteau, l’encourage la méduse embrasse-moi embrasse-moi jusqu’à m’user jusqu’à m’élimer en désarroi de flaque d’eau ne crains pas les boutons ne crains pas les plaques rouges ne crains pas la guimauve translucide le flasque qui flagelle fourre mon chapeau de dentelle prends plaisir sourd éjacule entre mes tentacules je partirai avec la prochaine marrée une petite suffira il te restera un souvenir trouble une gueule de bois de plaisir soluble qui peut ah!

qui peut? en dire autant...




le mur de la terre Poursuivre son chemin près du canal, enjamber l’écluse rouge et le pont sur la rive couverte de blé. Jaune vert sous le soleil implacable. Les sauterelles jaillissent à chaque pas, d’un saut courbe elles s’écartent par les pousses et les pierres au bord du champ. Etendue fauve verte sous le soleil. Une sauterelle finit dans une toile d’araignée, elle ne peut se débattre, transformée en cocon, immobilisée par l’épeire diadème. Garde-manger. Les grillons scandent Midi sur des hectares. Poursuivre son périple vers la forêt de chênes, des postes de chasse se dévoilent proches, mélange de planches de branches séchées, abandonnés aux ronces, aux étreintes des corps, aux rêves clandestins, herbes empreintes de courbes, de volutes, photogrammes ouverts. Un chandail gît sur place, couvert de poils, souvent le poste devient refuge terrier pour la faune. Dans le haut des abris passe une ombre légère, bipède / quadrupède, sous les buissons, les fougères. Approcher du bord de la forêt, respirer et souffler, l’odeur de moisi et d’écorce augmente, tenace. A ses pieds


une chienne épagneul couchée sur le flanc, elle respire lentement sans relever la tête, garde les yeux clos, sa robe blanche caramel, souillée de sang. Se déplacer à gauche, constater une large plaie dans le flanc où grouille la vermine qui simule. Elle respire morte, il respire mort. Chevrotines cartouches rouges, morte par mépris, mort par mépris, ils se retrouvent unis dans la lumière crue de l’après-midi. Elle respire morte rien change, il respire mort rien change, putréfaction oblique plaie au flanc, plaie invisible à la tête. Emporter la chienne sur ses épaules, au plus profond de la forêt vers les grandes crevasses, un aven noir et blanc couvert de mousse ; y choisir une faille aux bords lisses obscurs ; y glisser la belle dépouille blanche caramel doucement, disparition sans bruit amortie par la terre des bords vers le fond, murmurer quelques mots vers la faille, en glisse douce, avec précaution, avant de disparaître amortis par le mur de la terre.


Appel à auteurs Appel à auteurs Appel à auteurs Appel à auteurs

Si tu sens que tu dois prendre la route, si tu sens que tu dois dépasser ta zone, si tu sens que ton personnage veut s’échapper, si tu sens son poing dans ta face, si tu veux chahuter des lecteurs, si t’as des choses à dire, des histoires à raconter, si t’as besoin d’un abri, envoie tes écrits :

hazardzone.editions@gmail.com


textes courts sous toutes leurs formes fictions sous toutes leurs formes

francophones

criés, expulsés, aboyés, soufflés, incisifs, noirs

silencieux


à vol d’oiseau Je suis la tribu entière écartelée dans les blessures de la voie ferrée dans les traînées addictives du kérosène qui dessinent une piste du sang bafoué tu m’as vu derrière les grilles au fond de la ville dans les circuits clos des animaux déportés quand je lance un appel vers tout ce que j’ai dû laisser quand mes poignets liés se dirigent vers ma terre mes deux ombres se répondent à même le ciel c’est ainsi que font les invisibles les miens ceux qui ont froid de tout qui ne sont pas sur les cartes ni sur les fenêtres mortes absents des registres alors un soir naissent des feux modestes les montagnes de là-bas sont reconstruites presque clandestinement et les cellules du souvenir, pudiquement posent des chants sur les coups que chaque jour ici passé porte à l’horizon


héritage Tandis que des figurines indolores sur les hauteurs prennent doucement la place des ombres ils glissent clapot noir, inquiet le soir se dépose comme une longue plainte animale les heures les saisons ramassées en félin trouble et personne pour répondre au long du défilé ils passent je reconnais nos vieilles cicatrices tout ce que l’on a jeté à l’eau déjà cousu sur eux ils ont accès au naufrage assaillis, constellés du sang que nous avons connu chaud, ce sang devenu terre où les racines étouffent ils glissent ils fondent bientôt l’absence de signe en héritage


