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Et moi là qu’est c’que j’foutais là ?!

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En calbute dans mon pieu, des boules quies dans les oreilles en train de fumer une cigarette. 5h50 du mat’ bordel, pourquoi je dors pas ?! J’me suis couché à 2h30. 3h30 que j’attends là, à me retourner dans tous les sens, à respirer mon corps qui colle et mon haleine de fumeur toute pérave ! C’est vraiment pas le moment pour une insomnie putain ! Demain j’ai un exam’ de philo j’ai encore rien révisé. J’comptais sur une bonne nuit de sommeil pour tout ingurgiter en une journée. J’vais être complètement naze aujourd’hui, à m’ réfugier par terre dans l’atelier entre deux tables pour essayer de dormir un peu. Qu’est-c’qui s’putain d’passe ?! Et ce mal de tête putain. J’ai mal à la tête. ça me tape, j’ai l’impression d’avoir le cerveau comprimé contre mon crâne, comme s’il enflait et dégonflait au rythme des battements de mon cœur. Quand j’ai mal comme ça, je mets mes lunettes normalement. Et comment j’fais pour dormir avec mes lunettes bordel ? Hein comment j’fais pour plus avoir mal à la tête, tu m’expliques ?Bon, là c’est terminé, de toute façon je dormirai pas cette nuit, c’est clair. Pourquoi ? Parce que j’ai rallumé mon ordi pardi ! Et qu’j’suis en train d’écrire cette merde-là ! Bon, j’vais aller mettre mes lunettes. Me voilà plus avancé tiens. En calbute dans mon pieu, des boules quies dans les oreilles avec mes lunettes, et mon corps qui colle.

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J’pourrais enlever les boules quies, écouter de la musique. Sans déconner qu’est c’qu’on s’en carre le cul que j’écoute de la musique ?! Pourquoi j’fais ça là ?! Qu’est c’que j’fous là ?! Tranquille, dans mon pieu, 6h00 du mat’, j’me suis dit comme ça, qu’il fallait que je commence à écrire. Normal, je vois pas le problème. Je dois vraiment écrire en fait. C’est comme ça. Je dois écrire et c’est tout. J’aurai jamais pensé prendre le temps de faire ça un jour. écrire tu vois ? ça m’arrive souvent d’écrire, comme ça en deux-deux, sur un bout de papier . Genre des phrases un peu stylées. Des bribes de réflexions sur tel ou tel thème. Des punchlines un peu classes, intellectuelles, que j’peux ressortir en société. Des trucs du style, « Ta mère en caddie. » Ces quatre dernières années j’ai du aligner trente lignes au max’. J’me souviens qu’en manaa, on avait dû gratter un scénario, une pièce de théâtre. Cool taf. Mais là, je sais que je dois écrire, et je sais aussi que je dois écrire beaucoup ; plusieurs pages, pleins de pages. Pour commencer, on a qu’à dire que c’que j’suis en train de faire là, ça serait une sorte de préface. Hier soir, j’ai lu celle du Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley. Ce texte est péte sa mère, le mec défonce ! Pour la p’tite histoire, Aldous a pondu le bouquin en quatre mois, courant 1931. En 1946 à l’occasion d’une réédition l’écrivain revient sur son livre et rédige une nouvelle préface.

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Avant cette préface, l’auteur introduit son récit par une citation d’un philosophe russe, Nicolas Berdiaeff. J’vais pas la mettre là, dans le texte courant, parce que ça intéressera pas tout le monde. Mais j’la glisse quand même en bas. Elle est terrible cette citation. Berdiaeff le devin russe. J’ai vu ça dans pas mal de bouquin déjà, le coup de la citation en introduction. Remarque, c’est stylé, ça donne du cachet et ça bétonne un peu ton propos. Sauf si la citation, est merdique. Mais dans ce cas-là, ça veut dire que le mec est con. C’est pas plus mal, tu reposes le bouquin, et tu passes au suivant. C’est comme les mecs qui dédient leurs bouquins à des personnes :  « à Didier pour agnagnagna agnagnagni… ». Et là, tu sens le poids du livre, la force du récit, direct ! C’est lourd de sens et d’émotion ! C’est l’histoire d’une vie ma gueule ! Tu visualises le gars derrière son bureau, à peine éclairé, malade, trop caféiné, en train de se défoncer pendant des mois. Tu sens que le tas de papelards que t’as entre les mains est spécial. Parce que le mec l’a écrit pour son pote, sa grand-mère, son p’tit fils, pour Didier, j’en sais rien.

« Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu’on ne le croyait autrefois. et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ?…Les utopies sont réalisables. la vie marche vers les utopies. Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d’éviter les utopies et de retourner à une société non utopique moins “ parfaite ” et plus libre. » Nicolas Berdiaeff.

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Et j’suis là, dans mon pieu, et je sais que j’dois écrire. Et j’sais pas pourquoi mais j’sens que se sera long et qu’il y’aura beaucoup de texte. Est-ce-qu’on pourra appeler ça un livre ? J’en sais rien. C’est quoi un livre ? Mais dans tous les cas, ça y ressemblera. ça s’appuiera sur les mêmes codes, au moins dans la forme. Donc à priori, j’me dis qu’une p’tite citation en introduction… Bah ouais quoi ! J’vais soigner l’ouvrage. On va s’mettre soin. Une page de citation, une page de dédicace, plus tout ce que je viens d’écrire là. Je sais que j’dois gratter beaucoup. Est-ce-que j’irai jusqu’au bout, ça j’en sais rien. Alors j’gagne du terrain, j’anticipe, je cite et j’dédicace. Traquil.

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« à Canigou mon chat qui ressemble à une loutre avec des pattes.»

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« L’ écriture, c’est ce neutre, ce composite, cet oblique où fuit notre sujet, le noir-et-blanc où vient se perdre toute identité, à commencer par celle-là même du corps qui écrit.» Roland Barthes, La mort de l’Auteur.

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Les yeux qui piquent zeubi …

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07h02

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10h15

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Sinon hier j’ai fait une autre insomnie. Même combat qu’il y a une semaine, quand j’ai commencé à écrire. ça doit être la spéciale du dimanche soir, j’sais pas… Sauf que j’ai pas sorti l’ordi. J’ai attendu d’être le matin pour pouvoir dormir. Sur fond de camion poubelle et de klaxons. à 4h30 y’a un véhicule qui s’arrête en bas de l’immeuble. Je suppose qu’il vient livrer le restaurant du dessous. Je me dis ça, parce que le mec qui conduit donne, à chaque fois, un méchant coup de pied dans le portail de la cour intérieure. Portail de merde, et conard de livreur qu’a la mort que tout l’monde dorme pendant qu’il bosse ! Le mec ressent l’besoin de réveiller la rue entière quand il dépose ses cartons de bouffe. à 5h00, c’est le véhicule d’entretient qui remonte l’avenue. Entre 5h30 et 6h00 les gens commencent à prendre leur voiture pour aller bosser. à partir de 6h30, ça circule déjà pas mal. Le créneau idéal pour s’endormir, c’est 5h30 / 6h45. Passé ce délai, ça devient compliqué. Des fois, les mecs du chantier d’à côté pètent des plombs, et viennent s’exciter dès 7h00. C’est une sensation étrange que d’assister au réveil d’une ville. Ce serait presque poétique, même sur fond de marteau-piqueur. J’suis pas sorti hier-matin. Mais des fois, ça m’arrive. D’être dehors en même temps que les autres alors que j’ai pas dormi. Comme un matin de bilans. à foncer à l’imprimerie sur mon vélo. On a froid parce qu’on est faible. T’es pas vraiment là, t’es ailleurs. Léger, tu débarques d’une autre planète.

