Veinticinco - Catálogo en francés

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Il peut paraître étrange de commencer ce message par le mot Merci, à 25 ans du pire attentat terroriste subi par l’Argentine. Cependant, nous ressentons le besoin profond d’exprimer notre reconnaissance à tous ceux qui, au cours de ce dernier quart de siècle, nous ont soutenus et accompagnés dans notre lutte sans relâche en faveur de la mémoire et notre réclamation de justice.

Argentine. Buenos Aires. Le 18 juillet 1994. Attentat terroriste à la AMIA, centre de la vie juive dans le pays. 85 morts. Plus de 300 blessés. 25 ans à la recherche de vérité et justice.

Lorsque le terrorisme international a frappé Buenos Aires pour la deuxième fois, le 18 juillet 1994, détruisant l’immeuble du siège de l’AMIA, faisant 85 morts et plus de 300 blessés, le monde entier a regardé ces images avec consternation mais en les percevant encore comme lointaines. Malheureusement, au fil du temps, d’innombrables villes ont souffert dans leurs propres rues ce même fléau du fanatisme qui continue d’accumuler chaque jour des victimes innocentes. VINGT-CINQ est une exposition de photos et d’histoires, d’images d’un des plus tragiques moments de notre passé et de témoins qui peuvent raconter l’horreur à la première personne. C’est une exposition de rencontres qui nous interpellent et nous invitent à réfléchir sur la nécessité d’engager nos meilleurs efforts pour construire un monde de paix. Cette exposition a déjà eu lieu au consulat argentin à New York, au CCK de Buenos Aires et arrive maintenant à l’ambassade argentine à Paris. Nous remercions profondément les autorités du Système Fédéral des Médias et des Contenus Publics pour leur soutien permanent et précieux à la réalisation de ce projet, l’artiste pour son regard exact, les professionnels de l’AMIA pour leurs idées et leur dévouement, mes collègues du conseil d’administration pour leur engagement quotidien, chacune des personnes qui apparaissent sur ces images, car leurs empreintes et leurs récits nous rappellent à chaque instant pour qui nous travaillons. Merci beaucoup à tous. Ariel Eichbaum Président de AMIA


Le 18 juillet 1994, une voiture piégée, bourrée d’explosifs, a détruit complètement le bâtiment de l’AMIA. Un attentat féroce qui a fait 85 morts et plus de 300 blessés. 25 ans plus tard, nous réclamons toujours justice.

C’est là qu’a commencé à prendre forme cette exposition intitulée “VINGT-CINQ”, et qui a constitué une véritable expérience pour tous les participants. En effet, les processus de création et de réalisation ont conféré une identité unique à ce projet.

Julio Menajovsky a été l’un des premiers reporters d’image à arriver sur les lieux. Ses photos ont d’abord parcouru les médias, puis se sont installées dans notre mémoire collective. Nous faisons appel à elles pour retrouver notre passé. Nous ne pouvons pas revenir aux événements, mais nous avons les images qui les représentent. C’est l’objet de la mémoire, ce chemin intemporel entre le passé et le présent qui nous fait honorer nos souvenirs.

Une fois que nous avons identifié les histoires que nous voulions raconter, et après un long travail de production, nous avons convoqué ceux qui les avaient vécues. Avant de commencer la session de prises de vues, il y a eu un moment de discussion, au cours duquel nous avons présenté brièvement le projet en général et la spécificité de la photo en particulier. C’était avant tout un moyen d’ouvrir un espace d’écoute. C’est peut-être là le moment le plus significatif de ce travail.

En ce sens, ces photographies sont la signalétique de l’inaltérable et un rempart contre le travail corrosif de l’oubli. Elles sont là, comme les ancres stoïques d’un instant, des échardes lacérant le corps d’une nation, car elles sont plus que le témoignage visuel d’une tragédie : elles sont la représentation vivante d’un acte impuni.

J’ai été témoin de la manière dont Julio, durant les entretiens, a intégré chaque mot, chaque souvenir, chaque douleur : il l’a fait à partir d’un profond silence, jusqu’à ce que lui-même s’est prêté au partage de ses propres expériences. Après une heure ou deux, vide de mots, il est passé à la prise de vue photographique. Julio pensait à un rectangle et accommodait en conséquence les regards : il a réussi à intégrer dans l’image tout ce qui avait été dit. Ce sont des indices symboliques et puissants de sa propre recherche, et la confirmation d’un art de la résistance, qui donne au silence l’intensité du cri.

Les images de Menajovsky ne sont pas dérangeantes, ni dures, ni douloureuses, ni accablantes ; ces adjectifs ne s’appliquent qu’au moment représenté. Par contre, elles incarnent l’horreur. Elles sont l’évidence visuelle qu’il ne voulait pas être là, pas plus qu’il n’était disposé à se mettre au service du spectaculaire. Sa présence n’était pas une opportunité professionnelle, mais une responsabilité, celle de laisser un témoignage. Par conséquent, ces photographies sont dépourvues du rôle de protagoniste de l’auteur. Seule la litanie de l’horreur les habite. Ces photos n’ont pas de date d’expiration, mais elles accumulent des dettes au fil du temps. C’est pourquoi, 25 ans plus tard, nous avons proposé à Julio de les mettre en dialogue avec d’autres images. Plus précisément, nous l’avons invité à faire des portraits en studio, des portraits parfaits et immaculés, qui montreraient une rencontre de personnes qui ont été concernées de différentes manières par l’attentat. Une excuse pour partager des histoires permettant de revenir sur des faits historiques et leurs conséquences sur le présent.

