A vol d'oiseau ce n'est pas très loin

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Merci Thierry et Anna, c’était une une belle aventure d’écriture.







- A chaque fois je suis trop fatiguĂŠe, j'ai pas le niveau, je ne me sens pas de continuer... et on fait demi-tour. J'aimerais bien aller au sommet pour une fois. - Oui mais tu comprends l'objectif c'est que justement le sommet ne soit jamais le but.


Neige sur neige : Du blanc sur du blanc ou du blanc sur du vide. Gilles Modica, La crevasse, Vertiges chroniques ĂŠdition guĂŠrins chamonix


- Demain on se lève tôt ? - Apparemment il devrait faire chaud, partir vers 4h ça serait bien.









- On fait une pause ici ? - Oui, ce n’est pas trop raide, et la vue est belle.



- La grande face claire à droite, c’est un effondrement qui a eu lieu en 2011. - Les glaciers ont pris une claque.





-La chaleur frappe. Sous la moraine, on entend l’eau qui roule. J’ai les doigts gonflés, les épaules rougissantes, les narines asséchées sous le Buff et ma bouche macère dans sa propre haleine. Soudain, un grondement et des impacts secs. Je regarde à droite, un nuages de poussière s’élève. Un pan de montagne s’éclaircit.





- Ce soir John ne parle pas, les joues chiffonnées il regarde le brouillard qui monte de plus en plus blanc, de plus en plus opaque. - Son t-shirt est entrain de sécher. Torse nu sous son pull, il frissonne. Karl dépose une théière fumante, la buée se dépose sur le carreau. Le toit craque et le vent siffle. Un doigt, dans le petit pot en métal gratte de l’ongle une noisette de graisse et caresse les lèvres gercées. Ils sourient.








Deux enfant entre les blocs de granit, ils bondissent ! Des morceaux de falaise, des cailloux tout effondrés, plein de défis. Il faut sauter, parfois grimper, éviter les toiles d’araignées. Marcher alors très doucement et surtout ne pas casser un fil. Le mouvement fini, hop on repart. L’aîné est plus rapide, son frère court dans ses pas. Si la marche est trop haute, il lui tend la main. Ils ne parlent pas, un peu de concentration. Un peu de silence. Au fond, le torrent, des nuages, l’herbe rêche. Il fait beau.


Il tend le cou vers le soleil, ouvre la bouche. Un peu de silence, les paumes ouvertes. Il se passe la main sur le visage, doucement. Il ouvre une paupière, puis deux.



Aujourd’hui, il fait 8°9.


Très sombre et beaucoup de brouillard. Une station de ski, de belles pentes, des mélèzes. Il est trempé, tout seul, mais ça va. Le sac est étanche. Il marche. Il y a du vent. Il a peur des flics, zone centrale du parc, c’est pas top. Un petit peu plus sombre, toujours du brouillard. Dans un angle, entre deux bâtiments, il attend. Ici il y a moins de vent, il est près de la route mais à moins de chercher, personne ne le verra. Il se dit «Dans le parc, contre une zone aménagée, la nature est déjà bien impactée.» Sac, arceau, toile, sardine, tendeur, sardine, tendeur, sardine. Pelotonné devant son réchaud il ne dit rien. Aujourd’hui il n’a rien dit. Hier il a parlé avec un agriculteur. C’était bien. Il lit, met un pull, une deuxième paire de chaussettes, s’endort, se réveille, s’endort, se réveille. Sort une couverture de survie et l’étend sur lui. Une grande surface dorée. La transparence est belle, à chaque mouvement ça se froisse doucement, ça crépite. Il a plus chaud. Il fait une connerie je le sais ; avec la couverture ça va condenser et au réveil le bout du duvet aura gelé. Il apprend ce n’est pas grave. Et demain, au café, toutes les affaires trempées s’étendront sur les chaises, les tables et l’étendage.


Le ciel est clair.



Il nous a dit que les guides étaient montés. Ils avaient regardé avec un drone pour essayer d’évaluer les dégâts. Ils sont redescendus. Au retour ils lui ont dit : « tu sais, les blocs qui tombent c’est des frigos ».




Ce qui me frustre le plus c’est de ne pas connaître le poids. C’est important le poids. C’est même le plus important dans l’épreuve d’une forme. La toucher, la sentir, d’accord, mais quand quelqu’un la soulève quel poids ça a ? Quelle posture ça donne ? Quelle hauteur de bras ? Quelle courbure de dos ? Parfois je rêve d’un mémoire qui aurait pour titre : « Le poids et la posture » ou alors : « l’épreuve du poids dans la manipulation d’un objet » .Je le dévorerais.




Karl trébuche et s’égratigne le front. Il chancelle, puis se reprend. Les pierres roulent sur la moraine. La glaces a fondu, de larges traînées noires s’étirent au sommet des éboulis. Assis sur un bloc, il ferme les yeux et passe la langue sur ses lèvres.

Sa main contre son visage, il soupire, caresse sa joue, son cou. Le soleil fait ressortir le duvet délicat de sa nuque et sa veste se froisse doucement.





Doucement, le feu me monte aux joues. Qu’est ce que je fais là ? - Ça va ? - Oui, c’est beau ici. - On sort plus haut sur la brèche à droite. De l’autre côté c’est moins raide, on se décordera après la rimaye. Karl sourit, la crème solaire s’accumule au creux de ses fossettes. D’ici, on entend régulièrement le roulement des pilonnes du téléphérique. Parfois, le bruit me surprend. J’ai l’impression que le glacier gronde et je vérifie alors consciencieusement notre corde et mon positionnement.



