Les cheminements, entre approche sensible et pratique créatrice de paysage - mémoire de recherche

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Les cheminements, entre approche sensible et pratique créatrice de paysage MÉMOIRE DE RECHERCHE

Émilie Mendiboure

Ecole Nationale Supérieure de Paysage de Versailles – Agroparistech – Université Saclay Master 2 Théorie et Démarches du Projet de Paysage


Atelier des Jours à Venir C.A.U.E. Pyrénées Atlantiques Conseil de Développement Pays Basque


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Définitions Affectif, adj. : (Larousse) Qui concerne les sentiments, les émotions, la sensibilité. Qui relève du sentiment, non de la raison ; sentimental. Attachement, n.m. : (Larousse) Sentiment d'affection, de sympathie ou vif intérêt qui lie fortement à quelqu'un, à un animal, à quelque chose. Chemin, n.m. : (Larousse) Voie de terre, route établie pour mener d’un lieu à un autre. Passage, piste qu’on trace et qui sert de route. Direction à prendre pour aller d’un lieu à un autre. Itinéraire, trajet. Distance à parcourir pour aller d’un lieu à un autre. Progression d’un point à un autre, d’un état à un autre ; voie suivie pour atteindre un but ; ensemble des étapes qui mènent à ce résultat. Évolution, progrès. Cheminement, n.m. : (Larousse) Action de cheminer ; progression lente et régulière. Cheminer, v. : (Larousse) Suivre un chemin à pas lents et réguliers ; marcher, aller. S’étendre quelque part selon tel ou tel tracé. Avancer, progresser quelque part. Évoluer, progresser, faire son chemin. Ethnologie n.f. : (Larousse) Étude de l’ensemble des caractères de chaque ethnie, afin d’établir des lignes générales de structure et d’évolution des sociétés. (L’ethnologie, née au XVIIIe s., s’est subdivisée en anthropobiologie et en anthropologie culturelle, économique, politique, sociale.). Ordinaire, adj. : (Larousse) Qui est conforme à l'ordre établi, normal, courant ; habituel. Qui ne dépasse pas le niveau commun ; banal, quelconque, médiocre. Patrimoine, n.m. : (Larousse) Bien qu'on tient par héritage de ses ascendants. Ce qui est considéré comme un bien propre, une richesse. Ce qui est considéré comme l'héritage commun d'un groupe.

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Paysage, n.m. : (Convention Européenne du Paysage, Conseil de l’Europe, 2000) Une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations. Point de vue, n.m. : (Larousse) Lieu d’où l’on peut voir une grande étendue. Plan, aspect sous lequel on se place pour examiner quelque chose. Manière qu’a quelqu’un d’envisager, de voir, de juger. Pratique, n.f. : (Larousse) Application, exécution, mise en action des règles, des principes d'une science, d'une technique, d'un art, etc., par opposition à la théorie. Connaissance acquise par l'expérience, par l'action concrète. Façon d'agir, conduite habituelle à un groupe. [En religion] Observation des devoirs du culte. [En philosophie] 1. Chez Kant, domaine de la conduite morale, conçu comme la manifestation nécessaire de l'impératif moral. 2. Pour Marx, ensemble des processus de travail par lesquels l'homme transforme la nature au travers de son organisation sociale. Quotidien, adj. : (Larousse) Qui se fait chaque jour. Qui relève de la vie de tous les jours et n'a donc rien d'exceptionnel. Remarquable, adj. : (Larousse) Qui est susceptible d'être remarqué, d'attirer l'attention. Qui se distingue par ses hautes qualités. Qui se signale à l'attention par tel point Trajet, n.m. : (Larousse) Fait de parcourir un espace d’un point à un autre. Chemin à parcourir entre deux points déterminés. Sensible, adj. : (Larousse) Qui est, qui peut être perçu par les sens. Qui est apte à éprouver des perceptions, des sensations. Qui est très facilement affecté par la moindre action ou agression extérieure. Se dit d'une partie du corps que l'on ressent, qui est plus ou moins douloureuse. Qui éprouve facilement des émotions, des sentiments, notamment de pitié, de compassion. Qui est particulièrement accessible à certaines impressions d'ordre intellectuel, moral, esthétique ; réceptif. Qui est facilement perçu par les sens ou par l'esprit : Une sensible différence de prix. Se dit d'une émulsion photographique, d'un explosif, d’un matériel, etc., doué de sensibilité. 6


Sensoriel, adj. : (Larousse) Qui se rapporte aux organes des sens, aux structures nerveuses qu'ils mettent en jeu et aux messages qu'ils véhiculent. Socialité, n.f. : (Larousse)Ensemble des liens sociaux découlant de la capacité de l'homme à vivre en société. Social, adj. : (Larousse) Qui se rapporte à une société, à une collectivité humaine considérée comme une entité propre. Qui intéresse les rapports entre un individu et les autres membres de la collectivité. Qui concerne les relations entre les membres de la société ou l'organisation de ses membres en groupes, en classes : Les inégalités sociales.

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Remerciements Merci à mon enseignant encadrant, Patrick Moquay, sur qui j’ai pu réellement compter et qui surtout m’a toujours soutenu dans ce projet. Son oreille attentive, sa gaieté ont été de réels piliers me permettant de me motiver quand le moral était au plus bas. Merci à Livio Riboli-Sasco et Maria Pothier, médiateurs de l’Atelier des Jours à Venir, qui depuis le début ont su s’engager activement tant sur la construction du sujet que dans la recherche d’encadrement et de financement. Ils ont été d’un soutien et d’un accompagnement infaillible avec une réactivité exceptionnelle. Merci à mes divers encadrants de stage Xalbat Etchegoin, urbaniste conseiller du CAUE des Pyrénées-Atlantiques, Benjamin Gayon chargé d’études et de projet du Conseil de Développement Pays Basque, Claude Labat et Philippe Mayté, citoyensmembres référents du volet paysage et patrimoine du CDPB, Philippe Arretz, directeur du CDPB qui ont su m’accompagner et m’épauler dans l’élaboration et la mise en œuvre de mon enquête mais qui m’ont aussi permis d’assister à divers expérience dans le cadre de leur activité professionnelle. Merci aux habitants qui m’ont accueillie avec sourire et bonne humeur, où les moments d’entretiens se sont souvent transformés en réels instants de rencontre et de partage. Leur engagement tant la réalisation de photographies que dans les heures d’entretiens et de marches qu’ils m’ont dévouées a permis la richesse du matériel obtenu. Merci aux membres du jury, patients lecteurs pour leur courage de lire ces XX pages. Je suis très honorée de vous présenter ce document, qui malgré quelques maladresses, je l’espère, a suscité un intérêt et sans doute débat. Enfin, merci à mon compagnon, ma famille, ma grand-mère qui m’a accueillie pendant tout ce temps, mes ami(e)s bidartar(e)s et parisien(ne)s qui ont toujours cru en moi et qui ont su me soutenir même dans les moments difficiles.

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Avant-propos : posture de chercheure Étant née et ayant grandi majoritairement en banlieue parisienne, j’ai toujours entretenu un lien très fort avec mes origines basques, que mon nom de famille ne saurait taire. Pourtant, si l’affectif n’est pas déconnecté du choix du territoire étudié, les enjeux de patrimoine et de paysage s’inscrivent dans des réelles problématiques locales. Bidart, une commune avec laquelle j’ai des attachements forts, est par exemple balancée entre un passé agricole pesant dans la mémoire ancienne locale et une très forte dynamique touristique actuelle, qui y transforme rapidement les paysages. C’est donc sur la commune de Bidart et autour de ces enjeux que j’ai déjà réalisé l’an dernier mon Projet de Fin d’Etudes d’Architecture, me permettant d’obtenir mon Diplôme d’État d’Architecte avec les félicitations du jury. D’autres initiatives ou démarches locales sur le patrimoine et le paysage témoignent de l’intensité de ces enjeux au Pays Basque : la réflexion autour de la construction d’un Parc Naturel Régional de la Montagne Basque, l’élaboration d’un Plan Paysage à l’échelle de la Communauté d’Agglomération Pays Basque, ou encore la démarche des Nouveaux Commanditaires Sciences sur le patrimoine à Bidart. La base de ce projet de recherche ne se résume donc pas à la simple volonté de travailler sur un territoire où je suis personnellement et affectivement impliquée : il résulte d’une démarche amorcée par une curiosité personnelle, et immédiatement relayée par un intérêt professionnel, intellectuel et territorial. La rencontre avec Livio Riboli-Sasco et Maria Pothier a été déterminante dans la définition de ce sujet de recherche, comme l’entente intellectuelle entre nous sur les enjeux de patrimoine et de paysage et sur le retour à des considérations par la perception, la sensorialité et l’affectif. Cela faisait largement écho à un parcours personnel très orienté autour des rapports sensibles et affectifs au paysage : par mon mémoire de master d’architecture, Géopoétique de la cabane, une exploration pour

un renouveau du logement, j’ai eu l’occasion d’explorer les courants philosophiques sur la phénoménologie grâce aux écrits de Maurice Merleau-Ponty et Gaston Bachelard et sur la géopoétique au travers de Kenneth White et Gilles Tiberghien. Finalement ce projet, est le résultat d’une co-construction alliant un intérêt local pour le patrimoine et le paysage, une volonté de poursuivre des réflexions amorcées par les précédentes recherches menées sur la commune, un intérêt pour affiner une réflexion théorique sur les rapports au patrimoine et au paysage et surtout une résonnance de ces enjeux à l’échelle territoriale : d’où la volonté par le CAUE et le CDPB d’encadrer cette démarche et de l’étendre à une seconde commune, celle de Saint-Jean-le-Vieux. 11


Ce projet a donc été co-encadré par : -

le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement (C.A.U.E.) des Pyrénées-Atlantiques avec pour tuteur Xalbat Etchegoin, urbaniste conseiller,

-

le Conseil de Développement Pays Basque (C.D.P.B.) avec pour tuteur Benjamin Gayon et comme membres référents impliqués 1 Claude Labat et Philippe Mayté

-

l’Atelier des Jours à Venir, en la personne de Livio Riboli-Sasco et Maria Pothier.

Il s'intègre à une démarche Nouveaux Commanditaires Sciences initiée à Bidart, accompagnée par la coopérative Atelier des Jours à Venir, avec le soutien financier de la Fondation de France. La méthodologie a été co-construite avec le groupe des Nouveaux Commanditaires à Bidart et répliquée sur la commune de Saint-Jean-leVieux. Inscrire son travail de recherche dans un territoire où l’on est personnellement impliquée, m’a cependant poussée à m’interroger sur ma propre capacité à exercer un travail de distanciation. En comparaison à un projet de recherche classique, il a certainement dû demander un effort supplémentaire pour affirmer une certaine neutralité dans l’analyse et l’interprétation des résultats : un effort constant, fourni à toutes les étapes de la recherche - définition de l’approche théorique, construction du cadre méthodologique, mise en œuvre sur le terrain. La démarche proposée est ainsi basée sur une démarche ethnologique inspirée de l’ouvrage dirigé par Claudie Voisenat, Paysages au pluriel, pour une approche

ethnologique des paysages, qui pose une attention particulière au regard indigène des habitants et usagers quotidiens du territoire comme porteurs de connaissance et d’appréciation du territoire. La méthode de travail a été définie très en amont de l’exercice de terrain, dans le détail, et en bénéficiant de nombreux échanges avec les partenaires et tuteurs (professionnels et universitaire). Une méthode rédigée avec précision, et qui a été adaptée à chacun des sites2. La collecte de témoignages puis leur retranscription

Le Conseil de Développement Pays Basque est une association qui fonctionne avec une équipe technique composée de six personnes dont une à mi-temps et des membres organisés entre citoyens et associations. Les membres élisent un bureau permanent. Chaque thématique de réflexion se voit attribuée un certain nombre de citoyens référents sur la base du volontariat. Ainsi deux membres référents se sont intéressés à ma recherche et ont décidé de devenir membres référents de la thématique « paysage et patrimoine » que j’ai mené à travers mon étude. 1

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Ce point sera explicité dans le chapitre 03. Expérimenter un protocole d’enquête participatif

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scrupuleuse, l’exercice de faire réaliser des photographies et des cartes ou encore d’écrire des mots ou d’énoncer les ressentis lors des marches exploratoires sont autant de techniques qui permettent de collecter la parole pour ancrer une analyse sur des faits exprimés. D’ailleurs le propos sera argumenté par des citations collectés des entretiens ou marches exploratoires mises en avant en rouge et sera illustré avec des images de photographies collectées ou extraits de cartes mentales dont le (numéro) renverra à l’iconographie correspondant. Plus généralement, ce travail m’a permis de m’interroger sur la question de l’objectivité en recherche. Pour reprendre la mise en abîme sur la notion d’objectivité effectuée par Vincent Devictor dans son mémoire de master de philosophie intitulé

L’objectivité

dans

la

recherche

scientifique, Kant dans La critique de la raison

pure explicite bien l’idée que la connaissance produite est le résultat de l’objet et du sujet : « notre représentation des choses telles qu’elles nous sont données ne se règle pas sur celles-ci en tant que choses en soi, mais ce sont plutôt ces objets en tant que phénomènes qui se règlent sur notre mode de représentation ». (Devictor, non daté). Ainsi la recherche part toujours d’un point de vue, d’un angle d’attaque sur les choses. La neutralité doit être respectée sur l’interprétation des résultats, et c’est en cela que l’élaboration d’une méthode précise m’a permis de garantir une neutralité. Dès lors, l’ancrage personnel à son terrain de recherche peut devenir un atout précieux plutôt qu’un biais. Par mes expériences précédentes sur le territoire, je comprenais mes racines basques comme une aide précieuse sur le terrain. Mon nom de famille serait une sorte de facilitateur pour entrer en contact avec des habitants que je ne connaissais pas. Il conviendra de dire que je n’ai pas été déçue. Lors de la prise de contact ou à la fin de

l’entretien,

mes

origines

ont

fait

quasi-systématiquement

l’objet

d’une

interrogation. Et cette question m’a aussi été posée dans le cadre de rencontres avec des élus ou d’autres institutions oy associations. Les personnes étaient intriguées de la distanciation entre un nom de famille local et un accent à sonorité « étrangère ». L’explication s’en suivait et mon interlocuteur(rice) s’essayait alors à l’exercice d’établir des liens entre des personnalités qui leur étaient familières et qui possédaient le même nom de famille. Au-delà d’être un soutien dans cette recherche, ma famille a parfois été mon « ticket » d’entrée pour un entretien ou l’obtention d’un contact. Je me permettrais ces quelques lignes supplémentaires pour vous affirmer que j’ai réussi à obtenir un entretien avec une personne, initialement réticente mais qui a accepté lorsqu’elle a compris le lien tortueux qui nous unissait. En effet, je suis tout simplement, la cousine de la cousine de sa belle-fille.

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Finalement, cette culture mixée entre identité basque, parisienne et picarde pour l’anecdote, me permet ce double avantage d’être à la fois plus facilement accueillie et reçue sur le territoire mais également d’opérer une distanciation, une objectivation des témoignages recueillis. Il n’a jamais été question de prendre parti sur le territoire. Le contexte de ma recherche a été particulièrement clivant entre l’annonce du troisième confinement, le début de la saison touristique, les tensions sur l’enseignement des langues régionales et sur la pression foncière et enfin, les élections départementales et régionales. Il a fait resurgir des tensions locales et j’ai toujours fait attention à ne pas m’exprimer sur les sujets actuels et évidemment, à ne pas partager mes convictions personnelles.

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Table des matières

Définitions .......................................................................................................................................................... 5 Remerciements ............................................................................................................................................... 9 Avant-propos : posture de chercheure .............................................................................................. 11 Table des matières....................................................................................................................................... 15 INTRODUCTION GÉNÉRALE ........................................................................................................... 20 Objet d’étude et objectifs………………………………………………………… ................................................. 20 Problématique…………………………………………………………………… ............................................................... 21 Hypothèses de travail…………………………………………………………………………………................................ 22 Annonce du plan…………………………………………………………………….. .......................................................23 Première partie : Cadrage théorique et méthodologique ............................................... 27 01.

DÉFINITION D’UN CADRE THÉORIQUE : PAYSAGES QUOTIDIENS ET APPROCHE

SENSIBLE, HODOLOGIE ET PATRIMOINE SENSORIEL .......................................................... 29 1.

Paysages quotidiens et paysages multisensorielles : vers une reconstruction de

la notion de paysage................................................................................................................................. 29 Une conception relationnelle du paysage ................................................................... 30 La mise en crise du paysage artialisé…………….. ............................................................. 31 Quelle

distinction

entre

paysages

ordinaires

et

paysages

remarquables ?.......................................................................... ...............................................................32 Des paysages quotidiens……………………………….. ..................................................................35 … aux approches sensorielles………………………………………… .............................................. 36 2.

Comprendre les cheminements et points de vue comme une expérience

phénoménologique du paysage........................................................................................................... 41 La ligne, le point et l’attitude………………………….. ................................................................ 41 Les cheminements comme empreinte du paysage ................................................ 43 Les cheminements, une expérience phénoménologique du paysage .......... 45 Le point de vue comme zone de contact au paysage........................................... 48 3.

Analyser la marche comme pratique : de la socialité à la transmission ............... 50

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Les cheminements comme pratique sociale .............................................................. 50 Le cheminement en héritage et support de mémoire............................................. 51 4.

Projeter la notion de patrimoine sensoriel : de la patrimonialisation spontanée à

la notion de bien commun.......................................................................................................................53 Entre patrimoine et patrimonialisation, quelle définition ?..................................53 De la patrimonialisation à l’intérêt général, les enjeux de la demande de paysage…………………………………………………………………………….. ............................................................... 56 Sensorialité et patrimoine : une conciliation discutable ...................................... 59 02.

SITUER UNE QUESTION : LE PAYS BASQUE ENTRE PAYSAGES REMARQUABLES

ET TERRITOIRE DE VIE ...................................................................................................................... 63 1.

Le Pays Basque, territoire de paysages remarquables entre littoral et montagne ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………63 Le territoire Pays Basque, entre identité revendiquée et paysages variés 63 Les pratiques touristiques et récréatives, des mécanismes de redéfinition du paysage basque………………………………………………………….. ............................................................ 67 Vers la mise en scène des paysages remarquables ................................................. 71

2.

À la rencontre des paysages quotidiens, la commune basque comme territoire

de vie ................................................................................................................................................................. 83 Bidart et Saint-Jean-le-Vieux, communes expérimentales d’un protocole 83 Bidart et Saint-Jean-le-Vieux entre milieu urbain littoral et milieu rural montagnard………………………………………………………………………… ............................................................ 85 03.

EXPÉRIMENTER UN PROTOCOLE D’ENQUÊTE PARTICIPATIF ............................... 121

1.

Définir un protocole par l’expérimentation. ......................................................................... 121

2.

Ancrer une démarche méthodologique ................................................................................ 122

3.

Présentation du protocole d’enquête ..................................................................................... 128 Etape 1 : Sensorialité et mémoire des cheminements et points de vue paysagers du quotidien (entretiens individuels semi-directifs)................................... 129 Etape 2 : De la sensorialité à l’appropriation et la transmission collective des cheminements et des points de vue paysagers (visites groupées) ........................... 133

4.

Retour sur expérience .................................................................................................................... 138 Les personnes enquêtées, des profils diversifiés. ................................................... 139

16


La méthodologie d’enquête, un protocole ancré sur un territoire................. 146 Seconde partie : Du paysage cheminé au paysage habité, la transmission d’une pratique sensible comme patrimoine ...................................................................................... 157 01.

LE PAYSAGE CHEMINÉ : LA RENCONTRE DU PAYSAGE PAR LE CONTACT DU

SOL………………… ....................................................................................................................................... 161 1.

Le pas comme premier contact du corps à son environnement .............................. 161 Le récit du pas comme narration d’une marche ..................................................... 162 La praticabilité et la fonctionnalité du sol comme valeur paysagère .......... 167

2.

L’épreuve du sol comme construction d’un cheminement ......................................... 172 La

configuration

du

sol

génère

des

attitudes

corporelles

de

déambulation……………………………………………………………………………. .................................................... 172 L’expérience du pas devient une motivation au cheminement...................... 180 Conclusion intermédiaire ...................................................................................................................... 183 02.

LE PAYSAGE ÉPROUVÉ : LE CHEMINEMENT COMME VÉCU DE PAYSAGES

MULTISENSORIELS ET AFFECTIFS ............................................................................................. 185 1.

De la sensorialité à l’affect des paysages ............................................................................ 185 De l’expérience multisensorielle du paysage au paysage émotionnel ........ 186 Entre affect psychique et valeurs identitaires paysagères ............................. 203

2.

Le paysage, un vécu spatio-temporel .................................................................................... 216 La sensibilité du tout et l’attention au détail ............................................................. 216 Percevoir le paysage temporel………………………….. ....................................................... 230 Une redéfinition de l’exceptionnel comme valeur paysagère ......................... 241

Conclusion intermédiaire ..................................................................................................................... 247 03.

LE PAYSAGE HABITÉ : LE CHEMINEMENT COMME MILIEU OU S’ÉTABLIR ..... 249

1.

À la rencontre de milieux habités ............................................................................................249 Entre marqueurs humains et espaces de rencontres, le paysage culturel ………………………………………………………………………………………………………………………………………….250 Le paysage du règne végétal et animal ...................................................................... 258 Le vivant : enjeu du patrimoine…………………………… ....................................................... 268

2.

S’établir par le cheminement, le temps de l’appropriation du paysage ............284

17


Le paysage par le cheminement, créateur de liens ? ..........................................284 Le cheminement par le point d’arrêt comme volonté de s’établir dans son territoire…………………………………………………………………………………. ....................................................... 289 Une pratique qui génère des conflits d’appropriation du paysage ............ 309 Conclusion intermédiaire ...................................................................................................................... 315 04.

LE CHEMINEMENT, UNE PRATIQUE DE TRANSMISSION DU PAYSAGE ............. 317

1.

Le cheminement comme pratique patrimoniale spontanée et sensible du

paysage quotidien..................................................................................................................................... 318 L’émotion et le vécu patrimonialisant du paysage quotidien .......................... 318 Le cheminement, le temps du témoignage du paysage .................................... 328 2.

Le cheminement, vers la patrimonialisation d’une pratique ordinaire ? ............334 Le rituel qui révèle une pratique transmise ..............................................................334 Le cheminement une pratique sociale et sensible du paysage ...................... 342

Conclusion intermédiaire .................................................................................................................... 349 CONCLUSION GÉNÉRALE .............................................................................................................. 351 Principales hypothèses et résultats……………………………............................................................ 352 Entre enjeux territoriaux et enjeux locaux, les réalités de la méthode participative ………………………………………………………………………………………………………………………………………….355 Les apports de la notion de cheminement aux enjeux de paysages quotidiens et patrimoine paysage sensible

……………………………………………………………..358

BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................................. 363 ICONOGRAPHIE ................................................................................................................................. 373 ANNEXES............................................................................................................................................. 386

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INTRODUCTION GÉNÉRALE Dans la perspective d’entamer une réflexion patrimoine et paysage en Pays Basque, cette recherche a pour objectif de comprendre la réalité ethnologique (propre à un « groupement humain (…) dont l'unité repose sur une communauté de langue, de culture et de conscience de groupe »3) et sociale (relative aux « rapports entre individu et autres membres d’une communauté » 4 ) que constitue le paysage, à l’échelle locale de la commune, et par la question des cheminements et points de vue paysagers. Ainsi, cette réflexion portera à la fois sur les mécanismes de perceptions des paysages quotidiens par les individus et sur ses traductions par « des pratique(s) sociale(s), aussi bien individuelle(s) que collective(s) » (Ostolaza, 2018).

Objet d’étude et objectifs L’étude des cheminements, chemins, routes s’inscrit dans une science plus globale décrite par le psychologue Kurt Lewin, dans les années 1920-1930, appelée hodologie. Ce dernier élabore une théorie du comportement humain dont l’objet est « l’individu non pas isolé du milieu mais en situation dans son environnement » (Besse 2004). L’environnement est alors entendu sous deux acceptions ; l’environnement géographique, lié au site, aux paysages, à la topographie et l’environnement psychologique qui relève des états d’esprit propres aux sentiments et idées. L’ensemble de ces environnements décrivent l’ « espace de vie » de l’individu, qui ne se réduit pas à une considération géométrique mais qui devient un espace qualitatif orienté par des valeurs et significations (Besse, 2004). C’est précisément cette question des valeurs et significations, que les individus associent à leur environnement et de fait au paysage, qui lie les concepts de cheminements et de patrimoine. D’ailleurs, on observe sur de nombreux territoires littoraux que ces deux concepts ont très vite été associés par les acteurs culturels et d’aménagement du territoire. Les sentiers du littoral sont des aménagements qui ont par exemple permis, par la création de sentiers et l’aménagement de points de vue (table d’orientation, bancs),

3

Larousse cf. définitions

4

Ibid.

20


de révéler le patrimoine géologique, écologique de ces espaces, augmentés par l’effet de mise en spectacle des dynamiques océaniques. L’objectif de notre étude est de sortir des sentiers déjà établis de la recherche sur la création et mise en tourisme de paysages remarquables par la pratique de la randonnée, pour s’intéresser à des pratiques régulières voire quotidiennes - de parcours du territoire, révélant des sensibilités aux paysages ordinaires. Paysages ordinaires et paysages remarquables ont souvent été des notions contrastées relevant de territoires différenciés. Eva Bigando a notamment choisi ses terrains de recherche sur les paysages ordinaires en s’orientant vers des territoires « situés en dehors des périmètres définis des paysages remarquables » (Bigando, 2006). Notre enquête sur les paysages quotidiens pourrait donc paraître étonnante en s’inscrivant dans un contexte territorial qui identifie de nombreux paysages basques remarquables, océaniques, littoraux, montagnards ou ruraux. Pourtant, la recherche partira du postulat, formulé par Jean-Marc Besse dans la continuité de John Brinckerhoff Jackson (1984), décrivant le paysage comme fondamentalement façonné et couvrant deux formes ou modalités : les paysages politiques et vernaculaires (produits fortuitement) « qui coexistent et se superposent parfois en un même lieu. » (Besse, 2003). Politique, le paysage est planifié, organisé et possède donc des propriétés communes avec la notion de paysage remarquable comme paysage sujet à une mise en valeur à la grande échelle du territoire. Vernaculaire, le paysage est produit fortuitement à l’échelle locale et inclut ce qui relève du banal, de l’interstitiel, autrement dit du paysage ordinaire. Ainsi, notre l’étude soulèvera des coexistences entre paysages ordinaires et paysages remarquables. Aussi, l’objet d’étude se portera non pas sur les appréciations du paysage selon un système de codes et de représentations mais sur la sensibilité, sensorielle, affective, émotionnelle au paysage qui permettra alors de révéler les pluralité et diversité des relations vécues à ce paysage quotidien (ordinaire et remarquable).

Problématique Notre problématique se situe donc à l’interface entre cheminement, sensibilité et patrimoine paysager :

« Comment les cheminements comme pratique sociale révèlent-ils des sensibilités et des relations patrimoniales aux paysages quotidiens ? »

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Si l’expérience de la marche stimule la perception du paysage sous différentes formes, et autrement que par la vue, quelles formes de perceptions du paysage se créent pendant la marche ? Nous partirons aussi du postulat que les individus n’utilisent pas explicitement le terme de paysage mais qu’ils l’évoquent en parlant des éléments de leur cadre de vie auxquels ils sont sensibles. Si le paysage correspond à la relation qui s’établit entre l’individu et son environnement par la perception, nous emploierons volontiers le verbe paysager pour désigner les éléments perçus par l’individu. Dès lors, comment les individus paysagent-ils leurs itinéraires ? La pratique de la marche par les cheminements relève d’une sensibilité individuelle, elle peut être ponctuée de moments plus intenses d’expérience paysagère. Les points de vue paysagers, par leur configuration spatiale et la perspective qu’ils offrent sur le territoire, deviendraient des supports d’expérience individuelle sensible de contact et de relation au paysage, mais également de relations sociales, une expérience collective. Existerait-il un lien entre l’expérience sensible individuelle du paysage et des formes de sociabilité ? Enfin quelle forme de relation au paysage traduisent ces sensibilités et pratiques sociales ? Quelle(s) valeur(s) patrimoniale(s) du paysage révèlent-elles ?

Hypothèses de travail Le travail se base sur différentes hypothèses de travail que la méthodologie participative élaborée, à partir d’entretien, de photoellicitation, de cartographie et de marche exploratoire tentera de valider ou non. Ces hypothèses se basent sur une marche exploratoire -test réalisée avec le groupe des Nouveaux Commanditaires à Bidart le 15 janvier 2021. La posture adoptée est que l’expérience paysagère des cheminements et points de vue relève de la polysensorialité, de la mémoire et des pratiques de sociabilité qui y prennent place. La première hypothèse est que des cheminements et points de vue d’appréciation du paysage se dessinent au-delà des parcours patrimoniaux aménagés et des paysages côtiers valorisés (1). La seconde hypothèse est que l’expérience des cheminements et points de vue paysager relève des sens, de l’affect, qui dépassent la vue et la mise en scène du territoire.

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La troisième hypothèse est que les perceptions sensorielles et mémorielles individuelles du paysage appellent de nouvelles pratiques locales de sociabilité spontanées au niveau des points d’arrêts, points de vue paysagers (2). Enfin la dernière hypothèse considère que la diversité des perceptions des paysages et des pratiques de sociabilité traduit des rapports et valeurs patrimoniales du paysage quotidien et spontanés (3).

Annonce du plan Afin de répondre à la question posée cette étude se décomposera en deux parties afin de distinguer l’ancrage de la problématique et les résultats de l’analyse. La première partie Cadrage théorique et méthodologique posera les trois jalons contextuels de cette recherche. Le chapitre 01. Définition d’un cadre théorique :

paysages quotidiens et approche sensible, hodologie et patrimoine sensoriel établit un état de l’art non exhaustif des recherches menées sur les notions de paysages quotidiens et paysages sensibles, d’hodologie et de patrimoine sensoriel et situera notre approche dans ce champ référentiel. Le questionnement sera ensuite situé dans le contexte du territoire Pays Basque avec le chapitre 02. Situer une question : le Pays

Basque entre paysages remarquables et territoire de vie qui proposera une lecture des enjeux de paysage et patrimoine sur le territoire et présentera les deux communes étudiées. Enfin le chapitre 03 Expérimenter un protocole d’enquête

participatif posera la méthodologie adoptée et apportera un regard rétrospectif sur cette dernière. La seconde partie Du paysage cheminé au paysage habité, la transmission d’une pratique sensible comme patrimoine éclaire le questionnement à travers trois niveaux d’appréhension sensible du paysage et leurs apports sur les réflexions de patrimonialisation. Le chapitre 01.Le paysage cheminé, la rencontre du paysage par

le contact du sol traite d’un premier niveau d’appréhension du paysage, le paysage cheminé. Un second niveau est souligné, celui du paysage éprouvé dans le chapitre

02.Le paysage éprouvé : le cheminement comme vécu de paysages multisensoriels et affectifs. Enfin le chapitre 03.Le paysage habité : le cheminement comme milieu où s’établir , propose une troisième lecture de l’appréhension des paysages sensibles par les socialités qu’il permet. Le chapitre 04.Le cheminement, une pratique de

transmission du paysage apporte une lecture patrimoniale de la pratique des cheminements en ce qu’elle constitue une transmission des paysages sensibles.

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1. Des cheminements dans la rue Harguin Etcheberry ont été évoqués lors d’une marche exploratoire expérimentale (photographie personnelle)

24


3. L’entrée de l’exploitation maraîchère est remarquée comme étant un espace clef d’appréciation du paysage (photographie personnelle). 2. L’élargissement, le calme sensoriel et la présence d’une vue dégagée favorisent la rencontre 25 et des sociabilités le long du littoral. (Crédit : Paul Laramburu)



Première partie : Cadrage théorique et méthodologique


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01. DÉFINITION D’UN CADRE THÉORIQUE : PAYSAGES QUOTIDIENS ET APPROCHE SENSIBLE, HODOLOGIE ET PATRIMOINE SENSORIEL 1. Paysages quotidiens et paysages multisensorielles : vers une reconstruction de la notion de paysage Bien qu’ayant une définition officielle par la Convention Européenne du Paysage de 2000, le paysage saisi par la diversité des champs disciplinaires recouvre aujourd’hui d’une polysémie remarquable. Il est souvent alors l’objet de catégorisation :

matériel/

immatériel,

nature/culture,

ordinaire/remarquable,

ruraux/urbains, industriels/résidentiels et j’en passe. Le stage dans lequel s’inscrivait ce mémoire a été l’occasion d’assister à de nombreuses rencontres avec les collectivités territoriales de l’échelle du département à la commune autour des thématiques paysages et patrimoine. J’ai pu observer de façon saisissante la séparation systématique opérée entre paysages culturels et paysage naturels. De même la notion de patrimoine a trop souvent été abordée sous ses formalités matérielles et immatérielles. Notre travail se portera sur le paysage des habitants comme médiation entre le sujet perceptif et l’élément perçu. En abordant les notions de sensibilité et d’affect au paysages vécus du quotidien, nous inscrirons dans les lignées de pensées dites plutôt « culturaliste » du paysage où se rencontrent phénoménologie et géopoétique et qui tend à montrer des relations de valeur et d’attachement à ce dernier tant dans sa réalité matérielle qu’immatérielle. Largement saisi par divers domaines de la recherche ; la vulgarisation de la notion de paysage a conduit à une extension de son utilisation au-delà de la sphère intellectuelle « pour prendre directement part aux manières de vivre et d’habiter » (Bigando, 2006). Les terrains d’études choisis sont marqués par une superposition entre dynamiques locales dans un territoire du quotidien et mise en abîme des

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cadres remarquables en littoral ou en pied de montagnes, qui s’inscrit dans les mouvances d’artialisation du paysage au cours du 19ème siècle. L’étude distinguera donc les paysages qui revêtent un caractère « exceptionnel » de ceux singularisés par leur caractère « ordinaire ». Par cette cohabitation, l’étude comprendra donc la sensibilité et les formes d’appropriation affective de ces paysages tant ordinaires que remarquables en partant du principe que les paysages remarquables s’inscrivent dans une réalité d’un territoire vécu quotidiennement.

Une conception relationnelle du paysage La notion de paysage semble faire consensus sur la coexistence entre un aspect matériel de ce qui est observé et un sujet comme individu observant. Le paysage est donc décrit sous une forme de dualisme objet/perception que ce travail refusera. En effet, ce mémoire s’appuiera sur une vision médiatrice du paysage énoncée notamment par Gérard Lenclud, où le paysage « n'accède donc au statut de paysage que le biais d'une réception » (Lenclud, 1995). De même, en s’inscrivant dans l’analyse de Charles Avocat (1982), Eva Bigando rappelle que c’est le « fondement même » de la création de la notion de « paysage » à partir de la notion de « pays » (Bigando, 2006) que d’être un élément de « pays » perçu. C’est de cette rencontre entre un « être pensant doté de sensibilité et de mémoire, riche de sa culture » (Bertrand,1978 cité par Bigando, 2006) et d’un objet matériel que naît le paysage. Le paysage est le résultat d’une interaction produite. Par la métaphore du « papillon attendant le filet du chasseur », Lenclud conceptualise l’idée du paysage comme le « produit aléatoire d’une structure d’interaction » (Lenclud, 1995). Ainsi dans un contexte donné, le paysage de l’un n’est pas nécessairement le paysage de l’autre. Le filtre sensoriel qui s’exerce est le reflet de schèmes culturels et conceptuels qui incluent la « représentation du paysage mais aussi la représentation de ce que doit être le paysage » (Lenclud, 1995). Chez Yves Luginbühl, le paysage est d’ailleurs positionné comme « une construction sociale possédant une dimension matérielle où se développent des processus biophysiques et une dimension immatérielle où se situent les représentations sociales, les valeurs esthétiques, affectives et symboliques » (2005, p.58). Le paysage est donc culturel puisqu’il est un phénomène culturellement et historiquement délimitable (Lenclud, 1995). La médiation établie est celle de la rencontre entre les propriétés d’un élément matériel et les « processus et états intérieurs de l’observateur » dont la résultante 30


est bien le paysage. Cet aspect processuel implique que tout espace est susceptible d’être paysagé et nous nous intéresserons comme Yves Luginbuhl à tout type d’espaces « qu’ils soient ruraux, urbains, périurbains, qu’ils soient porteurs de paysages remarquables ou de paysages « ordinaires » ou du quotidien » (2005, p.59). Le paysage est vu comme une « création instantanée », fruit d’un éveil sensoriel, potentiellement chargé d’un affect, par le simple fait d’être perçu ou d’être déclaré comme tel par autrui. Notre travail s’intéresse donc à l’aspect perceptif du paysage au-delà d’un processus culturel d’artialisation qui a tendance à autonomiser l’objet paysage dans son acception esthétique. En effet, dans la continuité du travail d’Eva Bigando (2006), nous nous attacherons aux systèmes de valeurs paysagères mais également à la matérialité de l’objet perçu à laquelle le sujet est sensible. Enfin, l’analyse de cette relation paysagère se penche sur tout individu dans son cadre de vie quotidien et donc à la « réalité d’un vécu paysager quotidien » (Bigando, 2006). Il s’agira de comprendre ce qui est paysagé ou ce qui « fait paysage » de la simple évocation à l’attribution de réelles valeurs, affectives et mémorielles dans les lieux de vie quotidiens traversés lors de cheminements à pied.

La mise en crise du paysage artialisé Depuis la Renaissance, le paysage a fait l’objet d’une reconnaissance essentiellement par son caractère exceptionnel par l’expérience même qu’il permet et par l’adoption d’un point de vue qui le met en valeur (Bigando, 2006). Depuis quelques années, cette artialisation du paysage est remise en question et l’intérêt semble maintenant se porter sur les paysages comme un vécu quotidien. A défaut de revenir sur les mécanismes de construction d’une lecture paysagère classique esthétisante et générant des mécanismes de protection qui ont tendance à « figer » le paysage, nous regarderons ce que ce dont certains parlent comme « la crise de sentiment paysagiste » amène à considérer. Dans la revue Ethnologie Française (1989), le numéro Crise du paysage ? pose le constat suivant : les paysages ordinaires et remarquables subissent une crise de « sentiment paysagiste » (Cloarec & al, 1989, p.200). Cette crise résulte en la disparition d’une émotion esthétique qui unissait le sujet au paysage. La perte d’appréhension sensible par les individus appelle alors à une refonte de la grille de lecture classique des paysages, dont le regard esthétisant artistique ne permet pas 31


ou plus l’assignation de valeurs paysagères aux territoires « du quotidien et de l’ordinaire » (Cloarec, Collomb, et Kalaora, 1989). Luginbuhl mobilisera particulièrement les sciences sociales pour pallier ce qu’il diagnostique comme une perte de « sens social » du concept de paysage. En effet, selon lui, ordinaires ou élitaires, ces paysages sont le produit d’ « un même mode de fabrication » fruit d’un regard avant tout esthétisant dont la priorité est un « modèle formel vidé de son contenu social et économique » (1989, p. 237). Initialement les pratiques sociales ont « dans l’espace, par leur aspect, des connaissances empiriques de la nature et des territoires et un imaginaire social comparable à celui des élites » (1989, p. 238). « Resocialiser le paysage » permet donc de réattribuer aux pratiques « vernaculaires et populaires le sens de savoirfaire au même titre que les savoir-faire des paysagistes » (1989, p. 233). L’ethnologie chez Gérard Lenclud (1995) permettra de s’intéresser au paysage propre à un individu ou une communauté identifiée au-delà des stéréotypes et préconceptions de ce que la société moderne occidentale considère comme étant paysage. La refonte de cette grille de lecture classique incompatible avec l’appréhension des paysages se base dans notre cas sur une lecture sensorielle et affective de l’ordre de la familiarité. D’ailleurs Eva Bigando a mis en perspective, à propos des paysages ordinaires, une relation paysagère quotidienne qui s’établit par un individu ou un groupe d’habitant faisait « naître des pratiques paysagères collectives » (Bigando, 2006). Le paysage ordinaire y est dépeint par une médiation affective fondée essentiellement sur des valeurs d’identité et de bien-être. C’est précisément cette médiation affective qui nous intéresse qui naît par l’épreuve des sens, d’une sensorialité lors d’une pratique spécifiquement banale, le cheminement quotidien.