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Mais ce matin, j’étais dans mon lit. Et j’subissais mon impuissance. Dégouté. Et pourtant, j’étais naze. Et j’suis encore plus naze ce soir. Mais je dois écrire. Et j’me d’mandais sur quoi, et j’crois que j’ai trouvé. Quand j’ai commencé à écrire, quand j’dormais pas non plus, j’suis parti en couille. Et ça commençait comme ça. ça commençait par Maude Chourette. Maude Chourette, c’était une gonzesse dans ma classe quand j’étais en CM2. J’étais à l’école primaire, dans le Lot, dans un pauv’ bled qui s’appelait Saint-Récé. Maude Chourette c’était ma concurrente féroce pour la première place au classement. Elle était pas belle Maude. Elle avait la face pâle, toute plate et des p’tits yeux marron planqués derrière des culs de bouteille. Elle était pas très drôle non plus. Très appliquée. Je ne me souviens plus qui l’avait finalement remporté. Mais au dernier trimestre, je le sais, c’était moi le premier. Y’avait Lea Cajennelame aussi. C’était ma voisine quand j’étais dans cette même classe. Pas toute l’année. On s’entendait bien et je crois que j’étais un peu amoureux d’elle. Mais elle foutait la mort, et me laissait pas copier quand j’étais à court pendant les interros. Une fille impitoyable Cajennelame. Mais c’était vain. J’obtenais toujours les réponses que j’voulais ; en contournant le classeur qu’elle avait dressé entre nous pour pas que je puisse voir sa copie. Architechnique en diversions ! Comme à la cantine pour piquer des frites dans l’assiette d’en face.

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Et j’étais là, y’a u mon pieu, à me so ma classe

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une semaine, dans uvenir des gens de de CM2.

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Il y avait Aymerick Cagnates et Paddy O’driscoll.Ces deux-là, c’étaient mes copains. Mais c’était bizarre quand même. J’me souviens de mon premier jour. Le prof m’avait assis au fond de la classe. C’était Mr Viornes. Il avait une plaie sur la main, et ça suintait. Y avait une espèce de matière cheloue qui en sortait. Comme du sirop d’érable en plus épais ou de la résine d’arbre. Il habitait dans le même village que moi le maître. à Angles, un petit hameau de trois-cent habitants même pas, perdu au milieu des vignes et des noieraies. Sa femme était chtarbée. Elle lâchait des serpents dans le jardin de ses voisins qui étaient des amis de mes parents. à la fin de l’année Mr Viornes nous a avoué qu’il était daltonien. J’avais fait semblant d’en avoir rien à foutre, comme les autres. Mais j’me rappelle que ça m’avait quand même un peu perturbé. Fin bref, le maître m’avait assis au fond de la classe. Je ne me souviens plus de la personne à côté de moi. C’était peut-être Dimitri. Dimitri, c’est le premier qui m’avait parlé. Le matin tout de suite quand j’étais arrivé. Il était grand et gauche. Bien trop grand pour son âge. Il puait et s’habillait toujours pareil. Mais il était gentil. C’était un des pauv’ types de la classe, on peut pas dire que les gens l’aimaient beaucoup. J’ai changé plusieurs fois d’écoles. Et c’est toujours les pauv’ types qui te parlent en premier. Dimitri ramenait tout le temps des bombecs. Les gens venaient le voir que pour ça. Il arrivait dans la cour et sortait son sachet.

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Et là, tout le monde se ruait sur lui en espérant gratter un truc. J’me souviens d’une chose. Y’avait toujours au moins un bombec’ qui tombait par terre. Quand j’y réfléchis aujourd’hui, j’me dis qu’il y a deux catégories de personnes. Y’a ceux qui le mangent quand même, le bonbon déchu, et ceux qui disent que c’est dégoutant. Et c’est souvent une question que je pose aux gens d’ailleurs. Moi je le ramassais le bombec, et je le bouffais direct. Et donc le matin de la rentrée, j’étais peut-être assis à côté de Dimitri. Et je devais me présenter à la classe. Et je me souviens que quand je parlais, Paddy et Aymerick se marraient grave. Surtout au moment où j’ai dis que je faisais du rugby. Je sais pas pourquoi ça les a fait rire. Peut-être parce que je venais de Nantes, et que pour eux, à Nantes on jouait pas au rugby, et que c’était que dans le sud qu’on s’y connaissait vraiment. Je saurais jamais. Il y avait deux classes de CM2 à l’école. Le reste de notre bande était dans l’autre. Il y avait Julien Delial. C’était le fils de l’entraîneur de rugby. Il était bon en maths et plutôt sympa. Mais on s’est jamais vraiment parlé cette année. Il y avait aussi Rémi Mitera. Je l’aimais moins, j’arrivais pas à lui faire confiance. J’aimais pas son rire. Il était pas hyper franc, et même méchant. J’me souviens que dans l’autre classe il y a avait aussi un nouveau. Bastien Demallengorisera. Après quelque récréés passées tout seul ou à traîner avec Dimitri, Aymerick était d’accord pour m’incruster dans la bande. Sauf qu’on était deux prétendants. Et je me rappelle que les gars voulaient pas intégrer deux mecs en même temps.

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Aymerick avait commencé par argumenter en ma faveur en se moquant de Bastien. Bastien était hyper grand, encore plus grand que Dimitri. Il avait une tronche trop cheloue. Il était pas gros mais son visage était empâté. Des grosses paupières lui écrasaient les yeux, il avait un menton et un nez énorme, et les cheveux en pétard. J’me souviens plus de ce qu’Aymerick avait raconté. Mais j’me rappelle très bien de la réponse de Rémi. Il avait dit en me regardant. « Et lui, t’as vu ses oreilles ?! » Et Aymerick avait rit, et moi j’avais rougi. J’avais grave les boules qu’Aymerick rigole à la blague de Mitera. Et je rougissais souvent comme ça. J’avais trop du mal à gérer ça. Je rougissais pour rien, pour un oui, pour un non. La spécialiste, c’était Laurie Toperal. Mais ça, c’était plus tard, en sixième. Laurie était dans ma classe en CM2. Une petite blonde, toute sèche, tout étriquée. Elle était très cool, et on était plus ou moins amoureux. On s’choppait tout le temps au jeu les filles attrapent les gars. Rémi sortait avec Laura Agaric. Une fille cool aussi, et très jolie. Je n’ai pas partagé grand chose avec elle, mais elle m’avait quand même invité à son anniversaire. Par contre j’avais pété le bras de son petit-frère en autotamponneuse, à la fête du village. J’me sentais con, je l’aimais bien aussi, Clément. Aymerick sortait avec Julie Decroge. Une grande asperge qui parlait avec son nez. Elle était pas hyper fute-fute, mais elle était gentille et c’était l’essentiel. J’me rappelle qu’un jour, elle s’était ramenée à l’école et qu’elle cachait sa tête dans le col de sa doudoune. Elle avait l’air ultra-paniqué.