De la même manière que ces œuvres sont issues de rencontres lors des événements du 18 juillet 1994, elles symbolisent également une expérience chorale où chacun, d’un côté et de l’autre de la lunette, a été transformé. Les 38 images de Julio Menajovsky proposent un parcours de 25 ans et, loin de clore un chapitre, elles réaffirment le chemin parcouru : il n’y a pas de construction du présent sans l’exercice permanent de la mémoire, et la photographie est un instrument vital pour cette tâche. Elio Kapszuk Curateur


Rosa Barreiros I Paula Cernadas Sebastián Barreiros, le fils de Rosa, avait 5 ans lorsqu’il est décédé dans l’attentat, le même âge que Paula Cernadas qui vivait dans le bâtiment d’en face de l’AMIA mais qui, elle, a survécu.

En tenant son fils par la main, Rosa marchait vers l’Hôpital des Cliniques le matin du 18 juillet 1994. Sebastián était en dernière année d’école maternelle et jouait à « devine ce que je vois » sur le chemin des quatre cents mètres qui séparent la station de métro de l’hôpital, au moment de l’explosion. Ils furent projetés à plusieurs mètres par la déflagration ; ils se lâchèrent la main. Rosa se releva hébétée et le chercha désespérément jusqu’à le voir par terre. Elle voulut le soulever et n’y réussit pas ; elle sentait qu’elle n’avait plus de force. Un secouriste le prit dans ses bras et l’emmena à l’hôpital. « C’est la dernière fois que je l’ai vu », dit Rosa. Tout comme Sebastián, la plus jeune victime de l’attentat, Paula avait 5 ans en 1994. Elle vivait au septième étage d’un immeuble situé en face de l’AMIA. Elle dormait, car c’était la période des vacances d’hiver, et s’est réveillée avec l’explosion qui a cassé son lit au milieu. Le cri de sa mère, baignée de sang, la sortit de son état de choc et la supplia d’aller retrouver son frère, qui se trouvait dans la chambre voisine. Ensemble, les deux enfants – elle, 5 ans, et lui, 11 ans - sont descendus dans les escaliers et un groupe de pompiers les emmena à l’Hôpital des Cliniques. La mère de Paula a été retrouvée deux jours plus tard dans un autre hôpital. Personne ne pouvait la joindre car elle était inconsciente et sans aucune identification. Par la suite, elle a été hospitalisée pendant deux mois. Rosa, quant à elle, a subi plusieurs opérations pendant trois ans. Paula a grandi et vécu tout ce que Sebastián n’est pas arrivé à vivre. C’est une survivante et en elle - comme chez Rosa et chez tous ceux qui ont survécu - reposent les voix de ceux qui ne sont plus là. Quand elles se rencontrent pour la première fois, elles se tiennent la main et perdent leurs peurs. Elles ne peuvent pas expliquer ce qu’elles ressentent. « Quelque chose de magique », disent-elles.


Teresa Said I Marcelo Corvalan Lorsqu’il préparait son hommage aux victimes de l’AMIA, Marcelo Corvalan - un musicien du groupe Carajo - apprit qu’il avait partagé quelques années de collège avec l’une d’entre elles. Elle s’appelait Marisa Said. Il était tellement ému qu’il a composé une chanson pour elle. Sur cette photo il rencontre sa mère, Teresa. Les coïncidences n’existent pas. En 2016, l’AMIA a réalisé une vidéo à partir de la chanson « La mémoire », de León Gieco, en hommage aux victimes de l’attentat. Une centaine de musiciens y ont participé. Parmi eux se trouvait Marcelo Corvalan, ne sachant pas ce qui l’attendait. La vidéo est rapidement devenue virale. « Je ne pense pas que Marcelo soit au courant du destin de notre camarade », a déclaré quelqu’un sur Facebook. En effet, Marisa Said avait été sa camarade pendant un peu moins de deux ans. Il n’avait jamais repris contact avec elle. Quand Marcelo apprit cela, son image lui est revenue aussitôt à la mémoire. Marcelo était un peu rebelle et a changé de collège plusieurs fois. Il a suivi une partie de la sixième et de la cinquième dans un collège du quartier portègne de Villa Crespo. « J’étais le nouveau, j’étais plus timide », se souvient-il. C’est Marisa qui lui a ouvert les portes du groupe. « Elle était très gentille et une très bonne camarade », ajoute-t-il. En apprenant cela, Teresa fouilla dans les affaires de sa fille et trouva une photo : le voyage de fin d’études à Córdoba. Il y avait Marisa, Marcelo et plusieurs autres garçons. Au dos de la photo, Marisa avait écrit à la main : « Avec mes meilleurs amis ». Plus tard, on l’avait surnommé « le sourire de l’AMIA ». C’était l’hôtesse de l’établissement. Elle étudiait les sciences de l’éducation à l’Université de Buenos Aires et avait 22 ans. Profondément ému, Marcelo a composé une chanson à sa mémoire et en a fait cadeau par la suite à Teresa.



Mijal Tenenbaum Son père, Javier Tenenbaum, est décédé au moment de l’attentat à l’AMIA alors que sa fille Mijal n’avait que trois mois de vie. Le livre qu’elle tient entre ses mains était à lui. Il représente les différentes traces que Mijal découvre au fil du temps pour reconstruire l’histoire et les valeurs de son père.

Javier avait 30 ans lorsqu’il est décédé. Il était avocat et enseignant. Il était en train de faire une démarche auprès de l’AMIA quand il est devenu victime du plus grand attentat terroriste que la société argentine ait subi. « Ne l’avoir pas connu est un fardeau que je porte tous les jours avec moi », avoue sa fille Mijal. Elle avait à peine trois mois lorsqu’elle a perdu son père. Progressivement, elle a pu découvrir qui il était, ses idées, ses rêves. Un jour, quelqu’un l’a contactée sur Facebook pour lui offrir quelque chose qui allait l’intéresser : un dictionnaire d’araméen qui, sur la première page, portait le nom de son père en hébreu, écrit par lui-même. Javier avait prêté ce livre à sa professeure quand ils étudiaient ensemble. L’ouvrage allait atterrir dans une bibliothèque quelconque car cette enseignante était sur le point de prendre sa retraite et elle voulait distribuer les livres qu’elle avait. Mais quelqu’un de son entourage a compris qu’il serait beaucoup mieux entre les mains de Mijal. « Ce 18 juillet n’a pas seulement emporté la vie de mon père. Il a emporté la possibilité de nous connaître », avoue-t-elle. « Retrouver ce livre m’a montré que je vais passer ma vie à le découvrir. Je devrai remettre en place les pièces de ce puzzle pour tenter de reconstruire son image du mieux que je pourrai », reconnaît-elle.