Quelle distinction entre paysages ordinaires et paysages remarquables ? Puisque notre étude n’exclura pas les paysages remarquables des paysages ordinaires, ce volet a pour but de définir les deux concepts pour entrevoir les relations entretenues. Selon le Larousse, l’adjectif « ordinaire » renvoie à l’habitude, le normal, le courant ou encore l’établi. L’« ordinaire », c’est ce « qui ne dépasse pas le niveau commun » et qui relève donc du « banal, quelconque, médiocre ». L’adjectif 32


« remarquable » quant à lui, désigne ce qui attire l’attention, « qui est susceptible d’être remarqué » et « se distingue par ses hautes qualités » (Larousse). La notion de point de vue et de caractéristique est intrinsèquement liée à la notion de « remarquable » en étant ce « qui se signale à l’attention par tel point » (Larousse). John Brinckerhoff Jackson, dans son ouvrage-thèse À la découverte du

paysage vernaculaire (1984), positionne le paysage en deux typologies : « le paysage politique » et « le paysage vernaculaire » dont les caractéristiques préfigurent les notions de « remarquable » et d’ « ordinaire ». Le « paysage politique » est celui de la grande échelle, de l’imposition et de la préservation d’ « une unité et un ordre » (1984, p.266) et défini de larges vues, des panoramas remarquables. La mise en visibilité, l’unité et l’ordonnancement régissent la conception de l’espace devenu homogène. Le « paysage vernaculaire » met l’accent sur les traces matérielles de la petite échelle qui témoignent de nos modes de vie. L’irrégularité, la modestie, la tradition locale, l’adaptation au contexte physique et culturel et une grande évolutivité en fonction des usages et du temps sont autant de composantes qui l’ont formé. Il reflète ainsi les relations personnelles et communautaires qui s’établissent sur le territoire. Cependant, Jackson mobilise un troisième paysage, le « paysage habité/vécu » comme projet de paysage permettant de dépasser les frontières typologiques établies pour redéfinir par la profession de paysagiste de nouvelles manières d’être au monde. L’individu devient un élément et une partie de la nature et non plus un habitant de la nature comme dans le paysage politique. (Besse, 2003, préface de Jackson, 1984, p.23). Ce paysage non pas statique mais évolutif définit une forme paysagère incluant mobilité et infrastructures stables. Sansot dans son article Pour une esthétique des paysages ordinaires, éclaircit ce que pourrait être le « paysage ordinaire » en le décomposant en trois catégories : le « paysage banal », traversé quotidiennement auquel nous nous accoutumons, le « paysage oublié » qui n’est érigé en remarquable ni légitimé, auquel nous tournons le dos et enfin le « paysage interstitiel » de l’entre-deux et qui nous permet « de passer d’un ailleurs à un autre » (1989, p.239). Ils sont caractérisés par leur éphémérité et une reconnaissance de l’ordre de l’ « intensité émotionnelle » qu’ils permettent (1989, p.242). Lelli (2000) apporte une lecture des paysages ordinaires par la familiarité. Ils sont caractérisés par leur fréquentation quotidienne et non par leur aspect qualitatif. Le quotidien se situe alors partout tant qu’il « concerne le cadre de vie » 33


(Lelli et Paradis-Maindive 2000). L’ordinaire peut donc concerner les habitants d’un haut-lieu paysager. Le paysage ordinaire est donc associé à celui du cadre de vie, à contrario du « remarquable », il n’est pas l’objet d’une artialisation avec une volonté de « conserver en l’état ». Ils sont donc caractérisés par leur constante évolution et par la multiplicité des acteurs. Ils sont liés à un grand nombre d’acteurs publics ou privés, d’actions individuelles ou collectives d’aménagement à différentes échelles. Pour le déceler, Lelli précise que « l’ordinaire est (donc) une affaire de perception mais aussi question de temps » (2000, p.32), il existe à travers les habitants et leur appropriation physique et affectives. Enfin, les enjeux des paysages

ordinaires

diffèrent

des

paysages

remarquables

par

leurs aspects « qualitatifs », « identitaires » et « « patrimoniaux et culturels » (2000, p.32). Il pose une évolution du statut du paysage « ordinaire » au rang de « remarqué » lorsque le paysage est défendu comme appartenant à un territoire donné et que les individus qu’ils l’identifient réclament un devenir de qualité. Le paysage ordinaire semble alors se distinguer du « remarquable » plutôt statique, par cet aspect évolutif dont les espaces se dessinent « en fonction des relations qu’entretiennent les habitants avec leur environnement » (Temple‑Boyer, 2014). Il n’est donc pas un a-priori mais un construit par la perception et l’appropriation

des

habitants,

dont

les

transformations

se

font

« sans

intentionnalité » (Temple‑Boyer, 2014). Son identité se construit au fur et à mesure, comme si le regard de l’habitant lui permettait son déploiement et est donc compris par son aspect évolutif. En cela, il se distingue du paysage « remarquable » ou « politique » pour reprendre les termes de Jackson car l’intérêt qui lui est porté en termes de préservation répond à des temporalités différentes. L’un est de l’ordre de la conservation dans une perspective de prévention, le second dans une perspective d’urgence. Ces travaux mettent bien en évidence la naissance d’un nouveau paysage, ordinaire

par

la

sensibilité

de

ses

habitants

qui

l’éprouvent,

dont

les

caractéristiques semblent répondre à des dynamiques et temporalité différentes. Cependant n’y a-t-il pas une superposition à penser dans certaines circonstances entre territoires remarquables et quotidiens ? Certains paysages remarquables sont toujours habités et sont donc familiers pour les habitants. Ni y a -t-il donc pas cette relation de familiarité, de relation intime qui se tisse sur ces paysages remarquables par ceux qui les habitent ? Si le paysage ordinaire se forme par la

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perception de ceux qui l’habitent et l’épreuve n’y a-t-il pas une superposition envisageable ?

Des paysages quotidiens… Jean-Marc Besse décrit la cohabitation de deux types de paysages « remarquables » et « ordinaires » des modalités paysagères qui coexistent et se superposent parfois en un même lieu. Il propose alors de « ne pas durcir cette distinction de manière trop forte, définitive, et en faire une alternative à caractère absolu » (Besse, 2003). L’enjeu est alors de comprendre la coexistence des deux modèles. En reprenant l’exemple de la route, développé par Jackson, Besse appuie la complémentarité des systèmes entre les grandes routes qui permettent de « rompre avec les lieux », de désenclaver et les routes vernaculaires, d’échelles plus réduite qui se ferment sur elles-mêmes. La complémentarité des systèmes est à penser dans la perspective culturelle du paysage où le sens et l’identité d’un lieu réside dans la « somme d’événements et de sensations ordinaires qui le constitue principalement mais il peut aussi y en avoir d’exceptionnels » (Besse, 2003). Finalement l’aspect vernaculaire révèle du paysage qu’il n’a pas que de sens politique mais bien une existence à travers la « coutume » comme « pratiques d’usage » élaborées au contact d’un lieu. Ainsi le retour à l’ordinaire, au vernaculaire ne serait pas nécessairement une conception paysagère mais plutôt une notion en elle-même qui appelle à considérer le paysage au travers de la notion de « tissage », de rapport au lieu. Si c’est bien dans cette crise du paysage que nous nous inscrivons, où une perte émotive vis-àvis des paysages et à déplorer, ne serait-il pas pertinent de comprendre l’émotion, si elle existe que les habitants éprouvent avec leur territoire aussi bien dans les contextes les plus banals que remarquables ? Le paysage artialisé, semble être une appréciation de lecture d’un regard étranger à un territoire. N’y a-t-il donc pas une relation plus intime qui se crée entre ce paysage jugé remarquable et les habitants du territoire qu’il représente ? Finalement le propre même de la notion d’ « ordinaire », c’est de supposer une sensibilité à des paysages caractérisés par leur banalité ou familiarité, et donc de comprendre comment une relation au territoire, aux lieux se tisse en dehors de qualifications esthétiques dans un contexte quotidien. Il s’agit alors de comprendre les « dimensions psychologiques, socioculturelles et affectives qui se conjuguent avec l'épaisseur signifiante des

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lieux, ces paysages » (Bigando, 2008) pour qu’ils puissent paraître comme porteurs de valeurs et de sens pour ceux qui les vivent et pratiquent au quotidien. Considérant la configuration des terrains d’études choisis où des paysages remarquables ont été érigés par des politiques d’aménagement du territoire, en zone littorale et montagnarde, il est difficile d’envisager l’écartement de la notion de « paysage remarquable » dans l’analyse de la sensibilité des habitants aux paysages. Eva Bigando a d’ailleurs analysé l’expérience ordinaire et quotidienne d’habitants vivant à proximité d’un paysage exceptionnel que représente le domaine de Saint-Émilion inscrit au patrimoine mondial de l'Humanité (Bigando 2012). En effet, l’intimité et la familiarité qui se dessinent dans ces paysages ordinaires pourraient se former en dehors de toute logique patrimoniale implantée.

… aux approches sensorielles Dans notre étude, la question des paysages quotidiens sera éminemment une question de sensibilité et de sensorialité. En effet, chez Jean-Marc Besse, « Le paysage est indissolublement (…) une question politique et sensible. » (2009, p. 13). Dans son analyse du paysage comme une question de géographie où s’entremêlent approches esthétiques, débats philosophiques et politiques, il propose une lecture de la géographie sous deux réalités : « science ou au moins comme un savoir d’un genre spécial » (2009, p. 192) et « sensibilité et (de) sentiment, une géographie de proximité et de contact avec le monde et avec l’espace » (2009, p. 194). Cependant qu’entendons-nous par paysage sensible ? Théa Manola dans sa thèse Conditions et apports du paysage multisensoriel pour une approche sensible

de l’urbain : mise à l’épreuve théorique, méthodologique et opérationnelle dans 3 quartiers dits durables : WGT (Amsterdam), Bo01, Augustenborg (Malmö) (2012) retrace la notion de paysage sensible à travers les courants philosophiques. Tout d’abord le sensible est une expérience individuelle de l’instant, qui construit notre mémoire et traduit notre capacité à entretenir des relations avec le monde extérieur. En effet, chez D. Howes et J-S Marcoux (2006, cité par Manola, 2012), le sensible est un terme polysémique qui couvre au moins cinq significations « prêtant à confusion ». La signification médiatique est souvent mobilisée pour désigner les « quartiers sensibles » ou « jeunes de banlieues ». Celle qui est synonyme de fragilité ou vulnérabilité à l’instar d’une « personne sensible ». La signification de la

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sensibilité liée à l’expression « être sensible à » définit une attitude d’attention, d’écoute ou d’hospitalité. La sensibilité peut-être également entendue comme le franchissement

d’une

graduation,

un

changement

sensible

(exemple :

la

température). Enfin la sensibilité est liée à la vie des sensations, c’est-à-dire aux « relations entretenues avec trois familles de sons (voix, bruits, musique), odeurs, goûts, perceptions visuelles et tactiles ». Le sensible couvre donc une multiplicité de sens parfois même instable. Le sensible est une question de temporalité. En effet Augoyard (1995, cité par Manola, 2012) décrit le sentir comme une expérience vécue dans l’instant présent, et qui devient « une expérience acquise capitalisée dans le temps ». Le sentir est donc une question d’immédiateté et de mémoire. Dans l’instant présent, il est un changement, un instant-rupture provoqué par une stimulation inattendue et ponctuelle. Parce qu’il est une provocation inattendue produite par l’environnement extérieur, Nathalie Blanc (2009, cité par Manola, 2012) décrira la sensation « plus proche de la révélation que de la perception », une sorte d’enregistrement passif qui est un mode de la synesthésie préfigurant un rapport entre l’individu et le monde (Manola, 2012). L’expérience métaphysique individuelle que constitue notre sensibilité témoignage du lien essentiel que l’individu entretien avec le monde et de son potentiel à le vivre (Manola, 2012). Cependant chez Manola, le sensible ne se réduit pas à la potentialité qu’il permet. Il est aussi une « actualisation, une puissance et un acte » (Manola, 2012) qui couvre un double aspect : « elle renvoie d’une part à notre vie sensorielle et sensitive (par laquelle notre capacité à percevoir se précise), et d’autre part à la capacité que nous avons de construire le monde comme objet. » (Manola, 2012) Aussi le sensible n’est pas seulement une conscience de soi, il est également une ouverture aux autres puisque « nos cinq sens sont certes perceptions, mais cette perception influence et est influencée à travers nos relations aux autres » (Manola, 2012). Le sensible alors constituerait une des conditions premières des liens sociaux « trop souvent occultés par le déterminisme sociologique des années 70 » (Manola, 2012). Par l’expérience sensible, l’individu s’inscrit dans une relation dynamique de communication, de mise en mouvement vers l’autre. Le sentir ne se restreint donc pas à la sensation il est un acte qui est à la fois une construction individuelle et sociale (Augoyard, 1995, cité par Manola, 2012). En effet, la sensibilité appelle à une hiérarchisation des sens influencée par la pensée et la sensibilité de chacun elle37


même conditionnée par la société et son époque. Le paysage n’est pas réduit à la simple perception mais il est le résultat d’un sentir et d’une représentation personnelle qui conditionne notre capacité à établir des liens sociaux. Cette question du sensible dans l’approche paysagère a remis au goût du jour l’apport de la sensorialité dans la construction des paysages. Tantôt monosensoriel, tantôt multisensoriel, Théa Manola (2012) a établi un tableau de ce que pourrait être le paysage multisensoriel en cinq sens, comme une construction historique ancrée dans la pensée occidentale. Tout d’abord le visuel est l’aspect sensoriel le plus souvent saisi pour parler de paysage. Son origine réside dans son « invention » inscrite dans le domaine de la peinture, en ce qui concerne la culture occidentale et qui a conduit à une appropriation par la société principalement par son caractère visuel et plaisant. Dans la langue française le terme de « paysage » apparait dans un texte de 1493 pour définir un tableau représentant un pays (Franceschi, 1997 cité par Manola, 2012) et son rapprochement avec le terme de « lointain » érige la vue au sens privilégié de sa perception. Les travaux en sémiotique ont observé une pérennité du sens du paysage (Filleron, 2005 cité par Manola, 2012) mais la multiplicité des usages du terme (politiques, sciences sociales, arts) forcent le requestionner surtout en ce qui concerne « la primauté du visuel » par la multisensorialité, « les rapports distanciés et particuliers (vues horizontales ou obliques) de l’être percevant et de l’objet perçu (immersion dans un paysage) » et de « l’accolement de la « beauté » au paysage » par les paysages ordinaires (Manola, 2012). La vision est assimilée à ce qui prouve l’existence de quelque chose. Le paysage sonore est apparu en réaction aux nuisances provoquées par la période d’industrialisation. Chez le Corbusier, l’espace soit être insonorisé. Encore aujourd’hui la sonorité dans l’espace urbain est souvent associée à la nuisance. Ensuite quatre grandes étapes ont construit l’approche du paysage sonore dans la notion de cadre de vie (Torgue, 2005, cité par Manola, 2012). La première étape est donc celle décrite précédemment d’une lutte contre le bruit. La seconde s’est construite à partir de l’ouvrage de Schafer, Soundscapes (1979) qui propose de sortir d’un rapport monosensoriel du paysage en posant la ville comme « un lieu identifiable par les bruits qu’elle produit » (Manola, 2012). La troisième est celle du paysage sonore en rapport au patrimoine et à la vie culturelle dont le champ a été notamment réinvesti par Nathalie Simmonot à propos du patrimoine sensoriel des paysages industriels à Nantes (2014). Enfin la quatrième s’est articulée autour du 38


design sonore et des interventions artistiques événementielles ou temporelles dans l’espace urbain. Le paysage olfactif apparaît dans la littérature romancière par le tableau des villes et des odeurs générées par l’industrie. La pensée aménagiste s’est d’ailleurs construite autour de la lutte contre les odeurs. Deux approches du paysage olfactif se côtoient : l’approche quantitativiste qui s’articule autour de cette lutte et de l’extermination des nuisances et l’approche sensible qui vise à envisager de nouvelles pratiques d’odorisation urbaine. Ces dernières sont souvent des approches marginales et éphémères. En effet, la difficulté de renouveau de la question de l’odorat dans le paysage et l’espace urbain (en dehors des travaux établis sur la question des nuisances et de la lutte) réside dans les caractéristiques mêmes des odeurs et de l’odorat à « disparaître ». En effet par le renouveau constant des cellules olfactives, l’odorat est un sens qui s’adapte. De plus, il relève de deux niveaux de perceptions : la détection d’une odeur et l’identification de cette dernière. L’odorat est lié au goût et à l’individu. Chaque individu ne sent pas de la même façon. Ensuite le paysage tactile se retrouve sous différentes appellations par les chercheurs issus de l’anthropologie sensorielle. David Howes (2005, cité par Manola, 2012) parlera de Skinscapes ; Laroque et Saint Girons parleront de « paysage tangible » (2005, p.7, cité par Manola, 2012) et enfin Nadia Seremetakis parlera de « paysage somatique » dans Somatic landscapes (1994, p. 9, cité par Manola, 2012). L’ensemble de ces approches pose le rapport tactile au monde comme celui de la traduction de sa matérialité qui dans notre culture occidentale s’établie par nos extrémités. Cependant le toucher est également celui du contact de la peau avec la surface de corps solides ou fluides et les sensations cutanés peuvent s’étendre aux muscles et articulations par une détection passive ou une exploration active du monde. Chez Sola (2007, cité par Manola, 2012), deux formes de rapports tactiles se dessinent. Un rapport passif et cutané qui « consiste en une stimulation de la peau alors que la partie du corps concernée reste immobile » (Sola, 2007, p.37, cité par Manola, 2012) et un rapport tactilo-kinesthésique ou « haptique ou active (qui) nécessite, quant à (lui), des mouvements intentionnels » (Sola, 2007, p.37 cité par Manola, 2012). D’un point de vue biologique, le toucher serait l’organe perceptif le plus important du corps par la densité des réseaux nerveux de l’épiderme mais dans la culture occidentale, il est souvent restreint à son côté érogène voire sexuel. Aujourd’hui le toucher est porté par des connotations

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négative, « le toucher, le corps est considéré comme quelque chose de « sale » (Manola, 2012) et « connote le comportement enfantin, l’arriération, la rusticité, la vulgarité, voire le vandalisme : associé à la sexualité, il peut prêter au soupçon de mauvaises intentions » (Bromberger, 2007,p.6, cité par Manola, 2012). Enfin le goût est l’organe le plus délaissé dans sa relation au paysage. En effet, Manola rappelle que lors de l’exposition dédiée aux sens et à la ville au Centre Canadien d’Architecture de Montréal en 2005, le goût était le seul sens absent. Beaucoup d’études en Sciences Humaines et Sociale se sont intéressées aux odeurs de cuisines multiethniques mais pas au goût en lui-même. En effet, nous l’avons vu précédemment, odeur et goût sont liés par leurs capteurs et ces deux sens sont difficilement dissociables. Les mauvaises odeurs par exemple sont souvent associées à un sentiment de dégout et particulièrement « la pollution est souvent accompagnée d’un sentiment de goût « pâteux » ou « poussiéreux » » (Manola, 2012). De même le vocabulaire de la langue française porte à confusion. Les expressions « goût de pomme ou de fumé » peuvent être employées pour qualifier les odeurs. Manola relève tout de même des initiatives centrées sur le rapport du goût aux paysages et patrimoines comme les démarches de patrimonialisation émise par les locaux, les visites gustatives aux musées et la création d’une université populaire du goût à Argentan. Le paysage sensoriel peut couvrir un panel de réalités par chacun des sens qu’il déploie, mais notre étude s’attachera plutôt à le comprendre sous l’aspect multisensoriel. En effet, des liaisons parmi les sens peuvent déjà se préfigurer : le goût et l’odeur, le visuel et l’ouïe. Le paysage sera donc abordé par les aspects sensoriels et affectifs qu’il produit. Le sensible nous permettra une approche immersive du paysage temporellement et spatialement. En effet, le sensible associé à la notion de multisensorialité permet d’appréhender l’expérience du paysage dans son instantanéité. Le paysage en tant que succession de traces de ce rapport sensible et immédiat au monde, articule différentes temporalités : le passé, le présent et éventuellement le futur lorsqu’il s’agit de projection (Berque, 1996 cité par Manola et Geisler, 2012). Encore une fois, le paysage sensible permet de dépasser les dualismes nature/culture et nous intéresse particulièrement parce qu’il aborde le rapport immédiat quotidien dans n’importe quel contexte. Le sensible permettra d’introduire un rapport de l’individu à son territoire par la prise en compte des affectes. En effet la notion de territoire est le « fruit d’une 40


construction sociale et culturelle progressive résultat d’usages et de pratiques, qui donne aux lieux une mémoire et forge avec le temps des représentations ». Elle est porteuse

de

« valeurs

sociales,

culturelles,

symboliques,

identitaires

et

d’appropriation » (Manola et Geisler, 2012). Finalement nous aborderons la notion de paysages quotidiens par ses aspects sensibles car cela nous permet d’éviter les dualismes communément établis (matériel/immatériel, nature/culture, ville/nature) et parce que cette notion du sensible possède un caractère expérientiel par la sensorialité et l’affect (porteur de sens). Nous dépasserons ainsi les considérations de l’artialisation pour mettre en avant une expérience esthétique de l’environnement quotidien sous divers contextes qui souligne les multiples liens sensibles à l’environnement. Le paysage sensible associe alors valeurs esthétiques, aux « valeurs de liberté, de poésie, d’imaginaire, avec des pratiques sociales (Luginbühl, 1989) et l’habiter » (Manola et Geisler, 2012).

2. Comprendre les cheminements et points de vue comme une expérience phénoménologique du paysage Saisir la quotidienneté de l’appréhension du paysage nécessite de se baser sur une pratique régulière, familière et accessible à tous. Notre étude se porte donc sur cette sensibilité et cet affect aux paysages des habitants et usagers réguliers lors de cheminements à pied. Si le cheminement est une trajectoire, le point de vue caractérise un moment d’arrêt, à temporalité variable où le contact avec le paysage est renforcé par l’attention du regard précisément détourné. La marche comme mode de déplacement sera entendue comme une démarche de paysage. Entre réalité physique et mentale, le paysage devient un cheminement.

La ligne, le point et l’attitude Selon le Larousse, le cheminement désigne l’action de « suivre un chemin à pas lents et régulier » mais aussi de « s’étendre quelque part » selon un tracé plus ou moins défini car cheminer c’est aussi « faire son chemin ». Il y a donc l’idée de suivre un chemin mais aussi de le créer. La démarche n’est pas de l’ordre simplement de l’itinérance mais également de la direction inconsciente ou inconsciente effectuée. Le cheminement est donc à la fois attitude et empreinte sur le paysage puisque les cheminements ont défini les besoins d’accès et toute forme 41


d’infrastructure viaire qui a marqué le territoire. Jackson, par l’hodologie, traduit la double réalité du cheminement d’avoir à la fois une dimension physique et une dimension mentale. Le point de vue est entendu comme « le lieu d’où l’on peut voir une grande étendue », un « plan, aspect sous lequel on se place pour examiner quelque chose » mais également une « manière qu'a quelqu'un d'envisager, de voir, de juger » (Larousse). Il est donc une réalité physique dotée d’une spatialité dont l’ambiance est propice ou à une expérience sensorielle et affective du paysage. Il est une situation par rapport à un contexte qui favorise ou non son appréciation dans le cas de paysages identifiés comme remarquables. Mais le point de vue est également une réalité mentale, liée à une subjectivité ou une appréciation des choses selon la focale que l’on décide d’adopter. En étant à la fois configuration physique et mentale, nous supposerons que le point de vue est un moment qui marque une étape du cheminement comme une zone de contact privilégiée par les aspect sensoriel et affectif qu’il éveil de l’environnement. La « marche » désigne à la fois un « mouvement », une « manière » de déplacement, le déplacement en lui-même, une « distance parcourue » et une action (Larousse). En effet, la marche est une pratique qui est accessible par le plus grand nombre, somme toute assez banale. Lévy affirme « c’est l’activité humaine la plus naturelle après la respiration » (2007, p.8). Moyen de subsidence pour l’ « homo viator », elle est passée de « nécessité à vertu » (Lévy & Gillet, 2007). Elle est réalisée dans une variation d’occasion : le sport, le loisir, le moyen de déplacement pour se rendre dans un lieu, un moyen de travail pour les agriculteurs qui transhument par exemple. Cependant la marche peut être associée à l’aspect loisirs et randonnée. Des personnes exprimeront le fait qu’elles « ne marchent pas » mais qu’elles « sont à pied ». En devenant un outil scientifique qui permet notamment aux géographes de mesurer et cartographier le territoire, elle permet l’accès au savoir. Enfin la marche a acquis une reconnaissance comme moyen d’entrer en contact avec le territoire de manière sensible. En effet pour la géographie humaniste, par la marche, on accède au paysage. Elle est une « expérience qui fait sens, aiguise la perception, inspire les rêves, fait surgir le souvenir » (Lévy & Gillet, 2007). Ainsi la marche comme moyen de cheminer définit une expérience qui relève de la phénoménologie du paysage. La marche sera adoptée dans notre étude sous toutes les formes qu’elle peut prendre, vitesse, circonstance, configuration tant qu’elle

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respecte la condition de la mise à pied, du contact du corps directement avec le sol. Par l’action de marche, le cheminement constitue un moment de rencontre avec le paysage. Au-delà d’être une attitude, elle est un « moment où le territoire se fait paysage ». Le chemin, comme ligne et trace devient « un territoire en soi » (Lévy & Gillet, 2007). Par le point de vue qu’il permet, le chemin constitue une zone de contact sensible au paysage.

Les cheminements comme empreinte du paysage Augustin Berque, inspiré de la mésologie de Charles Robin et de la phénoménologie de Husserl décrira le paysage comme l’expression concrète du « sens (global et unitaire) qu’une société donne à sa relation à l’espace et à la nature » (Berque, 1984). Ainsi chez lui, le paysage est à la fois empreinte, comme expression d’une civilisation qu’il s’agit de décrire et d’inventorier et matrice qui « participe des schèmes de perception, de conception et d’action – c’est-àdire de la nature – qui canalisent en un certain sens la relation d’une société à l’espace et à la nature dont le paysage est son œcoumène » (Berque 1984). Ainsi Berque qui s’inscrit dans un courant de géographie culturelle cherche à décrire la relation du sujet à l’objet dont le point de vue est construit par un regard conscient. Il s’agira alors de pendre « toujours soigneusement en compte le matériau physique auquel chaque culture imprime la marque » (Berque, 1984). Le concept d’ hodologie est décrit par le psychologue Kurt Lewin (1890-1947), comme « la science ou l’étude des routes » (Jackson, 1984, p.79). Si le grec hodos renvoie à l’idée de route, il évoque aussi la notion de voyage au-delà de son acception matérielle pour évoquer une expérience globale. Chez Jackson, paysage et hodologie sont associés. Le paysage politique est dessiné par le caractère rectilinéaire des grands axes organisant le territoire et qui constituent un système centrifuge « imposant et étendu » dont la source remonte à l’époque romaine (1984, p.81). Le paysage vernaculaire est organisé par un système de chemins et de routes centripète, lié aux usages, qui change selon les besoins des communautés et qui s’est créé dans le respect de la topographie existante. Par la notion d’hodologie, Le cheminement possède donc une dimension physique qu’il s’agit de développer ici et une dimension mentale que nous aborderons dans le paragraphe suivant. La route dans sa réalité physique est décrite comme « un lieu de relation sociale ; la plupart des trajets se faisaient à pied ; les tombeaux et monuments qui 43


ornaient ses bords, les carrefours fréquents, les maisons qui la flanquaient, l'ombre des arbres, le flux des rigoles d'irrigation - tout cela faisait l'animation. » (Jackson, 1984, p.89). Lieu de passage, transition, qui mène d’un point à un autre, ce système routier, changeant selon les besoins qui prend en compte la topographie et particularités du territoire, dessine, un paysage vernaculaire et peut « rassembler les gens et créer quelque chose comme un lieu public, pour l'échange et la discussion mutuelle » (Jackson, 1984, p.106). Finalement, Jackson propose une méthode de lecture du paysage qui s’appuie sur la lecture des éléments structurants et des dynamiques de flux (Besse, 2003). En citant l’article publié par Jackson en 1969 dans la revue Landscape, Besse décrit le paysage comme une « carte vivante, une composition de lignes et d’espaces ». Mais le paysage va au-delà de son organisation, c’est une succession de « traces, d’empreinte qui se superposent sur le sol ». Il y a une dimension artistique de travail de la terre et du sol par des pratiques culturelles. Cette œuvre du sol travaillé se traduit par différentes matérialités que sont les maisons, villes, routes et canaux, défrichements et cultures. Ainsi la route devient une composante du paysage. La matérialité du paysage traduit de fait une attitude humaine vis-à-vis du milieu et la tâche du géographe est de les repérer et cartographier. Il est important de noter que dans cette définition matérielle du paysage, la relation homme et milieu est constante. Le chemin devient un projet de territoire. Les routes qu’elles soient « politiques » ou « vernaculaires » chez Jackson ont le double objectif de « renforcer et maintenir l’ordre politique et social » et « réunir en un lieu central (que ce centre soit concret ou non) l’ensemble des espaces qui composent le territoire d’une communauté » (Jackson, 1984). Madeleine Griselin, Sébastien Nageleisen et Serge Ormaux, (2008) décrivent trois raisons pour lesquelles la voie, en tant que concept englobant différentes typologies de voirie, impacte le cheminement et le paysage. Le cheminement suppose l’existence ou la création d’un chemin telle une ligne qui connecte un certain nombre de points dans l’espace. Selon le type de chemin, la « disponibilité au paysage » (Griselin, Nageleisen, et Ormaux, 2008) ne sera pas de même nature. Enfin le chemin est un paysage en lui-même au sens où il conditionne la vision du paysage environnant. Chez Reichler l’acte de cheminement est celui de « marquer une trace et de rassembler des traces » (in. Lévy & Gillet, 2007, p.48). L’individu marque mais 44


surtout « (est) un trace » en « (griffant) la peau de la Terre, d’une ligne continue » (in. Lévy & Gillet, 2007, p.48). Le sol devient support de mémoire du passage des hommes et œuvre créatrice d’une trace et d’une mémoire. À cette image Francesco Careri (2002, réédité en 2013), propose une lecture du cheminement comme jalon de l’architecture et du paysage. La marche est l’occasion de rencontrer le territoire dans sa géométrie, ses motifs et ses textures. Elle dynamique les « lignes » du sol qui dessinent le territoire, de fuite « qui crèvent l’écran du paysage dans sa représentation la plus traditionnelle » (Tiberghien, in Careri,

2002,

pp.9-10),

de

pensée.

Ainsi

l’hodologie

par

le

« sentiment

géographique » (Tiberghien, in Careri, 2002) qu’elle génère, préfigure une approche artistique dans la mesure où elle met en œuvre une expérience sensible et affective de la marche. Le paysage se charge de significations culturelles et personnelles qui transforment le lieu (Tiberghien, in Careri, 2002). Et l’architecture dessine et construit la surface de la terre, constitue la superposition de ces signes culturels et naturels acquis. De même, la « Terre des artistes du Land Art est sculptée, dessinée, taillée, excavée, remuée, emballée, vécue et parcourue de façon nouvelle à travers les signes archétypaux de la pensée humaine » (Careri 2002, p.142). La marche par le cheminement est un signe en lui-même qui dessine le monde en un « immense territoire esthétique » où le corps du voyage éprouve les événements du territoire, « intriqué de sédiments historiques et géologiques » dont les « sensations, les obstacles, les dangers, les variations du terrain » se reflètent sur le corps (Careri, 2002, p.142). Le cheminement c’est le témoignage d’une rencontre entre le paysage et le sujet perceptif. L’environnement de quelque nature qu’il soit est remodelé selon une succession de couches historiques qui définissent un rapport qui s’établit entre une collectivité et son territoire à une époque donnée. Le paysage par le cheminement est donc une rencontre temporelle dans l’instant et la mémoire, une expression d’un rapport

au

monde

qui

peut

s’expliquer

comme

une

réelle

expérience

phénoménologique.

Les cheminements, une expérience phénoménologique du paysage Par le concept d’hodologie Jackson (1989) et Besse (2004) réouvrent finalement tout un champ de réflexion sur la notion de paysage vécu et éprouvé. Jean-Marc Besse (2004), par ses quatre notes, apportera une relecture des

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courants philosophiques

et

psychologiques

contemporains au

travers de

l’hodologie. Chez Lewin, le comportement adopté par un individu dépend de la personne mais également de son environnement. L’environnement est compris sous une dimension géographique physique mais également sous sa dimension psychologique qui constitue alors l’« espace de vie ». Ce dernier est décrit par une réalité qualitative et topologique qui est chargée de significations et de valeurs. Dans le cheminement, il y a finalement l’idée du choix d’un « chemin privilégié » lié à une charge psychique du monde (Besse, 2004). Chez Sartre, l’hodologie est vue dans sa réflexion sur le « corps, le sujet et leurs relations à l’espace » (Besse 2004). L’espace revêt quatre caractéristiques. C’est un espace vécu, qui n’est pas pour autant subjectif car doté d’une réalité physique (son épaisseur, ses textures, ses lumières). Il est également décrit comme décisif car marqué de relations qui connectent les points et objets qui le composent. Enfin, il est « porteur de possibilités », de « promesse » selon Besse. L’espace n’est donc ni purement objectif, ni purement sensible chez Sartre, il est « éprouvé et pratiqué » (Besse, 2004). L’hodologie

prend

également

place

dans

les

courants

de

pensées

phénoménologiques notamment portés par Heidegger. En effet, chez les phénoménologues, l’espace de vie est distingué de l’espace vital. L’espace est d’abord chargé d’une pluralité de sens et significations puis relève d’une réalité matérielle (Besse, 2004). Ainsi un ensemble d’espaces, propres à chaque individu coexistent et se superposent sans pour autant fusionner. C’est précisément dans cette « pluralité des mondes et des spatialités » (Besse, 2004) vécus et éprouvés en étant chargés de sens, d’affect et d’imaginaires, construits par le cheminement, que se rencontrent l’hodologie et la phénoménologie. Lévy et Gillet (2007) abordent la marche dans la perspective d’une géographie humaniste aussi appelé « géographie de l’expérience » comme l’opportunité de vivre une expérience du territoire. L’expérience a une résonnance particulière dans ce courant de pensée car elle permet d’appréhender le territoire non plus seulement par des données scientifiques mais par une pratique et une épreuve in situ dont découlerait le savoir et qui donne accès au paysage (Lévy, in Lévy & Gillet, 2007). Lévy décrit alors la relation phénoménologique qui s’établit, en évoquant les écrits de Jean-Jacques Rousseau Les Rêveries du promeneur solitaire (1770), lorsque le « mouvement des pas met en branle celui de l’esprit » et que « survient l’ivresse de la sensation pure » (Lévy, in Lévy & Gillet, 2007). 46


Cette « expérience du lieu » est approfondie dans une perspective géopoétique par Kenneth White. La géopoétique, rappelons-le « part à la recherche d'un langage, et prépare la mise en place d'un autre espace. » (Lévy, in Lévy &Gillet, 2007). Les frontières entre nature/culture sont abolies pour proposer une réelle ouverture au monde permettant à l’homme de librement cheminer, et générant ainsi un monde de relations entre l’individualité et « le Grand Tout, dans une logique de complexité croissante » (ibid.). Le chemin alors devient « un territoire en soi » (ibid.). à la fois comme « lieu de déambulation », « comme forme liée à un tracé et à des vestiges » et « comme accès au paysage » (ibid.). Il est donc à la fois la rencontre du territoire et rencontre avec sa propre capacité décisive, la mémoire et sa capacité à percevoir. En ce sens par le cheminement l’individu établit un lien entre le territoire de l’environnement et son territoire intérieur et constitue une réelle expérience phénoménologique générant des relations géopoétique au territoire. Bien que cet éclairage du rapport phénoménologique qui s’établit entre le paysage et le marcheur soit largement étayé dans cet ouvrage, il en reste qu’il en relève d’une pratique spécifique de loisirs supposant une libre déambulation permise par le temps. En ce qui concerne les paysages du quotidien, Eva Bigando (2013) souligne l’inscription dans le temps d’une sensibilité paysagère habitante par la routine d’un vécu paysager qui se développe « au gré d’actes et de gestes routiniers » (Bigando, 2013). Cette expérience du paysage peut relever de différents niveaux de consciences directes de celui qui le vit. En s’appuyant sur le sociologue Anthony Giddens (1987), la sensibilité au paysage relève chez Bigando d’une conscience

discursive lors que l’expérience paysagère d’un individu qui ressent et éprouve le paysage est vécue consciemment. Elle relève en revanche d’une conscience

pratique si l’individu est non attentif à ce qu’il ressent ou éprouve, notamment dans le cadre de pratiques routinières. Le potentiel de l’acte de marcher ou d’être à pied réside chez Hélène Douence (2019) dans la mise en disponibilité sensorielle de l’état corporel de l’individu amené à entamer un processus d’une certaine lenteur par rapport à d’autres modes de déplacement. Une mise hors du temps ordinaire est possible par la lenteur de l’action, qui rompt avec les dynamiques accélérées et globalisantes qui nourrissent le quotidien. La promenade et la marche à pied par les cheminements comme espace hodologique pratiqué invitent à une immersion pleine paysagère qui devient l’occasion de découverte d’un rapport à soi (émotions, dimension

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corporelle, subjectivation), rapports aux autres (échanges, altérité, posture éthique) et de rapports aux lieux (sens, complexité, mémoire). (Douence, 2019) Les cheminements deviennent donc un espace intermédiaire entre le soi, le paysage et la société par les relations sociales qu’ils créent. Enfin, la sensorialité peut être vue comme l’élément activant d’une sensibilité au paysage. Victor Fraigneau analyse en particulier la sensibilité comme une expérience phénoménologique (2019). L’expérience sensorielle par son récit fait voyager, nous plonge dans l’identité d’un territoire. En mobilisant la recherche de Lucille Grésillon (2010), Fraigneau décrit la sensorialité comme un « outil de connaissance du paysage et du monde » (2019). Elle traduit les liens qui unissent l’individu à l’espace car elle est une association de l’appréhension des milieux aux sensibilités

qui

en

émergent.

Elle

démontre

également

les

implications

géographiques, c’est-à-dire propre à l’environnement (variabilité au fil du temps, dépend du lieu et des conditions climatiques) et à la personne (dispositifs cognitifs et sociaux), de la dimension sensible des paysages urbains. L’art de cheminer, même dans sa quotidienneté la plus totale, ouvre une sensibilité au paysage par l’ensemble des relations intimes, sensorielles, mémorielles et de fait, affectives qui se tissent entre l’individu et son environnement vécu. Le cheminement constitue une démarche du chemin révélant des modes perceptifs du paysage et une spatialité éprouvée propre à chaque individu. Le cheminement par la sensorialité générée au paysage, permet de sortir d’une lecture artialisée du paysage pour évoquer une sensibilité plus intime, personnelle et culturelle.