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En fait, elle était allée chez le coiffeur, et il lui avait fait une coupe hyper courte. Elle le vivait grave mal, et s’était mise à pleurer devant tout le monde. Elle était sur-protégée par contre. Son grand-frère, c’était Benoît Decroge, un grand de troisième qui jouait dans l’équipe minime de rugby. Et donc moi, j’étais plus ou moins amoureux avec Laurie Toperal. Mais juste en CM2, parce qu’avec l’entrée en 6ème, tout a changé. Dans les jolies filles y avait aussi Julie Mitera, la sœur de Rémi. Elle était en CM1. C’était quelqu’un de très espiègle, avec un sourire ravageur. Elle courait hyper vite aussi. C’était stylé pour une fille ! On rigolait bien tous les deux. J’crois que j’étais aussi un peu amoureux d’elle en secret. à mon avis, c’est une bombe cette fille aujourd’hui. Y avait Laura aussi. Laura était moche et un peu grosse. Mais elle courait archi-vite pour le coup. Elle faisait de l’athlétisme. Elle avait un sacré caractère. Fallait pas l’emmerder. Elle aurait pu tous nous péter la gueule à l’époque. Paddy, je l’appelais Pad’, avait pas d’amoureuse. Et il le vivait assez mal je crois, mais on lui en parlait pas trop. Pad’, c’était mon meilleur pote. Il était irlandais. Il habitait à St-Jean Salepsiens, dans une maison trop cool, avec des parents trop cool. Il faisait tout le temps des blagues, et il avait une énorme touffe de veuch’. On a fait les pires conneries ensemble. On jouait grave avec des pétards à l’époque. Ses parents tenaient le Jouet Club de Saint-Récé.

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C’était aussi les sponsors du club de rugby. Du coup Pad’ avait tous les pétards qu’il voulait. On foutait la mort à tout le monde. Les autres s’amusaient avec des modèles classiques, mais nous, on chopait des Mammouths, des Bisons 5 et des Mitraillettes. C’est des pétards de ouf, vraiment fat. Une fois, on trainait dans son village et on en jetait un peu partout. à un moment j’ai voulu en balancer un dans un soupirail. Et pile au moment où j’allais allumer la mèche du pétard, un vieux est sortit avec un fusil sur le balcon de la maison d’en face. Il a gueulé pour que j’arrête mon geste. Il m’a demandé si je savais ce qu’il y avait derrière. Je lui ai répondu non. Pad’ avait commencé à chialer. Il était dans la merde, le vieux connaissait ses parents. Et là cette vieille mouille me dis que derrière c’est sa grange, et qu’elle est pleine de paille. Et que si je balance un pétard là-dedans, j’y foutrai le feu. J’étais flippé aussi, mais j’avais toujours pas lâché mon Bison. Il m’a gueulé dessus, et il m’a dit qu’il me botterait le cul comme jamais si j’arrêtais pas de suite. Donc j’ai lâché mon pétard. Il voulait savoir mon nom et ou habitaient mes parents. Je lui ai raconté n’importe quoi. Je racontais toujours n’importe quoi, quand je faisais une connerie et qu’on me demandait ça. Et on s’est barré en courant. Le vieux allait pas nous tirer dessus, mais à l’époque j’étais persuadé qu’il en était capable. J’ai rarement détalé aussi vite. On se sentait comme des criminels avec Pad’. J’me rappelle qu’on s’était réfugié dans une vieille baraque en ruine à l’entrée du village.

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Il était vraiment flippé et commençait à raconter n’importe quoi ; en mode fbi, enquête scientifique et empreintes digitales. Pad’ regardait grave la télé. Je l’ai revu en ville ce vieux con. Ma mère était à la boulangerie et je l’attendais dans sa voiture. Le type était sorti de nulles parts et avait rejoint sa caisse qui était stationnée juste devant celle de ma mère. Il m’avait pas vu mais j’m’étais quand même caché derrière le tableau de bord. Ce gars me flanquait une frousse de dingue. Une autre fois, mais c’était chez moi, on avait pété toutes les vitres d’une espèce de remise d’agriculteur avec Pad’. à base de gros cailloux. On avait cassé quelques lampadaires aussi. C’est marrant, j’crois qu’on y prenait vraiment du plaisir En sixième, notre prof d’SVT nous avait demandé de faire un herbier. Du coup, on était allé chez la grandmère de Pad’ qui habitait à Saint-Neutral pour trouver les plantes qui nous intéressait. Il y avait un grand jardin en pente. Je sais plus on avait trouvé ça, mais on avait choppé une espèce de palette avec des sortes de roues de caddie fixées dessous. Pad’ voulait que je monte dessus et que je tente la descente. J’me rends compte que j’étais quand même une bonne poire à l’époque. Pad’ essayait jamais les trucs risqués en premier. J’avais dévalé la pente sur cette putain de palette-là, sans pouvoir contrôler quoi que se soit. Heureusement, il y avait une grosse haie de thuyas en bas. J’me suis encastré dedans. Mais ça va, j’m’étais pas fait trop mal.

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Et après on avait écouté du Sangria Gratuite. Une espèce de groupes folklo’ qui balançait des chansons paillardes. Les mecs avaient l’accent du sud sud. C’était porc, ça m’avait bien fait marrer. Mais quand on était à l’école, Pad’ était moins proche de moi. Il voulait être le pote de tout le monde. Et des fois, il était capable de me dire des trucs méchants, juste pour faire le malin devant les autres. Quand c’était trop ça m’arrivait d’aller jouer avec les amis de mon p’tit frère. Y en avait un qui s’appelait Alexis. Un p’tit blond complètement vénère, qui courait très vite. On faisait la course, lui, mon frère, Maxime Busai et moi. Maxime était le fils du médecin. Il était ultra propre et timide ce mec. En jouant comme ça avec Maxime, mon frère était tombé. J’me souviens que les gens étaient venus me chercher. « Pierre ton frère est tombé, et il saigne de la figure !!!  » Effectivement, mon frangin s’était bien crouté, et il s’était râpé la moitié de la face. Vincent s’était fait défoncé comme ça aussi. Il avait glissé sur un truc dans la rue, son visage avait ramasse. C’était plus sévère que mon frère. Il avait perdu des chicots et tout. ça cicatrisait mal, et ça lui faisait vraiment une sale gueule. ça m’avait bien dég’ j’me souviens. J’me méfiais pas mal de Vincent. Il était capable des pires coups de pute. Une fois le mec m’avait demandé si je pouvais lui montrer mes cartes Pokémons. Je lui ai filé mon paquet, et il a commencé à regarder. à un moment, il s’arrête sur mon Maraiste 70 pv, prend la carte et se barre en courant.

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Technique ce con. Le temps que je réagisse, il avait trouvé refuge dans les toilettes ou il s’était enfermé. L’aprem’ on allait à la piscine, les deux classes de CM2. J’avais préparé ma vengeance. J’ai attendu que tout le monde ait fini de se changer. J’avais repéré la cabine de Vincent. Les portes étaient foutues de telle façon qu’on pouvait rentrer en passant par une ouverture en hauteur. J’ai escaladé celle de son vestiaire. Sensation dégueulasse, j’étais déjà en maillot de bain. En galérant, j’ai réussi à m’introduire. Et là, j’ai retourné son sac, fouillé ses affaires et retrouvé ma carte ! J’étais refait ! J’pouvais être une belle pute aussi à l’époque. Ma mère voulait pas m’acheter de cartes Pokémons, comme pas mal de trucs d’ailleurs. J’ai bien bricolé pour avoir c’qui me faisais envie. Une fois j’ai piqué un Gros tas de morve brillant 100pv à Justine, une fille de SEGPA. Même combat. Fais voir tes cartes que j’regarde, et là bim : départ fulgurant ! Justine qui me court après, mais trop lente. Mission accomplit. Si elle m’avait choppé par contre j’aurais mal finit. La fille faisait deux têtes de plus que moi. Le frère de Vincent, c’était Yohan, Yoyo. Un putain de mariolle qui tapait un bad sur son bide. Le mec était archi-calé en danse du ventre et il faisait ce qu’il appelait la peau de chèvre en compressant ses bourrelavs entre ses mains.