ZONE HASARDEUSE D ’A N T I C I P A T I O N


les coffres de l’oubli Des soubresauts parfois mais de moins en moins souvent. Des tentatives d’évasion qui avortent toujours. Parce qu’il y a toujours quelqu’un pour rabattre le couvercle. Ici, on ne veut pas entendre de rire. Ici, on ne veut que de la résignation. Une résignation silencieuse et calme. C’est l’heure de l’acceptation et du renoncement. Le désespoir c’est encore trop romantique. Nions ceux qui le connaissent, ils finiront par ne plus y croire. Il n’y a rien d’autre à vivre que bouffe et chierie. Tous les jours les mauvaises herbes croissent et soulèvent le couvercle. Nous, les arracheurs, les arrachons. C’est notre principale activité. Arracher les herbes pour que le couvercle reste clos. Ces herbes puent et sont têtues. Nous haïssons les herbes qui croissent n’importe où et n’importe comment. Elles bousculent sans cesse notre contenant et les perturbations sont mauvaises pour notre lente transformation. Elles sont responsables des interstices d’où fuse la couleur. Ces couleurs éclatantes qui


déchirent nos paupières et nous réchauffent. Nous n’en voulons pas. C’est sans illusions que nous voulons changer ce monde. Que se passerait-il si la lumière et l’ombre nous ensorcelaient ? Nous ne pourrions plus vivre autrement qu’assoiffés de ces jeux. Et ce serait alors l’heure du respect pour un extérieur qui ment. Qui ment sans cesse. Sur ses intentions, sur sa réalité. Nous n’avons pas exterminé les chants pour succomber à notre tour. La nature n’a rien à nous offrir. Nous sommes venus au monde malgré nous et maintenant nous attendons que la transformation nous consume. Cette nature nous avilie sans cesse. Nous devons vivre loin d’elle, la nier, la détruire. Elle nous humilie par sa luxuriance, elle nous heurte par ses synesthésies. Odeur, goût, sons, toucher... que de sens elle réveille, des sens que nous ne voulons pas développer. Nous aspirons à être rouage sans état d’âme. Parfois nos dents grincent en cœur, c’est beau comme une machine mal huilée. Nous rêvons alors au moment venu, celui de l’acier remplaçant os et nerfs. Nos descendants seront les premiers êtres-


machines. Os et peau d’acier. Nous pourrons alors vivre sans besoin et détruire la Terre. Rien ne la sauvera. Elle s’est imposée à nous, sans crier gare. Nous lui ferons rendre gorge. Plus aucune herbe ne poussera, plus aucune bête ne vivra. Nous serons seuls, roi parmi les rois et nous pourrons construire des monuments à notre gloire. En attendant, notre chair doit mourir. Mais que l’agonie est lente et douloureuse. Pas de plainte, pas de plainte. Ne succombons pas au charme de la plainte. Elle ralenti la transformation. Nous devons nourrir la Génitrice, cette Génitrice qui règne au centre du cube et qui met bas à un rythme de métronome. Son ventre gonfle. Mais pas que son ventre. Son sexe aussi. Et nous devons la pénétrer tour à tour, chaque jour, pour l’engrosser. Les nouveaux venus sont aveugles et glabres et leurs petites dents et leurs petites griffes lacèrent joyeusement. Ils creusent dès les premières heures de la naissance. Ils ne pensent qu’à ça. Ce monde est presque parfait. Arracheurs, remplisseurs, creuseurs... Certains d’entre nous ont en charge la nourriture, une bouillie qui fermente non loin de notre contenant et que les alimentateurs


collectent avec soin. *** Un jeune sot a creusé au-delà des limites de notre territoire et a détruit le mur d’isolation. Des années d’efforts pour se protéger de l’extérieur, des années d’efforts détruites en un instant. Ce jeune sot aura les pattes coupées. Sa faute est trop grave. Nous sommes à présent en danger. N’importe quel animal, n’importe quelle plante peut pénétrer dans notre contenant et nous exterminer. Nous devons reconstruire le mur le plus rapidement possible. Les constructeurs doivent sortir pour trouver les matériaux de construction. Ils sont accompagnés des combattants qui ont les dents bien acérées et sont prêts à bondir et déchiqueter. Tant que notre transformation ne sera pas totale, nous serons faibles. Cette nature s’est bien moquée de nous. Une intelligence telle que la nôtre prisonnière dans un corps de chair et de sang ! La nature est cruelle. Elle est un enfant capricieux et sauvage qui méprise sa propre création. Elle est irrationnelle et injuste. Nous ne voulons plus que sa folie nous tourmente. Comment ? Ne pas pouvoir naître sans