Le point de vue comme zone de contact au paysage Le cheminement est rythmé par la marche, tel un vecteur qui se déplace dans un système de coordonnées spatio-temporelle. Une traduction de cette sensibilité plus ou moins intense peut se lire sur le rythme adopté, c’est-à-dire la vitesse. Nous présupposons que la marche est nécessairement ponctuée de moments d’arrêts où le point de vue dirige une attention. Si la mise en marche du corps permet de découpler la sensibilité au paysage, l’arrêt peut aussi être le moment d’une expérience phénoménologique profonde. Si la distance au paysage par le point de vue semble être une évidence, chez Sartre, le point de vue surplombant n’est pas détaché des choses, il est impliqué dans les choses même, dans le monde. L’espace hodologique décrit par Sartre dans

L'être et le néant produit selon Besse (2004) une émotion comme « manière 48


d'appréhender le monde ». Besse décrit donc un état d’engagement par le cheminement et le point de vue : « être au sommet de la montagne ce n'est pas être hors du paysage, hors du monde, mais y participer d'une certaine manière » (2004). La dimension corporelle prend son importance dans la relation au monde que le corps permet d’établir. Il déploie et devient un « point de départ » (Besse, 2004) pour analyser le futur entrelacement au monde, il est une réalité intermédiaire, ce à quoi correspond l’espace hodologique. En effet chez de la Soudière (2008), le point dans l’espace devient un lieu où l’individu s’étend. Par la perception qu’il a de son environnement il redessine les frontières de son étendue. Il devient une zone de contact qui n’est plus qu’une simple coordonnée géographique mais un lieu qui a une densité, une épaisseur par l’atmosphère, l’ambiance qui s’en dégage. Dans le contexte le plus banale et insignifiant, l’individu donne à cet endroit, à cette « place », « un surcroît d'existence et de constance en le faisant sortir de son indifférenciation » (de la Soudière, 2008, p.94). Le point d’arrêt n’est pas qu’un simple point de vue, il devient un lieu qui étend la perception et unit à la fois à l’image du pic de montagne comme point de hauteur qui « en même temps qu’il sépare et distribue les versants » (de la Soudière, 2008, p.95), est un lieu qui fait converger comme un « point d’assemblage et de couture » (de la Soudière, 2008, p.95). Enfin chez Careri, l’acte de s’arrêter est un « art de la rencontre (qui) fait suite à l’art de l’errance » (2002, réédité en 2013, p.208). L’arrêt est donc un moment de construction de son propre espace de rencontre avec son environnement et constitue en lui-même une pratique esthétique du paysage (il a d’ailleurs écrit le livre, Pasear, detenerse 5 en 2016). Dans notre étude, le moment d’arrêt fera l’objet d’une attention particulière. Il s’agira de comprendre ce qui le génère, ce qui est paysagé. Le point d’arrêt ou point de vue comme lieu sera identifié dans les dimensions spatiales pour comprendre les caractéristiques du paysage qui crée une rupture dans le mouvement et qui peut être même dessine le territoire puisque l’on pourrait le lire par les interconnexions et les ponctualités.

5

En espagnol, Se promener, s’arrêter

49


3. Analyser la marche comme pratique : de la socialité à la transmission En complément de toute la dimension perceptive sensorielle et affective des paysages qui se créent par le cheminement, nous l’envisagerons également comme une pratique sociale. En effet, considérer le paysage perçu, vécu et approprié individuellement ou collectivement invite à penser les formes de rapports sociaux qui se produisent dans un cadre précis. Selon le Larousse, la notion de pratique renvoie à l’idée de « connaissance acquise par l'expérience, par l'action concrète ». Elle désigne aussi une « façon d'agir, conduite habituelle à un groupe » (Larousse). Associé au terme « social » elle se rapporte à l’idée de « société » et de « collectivité » qui définit « les rapports entre un individu et les autres membres de la collectivité » (Larousse). Notre étude s’attardera à identifier en quoi la sensibilité au paysage favorise des rapports de socialité et ainsi favorise la rencontre et les moments de convivialité. Elle se penchera sur le cheminement comme une pratique de témoignage et de transmission du paysage.

Les cheminements comme pratique sociale Anne Sophie Devanne (2005) a analysé la dimension sociale de l’expérience de la marche dans le contexte bien spécifique des randonnées en montagne Pyrénéenne. Elle a ainsi mis en évidence, la marche comme une pratique différenciée entre quête de solitude et désirs de vivre des moments de convivialité. En effet, elle met en évidence des désirs de moments de solitude liés à des motivations d’observation d’éléments en particulier et à une volonté de tisser une relation intime avec la montagne en dehors des dynamiques sociétales quotidienne. Quand bien même cette pratique semble être exceptionnelle en territoire de montagne, elle détermine les conditions spatio-temporelles de marche dont le vecteur de cheminement est l’évitement de la foule (Devanne, 2005). Elle décrit alors la marche en groupe en montagne, pratique la plus commune, traduisant des désirs de vivre des moments de convivialité, d’approfondir une connaissance du lieu et d’une volonté de « partager quelque chose » (Devanne, 2005). La convivialité de la marche va de pair avec un « esprit de groupe » qui détermine une ambiance

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d’expérience même où la possibilité de partager est une condition de la réussite d’une marche. La marche est l’occasion de différentes formes de civilités, de la simple salutation aux conseils et brefs échanges qui préfigurent des formes de rapports sociaux où les moments de rencontre. Ils peuvent être vécus avec plaisir soit pour la rencontre que le cheminement permet soit par la nature de la rencontre notamment par sa brièveté. Si la rencontre semble être moteur, par ce qu’elle est ou elle n’est pas, la marche est l’occasion de découvrir un territoire par son paysage mais également ses habitants et les manières de vivre qu’ils reflètent. Un cheminement de la perception à la compréhension permet d’accéder à une forme de connaissance du territoire permise par ces rencontres. Dans son article Développement durable, paysage, lien social en Seine-Eure

(Normandie), Nassima Driss soulève la capacité du paysage a être un lieu de sociabilité. En effet, elle met en évidence dans son étude, la place de la nature dans la perception des paysages liées à des pratiques quotidiennes ou occasionnelles de déplacements doux à pied ou en vélos. Elle souligne alors la potentialité du paysage à être « perçu et vécu comme lieu de sociabilité » afin de considérer de nouvelles formes de rapports à la nature au-delà de son intérêt écologique. Cette sociabilité, selon elle ne doit pas être déterminée mais potentielle. Ainsi les relations entretenues par les individus avec leur environnement, naturel ou bâti témoignent de « valeurs en perpétuelle évolution et le sentiment d’appartenance associé à l’existence sociale des individus » (Dris, 2016). Elle souligne donc l’idée d’expérience vécue du paysage comme opportunité à gérer des formes de liens de sociabilité. Ainsi en relevant d’un caractère très individuel, l’expérience sensorielle du paysage par les liens affectifs que le sujet crée avec son environnement, suppose qu’elle préfigure des formes de pratiques sociales, individuelle ou collective qui sont liées à l’idée de sociabilité. Il s’agira par cette étude de qualifier cette sociabilité, d’en voir les connexions avec des circonstances spatiotemporelles et/ou culturelles.

Le cheminement en héritage et support de mémoire Le paysage vécu est un paysage observé dont le corps s’imprègne des caractéristiques éprouvées à un moment donné. L’expérience par l’occasion de rencontre avec l’environnement géographique, devient l’occasion de connaître ce dernier. La personne devient alors en capacité de témoigner de son expérience lors d’un cheminement et d’en saisir les différences si le cheminement est réitéré. 51


Martin de la Soudière évoquera dans ses mémoires de traversées, l’idée de rite qui s’enseigne et se transmet par les cheminements. Ainsi il raconte son passage par des cheminements qui lui ont été transmis par son père lui-même les ayant reçus de son grand-père. Il revit alors les moments d’échanges et évoque des éléments et paysages rencontrés qui font l’objet de souvenir personnels, celui d’une habitude observée vis-à-vis de son père et de pratiques rituelles que son père avait reçues de son grand-père : « A chaque fois qu'il passait devant lui, mon père se faisait un devoir de prononcer cette formule énigmatique : "Mon Dieu, faites que Bertile soit heureuse !" » (de la Soudière, 2008), pratique qu’il réitère. Ainsi les chemins deviennent de réels lieux par les souvenirs et les légendes qui leurs sont associés.

De la Soudière détaille alors des pratiques observées

notamment en Nouvelle-Calédonie où le cheminement est l’occasion de la mémoire par la présence de témoins comme les « arbres commémoratifs » ou les « véritables sculptures » (de la Soudière, 2008), érigées sur les bords de routes où se sont produits des accidents. Il évoque aussi l’occasion du cheminement à se remémorer des événements inscrits dans la mémoire collective (ou même individuelle), contribuant à la construction d’une légende locale autour des événements historiques propres au territoire local. Cette mémoire des chemins s’est inscrite sur le territoire en particulier rural par l’accumulation d’objets que sont les croix et les bornes par exemple. Aussi, Reichler met en évidence la propriété directionnelle que le souvenir a sur le cheminement (in. Lévy & Gillet, 2007). Ainsi par la présence du souvenir associée aux paysages, le cheminement est l’occasion d’éprouver une spatialité à deux niveaux : celle de la marche actuelle et celle du souvenir qui érige le paysage en lieu vécu. Les souvenirs peuvent définir l’identité des lieux, en témoigne la toponymie souvent associée, mais aussi par la narration et la mémoire du lieu transmises durant cette même marche par ce même cheminement. Le chemin devient l’occasion « de marquer une trace et de rassembler des traces » (in. Lévy & Gillet, 2007, p.48). Enfin, à travers son étude, Anne-Sophie Devanne a mis en évidence la notion de partage de la marche comme étant à la fois une motivation et la condition d’une marche réussie. Cette transmission se fait à la fois autour de la pratique, de la technique de la marche mais également par rapport aux lieux et paysages rencontrés. Cette transmission est générée par une pratique du cheminement bien

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spécifique, celle du groupe organisé entre les sachants qui guident et les visiteurs guidés (Devanne, 2005) Notre étude se penchera donc sur cet affect du paysage qui se transmet par le cheminement ou dont la transmission et la quête de mémoire génère un cheminement.

4. Projeter la notion de patrimoine sensoriel : de la patrimonialisation spontanée à la notion de bien commun La sensorialité et l’affect pouvant faire l’objet d’une mémoire d’un paysage vécu et éprouvée, le cheminement comme pratique sociale, pose la question du sens collectif de ces perceptions sensibles. L’appropriation du paysage sensible et sa transmission en fait un enjeu lié au concept de patrimoine. Ce dernier est défini par le Larousse comme « bien tenu » et considéré comme « héritage commun d’un groupe ». Cependant il fait objet de débat entre réalité à inventorier ou processus à identifier.

Entre patrimoine et patrimonialisation, quelle définition ? Les notions de patrimoine et patrimonialisation peuvent renvoyer à des modalités très distinctes. Le patrimoine désignerait plutôt le bien qu’il soit matériel ou immatériel, dont on a hérité et qu’il s’agit de transmettre. La patrimonialisation, à première vue, semble relever du processus qui élève au rang de patrimoine le bien concerné. La notion de patrimoine fait l’objet de classification par l’UNESCO : « naturel », « culturel », « matériel », « immatériel ». Cependant elle recouvre aussi des modalités différenciées notamment au niveau du rôle des différents agents qui les mettent en place. Anik Demers-Pelletier met en avant à travers Rautenberg (1998) deux formes de mises en patrimoine en opposant la « patrimonialisation par désignation » ou « institutionnalisée »

qui

correspond

à

un

regard

« exogène »

à

la

« patrimonialisation par appropriation » issue d’un regard « endogène » (DemersPelletier 2019). Elle analyse alors la place prédominante d’une pratique exogène de la patrimonialisation en France dont l’initiative est souvent issue d’une collectivité territoriale ou du préfet départemental (notamment en ce qui concerne le patrimoine

matériel).

De

même,

Dérioz

souligne

deux

modalités

de

53


patrimonialisation dans son article Les ambiguïtés de la patrimonialisation des «

paysages naturels » (2010) : celle instituée par la science et/ou la sphère politique et celle décrite comme spontanée « itérative » opérée par la société civile. Enfin, Cyril Isnart s’inscrit dans la ligné de Dérioz (2010) en proposant son étude ethnographique sur des formes de patrimonialisations ordinaires réalisées par des habitants. Il décrit la pratique patrimoniale séparée en deux pôles : une pratique institutionnalisée liée aux conservateurs et aux musées et une pratique familière et amatrice décrite comme « sauvage » voire « bricolée ». En s’intéressant à un point de vue local, celui d’habitants qui perçoivent et éprouvent les paysages ordinaires au quotidien, notre étude cherchera à mettre en avant ce point de vue endogène de la notion de patrimoine qui relèvent du caractère spontané et familier décrit par Cyril Isnart. Les notions de « patrimoine » et « patrimonialisation » relèvent de concepts bien précis tantôt corpus, pratique, processus ou politique. Di Méo (2007) revient sur l’étymologie du terme patrimoine, qui en latin,

pater familias, désigne l’ensemble des « biens de famille ». Originellement, il relève donc la sphère privé et Di Méo remet en question l’utilisation abusive de ce concept pour couvrir à la fois, les biens concrets privés ou de l’ordre « du grand patrimoine » et des valeurs, coutumes et des savoirs. Le patrimoine est une production sociale chez Di Méo (2007), puisque tout potentiellement est patrimoine. Il est fruit d’une conception proprement occidentale, héritée de la modernité européenne. S’effectue alors une sélection dans le passage générationnel dont la formulation des règles de sélection est liée à une construction sociale. Il est aussi un discours puisqu’il se base sur un principe narratif de mythes ou d’histoires fondatrices d’un groupe ou d’un territoire. Par la transmission, il est un projet construit collectivement, une projection dans le futur. Bouisset et Degrémont parlent de la notion de patrimoine comme « une modalité de notre rapport au passé » dont le témoignage et la mémoire collective auquel il participe, posent de « véritables jalons identitaires » (2013). Il participe à la fois à une compréhension du passé mais également à assoir une assurance de la persistance des éléments de l’histoire sociale. La patrimonialisation est finalement un processus culturel, chez Di Méo (2007) qui décrit la définition et les modalités d’application de la sélection du patrimoine, les procédures de préservation et de valorisation du patrimoine. En 54


étant un processus culturel, elle participe à la « production de territoires » puisqu’elle répond à « un choix de société » basé sur un système de principes et valeurs qui fait « sens collectifs d’appartenance commune ». Le collectif devient possesseur de cet héritage avec une obligation de le transmettre (Davallon, 2014). Le patrimoine comme processus, lorsqu’il s’agit des « œuvres naturelles », s’intéresse à ce qui n’a pas ou peu été impacté par l’humain plutôt qu’à ce qui a été transformé. Il est un objet qui se communique, « appartient au monde des images » et s’érige en médiateur entre le passé et le présent (Bouisset et Degrémont, 2013). La patrimonialisation est aussi un « construit social » liée à un « phénomène d’appropriation » développée par un groupe social sur la base de valeur établies (Bouisset et Degrémont, 2013). Elle implique une transformation de rapport à l’espace par cette même application de valeur et sa reconnaissance au sein d’un groupement social identifié qui la revendique. D’ailleurs, ce qui unit les différentes modalités de patrimonialisation chez Dérioz c’est la recherche d’une définition collective des valeurs à attribuer dans une dynamique processuelle d’appropriation. La signification patrimoniale participe alors, de manière explicite, à la consolidation d’une identité collective ou territoriale. Elle implique alors la mise en œuvre d’une démarche de transmission qui impose sa préservation (Dérioz, 2010). Anne Watremez (2009, citée par Demers-Pelletier, 2019) parle de processus de patrimonialisation comme un acte de transmission de la vie sociale puisque la reconnaissance se fait autant sur les objets, les lieux que les systèmes de valeur et participe ainsi à une construction identitaire du groupe social. Enfin Cyril Isnart avec Claire Bullen, Hervé Glevarec et Guy Saez, envisage le patrimoine comme une réelle pratique sociale qui est génératrice de sentiments d’appartenance partagés et de lieux de sociabilité (2021). Si ces deux notions semblent relever de réalités distinctes, Davallon (2014) rejette la notion de patrimoine qui est, selon lui, est construite comme une catégorie. Cette notion s’est, en effet, surtout développée dans les années 1980 non pas à partir des institutions culturelles, en charge même de ce patrimoine mais dans la désignation de nouveaux objets, constituant un « patrimoine établi » dénué de tout contexte social. En somme il préfère à cette notion, la notion de

patrimonialisation comme processus d’appropriation par la « reconnaissance de son caractère patrimonial » selon un nombre de critères appliqués (Davallon, 2014). Enfin, chez Morisset (2010, cité par Demers-Pelletier, 2019), on parle de la

patrimonialisation comme une « fabrication », « invention » portée par une 55


« imagination créatrice » dont l’œuvre est le produit d’un imaginaire collectif. (Demers-Pelletier, 2019). Nous accepterons la notion de patrimoine comme un construit culturel qui relève d’une pratique vivante. La patrimonialisation sera vue comme processus d’attribution de valeur, qui fait l’objet d’une forme de préservation plus ou moins formelle, et dont le bien (matériel ou immatériel) est transmis selon des modalités diverses. La pratique patrimoniale sera envisagée comme une création spontanée qui revêt d’une pluralité de modalité propre à l’individu ou à un groupe d’individus.

De la patrimonialisation à l’intérêt général, les enjeux de la demande de paysage Anne Sgard (2010) analyse le phénomène de patrimonialisation comme la réponse quasi-systématique à une « demande de paysage » balancée entre une volonté de figer les paysages hérités et celle de se projeter dans un avenir incertain. La notion de patrimoine a cet avantage de fournir « un argument consensuel et fédérateur, fondé sur la référence au passé, sur la mémoire locale pour cimenter un groupe autour d'un projet » (Sgard, 2010). Aussi Sgard explique que la référence au passé se légitime plus facilement dans le cadre d’un projet que son ancrage dans une projection future, qui plus est incertaine. L’émergence des « patrimoines naturels » a certes, participé à la construction des valeurs collectives de nations mais soulève encore des questions spécifiques qui découlent de la difficulté à cerner la « nature » en termes d’essence, de dynamique et d’échelle (Dérioz, 2010). Aussi, lorsqu’il s’agit de se pencher sur la question des « objets naturels » susceptibles d’être patrimonialisés, l’incertitude se porte sur « leur degré d’autonomie par rapport aux interventions anthropiques » (Dérioz, 2010). Ainsi le paradoxe de la patrimonialisation de ce qui serait qualifié de « naturel » se pose sur la valeur de « naturalité » qui fait l’objet même de leur reconnaissance à laquelle est attribuée une valeur patrimoniale, s’inscrivant ainsi dans le champ social et culturel. Un second paradoxe réside dans le degré d’acceptabilité des mutations propres « à la nature » des objets patrimonialisés par rapport au fait même qu’il soit un objet à préserver. (Dérioz, 2010). Cependant la notion de patrimoine pour les éléments « naturels » met en avant les écueils de la patrimonialisation dans les formes de « fétichisation nostalgique » (Sgard, 2010) qu’elle peut entraîner au travers de la transmission des éléments matériels du paysage au détriment des pratiques, codes et regards qui l’ont 56


façonné. Cet écueil est également identifié par Vernières (2011) qui parle de sentiment

de

dépossession

des

habitants

au

patrimoine.

Selon

lui,

la

reconnaissance du patrimoine doit être le résultat d’un compromis entre acteurs. La patrimonialisation est un construit social qui élève la reconnaissance d’un patrimoine identifié à un patrimoine reconnu. Aussi, dans un contexte global marqué par la « faiblesse administrative et politique des autorités locales », « les problèmes de corruption », « la non-maîtrise de l’information », la mise en place de règles accompagnées de sanctions pour les contrevenants renforce le sentiment d’une politique d’imposition descendante, de dépossession de ce patrimoine pour les habitants et favorise le risque de conflit. Ces conflits peuvent être liés à la fois à une politique conséquente trop accentuée sur le tourisme et qui de fait accroit les inégalités « selon que les habitants participent ou non à l’activité touristique » (Vernières, 2011). Finalement d’après Leblon (2012, cité par Demers-Pelletier, 2019) le patrimoine serait même devenu une nouvelle ressource de gestion du territoire où

la

patrimonialisation

interviendrait

comme

une

nouvelle

forme

de

territorialisation et de contrôle de l’espace. Chez Di Méo (2007), les paysages interviennent dans leur fonction patrimoniale comme l’interprétation d’une territorialité. Il établit les liens qui existent entre patrimoine et territoire, deux concepts qui n’existent d’ailleurs pas a priori. Le patrimoine relève de processus historiques analogues de définition et de sélection (ou de délimitation pour les enjeux d’espaces naturels et de paysages). Aussi les processus patrimoniaux et territoriaux relèvent des mêmes étapes de construction que sont la reconnaissance, l’appropriation la compréhension de significations et l’identification à travers ces derniers. (Di Méo, 2007)

Patrimoine et territoire sont liées essentiellement par l’enjeu de la ressource, en terme d’usus collectif du patrimoine, et de dépendance. En ce qui concerne la notion de territoire elle se définit par ce à quoi une collectivité dépend, tient et perçoit (Latour, 2017). De fait, l’exploitation d’une ressource patrimoniale lorsqu’il s’agit de paysage, est toujours potentiellement porteuse de menace d’altération ou de destruction. En effet, la patrimonialisation du paysage par l’attribution de valeurs collectives renforce son appropriation symbolique par les acteurs locaux et son attractivité pour d’autres. Elle engendre de fait, souvent une dimension économique où le paysage devient une ressource support comme cadre de vie mais également comme terrain de pratiques. (Dérioz, 2010).

57


Le paysage en tant que projet patrimonial pose de fait les enjeux d’attribution de valeurs, d’accès à une ressource et de transmission de cette ressource. C’est dans ces enjeux-là qu’Anne Sgard invite à envisager le paysage sous la forme d’un bien commun plutôt que d’un patrimoine. Le bien commun est notion qui a été largement employée et appropriée par les diverses disciplines notamment en sciences sociales, ce qui a entrainé une confusion de sa compréhension, dont l’expression est tantôt employée au singulier pour se rapprocher de l’idée d’intérêt général et tantôt au pluriel pour se rapprocher de la notion de ressources. Le paysage comme bien commun est envisagé par Hélène Harzfeld et Odile Marcel (2006, cité par Sgard, 2010) par la « convergence de valeurs, de modes d'actions, de mythes qui définissent la possibilité d'un projet partagé » (2006, p. 284, cité par Sgard, 2010). Selon Micoud (2004, cité par Sgard, 2010) la notion de bien commun vient alimenter la fonction patrimoniale du paysage par sa visée éthique qui tend à définir un projet partagé du territoire qui permette de « concilier la fréquentation de tous en limitant l’impact de chacun » (Sgard, 2010). La

notion

d’intérêt

général

devenant

une

nouvelle

perspective

de

la

patrimonialisation du paysage pose alors la question des valeurs collectives, des acteurs définissant le projet et des règles la concernant. Cependant la notion de

bien commun apporte au patrimoine l’idée de responsabilité des usagers vis-à-vis du collectif qui aurait contribué à façonner les paysages perçus aujourd’hui, qui nous ont été transmis. Cette responsabilité est à la fois à l’échelle individuelle et collective. En cela les démarches participatives permettent à la fois, le succès de projet de paysage par l’implication de la population dans les enjeux de conservation (Deslauriens, 1992, cité par Demers-Pelletier, 2019) mais également la mise en débat du territoire facilitant la compréhension des perceptions, enjeux et valeurs portées par chacun. Cette même question participative est défendue par Le Scouarnex (2004, cité par Demers-Pelletier, 2019) comme une condition de définition d’un patrimoine culturel immatériel puisque la communauté « doit pouvoir reconnaître, au moins de façon implicite, ses pratiques et ses traditions afin de se les approprier et les transmettre » (Demers-Pelletier, 2019). L’appropriation est donc au cœur même du concept de patrimoine culturel. Et c’est précisément en cela que l’étude s’intéressera à l’idée de ce qui fait « sens collectivement ». La recherche par les marches exploratoires groupées aura pour objectif non pas de sensibiliser ou de responsabiliser les individus mais bien 58


de faire naître le débat quant aux différences de perceptions sensorielles et affectives et aux formes d’appropriation auxquelles chacun aspire pour ensuite superposer ces idées dans une dynamique de paysage et patrimoine.

Sensorialité et patrimoine : une conciliation discutable Que ce soit à travers la notion de patrimoine ou de bien(s) commun(s), le paysage sera abordé par les aspects sensoriels et affectifs qu’il procure. Bien que la loi très récente du 29 Janvier 2021 vise à définir et à protéger le patrimoine sensoriel dans le cadre des campagnes françaises, la conciliation entre sensorialité et patrimoine reste difficile à définir, en particulier dans le cadre urbain auquel nous serons confrontés. La notion de patrimoine, nous l’avons vu précédemment, tend à classifier ce qui relève du matériel ou de l’immatériel, du naturel ou du culturel. Nous avons d’ailleurs vu la difficulté de cette classification en ce qui concerne le paysage ou le patrimoine naturel et les écueils possibles. Lorsqu’il s’agit de parler de patrimoine sensorial, l’exercice de la classification est encore une fois rendu compliqué. Finalement notre propos de rejeter toute forme de classification pose l’expérience émotionnelle comme « manière fondamentale, (croyons-nous,) à la rationalité de l’identification de cet objet comme patrimoine » (Verguet, 2013) et s’inscrit dans l’originalité même de la notion d’environnement sensible, d’être « à la croisée des patrimoines matériels et immatériels » (Simonnot et Siret, 2014). Le patrimoine est donc matériel en raison de la réalité physique de la source émettrice. Il est immatériel par sa « spatialité fragmentée », sa discontinuité en terme de qualité et quantité et sa « temporalité épisodique et éphémère » (Fraigneau, 2019). Chez Simonnot et Siret, l’enjeu autour du patrimoine sensoriel se pose entre une volonté de « conservation ou de re-création » (Simonnot et Siret, 2014) des éléments patrimonialisés. En effet, « la fugacité de la trace » soulignée par Alain Corbin, caractère même des environnements sensibles, pose la question de leur conservation et « restitution dans une logique patrimoniale » (Simonnot et Siret, 2014). Le problème de la logique patrimoniale se pose aussi en amont dans l’identification même de cet environnement sensoriel. En effet, en ce qui concerne l’odorat, Victor Fraigneau mobilise Keller (2012, citée par Fraigneau, 2019) pour souligner la qualité subjective et personnelle de ce sens liée à des dispositions olfactives inégales et leur lien à une histoire personnelle et culturelle propre. Il s’appuie de l’étude de 59


Lucienne Roubin (1989, cité par Fraigneau, 2019) pour rappeler que « la préférence d’une odeur, ou d’un groupe d’odeur, peut varier suivant différentes échelles sociales, de l’individu unique à toute une culture » (Fraigneau, 2019) Simonnot et Siret, dans le cadre d’une étude pour la constitution d’un patrimoine sensoriel d’anciennes industries à Nantes, souligne le décalage généré par « certaine forme de re-création des environnements sensoriels » (2014) entre la réalité du site actuel et les formes créatives sensées « retranscrire des sensations passées » comme la recomposition de mélanges chimiques, l’enregistrement et la diffusion d’une activité industrielle passée. La patrimonialisation du sensible pose un certain nombre d’écueils et de paradoxes. Tout d’abord, malgré leur caractère unique, représentatif d’une société ou d’un temps », les aspects reproductibles et multipliables des phénomènes sensoriels se heurtent cependant à l’idée « d’œuvre unique qui justifie les mesures patrimoniales des objets « les plus représentatifs d’un temps ou d’une société » (Simonnot et Siret, 2014). Cependant, malgré cette différence, la conservation de ce type de patrimoine relève parfois de processus proches des mesures propres aux collections muséales. Les auteurs soulignent ce risque de bascule entre la transmission d’un réel « héritage sensoriel » ou celui de la création d’un « cliché sensible » (Simonnot et Siret 2014). De fait, la diffusion d’une odeur ou d’un son propre à un caractère identitaire passé ne coïncide pas avec la réalité vécue d’un site liée à un mélange complexe de sensations. Cela constitue une vision partielle d’une sensibilité éprouvée, « une fraction d’un paysage sensible bien plus vaste ». (Simonnot et Siret 2014). Cependant cela n’est pas propre au caractère sensible de l’objet patrimonialisé puisque, comme le soulignent les auteurs, Riegl avait pointé « l’absence d’objectivité de la démarche patrimoniale » par le fait même que l’attribution de valeurs à des éléments génère une sélection de cet élément parmi d’autres. Enfin un dernier écueil est souligné par des mêmes écrits de Riegl (1984, mobilisés par Françoise Choay, 2009, cité par Demers-Pelletier, 2019) concernant le risque de déformation du patrimoine sensoriel. Tout comme la plupart des éléments qualifiés de « monuments historiques » les phénomènes sensibles ne sont pas fabriqués ou construits en tant qu’objet patrimonial mais sont bien les conséquences d’une réalité du quotidien liée à une époque, une culture. Le risque de déformation de l’objet sensoriel alors patrimonialisé se justifie par l’écart entre les sensations passées du quotidien et le regard actuel qui les met en avant selon

60


« la sensibilité du moment, les références culturelles et les niveaux de tolérances actuels » (Demers-Pelletier, 2019). Notre approche de la patrimonialisation et du processus patrimoniale s’inscrira plutôt en lignée directe avec l’approche de Céline Verguet, qui dans son analyse de la « fabrique ordinaire du patrimoine » du quartier de la Libération à Nice (2013), développe une approche du processus patrimonial spontané, ordinaire et sensible. En effet cette dernière établit une conception ouverte du patrimoine « provenant de notre expérience (physique et imaginaire) » qui plus est, relève du sensible, du subjectif, de l’émotion. L’appréhension du patrimoine est alors perceptive et multidimensionnelle organisant ainsi « l’évaluation de la signification de l’objet à partir de la pertinence pour soi 6». Verguet rejette l’idée d’une « émotion » patrimoniale qui « ferai(en)t donc partie d’un savoir sur le patrimoine et, en tant qu’outil mis à la disposition d’une compétence « profane », conduiraient à caractériser et qualifier, c’est-à-dire à fabriquer du patrimoine ». Elle explicite l’expression d’« émotion patrimonialisante » ; définissant ainsi la fabrique ordinaire du patrimoine, processus dynamique d’identification spontané de ce qui relève du patrimoine. Ce processus est marqué par une forme de passéisme et porté par un besoin pour l’individu de reconstruire - par une forme d’imaginaire, d’affect - ce qui relève du passé vers des schèmes actuels portés par sa propre subjectivité. La fabrique ordinaire du patrimoine impute à la notion de patrimoine une proximité symbolique de l’individu à l’objet – notion qu’elle juge de « force performative qui a eu pour conséquence néfaste « de destituer le patrimoine de proximité, le petit patrimoine, pour instituer et y substituer la proximité du patrimoine » (Verguet, 2013). Ainsi cette recherche s’inscrira dans l’idée de patrimoine comme pratique et processus, à l’instar de Cyril Isnart (2012), notion à transposer dans ce qui relève chez Céline Verguet (2013) du banal et du quotidien. Elle se donnera pour objectif d’analyser l’appropriation physique et symbolique du paysage et de ce qui constituerait le patrimoine paysager par les valeurs et les pratiques sociales dont il est le support (Donat, 2000, cité par Bouisset et Degrémont, 2013).

6

Entre guillemets dans le texte originel.

61


62


02. SITUER UNE QUESTION : LE PAYS BASQUE ENTRE PAYSAGES REMARQUABLES ET TERRITOIRE DE VIE 1. Le Pays Basque, territoire de paysages remarquables entre littoral et montagne 1.1. Le Pays Basque, entre identité revendiquée et paysages variés Situé dans le département des Pyrénées-Atlantiques, le Pays Basque français (Iparralde 7) se définit culturellement autour d’une langue commune partagée 8 et d’une histoire commune réunissant un même peuple et des pratiques culturelles. Espace frontalier, il s’est établi comme zone de passage, un espace où l’on transite et dont les communes de Bayonne, Saint-Jean-Pied-de-Port sont devenues des villes de commerce importantes dès l’Antiquité. Enfin, ce territoire a vécu de profonds changements dès le 19ème siècle par l’arrivée du tourisme et l’avènement des paysages littoraux et montagnards. Le 20ème siècle, période d’accélération de la transformation des pratiques et de l’économie locale, est marqué par des revendications régionalistes fortes en Espagne et en France. Si politiquement des revendications identitaires et indépendantistes ont été portées, aujourd’hui le territoire Iparralde 9 s’est équipé de divers outils et acteurs institutionnels et politiques

pour

défendre

et

actionner

ses

intérêts

locaux.

Malgré

des

revendications politiques et territoriales portées lors de la création des départements (1790), le territoire Pays Basque n’a jusqu’alors correspondu à aucune

Nom donné à la partie français du territoire Pays Basque revendiqué. La partie espagnole est communément appelée Hegoalde. 7

La langue basque se décline originellement sous forme de différents dialectes et a fait l’objet d’une uniformisation en 1980.

8

Au Espagne, le Pays Basque aussi appelé Hegoalde et regroupe la communauté autonome du Pays Basque et la communauté forale de Navarre, communautés qui ont possède un statut quasi autonome. 9

63


entité territoriale définie en France. Les communes se sont donc, depuis 2017, constituées autour de la collectivité territoriale de la Communauté d’Agglomération Pays-Basque. Sur le plan culturel, paysager et environnemental, la problématique paysage & patrimoine a été saisie par de nombreuses institutions implantées dans le territoire. Dans la perspective de l’élaboration du nouveau SCOT Pays Basque et en continuité des réflexions de la constitution d’un PNR montagne basque, le CAUE a ouvert un nouveau chantier de réflexion autour des questions de paysages et patrimoine en partenariat avec le Conseil de Développement Pays Basque (CDPB), un acteur de clé de reliance entre les différentes institutions et les préoccupations citoyennes en se constituant comme « observatoire sociétal, laboratoire d’idée », « un lieu d’expérimentation » favorisant la démocratie citoyenne et participative dans les démarches de développement et de projets territoriaux Pays Basque. D’autres organismes locaux touchent à ces problématiques. L’Institut Culturel Basque, ethnopole sur le territoire, est très actif sur les questions de collecte de témoignage, de patrimoine immatériel et s’intéresse à ces questions de paysage sans pour autant avoir eu l’occasion d’explorer cette thématique. Le CPIE Littoral Basque est en charge des territoires littoraux acquis par le Conservatoire du Littoral dont la zone d’intervention est restreinte à Hendaye, Ciboure et Urrugne mais qui participe à l’éducation pédagogique citoyenne sur les problématiques de patrimoine naturel. Le Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement (CPIE° Pays Basque s’est lui installé à Saint Etienne de Baigorry en se saisissant des enjeux de patrimoine naturels et culturels en territoire rural et de montagne. Bien que ces institutions s’unissent autour de la revendication d’un territoire commun, des réalités identitaires et paysagères diversifiées se dessinent (4). En France, trois provinces, le Labourd, la Basse-Navarre et la Soule sont culturellement et territorialement revendiquées. Elles ont d’ailleurs été identifiées comme ensembles paysagers par l’Atlas des paysages des Pyrénées Atlantiques 10 (5). Bordant la façade Atlantique, à la porte des Pyrénées, le Pays Basque se caractérise par l’alternance de plateaux et de reliefs vallonnés, ponctués d’habitats plus ou

10

Cet Atlas a été formalisé en 2003. Il fait actuellement l’objet d’une révision.

64


4. Cartographie du territoire Pyrénées-Atlantiques (source : Atlas des paysages des Pyrénées Atlantiques, agence Morel Delaigue, 2003)

65


5. Cartographie représentant les sept ensembles paysagers dont les trois provinces basques, le Labourd, la Basse-Navarre et la Soule en font partie (source : Atlas des paysages des Pyrénées Atlantiques, agence Morel Delaigue, 2003).

66


moins denses, aux codes esthétiques et formels homogènes. Ces paysages ont majoritairement été façonnés par l’activité traditionnelle de l’agropastoralisme 11. Le territoire est largement irrigué grâce à ses quatre bassins versants principaux autour de l’Adour, de la Nive, de la Nivelle et de la Bidassoa. Les Pyrénées à la fois comme « barrière », « silhouette » ou « géologie », des reliefs contrastés de hautes vallées aux plateaux de falaises, l’habitat relativement homogène, l’eau sous ses diverses formes, le végétal diversifié et même « luxuriant » sont autant de caractéristiques visuelles qui ont été évaluées comme propre au territoire. Ainsi le territoire regroupe une diversité de milieux, montagnard, forestiers, agricoles, littoraux, océaniques, humides qui accueille une biodiversité importante. 12 Le territoire n’en reste pas moins contrasté par des dynamiques d’attractivité différenciées. Le Pays Basque peut se définir comme une réelle « terre d’accueil » par les dynamiques migratoires dont il est le support, mais il couvre une réalité touristique et économique à deux vitesses. Le littoral inscrit dans l’identité labourdine, est sujet à une forte attractivité économique, touristique et migratoire qui se traduit par une forte pression foncière locale. Les vallées de montagne situées en Basse-Navarre et en Soule, sont victimes d’un déclin démographique 13.

1.2. Les pratiques touristiques et récréatives, des mécanismes de redéfinition du paysage basque Il faut remonter à la seconde moitié du 18ème siècle pour comprendre les transformations de perceptions des paysages montagnards et littoraux. Longtemps perçues comme des lieux de chaos, les montagnes deviendront à la fin du 18ème siècle, un lieu de connaissance et d’archives pour les intellectuels européens influencés par les pensées philosophiques naturalistes des Lumières. Par exemple, les paysages de montagne béarnaises seront décrits par le minéralogiste Pierre Bernard Palassou en 1780 qui s’intéressera en particulier aux sites de la vallée d’Ossau et d’Aspe 14.

11

Atlas des paysages des Pyrénées Atlantiques, agence Morel Delaigue, 2003

12

Atlas des paysages des Pyrénées Atlantiques, agence Morel Delaigue, 2003

13

Conseil de Développement Pays Basque, Diagnostic, non daté

14

Atlas des paysages des Pyrénées Atlantiques, agence Morel Delaigue, 2003

67


Mais c’est surtout à la fin du 19ème siècle, que les Pyrénées et la côte littorale Atlantique connaîtront une évolution significative dans les représentations sociales de la grande bourgeoisie et de l’aristocratie. Un tourisme frontalier se développe au Pays Basque, littoral comme montagnard, « à travers la diffusion de guides de voyage devenus de plus en plus populaires, mais surtout grâce à l’influence du courant romantique » (Leizaola, 2002). La montagne devient un tableau pictural qui attire peintres et écrivains qui dessineront des scènes pittoresques mettant en valeur la géologie des Pyrénées. Ce spectacle se caractérise par des « oppositions récurrentes » mêlant « le sublime et l'effroyable », « l'idyllique et le sordide » (Lynch, 2005). Cette dualité du regard selon Briffaud, renvoie à « la structure du mythe de la nature, de la sauvagerie et de l’âge d’or » sensible au monde rural. En démontrant, la montagne comme « quintessence » de la ruralité, il fait le lien avec les quêtes révolutionnaires dont cet espace a été le théâtre surtout dans les Pyrénées basques. La médecine aussi contribuera à promouvoir les milieux montagneux et des stations thermales verront le jour comme Cambo-les-Bains. Le thermalisme jouera un rôle clé dans la transformation du territoire par l’évolution des pratiques et de l’économie locale et par son aménagement notamment à travers les autoroutes construites fortement contestées localement (Briffaud, 1999, cité par Lynch, 2005). Cependant l’attraction de ces espaces s’opère avec une certaine distance. L’élite curialiste bénéficiera de traitement et de modes différenciés de la vie locale : « Ainsi, à Barèges, vers le milieu du XIXe siècle, les eaux usées des baignoires des riches curistes s'écoulaient dans les piscines réservées à une clientèle moins fortunée, puis dans celles des pauvres » (p.225, Briffaud, 1999 cité par Lynch, 2005). À la même époque, Alain Corbin (1988) relate le spectacle de la mer qui se dessine progressivement en Europe. Initialement du domaine des marins, explorateurs et aventuriers, la mer démontée et redoutable semble acquérir ses lettres de noblesses grâce aux nombreux écrivains, Châteaubriand (Les martyrs, 1809, cité par Corbin, 1988, p.199), Michelet, Victor Hugo. La relation de l’homme au milieu littoral se modifie profondément dans les couches aristocratiques de la société par l’artialisation picturale et littéraire de ces territoires, propre au courant romantique. Les premières stations balnéaires marqueront la maritimisation de la zone littorale (Corbin, 1988). Vers la seconde moitié du 19ème, la naissance des stéréotypes culturels et paysagers forge le patrimoine culturel, architectural et plus tard paysager. La présence de plage, leur forme accueillante, accessible

68


deviennent partie intégrante des paysages remarquables littoraux. La mer constituait clairement une valeur ajoutée à n’importe quelle station balnéaire (Corbin, 1988). L’élite européenne sera rapidement attirée vers la côte basque dont les communes de Biarritz et Saint-Jean-de-Luz deviendront des lieux renommés pour découvrir les vertus des bains de mer et des cures d’air marins.