Tamara Bursuck de Scher I Marta Goldfarb Elles travaillaient ensemble à l’AMIA. Tamara Bursuck de Scher et Marta Goldfarb sont des survivantes de l’attentat. À partir de cette tragédie, elles ont tissé des liens et sont aujourd’hui de grandes amies. “La mort nous a épargnées et c’est la vie qui nous unit aujourd’hui “, disent-elles.

Par cette matinée froide et nuageuse de 1994, Tamara était arrivée en courant à l’AMIA car elle était en retard. Elle était au premier étage et une camarade du quatrième l’avait invitée à prendre un café. Elle se dirigeait vers les escaliers quand son téléphone sonna. C’était Alberto Crupnicoff, alors président de l’AMIA. Il lui demandait d’écrire une lettre urgente. C’est au moment où elle écrivait que l’attentat s’est produit et que les étages supérieurs ont commencé à s’écrouler. De son côté, ce jour-là, Marta était entrée à l’AMIA avec le sourire aux lèvres. La semaine précédente elle était encore en vacances et la journée de rentrée se présentait comme une sorte de retrouvailles avec ses collègues. Elle a salué tout le monde et a regagné le deuxième étage. Lorsqu’elle a entendu l’explosion, elle s’est glissée sous le bureau. Elle a attendu là longtemps avant de sortir dans une cour arrière. « J’ai levé les yeux et le bâtiment n’était plus là. Il n’y avait que le ciel, c’était très impressionnant », raconte-t-elle. Quelque temps après, Tamara reprit son poste à l’AMIA et y travailla jusqu’à sa retraite. « Être une survivante, c’est vivre avec une douleur permanente et le souvenir des personnes aimées qui ne sont plus là », déclare Marta. À partir de cette angoisse partagée, elles sont aujourd’hui de grandes amies. À chaque rencontre, elles s’embrassent et restent plusieurs secondes comme cela, dans les bras l’une de l’autre. « Les années que nous avons devant nous sont un cadeau », conclut Tamara.



Ana María Blugerman Czyzewski | Gustavo et Ángel Antúnez Ana María est la mère de Paola Czyzewski qui avait 21 ans à son décès lors de l’attentat de l’AMIA. Elle était dans l’un des ascenseurs du bâtiment : elle descendait chercher un café que lui apportait Jorge Antúnez, 18 ans, qui travaillait comme serveur dans le bar du coin. Gustavo et Ángel Antúnez étaient les oncles de Jorge, la seule famille qu’il avait à Buenos Aires. « Paola avait commandé un café, bien qu’elle n’en buvait pas », déclare Ana María Blugerman de Czyzewski, qui travaillait comme auditrice à l’AMIA. Le jour de l’attentat, Paola était là par hasard : elle était venue accompagner sa mère. Un jour normal, elle serait allée au cabinet comptable de ses parents ou aurait assisté à ses premiers cours de droit. Elle allait chercher sa commande quand elle rencontra la mort. Ana María était au premier étage de l’AMIA lorsque la tragédie s’est produite. Cette partie du bâtiment ne s’est pas effondrée. En plus d’être parent d’une victime décédée, elle est une survivante. Celui qui apportait le café était Jorge Antúnez. Il était venu de la province de San Juan pour vivre à Buenos Aires. Il avait 18 ans et travaillait comme serveur. Il vivait avec Gustavo et Ángel, ses oncles. Il était très responsable et suivait des cours du soir dans un lycée. Jorge fut recherché pendant une semaine. « On nous donnait des informations erronées », déclare Gustavo ; des personnes mal intentionnées nous ont appelés en disant que Jorge était chez eux, ou qu’ils l’avaient vu errer en ville. Cela est arrivé à de nombreuses familles de victimes. » Il y a quelque temps, Ana María s’est rendue à San Juan et a rencontré la grand-mère de Jorge. À ce moment-là, les parcours de Jorge et de Paola se sont croisés de nouveau. Les deux sont le reflet de ceux qui continuent à réclamer justice et qui refusent de tout enterrer dans l’oubli.


Mirta Satz I Agustina Galarraga Mirta Satz travaillait à l’AMIA au moment de l’explosion : c’est l’une des survivantes. Agustina Galarraga a perdu son oncle dans l’attentat à l’âge de 12 ans. Leur lien dépasse le moment de la tragédie : elles ont toutes deux trouvé dans l’art un moyen d’exprimer de manière authentique ce qui leur est arrivé. Mirta travaillait au deuxième étage de l’immeuble. Dès qu’elle comprit le danger, elle se mit à courir alors que tout s’effondrait. Elle réussit à atteindre la terrasse et vit une scène choquante : « Les hélicoptères nous survolaient. Les bâtiments écroulés ressemblaient à un château de cartes. Les gens criaient désespérément. » Guillermo Galarraga avait une imprimerie devant le bâtiment de l’AMIA. Agustina, sa nièce, avait 12 ans et se souvient encore de ce matin-là : les images à la télévision, le désespoir inondant sa maison de façon inattendue. Leurs histoires ne sont pas unies que par la tragédie, mais aussi par le chemin qu’elles ont emprunté toutes deux pour canaliser leur tristesse, renforcer la mémoire et réfléchir à ce qui s’est passé : l’art. « L’art a toujours fait partie de ma vie », dit Mirta. Enfant, elle jouait de la guitare, elle écrivait, elle dessinait, elle lisait. Après l’attaque, elle s’est attachée au dessin, à la peinture, à l’écriture et à la musique. À un moment donné, elle décida de s’y consacrer exclusivement et créa la Inclán School of Art. « Nous sommes toutes les deux sur le même chemin : la recherche de la beauté. Parfois l’expression de la douleur et de la beauté vont de pair », explique Mirta. Agustina était à l’Université des arts lorsqu’elle a décidé de travailler sur la mémoire. Elle a réalisé de nombreuses installations. « Au début, c’était un moyen de catharsis, puis j’ai pris cela comme un moyen de rendre évidente la réclamation de justice et de ne pas oublier ce qui s’est passé”, conclut-elle.