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Et toujours d le temps passe e

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ans mon pieu, t Thomas ronfle.

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Sylvain Poglina, c’était le débile de la classe. Il avait une tête de poisson lune, avec un énorme front et des toutes p’tites lèvres. Sa mère passait son temps à lui acheter des fringues et à l’emmener chez le coiffeur. Y’avait que pour ça qu’il ouvrait sa gueule ; pour parler de ses fringues et de sa coupe de merde. Sinon il était tout le temps à côté de la plaque. Il taillait pas mal sur les fringues. mais je m’en foutais, parce que tout le monde s’en foutait encore, et que le mec était vraiment pas influent. Dans le genre cassos’ y avait Valentin Fradec aussi. Sa mère, c’était la dentiste du village, Madame Morépade. Cette harpie m’avait enlevé deux carries sans m’anesthésier. J’avais tellement douillé putain ! Valentin avait une boucle d’oreille, et le dessus des cheveux teint en blond. Au foot c’était une vraie brute. Il était mauvais joueur et cherchait tout le temps la merde. Avec ses cheveux dégueulasses on arrêtait pas de lui dire que vanille/chocolat ça faisait PD. J’pouvais pas me le saquer et je lui ai presque jamais parlé. Et y’avait un type qui s’appelait Marlon aussi. J’y pense, et ça me fait rire. C’était une baltringue. Il jouait pas au foot, il courait pas, il parlait pas aux filles, et il avait une voix toute fluette. Le mec passait son temps à squatter des jeux vidéos, la play, la gameboy, des trucs comme ça. Une fois, j’avais été à sa table à la cantine. Ce con s’était enfilé la moitié du pot de moutarde en la faisant dégouliner directement dans sa bouche. Il avait grave encaissé, presque aucune réaction : respect ! Et j’me d’mande si ses parents l’ont appelé Marlon à cause de l’acteur. Psyché, comme blaze quand-même !

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04h13

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Et j’ai dormi cet J’suis frais com ma gueule ! C t’faire d’la pa

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tte nuit bordel !  mme un gratton Chaud, pour age en masse !

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Et j’me souviens d’autres trucs. J’me souviens d’Iris Loulhos. Avec le recul j’me dis qu’Iris était vraiment une chouette fille, et moi l’roi des fils de pute. Sa famille galérait j’crois. Sa mère paraissait grave vieille, et tout le monde se foutait de sa gueule quand elle venait la chercher. Bizarrement, Iris souriait tout le temps. Un jour j’ai clos une discussion entre elle et moi en lui disant : «De toute façon t’es pauvre !» Et y avait du monde autour, et Iris avait pleuré, et moi j’avais rougi. Car j’m’étais tout de suite rendu compte de ma bêtise. J’avais rien compris. Iris traînait avec Marine Hecro ; une pauv’ meuf, ultra-timide. Des grandes dents, une salle face, j’étais con, j’lui ai jamais parlé. Iris en voulait grave. Bien plus que la plupart des gens qui composaient notre classe de margoulins. C’est c’que j’m’étais dit quand j’avais vu son classement au cross de l’école. Les gars courraient entre eux, et les filles aussi. Et moi j’pouvais pas y participer à ce cross. J’m’étais coincé le pied dans les rayons d’la roue d’ma moto. Une semaine avant : un 25 mars, le jour de mon anniversaire. Et j’étais tellement vénère de pas pouvoir courir ! Parce que j’étais bon en course, et j’adorais ça les cross ! J’collais au cul du premier pendant tout le run pour le faire stresser. Et j’l’épuisais, mais j’le dépassais jamais. J’pouvais trimer comme ça pendant des plombes. Souvent, j’arrivais à le dépasser dans le dernier tour. Ou alors j’me f ’sais baiser, parce qu’il lui restait plus de jus que moi. Et du coup, Iris courrait un peu comme ça aussi.

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Et quand j’étais là, à les regarder parce que j’pouvais pas participer, j’me souviens qu’elle avait fait troisième. Laurie avait fini première au coude-à-coude avec Marie. Marie venait d’une autre école. Pour les cross, c’était comme ça, y avait souvent plusieurs établissements dans le game. L’école de Marie était vraiment à l’ancienne. Il devait être dix à peine, du CP au CM2. On se foutait bien de leurs gueules quand on les croisait. Amandine Zetma était là aussi. Amandine Zetma, c’était la Claire Chourette de sixième ; la meuf avec qui j’luttais pour la première place du classement. Elle était naze en sport. Du coup, j’l’avais pas calcul’ le jour du cross. Normal. Marie courrait bien par contre. Elle avait la haine. ça avait failli partir en grosse baston avec Laurie. Parce qu’elles étaient pas d’accord pour la première place. J’ai retrouvé Marie en sixième. Et c’est la seule fille avec qui je me sois jamais battu. Dans les rangs, on s’était mis sur la gueule. Elle pensait que j’l’avais poussé. Elle était trop réactive. J’aurai jamais fait ça, la meuf me faisait grave peur. Avec ses vestes Bing Bang Squad là, ça fumait des joints, et ça traînait avec des troisièmes. Marie dessinait bien. On devait pas être plus de trois à s’intéresser aux cours d’Arts Plastiques au collège. Notre prof ’ avait encore moins d’autorité que la mère de Poglina. Les mecs étaient allés jusqu’à lui dessiner sur la gueule au feutre. Comment le type avait pu laisser faire ça putain ?!

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Et j’me souviens que Marie m’énervait. J’voulais toujours la meilleure note. J’voulais être le meilleur, sur tous les plans, dans toutes les disciplines. Et des fois Marie me battait en Arts Plastiques. J’avais vraiment les boules, j’étais grave rageux. Marie pouvait être assez cruelle. La meuf avait un grand frère en quatrième. Elle se sentait intouchable. Le mec était ultra-violent. à mon avis tu touchais à sa sœur, il te bouffait un rein. Et du coup-là, Madame se mettait bien ! Elle se croyait tout permis, et foutait bien le bordel. Une fois, elle a vraiment déconné. Elle avait démoli Pad’. Le mec était tombé raide, une balle en pleine poitrine. Marie avait fait courir une rumeur ; comme quoi Pad’ lui plaisait. Elle s’était démerdée pour que le truc circule bien. Forcément, il a fini par aller la voir. C’était pas évident de parler à une fille comme ça à l’époque. De toute façon, pour que Pad’ soit courageux, il fallait forcément une gonzesse dans l’histoire. On attendait tous ça avec impatience. On conservait une certaine distance pour pas brusquer l’intimité du couple, mais on restait quandmême suffisamment proche pour entendre ce qu’ils allaient se dire. Pad’ s’est jetté à l’eau. Et là, Marie lui a simplement répondu, avec un vieux smile bien narquois. « Non. » Pad’ a mis quinze jours à s’en remettre. Le plus drôle, c’est que j’ai retrouvé Marie, huit ans plus tard, en BTS à Lamartinière à Lyon.

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12h22

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Il a pris 20 pig Sam a pris du ferm Il a pris 20 pig Sam a pris du fer Il a pris 20 pig Sam a pris du fer Il a pris 20 pig Sam a pris du fer Proton


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du Alpha Blondy. Sans déconner, y’a s qui aiment ça ?!