Et leur

situation face à l’océan, marquée par des paysages de montagnes et des espaces forestiers généreux seront des attributs mis en valeur pour attirer cette nouvelle population touristique (6). Le tourisme, par l’introduction de pratiques récréatives, de détentes, activités thérapeutiques de bains de mer ou de randonnée, « inaugura, en outre, le premier usage social généralisé du paysage, avec les répercussions économiques, sociales et culturelles que nous avons déjà expliquées » (Ostolaza, 2018, p.174). La pratique de la randonnée, très présente en montagne basque (puis plus tardivement sur la côte littorale avec l’aménagement du sentier du littoral) fait converger des préoccupations hygiénistes et de nouvelles sensibilités au paysage et à l'environnement naturel, construites autour des élites artistiques, scientifiques et littéraires. Cette pratique devient synonyme de santé, presque un antidote aux maladies qui sont rencontrées dans la ville. Elle répond aussi à des préoccupations pédagogiques et de besoin de contact direct avec ce qui semble constituer des éléments de paysage naturels (Ostolaza, 2018). Cette pratique de la randonnée en territoire Pays Basque, initialement liée au tourisme, fera peu à peu des adeptes dans la population locale. Maitane Ostolaza décrit

notamment

mendigoizales

15

les

espaces

de

sociabilités

qu’offraient

les

groupes

en Pays Basque espagnol, groupes mixtes de jeunes Basques

généralement vivant dans les zones urbaines et qui cherchaient par la pratique de la randonnée, d’allier exercice physique et alternatives de loisirs pour s’éloigner des vices de la ville. En outre, la randonnée a contribué à allier monde rural et urbain. L’excursionnisme favorise une standardisation croissante de la vision et des expériences du paysage, favorisés par les guides et associations. Cette pratique est régie par les routes et « lieux à voir », véritables temps d’arrêts de

15

« Les matins de la montagne » en basque, traduction personnelle.

69


6. Affiche des Chemins de Fer de Paris à Orléans (PO) et du Midi " Côte basque, Saint-Jeande-Luz et Ciboure " par Ramiro Arrué qui cherche à promouvoir l'attractivité des stations balnéaires basques (source : photorail.fr).

70


contemplation du paysage, qui « devient un bien collectif digne d'être contemplé, parcouru et étudié » (Ostolaza, 2018, p.212). Sur l’ensemble du territoire, cette standardisation des paysages, initiées par les pratiques touristiques contribue à transformer ou du moins redéfinir les représentations des paysages basques au sein des populations locales (Ostolaza, 2018).

Transformation

de

représentations

des

paysages

mais

également

transformations de pratiques puisqu’on l’a vu, les pratiques touristiques font des adeptes locaux tant sur l’excursionnisme que sur les activités de mer comme la baignade et le surf (arrivé en 1958). Françoise Péron décrit également une fusion des usages touristiques saisonniers et de loisirs réguliers en territoire littoral, par l’avènement de la voiture, l’aménagement de structures viaires, l’augmentation du temps de loisirs qui permettent aux populations vivant à 30 kilomètres des côtes de pratiquer régulièrement le territoire. La fusion de ces usages s’opère également en territoire rural et montagnard, plus accessible par les nombreuses voies qui se créent et qui désenclavent certains espaces et par la voiture qui réduit la distance et la difficulté d’accès. Avec l’avènement des chemins pédestres de randonnées, les GR reviendront tracer certains chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle au début des années 1970 et contribueront à une popularisation des pratiques de loisirs en territoire rural et montagnard. Cette fusion entre tourisme et loisirs amène à une recomposition des paysages (Péron, 1994).

1.3. Vers la mise en scène des paysages remarquables Ainsi ces pratiques touristiques et récréatives de découverte et de relation au territoire ont soulevé des enjeux de patrimonialisation du paysage et de la culture locale. Par son attractivité, le territoire Pays Basque est devenu un lieu de mixité où population locale et touristique se côtoient. L’enjeu de préservation de pratiques locales traditionnelles ressort auprès de la population comme un besoin d’exprimer une identité et une culture locale. Elle est également saisie par les politiques publiques d’aménagement des territoires touristiques comme une occasion de mise en tourisme d’une culture locale. En effet, selon Françoise Péron, à ce phénomène de fusion des usages se couple un autre phénomène propre aux espaces littoraux. Le littoral est devenu un territoire

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de renouveau social où le passé communautaire vivant dans l’esprit des personnalités locales et idéalisé par un groupe social révèle leur dimension culturelle importante. Les espaces littoraux sont alors le théâtre d’une mise en scène des pratiques locales dans un objectif de patrimonialisation de la culture dans le double objectif de resouder collectivement les communautés et faire découvrir les pratiques culturelles locales. Péron décrit la dimension spatiale importante de ces pratiques culturelles patrimoniales par une trilogie de besoins immatériels : la tenue de ces pratiques devenues événements dans un espace resserré convivial, la présence d’une infrastructure d’intérêt historique à proximité et le cadre d’élément de nature ouvert évoquant la « nature métaphysique ». Finalement, par la réactivation de ces lieux symboliques et la mixité des populations qui vivent et habitent ces territoires, le littoral soulève selon Péron, deux questionnements celui de la géographie mentale contemporaine structurée à partir de lieux forts et celui de la compréhension de la cohésion sociale à l’échelle micro locale (Péron, 1994). Leizaola décrit l'« âme basque » stéréotypée qui s'est forgée à travers la littérature du 20ème et qui organise la vie sociale sur la côte labourdine. Le groupe local de danse qui se produit chaque été pour les visiteurs et touristes. Le folklore attire et contribue à la mise en « carte postale » de pratiques locales. Ce tourisme d’élite, exprime un désir de rencontre de l’ « authentique », tourné vers le Pays Basque intérieur notamment pour partir à la rencontre du « caractère rural et des modes de vie « traditionnels » ». Ainsi des circuits de parcours et visites sont aménagés. pour promouvoir le « caractère pittoresque du pays » et des « lieux emblématiques, comme la montagne de la Rhune, sont réinvestis d’une nouvelle signification » (Leizaola, 2002). Ainsi préservation de pratique locale rime avec attention pour les paysages et le patrimoine bâti, garant d’un maintien d’une culture locale vivante. Le paysage et l’architecture feront l’attention d’une pratique patrimoniale particulière sur le territoire en mettant l’accent sur des éléments identifiés. Tout d’abord l’habitat dans sa considération formelle et esthétique fait l’objet d’une attention particulière. L’etxe 16 est identifiée comme l’architecture basque

16

Maison en basque

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archétypale à mettre en valeur, au détriment d’autres formes de construction comme la borde, qui peuplent le territoire. L’etxe devient le symbole des valeurs traditionnelles basque puisque dans la tradition locale, une relation forte se tisse entre les habitants et leur maison. C’est aussi un instrument économique, social et politique où se réunit l’assemblée représentative du Labourd, appelée Biltzar, jusqu’en 1789. Traditionnellement, c’est la maison qui donne son nom à la famille, nom souvent en rapport avec le lieu dans lequel elle s’inscrit, à la fonction ou à l’apparence même de la maison. La maison basque constituait également une unité économique n’appartenant pas seulement à l’individu mais à la famille tout entière. Elle symbolise la pérennité, la sécurité et la continuité de la famille et de fait doit être protégée. Caro Baroja (2009) classe les différents types de maison selon leur typologie, région et les matériaux utilisés. Il définit le type atlantique qui se décline en style labourdin (7), de Basse-Navarre (8), du nord de la Navarre, en style guipuscoan et en style biscaïen. Les caractéristiques communes sont celle de la structure mixe pierre/bois, un toit peu incliné à deux versants, un faît perpendiculaire à la façade principale. L’extérieur est généralement couvert de chaux blanches et les éléments de bois peints en rouge (et plus récemment en vert, bleu ou gris). Cependant dès la fin du XIXème siècle, l’apparition de villas néobasques marque une rupture définitive avec l’etxe traditionnelle. À la fois entité architecturale urbaine et objet socialement distinctif, la villa néo-basque apparaît comme le produit d’une double distanciation géographique et culturelle – à l’égard d’une société rurale/agricole travaillée par une logique communautaire selon laquelle la seule déclinaison de l’appartenance à une etxe suffit. Des formes plus modestes d’habitat néobasque (9) répondront ensuite aux transformations sociales majeures du XXe siècle, liées à l’élargissement des classes moyennes, la capitalisation culturelle et le renforcement de l’attractivité urbaine. Ainsi, sur le plan architectural, à côté de la villa, se constitue une nouvelle figure d’habitat, le pavillon, dont on connaît le succès à partir de la dernière guerre mondiale et la teneur idéologique dans l’imaginaire individuel contemporain (Bidart, 1999). codes

esthétiques

et

formels

restent

via

les

éléments

Seuls les

architectoniques

(encorbellement, pans de bois factices, parement de pierre, etc.), contribuant ainsi au dessin d’un paysage stéréotypé, « typiquement local » qui satisfait des volontés locales de préservation des territoires et des paysages et des volontés touristiques de dépaysement. En effet, en France, la période d’après-guerre se voie marquée par différentes vagues de néorégionalisme portés par les propositions des

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7. Dessin d'une etxe, la maison Lapitzea située à Sare réalisé par Dominique Duplantier qui révèle le style labourdin. Ce style est marqué par les pans de bois visibles en façade, les pierres apparentes en angle et en saillie, le lorio qui constitue une entrée en retrait (source : site dominique-duplantier.com). 8. Dessin d'une etxe, la maison Sarrasquette située à Bussunarits réalisé par Dominique Duplantier qui révèle le style de Basse-Navarre. Il est marqué par une façade plate en pierre, sans pans de bois ni lorio, l’entrée est entourée de pierre assemblée en bouteille (ibid).

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9. Photographie personnelle d'une maison de style néobasque se trouvant à Bidart., typologie aussi observable sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux. Cette maison est typiquement un produit immobilier standard -que l’on retrouve partout en France - et qui est réadapté au territoire d’accueil : code couleur, usage de quelques matériaux, etc. C’est une maison dite « de catalogue.» (photographie personnelle).

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architectes et promoteurs immobiliers qui prônent l’identification à un territoire par l’architecture (néobretonne, néonormande, etc.) 17. Le petit patrimoine, témoin d’une histoire culturelle fait également l’objet d’une attention particulière. Il s’agit de mettre en avant des éléments architecturés que sont les chapelles, lavoirs, phares, moulins, témoins d’une vie locale organisée autour de la religion, des lieux de vie quotidien qui devenaient des lieux de rassemblement et de l’agriculture/pêche. Bien que n’ayant plus la même place dans le quotidien des habitants, ces éléments font l’objet d’une rénovation particulière. Quant au paysage, son artialisation se traduit par sa mise en valeur autour de points de vue remarquables diffusés à travers les cartes postales, les guides touristiques mais également par l’aménagement de parcours patrimoniaux qui concerneront autant des éléments de cadres « naturels » que des éléments de bâti ou de petit patrimoine. Pour autant le tourisme ne participe à inventer le paysage, il le redéfinit sous un nouvel angle (Ostolaza, 2018). Les pratiques de loisirs liés aux paysages ont joué un rôle important pour « dynamiser les identités et faire « découvrir » les paysages » (Ostolaza, 2018, p.302). Elles ont contribué à la diffusion de visions paysagères standardisées du paysage et à sensibiliser les populations aux valeurs patrimoniales des décors naturels ou à « provoquer des émotions esthétiques et/ou patriotiques » associées à ces paysages. La mer, la côte, les Pyrénées, les vallées agricoles sont autant de panoramas paysagers diffusés par les photographies, journaux, guides. Au-delà de la contemplation, la nature devient ressource touristique mais également un « lieu de détente salutaire » ou encore un « livre ouvert où retrouver les traces perdues de la civilisation basque » (Ostolaza, 2018, p.302). La mise en scène des paysages aura donc ce double service de satisfaire des regards étrangers et locaux, par les idéaux nationalistes dont ils sont le support. Aussi par sa fonction de loisir, le paysage par la nature deviendra un territoire de parcours. La mise en sentier du territoire contribuera à le faire découvrir par un regard plus interne. Les sentiers et

L’accessibilité à un produit immobilier par l’emprunt, la standardisation des processus de construction sont autant de mécanisme de l’immobilier alors « libéré » qui auront pour conséquence de décupler la notion de « carte postale ». 17

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chemins délimités participeront au processus de patrimonialisation du paysage et de l’architecture. Olivier Etcheverria a décrit les processus de mise en tourisme des chemins ruraux en Pays Basque en analysant les effets d’une nouvelle implication des différents acteurs étatiques et associatifs dans la réapparition et sélection de chemins ruraux alors érigés en sentiers de randonnées pédestre. Ainsi la mise en tourisme de ces sentiers a permis l’accessibilité et la réouverture de paysages et sites érigés en patrimoine, garants d’une retombée certes économique mais aussi d’un attachement identitaire et de l’épanouissement d’une culture locale. (Etcheverria, 1997). Par la marche, sentiers et chemins sont devenus des vecteurs de mise en abîme de paysages remarquables et de fait de leur reconnaissance en tant que patrimoine. Nous pouvons relever deux typologies de parcours, situés sur nos deux communes d’étude, mettant en scène le patrimoine paysager et culturel. Tout d’abord, nous avons les sentiers aménagés de contemplation de paysages remarquables. En effet Saint-Jean-le-Vieux accueille une portion de la via Podiensis (10), un des chemins du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle qui part du Puy-en-Velay jusqu’au col de Roncevaux et jusqu’à la commune du même nom. La commune est également située sur la voie de Nive, un chemin variant de celui de Saint-Jacques-de-Compostelle que certains pèlerins empruntent depuis Bayonne pour rejoindre le Camino Navarro. Sa portion sur la commune concerne uniquement de la voie bitumée partagée avec les automobilistes Elle fait variée les paysagés entre centre-bourg (11), hameaux habités (12) et plaine agricole (13). Bidart constitue la commune départ du sentier du littoral qui longe la côte basque sur 54 kilomètres en arrivant jusqu’en Espagne à San Sebastian (14). Il met en scène des paysages variés par la diversité des ambiances, des côtes rocheuses à sableuse toujours avec les Pyrénées en toile de fond (15). Ce parcours alterne sentier en terre battue (16) et voirie bitumée (17). Ces deux parcours accueillent ponctuellement du petit mobilier de table, bancs, panneaux panoramiques qui permettent de lire le territoire et les paysages. Ensuite nous avons les parcours patrimoniaux qui ont été aménagés par les communes autour du petit patrimoine culturel qui rassemble des lavoirs (19 & 22), églises ou chapelles (24), moulins, etc. Ces parcours font l’objet d’une indication très légère par de petits panonceaux (20). L’itinéraire est indiqué généralement par l’office du tourisme au travers d’une brochure. Il permet de rencontrer des 77


éléments d’architecture qui ont fait partie de la vie quotidienne locale traditionnelle, la plupart de ces éléments n’étant plus forcément utilisés. Le bâti architectural mis en avant a fait systématiquement l’objet d’une rénovation et les alentours font l’objet d’un aménagement assez sommaire et dégagé. Ces parcours, tant à Saint-Jean-le-Vieux (18) qu’à Bidart (21) sont de taille très modeste. Dans le cas de Bidart, il est complété par l’aménagement d’une voie verte qui tant à rendre compte de la biodiversité mais également de la diversité des ambiances vécues sur la commune de l’espace côtier à l’espace rétro-littoral (23). Il est intéressant de comprendre que ces deux communes regorgent également de châteaux ou maisons de maîtres connues des habitants mais étant du domaine privé, ceux-ci ne font pas l’objet d’une mesure de diffusion particulière par le parcours.

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GR 65 – Chemin de Saint-Jacques-deCompostelle

12. Itinéraire du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle (GR68) sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux (source : géoportail). 11. Vue depuis le centre-bourg de Saint-Jean-le-Vieux sur le chemin GR68 (photographie personnelle). 10. Vue depuis le quartier de la Madeleine sur le chemin GR68 (ibid). 13. Vue sur la plaine agricole depuis le chemin GR68 (ibid).

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Sentier du littoral

16. Itinéraire du sentier du littoral à Bidart (source : géoportail). 14. Vue de l'itinéraire du sentier du littoral depuis les falaises (photographie personnelle). 15. Vue de l'itinéraire du sentier du littoral près de la chapelle de la Madeleine (ibid). 17. Vue du sentier du littoral depuis la départementale D810 (ibid).

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Circuit patrimoine

18. Itinéraire du circuit « patrimoine » sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux. (source : géoportail) 19. Vue sur le lavoir qui ponctue le parcours « patrimoine » (photographie personnelle). 20. Vue sur la colline Mendikasko, datée de l'époque médiévale et qui fait l'objet d'une petite note informative (ibid).

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Circuit patrimoine et voie verte

24. Itinéraire de la voie verte et du circuit patrimoine à Bidart (source : géoportail). 23. Vue sur un des lavoirs et source reconnue à Bidart, inscrite sur le parcours patrimoine de la commune (photographie personnelle). 21. Vue sur une portion de la voie verte de Bidart (ibid). 22. Vue sur la chapelle Ur Onea et sa source inscrite sur le parcours patrimoine et de la voie verte (ibid).

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2. À la rencontre des paysages quotidiens, la commune basque comme territoire de vie 2.1. Bidart et Saint-Jean-le-Vieux, communes expérimentales d’un protocole Pour venir interroger ces enjeux de patrimoine et de paysage, l’échelle communale a été sélectionnée car elle permettait d’aborder des enjeux de quotidienneté et de proximité. De plus, c’est une échelle de taille raisonnable permettant la mise en place du protocole dans le temps imparti d’un semestre. Cependant cette réflexion sur l’échelle communale s’inscrit aussi dans un contexte de démarches de recherche déjà existantes à Bidart. En effet, la démarche des Nouveaux Commanditaires Sciences, mise en place par les Bidartar(e)s, autour de la question du patrimoine a soulevé plusieurs questionnements, lors des premières réunions, dont l’Atelier des Jours A Venir était le médiateur. Sont revenus les questions de « Qu’est-ce qui fait patrimoine ? »18, « Quelle est la diversité de nos rapports à ce patrimoine ? » 19, la spécificité patrimoniale à la commune bien que cette question ait vite été oubliée car il était difficile d’utiliser l’échelle communale pour définir un patrimoine spécifique puisqu’il est propre à une culture basque, du moins à celle du Labourd. Dans les étapes de recherche ayant déjà été effectuées il y a : -

Un inventaire du patrimoine bâti réalisé par Maïté Ehlinger

-

Une étude sur l’évolution des pratiques touristiques et agricoles au cours du dernier siècle effectuée par des étudiants géographes et écologues (M2 GAED - Espace et milieux – Université Paris Diderot avec comme professeurs encadrants du laboratoire Ladyss, Clélia Bilodeau et Denis Chartier) : analyse par photographies aériennes IGN de l’occupation du sol, une étude exploratoire de cartes mentales de représentation du territoire et une étude brève des paysages sonores.

Question abordée lors de la première réunion des Nouveaux Commanditaires-Sciences à Bidart le 14 septembre 2017 18

Question abordée lors de la troisième réunion des Nouveaux Commanditaires-Sciences à Bidart le 21 novembre 2017 19

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-

Une étude de sociologie de collecte de sept témoignages, menée par Terexa Lekumberri, ethnologue de l’Institut Culturel Basque, et une équipe d’habitants Nouveaux Commanditaires formée aux entretiens semi-directifs. Il est intéressant de noter que parmi les points saillants abordés lors des entretiens, il ressort que les années 60-70 ont été une période charnière marquée par de nombreux changements, notamment au niveau des paysages et des espaces de sociabilité (disparition des bals populaires 20), et des modes de vie. L’ethnologue souligne donc une certaine nostalgie du passé qui peut ressortir de ces entretiens et s’interroge sur la piste de réflexion autour des nouvelles solidarités et nouveaux rites comme champ possible d’exploration. Une réunion s’est tenue le 14 janvier 2021 à Bidart, pour proposer un nouvel

axe de recherche alliant les notions de patrimoine, paysage et lien social, qui sont les axes exploratoires à lier selon les études menées précédemment, et une méthodologie a été proposée aux habitants qui ont validé la proposition. Le lendemain, une visite exploratoire-test a été organisée où habitants et acteurs locaux (dont notamment des employés de la mairie) ont été invités à parler de leurs perceptions du paysage, la place des cheminements empruntés et espaces traversés dans leur quotidien et les souvenirs qui y étaient associés. A la fin de la visite un réel enthousiasme a été exprimé concernant ces questionnements sur les cheminements piétons quotidiens des habitants et les points de vue et lieux de rencontre qui rythment les promenades. De plus, le projet de recherche s’inscrit dans une période de crise sanitaire singulière, où les usages du territoire, les pratiques quotidiennes se voient particulièrement bouleversées. Les confinements successifs définissant des délimitations arbitraires de zones autorisées de déambulation, de pratique du territoire, les habitants, usagers, promeneurs ont été susceptibles de redessiner leurs parcours piétons quotidiens, se substituant aux parcours itinérants dessinés par les politiques d’aménagement. Le seul espace public ouvert étant la rue, le bord de trottoir, l’avancée de la falaise, des nouveaux lieux d’arrêt, de rencontre et sociabilité se sont peut-être dessinés.

Cela est vrai pour la côte basque mais ne constitue pas une réalité dans l’arrière-pays basque.

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Finalement, le projet cherche donc à s’inscrire dans les dynamiques locales de questions de patrimoine paysager par la considération des populations locales dans une démarche participative qui interroge les processus de patrimonialisation et de mise en valeur du paysage plutôt que de contribuer à une nouvelle forme d’inventaire paysager ou patrimonial. Alors il a été décidé de s’inscrire dans ce programme de recherche, Bidart étant une commune d’un milieu urbain littoral. Le protocole a été élaboré dans la perspective ensuite d’être confronté à une autre commune basque dans un contexte relativement différent. Saint-Jean-le-Vieux était l’occasion parfaite pour expérimenter ce protocole pour les trois raisons suivantes. La commune se situe en pied de montagne dans un contexte très rural et est donc emblématique d’une autre réalité du territoire basque. Elle fait l’objet de cette confrontation patrimoine remarquable et ordinaire en étant une étape clé du parcours de Saint-Jacques-deCompostelle, en étant inscrite dans le futur PNR de la montagne basque et en ayant une dynamique locale visant à attirer de jeunes habitants. Enfin, la mairie a entamé une démarche de réflexion sur son patrimoine en aménageant le sentier du patrimoine évoqué précédemment et en soutenant l’acquisition d’une ancienne propriété classée, le Château de Salha par la communauté d’agglomération pour y accueillir des associations et événements culturels.

2.2. Bidart et Saint-Jean-le-Vieux entre milieu urbain littoral et milieu rural montagnard Comme explicité précédemment les deux communes se situent dans le territoire basque. Elles ont été sélectionnées par leur contexte géographique très différenciés : le territoire urbain situé sur la côte littorale et le territoire rural en pied de montagne (25). Cependant ces deux communes possèdent de nombreuses caractéristiques communes. Leur situation en périphérie de pôles d’attractivité territoriaux a induit une urbanisation importante au milieu du 20ème siècle, sous influence de ces territoires attractifs et qui a marqué le passage pour Bidart et la diversification pour Saint-Jean-Le-Vieux d’une économie agricole à une économie touristique. Aussi leur territoire est organisé selon des séquences urbaines et paysagères, de l’urbain au rural que ce soit en milieu littoral ou montagnard.

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25. Cartographie de localisation des communes de Bidart et Saint-Jean-Pied-de-Port dans le département et les deux entités Labourd et Basse-Navarre. (source : géoportail)

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Bidart commune en territoire urbain littoral Bidart est une commune urbaine de la province basque dite du Labourd (26), définie comme un ensemble paysager dans lequel la côte basque s’inscrit comme entité paysagère marquée par la présence de l’océan, de l’horizon des Pyrénées, de l’alternance entre la côte sableuse et les falaises, d’une lumière particulière portée par l’océan et les conditions météorologiques et d’une côte urbanisée. Bidart, avec sa commune limitrophe Guéthary est défini comme unité paysagère 21. Sa façade littorale s’étend sur 7 kilomètres et le territoire occupe 12km2. Son aire d’influence est celle de Biarritz au nord. Un territoire richement irrigué au relief marqué La commune de Bidart est marquée par une géologie remarquable qui se décompose en trois types de sols : des marnes argileuses, des alluvions et des flysch gréseux (27). Finalement cette différence de sol se traduit également au niveau du relief de la commune qui varie entre 0 mètre au niveau de l’embouchure de l’Uhabia située sur la plaine alluviale et 79 mètres sur le plateau de Bellevue nord de la commune (28). Le nord de la commune est majoritairement composé d’argiles et de marnes, des roches très friables qui, au niveau de l’espace côtier, s’effritent facilement lors des épisodes tempétueux et pluvieux importants (29). En effet, le sol de la commune est richement irrigué, en témoignent les nombreuses sources de la commune. Cette roche se traduit par une topographie relativement marquée. Au centre de la commune, le long de la rivière Uhabia, le sol est principalement composé d’alluvions dont des sables au niveau de la plage de cette même rivière. Cette plaine est parfois inondée dans les épisodes très pluvieux (30). Enfin, le sol du sud de la commune fait partie d’une même composition rocheuse que la commune voisine, Guéthary. Il est composé principalement d’altérites reposant sur une roche mère de flysh gréseux, roche beaucoup plus compacte (31).

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Atlas des paysages des Pyrénées Atlantiques, agence Morel Delaigue, 2003

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26. Carte de l'ensemble paysager Labourd

(source : Atlas des paysages des Pyrénées Atlantiques, agence Morel Delaigue, 2003) 88


27. Carte géologique simplifiée de Bidart (source BRGM). 28. Carte topographique de Bidart (source : topographique-map.com)

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29. Coupe schématique du sol argilo-marneux et des effondrements engendrés (source : BRGM) 30. Coupe schématique de la configuration côtière de la plaine alluviale (source : BRGM) 31. Coupe schématique sur le sol d'altérite au Sud de Bidart (source : BRGM)

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On peut alors observer différentes configurations topographiques dont la falaise côtière qui au nord et au sud de la commune représente une zone de pentes parfois très abruptes, parfois plus douces ; la plaine comme surface relativement plane au niveau de l’embouche de l’Uhabia et tout le long de la rivière ; des collines au pentes plus ou moins fortes, parfois sous forme de talwegs, sur les plateaux marneux et gréseux de la commune. Cette topographie offre l’occasion de rencontrer des points de vue et perspectives en surplomb du centre bourg, du littoral, des collines de la commune, des Pyrénées et des espaces rétro-littoraux et ruraux de la commune. La commune est un territoire largement irrigué. En effet, l’Uhabia, son principal cours d’eau (32) traverse le territoire d’Est en Ouest pour avoir son embouchure au niveau de la plage du même nom. Son embouchure se terminait initialement sous forme de ria, remontée au fil des marées et qui a été canalisé dans les années 1978 par la MIACA 22 (33). Cette forte irrigation du territoire se traduit aussi par les nombreuses sources initialement présente et dont les vertus médicinales et thérapeutiques étaient reconnues. Ces sources ont fait l’objet de grands projets dont celui d’un centre thermal au niveau de la source Royale, La Contresta, qui ne verra jamais le jour (34). Polluée par l’azote et les différentes activités agricoles d’élevage industriel, les sources sont aujourd’hui fermées et l’eau non potable. Climat et phénomènes météorologiques Le climat bidartar est de type « tempéré océanique aquitain », « tonique » en étant hautement chargé en iode des embruns dans l’air (Ouvrage collectif, 2004). Il est marqué avec une faible amplitude thermique annuelle et journalière, des températures peu excessives en saison estivale, une humidité de l’air assez élevée, une pluviométrie importante (surtout en automne et hiver) et un niveau de vent soutenu dû à la grande ouverture du territoire sur l’océan 23. Les vents dominants sont orientés ouest avec des vents nord-ouest frais et des vents du sud, venant de l’Espagne réchauffant(Ouvrage collectif, 2004).

Mission Interministérielle pour l'Aménagement de la Côte, mission d’État aujourd’hui remplacée par le GIP Littoral Aquitain, contrôlé par les collectivités. 22

Rapport BRGM : Analyse du régime météorologique de la Côte Basque, janvier 2004, N. Durand, C. Mallet.

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33. Les milieux le long de la rivière Uhabia varient entre zones résidentielles, espaces forestiers et plaines enherbés marécageuses(photographie personnelle). 32. L'embouchure de l'Uhabia a été canalisée et est aujourd'hui équipée d'un clapet en cas de pluie importante (ibid). 34. La source Contresta, surnommée la source Royale, était très populaire pour ses vertus médicales. Elle est aujourd'hui fermée (ibid).

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Le brouillarta ou embata

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est un phénomène météorologique de brouillard,

typique la côte basque qui se produit généralement en été. Francis Morisset, prévisionniste à Météo France Biarritz a énuméré un certain nombre d’éléments qui catalysent la montée d’un brouillarta : La réunion de deux événements : des températures élevées (plus de 30 degrés) pendant au moins deux jours et une différence de la température de l’air d’au moins dix degrés avec celle de l’océan ; crée un mouvement descendant de la masse d’air chaud qui s’appuie sur l’air frais océanique et qui, en quelques minutes, fait varier la pression atmosphérique 25. D’autres phénomènes météorologiques épisodiques, généraux à la façade atlantique se produisent sur la commune. Ainsi les tempêtes sont particulièrement présentes en hiver, ce qui confère un spectacle particulier du paysage. De la croisée des chemins au littoral traversé

Le village de Bidart : du hameau rural à la ville balnéaire touristique L’étymologie de son nom, Bide Artean ou « au milieu des chemins, au carrefour », révèle la structure originelle de Bidart hameau (35) situé au cœur de voies de communications littorale (de Bayonne, Biarritz à Saint-Jean-de-Luz) et rétro littoral (de Bidart à Arbonne). Cette structure puise ses origines au MoyenÂge dès le 12ème siècle. Elle a été le support d’amélioration notamment au milieu du 19ème siècle, où la route littorale s’est transformée en route nationale, impliquant la construction d’ouvrages notamment pour franchir la rivière Uhabia. La pêche et l’agriculture ont été les « diptyques » de Bidart pendant des siècles (Ouvrage collectif, 2004). En effet, jusqu’à la révolution, la quasi-totalité de la population est occupée par les travaux de la terre et l’exploitation de la mer. Ces activités disparaîtront lentement avant 1940 et plus rapidement par la suite. La vie agricole est principalement marquée par une activité de culture céréalière (seigle, milloc, gros mil et millet). Le blé et le méteil générant peu de rendement, ils ont été remplacés par le maïs introduit au Pays Basque au 16ème siècle. En complément, on trouve quelques activités maraîchères assez timide : on cultive des

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Nom donné à ce phénomène plus au sud, près de la frontière espagnole.

Frère Emmanuelle, « Côte basque : le brouillarta, ce phénomène qui va nous cueillir sur la plage ce mardi soir », Sud-Ouest, publié le 23 Juillet 2019 25

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raves fourragères, des choux fourragers, des pommes de terre, des haricots, des fèves et petits pois. Des exploitations viticoles et des vergers de pommeraies sont également recensée au milieu du 19ème siècle. L’élevage occupe également une place importante (36). Il se regroupe autour des bovins de travail et des laitières, des ovins, très florissant au 18ème siècle mais dont l’activité disparaîtra totalement en 1945, et on trouve quelques élevages de basse-cour (Ouvrage collectif, 2004). La vie maritime se concentre sur la pêche de baleine, dont l’activité participera à l’enrichissement de la commune au 17ème siècle (Ouvrage collectif, 2004). La tour Atalaya, une tour de guet de baleines qui sert également de phare, érigé pendant la deuxième moitié du 17ème siècle, témoigne de ce passé de pêcherie ainsi que le blason de la commune qui met en scène un baleinier et cette tour. Enfin les multiples mythes de présence de port à Bidart alimentent ce volet culturel et historique de la commune. Cette situation, à mi-chemin sur la grande route de Bayonne et de SaintJean-de-Luz, fait de son relais de poste un espace très fréquenté. Bidart se constitue en territoire de passage du voyageur au touriste. La commune est fréquentée par des voyageurs de passages qui se dirigent vers Saint-Jean-de-Luz ou l’Espagne, par certains pèlerins de Compostelle aussi qui préfèrent la route littorale. Ils sont composés de personnages illustres comme Victor Hugo ou d’autres personnalités plus modestes (Ouvrage collectif, 2004). À ces voyageurs aux séjours plus brefs se succèdent des amateurs de bains de mer. Ces phénomènes de balnéothérapie se sont cristallisés par l’aménagement des plages du centre de l’Uhabia en 1921 et du pavillon royal en 1946 (Ouvrage collectif, 2004). Ils seront nécessaires pour faciliter l’accès à la plage. Ainsi le 19ème siècle, siècle du désir de rivage des populations urbaines et bourgeoise soucieuse de profiter des bien faits de l’océan marque le passage d’une pratique et d’une économie essentiellement agricole à une économie touristique. En effet, un rapport de géographie élaboré par des étudiants du Master 2

Espace et Milieux : Territoires Ecologiques (Burahee et al. 2020) a analysé l’évolution de l’occupation du sol entre 1938 et 2018. Cette analyse met en valeur la réduction conséquence des espaces naturels et dédiés aux cultures au cours de cette période. Les lotissements dédiés aux résidences se sont majoritairement implantés sur des espaces de cultures et ce phénomène marque le passage de Bidart d’une situation de « ville anciennement agricole à celle d’une ville d’avantage tournée vers le tourisme » (Burahee et al., 2020). Un autre phénomène observé est 94


35. Carte de l'état-major de 1831 montrant la formation originelle de la commune à la croisée de la route d’Arbonne (est-ouest) et de la Nationale (nord-sud) (source : archives de Bayonne). 36. Photographie non datée qui révèle l’activité agro-pastorale majeure sur la commune (source : Décitre).

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celui de la densification des zones de bâtis isolés qui s’explique par le développement d’infrastructures dans des zones d’habitat éparse. Ainsi cette densification va générer des continuités urbaines. Cette période du 20ème siècle constitue une période charnière de développement urbain et de changements profonds pour la commune notamment avec un déplacement des activités économiques du secteur primaire agricole au secteur tertiaire touristique. Ce phénomène sur le territoire communal est révélateur d’une dynamique plus large sur le territoire Pays Basque où le littoral devient le théâtre de pressions foncières et touristiques fortes, traduites par une extension et densification urbaines notamment depuis les années 1960. Aujourd’hui la commune s’inscrit dans un continuum urbain (37) relativement dense entre Biarritz (2 190 habitants/km2) et Saint-Jean-de-Luz (2 810 habitants/km2²sur la partie littoral) deux communes qui se sont développées dès la fin du 19ème siècle par leur attractivité balnéaire. Bidart (et Guéthary sa commune limitrophe au sud) se détachent de ce continuum par une densité relativement plus faible (567 habitants/km2 pour Bidart). En effet la commune regroupe environ 6 945 habitants (en 2015, source Insee) mais sa population est estimée à cinq fois sa taille habituelle, en période estivale (source : INSEE).

Des grands axes de communication qui scindent le territoire linéairement. Le territoire s’est en effet peu à peu structuré grâce au développement de grandes infrastructures. En 1862 une station ferroviaire à Bidart est inaugurée sur la voie ferrée menant d’abord de Bordeaux à Bayonne puis Hendaye (et plus tard vers l’Espagne). Cette station sera fermée dans les années 1990 ensuite. Les années 1960 constituent une période charnière d’accélération de la densification de la commune où l’arrivée du tourisme généra un bassin d’emploi important et de surcroît un exode important vers la commune pour des personnes vivant dans l’arrière-pays basque mais également dans d’autres régions en France.

Enfin,

l’autoroute, elle, fera son arrivée en 1978 marquant une nouvelle organisation du territoire en différentes bandes scindée par ces voies de communication (Burahee et al., 2020). Le territoire présente trois grands axes majeurs de communication qui viennent structurer les entités paysagères et fédérer l’organisation du territoire (37). Les 37. Cartographie des continuités urbaines et des axes de communications principaux organisant le territoire de Bidart (source : Géoportail).

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départementales D455 et D810 pour les plus anciennes et D911 pour la plus récente sont les axes historiques qui ont traversé et construit le territoire, le hameau originel étant à l’intersection des départementales D455 et D810. La voie de chemin de fer a entraîné un désenclavement de la commune à l’échelle départementale puis régionale notamment grâce à la gare de Bidart créée à l’époque qui maintenant est fermée. Enfin l’autoroute a permis de connecter le territoire à l’échelle nationale et a été vécue comme la possibilité de désengorger les départementales à l’époque, très accidentogènes. Ces mêmes axes sont supports de représentations mentales du territoire par une partie de la population. En effet cette même étude révèle, par un exercice de cartes mentales demandé aux habitants interviewés (essentiellement des personnes retraitées), une représentation du littoral à la fois linéaire par sa configuration et l’implantation de ces voies de déplacement et transversales de situations différenciées rythmées par l’implantation de ces mêmes voies de communication. De manière globale, ces axes sont vécus comme des frontières dont l’autoroute semble représenter une barrière mentale, perçue comme une limite est de la commune, délimitant la partie plus rurale, boisée et la partie plus urbaine et littorale. Entre structure linéaire paysagère et espaces interstitiels de rupture Des entités paysagères ont été diagnostiquées selon le PLU communal datant de 2011 définissant ainsi une structure paysagère linéaire délimitée par les axes de communication traversant du territoire. Le découpage linéaire de la commune induit une décomposition du territoire en trois entités paysagères : littoral, rétro-littorale et d’arrière-pays, dont les frontières sont parfois constitués d’espaces dynamiques interstitiels aux paysagers singuliers (38).

La structure linéaire paysagère Le littoral (39) est délimité entre l’estran et l’axe départemental littoral qui longe la côte. Cette entité est caractérisée par un habitat plus ou moins éparse en fonction de sa proximité avec le rivage. Ces habitations sont majoritairement composées de grandes villas très détachées en proximité du bord des falaises, de quelques ensembles immobiliers hauts de 2 à 3 étages, puis de maisons d’envergure plus modestes, regroupées dans des quartiers résidentiels à proximité des axes de communication. Ces quartiers résidentiels sont relativement denses et très minéraux au niveau de l’espace public. L’architecture est majoritairement 98


néobasque avec quelques exceptions de villas de l’époque du milieu du 19ème. Le littoral est l’occasion de concentration de quelques domaines remarquables : le château d’Ilbarritz et le palais de la Reine Natalie de Serbie. Une végétation arbustive de landes repose sur un sol majoritairement de falaises rocheuses, plus ou moins abruptes et dont l’ouverture laisse à quelques occasions se dessiner des plages de sables ouvertes. La falaise laisse place à un espace relativement accessible qui alterne végétation dense et grandes ouvertures. Quelques espèces arborées sont remarquées notamment autour de la plage d’Erretegia. Les points de vue sont orientés sur l’océan et les autres communes littorales limitrophes (Biarritz, Guéthary, Saint-Jean-de-Luz et parfois même l’Espagne. La présence de l’habitat et de quelques végétations occulte la vue sur le reste du territoire rétro-littoral. L’entité rétro-littorale (40) est composée d’un habitat de densité plus modéré avec des zones plus ou moins dense en fonction des opérations de quartiers résidentiels réalisés au début des années 2000. Ces zones résidentielles regroupent des habitats pavillonnaires, mitoyens et des ensembles de logements pouvant monter jusqu’à 4/5 étages en fonction de la topographie et de la configuration du site. L’architecture est uniquement regroupée autour d’un style néobasque. Les jardins de tailles modérées très arborés et fleuris viennent composer le paysage d’une certaine richesse végétale et participent à la perception d’un territoire entre l’urbain et le rural. Quelques forêts de tailles modestes et des ensembles de prairies sont remarquables et viennent constituer des coupures d’urbanisation dans cette entité relativement urbaine. La situation topographique permet d’observer des vues sur le territoire de la commune alliant perspectives sur les prairies, les Pyrénées et des portions d’océan grâce quelques plages non occultées par la falaise. (Uhabia et Erretegia). Enfin l’entité arrière-pays (41) se caractérise par son côté plus rural, campagne. L’habitat est épars et diffus et est composé tantôt de maisons néobasques de grande envergure type villa ou de taille plus modérée et de fermes plus traditionnelles réhabilitées en logements collectifs. Les paysages de prairies enherbées ou cultures de maïs/blé sont dominants, offrant de larges perspectives ponctuellement interrompues par les forêts et haies arbustives et arborées. Les espaces forestiers sont de tailles moyennes. Quelques zones industrielles ou économiques sont développées sur des quartiers de taille non négligeable. La présence d’une crête permet d’apprécier des panoramas vers l’arrière-pays basque (Ahetze, Arbonne) où les Pyrénées occupent une place importante. Nous

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38. Cartographie des typologies paysagères bidartares de l'espace littoral à l'arrière-pays. (à gauche, source : géoportail & PLU de Bidart, 2011). 39. Vue sur l'espace littoral avec sa densité et ses falaises rocheuses végétalisées (photographie personnelle). 40. Vue sur l'espace rétro littoral dominé par l'habitat pavillonnaire et les espaces végétalisés généreux. 41. Vue sur l'espace arrière-pays avec ses prairies et ses champs dominants (ibid).