Martín Cano I Fernando Souto Lorsque la bombe a explosé, Martín Cano était dans le sous-sol du bâtiment. Il est resté coincé sous les décombres pendant 12 heures sans pouvoir bouger. Fernando a été l’un des pompiers qui l’a soutenu, lui a donné de la force et a finalement réussi à le sauver.

Martin avait 20 ans en 1994. Lorsqu’il s’est réveillé, ce matin-là, il faisait encore nuit. Après deux heures de voyage, il est arrivé à l’AMIA où il travaillait comme serveur. Il avait déjà distribué des cafés partout dans le bâtiment avec Jacobo «Cacho» Chemauel, âgé de 56 ans. Puis il s’était rendu au sous-sol pour laver les tasses, là où fonctionnait une cuisine provisoire pour réaménagement. C’est à ce moment-là que l’attentat a eu lieu. Il a été pris dans les décombres, tout comme son camarade Cacho. Il ne pouvait bouger qu’une main avec laquelle il essayait de se couvrir comme il pouvait. « Il faisait noir et très froid », se souvient-il. Immobile et au bord de la suffocation, il ne lui restait plus qu’à attendre. Des heures et des heures de désespoir jusqu’à ce qu’il a entendu une voix au loin : un pompier qui venait le secourir. Fernando, le chef du groupe de secours, se souvient de deux moments critiques. Le premier, lorsque le sous-sol s’est rempli d’eau et que Martin a failli mourir noyé. La seconde, lorsque la partie externe a commencé à s’effondrer et que les pompiers ont dû partir. Ils lui ont laissé une lampe de poche et lui ont promis de revenir. À ce moment-là, Martin pensa que tout était fini. Cacho lui disait de ne pas lâcher et de penser à sa famille. Cela faisait trois mois que Martin était devenu père. Et quand il croyait que tout était perdu, la voix de Fernando transperça à nouveau l’obscurité. Comme on ne pouvait rien voir, il s’agissait pour Martin d’une voix sans visage, mais il essayait de s’y accrocher, d’éviter de se laisser vaincre. Finalement, après 12 heures d’enfermement, ils ont réussi à le sauver. Et il survécut. Cacho par contre n’a pas eu la même chance : il est décédé trois jours plus tard dans un pavillon de l’Hôpital des Cliniques. Martin est allé de l’avant. « Parfois, on me demande comment je fais pour aller si bien », dit-il en montrant sa main, avec laquelle il avait essayé de se couvrir quand les murs s’écroulaient et avec laquelle il indique aujourd’hui le nombre de ses enfants : cinq, et quatre petits-enfants.


Ester Szwarc | Silvia Cryan | Débora Wolosky | Leandro Castiglioni | Demián Szmulewicz | Yael Szmulewicz | Diego Rybka | Solange Bonfil | Sheila Loy Lors de l’attentat, des centaines de milliers de livres, documents et dossiers originaux sont restés sous les décombres. Ester Szwarc a spontanément mis en place un réseau de volontaires - 800 jeunes au total y ont participé - pour récupérer tout ce matériel historique : ils ont sauvé 60 000 volumes.

Au sein de l’AMIA, le patrimoine culturel était immense. Aux troisième et quatrième étages fonctionnait la Fondation IWO qui abritait une grande variété de textes, dont certains dans leur version originale, ainsi que des collections d’art, des disques et des peintures. Avec l’attentat, tout cela a failli se perdre sous les décombres. Ester Szwarc était enseignante et travaillait à l’IWO. Quand elle a vu à la télévision les livres sous les ruines, elle a décidé de sauver le plus possible d’ouvrages. Mais elle ne pouvait pas le faire seule et fit donc appel à ses étudiants : « Je leur ai passé des coups de fil et leur ai dit : les gars, j’ai besoin de vous. » Elle a mis en place un réseau de volontaires d’entre 15 et 20 ans qui s’est très vite élargi. Chaque jour, pendant de longues journées de travail, ils allaient aider à récupérer le matériel enseveli, à le stocker et à le classer: « Ce que nous avons sorti en premier, c’était un rouleau de la Torah. » Esther se souvient de la volonté de chacun de ces 800 jeunes. Malgré le froid et la nuit, ils étaient là pour donner un coup de main. Et aujourd’hui, à nouveau ensemble pour cette photo, ils peuvent prendre conscience de l’importance de leur tâche face à la tragédie. « Ce n’était pas pour nous, c’était pour les générations futures. Pour la mémoire du passé, la conscience du présent et l’espoir du futur », conclut Esther.