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Le collège était juste à côté de l’école primaire. Au fond de la cour de récré, y’avait un grillage qui permettait de voir celle des collégiens et de discuter avec eux. Moi j’m’en foutais j’étais nouveau en CM2. Du coup, j’connaissais personne, et j’voulais parler à personne. Parce que j’le sentais mal. Une fois, on était au grillage avec Sylvain Poglina. Et ce con se foutait de la gueule des SEGPA. Venant de Poglina j’trouvais ça osé de les afficher. à mon avis le mec aurait pas eu la moyenne s’il avait suivi leur classe. Aymerick discutait pas mal avec Simon au grillage. Et j’aimais pas trop Simon, il était assez agressif comme mec. Pour l’aniv’ de mon frère j’avais acheté une grosse boîte de têtes brûlées. ça devait être le matin à la récrée de 10h. Je l’avais mise dans mon sac et j’étais retourné en cours. Au bout de trois quarts d’heure, j’me suis rendu compte que Simon s’était démerdé pour se glisser derrière moi. Il avait ouvert mon sac et commencé à voler les têtes brûlées, une par une, sans sortir la boîte. J’l’ai pris en flag’ alors qu’il en avait chouré un peu plus de la moitié. Le mec trop con les mangeait toutes en plus. Il a dû avoir la langue baisée pendant une semaine. Fin bref, ça m’avait tellement foutu la mort, j’avais envie de pleurer. Je faisais pas souvent de cadeaux à mon frère en plus.

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Et donc un jour, c’était la rentrée. On a tous dû aller au collège. Pour l’occaz’, ma mère m’avait acheté un sac ddp gris. Une sorte de frigo avec des sangles. Et j’le disais que tout a changé au collège. Des nouveaux ingrédients ont été rajouté, et on foutu la popote en l’air. Déjà y fallait serrer la main à tes potes et faire la bise aux filles. Pourquoi nom de Dieux ?! Serrer la main, j’m’en foutais. Mais faire la bise aux filles ?!! Pourquoi putain ?! Et moi, j’rougissais, j’rougissais très vite, j’étais timide. Et les filles le savaient. Et quand j’leur faisais la bise, j’étais plus rouge que jamais ; je détestais ça. En plus au collège, ces connes se baladent toujours en troupeau. Et donc, quand on arrivait avec les copains, fallait faire la bise à tout le cheptel. J’étais le dernier, j’me planquais. Aymerick et Pad’ étaient hyper à l’aise pour faire la bise. Et là les meufs disaient. « Et bin Pierre tu dis pas bonjour ?Mais viens Pierre, viens nous dire bonjour, ça se fait pas laaaa ! » Alors j’essayais. « Salut Julie », une bise, « Salut Laurie », deux bises, rougeur putain. « Salut Laura », trois bises, le mec cramoisis.  Et la les meufs riaient, mais riaient, putain ! Et moi j’étais obligé de boucler cette ronde infernale. J’aurais voulu disparaître. Et les meufs riaient. Pis le délire tournait bien, que j’rougissais quand j’faisais la bise.

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Et Pad’ enfonçait le clou. « Pierre il sait pas faire la bise, il fait des bisous foireux! » Et c’est vrai que j’faisais des bisous foireux. C’était entre la bise telle qu’on la connaît et un vrai bisou, un bisou sur la joue. à quoi bon frotter ma joue contre la tienne ?! Putain de peste ! En quoi ça va changer ta journée, qu’est c’que ça t’apporte hein ?! Fucking bise, j’te haïrai jusqu’à la fin de mes jours. Pute ! Au CM2, c’était bien vu de travailler. C’était cool d’avoir des bonnes notes. Aymerick était bon en cours aussi, on était au coude-à-coude en primaire lui, Maude Chourette et moi. C’était stylé. Mais au collège Aymerick s’est arrêté de travailler. Il a essayé les cigarettes, s’est mis à porter des pulls ComEight, et a voulu s’imposer à tout prix comme un putain de mec cool. Moi, j’ai continué. J’voulais toujours être le premier de la classe. Quand Mme Agleaf nous demandait de faire une rédaction à la maison, j’y passais des heures. J’lui rendais des textes, de plusieurs feuilles doubles, j’kiffais ça. Et quand j’le lui donnais, j’me faisais afficher par Aymerick qui avait arrêté de travailler. Elle nous les rendait nos copies et gardait la mienne pour la lire aux autres. Et j’détestais ça. Parce que les cancres m’allumaient dans ces moments-là. Tout le monde voulait traîner avec les mecs cools. Mais les gens savaient pas ce que les types étaient prêts à faire pour s’imposer sur la promo. Tous les coups sont permis dans une cour de collège. Pire que dans Les Affranchis.

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Encore plus trash que les arènes de Néron ! Et moi je comprenais plus rien. Et je sentais bien que les choses changeaient. Y avait Gislain Mouloura. Un conard de première, une p’tite boule de gras. Et vicieux le type avec ça ! Le mec était méchant, le plus méchant de tous. Un matin quand j’arrivais et qu’il fallait que je serre la main aux copains ce fils de pute m’avait craché dans la pogne. Tellement humiliant. Alors j’ai commencé à me détacher du groupe. Je suis allé voir d’autres personnes. Avec Aymerick et Pad’, c’était toujours cool. Mais seulement quand on était tout seul. Je continuais d’aller chez eux. Et là, c’était vraiment chouette. Mais il fallait qu’on soit que tous les deux, pas de Mouloura, pas de filles, surtout pas de filles putain, sinon tout dérapait. Aymerick était LE mec populaire des sixièmes. Sa grande sœur Typhaine était en Troisième et lui donnait tous les bons filons pour s’faire une place au soleil. Le mec a eu des total 90, des 360 et des Air Max, quand moi j’avais des bateaux. Dans d’autres établissements, ça aurait pu passer tranquille les Bateaux. C’est même plutôt cool comme paire de pompes j’trouve. Mais là ou j’étais, c’était Airness, Sergio Tach’ ou rien. Une mise à mort. Ma mère avait pas les mêmes goûts vestimentaires que les crapules capricieuses qui m’entouraient. Elle mettait un point d’honneur à choisir elle-même, mes p’tites affaires.

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Seulement, on était pas vraiment dans le même délire à l’époque. Elle faisait les choses bien, j’dirais jamais le contraire. J’avais un p’tit manteau d’hiver, un de demiesaison, une veste d’été, tout ça tout ça. Le vendredi, jour d’EPS était l’exception hebdomadaire. J’avais le droit de porter un survet’ et des baskets !!! Quand j’arrivais au collège ces matins-là, je fonçais direct aux chiottes, et passais illico la précieuse étoffe en polyester. J’faisais juste gaffe à pas croiser des gens que je connaissais pendant l’opération. J’voulais pas que des mecs me voient rentrer dans les toilettes en jean, et ressortir en survet’. Quoi qu’avec le recul, j’me dis que ça aurait pu être carrément cool. Le mec est un putain de magicien ! Faudrait que je tente le tricks aux Beaux-Arts. En vrai, j’le trouvais pas beau Aymerick. Il avait des grosses lèvres et des gros yeux. Il parlait fort avec une voix grave. Mais Aymerick avait les tablettes de chocolat, des gros muscles, et des fringues ultra-stylées. La veille de la rentrée j’étais chez lui, et le mec avait déjà préparé sa tenue. Il m’avait montré ça cher fier de lui. Une espèce de chemise rose-saumon et un pantacourt en jean. Le p’tit plus périglionique c’était une sorte de collier en rondelles de bois peintes là. C’était le putain d’accessoire à la mode à l’époque. J’en avais un aussi. Fin, j’en ai eu plusieurs. C’était de la daube ces trucs. ça s’imprégnait grave de ta sueur, et après le bordel distillait une espèce d’odeur rance de merde. Fin bref, j’ai commencé à bader quand Aymrick m’a montré ces conneries alors qu’on était occupés à jouer aux Legos.