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n’observons pas d’occasion d’apercevoir le rivage littoral par la présence de grandes forêts de pins et de chênes de hauteur très importante. Cette entité est ponctuée par quelques zones industrielles dont l’architecture et la forme du bâti reste relativement basses (un à deux niveaux) mais viennent plutôt s’inscrire dans ce style architecturé plutôt que celui du néobasque.

Les espaces d’attractivité Des espaces d’attractivité

se dessinent

dans chacune des entités

paysagères, contrastant ainsi avec le caractère homogène du paysage perçu. Le centre-ville (42) situé entre l’entité littoral et rétro-littoral constitue l’espace le plus dense et urbain de la commune en accueillant diverses maisons mitoyennes ou très proches d’architecture néo-basque et en proposant des surfaces d’espaces publics très minéralisées. Il constitue aussi le centre d’attractivité de la commune par le regroupement de nombreux événements culturels et associatifs. Une zone commerciale (43) s’étend tout le long de la RD810 au nord de la commune. Elle se détache par une composition relativement hétérogène de bâtiments à caractère esthétique et formel plus industriels accueillant diverses activités du secteur tertiaire et des formes de bâtisses inspirées de l’architecture néo-basque regroupant ces mêmes activités. L’espace de technopole Izarbel situé au nord-est de la commune (44) se détache complètement du décor paysager local en se constituant de bâtiment de bureaux, école ou industriels d’architecture très contemporaine parfois d’inspiration du courant moderniste. Le panorama des Pyrénées se dessine dans le paysage comme toile de fond. Une pénétrante que constitue la plaine de l’Uhabia (45) vient définir une zone de loisirs et sports de plein air en proposant un parcours à travers les différentes entités paysagère. Elle s’inscrit dans le continuum de chacune d’elle en la déclinant par des aménagements de loisirs.

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42. Vue depuis le centre-bourg de la commune (photographie personnelle). 43. Vue sur la zone commerciale installée le long de la départementale D810 (ibid). 44. Vue sur la zone technopole d'Izarbel située en périphérie de la commune (ibid). 45. Vue sur la plaine de l'Uhabia et ses activités de loisirs à proximité du complexe de sport Kirolak et de l'ancienne gare et le long de la voie verte (ibid).

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46. Carte de l'ensemble paysager Basse-Navarre. (source : Atlas des paysages des Pyrénées Atlantiques, agence Morel Delaigue, 2003)

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Saint-Jean-le-Vieux, commune de la montagne basque Saint-Jean-le-Vieux est une commune rurale de 866 habitants (source : INSEE) de la province basque de la Basse-Navarre et faisant partie du pays de Cize 26. La Basse-Navarre (46) est définie comme ensemble paysager caractérisé par des « croutes rondes aux formes douces », l’omniprésence des landes, la brume, la dispersion de maisons traditionnelles et la présence de la chaîne des Pyrénées. La commune est aussi située au cœur de la vallée de la Haute Nive définie comme entité paysagère où le bassin de Saint-Jean-Pied-de-Port (dans lequel s’inscrit Saint-Jean-le-Vieux) définit une unité paysagère. Son territoire s’étend sur 11.65 km2. Un territoire en cœur de vallée La commune est marquée par une variété géologique remarquable (47) qui accompagne les variations de relief entre 159 et 320 mètres (48) et qui est marqué par la présence de l’Arradoy (660mètres). Au Nord de la commune des grès à l’ouest et des marnes et calcaires à l’est composent le sol montagneux et vallonné. Ce grès, rouge par sa haute teneur en fer, est d’ailleurs utilisé dans quelques constructions, complété par du grès blanc pour assurer une solidité de l’édifice. Le grès, tout comme les roches marnocalcaires ont notamment été utilisées dans la construction de remparts visibles à Saint-Jean-Pied-de-Port. Le cœur de la commune accueille un sol alluvionnaire par la présence des deux cours d’eau qui le traversent. Le sud de la commune accueille plutôt des argiles contribuant à une richesse du sol pour les cultures agricoles. Enfin des poches d’ophites se dessinent au sud de la commune. L’ophite est une roche

La notion de pays désigne originellement une région identifiable par son paysage, « une unité de vie, d’action et de relation, (…) un des niveaux d’agrégation systémique de l’espace géographique » (Les Mots de la géographie). Certaines petites régions sont ainsi nommées en France dont le Pays de Cize, Ces entités possèderont une existence politicoadministrative jusqu’à la seconde moitié du VIIIème. La notion de pays restera ensuite vivante et populaire traduisant l’attachement à un certain « esprit des lieux ». Les pays seront ensuite revalorisés dans les politiques d’aménagement du territoire en France entre 1995 et 2010 où la succession des lois (loi Pasqua, 1995, loi Voynet, 1999) en font une « entité et un outil de dynamisation des territoire ». Aujourd’hui la notion de pays a évolué et la loi de réforme des collectivité territoriales de 2010 entamera leur disparition. 26

(source : geoconfluences.ens-lyon.fr)

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47. Carte géologique simplifiée de Saint-Jean-le-Vieux (source BRGM). 48. Carte topographique de Saint-Jean-le-Vieux (source : topographique-map.com).

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49. La rivière Hartzubiko Errekale située au nord de la commune longe la plaine agricole et quelques hameaux habités (photographie personnelle). 51. Le Laurhibar constitue le cours d'eau principal de la commune par sa largeur et sa proximité avec le centre-bourg et le quartier de la Magdeleine (ibid). 50. Le Laurhibar est une rivière très pratiquée pour sa pêche (ibid).

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volcanique solide, d’aspect verdâtre utilisée généralement pour les routes et voies de chemins de fer (CPIE Pays Basque, 2014,). Ainsi différentes typologies de reliefs se dessinent sur la commune dont la plaine au centre de la commune qui présente des variations faibles, très douces la vallée agricole au nord qui propose des configurations plus abruptes et marquées du relief en pied de montagne et enfin les bocages au sud, qui reposent sur des reliefs très vallonnés et variés de collines. La commune est traversée par deux cours d’eau : l’Hartzubiko Errekale (49) et le Laurhibar (50) qui influent sur les pratiques du territoire. En effet le Laurhibar est une rivière où les habitants et visiteurs peuvent venir pêcher la truite notamment aux saisons favorables (51). La présence de cette rivière a notamment facilité l’installation humaine dès l’époque romaine. Ainsi les ruines antiques et autres quelques vestiges comme les sources, un lavoir et quelques moulins révèlent le lien étroit de l’histoire de la commune à son contexte hydro-géographique. Son territoire s’étend sur 11.65km2. Climat et phénomènes météorologiques Le climat donazahartar s’inscrit dans un climat général de vallée basque qui est de type « océanique chaud sans saison sèche » selon la classification de Köppen-Geiger. La pluviométrie de la commune reste assez importante (surtout en automne), même dans les périodes les plus sèches. En effet, les précipitations moyennes sont de 1379.9 mm, en comparaison, elles sont de 1278 mm pour Bidart en Labourd et de 1256 mm pour Mauléon en Soule. Les températures annuelles varient peu, entre 8°C au minima l’hiver et 21°C au maxima l’été. Les vents sont relativement faibles. Le phénomène de brume de vallée peut être observé et fait l’objet d’un spectacle typique de la région navarraise. En effet, la brume résulte d’un refroidissement d’un volume d’air jusqu’à la condensation d’une partie de sa vapeur d’eau. Ainsi après une période de vents calmes, l’air froid vient rencontrer le sol chaud et se charge en gouttelettes d’eau, plus fines que dans des phénomènes de brouillard. Du village rue aux hameaux dispersés

De la station pyrénéenne aux hameaux dispersés Saint-Jean-le-Vieux occupe une position inouïe entre deux cours d’eau et aux pieds des montagnes. En effet, les Romains s’y fixent dès l’an 15 avant JC pour 108


y installer une station routière. La commune nommée à l’époque Imus Pyrenaeus (pied des Pyrénées) révèle son intérêt pour sa situation stratégique. Elle gagnera progressivement son nom contemporain à travers différentes toponymies pour finalement s’appeler en basque Donazaharre (contraction de Donibane Zaharra) en 1985 qui signifie le « vieux saint Jean ». La carte de l’État-major révèle la structure historique de la commune en deux phénomènes (52). Le premier est la construction d’un centre-bourg, centre de village à l’intersection de voies principales, la voie romaine historique allant d’ouest en est et une voie plus récente (inapparente sur la carte de Cassini) se dirigeant vers le sud, vers l’Espagne. L’intersection correspond à la situation de l’église principale et ouvre sur une placette de village. Le second phénomène correspond à la constitution de hameaux périphériques. Ces groupements d’habitations se fédèrent autour d’un équipement ou d’un domaine important agricole ou bourgeois et sont rattachés à la commune. Dans un premier temps c’est autour des édifices religieux que les hameaux se construisent. La commune compte au Moyen-Age cinq édifices religieux, églises et chapelles comprises. Longtemps, le village se groupait autour de sa plus ancienne église, Saint-Jean-d'Urrutia, ce quartier étant alors le plus bâti et le plus fréquenté (53). Et ce n'est qu'au début du XVIIème siècle que la cité se regroupe autour d'une autre église : Saint-Pierre-d'Usakoa. Dans un second temps, c’est autour des grands domaines et des propriétés bourgeoises que le bâti s’édifie. Le hameau Aphat-Ospital, se forme autour du siège de la commanderie des Hospitaliers de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem ; celui d’Harrieta (54) autour de son château édifié au 12ème siècle où se réunissait la Junte de Cize pour gouverner, administrer les biens et gérer les conflits ; celui d’Irunberri autour de la maison noble du même nom datant de 1189 et dont la famille a fourni de nombreux personnels au service des rois de Navarre ; celui de Salha (56) qui date de 1318 et dont la famille du même nom en devient propriétaire au 16ème siècle (Reicher, 1943). Le quartier de La Magdeleine (55), se détache des autres hameaux par sa configuration en placette, une sorte de village du village qui s’organise autour de son église datant du 12ème siècle. Aujourd’hui, la commune s’inscrit dans la dynamique attractive de SaintJean-Pied-de-Port (57) mais se détache de cette commune par sa densité faible

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52. Carte de l'État-Major 1820-1866 qui montre la structure originelle de Saint-Jean-le-Vieux en hameaux dispersés. (source : géoportail) 53. Photographie historique du centre-bourg. (non datée, source : Delcampe)

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56. Vue sur la ruine du château d'Harrieta (à gauche) aujourd'hui adjointe à une exploitation agricole et à un quartier résidentiel récemment construit (à droite) (photographie personnelle). 55. Vue sur la façade du château de Salha (ibid). 54. Vue sur le quartier de la Magdeleine depuis son fronton, vers sa place et son église (ibid).

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(74 habitants/km2 contre 567 pour cette dernière) Elle s’inscrit cependant dans la moyenne haute de ses communes limitrophes, Jaxu (19 habitants/km2), Çaro (49 habitants/km2), Ahaxe-Alciette-Bascassan (19 habitants/km2) (source : INSEE).

Un territoire morcelé autour d’un centre-bourg construit. Cet héritage du hameau morcelé est toujours perceptible dans la construction de la commune actuellement. En effet, malgré la création d’une déviation départementale au nord de la commune, un bâti plus dense en comparaison avec ses hameaux voisins se concentre autour de l’intersection entre l’ancienne voie gallo-romaine la D933 et la voie plus récente D18 (57). Le village se construit linéairement le long de la départementale en formant un front bâti qui constitue une barrière visuelle à la plaine agricole dans lequel il s’inscrit. D’autres hameaux se sont créés et renforcés autour des points construits énoncés précédemment mais ne laissent entrevoir que peu de création de voies de connexion d’importance régionale ou départementale. La densité de ces hameaux est variable mais reste très faible. Elle se matérialise selon deux possibilités : le découpage de certaines parcelles déjà construites pour y construire des maisons à donner en héritage comme cela est le cas pour le quartier Zalbaltz ou la création de nouveaux ensembles résidentiels sur d’anciennes parcelles agricoles acquises à proximité de lieux dits comme pour le quartier d’Antxixaburu. Les typologies de maisons sont celles de l’habitat individuel en pavillon ou mitoyen (très rare) et du logement collectif notamment dans le cas de la division d’anciennes grandes propriétés. Les axes de communication ont très peu évolué. Ils sont apparus au fur et à mesure du remembrement des parcelles agricoles, même si ceux-là restent très peu significatifs. En effet, la commune a su préserver un certain nombre de voie routières d’entre parcelles agricoles qui sont très faiblement fréquentées. L’aménagement

piéton

avec

trottoir

n’est

envisagé

que

le

long

de

la

départementale D933 où la cohabitation entre vie de village et fréquentation routière a soulevé des enjeux de sécurité. Aussi la cohabitation sur les autres voies communales laisse paraître une bonne cohabitation entre piétons, vélos, voitures et engins agricoles.

57. Cartographie des continuités urbaines et des axes de communications principaux organisant le territoire de Saint-Jean-le-Vieux (à droite, source : Géoportail).

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Alain d’Iribarne (2019) dépeint le tableau de la vie villageoise et communautaire à Saint-Jean-le-Vieux. En effet, il tente de déconstruire les a-priori portés sur ce type de territoire qualifié d’« ordinaire », d’« abandonnés par l’État et les services publics associés » et donc de « mouroir(s) pour les vieux et (qui) se viderait de ses jeunes, faute d’avenir » (d’Iribarne, 2019). Il dépeint la vie sociale qui demeure selon lui une réalité au sein d’une communauté villageoise où il fait « bon vivre et travailler » (d’Iribarne, 2019). Ce lien social s’explique par l’intrication des liens de parenté et « de services réciproques », liens fédérés par l’idée d’une identité collective forgée à partir d’une longue histoire commune et qui se traduit aujourd’hui par une vie associative et paroissiale forte dominée par les femmes (d’Iribarne, 2019). À travers ce plaidoyer, l’auteur dépeint une vie micro-locale qui se fédère et s’anime fortement. Une structure paysagère stratifiée Les cours d’eau et les axes aujourd’hui délimitent des typologiques paysagères (57) qui varient entre le centre-bourg, le bocage, les hameaux de plaine agricole et la vallée agricole de pied de montagne. L’occupation du sol est dominée par les terres agricoles puis par les forêts et enfin les pairies. Elle révèle une pratique locale toujours actuelle de l’élevage et du libre parcours sur le territoire (source : Corine Land Cover). Malgré cette apparente homogénéité paysagère, des types paysagers 27 semblent se distinguer, délimitées par les axes dominants de circulation et les cours d’eau naturels. Cette structure paysagère se stratifie de la plaine à la montagne à partir du centre-bourg. Le centre-bourg (58) est délimité au nord par la déviation de la D933 et au sud par la rivière Le Laurhibar. L’axe départemental D120 à l’Est et la zone d’activité près du quartier de la Madeleine à l’Ouest viennent fermer ce type paysager. Celuici se caractérise d’une part par la densité d’habitat la plus forte de la commune qu’elle regroupe. Un front bâti se dessine le long de la rue principale avec une

58. Cartographie des typologies paysagères Donazahartare de la plaine agricole aux bocages vallonnés (à droite, source : Géoportail).

Nous utiliserons le terme de typologie pour désigner des compositions paysagères homogènes qui sont analysées par mon propre regard et qui n’ont pas été identifié dans un diagnostic paysager communal. 27

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59. Le centre-bourg de Saint-Jean-le-Vieux marqué par la densité et les matières minérales (photographie personnelle). 60. La plaine agricole marquée par l'horizontalité et les Pyrénées en toile de fond (ibid).

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placette très minérale où se concentre habitat et activité de commerce ou de restauration. Les textures de sol sont très minérales avec la présence d’une végétation plutôt timide au cœur de village. L’habitat est celui de grande propriété, une etxe de bourg et quelques constructions ou extensions contemporaines qui viennent se fondre dans une architecture traditionnelle navarraise. Les rues transversales ou ouvertures sur la rue laissent entrevoir des perspectives sur le territoire agricole de la commune aussi bien de plaine que de collines. Une diminution de cette densité se fait ressentir au fur et à mesure que l’on s’éloigne du bourg, au nord, au sud et à l’est. Le paysage est composé d’une succession de pavillons individuels contemporains d’architecture néobasque et d’exte traditionnels alternés par la présence régulière de champs entretenus. Les textures s’équilibrent entre le minéral par l’aménagement de terrasses, la construction de murets de clôture et le végétal par les jardins proches richement fleuris ou arborés. A l’ouest, la rupture se fait plus brutalement avec le contexte urbain dense pour laisser place à une architecture de type agricole ou industrielle, avec de grands bâtiments longitudinaux à un niveau et avec des toits à deux pentes. Il y a peu d’habitat dans cette zone à l’exception de quartiers plus récemment construits. Le paysage de plaine agricole (60) est délimité par la présence de la départementale D933 au Sud et par le cours d’eau Hartzubiko Errekale (Arzuby). Cette plaine se caractérise par une très grande planéité du terrain et de grandes cultures céréalières ou de pâturage offrant ainsi un horizon panoramique sur les Pyrénées qui se découvrent. L’habitat y est ponctuellement concentré mais beaucoup moins dense que dans le centre-bourg. Les hameaux de la plaine se constituent le long d’une route ou le plus souvent à l’intersection de voies. Ils se composent de trois à six maisons pour les plus récents. À l’ouest, un axe secondaire transversal à la départementale principale de la commune regroupe un habitat plus récent, des années 1960-1970 d’architecture néobasque, relativement construit de pavillons individuels à un ou deux étages. Ces terrains accueillent des jardins avec une végétation diversifiée en contraste avec l’espace agricole environnant. De petites forêts, le long du ruisseau où sur des petites parcelles viennent ponctuer le paysage, elles restent éparses et à fréquence réduite.

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Une typologie de bocage (61) se dessine à l’est de la commune à l’embout de la départementale D933 et au sud de la commune à partir de la rivière Le Laurhibar et sans doute au-delà de la commune. Au sud de la commune cette typologie présente un relief vallonné plus important avec un habitat épars, faiblement concentré. Quelques châteaux hérités de grandes propriétés se dispersent sur ce territoire et sont parfois accompagnés de petites zones résidentielles. Ces zones résidentielles sont de densité faible par rapport au bourg : elles possèdent la caractéristique d’être composées de pavillons individuels se succédant ou de logements intermédiaires à deux étages regroupant plusieurs appartements. Le territoire agricole présente quelques haies bocagères qui viennent délimiter les parcelles et des espaces forestiers de grande ampleur viennent occuper le territoire. Enfin, la vallée agricole de pied de montagne (62) s’établit au nord de la commune au-delà du cours d’eau Hartzubiko Errekale (Arzuby) et ce jusqu’en flanc de montagne. L’habitat y est très faible et présente des etxe traditionnelles. Les terrains cultivés présentent un relief important et une grande partie est cultivée en vigne, l’autre en champ ou prairie. Au pied de l’Arradoy, la couverture forestière de pin est dominante avec quelques acacias pour les forêts les plus récentes.

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62. La zone bocagère de la commune présente des massifs forestiers qui viennent ponctuer les bordures de champs (photographie personnelle). 61. La vallée agricole en pied de montagne dessine le début de relief au nord du territoire. (ibid).

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03. EXPÉRIMENTER UN PROTOCOLE D’ENQUÊTE PARTICIPATIF 1. Définir un protocole par l’expérimentation. Pour comprendre la construction du protocole d’enquête et son évolution, il est important de revenir sur son historique. En effet, la démarche d’enquête a fait l’objet d’une réflexion bien en amont de la cristallisation définitive de la problématique et du début du stage. Initialement axés sur Bidart, deux principes méthodologiques avaient été proposés au groupe des Nouveaux Commanditaires Sciences à Bidart le 15 janvier 2021 lors d’une réunion à comité restreint dû aux exigences sanitaires de l’époque. Ces derniers avaient eu le choix entre une méthodologie mixant collecte d’anciennes photographies et entretiens semidirectifs groupés et une autre basée sur l’entretien semi-directif et la marche exploratoire le long d’un transect. Il a été exprimé une préférence pour la marche exploratoire dans un désir de partager une expérience collective nouvelle qu’ils n’avaient pas eu l’occasion encore d’essayer. Le lendemain, il a été organisé une marche exploratoire-test (63) selon différents points d’arrêts où les habitants étaient amenés à décrire ce qu’ils voyaient et parler de la place de ce paysage dans leur quotidien. La marche a créé un réel enthousiasme au sein du groupe, tant auprès des techniciens qu’auprès des habitants. À la suite de cette expérience, le sujet et la méthodologie du projet se sont consolidés autour des cheminements, en prenant en compte les remarques émises lors de la réunion précédente. L’exercice de reportage photographique mis en amont de l’entretien a été l’occasion de tester un nouvel outil mais a surtout eu pour objectif d’intégrer à cette recherche des illustrations réalisées par les habitants, renforçant ainsi une volonté de révéler un regard local. L’objectif et la méthodologie de la recherche étant finalement définis dans le cadre de la démarche des Nouveaux Commanditaires Science, ils ont été présentés au CDPB et au CAUE dans l’optique d’obtenir une convention d’encadrement de stage. Cette dernière a été acceptée à la condition de répliquer cette même étude et méthodologie à part égale sur une autre commune du territoire Pays Basque, qu’ils

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auraient définie ensemble. Le choix de la seconde commune s’est finalement arrêté le 8 avril 2021 sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux.

2. Ancrer une démarche méthodologique Ce travail transdisciplinaire entre étude des paysages et ethnologie sollicitera donc le regard endogène comme support d’une connaissance vernaculaire des paysages. L’ethnologie est pertinente à lier à la notion de paysage pour les raisons suivantes. Le concept de paysage renvoie à la notion de perception sensible d’une portion de territoire sous l’effet d’un regard mentalement construit. Il sous-entend la présence d’un regard indigène et d’un regard étranger (Voisenat, 1995). L’étude se focalisera sur les acteurs locaux du territoire, habitants et usagers du quotidien, pour comprendre leur relation à leur cadre de vie. L’ethnologie prend alors toute sa place en interrogeant sur les déterminations en fonction desquelles les personnes étudiées perçoivent, construisent leur regard et établissent des pratiques locales reflétant des modes culturels d’habiter le territoire. Elle soulignera la complexité et diversité des valeurs attribuées au paysage, aux espaces de points de vue et aux pratiques qui s’y établissent par les cheminements en fonction des déterminations sociales des personnes interrogées. La démarche développée s’appuie sur une enquête des cheminements comme itinéraire, piste qu’une personne décide d’emprunter soit dans le cadre d’une promenade occasionnelle ou régulière dont le but est l’action même de marcher soit dans le cadre d’un trajet quotidien, voire routinier dont le but est l’arrivée à un lieu précis d’activité (commerce, travail, etc.). Divisée en deux étapes, la démarche lie quatre outils d’enquête : l’entretien semi-directif couplé avec l’exercice de cartographie sensible et parfois de photographie et la marche exploratoire à travers des transects déterminés par les cartographies sensibles. Si le nombre d’outils mobilisé semble important, la démarche cherche avant tout à passer d’une représentation spatiale horizontale du territoire à une exploration verticale et située du questionnement. La multiplicité des outils permet également à la personne de s’exprimer plus facilement si l’un d’eux lui parle plus. Le protocole établi s’appuie donc essentiellement sur la collecte de témoignage et l’expérience du vécu de la marche. Il privilégiera une approche 63. Parcours réalisé à Bidart lors de la marche-test du 15 janvier 2021. Les lettres correspondent aux points d’arrêts réalisés (à droite, source : Géoportail).

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qualitative plutôt que quantitative. Le protocole prendra un point d’honneur à ne pas expliciter le terme de « paysage » lors des entretiens et échanges. Le paysage relevant d’une construction culturelle du regard étranger, aujourd’hui assujetti à un emploi commun de l’ordre de la description évaluative, il s’agira de collecter des récits et témoignages dont l’analyse permettra de comprendre les relations établies afin de restituer l’expérience paysagère vécue (Lenclud, 1995). De même, le cheminement étant considéré comme une pratique englobante à qualifier, il sera demandé de relater l’expérience même de la marche comme moyen de parcours afin d’analyser la pratique du cheminement qu’elle génère.

Ancrage théorique des outils mobilisés L’entretien semi directif repose sur une série de question ouvertes, préalablement rédigées ou sous forme de mots clefs, qui orienteront la discussion entre l’enquêté et l’enquêteur. Cette méthode favorise l’instauration d’un climat de confiance qui valorise le modèle de la discussion, plutôt que du questionnaire et laisse place à un échange permettant d’obtenir des informations sur un thème précis. En ethnographie 28, cette méthode se développe dans les années 1970-1980 (Schmitt, 2011) mais fait l’objet de nombreuses critiques quant à la trop grande part de subjectivité de l’enquêteur vis-à-vis des réponses de son enquêté. Souvent employé lors des enquêtes en paysage, elle peut aussi s’avérer être un outil difficile à manier à cause des abstractions que posent la question du paysage (Sgard, 2011). Cette méthode d’enquête permet cependant, en paysage comme en ethnographie de placer l’individu au cœur de l’enquête, comme représentant de sa culture par ses histoires personnelles (Schmitt, 2011). La photoellicitation est une méthode d’enquête qui consiste à mener un entretien sur la base d’un support photographique dans le but de susciter un sentiment, une émotion, une réaction. Georges Lenclud souligne la difficulté que certaines personnes ont à exprimer leur vision du paysage (Lenclud, 1995), à traduire verbalement leur émotions en contemplant « l’étendue d’espace qui s’offre à leur

28 Nous emploierons le terme ethnographie lorsqu’il s’agit de décrire le protocole d’enquête et nous utiliserons le terme ethnologie lors qu’il s’agit d’aborder le sujet de la recherche. En effet, en sciences humaines et sociales, l’ethnographie renvoie au recueil des données de terrain, au travail d’enquête que l’ethnologie analyse, traite, met en perspective pour révéler une « science des peuples » ou de « races humaines » (Topinard 1876)

124


vue » (Bigando, 2013). Dans cette lignée, Yves Michelin (1998) considère alors l’utilisation de la photographie comme « moyen susceptible d’éviter cet écueil » (Bigando, 2013) et ce, afin d’analyser les représentations des paysages par les habitants (Michelin, 1998). Eva Bigando dans le cadre de sa thèse sur la sensibilité des habitants aux paysages ordinaires a mis en place ce dispositif en proposant aux habitants de réaliser « un portrait photographique de leur paysage quotidien » (Bigando, 2013), la photographie constituant la base de l’entretien qui suivait. Ainsi dans le cadre d’un entretien, demander aux enquêtés de réaliser un reportage photographique au préalable, permet d’approfondir la compréhension la perception des paysages par les acteurs locaux ainsi que la place de ces paysages dans leurs pratiques quotidiennes voire de sociabilité. Elle révèle « un système de pratiques et de représentations paysagères qui, inscrites dans un vécu quotidien plus machinal qu’intellectualisé, avaient pu demeurer jusqu’alors de l’ordre du nondit ou du non-conscientisé » (Bigando, 2013). La

cartographie

désigne

la

« représentation

spatiale

d’une

réalité

non

géographique » (Larousse) et le terme sensible renvoie à ce qui « peut être perçu par les sens » (Larousse), « éprouver par des perceptions, des sensations » (Larousse). La cartographie sensible se situe donc dans une approche géographique humaniste de l’analyse du territoire, en s’intéressant non plus aux formes bâties, à la topographie, aux configurations spatiales et géographiques mais à l’expérience même du territoire, des lieux. Quentin Lefevre (64) est une référence dans l’exploitation de cet outil sous diverses typologies (cartes de parcours, touristiques, relationnelles, etc.). Il le définit comme un média d’ analyse urbaine qui permet d’appréhender la charge symbolique portée à l’espace par les individus, l’appréciation du territoire comme « ensemble de relations » porté par l’« être relationnel » qu’est l’être humain, l’importance des « lisières/interfaces » et enfin de comprendre le dialogue entre les « villes fragmentées » et « l’expérience humaine continue » (Guillaumin, 2018). La marche exploratoire est une méthodologie d’expérimentation et d’analyse in situ avec les acteurs concernés qui invite à parcourir le territoire selon un itinéraire plus ou moins défini, ponctué par des échanges et dialogues sur les ressentis et l’observation. En France cette méthode s’est développée avec Jean Yves Petiteau qui développe la méthode des itinéraires dans les années 1970 (Vacher, 2019). Selon Hélène Douence, la marche par sa lenteur permet en effet de tisser des liens entre les participants et entre le participant et l’environnement en favorisant

125


64. Carte sensible réalisée dans le cadre d’un workshop intitulé « Cartographie sensible de l’Ile de Nantes » animé par Quentin Lefevre à l’été 2018. Cette carte révèle des pôles d’intensité d’usages exprimés par un code couleur et des formes dont la légende est commune aux participants sur un fond de carte commun. Il en résulte une pluralité de cartes subjectives avec une charte graphique commune.

126


65. Journée participative « Paysage et patrimoine » à Glux en Glenne, le 11 juillet 2017où une vingtaine de participants a pris part dont les habitants de Glux en Glenne ou des villages environnants, deux agriculteurs, la présidente de l’association pour la mise en valeur du paysage de la commune voisine, les organisateurs et le directeur de Bibracte venu aussi en tant qu’habitant de Glux.

127


l’interactivité, la disponibilité sensorielle (2009). Ces démarches d’analyse territoriales favorisent le récit, la valorisation, l’expérience sensible des paysages en « (mettant) l'accent sur les potentialités et la poésie des lieux » (Douence, 2019). En effet, un dernier trait de cette démarche est qu’elle révèle aussi ce qui est cachée. Jens Denissen, du collectif Le Voyage Métropolitain décrit la métaphore de l’objet de la boule de neige pour parler du condensé des éléments forts dans les représentations du paysage urbain, qui omet les détails aux interstices de ces moments forts (2015). Une des formes graphiques d’aboutissement de ces marches est le transect comme « coupe fragmentaire représentative du territoire », outils de dialogue qui saisit la diversité des représentations. Par la dimension verticale qu’il saisit, il décrit l’atmosphère, le sol, la végétation, les éléments bâtis, la diversité des regards en un seul document synthèse (Pousin et al., 2016). La marche exploratoire est communément employée concernant des réflexions sur le paysage tant auprès des habitants (65), que techniciens, qu’élus.

3. Présentation du protocole d’enquête L’élaboration du protocole d’enquête s’est réalisée en plusieurs temporalités. Il a fallu environ deux mois pour finaliser la méthodologie et les différentes étapes et outils. Cependant le protocole a fait l’objet d’une réévaluation notamment entre les phases d’entretien et de marche. En effet, il s’agissait de partir des résultats des entretiens pour déterminer les questions à poser pendant les marches exploratoires et cela ne pouvait pas être anticipé. Ce temps de mise en place à un pris une semaine entre la phase d’entretien et la phase des marches exploratoires. La première phase d’entretiens de trois semaines a pour objectif d’interroger une douzaine de personnes de quatre catégories distinguées. Ces dernières ont été travaillées avec le CAUE, le CDPB et l’Atelier des Jours à Venir. Nous avons donc défini : des personnes retraitées, des jeunes âgés entre 18 et 30 ans (catégorie étendue à l’âge de 36 ans), des parents ayant leur enfant scolarisé sur la commune (finalement la catégorie a été ouverte aux ménages de personnes célibataires ou en couple, avec ou sans enfants, âgés entre 35 et 60 ans environ pour assurer une grande diversité de profils) et des travailleurs ou commerçants, travaillant sur le territoire sans nécessairement y demeurer. Puis, au sein même de ces catégories, la diversité était recherchée. C’est pour cela que par exemple la catégorie « parents d’enfants » a été ouverte pour ne pas exclure, les couples sans enfants et les 128


personnes célibataires. Environ quatre personnes étaient interrogées par semaine. Enfin, la durée d’entretien était estimée à 45 minutes. La seconde phase de marches exploratoires était prévue à une marche de 2 heures 30 environ sur un parcours de 4.5 à 5 kilomètres réalisable en 1 heure seul, permettant ainsi 1 heure 30 d’échanges. Les parcours réalisés ont été choisi par leur variété d’ambiance sauf pour la seconde marche qui devait avoir lieu (et qui n’a pas été réalisée, nous en expliquerons plus tard les raisons). Chaque marche a été testée au préalable sur site. Je me suis connectée à l’application ViewRanger sur mon téléphone me permettant d’enregistrer les parcours (Annexe 1) que je testais et aussi de réaliser des photographies types « prise de note » qui seraient localisées sur les parcours. Les parcours ont aussi été pensés de telle sorte que les participants puissent proposer des alternatives s’ils le souhaitent. Les paragraphes suivants ont pour objectif de résumer le déroulé et les outils de chaque étape de l’enquête.

Etape 1 : Sensorialité et mémoire des cheminements et points de vue paysagers du quotidien (entretiens individuels semi-directifs) Objectif : Comprendre les itinéraires effectués à pied et lieux d’arrêts réguliers des Bidartars et les perceptions sensorielles paysagères associées. Déroulé : L’entretien se déroule en trois parties : présentation de l’interviewé et de son histoire ; discussion autour des cheminements effectuées sur la commune avec localisation sur le fond de carte des itinéraires, points d’arrêts (code couleur pour cheminement anciens, actuels, et désirés) ; discussion autour des perceptions sensorielles, souvenirs et des pratiques associés aux paysages avec localisation sur le fond de carte. Dans certains cas, l’entretien sera associé à un reportage photographique réalisé au préalable. Ce dernier s’appuie sur une grille de thèmes à illustrer à partir d’un dispositif photographique que possède l’enquêté (appareil photographique, téléphone portable). Les images seront envoyées au préalable de l’entretien et intégrées à la discussion prévue par la grille d’entretien.

129


Méthodologie : •

Prise de contact par téléphone : présentation du travail + prise de rendezvous + proposition d’exercice de photographie

Entretien : -

Présentation de soi et de l’objectif de l’entretien

-

Préciser la demande d’enregistrement

-

Partie 1 : discussion

-

Partie 2 : cartographie

-

Invitation à la future visite groupée Outils :

Grille d’enquête photographie + photographies réalisées

Enregistreur + grille d’entretien

Fond de plan de Bidart (format A0, Annexe 2 & Annexe 3)

Calques

Crayon noir (croix de localisation de l’habitation), crayon rouges (itinéraires actuels), bleus (anciens itinéraires) et orange (itinéraires désirés)

130


Consignes de reportage photographique : Grille des thèmes à illustrer (pas systématique à chaque entretien) : Illustrez à l’aide de photographies prises avec un appareil photographique ou un téléphone les thèmes suivants : Thème 1 : Si vous deviez montrer les éléments agréables (visuels, olfactifs, sonores, environnement) importants de vos promenades ou itinéraires à pied, que montreriez-vous ? Thème 2 : Dans les lieux où vous vous arrêtez, que montreriez-vous ? Thème 3 : Pourriez-vous photographier les activités individuelles ou collectives (rencontre, lecture, sport, jeux, pique-nique, etc.) qui prennent place dans ces lieux où vous vous arrêtez ? Thème 4 : Pourriez-vous photographier les éléments désagréables (visuels, olfactifs, sonores, obstacles) de votre promenade ou itinéraires ? NB : - Différentes idées vous viennent à l’esprit pour illustrer un même thème, n’hésitez pas à prendre plusieurs clichés. - Prenez soin de noter pour chaque thème, les numéros des photographies correspondantes. Grille d’entretien : PARTIE 1 : DISCUSSION (30/45’’) THEME Histoire personnelle (10’’)

QUESTION •

Présentation

Où habitez/travaillez/étudiez ?

Moyens de transport ?

Fréquentation de Bidart

131


Itinéraires à pied réguliers

ou occasionnels (15-20’’)

Moments

de

occasionnels

marche à

réguliers

Bidart ?

ou

Fréquence ?

Circonstances ? •

Raconter une promenade ou itinéraire, perçoit, voit, sens ?

Eléments agréables ? désagréables ? T1/T4

Rencontrez-vous des obstacles

à

votre

itinéraire ?

Anciens itinéraires (10-15’’)

Lieux ou points d’arrêts ? Décrire ? T2

Activité particulière ? T3

Eléments agréables ? désagréables ? T1/T4

Anciens

itinéraires

à

pied

que

vous

n’effectuez plus ? •

Décrire ?

Pourquoi plus effectué ?

PARTIE 2 : CARTOGRAPHIE (15/20’’) Localisez

votre

lieu

-

d’habitation (croix noire) Itinéraires à pied réguliers

Les itinéraires évoqués

ou

Les points de vue et points d’arrêt

Les

occasionnels

(couleur

rouge)

éléments

remarquables,

agréables,

désagréables, les obstacles •

Les pratiques

Anciens itinéraires (couleur

Les itinéraires évoqués

bleue)

Les points de vue et points d’arrêts

Les

éléments

remarquables,

agréables,

désagréables, obstacles ? Itinéraires désirés

Les itinéraires que vous souhaiteriez réaliser

T1 : Thème 1 à photographier / T2 : Thème 2 à photographier T3 : Thème 3 à photographier / T4 : Thème 4 à photographier 132


3.2. Etape 2 : De la sensorialité à l’appropriation et la transmission collective des cheminements et des points de vue paysagers (visites groupées) Objectif : Comprendre la diversité des valeurs associées au paysage à partir de son expérience sensorielle et affective. Analyser les attributions collectives de sentiment d’appropriation et de transmission du paysage. Méthodologie : La superposition des cheminements et « points d’arrêts » évoqués sur les cartes à partir des divers entretiens permettra de définir des parcours à arpenter dans la commune,

parcours

différents

de

ceux

déjà

définis

par

les

politiques

d’aménagement. La marche exploratoire a été envisagée comme une boucle à réaliser avec un point de rendez-vous et des temps d’arrêts. Le temps de la marche est décomposé en portions d’itinéraire délimitées par deux temps d’arrêts. Les temps d’arrêts sont numérotés par des lettres et les portions par les lettres des temps d’arrêts qui bornent cette portion. Par exemple la portion d’itinéraire AB commence au temps d’arrêt A et finit au temps d’arrêt B. •

Prise de contact : après entretiens individuels, par e-mail via les réseaux d’acteurs (Nouveaux Commanditaires et jeunes à Bidart).

Au début de la marche : -

Présentation de l’objectif de la marche : 1.

À partir des perceptions sensorielles, des ressentis corporels et mentaux, il s’agira de qualifier des ambiances propices à des lieux d’arrêts et des moments de balades.