Florentino Sanguinetti | Alberto Crescenti Au moment de l’attentat, Florentino Sanguinetti dirigeait l’Hôpital des Cliniques et Alberto Crescenti était à la tête du système d’aide médicale d’urgence (SAMU). Ensemble, ils représentent la meilleure expression de solidarité de la société face à la tragédie. Cet événement les marquerait tous les deux pour le reste de leurs vies personnelles et professionnelles. Florentino Sanguinetti a entendu l’explosion car il se trouvait sur son lieu de travail, à quelques rues de l’AMIA. La caravane de blessés a commencé à arriver immédiatement, transportée non seulement sur des brancards, mais également sur des portes, des fenêtres et des planches. Il a donné l’ordre d’ouvrir toutes les entrées de l’Hôpital des Cliniques et de suspendre les tâches programmées qui n’avaient pas encore commencé. À partir de ce moment-là, il se rendait toutes les heures dans la Grande Salle pour faire un rapport sur la situation générale ainsi que sur l’état et la place des patients. De son côté, Alberto Crescenti a été le responsable d’émettre le signal d’alerte rouge afin que toutes les ambulances se rendent sur place, ainsi que l’ensemble du personnel du SAMU - d’astreinte ou non - et que chaque hôpital rende au moins cinquante lits disponibles. Quand il est arrivé sur les lieux, il ne pouvait pas croire ce qui se passait: « J’ai perdu la notion de l’espace car je voyais des décombres et des blessés là où se trouvait quelques heures auparavant un bâtiment. » Parmi les patients admis, beaucoup ont dû être opérés. D’autres n’ont pas survécu. « J’avais dans mes bras ce garçon qui est mort, Sebastián Barreiros, âgé de cinq ans ; c’est quelque chose d’insupportable, qui dépasse toute possibilité de compréhension », se souvient Sanguinetti. Les deux représentent la capacité professionnelle et l’engagement humanitaire de dizaines d’agents de la santé qui se sont inlassablement consacrés à la mission de sauver des vies. Ils sont en quelque sorte le visage de tout ce que le terrorisme n’a pas pu détruire.


Lily Epelbaum Izcovich I Gaston, Gabriel et Matías Ritter La mère de Gaston, Gabriel et Matías Ritter est morte dans l’attentat. Lily Epelbaum Izcovich a estimé qu’elle ne pouvait pas les laisser seuls. Elle les accompagnés et aidés pendant les premiers temps. Ensemble, ils ont développé un lien d’amour et de famille.

Lily Epelbaum Izcovich est arrivée à l’AMIA à la recherche désespérée d’Anita, sa soeur, qui travaillait là et qui a été sauvée parce qu’elle se trouvait à l’arrière du bâtiment. Mirta Strier avait 42 ans et travaillait à l’AMIA, au centre de documentation et d’information sur le judaïsme argentin. Elle avait trois enfants - Gaston, 16 ans, Gabriel, 17 ans et Matías, 11 ans - qu’elle élevait toute seule parce que son ex-mari les avait abandonnés. Elle est morte dans l’attentat. Ils l’ont retrouvée une semaine plus tard sous les décombres. Lily connaissait Mirta et les deux parlaient souvent ensemble car elles avaient quelque chose en commun : trois enfants d’âges similaires. En apprenant la situation, elle fut très émue et quelque chose en elle s’éveilla. Presque comme s’il s’agissait de ses propres enfants, elle les aida dans tout ce qui était à sa portée. Elle s’occupa de leur trouver un psychologue pour les accompagner et les soutenir. Toutes les semaines elle prenait le soin d’aller les chercher en taxi et de les accompagner au cabinet. Elle les attendait puis les ramenait à la maison. Ensuite, ils passaient les samedis ensemble : ils déjeunaient, ils jouaient avec les enfants de Lily, ils allaient ensemble au parc, parfois au cinéma. « Cela nous a aidé à échapper à la folie. Un beau lien s’est créé », déclare Gaston, qui est aujourd’hui psychologue, comme Lily. « C’est quelque chose qu’on ne peut pas oublier », dit-elle. Les quatre protagonistes de cette histoire ne peuvent s’empêcher d’être émus par cette rencontre. C’est la preuve absolue que l’amour et la solidarité ne disparaissent jamais, même dans les moments les plus tragiques.



Dora Band | Adrián Furman Dora Band et Adrián Furman se trouvaient à travailler dans le bâtiment de l’AMIA au moment de l’attentat. Ils ont réussi à survivre sous les décombres mais ils ont tous les deux perdu deux personnes chères: Dora, son mari Naum qui était à la surveillance; et Adrián, son frère Fabián qui travaillait au service des funérailles.

« Nous nous sommes regardés et nous nous sommes compris », disent-ils. Dora et Adrián se connaissent depuis longtemps. « Il y a un lien dans la tragédie », disent-ils. La douleur les unit. Une douleur très intense non seulement parce qu’ils ont survécu, mais aussi à cause d’une absence indélébile depuis ce matin de juillet 1994. Adrián a perdu son frère Fabián. Quelques minutes avant 9h53, ils avaient partagé un café dans le secteur du bâtiment où travaillait Fabián. Cela ne faisait pas longtemps qu’il s’était marié, il avait 30 ans et conduisait un taxi aux heures où il n’était pas à l’AMIA. Dora, son mari lui manque tous les jours. Naum travaillait dans le secteur surveillance et ses collègues disent qu’il avait toujours du maté prêt à partager. Il est mort à 55 ans. Dora a été sauvée et a continué de travailler jusqu’à sa retraite à l’AMIA, l’endroit qu’elle considérait comme sa deuxième maison. L’attaque terroriste leur a enlevé deux êtres chers et un beau groupe d’amis qu’ils avaient en commun. « Nous vivons la même chose. Nous n’avons même pas besoin de parler, il suffit de se regarder dans les yeux », explique Adrián. « Nous vivons beaucoup de choses impossibles à oublier. Adrián est un garçon que j’aime beaucoup », dit Dora.


Ramón Pared I Miguel Rausch Ramón Pared et Miguel Rausch travaillaient à l’AMIA en 1994 - l’un dans le secteur sécurité, l’autre dans le secteur des achats -, mais pour des raisons différentes, les deux ont été absents à leur travail ce matin tragique du 18 juillet.