mourir ? Mais quelle est donc cette farce ? Et ignorer l’origine et la destination ? Non, nous sommes en guerre contre celle qui nous rit sans cesse au nez, qui se gausse de nos peurs et de nos faiblesses, qui méprise nos tentatives de fonctionnement et de mise en ordre du monde. Les constructeurs tardent. Nous sommes tremblants, scrutant avec horreur le trou. Une gueule de ver s’approche. Minuscule et pourtant si dangereux pour notre avenir ! L’un des combattants se rue sur la bête et la décapite. Nous avons peur. Chaque seconde est une éternité. Une fourmi tente de pénétrer notre terrier mais les combattants veillent. Ils sont forts et courageux, seule leur manque l’immortalité. Un animal plus gros s’approche, « une taupe » murmure un alimentateur. C’est donc cela une taupe ? Quelle laideur ! Ce museau rose sortant d’un amas de poils noirs. Seules ses pattes, si semblables aux nôtres, sont dignes d’admiration. Mais elle avance vite dans la galerie, elle semble se ruer vers nous. Nous reculons d’effroi. Les combattants, comme à leur habitude, la démembrent en quelques secondes. Comme cet incident nous presse


de devenir autre ! Quand donc naîtra le premier être au visage d’acier ? Les constructeurs sont enfin de retour. Ils semblent affolés et s’empressent de mettre en place les maçonneries qu’ils ont récupérées en surface. Nous sommes tous attentifs et impatients. Comment est le monde extérieur depuis notre exil ? Tous les mâles sont réunis dans la grande galerie pour entendre le grand Transmetteur. Les constructeurs lui ont dit tout ce qu’ils avaient vu : « Les grandes machines de fer autrefois dirigées par nos ancêtres sont l’habitat de nouvelles créatures. La difficulté à voir en pleine lumière ne leur permet pas d’en donner une description précise mais elles sont beaucoup plus grandes que nous et se tiennent sur leurs pattes arrières. Elles recyclent nos vieux matériaux pour construire des statues effrayantes. » D’où viennentelles ? Lorsque nous avons quitté le monde de la surface nous étions les seuls êtres doués d’intelligence. Jusqu’à l’explosion d’une des mines, malmenées par nos machines... son souffle contamina toutes les espèces et nos proches moururent les uns après les autres


dans d’atroces souffrances. Les survivants quittèrent la surface et jurèrent de se venger de cette nature traître et versatile. D’où viennent donc ces nouvelles créatures ? Sontelles de chair et de sang ? Oui, elles saignent. L’un des constructeur en a mordu une. Elle l’a abattu d’un coup de patte avant. Ils sont donc de chair mais ils sont plus forts que nous. Ils s’approchent et un jour ils soulèveront le couvercle. Serons-nous encore si faibles ? Nous nous ruons vers la soupe noirâtre. La transformation doit être plus rapide ! Il nous faut détruire l’envahisseur avant qu’il n’ouvre tous les coffres de l’oubli ! »


«tout peut crier» P.P.


crédits Logo Hazard Zone : Hartdesign Collage couverture : I Colle Nano Texte quatrième : Clémence Gachot-Coniglio Illustration édito : Antonin Gagnant Illustrations int. : Guillaume Pithon & Lucille Soulet Auteurs par ordre d’apparition : Jimmy Fortier Oslo Deauville Camille Gagnant Cathy Garcia Canalès Sandrine Davin Clémence Gachot-Coniglio Paul Carenco Edouard Velin Kaz Kamano Julien Boutreux Geneviève Michaud Jérôme Bertin Philippe Sarr Thomas Pourchayre Paul Manassero Gabriel Henry Ana Minski Impression : comme on peut tavu Contact : hazardzone.editions@gmail.com https://www.facebook.com/pages/Hazard-Zone/835224186537846


« J ’a i m a n g é c a r n i v o r e la mélancolie, les poèmes, les fantômes.»


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