- Monte bien ton genou, super là tu vas voir un petit peu à droite de la fissure t’as un petit gratton. Tu peux y aller c’est béton.


J’ai mis mes mains dans la neige, pas très faim, pas très sommeil. Une lenteur du ciel, une hauteur dans la tête. Les paumes au soleil. Que veux tu faire ? Où sont tes orteils ? Quelle est ton oreille ? Reste, mes joues craquellent. Tièdes, les traces sont profondes. Vertige, j’y crois encore. A bout de lèvres, au fond des nerfs. Les crocs brillantes.


- Tu en veux ? Il me tend un gourde glacée à bout de bras. - Non merci, j’en ai encore. Karl soupèse la bouteille, regarde la pente qu’il reste à descendre et vide la moitié du contenu à ses pieds. Il ne faudrait pas porter 250 grammes d’inutile.





- HAHAHA j’ai le vertige au bout des orteils ! Sa main court, se glisse. Les doigts verrouillés, il monte lentement sur la gauche. Le lichen s’effrite et tombe en pluie fine



« Tu vois, ce qu’il se passe c’est qu’il neige. Plusieurs fois. Les flocons c’est comme des étoiles avec des pointes. Parfois il y a du vent, parfois il y a un changement de température et les pointes se cassent. Là, les étoiles deviennent des petits grains, la neige est plus compacte. Ça s’agglutine, la neige en surface est plus dense. *Il met une main à plat sur sont poing fermé* Si il y a un petit peu de pente, que la couche inférieure est moins stable, plus aérienne alors il y a un risque. On passe dessus, la plaque s’affaisse et part. *Sa main tendue se dirige vers le bas* Tu comprends ? La croûte supérieure glisse sur la couche inférieure et toute la surface descend. »














ÂŤ [...] Vitamine II Dragron 38 I on arrive dans 11 minutes. Âť


-Tu veux de l’aide pour la vaisselle ? - C’est gentil merci, il y a un torchon sur ta gauche. - Vous faites comment pour l’eau ? - On a un captage. Plus haut dans le vallon il y a une source. « [...] Vitamine II dragron 38 I on arrive dans 4 minutes. » - Attends.



- C’était quel glacier ? Tu as entendu toi ? - La cordée des trois espagnols ce matin ; ils sont arrivés ?


- Wait a minute. Maman viens voir, oui tout de suite. - Asseyez-vous, respirez, breathe. Allo j'aimerais joindre le PGHM de Briançon s'il vous plaÎt [...]. Il fait beau - Stay here, rest a bit, don't go now, eat a bit. You can sleep here tonight if you want to.



Le sol gronde. Une soif accablante coule d’une sueur brûlante. Crânes mugissants de basses rugissantes. Le mur des murmures monte et s’élance de nos gorges graves et tonitruantes.



Il fait froid. Elle ramène ses pieds sur la peau de mouton. Il fait plus chaud.



Les gestes déconstruits laisse sa peau et ses pores à vif. On se laisse ressentir. On déglutit. Les tempes explosent. Le goût de sa nuque s’engouffre dans ses poumons. Hasardeuses, la commissure des lèvres accuse un rictus. La bouche s’élance, et la forêt en extase se gorge de leur sueur.


Main droite Pied Les bras tendus La peau sèche Rugueuse Un pied à plat Pointe, petits pas Il faudrait y croire un peu Peut-être que Oui, super


Si on peut salir, souiller, alors ça veut dire que l’on est sale ? Souiller c’est polluer. c’est contaminer petit à petit, empoisonner et gâcher quelque chose. Si on peut salir alors on peut nettoyer. On a inventé le propre. L’extérieur ne sera jamais sale. La peau sera elle-même. Souiller c’est sortir d’une logique, d’une bienveillance. S’autoriser à briser. Sortir de l’attention, appartenir à autre-chose, du domaine de la pulsion. Du radicalement individuel. Refuser l’état des choses. Refuser l’existence des autres. Tout foutre en l’air et s’autoriser à cracher. Abandonner, tout écraser, se laisser déchirer. A un moment, refuser refuser refuser, tout rejeter et piétiner.



Et tout cela craque et gémit, grince et hurle. Un endroit maudit, une eau salle, souillée. On a gâché le sol, cassé sa force. Des rivets percent la falaise, solides. « Vous savez, c’est un lieu que l’on oublie. La lande est si belle,quand l’état est arrivé on a gueulé mais ça n’a pas marché. On aurait peut-être dû gueuler plus fort. Alors on n’en parle plus. On en a pas envie. Au fond, un peu d’amertume. » Il déglutit, regarde la mer, détend ses épaules. Il est beau au soleil, ses mains immenses contre ses jambes ancrées au sol.


- Les pieds bien Ă plat, il se dĂŠlie les doigts doucement.



- J’ai les mains moites. - Prends ton temps, respire un peu. Reste bien sur la gauche.

- VachĂŠ ! noeud, mousqueton. - Sec ! corde qui glisse. - Ok !


Je suis fébrile. J’entends mon cœur qui vibre. Vibration sauvage d’un corps en nage. Claquent et cliquètent les craquements secs d’une gorge qui crève. Muette, j’ai les lèvres sèches.










Edition réalisée au cour de l’atelier ERRANCES. Session VENELLES, EESAB site de Rennes. Réalisée par Daphné KAINCZ Reliée en mai 2020. accés à l’atelier ERRANCES : http://www.errances.fr/ accés aux éditions : http://www.errance-editions.fr Crédits photographique p75 et 78 : Etoiles et tempêtes, Gaston REBUFFAT, 1976



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