S’ils n’avaient pas été absents au travail ce jour-là, ils auraient été à l’AMIA au moment de l’attentat. Ramón travaillait à la sécurité du bâtiment. Son horaire était de 14hs à 22hs, mais ce jour-là, il avait changé son planning et ne devait se rendre au travail que le lendemain matin pour remplacer un collègue qui partait en vacances. Quand il s’est réveillé, il s’est senti très fatigué, plus que d’habitude, et a décidé de ne pas y aller. Il a dit à sa femme: “Je ne serai ni plus riche ni plus pauvre si je m’absente une fois.” Ramón croit que c’est le destin, mais ensuite il réfléchit tristement : « J’ai eu la vie sauve mais pas mes camarades. » Aujourd’hui, il continue de travailler à l’AMIA. En cette matinée fatale, Miguel avait 25 ans et il travaillait comme coursier au service des achats. La veille au soir, il avait rencontré des amis de l’école qu’il n’avait pas vus depuis longtemps. « Demain je n’irai pas travailler », avait-il plaisanté. En fait, ce jour-là il y avait un audit. « Ça allait être un cauchemar », se souvient-il. Il était encore un peu endormi lorsqu’il a dit à son frère qui l’avait réveillé, que finalement il n’irait pas travailler. « Plus tard, quand je me suis réveillé de nouveau, l’explosion avait déjà eu lieu », dit-il. Ramón et Miguel ressentent une sorte de chance partagée. « Cela a été très bouleversant », déclarent-ils lors des retrouvailles. Pour une raison impossible à expliquer par des mots, ils ont été sauvés.



Sofía Guterman I Sergio Knorpel Sofia Guterman a perdu sa fille Andrea dans l’attentat. Sergio Knorpel, son père Léon. Au milieu de la désolation et de la tristesse, ils se sont unis, se sont soutenus et ont formé un lien solidaire qui dure encore.

« C’est toujours très émouvant de se revoir », disent Sofia et Sergio, les protagonistes de deux histoires qui se sont nouées à partir d’une douleur commune. La fille de Sofia s’appelait Andrea et avait 28 ans lorsque l’attentat terroriste a mis fin à ses jours. Elle était institutrice de maternelle dans une crèche d’une entreprise publique qui, une fois privatisée, l’a laissée sans travail. Ce lundi-là, elle attendait dans les bureaux du secteur emploi de l’AMIA, tout comme Léon, le père de Sergio. « Nous nous sommes retrouvés à tourner en rond dans la morgue à la recherche de nouvelles », explique Sergio. Au moment de l’attentat, il avait 18 ans. Sofia le vit angoissé et s’approcha pour l’aider. Son mari et Léon avaient travaillé ensemble dans une compagnie d’assurance, ce qui constituait un autre prétexte pour s’asseoir et parler. Même aujourd’hui, ils continuent à se voir, à se téléphoner et à boire un café de temps en temps. Ils habitent Villa Crespo, un quartier portègne toujours propice aux moments partagés. Ils ont créé ensemble un lien de soutien affectif et durable. « Quand sa maman m’a dit qu’il allait très mal, je me suis approchée de lui. À partir de ce moment, nous avons toujours été ensemble », déclare Sofia. Elle passe une grande partie de son temps à visiter des écoles, des villes et des pays pour raconter ce qui s’est passé, sensibiliser le public et diffuser le slogan: « Il n’y a pas de vérité sans justice ». Le lendemain de ce portrait, Sergio lui envoya un message sur son portable : « Merci d’avoir partagé la photo avec moi. »


Juan Carlos Lombardi I Alejandro Mirochnik Alejandro Mirochnik travaillait à l‘AMIA lorsque la bombe a explosé et qu’il est resté coincé dans l’un des ascenseurs pendant 9 heures. Celui qui l’a trouvé et qui a alerté les pompiers est Lupo, le chien de Juan Carlos Lombardi, l’une des nombreuses personnes qui se sont présentées spontanément pour aider. Alejandro Mirochnik n’a appris ce qui s’était passé que quand il a réussi à sortir. Au moment de l’explosion, il était dans l’ascenseur. Il pensait que tout le mécanisme s’était cassé. Il n’avait pas vraiment mesuré ce qui se passait. Cependant, son désespoir n’était pas moindre : après une chute de plusieurs étages, il s’était fracturé la jambe. Il a crié au secours, mais personne ne l’écoutait. Juan Carlos Lombardi travaillait chez un bijoutier, rue Libertad. En Italie, où il avait vécu, il avait appris à dresser des chiens pour les secours lors de tremblements de terre et de catastrophes naturelles. Après avoir pris connaissance de l’attentat, il est allé collaborer avec son chien. Lupo ne cessait d’aboyer jusqu’à ce que les secouristes ont fait finalement attention à lui. Il a localisé cinq personnes en vie. L’une d’entre elle était Alejandro, qui se trouvait au sous-sol, à 5 mètres sous terre, coincé dans l’ascenseur. « J’ai seulement entendu des bruits, jusqu’à ce que j’ai vu soudain une lumière ... », se souvient-il. Les pompiers ont fait un trou et lui ont fait parvenir un tuyau d’oxygène et de l’eau. À 19 heures, après un grand effort de sauvetage, ils ont réussi à le sortir avec une corde. À partir de cette expérience, Juan Carlos a créé une école de dressage de chiens pour le sauvetage en cas de catastrophe. Cette école est représentée par le chien qui l’a accompagné sur ce portrait. Des suites de l’attentat, Alejandro a subi une fracture du tibia, du péroné et du talus. « Une douleur terrible », se souvient ce marathonien, champion argentin de triathlon. Après cette blessure, qui lui a laissé une légère claudication, on lui avait assuré qu’il ne pourrait plus participer à des compétitions. Cependant, avec une grande volonté, il s’en est remis et a repris sa passion du marathon.



Humberto Chiesa I Daniel D’Osvaldo Lorsque l’attentat s’est produit, Humberto Chiesa était dans son magasin, situé en face de l’AMIA. Il a subi de très sérieuses blessures, notamment une fracture du crâne. C’est le docteur Daniel D’Osvaldo qui l’a « reconstruit ».