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Et c’est con parce qu’on déconnait bien aussi tous les deux. Une fois il lui restait une pochette de vieux feu d’artifice, un truc que tu trouvais à la foire fouille pour kedall’. C’était ceux montés sur une petite baguette que tu plantes dans le sol. T’allumes la mèche du bordel et il se barre en sifflant et en laissant une trainée d’étincelles derrière lui. La maison de Aymerick était à l’intérieur d’un virage de la route vers Yelme. Yelme c’était la où y’avait l’asile des oufs, Sainte-Anne (Thomas Galopin était la target number one des blagues sur Sainte-Anne). Bon et du coup, on pouvait voir les voitures arriver en contrebas, passer en bas du jardin, prendre le virage et s’en aller en longeant la partie supérieure. On avait calculé le temps que mettait l’artifice à s’envoler à partir du moment où t’allumais la mèche. On avait aussi calculé le temps que les bagnoles mettaient pour arriver en haut du virage quand on les voyait venir en bas. On avait fiché nos fusées dans le sol tournées vers la route, à peu près au centre du jardin. Le délire, c’était d’arriver à toucher une voiture. On a essayé plusieurs fois. Au début, ça foirait, mais nos estimations se sont faites de plus en plus précises. On a pas réussi à en toucher une, mais à un moment la fusée a du passer à un mètre même pas devant le parebrise d’une vago. Le mec s’est arrêté direct. J’ai passé un des pires moments de ma vie… On passait pas mal de temps ensemble en dehors de l’école. Avec Bastien aussi. On s’faisait des parties de guns à bille, dans une ruine à côté de chez Aymerick.

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J’me rappelle qu’il avait un P99 à gaz ce bâtard. Et Batiste avait un Taurus, à gaz aussi. Ces trucs la déboitaient et faisaient grave mal à bout portant. Moi j’avais un pauv’ truc à 0,3 joule que j’avais gagné sur un stand de fête foraine. C’était pas hyper équitable, mais j’m’en sortais quand même. Mais au bahut ça avait plus rien à voir. Pour s’affirmer Aymerick passait son temps à m’faire des remarques sur mes fringues. Et j’en ai eu marre. C’est à cette époque que j’ai commencé à vraiment aimer le rugby. C’était en benjamin, en deuxième année. Tous les mecs de l’équipe étaient au collège avec moi. Y’avait Lucas Pelid, qui était en cinquième et qui se prenait pour une rockstar. Arthur Pycon, un mec cool assez discret et qui en voulait. Mouloura était là aussi cet abruti. Y’avait un p’tit qui s’appelait Damien. Il était pas très bon mais c’était un mec cool. Y’avait Babar, Baptiste Flantonile. Sans doute, le meilleur. Le mec était en cinquième, il était gros et courait super vite. C’est tout ce qu’il faut pour jouer au rugby. être gros et courir super vite. Il était vraiment cool en plus. Quand le mec avait le ballon il était inarrêtable. Ou alors fallait se foutre à trois dessus. Julien Delial était là aussi. Il jouait à l’aille. Mais il était trop keus’ et pas suffisamment couillu. On l’appelait jambon. Quand il courait, il faisait tourner son bras, celui qui ne tenait pas le ballon. C’était trop drôle ! Il arrivait pas à s’en empêcher. à l’arrière c’était Simon. Il était agile, mais jouait trop perso. Ca lui est arrivé de prendre quelques bonnes petées.

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Aymerick jouait à l’ouverture. Il était hystérique sur le terrain. C’est le genre de type qui, lorsqu’il récupérait le ballon, poussait un hurlement, lançait son poing en avant et fonçait droit dans le tas, sans s’arrêter de hurler. Aymerick posait des raffuts de dingue. Il était sans scrupule. Il a continué plus tard jusqu’en équipe espoir. Mais ce con s’est fait viré de son centre de formation parce qu’il fumait des pétards. Rémi jouait au centre. Il était pas mauvais non plus mais ne plaquait pas. Il était juste présent sur les phases d’attaques. Pad’ jouait deuxième ligne avec Babar. Il était pas bon, vraiment. Pas de vitesse, pas de technique, pas de haine, et il avait les chocottes. Mouloura était pillard. Il était trop gros et con pour faire quoi que se soit de bien. Le mec savait pas plaquer. Il te poussait minablement. D’ailleurs, ce con avait redoublé son CP. Comment tu fais pour redoubler ton CP putain ?  L’autre pilier c’était Stephan Loulhos. Un énorme gros. Il rigolait tout le temps. Quand il s’excitait, il pouvait vraiment faire mal. Mais il était trop mou et trop irrégulier. Le talon s’était Kevin, le fils de la boulangère. Au début Kevin était naze. Mais il a su s’affirmer et devenir indispensable à l’équipe. C’était un petit gros trapu, court sur patte assez puissant. Moi j’étais troisième ligne. Au rugby y’a les gros d’un côté et les maigres de l’autre. Les gros courent partout. Ils ont pas de poste fixe. Ils doivent tout le temps suivre le ballon, pour le protéger, ainsi que son porteur.

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En vrai ils font tout le taff et c’est les trois-quarts qui marquent. Les gros, c’est les mecs du pack, les gars de la mêlée. Et c’est comme ça que l’entraîneur nous appelait, les gros. J’faisais partie des gros. Et c’est vrai que j’étais pas maigre, et j’aimais bien bouffer. J’ai commencé le rugby à Nantes, après avoir vu la finale de la coupe du monde France / Nouvelle-Zélande en 1999. Mais sur le terrain, c’était autre chose qu’à la télé. Au début, j’avais peur. Et j’ai jamais arrêté d’avoir peur. Mais j’avais peur et j’allais pas sur le ballon. Je faisais presque semblant. Parce que c’était violent. Les deux premières années, j’étais souvent remplaçant, et j’galérais à m’faire une place dans l’équipe. Et c’est cette année de sixième où j’ai commencé à m’énerver. On jouait contre Magrat. Les mecs du club étaient bons. Avec Cagefi et Dongour, on était les quatre meilleurs clubs de la région. Cagefi c’était la ville la plus importante. Ils étaient connus pour leurs fourberies. Un peu comme les rosebeefs chez les internationaux. Nos deux entraîneurs se détestaient. Et j’me souviens qu’avant de jouer contre eux ils nous disaient de pas nous retenir, de leur péter les dents, et de les démonter sur les plaquages. Les mecs de Cagefi trichaient. Sans qu’on le sache, ils faisaient jouer des gars de minime dans leur équipe de benjamin. Quand mon entraîneur l’a découvert ça a failli partir en générale entre les deux staffs. à Magrat ils avaient deux ou trois costauds qui nous terrorisaient. C’était de la même trempe que Cagefi dans les gabarits et dans le style de jeu.