2. Il s’agira aussi de préciser ce qui est apprécié ou ce qui est regrettable dans ces environnements pour en tirer des valeurs. 3. Nous échangerons sur ce qui est à transmettre dans les ambiances paysagères cheminées et sur les moyens de cette transmission. 4. Cette marche est conçue comme un moment de dialogue, d’échanges pour essayer d’élucider un sens collectif porté aux paysages ou du moyen de comprendre comment les différentes valeurs qui lui sont portés se superposent, comment un même

133


environnement peut être qualifié par différentes ambiances et la diversité d’appréciation et d’appropriation physique ou psychique.

-

Présentation du livret

-

Présentation rapide de chacun

Le temps de la marche : -

Les portions d’itinéraires seront l’occasion pour les participants de se mettre à deux pour échanger sur un thème indiqué par le livret.

-

Le temps d’arrêt sera le moment de revenir sur ces échanges et fera l’objet aussi de ses propres questions.

La fin de la marche sera clôturée par une série de questions sur l’expérience globale de la marche. -

Il s’agira dans un premier temps de qualifier ce temps de marche par des adjectifs et d’exprimer les moments forts de cette marche.

-

Il s’agira ensuite dans un second temps de revenir sur les modalités de questions, d’échanges, d’animation pour exprimer les qualités, défauts appréciations de ce type de démarche.

Compte-rendu 29 -

Une restitution spatiale de l’itinéraire effectué,

-

Un récit de la promenade (effectué par l’animateur),

-

Photographie des post-its écrits. Outils :

Les grilles de questions

Un livret de marche exploratoire contenant une carte du parcours avec les points remarquables, et les questions de portions d’itinéraires (format A5, Annexes 4, 5, 6 & 7)

Un support pour poser les post-il et des crayons

Un enregistreur

29 Le format de compte-rendu est inspiré de la méthodologie décrite par Enora Vacher des marches exploratoire effectuées à Genève avec l’agence Coloco Enora Vacher, « Pratique exploratoire de la marche à pied dans le projet de paysage. Cas appliqué : « La Grande Traversée» de la métropole du Grand Genève » (Angers, Agrocampus Ouest, 2019), https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02335911/document.

134


Grille de questions des lieux d’arrêt :

THÊME Identification

QUESTION des

perceptions

-

(Décrire

les

yeux

fermés) :

Odeurs + Ouïe + sensations

sensorielles et affectives

physiques + goût + agréables désagréable ? -

(Écrire sur un post-it) : 1 mot d’émotion, de ressenti, souvenir ou rien qu’évoque ce lieu 1 mot ou groupe de mot pour qualifier l’ambiance du lieu 1 mot ou groupe de mot pour qualifier

l’environnement

si

différent Désirs d’appropriation et de sociabilité

-

Lieu attirant ? Pourquoi ? Envie d’y

faire

particulière ?

une Revenir

activité avec

d’autres personnes ? Transmission

-

Qualité ? défauts ?

-

Envie de valoriser, transformer, garder ?

Ecueils à éviter : •

Lorsque l’individu est physiquement immergé dans un paysage, il peut être moins invité à le décrire que s’il en était éloigné. Eviter l’écueil « regardez par vous-même ».

Le risque lorsque les participants sont invités à parler de paysage, est qu’ils évoquent les problématiques de PLU, d’urbanisme, de la mairie. Il s’agit de sortir de ces considérations pour vraiment accentuer le côté perceptif.

135


Grille de questions des portions de marche (pour la commune de Bidart) : THÊME PORTION D’ITINÉRAIRE AB :

QUESTION -

Portez attention aux différents types de chemin sur lequel vous marchez. Est-ce un

Expérience du sol

trottoir, un sentier, une rue goudronnée, un espace enherbé, de la terre battue ? -

Observez les bords de voies, les talus, accotements.

Comment

les

décririez-

vous ? -

En quoi leur aspect rendent-ils la balade agréable ou désagréable ?

-

Notez les différents moments où vous vous êtes arrêtés. Pourquoi vous êtes-vous arrêtés ?

(Découverte

reconnaissance

d’un

d’une végétal,

vue, détail

remarqué, instant de repos, moment de curiosité, etc.) PORTION D’ITINÉRAIRE BC :

-

Connaissez-vous

les

endroits

l’on

marche, le nom des lieux ou peut-être des

Souvenirs des lieux, parcours

maisons ou familles qui vivent ou viennent

familiers

ici ? -

Êtes-vous déjà venus marcher ici ? Si oui, à quelle occasion, si non, pourquoi ?

-

Ces environnements et ambiances vous évoquent-ils des souvenirs particuliers ?

PORTION D’ITINÉRAIRE CD :

-

parcours ou des portions de ce parcours ?

Transmettre des parcours, des paysages

Auriez-vous envie de revenir faire ce

-

Souhaiteriez-vous les partager ? À qui ? Des amis, de la famille, des touristes ou étrangers ?

-

136

Pourquoi ?


Grille de questions des portions de marche (pour la commune de Saint-Jean-leVieux) : THÊME PORTION D’ITINÉRAIRE AB :

QUESTION -

Quels sont les éléments remarquables que vous observez sur cet itinéraire ?

Expérience du territoire -

Les ambiances varient-elles le long du parcours ?

-

Notez les différents moments où vous vous êtes arrêtés. Pourquoi vous êtes-vous arrêtés ?

(découverte

reconnaissance

d’un

d’une végétal,

vue, détail

remarqué, instant de repos, moment de curiosité, etc.) PORTION D’ITINÉRAIRE BC :

-

Connaissez-vous

les

endroits

l’on

marche, le nom des lieux ou peut-être des

Souvenirs des lieux, parcours

maisons ou familles qui vivent ou viennent

familiers

ici ? -

Êtes-vous déjà venus marcher ici ? Si oui, à quelle occasion, si non, pourquoi ?

-

Ces environnements et ambiances vous évoquent-ils des souvenirs particuliers ?

PORTION D’ITINÉRAIRE CD :

-

parcours ou des portions de ce parcours ?

Transmettre des parcours, des paysages

Auriez-vous envie de revenir faire ce

-

Souhaiteriez-vous les partager ? A qui ? Des amis, de la famille, des touristes ou étrangers ?

-

Pourquoi ?

137


Grille de question de fin de marche : Qu’avez-vous pensé de cette marche ? Agréable ? Désagréable ? Pourquoi ? Comment vous êtes-vous sentis ? Moments particulièrement importants/intenses ? Pourquoi ? Vous a-t-elle apporté quelque chose personnellement ? Fait naître des désirs ? Découvrir des choses ? Envie de ne pas revenir dans cet endroit ? Parcours prévus à Bidart et à Saint-Jean-le-Vieux : Cf illustrations : 66. Cartographie des parcours prévus pour les marches exploratoires MEB1 et MEB2 superposées aux parcours patrimoniaux déjà existants sur Bidart (à gauche, source : Géoportail et Office du Tourisme de Bidart) 67. Cartographie des parcours prévus pour les marches exploratoires MESJLV1 et MESJLV2 superposées aux parcours patrimoniaux déjà existants sur Saint-Jean-le-Vieux ( à droite, source : Géoportail et chemins-compostelle.com)

4. Retour sur expérience Comme nous l’avons évoqué précédemment, ce qui est particulier à cette méthodologie, c’est bien le fait qu’elle ait été élaborée pour un territoire bien précis, la commune de Bidart et qu’il a fallu réitérer sur un autre territoire sélectionné pour son contexte relativement contrasté. L’expérience a permis de mettre en évidence la nécessité d’adaptation d’une méthode d’enquête à son territoire, la place d’un groupe fédérateur d’une démarche participative dans ce type d’enquête et enfin, les réalités contrastées d’enjeux de paysage et patrimoine au sein d’un territoire revendiqué sous une même identité, l’identité basque. Les expériences ont été très différentes entre les deux communes. À Bidart, les enjeux de patrimoine et paysages raisonnaient beaucoup auprès des personnes interrogées bien qu’elles ne fassent pas partie du groupe des Nouveaux Commanditaires. À Saint-Jean-leVieux, cette question a beaucoup moins fait écho aux enjeux personnellement vécus par les habitants malgré une grande diversité de profils respectée. Cette différence de sensibilité aux paysages m’a concrètement amenée à adapter mon protocole en cours d’enquête et a engendré l’annulation d’une des marches prévues.

138


4.1. Les personnes enquêtées, des profils diversifiés. Sur les deux communes, un travail attentif a été réalisé afin de diversifier le profil des personnes enquêtées. Ces dernières ont été démarchées soit par les services de la mairie (service éducation, bibliothèque ou même élus) soit par le « bouche à oreille » soit encore par le démarchage dans la rue. Pour ce dernier moyen, il s’agit d’un commerçant à Saint-Jean-le-Vieux que j’ai démarché alors que j’explorais la commune à pied. Les personnes enquêtées à Bidart ont été relativement faciles à trouver grâce à la mairie et la diffusion de message auprès des différents services. À Saint-Jean-leVieux, il a fallu faire un vrai travail de rencontre et connaissances pour obtenir les entretiens. Tandis qu’à Bidart je n’ai essuyé aucun refus, à Saint-Jean-le-Vieux, j’ai eu sept refus d’entretiens. La diversité des profils a été un avantage au sens où elle permet une grande diversité d’appréciation des paysages et de regard sur le territoire. Elle est vraie en termes de profils d’individus interrogés. En revanche en ce qui concerne le fait même de marche ou d’être à pied, cette diversité est à nuancer. À Bidart, la pratique de la marche a relevé de cinq types de motivation : celle de la détente, celle de la pratique sportive, celle du mode de déplacement pour la chasse, celle du mode de déplacement pour un trajet de nécessité et enfin une personne a expliqué ne pas marcher dans la commune. Une grande majorité des personnes décrivaient des marches effectuées seules. À Saint Jean-le-Vieux, l’évocation de la marche a été de l’ordre de la détente, du moyen de déplacement professionnel pour l’agriculture et une personne a expliqué de ne pas marcher dans la commune. La totalité des personnes a décrit une marche effectuée en duo ou en groupe, sauf pour les agriculteurs qui étaient seuls (du moins avec leur troupeau). Cependant cet échantillon assez restreint de douze personnes ne permet pas d’effectuer une réelle étude sociologique du territoire. Il permet uniquement d’apporter des nuances d’analyse, des regards diversifiés. La diversité et l’aspect très qualitatif de l’enquête permet une finesse de nuance supplémentaire. La recherche ne revendique en aucun cas une généralisation du propos. Je me permettrai enfin un dernier commentaire pour clore ce paragraphe. En effet, j’ai eu le ressenti d’une certaine timidité auprès des personnes interrogées à Saint-Jean-le-Vieux que je n’explique pas. Il m’a été beaucoup plus compliqué d’entrer en contact avec les personnes et les contacts les plus faciles ont été ceux 139


140



qui avaient été rencontrés au préalable avec une connaissance que nous avions en commun. Cela peut s’expliquer par la conjonction de plusieurs facteurs. C’est un territoire moins habitué à des exercices ou dispositifs de participation citoyenne, la temporalité n’était pas la plus adéquate (période de déconfinement et reprise intense des activités agricoles et touristiques) et enfin certaines personnes (âgées et retraitées) peuvent éprouver une crainte de démarchages commerciales. Profils des personnes rencontrées à Bidart :

Entretiens semi-directifs N°

Genre

Âge

Profession

Lieu de résidence

Lieu de travail / étude

Lieu de scolarisation des enfants

Origine

/

/

Australienne

B-1

F

36

Sans emploi

Bidart (6 mois de l’année) & Australie

B-2*

M

25

Étudiant

Bidart

San Sebastian

/

Habitant depuis école primaire

B-3

M

41

Docteur en développement territorial

Biarritz

ESTIA

/

Soule

B-4

F

59

Employée du centre de loisirs

Bidart

Centre de loisirs de Bidart

Enfants de plus de 19 ans

Parisienne, habitante de 15 ans

B-5

M

64

Retraité

Arbonne

Président de l’association Menditalde

/

Originaire de Guéthary

B-6

M

55

Propriétaire et gérant d’un magasin de Sport

Saint-Péesur-Nivelle

Bidart

/

Saint-Pée-surNivelle

B-7

F

67

Retraitée

Bidart

/

/

Bordelaise, habitante depuis 50 ans

53

Tourisme – propriétaire et gérante d’un gite renommé

Bidart

Domaine de Bassilour

/

Suédoise

45

Éboueur de la fonction publique

/

Bayonne, mais vit depuis son enfance à Bidart

/

Bidartare depuis plusieurs générations

B-8

B-9

B-10

142

F

M

F

64

Retraitée

Bidart

Bidart

Bidart

/


B-11

B-12

M

F

27

Vendeur en magasin

42

Employée à l'éducation à Bidart

Bidart

Bayonne

/

Bidartar depuis sa naissance

Bidart

Centre de loisirs de Bidart

Ecole primaire de Bidart et collège Villa Fal à Biarritz

Originaire de l'Aveyron, habitante depuis 17 ans

Marche exploratoire 1 (MEB1) : Genre

Age

Profession

Lieu de résidence

Lieu de travail / étude

Lieu de scolarisation des enfants

Origine

/

/

Australienne

F

36

Sans emploi

Bidart (6 mois de l’année) & Australie

*

M

25

Étudiant

Bidart

San Sebastian

/

Habitant depuis école primaire

*&**

M

67

Retraité

Bidart

/

/

Biarritz

**

F

66

Retraitée

Bidart

/

/

Biarritz

Marche exploratoire 2 (MEB2) : N°

Genre

Age

Profession

Lieu de résidence

Lieu de travail / étude

Lieu de scolarisation des enfants

Origine

**

F

42

Sans emploi

Bidart

/

/

Allemande, vit à Bidart depuis 2 ans

*

M

25

Étudiant

Bidart

San Sebastian

/

Habitant depuis école primaire

M

64

Retraité

Arbonne

Membre association Menditalde

/

Originaire de Guéthary

F

67

Retraité

Bidart

/

/

Bordelaise, habitante depuis 50 ans

* la personne participante fait partie du groupe des Nouveaux Commanditaires Sciences ** la personne participante n’a été enquêtée dans la phase 1

143


Profils des personnes rencontrées à Saint-Jean-le-Vieux

Entretiens semi-directifs N° Genre

Âge

Profession

Lieu de résidence

Lieu de travail

Lieu de scolarisation des enfants

Origine

Cambo

Ascarat

Née à Itxassou, a vécu 1 an à SaintJean-le-Vieux, revient régulièrement

1

F

25

Cuisinière

Ascarat

2

F

48

Courtière en assurance

Saint-Jeanle-Vieux

Enfants de Saint-Jean-le- 10/12 - Saint Vieux Jean le Vieux

Née et a grandi à Saint-Jean-le-Vieux

3

M

67

Retraité

Saint-Jeanle-Vieux

Saint Jean Le Vieux

/

Né et a grandi à Saint-Jean-le-Vieux

4

F

67

Retraitée

Saint-Jeanle-Vieux

Ispoure

/

Installée depuis 40 ans

5

F

18

Étudiante

Saint-Jeanle-Vieux

Étude : Anglet travail : SaintJean-le-Vieux

/

Née à Saint-Jean-leVieux, scolarité idem, travail saisonnier

6

M

74

Agriculteur retraité

Saint-Jeanle-Vieux

Saint-JeanLe-Vieux

/

Né et a grandi à Saint-Jean-le-Vieux

Saint-Jeanle-Vieux

Saint JeanPied-de-Port

Enfants de 10/12 - Saint Jean le Vieux

Pêcheur sur la commune

7

M

49

Gérant d’un gîte

8

M

52

Berger

Saint-Jeanle-Vieux

Saint-Jean-leVieux

/

Né sur la commune, éleveur depuis 19 ans

9

F

50

Assistante maternelle

Saint-JeanPied-de-Port

MAM quartier Magdeleine

/

Travaille depuis 6 ans sur la commune

10

F

42

Secteur médical

Itxassou

Bayonne

Itxassou

Née à Saint-Jean-leVieux, revient hebdomadairement

11

M

25

Éleveur de vaches

Saint-Jeanle-Vieux

Saint-JeanLe-Vieux

/

Adopté enfant, il a grandi à Saint-Jeanle-Vieux

12

M

33

Propriétaire et gérant d’un commerce

Saint-JeanLe-Vieux

Saint-JeanLe-Vieux

/

Jaxu, à Saint-Jeanle-Vieux depuis 1 mois

144


Marche exploratoire 1 (MESJLV1) : Genre

Âge

Profession

Lieu de résidence

Lieu de travail

Lieu de scolarisation des enfants

Origine

M

74

Agriculteur retraité

Saint Jean Le Vieux

Saint Jean Le Vieux

/

Né et a grandi à SJLV

47

Enseignant d’histoiregéographie et directeur d’un lycée

Bayonne

Né et a grandi à Saint-Jean-leVieux et s’y rend très régulièrement

M

40

Urbaniste conseiller au CAUE

Itxassou

Bayonne

Itxassou

Né, a grandi et a habité à SaintJean-le-Vieux et s’y rend très régulièrement

**

M

33

Salarié du CDPB

Bayonne

Bayonne

/

Originaire de Saint-Jean-deLuz

**

M

50

Salarié du CDPB

SaintPalais

Bayonne

/

/

*

M

35

Employé de l’OPLB

Ustaritz

Bayonne

/

/

*

F

45

Gérante de boutique

Tarnos

Bayonne

/

/

*

F

45

Immobilier

Urrugne

Urrugne

/

/

*

M

70

Retraité

Bayonne

Bayonne

/

/

*

F

60

Enseignante

SaintJean-deLuz

Saint-Jeande-Luz

/

/

*

M

45

Propriétaire et gérant d’un commerce

Biarritz

Biarritz

/

/

*

M

75

Retraité et membre de l’association Léo Lagrange

Hendaye

Bayonne

/

/

*

M

45

Entraineur sportif

Anglet

Sare

/

/

*

M

Bayonne

Bayonne

* la personne participante est citoyen-membre du Conseil de Développement PaysBasque ** la personne participante est salariée du Conseil de Développement Pays-Basque Âge estimé 145


Marche exploratoire 2 (MESJLV2): La seconde marche exploratoire n’a pas eu lieu.

4.2. La méthodologie d’enquête, un protocole ancré sur un territoire Cette enquête avait l’avantage et l’inconvénient de mobiliser de nombreux outils. Bien que la diversité et la richesse du matériel récolté aient nécessité de redoubler d’effort pour l’analyser, elles ont permis une certaine flexibilité et aisance d’entretien. Certaines personnes étaient plus facilement à l’aise à s’exprimer par la photographie, d’autres à la vue d’une carte ou simplement par l’oralité.

Le reportage photographique Le reportage photographique était facultatif, ce qui a permis aux interviewés de se l’approprier selon leurs désirs ou motivations. D’ailleurs je ne l’ai pas proposé systématiquement. Cela dépendait de la qualité de la prise de contact que j’avais eu avec la personne enquêtée et de son profil. Il m’est arrivé de ne pas proposer de reportage photographique à des personnes qui me disaient ne pas effectuer d’itinéraire à pied sur la commune. Je me suis finalement rendue compte que cet outil était beaucoup plus adapté au contexte urbain que rural puisque dans le second contexte, j’ai été amenée à interroger plus de personnes effectuant une marche comme moyen de déplacement professionnel. À Bidart, il s’est avéré que la narration de marche était souvent celle effectuée dans le cadre d’une activité de loisirs ou du moins non professionnelle. Il semblait donc plus facile de proposer l’exercice que sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux où quatre de mes interviewés étaient des agriculteurs qui me racontaient un moment de transhumance et une personne interrogée était un pêcheur qui me racontait sa pratique sportive. Finalement, trois personnes sur douze ont effectué le reportage sur Bidart, rassemblant 55 photographies et le même nombre de personnes l’ont effectué à Saint-Jean-le-Vieux rassemblant 30 photographies. Cependant il est intéressant de noter une attention plus prononcée sur les thèmes à photographier à Bidart alors que les personnes à Saint-Jean-le-Vieux ont plutôt proposé une série de photographies prises spontanément ne faisant pas l’objet d’une sélection ou catégorisation particulière vis-à-vis des thèmes proposés. Elles étaient plutôt le support d’une narration ou d’anecdotes. Ce fait peut s’expliquer par deux réalités : une distance entre leur pratique et les thèmes proposés qui étaient inspirés des hypothèses préalablement établies dans le contexte de Bidart et/ou une pratique de la photographie peut-être beaucoup moins répandue. D’ailleurs, un participant 146


présent aux deux marches exploratoires à Bidart, intégré à la démarche des Nouveaux Commanditaires Sciences a réalisé spontanément un reportage photographique qu’il m’a communiqué.

L’entretien semi-directif La durée des entretiens a varié entre une vingtaine de minutes à deux heures pour les personnes plus bavardes. En moyenne la durée d’entretien était de 45 minutes à Bidart et 35 minutes à Saint-Jean-le-Vieux. Cela peut s’expliquer par une certaine pudeur des personnes rencontrées en territoire plus rural. Une autre explication d’un habitant du Pays Basque spécialiste du patrimoine se base sur le caractère « taiseux » des Basques qui préfèrent ne rien dire à défaut d’affirmer une vérité dont ils auraient des doutes. La grille d’entretien a globalement été suivie lors des entretiens à Bidart. Des petites variations ont été apportées dans deux cas. Le premier cas, après l’entretien et la cartographie, la personne m’a emmenée faire un tour d’environ une heure pour me montrer l’itinéraire dont elle m’a parlé ou du moins une partie. Dans le second cas une personne qui organisait des événements de course à pied sur Bidart a préféré passer d’emblée sur la cartographie. À Saint-Jean-le-Vieux, l’entretien a été réadapté en fonction des profils de personnes cheminant pour le loisir ou des personnes dont la profession est liée à l’élevage qui décrivaient des itinéraires à pied dans le cas de transhumances ou de travaux de labourage. D’ailleurs cette distinction entre « marcher » et « être à pied » m’a été explicitée par un ancien agriculteur à forte culture paysanne. Cet entretien qui était le cinquième de la série pour Saint-Jean-le-Vieux, a été un moment décisif pour mon enquête et j’ai complètement revu ma stratégie d’entretien. En effet, il s’agissait par l’entretien d’amener l’interlocuteur à évoquer un moment de marche à pied dans le cadre de son activité professionnelle et parfois de loisirs. Dans un premier temps, je demandais à la personne de se présenter, de présenter son métier et plus spécifiquement son activité. Je me suis attachée à ce que la personne explique le cycle d’élevage en expliquant la situation des parcelles de pâtures. Puis dans un second temps, je lui demandais de raconter une transhumance ou un moment d’activité à pied réalisée le jour même ou récemment. Il s’agissait de décrire les lieux traversés, l’attitude des bêtes élevées, les gestes effectués par la personne pour voir les éléments paysagés sur le

147


parcours. Enfin, je lui demandais s’il lui arrivait de promener son chien, puisque souvent un chien est associé à l’élevage. À Saint-Jean-le-Vieux et à Bidart j’ai pu m’entretenir avec une personne, à chaque fois un homme, âgé de respectivement 33 ans et 26 ans, qui n’effectuait pas d’itinéraire à pied sur la commune. L’entretien s’est donc attaché à identifier les raisons pour lesquelles la personne ne cheminait pas sur le territoire, à faire raconter un moment à pied en dehors de la commune pour comprendre les composantes qui l’attiraient ailleurs et enfin à relater un ou des itinéraires passés ou réalisés ponctuellement la commune.

La cartographie Concernant la cartographie, seules deux personnes n’ont pas réalisé de carte et ces personnes étaient de Saint-Jean-le-Vieux. Il s’agissait d’une jeune femme de 18 ans qui racontait un parcours effectué en montagne et un jeune commerçant de 33 ans qui ne marchait jamais sur la commune car il venait de s’y installer récemment. Dans le premier cas, la personne se rendait au point de rendez-vous en voiture, sans être conductrice, elle a éprouvé beaucoup de mal à se repérer sur la carte. Sans le point de départ ni celui d’arrivée, elle n’a pas su retrouver le tracé. Dans le second cas, la personne était en pleine tenue du commerce quand je l’ai interrogée. Nous avons été interrompus plusieurs fois. Elle n’avait pas souhaité que je l’interroge en dehors de son activité car elle souhaitait se consacrer purement à son enfant ou au sport. Les clients ont défilé à la fin de l’entretien. La somme des circonstances, le fait qu’elle ne chemine pas sur la commune et qu’elle soit en pleine activité professionnelle a fait que je ne lui ai pas demandé de réaliser la carte mentale. Lors de l’exercice de cartographie les personnes avaient pour consigne de repérer les trajets, les ambiances, les points d’arrêts et éventuelles activités. L’exercice était relativement spontané mais parfois assez guidé. Par exemple, lorsque je voyais une personne évoquer des noms de maisons oralement pour se repérer sur la carte, je lui demandais si elle pouvait l’écrire. Aussi certaines personnes n’osaient pas écrire sur la carte malgré la présence du calque. Enfin, par l’ancienneté du fond de carte, qui date de 2018, certaines parcelles notamment à Saint-Jean-le-Vieux ont changé d’attribution. Cela a pu générer des étonnements ou légères frustrations de ne pas voire exactement l’état des choses actuel. La présence de la forêt en vision aérienne empêchait également la vision de certains sentiers. Je proposais à certaines

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personnes alors de dessiner approximativement le trajet. Certaines se sont senties à l’aise, d’autres non. La présence d’un fond aérien où se superposent des calques d’itinéraires permet réellement de comprendre les trajectoires effectuées en fonction des lieux d’habitations ou de démarrage d’une marche. Ce résultat est finalement une sorte de transcription manuelle de la narration d’une marche, une carte mentale des parcours qui ont été paysagés et narrés juste avant. La carte était effectuée à la fin de l’entretien (à une exception près pour une personne de Bidart qui s’est sentie plus à l’aise de raconter son trajet en le traçant). L’exercice pouvant sembler intimidant, les personnes se sentaient très concernées par le fait de ne pas se tromper en traçant, il intervenait à un moment propice où la parole s’était déliée et le filtre de timidité s’était levé.

Les marches exploratoires L’exercice des marches exploratoires a été très intéressant dans la dynamique qu’elle a généré en effet, malgré les contre-temps et contraintes évoquées en suivant, les marches ont été l’occasion d’échanges et de rencontres très riches. En plus d’être un temps de réflexion sur les notions de patrimoine et paysage, elles ont été un temps même d’expérience de notre sensibilité multisensorielle et affective aux paysages du quotidien par les cheminements. La première marche à Bidart (MEB1) a même été allongée sous la suggestion d’un participant qui souhaitait faire partager des paysages qui lui tenaient à cœur (68). La première marche à Saint-Jean-le-Vieux (MESJLV1) a également été modifiée (69). Le berger qui nous accompagnait nous a guidé à travers les prairies et d’autres points de vue qui n’étaient pas prévus et qui ont été hautement appréciés.

Légende des parcours de marches exploratoires : En rouge l’itinéraire réalisé En rouge pointillé : l’itinéraire ajouté En marron pointillé : l’itinéraire supprimé B’ et B’’ sont des points d’arrêts supplémentaires effectués A, B et C en marron pointillé sont des points d’arrêts qui ont été déplacés.

68. Parcours réalisé lors de la marche exploratoire MEB1 qui révèle l'itinéraire ajouté et les arrêts supplémentaires qui ont eu lieux (à gauche, source : Géoportail). 69. Parcours réalisé lors de la marche exploratoire MESJLV1 qui révèle l'itinéraire dérouté et les arrêts prévus qui ont été déplacés (à droite, source : Géoportail).

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150


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Finalement l’exercice des marches exploratoires a relevé de dynamiques très distinctes entre Bidart et Saint-Jean-le-Vieux. En effet, les deux marches à Bidart se sont réalisées dans un contexte de crise sanitaire, limitant le nombre de participant à 6 (j’ai pu mobiliser quatre habitants par marche dont deux puis un, faisaient partie du groupe des Nouveaux Commanditaires Sciences). À Saint-Jeanle-Vieux, la première marche s’est réalisée dans le cadre d’une journée plénière sur les enjeux du futur SCOT Pays-Basque Seignanx organisée par le CDPB, réunissant ainsi, pour la marche un habitant-berger, deux anciens habitants et 10 habitants de la côte basque. Le protocole d’enquête avait été révisé mais dans l’instant même de la marche, il n’a pas été suivi. Il m’était impossible de demander à une quinzaine de personne d’écrire sur des post-its, une émotion, un ressenti Aussi mon rôle s’est transformé. Guide en début de marche, j’ai ensuite laissé notre habitant berger prendre les devants pour nous montrer un point de vue et ses parcelles située à proximité d’un point d’arrêt que j’avais envisagé. Bien que j’ai gardé le rôle d’encadrant pour les débats, les questions ont vite étaient oubliées et je partais des réactions spontanées des participants pour parler de perceptions, d’attachement et de valorisation. La seconde n’a pas eu lieu. En effet, je n’ai pas réussi à mobiliser les personnes avec qui j’avais eu un entretien (bien que le créneau proposé soit celui du samedi). Certaines avaient des impossibilités, d’autres des obligations familiales. Aussi nous avions envisagé de proposer à d’autres membres du CDPB qui s’étaient inscrits à la première marche mais avaient été refusés par manque de places. Cependant ces derniers n’étaient pas disponibles. Enfin j’avais réussi à mobiliser un agriculteur qui au dernier moment a dû effectuer un vêlage. L’alternative envisagée avec le CAUE et le CDPB était de suivre des personnes dans leur marche régulière. J’ai recontacté le berger avec qui nous avions effectué la première marche à Saint-Jean-le-Vieux mais ce dernier avait déjà transhumé avec ses brebis en montagne. J’ai ensuite contacté une personne retraitée qui effectue une marche sur la commune deux fois par semaine avec son frère. Mais cette dernière est tombée malade. Cette différence d’attitude peut s’expliquer par différentes raisons : une certaine pudeur des habitants de ne pas vouloir prendre part à une dynamique de groupe spécialement avec des inconnus, notamment pour les personnes plus âgées ; le contexte de confinement levé et la reprise des activités estivales avec des contraintes professionnelles tant pour les personnes accueillant des touristes ou les agriculteurs en pleine traite et période de transhumance vers les estives et la fin

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des cours pour les enfants ; contraignant ainsi l’emploi du temps des parents qui n’envisageaient pas de venir avec leurs enfants. La question des paysages et du patrimoine, objet central de la recherche faisait facilement écho auprès des habitants de Bidart. Il en relève d’une réalité beaucoup plus contrastée pour les habitants de Saint-Jean-le-Vieux. Aussi le fait de marcher ou du moins d’être à pied est une pratique très forte sur la commune que ce soit dans le cadre d’une activité de loisir ou professionnelle. Cependant elle est très souvent, peut-être trop associée à une pratique touristique. Rappelons-le la commune est une étape clé du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Aussi les personnes étaient déroutées que je m’intéresse à elles. Enfin la marche en elle-même dans le format proposé est perçue comme une forme spécifique de la pratique du cheminement, c’est-à-dire dans un contexte de loisir et en groupe. Si elle est le théâtre même d’une expérience de la transmission et de l’attribution de valeur du paysage, elle est un format qui ne fait pas écho aux pratiques de chacun et donc peut ne pas être l’objet d’une motivation particulière.

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154


155



Seconde partie : Du paysage cheminé au paysage habité, la transmission d’une pratique sensible comme patrimoine


158


Après avoir posé les jalons théoriques, méthodologiques et territorialisés de notre sujet, cette seconde partie se propose d’élucider les liens qui s’établissent entre

expérience

sensorielle

convivialité/sociabilité

et

et

pratique

affective

des

patrimoniale

paysages en

quotidiens,

répondant

aux

questionnements précédemment posés : Si l’expérience de la marche stimule la perception du paysage sous différentes formes différentes de la vue, quelles formes de perceptions du paysage se créent pendant la marche ? Comment les individus paysagent-ils leurs itinéraires ? Existerait-t-il un lien entre expérience sensible individuelle du paysage et des formes de sociabilité ? Enfin quelle forme de relation au paysage traduisent ces sensibilités et pratiques sociales ? Quelle(s) valeur(s) patrimoniale(s) du paysage révèlent-elles ? Notre étude a révélé différents niveaux d’appréhension des paysages quotidiens allant de l’expérience du sol à l’appropriation physique et mentale et des modalités de pratiques patrimoniales spontanées. Le plan adopté ne sera pas celui d’une lecture par sensorialité comme il a déjà été établi notamment par Théa Manola (2012) ou Victor Fraigneau (2019) mais plutôt une lecture de ces différents niveaux d’appréhension du paysage, du paysage cheminé, éprouvé à celui du paysage habité. Cette analyse ne se restreint pas à la notion

de

sensorialité

mais

ouvre

aux

appréciations

physiologiques

et

psychologiques à ce dernier traduisant des relations affectives. Cette analyse soulignera également les valeurs d’attachement attribuées aux paysages quotidiens

et

révèlera

le

cheminement

à

la

fois comme

une

pratique

patrimonialisante du paysage sensible mais aussi une pratique patrimonialisée du paysage sensible. Rappelons que cette analyse se base essentiellement sur les vingt-quatre témoignages collectés via les entretiens et les trois expériences de marches exploratoires groupées vécues, l’objectif étant donc bien de transmettre la parole des habitants et usagers réguliers des communes étudiées. L’étude est très qualitative, elle ne permet pas d’établir des généralités mais s’attachera à nuancer le propos face à la diversité des profils de personnes rencontrées.

159



01. LE PAYSAGE CHEMINÉ : LA RENCONTRE DU PAYSAGE PAR LE CONTACT DU SOL Ce présent chapitre traite d’un premier niveau de perception sensible du paysage, celui de l’appréhension du pas qui rencontre l’environnement dans et sur lequel l’individu chemine. Le paysage cheminé est celui d’une sensorialité et d’un affect podotactile, dépeint par le marcheur 30 qui entre en contact avec son environnement selon un tracé qu’il se construit. En effet, à travers les différentes modalités de marches appréhendées, de loisirs, de déplacements quotidiens voire professionnels, la narration du paysage se porte d’emblée sur le mouvement du pas qui rencontre une configuration du sol. Les reportages photographiques révéleront fortement cette sensibilité au paysage appréhendé par les extrémités corporelles et qui devient aussi une motivation au cheminement. Ainsi le propos présentera le paysage cheminé comme une représentation mentale mais également une quête de paysage.

1. Le pas comme premier contact du corps à son environnement Le pied et par extension la jambe sont les membres corporels qui établissent le premier contact du corps à son environnement traduisant une réelle sensorialité podotactile. De manière plus ou moins explicite, elle est la première forme de sensibilité au paysage qui se dessine. Ce paysage traduit plus globalement un affect qui se crée par cette rencontre des « racines » du corps humain avec la Terre. Cet affect révèle un attachement au sol et aux possibilités qu’il offre.

Le terme de marcheur sera employé systématiquement pour désigner des individus qui effectuent des cheminements à pied sous n’importe quelle circonstance. Il ne se réduit pas donc à une discipline sportive ou une participation à une « manifestation collective » (Larousse). 30

161


Le récit du pas comme narration d’une marche À la question « pouvez-vous me raconter un moment de marche en décrivant ce que vous voyez mais aussi sentez, entendez ? », c’est une véritable narration du pas qui s’établit de la perception du relief à la description de l’attitude du pas. La narration du pas permet d’emblée de poser le relief comme une expérience sensorielle forte du marcheur dans son environnement. Le paysage est décrit spontanément à travers un champ lexical verbal des actions de « montée », de « descentes » ou d’espaces « plats ». Ce relief permet de qualifier des portions de chemins. Les individus décriront parfois les ambiances paysagères par le relief plus ou moins marqué et emploieront les termes de « montée », « descente » ou « en pente ». Cette expérience du relief sera parfois même amplifiée surtout pour les personnes en quête d’effort physique comme notre commerçant à Bidart (interviewé B6) qui décrit les efforts subis par le pied de manière explicite lors de la cartographie (70). Ce niveau d’appréhension du paysage est plus ou moins présent en fonction des milieux traversés. Lorsque l’expérience suggère la difficulté, la perception du paysage cheminé prend le pas. Sa description peut donc atteindre une certaine finesse sur les territoires de colline, montagneux ou littoraux, avec des nuances apportées sur les portions qui seront parfois qualifiées de plus « abruptes » ou « raides ». Sur des territoires marqués par une forte planéité, le contact du sol sera moins évoqué et l’attention au paysage sera de l’ordre de ce qui est perçu par les autres sens relevant de la corporéité générale. Chez les agriculteurs/éleveurs le relief sera paysagé par l’attitude des animaux avec qui ils effectuent des transhumances passées (interviewé SJLV3) et actuelles ou des travaux de labourage dans le cadre de cheminements passés.

« Ah oui, d'un côté la pente est abrupte et vers le bas c'est le ravin, donc la piste, elle est là. Elles se dirigent toutes seules, y a pas le choix. On a eu des bêtes qui ont glissé mais pour les sortir. » Interviewé SJLV3– Extrait de narration lors de l’entretien Cette expérience du relief est également marquée par la présence d’aménagement spécifiques, soulignant cette épreuve. Les marches par exemple, font l’objet d’une attention particulière parce qu’elles marquent une rupture dans l’attitude de cheminement. La liberté de la distance du pas, l’un vis-à-vis de l’autre, devient 162


contrainte part la configuration de cet aménagement et marque un changement brutal qui est perçu de manière plus ou moins agréable. Alors l’architecture de ses marches (interviewée B1) est dépeinte avec une grande précision et révèle ce lien établit entre la rencontre du pas avec un relief et une texture de sol et l’appréhension du paysage environnant.

« Les marches sont trop grosses, trop séparées. Ce n’est pas agréable pour la foulée. Même moi qui est sportive je trouve que c’est difficile. (…) C’est tellement trop large, en fait les marches sont tordues. Normalement, si tu fais une marche tu en fais trois puis une petite descente puis tu recommences comme c’est raide. C’est un peu dommage. » Interviewée B1– Extrait de narration lors de l’entretien La narration d’un cheminement est également l’occasion de comprendre la configuration du territoire par le mouvement du pas et du corps. Les virages et les diverses attitudes de cheminement « en boucle », « en ligne droite » ou de demitour (interviewée SJLV1) renseignent sur les chemins, leurs directions et connexion préfigurant des formes d’organisation du territoire. Toute forme d’aménagement peut alors être paysagée comme la présence de « pont », de « passerelle en bois » ou de « boviduc » et révèlent les éléments forts de géographie du territoire : la présence de l’eau, le besoin de franchir un obstacle naturel (passerelle) ou artificiel (passage sous une route départementale).

« Je prends à gauche pour aller sur la grande route, je prends à droite, je traverse le petit pont. Là je continue, j'arrive à une patte d'oie au bout d'un moment. Je reprends à gauche jusqu'au lac d'Harrieta. Je passe devant le lac d'Harrieta. Et je redescends. Et après, je fais demi-tour. » Interviewée SJLV1– Extrait de narration lors de l’entretien Cette sensibilité podotactile traduit aussi la rencontre du corps avec la matière du sol naturelle comme artificielle. Les textures de « goudron » ou « bitume » seront opposées aux chemins de « terre ». Elles sont renseignées surtout

163


70. Extrait de cartographie réalisée montrant l’effort du corps qui construit une perception du paysage (interviewé B5). 71. Extrait de cartographie montrant la perception des différents types de sol (interviewé B3)

164


par le champ lexical mobilisé pour qualifier les typologies de chemin traversés : les « routes », les « sentiers », les « chemins de terre » (71). Et sont parfois décrites dans leur état « gadouilleux » (interviewée B7) ou avec de la « boue ». Les abords de routes sont également paysagés comme second plan du paysage cheminé. Dans les contextes plus urbains, c’est la texture du chemin emprunté et de ses accotements qui fera l’objet d’une attention plus ou moins scrupuleuse par les interviewé(e)s. D’ailleurs, les accotements sont évoqués pour leur caractère bien ou mal entretenus. Ils font partie des premières perceptions des paysages pour plusieurs personnes qui cheminent à Bidart dans des contextes plutôt de loisirs. Ils participent aussi à une appréhension agréable du paysage. Une jeune femme qui court souvent sur la commune réalisera une reportage photographique des différents sols et accotements qu’elle rencontre sur ses itinéraires quotidiens. Elle décrira le caractère plus ou moins bien entretenu et agréable de ces espaces en fonction de leur nature végétale, minéral (72) ou de leur entretien (73). Au troisième plan, le sol des espaces végétalisés proches des chemins est paysagé dans sa nature de « prairies » ou d’« espaces enherbés » et parfois même dans son état.