630 Rue Pasteur. C’est juste là que se trouvait Humberto Chiesa, dans l’imprimerie “Chiesa & Galarraga”, lorsque l’estafette s’est incrustée dans le bâtiment et a explosé. La déflagration a balayé tout ce qui se trouvait autour, y compris les locaux de l’imprimerie, et a tué son associé, Guillermo Galarraga, et aussi Favio Enrique Bermúdez, qui travaillait avec eux. Humberto a été retrouvé sous les décombres. Que s’est-il passé ensuite ? Il n’a pas de souvenirs. Il s’est réveillé à l’Hôpital des Cliniques après trente jours dans le coma. Sa femme, le psychiatre et les soignants ont commencé à lui raconter lentement ce qui s’était passé. Il n’arrivait pas à comprendre. Puis il est allé dans la salle de bain et s’est vu dans le miroir. « J’ai revu mon visage et ... ça n’a pas été facile », déclare Humberto. La chirurgie maxillo-faciale qu’il a subie pour ses blessures au visage a failli mal tourner en raison d’un caillot qui s’était formé à l’intérieur du crâne. Heureusement, le docteur D’Osvaldo, chirurgien à l’Hôpital des Cliniques, se trouvait là au bon moment. Il est intervenu pour aider et, depuis, il a toujours été très proche de Humberto. C’est lui qui a placé la prothèse sur sa tête. « Tout comme ils ont reconstruit le bâtiment de l’AMIA, le médecin a reconstruit mon crâne », a déclaré Humberto. La récupération a été longue, mais finalement tout s’est bien passé. Aujourd’hui, il peut marcher et continuer à travailler. « Comment la médecine a-t-elle pu s’engager autant dans cet événement et pas la justice ? », se demande-t-il. Il n’a toujours pas de réponse.


Marina et Gustavo Degtiar I Jonathan et Gustavo Averbuch Marina et Gustavo sont les frères de Cristian Degtiar qui avait 21 ans lorsqu’il est décédé dans l’attentat. Ils ont retrouvé son corps deux jours plus tard, sous les décombres. Jonathan et Gustavo Averbuch sont les frères cadets de Yanina, qui avait 20 ans lorsque la bombe contre l’AMIA l’a tuée : son corps a été retrouvé cinq jours plus tard. Dans la dure attente des nouvelles, ces quatre frères se sont rencontrés. Les jours qui ont suivi le 18 juillet 1994, l’AMIA a repris ses activités dans un bâtiment de la rue Ayacucho. Là, les familles se sont rassemblées pour attendre les nouvelles de leurs proches disparus. En se tenant par la main, ils priaient pour qu’ils apparaissent en vie. Cristian Degtiar faisait des études de droit, jouait au football au club CASA et écrivait des livres. Ce matin-là, il ne devait pas être à l’AMA, car son horaire de travail était l’après-midi. Malheureusement, il avait dû s’y rendre pour une réunion. Son frère et sa sœur ont appris la nouvelle à la radio. Marina était dans son bureau; Gustavo, dans sa voiture. Yanina Averbuch était secrétaire de direction et travaillait au service social de l’AMIA. Elle était étudiante en droit, comme Cristian, et faisait aussi des études de traduction d’anglais. Son corps a été retrouvé entre les bras d’une de ses collègues de travail, Marta Treibman. Yanina avait également deux frères : Jonathan et Gustavo. « Nous avons appris la nouvelle de l’attentat », disent-ils, « quand notre mère est entrée en criant dans la chambre. Elle l’avait entendue à la radio. Elle est allée à l’AMIA en taxi et nous, nous sommes restés devant la télévision pendant plusieurs jours. » Après 25 ans, ils reviennent sur l’histoire de ces absences irremplaçables. Ils évoquent des moments partagés et des souvenirs qu’ils prennent soin de raconter aux nouvelles générations de la famille. « Nous parlons une même langue », disent-ils.



Karina Bolan I Pedro Ferraina Romina Bolan avait 19 ans lorsqu’elle est décédée dans l’attentat. Elle marchait rue Pasteur, en direction de la Faculté des sciences économiques de l’Université de Buenos Aires. Elle est décédée à l’Hôpital des Cliniques des suites de ses très graves blessures. Elle a été opérée par le docteur Pedro Ferraina. Sur cette photo, aux côtés de Karina, la sœur de Romina. C’est une histoire très triste : lorsque la voiture piégée s’est incrustée et a explosé dans le bâtiment de l’AMIA, Romina Bolan passait juste devant la porte. Ce lundi-là, elle avait passé sa matinée à la banque où elle travaillait comme hôtesse pour aller s’inscrire à la Faculté des Sciences Économiques. Ceux qui l’ont vu arriver à l’Hôpital des Cliniques disent qu’elle a prononcé ces mots : « Je vais bien, appelez mes parents. » C’est quelque chose que personne ne peut encore expliquer. Elle avait des blessures très importantes et un traumatisme extrêmement grave. Elle a été reçue par le Docteur Pedro Ferraina, qui se souvient d’elle comme si c’était hier. Elle est décédée dans le bloc opératoire quand on essayait de sauver sa vie. Les médecins et les infirmières présents n’ont pas pu s’empêcher de pleurer. Romina n’avait que 19 ans. « Nous avons été très touchés, il est très difficile d’effacer cela de la mémoire », explique le médecin. Karina Bolan est la sœur de Romina et mène une vie marquée par différentes tragédies. Rencontrer le Docteur Ferraina est un moyen de reconnaître les efforts professionnels et humains déployés ce jour-là et les suivants pour sauver le plus possible de vies. Sa douleur reste toujours aussi vive, mais pour la première fois, elle parvient à trouver un peu de calme. « J’ai été très surprise par la présence du Docteur Ferraina, ça m’a calmé », avoue-t-elle.


