Les loups

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les loups


Pourquoi les loups ? Le nom des Daces vient

du phrygien daós, qui signifie « les loups » ou « ceux semblables aux loups ». Cet animal est, pour les roumains, symbole de leurs origines, de leur spiritualité et de leur identité. Mais pour ma génération, ces notions sont trop floues.

Depuis toute petite j’ai pu remarquer un élément

récurent dans mon éducation et dans l’éducation de mes amis : la haine envers notre culture. J’ai grandi en ayant honte de quelque chose qui me définissait. Nous ressentons une honte par rapport à notre passé. Car si celui-ci nous définit, qui sommes-nous ? Un peuple de perdants, n’ayant ni commencé, ni gagné aucune guerre ? Un peuple de lâches, envahi et occupé par plusieurs empires ? Un peuple soumis, ayant subi la famine sous un régime soviétique qu’on n’a pas su combattre ? Rétrogrades, pauvres et incapables de lutter pour dépasser cette condition ?

Cette image se reflète aussi dans la perte

de la spiritualité. Nos mythes fondateurs, les contes et les légendes sont toujours étudiés mais de manière péjorative. Pour le bac on analyse la violence du paysan dans des commentaires littéraires.


On a honte de ces mythes qui se passent

à la campagne. On a honte d’avoir des grands-parents à la campagne. Honte de leurs rites et superstitions, honte de cet univers rural qui définit notre culture.

Mais comment savoir où on va si on ne sait pas

d’où on vient ?

La perte de repères spirituels a pu commencer

au IVe siècle apr. J.-C., quand les Daces ont été forcés d’abandonner leurs croyances zalmoxistes pour devenir chrétiens. Et ceci se ressent même à présent. Car même aujourd’hui, les populations rurales vivent une vie spirituelle très complexe, un mélange entre traditions orthodoxes et mythes païens, célébrant des divinités. Rejetés par les latins, exclus par les slaves, il n’est pas difficile de comprendre le sentiment de manque d’appartenance. Sentiment renforcé au XIXe siècle par l’État. On parle ici des « formes sans fond » d’Eliade, une tentative de rendre une société balkanique plus moderne en copiant les institutions et l’éducation occidentales (principalement françaises). Car « tout ce qui est moderne vient d’ailleurs ». D’un point de vue administratif, rien de plus vrai.

Avec le communisme, la spiritualité s’est encore

plus dégradée. Après avoir censuré toute forme de spiritualité, le système a proposé aux roumains des nouvelles divinités : le béton armé et l’acier.


Cette période a fortement troublé le sens

de l’identité, l’histoire était réécrite alors que l’alphabet et le langage étaient manipulé pour avoir des sonorités plus slaves.

Après la chute du régime, les légendes fortement

liées au milieu rural ont été rejetées, on avait soif de modernité et d’Occident. Nous avons commencé à rejeter et avoir honte de la campagne, pauvre, symbole du système soviétique. Le mythe miroitique, le seul mythe fondateur ayant des racines daces, est réduit à l’histoire de deux bergers jaloux assassinant un troisième. On se moque et on ridiculise notre passé, on veut faire tabula rasa.

Depuis 1989, on ne sait plus où regarder.

Le passé est un souvenir douloureux. Le présent semble parfois injuste. Le futur incertain. Il se peut que la recherche d’identité trouve des réponses dans ces mythes qui paraissent parfois rétrogrades mais qui véhiculent des valeurs nobles, des leçons sur l’amour, l’honneur et le courage. Deux millénaires plus tard, les loups restent toujours vivants dans nos esprits, dans nos rites et dans nos valeurs.


mythologie





modernité Cela fait trois semaines que Dimitrie est censé envoyer une lettre à sa mère. Avec le travail, il n’arrive pas à trouver le temps pour se poser et écrire. C’est aujourd’hui qu’il lui écrira. Sinon elle va s’inquiéter. En rentrant chez lui, il enlèvera son manteau, il allumera sa pipe et se posera à son bureau. Au bout d’une demi-heure il aura fini la lettre et la glissera dans une enveloppe. Il écrira l’adresse de sa mère, elle habite à Athènes. Mais lui ? Il ne peut rien indiquer pour l’adresse. Il lui écrira demain.