« Et après, il y a un petit chemin qui s’en va. Alors là, c’est gadouilleux. Puis ça va en bas, vers les champs entretenus, en fin où ils font de la prairie. J’ai pas vu le maïs, je m’en vais fouiner partout dans les petits chemins. » Interviewée B7– Extrait de narration lors de l’entretien Dans le cas de la commune de Saint-Jean-le-Vieux, contexte plus rural, la nature du sol et la configuration du chemin seront également paysagés mais l’attention se portera plutôt sur leur nature que sur leur caractère entretenu. En effet, les sols seront qualifiés en fonction de leur typologie « prairie », « terre », « champs » avec une certaine précision par les agriculteurs qui identifient avec précision la nature des végétaux. En effet, un berger que j’avais interviewé (interviewé SJLV8) et qui nous a accompagné lors de la marche exploratoire à Saint Jean-le-Vieux a attiré notre regard sur un champ de luzerne qu’il a identifié. L’évocation de l’entretien des abords de route se fera uniquement par des personnes originaires ou vivant dans des contextes plus urbains comme une assistante maternelle qui travaille depuis six années à Saint-Jean-le-Vieux et qui est originaire de la région parisienne (interviewée SJLV9). Elle évoquera brièvement le caractère entretenu des voies et des abords notamment aussi parce

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72. Photographie qui montre des accotements de chemins parfois perçus comme désagréables par leur caractère artificiel ou pas assez naturel (interviewée B1). 73. Photographie réalisée par l'interviewée B1 pour parler des accotements de chemins entretenus qui participent à des moments agréables de ses itinéraires quotidiens (interviewée B1).

166


qu’elle chemine avec une poussette et que la nature du sol influe sur la praticabilité du chemin par ce genre d’équipement.

« Le trajet commence par une petite départementale. Ensuite, passe sous un boviduc, sous la nationale. On arrive à la ferme directement sans trop croiser de véhicule. Le long de ce chemin, on va dire qu'il est plutôt sauvage, juste entretenu. » Interviewé SJLV9– Extrait de narration lors de l’entretien Les textures de routes sont particulièrement décrites par les agriculteurs qui les perçoivent par l’attitude du comportement des animaux avec lesquels ils cheminent. En effet, un ancien agriculteur interrogé (interviewé SJLV6) se souvient des matériaux de la route par le bruit généré par l’attelage qui accompagnait les vaches qu’il faisait transhumer en montagne. La rencontre du sol par l’animal ou l’équipement génère une stimulation sensorielle visuelle (par l’observation du comportement de l’animal) ou même sonore (le bruit généré par l’attelage) qui relève d’une perception de l’agriculteur cheminant. Le paysage sensoriel dépeint est donc celui de cette rencontre plutôt que de l’environnement extérieur perçu directement à partir du corps de l’individu. En effet, le corps de l’agriculteur semble s’étendre à celui de l’animal ou de son équipement.

« La route n'était pas goudronnée. C'était une route empierrée et quand on allait avec des vaches attelées, c’étaient des roues en bois cerclées de fer. Mais ça faisait beaucoup de bruit. » Interviewé SJLV6– Extrait de narration lors de l’entretien

La praticabilité et la fonctionnalité du sol comme valeur paysagère De cette sensibilité au paysage cheminé se dessine une réelle valeur usuelle du sol se dessine vis-à-vis de l’attention et de l’attachement porté aux paysages. En effet, la rencontre de la matérialité et du relief du sol suggère des possibilités d’usages et de praticabilité de celui-ci. Cette valeur a été explorée et questionnée lors des marches exploratoires tant sur les possibilités de cheminements qu’ils permettent que sur leurs aspects productifs et usuels. Naturellement, cette question de praticabilité est définie selon un degré de contrainte dont le vécu est propre à chaque personne et à sa pratique de la marche. Cette valeur est donc discutée et débattue en fonction des types de cheminement 167


adoptés : loisirs, professionnels, quotidiens usuels qui attribueront une appréciation d’une texture ou d’une configuration propre à chaque individu, ces valeurs pouvant entrer en opposition ou se superposer. En effet, des personnes cheminant dans le cadre de marche-loisirs apprécieront la possibilité de cheminer pour rencontrer une diversité de reliefs, textures sans pour autant que leur cheminement soit contraint. Par exemple, la présence d’un chemin terreux est hautement appréciée pour une personne retraitée de Bidart (interviewée B7), cependant sa détérioration par le passage de motos contraint sa pratique et génère une dépréciation de celuici. La même caractéristique de chemin terreux sera dépréciée par une jeune femme de Bidart (interviewée B1) qui court sur la commune et dont la course est contrainte par la formation de boue en cas d’épisodes pluvieux.

« Et c’est là, justement, que je vous disais où il y avait ce panneau, où les motos ne doivent pas passer et nous massacrent le chemin parce qu’il y a de la boue comme ça. Alors on passe sur les côtés. » Interviewée B7 – Extrait de narration lors de l’entretien « Ça dépend avec le temps. S’il a plu beaucoup c’est une catastrophe vers Erretegia car il y a trop de boue. » Interviewée B1 – Extrait de narration lors de l’entretien Ces chemins terreux ou à texture végétale sont généralement appréciés par les personnes effectuant de la marche type « randonnée ». En effet cela s’explique par leur caractéristique souple qui permet un pas plus doux et agréable.

Maurice 31 spontanément exprime une volonté de trouver des chemins « en terre, pas du bitume ». Je lui explique qu'il y en aura. Les personnes demandent à se situer sur la carte. Ce dernier s'attend à une randonnée et il décrit la nécessité de « terrain plus souple ». Anne* explique que le problème ici de marcher en dehors des chemins balisés, cela risque d'abîmer les cultures « et les agriculteurs, ils sont pas d'accords ». Extrait de narration de la marche exploratoire à Saint-Jean-le-Vieux.

31

Les noms des participants ont été anonymisés.

168


Cependant, il est intéressant de s’arrêter sur l’expérience relatée par une mère de famille présente avec nous lors de la seconde marche exploratoire effectuée à Bidart ou par l’assistante maternelle qui a pour habitude de marcher avec une poussette et des enfants en bas âge à Saint-Jean-le-Vieux. Ces dernières apportent un nouveau regard de certains moments de marche et d’arrêts généralement appréciés. Elles souligneront par exemple certaines configurations de trottoirs par exemple ou de route, très appréciés ne sont pas forcément très praticables en famille lorsqu’il s’agit de faire attention à soi et à ses enfants. Et pointeront la difficulté de cheminer sur des chemins terreux, « en pleine nature » avec des poussettes (interviewée SJLV9).

« Non, mais il y en a certaines qu'on aimerait faire, mais qui ne sont pas carrossables avec des poussettes. C'est ça qui est embêtant. » Interviewé SJLV9– Extrait de narration lors de l’entretien Dans d’autres cas, les valeurs de praticabilité ou d’usage du sol se superposent en fonction des profils et des types de marches adoptées. Par exemple une route bitumée sera appréciée par un agriculteur-éleveur par la facilité de cheminement qu’elle permet dans le cadre de son activité professionnelle. En effet lors d’un débat sur les routes bitumées, leur perception agréable/désagréable parmi les participants de la marche MESJLV1, ces derniers emploient le terme de « semiurbain » pour qualifier l’influence de la présence d’une voie goudronnée sur l’ambiance paysagère perçue par les participants. Cependant le berger nous accompagnant utilisera plutôt le mot « utilitaire » pour décrire le mouvement des camions qui circulent. En effet, ce dernier affirme qu'il y a beaucoup de circulation avec les camions, les transhumances, les piétons, les voitures. Enfin l’aspect sécuritaire des chemins a été évoquée systématiquement par les mères de famille à Bidart lors des entretiens (interviewée B12) ou des marches exploratoires (marche MEB2). La présence de trottoirs, la faible fréquentation, le balisage ou le sentiment d’être protégés seront autant d’éléments qui seront rappelés pour évoquer une perception agréable du sol et du paysage. Le reportage photographique réalisé par cette même personne interrogée révélera les aménagements de voie, gages de sureté parce qu’ils permettent de délimiter les usages entre la voiture et le piéton (74) et garantissent une forme d’« accès à l’environnement » par l’aménagement de voies dures dans des contextes plus

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naturels qui ne permettraient normalement de circuler avec certains équipements comme la poussette (75).

« Alors si on fait le chemin de l’école avec mon fils. Donc, ce qu’agréable, c’est déjà qu’il y a des trottoirs. Oui, c’est déjà agréable pour aller à l’école. (…) Et après, ça c’est côté boulot. Et côté loisirs, on part beaucoup par la voie verte. Donc là, c’est que pour les piétons et les vélos. Les enfants, même les enfants, ils prennent le vélo et ils peuvent partir tous seuls jusqu’au Kirolak. Tout est sécurisé et ça nous amène jusqu’à l’océan. Donc, c’est très, très agréable. » Interviewée B12 – Extrait de narration lors de l’entretien La valeur productive du sol sera perçue notamment par les agriculteurs. Pour en revenir à la luzerne que nous montre notre berger Donazahartar, participant à la marche exploratoire de Saint-Jean-le-Vieux (MESJLV1), il se déclare étonné d’en voir. C'est un végétal peu présent au Pays Basque car l'hiver, « on peut pas le pâturer » (citation du participant). Chez cette même personne qui a fait l’objet d’un entretien (interviewé SJLV8), les qualités productives du sol sont vectrices de cheminement. En effet, cette personne affirme faire plus de transhumance avec ses brebis afin que celle-ci « broutent plus ». De plus la rotation assure la possibilité à l’herbe de repousser et donc de constituer une denrée pour son bétail.

« Il est toujours différent parce que tous les jours, je change de parcelles. Et là maintenant je change deux fois par jour de parcelles en cette saison. Autrement, elles restent couchées les brebis et elles pâturent pas. Alors que quand je change de parcelles, elles sont tentées à chercher de l'herbe fraîche. » Interviewé SJLV8– Extrait de narration lors de l’entretien Lors des entretiens et dans le cadre des marches exploratoires effectuées à Bidart, des aspirations d’appropriation et de praticabilité spontanées du sol ont été exprimées. Cette valeur de praticabilité s’est exprimée systématiquement par les désirs des marcheurs de trouver des lieux où l’appropriation individuelle ou collective est possible. Cette valeur n’est pas une condition indispensable d’appréciation des lieux mais permet de laisser la personne, s’adonner à une forme d’imaginaire porté par des rêves, des aspirations. Cet aspect revêt de conditions différenciées notamment liées au sol et à l’ambiance perçue que nous aborderons

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74. Photographie qui décrit les chemins sécurisés et trottoirs d’un trajet quotidien à l’école et à son lieu de travail.(interviewée B12). 75. Photographie qui montre une voie aménagée facilitant les cheminements à pied sur la commune (avec des enfants) notamment dans des espaces décrits par leur caractère végétal et « naturel » (interviewée B12).

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dans le chapitre 03. Le paysage habité : le cheminement comme milieu où s’établir au paragraphe Le cheminement par le point d’arrêt comme volonté de s’établir

dans son territoire. Enfin, la nature des sols traversés peut également porter des valeurs d’attachement aux services écosystémiques qu’ils apportent. En effet, la perception d’espaces enherbés et plus globalement végétalisés sont appréciés par la vocation écologique en territoire urbain et rural. Nous approfondirons cette perception écologique des sols dans le chapitre 03. Le paysage habité : le cheminement

comme milieu où s’établir au paragraphe Le vivant : enjeu du patrimoine.

2. L’épreuve du sol comme construction d’un cheminement La matérialité et la configuration du sol perçues comme premiers paysages génèrent des attitudes de cheminements identifiées par l’attitude corporelle du marcheur et dans son éveil au paysage. Ces attitudes conduisent dans l’acte de cheminement à suivre un tracé, une direction choisie plus ou moins consciemment.

La configuration du sol génère des attitudes corporelles de déambulation En effet, l’expérience des marches exploratoires a permis de mettre en évidence le lien entre la configuration du sol marché, les ambiances traversées et l’éveil au paysage produit. L’expérience résulte en réalité d’une somme de conditions où l’ambiance paysagère sensorielle environnante, particulièrement sonore,

conditionne

également

l’attitude

de

cheminement.

Ces

marches

exploratoires groupées sont assimilées à une pratique du cheminement qui relève soit du trajet quotidien usuel (domicile, école) soit du loisir. Elles ont été élaborées pour

permettre

une

expérience

du

cheminement

dans

des

contextes

d’environnements et de sols traversés très différents et d’analyser l’attitude de marche qui en découlait. Ces différentes configurations ont été décrites dans un tableau (Tableau 1) qui constitue une ébauche d’analyse de ces modes de marches conditionnés par l’environnement cheminé et la superposition des usages du sol, générant un environnement sonore plus ou moins propice à l’éveil paysager. Par exemple dans un contexte urbain, la présence d’un trottoir mince voire inexistant avec une forte fréquentation routière à proximité peut contraindre le cheminement. Cette configuration du sol couplée à une ambiance sonore propre 172


Configuration du sol

Échanges entre participants

Ambiance sonore

Éveil au paysage

Route, absence de trottoir

Urbaine, très fréquentée, fond sonore de circulation importante

Attention sur le paysage cheminé, la sécurité

Faible

Route, absence de trottoir

Urbaine, peu fréquenté, fond sonore de circulation faible

Attention sur l’ambiance environnementale

Fort

Chemin de terre, chemin étroit

Rural, forestier, parc végétalisé

Attention sur l’ambiance environnementale

Fort

3

Chemin de terre, chemin large

Rural, forestier, parc végétalisé

Attention sur l’ambiance environnementale

Fort

4

Route, trottoir étroit

Urbaine, très fréquentée, fond sonore de circulation importante

Attention sur le paysage cheminé, la sécurité

Faible

Route, trottoir large

Urbaine, très fréquentée, fond sonore de circulation importante

Attention sur le paysage cheminé, la sécurité

Faible

7

Route, trottoir étroit

Urbaine, peu fréquenté, fond sonore de circulation faible

Attention sur le paysage cheminé

Faible à modéré

Route, trottoir large

Urbaine, peu fréquenté, fond sonore de circulation faible

Attention sur l’ambiance environnementale

Fort

8

Rural, campagne, forestier, fond sonore faible

Attention sur l’ambiance environnementale

Fort

9

Prairie, espace enherbé Prairie, espace enherbé

Urbaine, fond sonore de circulation importante

Attention sur l’ambiance environnementale

Faible

10

Situation

1

2

5

6

Tableau 1 - Classification des différentes expériences de cheminement réalisées lors des marches exploratoires à Saint-Jean-le-Vieux et à Bidart

173


au contexte urbain routier génère une attention au paysage cheminé et un moment d’échange faible à modéré puisque le groupe sera amené à marcher en file indienne ou en duo. Le rythme de la marche sera assez rapide et l’espace sera vécu comme un lieu de transition. Aussi les arrêts même brefs et spontanés sont quasi inexistants. D’ailleurs une des participants à la marche exploratoire MEB2, mère de famille souligne le caractère contraignant de certains trottoirs trop étroits qui limitent les moments d’échanges qu’elle a avec ses enfants lors des trajets du quotidien reliant leur domicile à l’école où ils sont scolarisés. En effet, elle décrit ce moment de marche comme un véritable temps d’échange important, qui devrait être fort, mais qui reste contraint par la configuration du sol, ne lui permettant pas de marcher à côté de ses enfants mais plutôt en file indienne. Lors de la marche exploratoire MEB1, la première portion de parcours a permis de révéler les divers modes d’attention au paysage de la portion traversée en début de parcours. La première partie du parcours se trouvait sur un chemin aménagé ce qui a permis à une des participantes de noter les différents éléments de paysages rencontré (76) : l’« unfinished fence » (la clôture inachevée) et les « lots of flowers

on the side » (nombreuses fleurs sur les accotements). La seconde partie de ce parcours se trouvait une route très fréquentée au moment où elle a été parcourue et la personne relève bien l’absence de « footpath » (chemin piéton) et la forte présence de « cars going fast » (voitures allant vite). Au contraire toujours en contexte urbain, cette même configuration de chemin dans une ambiance sonore plus apaisée marquée par une faible fréquentation routière permet de générer le dialogue et de faciliter l’éveil à l’environnement multisensoriel. (77). Cependant une configuration de trottoir assez étroit comme expérimenté lors de la marche exploratoire MEB2 génère une attitude particulière, de confort assez instable, où un individu se trouve sur le trottoir, l’autre sur la route (78). L’expérience de la marche en groupe réalisée à Saint-Jean-le-Vieux (79), en particulier en milieu forestier, a permis de déterminer une autre forme d’éveil au paysage cheminé. En effet, la dynamique de groupe dans un contexte propice à l’éveil multisensoriel et la configuration du chemin de terre assez étroit a généré un éveil au paysage assez singulier où la convivialité vécue était liée à l’environnement mais l’attention était centrée sur l’expérience même de la marche en file indienne plutôt qu’à l’environnement extérieur. Aussi la configuration a généré un mode de cheminement en file indienne où la dynamique correspondait à une sorte de flux commun, le rythme de la personne en avant influait sur celui de 174


76. Post-it réalisé par une participante de la marche MEB1 sur le premier tronçon de parcours (AB) relevant une perception du paysage cheminé par sa diversité

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77. Photographie qui montre la manière dont le groupe se configure sur un chemin bitumé peu fréquenté (participant, marche MEB1). 78. Photographie qui révèle les modes de marches induit par la présence d'un faible trottoir et d'une forte fréquentation routière (Clara Chavanon, marche MEB2).

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79. Photographie qui révèle des modes de marche en file indienne sur un chemin terreux étroit en forêt (participant, marche MESJLV1). 80. Extrait d'une vidéo qui montre le mode de marche dispersé sur des parcours non balisés (participante, marche MESJLV1).

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la personne en arrière et du reste du groupe. La personne en tête mène le cheminement et suit les tracés déjà établi par la terre battue et le défrichement de la végétation. Globalement le rythme de marche était modéré et les participants se sont mis spontanément à chanter pour certains. Enfin, dans un contexte de marche sans chemin préétabli, l’attitude de marche semble être plus libérée (80) où chaque personne semble être attirée par des éléments de l’environnement différents. Ainsi l’attitude est plus de l’ordre de la déambulation associée à un rythme de marche lent. Cependant ces attitudes de marches sont à nuancer avec celles adoptées notamment par les agriculteurs ou autres activités de type chasse ou pêche. En effet, ces activités génèrent une attention focalisée sur les animaux que ce soit dans le cas de transhumance, de chasse accompagnée de canins et de pêche où l’attention est portée sur le poisson recherché. En effet, dans le cas de transhumance, l’attention au paysage dépend indirectement du sol. Les nombreuses intersections, virages sont autant d’occasion pour l’éleveur de prêter une attention d’autant plus forte aux animaux qui dirigent la transhumance mais dont il s’agit de surveiller la trajectoire, celle-ci ne devant pas être déviée sous risque d’entraîner le reste du troupeau. Alors l’attention est réellement portée sur l’attitude de l’animal qui permet de déduire des éléments de paysages cheminés (intersections de routes, croisements, accidents sur le chemin, types de sol) ou de l’environnement dans une focale plus large. Chez l’agriculteur, l’attention au paysage du point de vue propre au chasseur sera sollicitée dans deux circonstances : la présence d’une ligne droite qui contraint le cheminement de l’animal ou la fin de la transhumance, le lâché du troupeau dans la prairie de destination. Ces deux occasions sont des moments où l’attention à l’animal est abaissée et l’environnement alors apparaît plus fortement depuis la perspective de la personne cheminant (interviewé SJLV3).

« Figurez-vous que l'année dernière, on l'a fait en voiture, parce que maintenant c'est carrossable. Je l'avais pas fait depuis mes 11 ans. Non non, 13 ans. À 13 ans, j'ai fait la dernière fois. Le souvenir qui me marquait le plus, c'est la descente de Laharraquy, vers Estérençuby. On longeait un ruisseau mais sur 3/4 kilomètres. J'ai toujours ce souvenir, l'eau qui coulait à côté, le ruisseau. Et les vaches qui marchaient tout le long, y avait pas besoin, y en a pas une qui allait à droite à gauche. C'est une magnifique route quoi. Après pour décrire, vous voyez, je n'ai pas, je n'ai pas le souvenir, je n'ai pas le 178


souvenir. on était obnubilé par les bêtes quand même. Je n'ai pas le souvenir. J'ai ce souvenir le long de l'eau après, on attaquait la montée. Et je n'ai pas le souvenir. L'arrivée, l'arrivée en haut. D'un côté Malbay, il y avait un etxola en haut. La vue, vers l'etxola, il y avait St-Sauveur en face. Ça, je m'en rappelle, mais autrement, on était toujours avec nos bêtes quoi. L'image la plus forte que j'ai et même en sensation c'est, je ne sais pas, il n'y avait pas 3 kilomètres, c'est le long de ce ruisseau-là. C'était un peu plat. C'était bizarre comme c'était vraiment le seul truc où on était tranquille. » Interviewé SJLV3– Extrait de narration lors de l’entretien De même, nous observons des similitudes dans les pratiques de chasse ou de pêche. L’attention est tantôt portée aux animaux accompagnant qu’à l’animal prisé. Aussi les éléments de paysages cheminés se dessinent par déduction vis-à-vis du comportement animal mais également du pas car les milieux traversés ne sont généralement pas balisés par des chemins. Le pas alors créé le chemin, un parcours qui se dessine par l’acte même de la direction et qui aura un caractère éphémère parce qu’il est en quelque sorte secret et donc non entretenu. Chez le chasseur (interviewé B9), le parcours se dessinera grâce aux chiens qui sentiront la présence de la bécasse et qui guideront le chasseur dans les cœurs de forêts non balisés. Chez le pêcheur, le chemin se dessinera au fur et à mesure des passages successifs qu’il effectuera aux abords des rivières pendant la saison de pêche. Les moments d’attention à l’environnement extérieur à son pas, se feront par déduction secondaire ou lors des moments dits de pause dans le cadre de la chasse ou de postes de pêche dans le cadre d’une pratique de pêche (interviewé SJLV7).

« Moi, alors, en début de saison, les chemins, la bécasse, c’est rare qu’elle se mettent sur des chemins. On va dire qu’il y a deux fourrés et au milieu, il y a un chemin de tracteur. La bécasse, elle ne sera jamais là. C’est trop propre pour elle. Elle va toujours au plus sale. Donc moi, quand je rentre dans les intérieurs. Donc dans ma chasse à moi, on ne voit pas, on est carrément au plus sale du bois. Et ensuite, les chemins. C’est nous qui les faisons en début de saison, parce que je fais le même parcours. Et enfin de saison, mon chemin que j’ai fait à force, il se fait. Mais c’est pas une route. » Interviewé B9 – Extrait de narration lors de l’entretien

179


« D'être seul. La nature, les oiseaux. Vous avez des truites qui gobent. On peut voir des animaux. C'est très intéressant, très intéressant. Non, non, la pêche est très, très intéressante. On voit toutes sortes de, toutes sortes de, la végétation change d'un mois à l'autre. C'est très joli. On voit la nature. » Interviewé SJLV7 – Extrait de narration lors de l’entretien Ces différentes attitudes de cheminement traduisent des modes de marche « de passage » où il s’agit de transiter d’un espace à un autre différents des modes de marche où le cheminement devient l’occasion d’éveil à son environnement par la pluralité des sens. Ces derniers préfigurent de réel instant d’introspection personnelle évoqués dans le chapitre 02.Le paysage éprouvé : le cheminement

comme vécu de paysages multisensorielles et affectifs ou moments de convivialité individuels ou collectifs que nous aborderons dans le chapitre 03.Le paysage

habité : le cheminement comme milieu où s’établir. Finalement par l’expérience qu’il permet le paysage cheminé génère une attitude vectrice de cheminement.

L’expérience du pas devient une motivation au cheminement L’occasion de cheminer dans des contextes de sol très différent devient une circonstance

motivante

et

déterminant

le

cheminement.

La

qualité

de

l’aménagement, la seule détermination au choix d’un parcours, l’expérience du pas, de la matérialité du sol dans sa réalité et de la sensorialité podotactile qu’il permet sont autant d’éléments qui déterminent la direction du cheminement. De prime abord, il semble évident que l’aménagement du sol conditionne notre attitude au paysage. Dans une acception classique de valoriser la perception des paysages, il s’agira d’envisager un aménagement permettant une foulée qualifiable d’ « agréable » favorisant ainsi un mode d’émerveillement sensoriel au paysage environnant. Cet émerveillement révèle tout de même d’une acception de la mise en scène du paysage « spectaculaire » ou « artialisé ». Cependant l’analyse de la perception des paysages par le cheminement a révélé que la sensorialité podotactile est aussi à l’origine des choix de cheminement. Alors de manière naturelle, là où la marche est perçue comme désagréable ou impraticable, le cheminement sera dévié pour appréhender des sols plus confortables ou accessibles au cheminement. Par exemple, pour reprendre le cas de notre assistante maternelle de Saint-Jean-le-Vieux, cette dernière sélectionnera certains parcours pour la qualité de sol propice à ce mode marche. 180


81. Photographie qui décrit l'environnement perçu lors d'une randonnée effectuée sur l'Arradoy et qui révèle la prédominance du chemin terreux dans cet environnement (interviewée SJLV5) 82. Photographie qui montre un chemin de terre très agréable par sa matérialité et l'ambiance sensorielle génère et qu'elle a découvert (interviewée B7).

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L’expérience du pas peut donc constituer un obstacle au cheminement lorsque le sol est impraticable (boue) ou sur fréquenté (voitures). Ce qui peut parfois paraître de l’inconfort, voire de l’impraticable est motivateur de cheminement. Ainsi de nombreux témoignages, tant en contexte littoral urbain que rural montagnard, révèlent une appétence pour les sols accentués avec des trajectoires non établies où l’épreuve du pas, dans la difficulté qu’il génère est hautement appréciée. En effet, lors de la marche exploratoire MESJLV1, l’itinéraire à partir du point B est improvisé dans les prairies pentues environnantes. Le fait de monter de cheminer à travers les prairies dont la végétation est assez haute génère une expérience décrite comme agréable par les participants. Cela fait écho aux récits de marches en montagne ou le caractère pentu qui constitue un certain défi et naturel des chemins est hautement apprécié (81). Cheminer des territoires non établis est synonyme de découverte, d’une forme d’aventure qui rompt avec un quotidien rapide et « dirigé ». Cette expérience aussi peut s’expliquer, notamment pour les éleveurs qui effectuent des marches de types loisirs, par la volonté de rester sur des sols vécus quotidiennement, appréciés et qui restent des territoires privilégiés pour eux (interviewé 11).

« Des fois, je passe par mes prairies. Au bout y a un portail, chez la voisine. Elle sait que c'est moi. C'est plus sympa que de prendre l'enrobé avec les voitures, au bord de la route. Même si c'est sympa, c'est des gens que tu connais. Je prends souvent mon chien avec moi. » Interviewé SJLV11– Extrait de narration lors de l’entretien Enfin cela peut aussi s’expliquer par une volonté de contact intense avec le sol, d’une expérience multisensorielle. La sensorialité podotactile est stimulée par le contact de la matérialité du sol. Cette même matérialité doit être « naturelle » de l’ordre du végétal (prairie, terre) (82) ou minéral (sable, rochers) (interviewé B5). Rencontrer cette matérialité traduit, dans le premier cas, une première forme de contact avec l’environnement naturel, ce qui relève chez nos participants de la « nature » perçus comme des éléments qui n’ont pas été transformés par l’humain.

« PD : Non c’est un peu différent parce qu’il y a des parties où il va y avoir un peu plus de rochers au niveau de la mer. Un moment c’est plus sableux vers Pavillon Royal ou comme ça. Non ça alterne un petit peu. Ça alterne à plusieurs endroits et à marée basse c’est toujours magnifique. 182


ÉM : C’est vraiment sur le sable que vous préférez marcher ? Y a une raison particulière ? PD : Oui parce qu’en l’occurrence on peut marcher pieds nus. C’est tout à fait une autre sensation que de la randonnée en montagne. Et ça c’est agréable de marcher sur le sable. De pouvoir passer même carrément dans l’eau un peu. Ah ça c’est très agréable ça. » Interviewé B5– Extrait de narration lors de l’entretien

Conclusion intermédiaire Le paysage en tant que perception et sensibilité est d’abord celui du contact podotactile du pas avec son environnement. Relief, matérialité, organisation des chemins construisent le paysage cheminé qui définit un premier niveau de perception sensorielle. Cette sensorialité est tantôt perçue par l’expérience de l’individu cheminant ou indirectement par le biais de l’animal dans le cas de pratiques agricoles ou de chasse et pêche. Dans ces cas-ci le corps de l’individu semble s’étendre à celui de ses compagnons de cheminement. Le paysage cheminé est dépeint aussi par le mouvement du pas, la description du relief, de la matérialité, de la configuration aménagée ou non du sol mais aussi les abords qui se dressent le long du parcours effectué. Le cheminement fait empreinte sur le territoire et la réalité physique du chemin est appréhendée sous ses caractéristiques physiques voire temporelles (dans le cas de parcours saisonniers en forêts ou près d’une rivière). Couplée aux différentes configurations du sol, l’ambiance multisensorielle induit une attitude de cheminement, une expérience du pas mais surtout construit une perception du paysage allant du paysage cheminé à l’ambiance environnementale dans n’importe quel contexte (urbain, résidentiel, rural, campagnard, côtier, montagnard). Enfin l’expérience multisensorielle du sol motive le cheminement en le dirigeant. Il revêt alors des réalités affectives par l’expérience qu’il génère et d’attachement par sa praticabilité et les usages qu’il permet.

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02. LE PAYSAGE ÉPROUVÉ : LE CHEMINEMENT COMME VÉCU DE PAYSAGES MULTISENSORIELS ET AFFECTIFS Ce second chapitre a pour objectif de révéler un second niveau de perception du paysage par le cheminement qui décrit une expérience multisensorielle, corporelle et psychologique globale de l’environnement. Ainsi l’objectif sera de dépasser une catégorisation par sensorialité pour comprendre dans un premier temps comment les perceptions multisensorielles conduisent à des relations affectives individuelles, par l’attribution de valeurs psychiques ou identitaires aux paysages quotidiens. Dans un second temps, il s’agira de décrire le paysage éprouvé comme un vécu spatialement et temporellement situé qui soustend la redéfinition d’un caractère exceptionnel aux paysages du quotidien (ordinaires comme remarquables).

1. De la sensorialité à l’affect des paysages Les entretiens et les marches exploratoires ont été autant d’occasions d’élucider une perception du paysage qui ne se limite pas au regard mais qui présente

des

caractéristiques

multisensorielles.

Par

le

cheminement,

l’environnement est source de stimulations multiples et imbriquées. Ces dernières préfigurent une relation affective aux paysages tant personnelle par les effets physiologiques et psychologiques que le paysage procure, que collectives, le paysage participant à la reconnaissance d’identités culturelles propres aux territoires cheminés.

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De l’expérience multisensorielle du paysage au paysage émotionnel Entre regard artialisé et expériences paysagères multisensorielles Cette enquête a en effet confirmé les nombreux travaux déjà effectués sur le sujet du paysage multisensoriel (Manola et Geisler, s. d.; Manola, 2012; Fraigneau, 2019). L’expérience des cheminements, racontée à l’occasion des entretiens ou des marches exploratoires, traduit une sensibilité multisensorielle aux paysages autant sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux que sur celle de Bidart. Cette sensibilité permet un attachement aux paysages qui se construit au-delà du regard artialisé communément associé à la vue. Ce présent paragraphe reprendra brièvement les sens évoqués lors des entretiens et des marches pour révéler les connexions qui peuvent

s’établir

entre

les

sens

eux-mêmes

traduisant

des

expériences

différenciées ou connectées.

« La marche qu'on fait le plus souvent à Saint-Jean-le-Vieux ici, c'est calme. Il y a rarement de voitures, mais ensuite, il y a pas mal d'endroits où on voit à 180 degrés la montagne. Ensuite, c'est vrai que je suis aussi sensible aux odeurs, surtout les foins, à ce genre d'odeurs. Après, je trouve que je suis toujours là. Ça me fait du bien. Je le fais aussi bien pour une épreuve physique sportive parce que ça fait du bien. Mais je le fais aussi parce que ça me relaxe et parfois en vélo quand je suis seule. » Interviewée SJLV2– Extrait de narration lors de l’entretien « RC : Pareil alors là, c’est les chants d’oiseaux. C’est très calme. Très apaisant. Y a même un petit ruisseau. Puis y a les odeurs enfin. Là pour le coup on a les odeurs, même les barbecues des voisins. Pleins d’odeurs qui viennent. C’est un peu ça. » Interviewée B4– Extrait de narration lors de l’entretien Tout d’abord la vue est le sens de l’étonnement qui met à distance mais aussi qui déploie par l’attention aux différents plans de vision, construisant des liens entre l’individu et son territoire. Le visuel est surtout le sens de la contemplation, dont le champ lexical est particulièrement mobilisé pour décrire un panorama par exemple. Il est également le sens du jugement esthétique, du témoignage de la présence de l’autre et du temps qu’il fait et qui passe.

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« Ça. Belle vue. Belle vue. Vue mer et village. Le village et tout le haut du village de Bidart. C’est une splendeur. » Interviewé B7– Extrait de narration lors de la cartographie Le paysage visuel est en partie culturellement marqué par une appréhension artialisée des panoramas paysagers. La vue dirige de fait le cheminement et les pratiques du territoire, en particulier à Bidart où quelques trouées urbaines plus ou moins connues sont recherchées pour apprécier le panorama entre montagne et océan propre à la commune (interviewé B11). Ainsi le panorama visuel devient ainsi le moment d’identification de repères, de lieux connus (cf. Le cheminement par le

point d’arrêt comme volonté de s’établir dans son territoire) mais également le temps d’une projection à la fois vers un ailleurs mais également vers soi (cf. Du

paysage par les émotions au paysage émotionnel et ressenti). Enfin, la vue qualifie un paysage éprouvé dont l’ambiance peut se résumer à la possibilité même de voir. (83).

« Après ça dépend des générations. Nous, nous, les locaux, les jeunes, des jeunes d’ici. C’est souvent le cas sur la terrasse à Guéthary. Alors des fois, oui bah avec David, on se pose à Erretegia, vu qu’il est à côté. Mais on s’embête plus à aller en bas pour faire le sunset. On prend les endroits où on est sûr d’avoir la plus belle vue. Chacun voit midi à sa porte. Mais c’est surtout sur les endroits où il y a moins de monde et moins facile d’accès, moins de monde. Après les Alcyons, L’accès est facile, mais surtout que là, y a tout le monde qui vient en voiture, on se gare tous. Et on zone tranquille tous ensemble, reste parfois la nuit faire la teuf. Hier on a fini à 0h30 làbas. » Interviewé B11– Extrait de narration lors de l’entretien Dans notre étude ce sens sera également mobilisé pour décrire les moments désagréables du paysage : obstacle à la vue ou élément dérangeant, dénotant de l’ambiance générale perçue ou désirée (déchets, architecture qui dénote). Ainsi la vue ne se limite aux panoramas. En effet, lors des marches exploratoires à SaintJean-le-Vieux et à Bidart, les éléments de taille plus minimale sont également paysagés par la vue et font parfois l’objet d’un reportage photographique scrupuleux. La vue devient alors l’amorce d’éveil des autres sens (84). En effet l’attention à un végétal, un animal ou à un élément comme l’eau seront l’occasion de déploiement d’une description sensorielle beaucoup plus plurielle (sonore,

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83. Extrait de cartographie qui montre les ambiances paysagères parfois résumées à la « belle vue » (interviewée SJLV2).

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85. À la vue de ce pittosporum, les participants se sont approchés pour le toucher et le sentir (Clara Chavanon, marche MEB2). 84. Post-its qui transcrivent l'expérience multisensorielle et contrastée par l’ouïe (présence de voiture, d'animaux, de machines agricoles) et la vue (participants, arrêt B, marche MEB1).

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olfactive, gustative). De l’aspect contemplatif, le sujet entre donc en immersion dans son paysage. Les perceptions sonores font également parties de l’achalandage sensoriel du paysage. Le son est le sens qui atteste de la présence ou de l’absence de l’autre. Il est évoqué majoritairement par la qualification des milieux « calme(s) » (absence soit de personnes soit de voitures) et a contrario les milieux « bruyant(s) », « fréquenté(s) » ou encore « animé(s) ». Le son est lié au visuel et peut traduire des expériences contrastées voire contradictoires du paysage. En effet, lors de la marche exploratoire MEB1, les perceptions liées à une vue dégagée sur les Pyrénées à proximité d’une route fortement fréquentée génère des sensations et sentiments « mitigé(s) » (85). Le son est également associé au règne animal en l’occurrence le « chant des oiseaux » évoqué régulièrement montre le lien établit entre perception sonore et déduction de la présence d’une faune à proximité, que le marcheur ne peut observer. Enfin le son peut être associé à des éléments comme l’ « océan », à des activités comme « un tracteur », ou à une animation. Le son peut caractériser un territoire. En effet lors de la marche exploratoire MESJLV1, le son du clocher de l’église du centre-ville est pour un habitant reconnaissable parmi tant d’autres. Cependant, le son peut constituer un obstacle au cheminement, il inhibe une expérience affective du paysage et peut générer une attitude particulière du cheminement. En effet lors de la marche exploratoire MEB2, l’arrêt réalisé près de la célèbre vue d’Erretegia (arrêt A) qui surplombe l’océan à proximité de la départementale est décrit comme un moment d’arrêt bref, qui fait ralentir, mais qui ne génère pas un temps de contemplation multisensorielle du paysage par la prédominance du bruit des voitures. Les odeurs font l’objet d’une attention particulière notamment à Saint-Jeanle-Vieux par la présence de productions agricoles de proximité et des émanations qu’elles génèrent. Les odeurs sont associées tantôt au végétal comme les « foins » ou les « fleurs ». L’expérience olfactive est d’ailleurs recherchée. Lors des trois marches exploratoires, l’absence ou la présence d’odeurs de fleurs a fait systématiquement l’objet de commentaires. Finalement les rapports olfactifs qui se dessinent sont liés au monde de la nature, rapportée à ce qui est extérieur au domaine humain et/ou urbain. Aucune source d’odeurs d’inconfort n’a été évoquées lors des entretiens à propos de cheminements. Les odeurs font parties d’un réel paysage du quotidien en évoquant les changements de saisons (période de coupe des « foins », la floraison des « fleurs », « l’herbe fraiche coupée »). Elles sont 190


presque le sens majoritaire évoqué par les agriculteurs (interviewé SJLV6). Les odeurs naturelles comme celles de « l’océan » ou « des foins » déterminent une localité précise dans territoire, un milieu spécifique (interviewée B12). Cependant les odeurs ne sont que très rarement cartographiées.

« Tandis, que moi je pourrais vous décrire quand on allait chercher l'eau avec les vaches, je pourrais par exemple, les odeurs. Les odeurs au printemps par exemple, actuellement, il y aurait eu une odeur à la fois, selon les prairies où l'on passait, il y aurait eu une odeur de fumier composté, mais le compost d'aujourd'hui n'a pas du tout la même odeur que le compost que l'on faisait il y a 50 ans. Pourquoi ? Parce qu'on utilisait la fougère etc. Le paysage a changé et les odeurs ont changé et la perception de l'air a changé. Par exemple, hier, j'ai retrouvé la météo. Et en cette saison, je disais à mon petit fils. Et voilà cette odeur, cette odeur là où il n'y a pas eu d'engrais, moi, je l'ai connue quand j'étais petit. Je n'ai pas du tout la même odeur de l'herbe qui a reçu des engrais chimiques. Ce qui fait que je suis effectivement cette génération qui a connu à la fois des paysages différents et des odeurs différentes. » Interviewé SJLV6– Extrait de narration lors de la cartographie « Donc là, c’est pareil, ça reste au goudron. Ici, il y a une forêt. C’est rigolo parce que tu te crois, t’as la mer, ici, c’est tout ce qui est l’air, les odeurs et les odeurs de la mer. Quand tu sens les embruns, tu vois, tout ce qui est odeur de la mer et tout ça et là, en fait, juste en face, t’as la forêt, c’est humide. C’est vachement chouette. C’est juste en face du Bil-Toki. Tu as déjà été là ? » Interviewée B12– Extrait de narration lors de la cartographie Aussi la sensation olfactive est associée aux sensations tactiles. Ces dernières préfigurent un rapport direct de l’être humain à son environnement matériel, terrestre et aérien. En effet, nous avons évoqué les sensations podotactiles qui dessinent une première perception du paysage dans le chapitre précédent (01.Le

paysage cheminé, la rencontre du paysage par le contact du sol) qui n’est pas exclu de ce paragraphe. Les sensations tactiles touchent aussi l’enveloppement corporel en général. La peau devient une matrice intermédiaire entre l’environnement et l’individu. Ces rapports sensoriels se rapportent aux diverses sensations d’« humidité » ou de milieux « plus secs » (interviewé B5), ils caractérisent un milieu (86).