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C’était gros, ça percutait et ça vous essoufflait, et ça vous effrayait. Nous, on était plus comme Dongour. Les mecs étaient plus petits, et jouaient rapide. Ils allaient vite, faisaient circuler la balle et prenaient bien les trous. Donc un samedi, on jouait contre Magrat. Et à un moment les mecs ont obtenu une pénalité à cinq. ça veut dire en gros, qu’on était acculé sur notre ligne d’essais, que les gars d’en face avaient le ballon et qu’ils avaient plus que cinq mètres à faire pour aller marquer La technique était toute conne dans ces momentslà. On allait chercher le plus gros et le plus mauvais de l’équipe. Fallait qu’il arrive lancé, on lui passait le ballon et le mec défonçait tout pour aller marquer. Et dans ces moments-là, quand t’es en défense, et bin tu te casses presto ! Parce qu’à moins d’être kamikaze, personne veut se prendre le gros d’en face dans la gueule. Sauf que quand ils ont eu leur pénalité Magrat, c’est moi qui me suit retrouvé en face du gros d’en face.Je sais pas trop comment, parce que d’habitude j’prenais bien soin de me barrer. Et j’avais personne avec moi, j’étais son seul vis-à-vis. Si je fuyais, je lui libérais le couloir pour aller marquer. Je pouvais pas faire ça. Je pouvais vraiment pas faire ça, parce qu’on avait pas le droit de perdre contre Magrat. Et je me souviens le mec était grand. Il devait taper le mètre soixante-dix. Et moi j’faisais à peine un mètre cinquante. L’arbitre a sifflé, j’ai vu le mec s’élancer, leur demie-demêlée lui faire la passe. Je me suis baissé, la tête dans ses genoux, et j’ai serré ses guiboles parce que j’avais pas le choix. Et je l’ai stoppé net ce gros sac !

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Le mec était tombé, c’était ouf ! On a récupéré la balle et Babar a remonté tout le terrain avant d’aller marquer. Et j’me souviens quand j’me suis relevé, Mouloura était là, à côté de moi. Il m’a regardé comme un ahuri et il m’a dit : « La tête dans les genoux, mais t’es complètement taré. » J’lui ai pas répondu, j’étais cher fier. à partir de ce jourlà, ce conard m’a plus jamais fais chier. Il m’avait même acheté un paquet de chips quand on était allé voir Matrix Revolutions au cinoch’. J’en revenais pas. à partir de ce match, j’suis devenu titulaire. J’avais toujours peur. Quand tu rentrais sur le terrain, tu voyais l’équipe d’en face se déployer, et tu pouvais facilement situer ton vis-à-vis. Et moi, c’était la merde. Parce que normalement un troisième ligne c’est grand, c’est massif et sa gueule. Dans l’équipe, le troisième barre quand t’es gamin, c’est le mec à la voix grave qu’est le premier à avoir des poils à la bite. Et moi c’était pas vraiment ça en sixième. Et j’avais encore moins la voix grave. J’étais soprano avec les meufs pendant les cours de musique : « Ooooh ooooOOOOoo Noéééé Noééé pourquoi t’es pas sur le bateaAUu……». Et donc le mec d’en face était toujours plus balèze que moi, et j’avais peur. Mais j’avais ma p’tite technique.Dès la première phase de maul j’me jetais dans le tas. Un maul c’est quand le mec qui a le ballon se fait coincer par tout le monde et que tous les gars autour se ruent dessus.

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Et dans les mauls ça bouge dans tous les sens. Tu prends des coups de coude, des coups de tête, de crampons. Et les crampons de gros putain ! On avait pas les mêmes chaussures que les trois-quarts qui étaient plus légers. C’était l’époque où les crampons en fer étaient encore autorisés. J’me souviens j’avais des Kipstas mastardes en gros cuir rigide qui me remontaient jusqu’à la cheville. Et sous la semelle, j’avais 1,5 cm de crampon metal. C’était pour avoir plus d’appui dans les mêlées ou dans les mauls. Et le coup de crampon sur la malléole…ça te foutait dans une rage ! C’est pour ça qu’au premier regroupement, je m’obligeais à rentrer dans le tas. Tu ramassais forcément un coup. Et c’est le genre de coup, pas trop fort, mais fort quand même. Le genre de coup qui t’énerve. Comme un choc sur le nez, ou un mur dans la trogne. ça marchait presque à chaque fois. Si c’était pas le premier, c’était le deuxième. J’me prenais un coup et j’ressortais de la complètement hystéro. Après ça, j’avais plus qu’à courir partout, à me prendre d’autres coups pour faire monter la moutarde. Et j’avais plus peur, et c’était vraiment bon ! En dernière année, j’étais capitaine, j’récupérais les coupes, c’était cool. J’kiffais les ramener à la maison. C’était mon putain de trophée, j’me sentais cher fier ! Une coupe, ça racontait tout :  les hématomes, les plaies, ma putain de lutte avec les copains, et notre victoire. Une coupe, c’était ma rage, ma haine, ma colère, et ma peur sur le terrain. Tout ça dans un bout de plastique.

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Et avant de dormir, j’regardais mes coupes sur mon étagère. Y’en avait de partout. Et j’étais bien. Des fois, c’était compliqué, parce que la coupe était vraiment belle, ou alors le tournoi était très important. Et dans ces cas-là, tout le monde la voulait. J’me souviens qu’un jour le frère de Simon, Paul qui jouait en minime voulait me voler la coupe. C’était après le tournoi d’Aurillac. Cette compette était vraiment dingue. ça se passait sur deux jours, et elle rassemblait énormément de clubs. Une fois, on s’était qualifié pour les phases finales. On avait pas perdu un seul match en deux jours. On devait en découdre sur le grand terrain devant un tas de spectateurs. On avait pas gagné, parce que les mecs d’en face étaient vraiment trop forts. C’était Toulouse ou Bourgoing, je sais plus. Et on s’était laissé submerger par l’émotion. Et quand j’écris ça, j’suis pas loin d’avoir envie d’chialer, parce que je me souviens de tout. Et parce que j’avais pleuré aussi pendant ce match. J’avais pleuré de rage et de frustration, de nous voir incapables. Incapables d’avancer, incapables de faire quoi que se soit. Alors qu’on en voulait, qu’on avait tout donné. Mais les gars d’en face étaient au-dessus. Ils étaient réglés au millimètre, ils jouaient froidement, rapidement, efficace, ne laissaient aucune faille. Implacables. Et on s’était brisé sur leur défense. Ils nous avaient démolis. Consciencieusement. Ils avaient pété la clavicule de Damien, et le genou de Jonathan. J’ai pas parlé de Jonathan encore. Il était pas du même collège que nous. Personne l’aimait dans l’équipe, parce qu’il était mauvais.

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Pas au rugby, mais dans la vie. C’était un mec méchant, qui savait pas gérer ses pulsions. Dans le vestiaire, il avait fouetté Julien avec sa boucle de ceinture. On savait pas quoi faire, c’était horrible. Pad’ avait pleuré. Il était sorti du vestiaire. Jonathan était un psychopathe. Mais sur le terrain un psychopathe ça sert. Il avait beaucoup de colère en lui, et il était bon. Il était capable de plaquer un mec. De se relever, d’en plaquer un autre, pour se relever encore, et en démonter un troisième. Il était galbé comme une allumette, mais faisait très peur à l’adversaire. Il en voulait grave. J’ai recroisé Aymerick et Pad’ il y a trois ans. Ils m’ont dit que Jonathan s’était fait coffrer par les condés. Ils l’ont choppé en flag’, en train de péter un mur du Shopi à la masse. Psychopathe. Ce jour-là à Aurillac, Jonathan était tombé. Il s’était fait les ligaments croisés. Et on avait fait deuxième. Et c’est moi qui étais allé chercher la coupe. Et ce bâtard de Paul voulait me la péter. On était dans le bus, et il avait essayé de me faire peur pour la récupérer. J’ai pas cédé. Et il a tenté de me la prendre de force. Et je m’y étais accroché comme je pouvais. Il avait fini par abandonner. Il aurait pu l’avoir, parce qu’il était plus fort que moi. Mais je pense qu’il a compris que j’y étais très attaché. Il était juste retourné vers le fond du car en ricanant. Et je sais pas pourquoi, il m’avait dit que j’avais une tête et un prénom de golfeur.