Cecilia Jesús Löwer | Hugo Martin En 2016, il a été découvert que la victime numéro 85 de l’attentat contre l’AMIA s’appelait Augusto Daniel Jesús. Le journaliste Hugo Martin, qui enquêtait sur l’affaire, a publié un article intitulé “Le défunt sans visage”. Cet article a été lu par Cecilia Jesús Löwer, cousine du jeune homme qu’elle croyait disparu. Ensemble, ils ont reconstruit son histoire. Les enquêtes effectuées au moyen de tests ADN par l’UFI AMIA ont permis de déterminer, en 2016, que la seule victime dont l’identité était inconnue était Augusto Daniel Jesús. Il avait 19 ans et, au moment de l’explosion, il était avec sa mère, Maria Lourdes Jésus qui est également décédée dans l’attentat. On n’avait pu récupérer que ses empreintes digitales et quelques bouts de papiers : la seule donnée obtenue était l’adresse d’une paroisse où fonctionnait un refuge pour sans-abri. C’est là qu’il vivait avec sa mère. Le journaliste Hugo Martin a enquêté sur son cas et s’est entretenu avec tous ses proches vivants. Personne n’avait une photo de lui. Il a ensuite publié dans le magazine “Gente” un article qui se terminait par une métaphore et un souhait : « J’espère que la victime numéro 85 de l’AMIA a, en plus d’un nom, un visage. C’est un message dans une bouteille que je viens de jeter à la mer. » Un jour comme un autre, Cécilia Jesús Löwer se trouvait dans la salle d’attente chez son dentiste. Elle a pris un magazine, a commencé à le feuilleter et a appris que son cousin, qu’elle croyait disparu depuis 1994, avait été en fait victime de l’attentat contre l’AMIA. Cécilia a déclaré que sa famille « a toujours été très peu communicative. Il y avait des sujets dont on ne parlait pas. » La dernière chose qu’elle savait au sujet de Lourdes et de Daniel, c’est qu’ils vivaient dans la maison de leurs grands-parents. Quand cette maison a été vendue, ils ont dû partir et ont laissé des sacs contenant leurs affaires à une tante. « Garde-moi tout ça jusqu’à ce que nous nous installions quelque part », lui avait dit Lourdes. Elle n’est plus jamais revenue. Puis Cécilia se souvint de cet épisode et alla chercher ce sac : elle trouva des photos, des dessins, des lettres et de nombreux souvenirs de Daniel. Elle les emmena à l’AMIA, ainsi qu’à Hugo. Ensemble, ils ont reconstruit une histoire que l’on croyait impossible, celle de la victime numéro 85, celle du « mort sans visage ». Grâce à eux deux, Augusto Daniel Jesús a pu le récupérer.



Julio Menajovsky I Lía Parsons Julio Menajovsky est photographe et a été l’un des premiers reporters à arriver sur les lieux, quelques minutes après l’attentat. L’une de ses photos faisait la une du journal Clarín le lendemain et devint emblématique. Sur la photo, Germán - une des victimes décédées - est transporté sur une civière. Lía Parsons est sa sœur. La photo : les secouristes portent un garçon sur une civière ; au fond, les ruines et le désastre. Il s’appelait Germán Parsons, il avait 29 ans. Il était chez lui, au premier étage de l’immeuble face à l’AMIA. Ce matin-là, Julio était à quelques pâtés de maisons pour prendre des photos pour un reportage sur le chômage. Lorsqu’il a entendu l’explosion, il s’est rendu rue Pasteur avec son appareil photo. « Un événement vraiment monstrueux », se souvient-il. Lía, la sœur de Germán, vivait très près de l’AMIA. Quand elle a entendu l’explosion, elle a immédiatement pensé à lui. Elle lui a téléphoné plusieurs fois. Ça sonnait occupé. Elle a tout de suite pris son manteau et a couru le chercher. À 19 heures on lui a confirmé qu’il était à la morgue. « Germán était un artiste. Incroyablement, après l’explosion, ses peintures étaient intactes », explique Lía. Récemment, elle a vu la photo en couleurs pour la première fois. « C’est une image complètement différente mais tout aussi impressionnante que la première », avoue-t-elle. Les deux se demandent ce que cette image signifie pour chacun. Julio pense que c’est une façon de cristalliser un moment de sa vie, un moment qui l’a marqué personnellement et professionnellement depuis 25 ans. « J’avais besoin de connaître l’histoire de cette photo », dit Lía. « Maintenant, j’ai le sentiment que Germán a été accompagné ».



CRÉDITS Idée - Curateur: Elio Kapszuk

Photographies: Julio Menajovsky

Projet Général: Gabriel Scherman, Julio Menajovsky, Elio Kapszuk Conseiller Studio et Éclairage: Silvio Zuccheri Coordination Générale: Nadia Schraier Production: Vanesa Samsolo

Retouche Numérique Portrait: Juan Beccar Varela

Retouche Numérique Photos Historiques: Sebastián Barragan Impression de photographies: Estudio Bonta Textes: Luciano Sáliche

Correcteur: Gonzalo Fernández Rozas Design du Catalogue: BasevichCrea

Studio Photographique: Zuccheri y Asociados La réalisation de ce projet a reçu l’appui du: Système Fédéral des Médias et Contenus Publics Remerciements spéciaux: Gustavo González, Sergio Baur, Jorge Cordonet, Martín Lucas, Joaquín Navarro, Jorgelina Novik, Silvina Silbergleit, Tout le personnel du CCK, Département d’Administration AMIA, Département de Trésorerie AMIA, Département Achats AMIA, Centre Marc Turkow AMIA, Alejandra López

AUTORITÉS Présidence de la République: Mauricio Macri, Président Gabriela Michetti, Vice-Présidente Marcos Peña, Chef du Cabinet de Gouvernement Ministère des Relations Extérieures et du Culte: Jorge Marcelo Faurie, Ministre Sergio Alberto Baur, Directeur des Affaires Culturelles Système Fédéral des Médias et des Contenus Publics: Hernán Lombardi, Secrétaire de Gouvernement Gabriela Ricardes, Secrétaire aux Contenus Publics Ambassade de la République Argentine en France: Mario Verón Guerra, Ambassadeur Carolina Ghiggino, Chargée des Affaires Culturelles Eduardo Carballido, Curateur Galerie Argentine AMIA: Ariel Eichbaum, Président Darío Curiel, Secrétaire Général Alberto Chaieno, Trésorier Daniel Pomerantz, Directeur Exécutif



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