Mihai Viteazul

Les Thraces, les Celtes et les Romains. Mais à quoi ça sert dans la vie ? Je suis sûre qu’on se pose tous cette question, mais personne n’ose le dire. C’est vrai que la prof d’histoire me fait peur depuis quelques mois, surtout depuis qu’elle a giflé Malina en plein contrôle. Je n’ai pas envie de me faire gifler. Pourtant je suis quasi-sûre que c’est illégal de faire ça en classe. Non, ça ne peut pas l’être. Je vais demander à papa demain.

Les Thraces, les Celtes et les Romains.















récupérer le passé

Ce matin, il a ramené ses dernières affaires

dans son nouvel appartement. Appartement 83, huitième étage, soixante mètres carrés, cuisine équipée, toboggan pour les ordures sur le palier. Il a hérité de cette maison, son grand-père l’avait construite un peu avant la naissance de sa mère. Il avait fait fortune en construisant un des premiers hippodromes du pays. Il passe un dernier coup de serpillère sur le parquet du salon. Une semaine plus tard, sa maison n’est plus là.



origines





les romans Elle connaissait son père et elle savait qu’il n’allait jamais accepter cette défaite. Il ne s’y attendait pas et elle non plus d’ailleurs. Qu’a-t-elle décidé de faire ? Personne ne pourra répondre à cette question. En entrant dans les maisons du village, T et son armée ont seulement trouvé des rochers et des cailloux.





les slaves On était allongés sur le lit depuis quelques minutes quand il s’est levé pour sortir un livre de sa bibliothèque, cadeau de sa mamie. Il me lit quelques mots avec un accent que je trouve ridicule. J’en comprends certains, birt, cocina, ocna. Des mots du sud, qu’on n’emploie qu’à la campagne, le langage soutenu est principalement d’origine latine. Il faisait un peu froid mais on gardait la fenêtre ouverte. C’est drôle, le mois de mai a souvent cet effet-là. On attend l’été et le froid a l’air un peu moins froid.











le mythe français

m’sieu Léonida face à la réaction

une lettre perdue

une nuit orageuse

un peu comme aimer une femme qui ne connait pas notre prénom ni la couleur de nos yeux









nous et les autres





mythologie communiste Cet été on a commencé à creuser le nouveau canal de la rivière. Il a une profondeur de dix mètres et une longueur de treize kilomètres. Lui-même a passé trois mois à creuser. Ce matin il ne doit pas le creuser, mais le traverser. Car son école se trouve de l’autre côté. Il a déjà quelques minutes de retard et il pleut. Il descend dans le canal, il le traverse mais la remontée est plus difficile. Ils sont plusieurs dizaines d’étudiants à essayer de monter, la fac a même attaché quelques cordes aux arbres pour qu’ils puissent escalader. Ils sont tous pleins de boue, certains tombent et d’autres se sont coupes les doigts avec la corde. Pourquoi personne n’a pensé à faire un pont ?

















Tepes, où es-tu ? Iulian aime le conflit. Quand il était en primaire il aimait se moquer de certaines filles de sa classe. En tant que père il aimait taper son gosse parce que cela créait du conflit avec sa concubine. Tout au long de la journée Iulian conduit, Iulian travaille, Iulian envoie des mails. Parfois il part en vacances. Il déteste. Parfois il fait des manifs contre les homos. Il les déteste. Iulian adore blesser, casser et nuire. Iulian est malheureux.




les loups

Arsenie Ana

imprimé en 2020

réalisé dans le cadre de l’Atelier de Recherche et de Création « Errances » EESAB – site de Rennes

l’atelier Errances / le blog : http://www.errances.fr/

errances éditions : http://www.errances-editions.fr

police de caractère utilisée : Infini de Sandrine Nugue, 2015

conception graphique : Arsenie Ana

remerciements : Anna Boulanger , Thierry Moré , Anne-Sophie Convers




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