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Un autre jour,

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un autre matin.

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J’y pense un peu, et je me dis que certains rugbymen auraient pu être des putain de Picasso. Fin faut voir lesquels quand-même… Comme n’importe quel sport, ça demande de la réflexion et de la stratégie. Mais pour accepter la violence et les chocs, il faut plus que ça. à mon avis. Il faut se libérer, sortir sa colère et dépasser ses peurs. Ce qui est impossible dans beaucoup de pratiques, si tu veux être efficace. Si tu veux gagner tout simplement. Comme au tennis, au ping-pong, ou aux volleys où tout se base sur le mental, la concentration, le contrôle et la précision du geste. Et j’en avais un peu marre de ces mots-là, en sixième. Daniel Gnard faisait pas de rugby. Il était en cinquième quand on était en sixième. C’était le bad-boy du collège. Il était pas très grand. Des gros yeux marron, une coupe au bol de cassos’, et je crois qu’il avait redoublé son CP, comme Mouloura. Si tu lui rappelais, le mec te pettait un bras. Il m’aimait pas, je sais pas pourquoi. Un jour, quand Aymerick se foutait encore de mes putains de fringues, il s’était ramené et avait dit : « Mais arrêtez les gars, c’est parce qu’il a pas les moyens c’est tout.» C’était encore pire que de me dire que j’étais mal zappé. Qu’est’en sait que j’ai pas les moyens ?!! Mon père gère vingt fois plus que ton alcoolique de géniteur ! Qu’est c’qui te permet de parler de moi comme ça ?! Imbécile !

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Daniel Gnard fumait des clopes, et des beuz aussi. Il devait se faire arnaquer par un lycéen qui lui vendait en gros ; une espèce de tamien à moitié terre à moitié pneu. Le problème, c’est qu’il le revendait à mes potes son shit de merde. Les mercredis, on avait les compétitions de l’unss. Et je me souviens que Daniel Gnard, Pad’, Aymerick, Rémi et Mouroula allaient derrière la mjc. Ils se planquaient fumaient des clopes, des beuzs et buvaient des bières. On était en cinquième bordel !!! J’suis jamais allé avec eux. Et dans ces moments-là, je rejoignais les geeks. La tribu des geeks était assez spéciale.

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Ă 2h00 dans le b crevant d

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blanc. Le blanc de l’écran.

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J’en étais à la tribu des geeks. J’ai pas mal squatté avec ces putains de geeks au collège. Des mecs chelous qui écoutaient du métal. Y’en avait pas mal dans ma classe. Justin Renaudat, un truc comme ça. Un mec qui venait de Gagnac. Je suis pas vraiment sur que le bled s’appelait comme ça. Mais c’était dans le même délire que mon patelin à moi, Angles. Paumé. Justin était fils d’instituteur. Son père faisait pas rire. J’me suis bien marré avec Justin. Il se marrait souvent de toute façon ce mec. Il était bon en maths aussi, c’était un des seuls qui portaient un peu d’intérêt aux cours de Mme Amrint, notre prof ’ de maths en sixième.

j’y suis plus la putain…

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Veille de workshop, ou presque. Et j’ai plus envie d’écrire. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que j’aime plus mon texte. Peut-être parce que c’est trop long, voire impossible. Quand c’est la nuit, et que je suis dans mon lit, et que j’arrête pas de penser, je voudrais tout noter, tout écrire. Je me suis rappelé de tellement de choses, de tellement de noms. En remontant dans ma mémoire, j’ai libéré tout un tas de bribes et de fragments. J’ai rebondi de boîte en boîte, d’année en année, de visage en visage. J’ai ouvert des tiroirs qui s’étaient refermés depuis bien longtemps. J’ai voyagé au travers de zones enfouies que je pensais inaccessibles, et dont j’ignorais jusqu’à l’existence même. J’ai labouré, pétris et surement malmené ces parcelles de mémoire. Une espèce de parcours chaotique, irrationnel et ingérable. Le lendemain, quand je me réveillais, les tiroirs s’étaient refermés, plus de transparence, plus de fluidité, rien qu’une mélasse opaque et insondable. Le stylo et le clavier ne peuvent rien confrontés à cet amalgame grondant, mouvant et terrifiant. Il n’y a pas d’embarcation suffisamment rapide pour distancer les souvenirs, pour les cerner et les figer sur le papier. ça se vit et c’est tout. On n’en reparle pas, on ne s’en souvient pas. C’était juste des putains de mirages. Des ilots qui surgissent, puis disparaissent lorsqu’on essaye de les situer avec exactitude. Il n’y a pas de carte, ni de raccourcis. On ne peut pas y retourner. Je me suis efforcé de contrôler ce flux de pensées, de censurer cette anarchie, pour y poser des mots. Et je me suis rendu compte que je n’y arriverai pas.

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Alors je me suis lassé. Tout ce qu’il me reste, c’est des noms. Des noms qui existent quelque part et qui m’autorisent à dire que tout ça s’est réellement passé. Des noms de personnes, des noms de lieux, des dates, des marques, des diplômes, des objets, des musiques et tout un tas d’autres conneries, dans lesquels on se projette et qui m’ont permis de rejouer le spectacle de ma vie. Mais qu’est-ce qui articule tout ça ? Les insomnies c’étaient comme une espèce de plongée dans un sous-marin chelou. Je suis là sur mon siège et je regarde par le hublot, et je vois mes souvenirs. C’est pas moi qui conduis, mais je peux voir quand même. Si j’essais d’écrire en même temps que je vois, le sous-marin remonte direct à la surface, ou passe tout de suite à autre chose, et de plus en plus vite, pour que je vois, mais que je ne me rappelle pas. Et le lendemain quand je suis bien réveillé, impossible de se faire une nouvelle virée. Le sous-marin est là, mais vu qu’il n’y a pas commandes, je reste sur place. Ca serait comme passer d’une plongée dans la fosse des Mariannes, à une apnée dans ma baignoire. J’aimerai bien rencontrer le capitaine pour qu’il me laisse faire un tour tout seul, rien qu’une fois. Mais le capitaine viendra jamais je pense. Le capitaine m’a l’air d’un sacré fils de pute. Je suis pas sur, mais je crois que les mecs qui écrivent leur autobiographie prêtent serment. Un délire qu’on appellerait pacte autobiographique, où ils s’engagent à ne pas mentir et à raconter toute la vérité rien que la vérité.

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Comment ils font ces vieux schnocks ?! Parce qu’en plus ils sont pas tout jeunes la plupart des mecs qui se lancent dans le game. C’est plus une plongée sous-marine là, les types se retrouvent catapultés dans l’espace. Et j’suis presque sur qu’ils se perdent. Ils peuvent pas la restituer de manière objective leur putain d’existence. Ils racontent leur vie, et prennent des décisions narratives afin d’apparaître comme tel aux yeux du lecteur.Mais c’est pas eux, et c’est pas leur vie non plus. J’y crois pas à ton pacte, ni à ton autobiographie, romancée ou non. Eux non plus ils ont jamais rencontré le capitaine. En tout cas mon mito à moi s’arrête la.

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Conçu et réalisé à Rennes, autour d’un travail d’écriture animé par Anna Boulanger, et du workshop « Reliure » d’Annie Robine. ARC Errances 2013. 2014. EESAB Rennes.


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