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86. Extrait de cartographie qui montre les perceptions tactiles du paysage (interviewé B5). 87. Extrait de cartographie qui dévoile l'expérience multisensorielle et surtout gustative du paysage (orties, marrons) associée à la perception visuelle des lieux (interviewée B8).

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« Oui ça alterne un petit peu. Donc on va suivre un peu l’arrière du camping. C’est plutôt boisé et cetera. Après le milieu c’est un peu moins, déjà parce qu’on va longer l’autoroute. C’est la partie un peu plus urbanisée. Puis la fin c’est encore différent. On voit le ruisseau de l’Uhabia et donc c’est un peu plus, c’est marécageux, c’est encore mieux. C’est encore un côté différent. C’est une zone humide un peu. (…) Après on va traverser la voie ferrée donc c’est difficile de l’éviter. Parce que c’est pas la plus grosse partie. Après le reste, ce qui est intéressant. Ce que j’ai un peu plus découvert, c’est ces côtés un peu zone humide. Interviewé B5– Extrait de narration lors de l’entretien Les sensations tactiles soulignent aussi un rapport au temps saisonnier, climatique qui sera développé plus tard dans ce même chapitre, au paragraphe Percevoir le

paysage temporel. Elles sont très fortes dans les témoignages d’agriculteurs qui établissent un rapport au temps saisonnier très intime par leur profession. Ces rapports sont qualifiés par Manola de passifs au sens où ils présentent des « situation(s) dans lesquelles ils (les individus) ne contrôlent pas le fait d’être touché » (2012). Des formes de rapports tactiles actifs, c’est-à-dire « quand ils (les individus) ont touché à leur initiative » par les membres des extrémités, des pieds mais également des mains, sont évoquées notamment lors de la cueillette de fleurs ou de la recherche de contact avec un animal. En effet, de manière implicite, le toucher est évoqué lors de l’entretien avec une assistante maternelle de SaintJean-le-Vieux qui décrit la rencontre entre les enfants et les animaux lors d’une promenade (interviewée SJLV10). Dans chaque circonstance, le toucher permet finalement une découverte du monde, les prémisses d’une relation beaucoup plus intimiste qui se tisse avec le territoire.

« C'est incroyable, je ne sais pas, mais en tout cas, ça leur fait des réactions absolument impressionnantes. C'est fascinant de les voir réagir. Ils sont attirés par les animaux. N'importe quelle taille. Y a une espèce de connexion. Enfin connexion, je ne sais pas si c'est réciproque. Mais en tout cas, eux ça les rend très joyeux. Même avec les chevaux, parce qu'au départ, je pensais que c'était plutôt côté dominateur, par exemple avec des poules ou autre. Mais non les chevaux, les vaches. Heureux, voilà. » Interviewée SJLV10– Extrait de narration lors de l’entretien Enfin le goût n’a été évoqué qu’à trois reprises à Bidart et dans la perspective des sensations olfactives et tactiles. En effet, l’interviewée B4 évoquera l’odeur du 193


barbecue, l’interviewé B7 les « marrons » et « orties » collectés et utilisés en cuisine (87). Lors de la marche MEB1 la vue d’un acacia amène deux participants à s’en approcher pour en sentir les fleurs (88) et échangeront ensuite sur les recettes de beignets de fleurs d’acacia et plus largement des cultures culinaires françaises et australiennes (puisque l’autre participante était originaire de ce pays). Le goût est donc naturellement associé à la nourriture sous le prisme de l’odorat puisque ces deux sens sont mêlés, mélangés et parfois « dépendants de l’autre » (Manola 2012). Les rapports gustatifs sont aussi l’occasion d’échanges et de partage puisqu’il s’agit dans nos cas de transmettre une recette, une manière de cuisiner le végétal goûté. Le goût ne sera pas évoqué sur le territoire de Saint-Jean-le-Vieux, bien que le territoire soit majoritairement agricole. En effet les odeurs animales semblent pas suggérer des sensations gustatives bien que les élevages soient inscrits dans une dynamique de production alimentaire. Ces perceptions sensorielles sont encore une fois évoquées par les agriculteurs visà-vis du comportement de leurs animaux où le corps de l’animal semble être une extension de l’individu. La logique déductive établit le lien entre la perception d’un fait visuel observé sur le comportement animal et l’association à une perception sensorielle (sonore, olfactive, tactile) liée à l’environnement et éprouvée par l’animal (interviewé SJLV8). Cette perception est multisensorielle : visuelle, auditive (le bruit des motos) mais également tactile (humidité).

« Ça oui parce que quand y a un bruit de moto, quand ça pète un peu. Elles ont vite peur. Une voiture c'est pas grave mais les motos, ça fait beaucoup de bruit. Elles ont vite peur. » « Y a beaucoup de facteurs de boiteries. Y a l'humidité, l'alimentation qui n'est pas toujours équilibrée. L'humidité c'est mauvais. Mais même quand c'est sec aussi. On dit que quand c'est sec c'est bien, mais quand c'est sec, elles ont les ongles encore plus durs et j'ai l'impression qu'elles sont encore plus sensibles. Après la brebis boite beaucoup mais à la montagne, elle ne boite pas beaucoup. Et je pense que quand on commence à bien les alimenter avec du grain et tout ça. Elles doivent avoir des excès d'azote ou en énergie tout ça et puis c'est ça. » Interviewé SJLV8– Extraits de narration lors de l’entretien

88. Photographie qui révèle l'éveil multisensoriel (visuel, tactile, gustatif) permis par cet acacia (à gauche, photographie personnelle, arrêt B’, marche MEB1).

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Finalement, l’expérience multisensorielle est systématique. Chez certain, elle sera évoquée de manière explicite par l’évocation des « sons » ou « odeurs ». Chez d’autres, en situation de cheminement en groupe, elle sera évoquée de manière implicite par l’évocation d’attitudes associées à la sensorialité comme celle des enfants qui s’approchent des animaux ou des brebis qui boitent par temps humide. Elle est aussi implicite par l’intention de cheminement. Une personne qui travaille à Bidart et qui court quotidiennement évoquera le plaisir à parcourir la forêt, l’océan et le discours suggèrera une réelle sensibilité multisensorielle au milieu. En effet, l’expérience multisensorielle du paysage peut être vectrice de cheminement. En effet, sur les deux territoires, les contextes propices à une expérience multisensorielle, tant liée à la temporalité, comme la nuit qui est évoquée similairement à Bidart (interviewé B3) et Saint-Jean-le-Vieux (interviewé SJLV12), qu’à l’environnement (l’évocation de la forêt lors des marches exploratoires à Bidart et Saint-Jean-le-Vieux).

« La nuit, j’y vais parfois la nuit quand y a pas le couvre-feu ou le confinement. Parce qu’on entend le bruit des vagues et voilà y a plus de bruit, y a plus de gens, y a plus de voitures. Y a plus d’autres, entre guillemets, nuisances. C’est vraiment ce genre de moment où tu peux faire communion avec l’océan, écouter juste le bruit. » Interviewé B3– Extrait de narration lors de la cartographie « Et donc voilà Saint-Jean-le-Vieux, on ira se promener. On ira le soir. Parce que la fraicheur et pour le petit c'est mieux. T'as pas de voitures, c'est calme. Et tu vois je vais te dire, des lampadaires des fois c'est joli. Moi j'aime bien. Comme la neige. Quand il neige, je vais me promener. » Interviewé SJLV12– Extrait de narration lors de l’entretien

Les sensations corporelles comme description du paysage Au-delà d’une relation sensorielle corporelle et globale qui se dessine au paysage, les marches exploratoires ont été l’occasion de comprendre la place de ces sensations dans l’appréhension de celui-ci en étant l’objet même d’une description. Le paysage est perçu par les effets au corps que produit l’environnement. Cette expérience peut être vécue négativement comme l’exprime une jeune Donazatare

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qui parlera d’une expérience d’oppression vécue à un moment de son parcours sur l’Arradoy entre deux rochers (89). Ce paysage des sensations physiologiques est également esquissé dans une perspective agréable par la sensorialité que dégagent certains éléments géographiques comme la rivière (90). Le paysage est celui de l’épreuve du corps. Le rythme cardiaque qui s’accélère ou les temps de repos, les ralentissements sont des phénomènes également paysagers notamment par les coureurs. Il s’agit alors de décrire l’environnement par ce qu’il génère sur le corps, les sensations voire bénéfices qu’il lui apporte (interviewé B6). Le cheminement devient une quête de (re)découverte de ce corps par la recherche de relief, de vues, d’expériences multisensorielles, éphémères ou rares. Aussi décrire l’environnement pour certaines personnes qui effectuent surtout des cheminements dans le contexte d’une pratique sportive ou de loisirs, c’est d’abord revenir à soi, à ses sensations cardiaques, sonores, pour ensuite décrire l’ambiance extérieure.

« C’est pour faire du fractionné. On a l’avantage, ici c’est du naturel. Ça permet de faire varier le rythme, des choses comme ça. Après nous on suit le relief du parcours. Les marches, il se trouve que ça permet de couper le rythme, de faire travailler le cardio, c’est ça qui est intéressant. » Interviewé B6– Extrait de narration lors de l’entretien Le paysage est alors associé à ses effets sanitaires. Le relief n’est pas nécessairement vécu comme une contrainte mais plutôt comme une opportunité à entretenir sa santé (interviewée SJLV5). La fatigue corporelle apporte un sentiment de satisfaction et de bien-être chez les marcheurs interrogés. Le climat, au-delà de sa dimension sensorielle, il favorise le bien-être, les sensations fortes du corps confrontés aux dynamiques météorologiques, le climat est une sensation à lui-même dans sa dimension globalisante. Enfin, l’épreuve corporelle construit le souvenir d’un paysage. Une retraitée Bidartare (interviewée B10) par exemple évoquera la présence d’anciennes marches comme « ancien paysage » dont l’agencement rendait l’expérience « magnifique » et « remarquable ».

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89. Photographie utilisée pour décrire des moments désagréables liées aux sensations corporelles lors d’une marche sur la montagne Arradoy (interviewée SJLV5). 90. Extrait de cartographie décrivant le paysage par les sensations corporelles, tactiles et psychologiques, qu'il produit (interviewée SJLV1).

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« Ouais après monter faut avoir la capacité. C'est juste moi, la descente, je suis nulle. Après aussi y a un petit passage étroit, faut pas être claustrophobe. C'est des roches en fait, elles sont très serrées. Mais c'est pas très connu l'endroit. » Interviewée SJLV5 – Extrait de narration lors de l’entretien « Et du coup, ce chemin avant, il y avait juste une série de marches qui allaient tout droit jusqu’en bas des blocs, par blocs de 10-15 marches. Ça allait jusqu’en bas, tout droit, tout droit. C’était magnifique parce que vous aviez vraiment direction l’océan, direct. Bon là, c’est pareil. Les sentiers y sont en parallèle avec les marches, mais ça s’est vraiment abîmé. C’est vraiment dommage. » Interviewée B10 – Extrait de narration lors de l’entretien Cette sensation de souvenir corporel est particulièrement forte chez les agriculteurs lors de leurs itinéraires ou travaux effectués à pied ou chez le pêcheur et le chasseur interrogé. Dans le cas de ce dernier, lorsqu’il est demandé à la personne de relater son expérience, son ressenti de l’environnement, de l’expérience de marche attribuée à la chasse, la personne évoque ses sensations corporelles, de fatigue, d’effort ou de repos (interviewé B9). Son attention est portée au comportement de ses chiens, mais également à leur état physique, à leur santé. Le rythme de marche est marqué par une sorte de symbiose, de communion qui se fait entre le chasseur et ses chiens, c’est une expérience qui semble ne pas distinguer le corps humain du corps des compagnons canins. L’effort corporel sera aussi dépeint par un ancien agriculteur qui évoque les itinéraires à pied quotidien de son enfance notamment pour aller chercher l’eau. Le paysage prédomine par l’effort physique qu’il générait (interviewé SJLV6). L’effort n’est ni positif ni négatif juste relaté dans l’expérience qu’il constitue. Le paysage de l’effort permet de deviner la configuration de l’environnement cheminé.

« Dans les pins, il y a une végétation de ronce qui est dense et les chiens, ils souffrent pour traverser, les chiens, même pour nous. Il faut lever les jambes beaucoup plus haut. » « C’est assez plat. Là, je m’en morfle moins. C’est de l’entretien pour les chiens, c’est de la balade pour moi. » Interviewé B9 – Extraits de narration lors de l’entretien

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« Disons qu'on ne se posait pas la question. Si ça nous faisait plaisir ou pas, il fallait y aller. Je me souvenais toujours que les brocs, ils étaient un petit peu comme ça. Et on n'aimait pas faire ça parce qu'on avait des pantalons courts donc avec le bas, on touchait ici le mollet. Donc ça faisait mal au mollet. Et arrivé en bas, les 5 litres qu'on avait là-bas, il nous manquait un litre. Mais je dirais que ça faisait partie des corvées pour les enfants, mais qui n'était pas ressenti comme une contrainte. » Interviewé SJLV6 – Extrait de narration lors de l’entretien Du paysage par les émotions au paysage émotionnel et ressenti Lors des marches exploratoires, il était demandé de décrire par un mot : un souvenir ou ressenti, l’ambiance du lieu et l’environnement du lieu si différent. Le ressenti et l’émotion ont été des sujets plus facilement abordés en marches exploratoires (bien que quelques entretiens en aient fait la mention) puisqu’ils correspondent au vécu instantané liés à la conjonction entre un état personnel et la rencontre d’un milieu. Réitérer l’expérience avec les mêmes participants sur le même parcours pourrait ne pas générer les mêmes ressentis exprimés. Le ressenti émotion est donc lié à la sensorialité vécue dans une expérience immersive du paysage. Manola et Geisler ont d’ailleurs évoqué cette relation affective et émotionnelle au paysage que génèrent les rapports multisensoriels (Manola et Geisler, 2012). La dimension émotionnelle du paysage est également propre à l’individu et à sa capacité à exprimer un ressenti, à dévoiler une forme d’intimité. Le contact sensoriel au paysage étant d’abord corporel, le terme de « bienêtre » a souvent été employé pour décrire l’état de la personne cheminant. Pour évoquer des moments de points de vue en particulier, le vocabulaire de l’émerveillement et le champ lexical de la sensorialité ont été sollicité. Notamment lors des entretiens, un jeune Bidartar (interviewé B3) parlera de « liberté » pour décrire un point de vue offrant un panorama à 180 degrés du territoire en bord de falaise. Plus généralement les participants des marches exploratoires à Bidart ont décrit assez facilement l’état émotionnel et physiologique généré par la marche. « Alors là pour le coup la notion de liberté, d’espace. En fait je sais pas, quand je vais dans ces endroits ça m’évoque, tu vois loin, donc si tu as cette vision, je l’ai peut-être dit tout à l’heure, ça libère l’esprit, ça donne l’impression que tout est possible. »

Interviewé B3 – Extrait de narration lors de la cartographie 200


Ainsi le paysage décrit devient celui des ressentis, un véritable paysage émotionnel qui prend le pas sur les éléments caractéristiques et physiques extérieurs observables. Les termes employés pour décrire l’ambiance paysagère sont parfois ambigus entre ce qui est de l’ordre de la description extérieure et de la description d’un état intérieur. C’est en cela que réside le fait que la marche est l’occasion d’une perception du paysage en tant que fusion entre un ressenti et ce qui est perçu. Le paysage correspond finalement à ce lien qui est créé. Au-delà de l’aspect physiologique, l’état psychologique du marcheur, que ce soit dans un état de stress ou d’apaisement, sera lié à ces éléments perçus par les sens : bruit des voiture, végétal, spectacle panoramique et/ou phénomènes naturels. Lorsqu’elle est positive par exemple, telle qu’expérimentée à de nombreux arrêts lors de la marche exploratoire MEB2, l’expérience physiologique et psychologique laisse place à une dimension métaphorique et imagée (91). L’expression « mon cœur s'ouvre, je vole », le terme d’ « insouciance » sont autant d’expression de volontés et de désirs de dépassement des réalités physiques et psychologiques de son quotidien. Parfois l’expérience décrite est difficile à qualifier et des termes annexes sont employés comme celui de lasai en basque qui désigne le fait d'être « calme », « tranquille » pour allier perception personne, mode de vie, d’être et ambiance. Cette dimension psychologique du paysage caractérise l’occasion du marcheur à se situer hors du temps et à éprouver divers sentiments de paix ou d’insouciance durant sa pratique. Le rythme de la pratique lente ou à contrario très rapide (dans le cas de moments de courses) sont des conditions physiques ouvrent la libération sensorielle. Les participants ont en effet évoqué l’occasion de la marche et l’action de cheminer comme la possibilité de se déconnecter du paysage quotidien en zone urbaine ou rurale. Ces paysages constituent bien des paysages d’un territoire de vie quotidien dans l’occasion qu’ils permettent de justement se déconnecter de ce quotidien. Finalement, le marcheur paysage son territoire par ses ressentis et ses affectes et son paysage ne correspond pas à celui d’autrui. En effet, la perception des paysages par le cheminement est aussi une question d’interprétation. À l’arrêt C de la marche MEB1, situé en pleine forêt, un des participants entend le bruit de fond de l’autoroute dans la forêt, les autres ne l’entendaient pas avant qu’il ne l’exprime et une autre propose une nouvelle interprétation : le bruit des vagues.

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91. Post-its qui traduisent un réel paysage émotionnel qui est dépeint (participants, arrêt D, marche MEB2).

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Aussi cette expérience du ressenti émotionnel, de la déconnection d’un quotidien est propre à des pratiques urbaines de la marche. Chez les agriculteurs, il n’y a pas de notion de ressenti, de mise hors du temps. Le quotidien des transhumances construit une épreuve physiologique et psychologique qui ne fait pas l’objet d’une attention particulière, ne serait-ce que sur le plan pratique : pouvoir transhumer sans perturbation, sentir les variables du temps qui modifient l’attitude de cheminement et la perception du paysage. Enfin, les résultats et analyses exposées se basent sur des témoignages explicites qui ont notamment été favorisés par la configuration de petits groupes pour les marches exploratoires à Bidart. En effet, la configuration de la marche exploratoire à Saint-Jean-le-Vieux, avec beaucoup de participants qui ne se connaissaient pas, n’a pas permis un échange approfondi sur les ressentis en comparaison à Bidart. Cela dépend également de la capacité de la personne à poser des mots sur ses émotions et de l’intimité que la personne laisse entrevoir. Et enfin, cette dimension émotionnelle nécessite une sorte de prise de recul de l’individu sur son expérience qui ne correspond pas au vécu quotidien de l’instant, pas nécessairement intériorisé.

Entre affect psychique et valeurs identitaires paysagères La valeur psychique du paysage par le cheminement L’expérience émotionnelle de l’individu, conséquence des effets positifs que l’environnement apporte sur son corps et son mental, confère au paysage une valeur d’attachement. Cette valeur psychique du paysage est intrinsèquement liée à la sensorialité puisque l’émotion est induite par la capacité de l’individu à sentir les effets de son environnement sur son corps. Ce phénomène est conscientisé puisque l’individu emploie tout un champ lexical de description de son état mental ou physiologique pour décrire une ambiance paysagère. Pour en revenir aux effets corporels éprouvés par la marche, cheminer dans un paysage c’est partir à la rencontre de son corps, de son état mental. Le mode de déplacement par la marche semble lui procurer du bien, parfois même « le réparer ». Il force l’individu à s’éveiller aux parties de son corps et aux états de son mental. Ainsi le paysage décrit par le cheminement est finalement celui de l’influence psychique entre un milieu et l’individu. Les éléments perçus de manière désagréable sont ceux qui viennent rompre avec cet état psychique.

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Cette dimension psychique du paysage par le cheminement est identifiable lors des entretiens et des marches exploratoires par la mobilisation des adjectifs comme « apaisant », « calme », « bien-être », « bon », « agréable », « glauque » pour décrire une ambiance paysagère. Ces qualificatifs sont très liés aux appréhensions sensorielles du paysage (sonore, tactile, saisonnier) et relèvent d’une très forte subjectivité. En effet, lors de l’arrêt C de la marche MEB1, une des participantes aborde l'idée de « bien-être », « après la marche, le corps est bien ». Le sentiment de « paix » est évoqué après avoir remarqué le fait qu’une autre participante perçoive l’air propre par l’inspiration pour la première fois depuis le début de la marche. De même, un chasseur Bidartar exprimera comme moment agréable, le fait même de cheminer, de ressentir son corps (interviewé B9). Le paysage semble se dessiner dans cette rencontre de l’individu avec sa nature même, physique voire mentale. Finalement cheminer dans un environnement, c’est cheminer dans une réalité physique extérieure et dans sa réalité physique intérieure.

« Ce que je trouve agréable dans la marche, c’est la fatigue. J’en ai besoin. Y a des endroits qui sont très durs, je souffre et puis j’amène pas d’eau pour moi. Mais j’aime quand c’est vraiment dur, je vois une bécasse et je bataille, bataille. Quand ça a monté, monté et quand j’ai pris, j’appelle ça une branlée. Je suis mort et j’ai réussi à la prélever. C’est jouissif. J’ai pris ma branlée, je suis haché. Les chiens se sont donnés, ils ont fait le job et j’ai prélevée. Super journée. Parce que si à chaque sortie, j’en vois une, c’est jackpot. Parce que j’en vois qu’une, potentiellement, je la prendre ou pas, mais au moins, les chiens, ils en ont vu une. Le plaisir, c’est de voir le travail des chiens. » Interviewé B9 – Extrait de narration lors de l’entretien Les sensations tantôt de « plaisir » tantôt de « libération » ou de « bonheur » qualifient le moment même de la rencontre avec l’environnement par le cheminement. Elles sont vécues dans l’instantanéité et parfois dans une forme de brièveté. Ces sensations sont pleinement situées par rapport à une sensorialité éprouvée et elles ne peuvent être reproduite en dehors du milieu cheminé. C’est-àdire qu’elle résulte de la somme des circonstances entre acte de cheminement, rencontre d’un milieu sensoriel et état psychologique de la personne à cet instant. En effet, une mère de famille de Saint-Jean-le-Vieux (interviewée SJLV2) m’exprimera le fait de s’extasier et de ressentir une émotion particulière à la vue de fleurs, qu’elle ne ressent pas lorsqu’elle en voit la photographie (92). 204


92. Photographie réalisée pour qualifier les moments agréables et d’arrêts spontanés (interviewée SJLV2).

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« Alors C'est ça la vue et les vues que j'ai quand, voilà. La rivière. J'aime bien les fleurs sauvages comme ça. C'est pour ça que j'aime pas les photos. C'est pas pareil que quand je les vois sur la photo ça ne me fait rien. C'est juste pour montrer que dans votre ce que vous m'avez envoyé, il y avait écrit On s'arrête. J'ai vu les fleurs, la vue, surtout la vue, la vue, les montagnes, la montagne, la campagne. Ce vert, ces verts pardon. Ces verts différents. » Interviewée SJLV2 – Extrait de narration lors de l’entretien Ces sensations psychiques ne sont pas propres aux cheminements de loisirs. En effet, les témoignages collectés auprès des agriculteurs ont permis de comprendre le lien fort qui se tisse entre eux, les animaux élevés et le sol (qu’il font pâturer, faucher, travailler). L’expérience de transhumance ou de labourage est vécue comme une réelle épreuve collective avec des rapports de forces entre la bête et l’individu qui oscillent ou s’équilibrent. L’effort est apprécié encore une fois par le contact. Le paysage est qualifié par ces contacts, les effets physiologiques qu’ils procurent à l’individu.

« On tirait comme ça, mais on a la fois, si vous voulez, cette idée de liberté, mais de volonté de pouvoir maîtriser l'animal. Par contre, d'autres, il y a d'autres moments qui sont beaucoup plus intenses. Ce sont les moments où, par exemple, les vaches pour tirer quelque chose dans la prairie, dans le champ, qu'on venait de labourer, une vache qui est déjà habituée au travail, qui est déjà dompté et l'autre qui ne l'est pas. Et là, on se dit « Tiens, c'est moi, c'est moi, c'est moi le chef, le chef et c'est à moi de la dresser ». Et ce sont des moments, si vous voulez. Ce n'est qu'après coup qu'on a conscience de ça. Mais c'est un petit peu une espèce de rapport avec la bête pour essayer de la maîtriser. Eh oui, je serai plus fort que toi parce que voilà. Ça fait partie de ces moments forts. De là à dire qu'il est un plaisir. S'il y a un plaisir, c'est vrai de se dire : « tiens, voilà, je suis en train de devenir un homme et je vais arriver à maîtriser cette bête ». » Interviewé SJLV6- Extrait de narration lors de l’entretien Le paysage multisensoriel comme valeur identitaire individuelle Le paysage sensoriel appelle le souvenir personnel. La dimension sonore en particulier active les sphères mémorielles de l’esprit de l’individu. Les sonorités sont les moyens de se rattacher au passé. Par exemple, les bruits d’enfants, de gens, d’animation ne sont pas « anxiogène(s) » mais évoquent chez une mère de famille 206


(interviewée B4) le souvenir de ses propres enfants. Le paysage lors de marches passées est également évoqué sous le prisme des odeurs, du toucher et parfois du goût. Les odeurs en effet construisent les souvenirs de l’environnement physique ou familial voir culturel dans lequel la personne a grandi. Ainsi l’odeur des « foins », du « fumier » sera forte chez les agriculteurs et parfois évoquée chez des Bidartar(e)s (souvenirs leur enfance à la campagne). Les souvenirs tactiles sont liés à des événements saisonniers comme les transhumances agricoles ou promenades estivales. Aussi le goût pourra être sollicité dans les souvenirs de convivialité ou de partage, familial ou communautaire. Un ancien agriculteur de Saint-Jean-le-Vieux les évoquera dans le cadre d’un moment de dîner particulier avec sa famille et l’éleveur gardant ses vaches dans les estives (interviewé SJLV6). À ce dîner, il goûtait du lait de chèvre, ce qui laisse à supposer leur présence dans la parcelle se trouvant à l’issue de la transhumance qu’il venait d’effectuer.

« On croise des personnes qui font du sport. Là c’est pareil, ça a beau être animé c’est quand même calme malgré tout. Ouais c’est une animation qui est pas stressante. Non c’est pas du tout stressant, même si les gens font du sport, ils pêchent. Des personnes qui faisaient des petits bateaux télécommandés et qui font des petites courses. C’est calme quoi. Y a de gens qui hurlent, ni rien du tout. C’est vraiment des animations pas stressantes. Ça nous rappelle des souvenirs quand nos enfants étaient petits. C’est pas anxiogène. » Interviewée B4 – Extrait de narration lors de la cartographie « Nous amenions nos vaches à la montagne, au pâturage et les mettait dans les pâturages collectifs du syndicat de Cize. (…) Donc on allait là-bas, et parmi mes souvenirs, je me souviens qu'on partait à 4 heures du matin avec toutes les vaches du quartier. (...) c'était une cabane en lauze. Ah non, je veux dire en bardeaux. Et il n'y avait pas de cheminée et on dormait là-bas le soir et on buvait du lait de chèvre. Ça fait partie, du lait de chèvre qui appartenait à ce Unaia 32. » Interviewé SJLV6– Extrait de narration lors de l’entretien

En basquen désigne le berger qui s’occupe des vaches contrairement à l’Arzaina qui s’occupe des brebis 32

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93. Post-it qui évoque les souvenirs de jeux d'enfance qu’évoquent la plaine de l’Uhabia (participante, arrêt A, marche MEB1). 94. Post-it qui évoque ses souvenirs de premières randonnées dans les bois de la périphérie bordelaise (participante, arrêt C, marche MEB1).

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Les souvenirs de l’enfance donc aussi liés à l’épreuve du corps par le jeu (93) ou dans la possibilité de parcourir : l’épreuve de la falaise, de la butte ou de la montagne l’absence de chemin à l’époque des cheminements évoqués.

Moins, non ouais beaucoup moins. Par contre, après avec les enfants, ce qu'on faisait quand ils étaient plus petits, on allait très souvent au lavoir. Ils aimaient bien avec l'eau et tout ça. Du coup on passe en bas du camp romain, et puis après on descend au lavoir. Par contre, quand j'étais petite, j'allais très souvent sur la butte du camp romain. On montait, on descendait en courant. On allait faire le goûter en haut. On avait l'impression que c'était immense quand on était petit. Et en fait c'est tout petit. C'était la découverte. Interviewée SJLV10 – Extrait de narration lors de la cartographie Aussi la dimension du souvenir devient vectrice de marche. Par le cheminement, la personne illustre et se/nous plonge dans son histoire personnelle. Cheminer dans un paysage de l’enfance, ce n’est pas seulement rencontrer les lieux de l’enfance mais c’est comprendre l’environnement dans lequel la personne a grandi, sa personnalité et les valeurs auxquelles elle est attachée. Cette même mère de famille Bidartare (interviewée B4) évoque une balade réalisée à l’occasion avec sa bellefille et son fils pour se replonger dans les souvenirs de l’enfance. Les souvenirs sont donc tantôt incarnés à des sens tantôt à des lieux ou encore à des milieux. Par exemple, le fait de marcher dans une forêt lors de la marche MEB1, replongera certains des participants dans leurs souvenirs de premières randonnées (94).

Alors oui dans le sens là où lui a retrouvé, par exemple où est-ce qu’il prenait le bus, le bus s’arrêtait quand il allait à l’école puis au collège. Et on a eu la chance d’aller voir la maison et la dame qui l’a acheté, elle est sortie et on a pu voir la maison. Oui c’était trop cool. Trop cool et en même temps, un peu d’émotion car la maison n’était plus pareille mais les souvenirs étaient restés. Et du coup on a fait découvrir à sa compagne, pleins d’endroits comme ça. Et on est allé jusqu’au moulin pour acheter le gâteau basque et après on a fait retour à la maison. Interviewée B4 – Extrait de narration lors de la cartographie C’est par les souvenirs que l’identité de la personne se construit. L’environnement dans lequel elle a grandi, qu’elle a cheminé quotidiennement amène un rapport au territoire particulier puisque les stimulations sensorielles

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qu’elle a éprouvé au quotidien peuvent être retrouvées dans d’autres milieux. Par l’introspection psychique qu’il génère, le paysage possède une réelle dimension psychologique qui s’étend à la caractérisation de sa propre personnalité. En effet les expériences de marches exploratoires et la marche-entretien qui s’est spontanément mis en place avec une retraitée Bidartare (interviewée B7) ont montré comment le paysage multisensoriel amenait à parler de sa personnalité, de ses habitudes ou des choix qui ont construit son parcours individuel. Lors de la marche MEB1, par la rencontre fortuite de certains végétaux, une participante partage ses habitudes quotidiennes de jardinage et cuisine. Un autre participant évoque les sensations retrouvées de « quand (il) était petit, dans le bois » et s’adonne à une description de son tempérament solitaire et des activités de construction qu’il l’animait. Lors de la marche-entretien mon interviewée m’a invitée à porter mon regard sur les maisons et jardins qui longeaient notre itinéraire. Cela a été l’occasion pour elle de m’évoquer l’époque où elle s’est installée avec son mari, l’organisation interne de sa maison, l’espace qu’elle loue à des hôtes en AIR B&B mais aussi l’évolution du jardin, les choix qu’elle a fait, les projets qu’elle avait et qu’elle avait réalisés, les choses à améliorer. Finalement le paysage n’est pas l’objet d’une description de ce qu’il est composé mais plutôt de ce qu’il évoque ou procure. Les éléments paysagés seront systématiquement évoqués dans le prisme de la personnalité de la personne et de ses intérêts ou de son histoire. Par exemple, une mère de famille de Bidart (interviewée B4) m’évoquera les couleurs et les ombres de la forêt puisqu’elle est passionnée de peinture.

« Moi j’aime bien la peinture, alors du coup je regarde les paysages et je fais attention aux ombres, parce que ça a un lien avec la peinture. Donc quand on regarde les paysages on fait bien plus attention aux ombres. On fait attention aux différentes couleurs, en fonction des horaires de la journée. » Interviewée B4 – Extrait de narration lors de la cartographie

Le paysage multisensoriel et esthétique, garant d’une identité culturelle La sensorialité donne accès à l’esprit des lieux. Les perceptions visuelles des maisons à Bidart et à Saint-Jean-le-Vieux notamment par les personnes qui visitent

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95. Post-it qui décrit le paysage perçu depuis le point de vue comme paysage "typique" de la commune (participante arrêt B, marche MEB2).

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la commune, qui perdurent les codes basques sont sujettes à de fortes appréciations esthétiques. Lors de la marche exploratoire MEB1 à Bidart, ces maisons sont décrites avec « du cachet », « un côté traditionnel », participant à la construction mémorielle et vivante de sentiment d’appartenance à une culture collective. Cette dimension culturelle selon deux participants, marque la différence entre les personnes dites « du cru », les personnes locales qui achètent « pour la maison » et les personnes étrangères qui achètent pour la vue. Aussi, le temps du point de vue semble être celui de la contemplation du territoire et de ressentir l’« esprit des lieux qui en ressort ». De même, lors de la marche exploratoire MEB2, une des participantes exprime à l’arrêt B, en observant une vue sur la commune décrit son ambiance sur son post-it comme un mélange de « verdure » et d’« urbanisation » qui serait caractéristique de Bidart (95). Les agriculteurs sont particulièrement sensibles à cette notion d’ « esprit des lieux » mais à plus grande échelle. En effet, lors de la marche MESJLV1, la vue de la coopérative depuis le point de vue B’ choque notre berger qui déclare « on ne voit que ça ». De même, lors de cet arrêt, l’histoire du quartier Harieta est évoqué comme étant un quartier d’agriculteurs avec des bâtiments agricoles et qui a perdu en quelques sortes son essence avec la construction de nouveaux lotissements. L’esthétique du paysage est finalement l’aspect le plus mis en avant comme expression culturelle. Cependant cette question de l’esthétique peut diviser en étant un balancier entre expression individuelle et inscription dans une identité collective. Lors de la marche exploratoire MEB2, la rencontre de nombreuses maisons d’architecture typique néobasque et de quelques formes d’expressions artistiques notamment par le tag lance un débat sur l’appréciation esthétique de l’architecture locale. D’un côté, certaines personnes vont apprécier l’architecture néobasque (96) dont l’esthétique est très codifiée. En effet, selon une participante qui vit depuis plus de 40 ans à Bidart, cette esthétique renvoie à la culture locale décrite par l’idée de l’etxe 33, de l’attachement à la famille, du lien social. L’entretien des maisons participent à une sorte de bon-vivre, d’esprit village auquel elle s’identifie. Garantir l’esthétique des maisons va de pair avec la dimension culturelle et identitaire.

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« Maison » en basque

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²

96. Photographie qui dévoile l’intérêt pour la maison néobasque inspirée de l'etxe traditionnelle (participant, marche MEB1). 97. Photographie qui montre les tags rencontrés sur le parcours (participant, marche MEB2).

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98. Photographie qui montre le bâtiment agraire qui a suscité le débat pour ses qualités esthétiques et le modèle agricole qu’il porte (participant, marche MESJLV1).

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Pour d’autres individus, cette qualité esthétique est perçue comme une mise en valeur pure du village, d’une sorte d’identité commune revendiquée par le maintien d’une uniformité visuelle, associée même à une dimension « touristique ». Cependant en tant qu’individualité, elle sent sa créativité peut-être plus contrainte et limitée. Finalement l’idée d’une esthétique plus libérée peut diviser. Des actes spontanés d’expression incarnés par les tags par exemple ne font pas consensus (97). De plus la question esthétique est naturellement une question de subjectivité. En effet, lors de la marche MESJLV1, la vue d’un bâtiment agricole (98) qui abrite un élevage de volaille suscite le débat sur le côté « américain » porté par la technique agricole qu’il incarne. La personne l’ayant construite est en effet d’origine américaine. Ce bâtiment est déprécié par certains participants par l’esthétique qui dénote avec le contexte et le modèle dont il est porteur. Ainsi l’expression artistique ou identitaire individuelle soulève le paradigme de la revendication identitaire culturelle par la dimension esthétique et la place qu’elle laisse à l’expression individuelle. Le paysage acquiert une valeur esthétisante en étant porteur d’une identité culturelle et territoriale. Si Maitane Ostolaza a pu analyser le paysage situé « au centre des processus de création et de transmission de l’identité nationale » (2017), les témoignages recueillis dans notre étude soulèvent bien la dimension « revendicatrice » d’une identité territoriale par le paysage. Cette question de l’esthétique des paysages telle qu’elle est analysée ici effleure les conflits identitaires que traverse le Pays Basque, terre d’accueil et territoire de vie. Un jeune Bidartar (interviewé B11) effectuera le lien entre paysage et conflits entre une population locale et une population touristique. Il a évoqué le fait de ne plus marcher ou de se rendre à pied à Bidart bien qu’il y réside. Il n’a d’ailleurs pas émis des désirs de cheminer sur la commune pour deux raisons : la dégradation des paysages, évoquée par l’évocation de déchets associés à l’activité touristique et l’enjeu prioritaire de l’accession au logement, exacerbé par la succession des périodes de confinement qui a généré une augmentation du foncier local et une difficulté pour les habitants locaux d’y accéder.

« Non, nous surtout, c’est de pouvoir se loger. C’est le plus important que de zoner (traîner) quelque part. Sauf que juste avant, quand tu fais un loyer à 200 000 balles alors que tu gagnes que le SMIC. Pas facile. Par contre, bah les parisiens qui ont la tune, ils peuvent. C’est un peu le problème. Mais après tu crées des villages morts. Comme Hendaye, où il n’y a pas un chat à part le week-end. » 215


« Les gens font des apéros sur ma cabane et après ils laissent tout comme ça en plan. Ils nettoient pas. Ou par exemple, les locaux aménagent une sorte de douches avec un réseau fluvial ici. Et que c’est beau. Le lendemain, tu la vois parce qu’un mec bourré la détruit en s’amusant avec. C’est plein de choses comme ça qui font qu’on en a marre des touristes. » Interviewé B11 – Extraits de narration lors de l’entretien

2. Le paysage, un vécu spatio-temporel Cette étude a également permis de comprendre la dimension spatiotemporelle de l’expérience multisensorielle du paysage par l’individu cheminant. Le vécu sensible relève donc d’une dimension spatiale par la perception des milieux, lieux et espaces à différentes échelles mais également des éléments physiques de taille minimale dont l’ensemble constitue des éléments paysagers. Il possède également une dimension temporelle. Le paysage temporel est celui d’une sensibilité du marcheur au climat, à l’évolution de son territoire. Par ses caractéristiques spatio-temporelles, le paysage quotidien est un vécu de l’instant et revêt d’une forme de caractère exceptionnel par son côté parfois éphémère et sa capacité à stimuler voire à surprendre l’individu marchant.

La sensibilité du tout et l’attention au détail La sensibilité aux paysages se porte sur des milieux, ambiants ou géographiques

vécus

comme

des

expériences

sensorielles

et

affectives

globalisantes. Cependant, les reportages photographiques et les marches exploratoires réalisées sur les deux communes ont mis en évidence la construction d’un paysage affectif du quotidien, basée sur la rencontre d’une succession d’éléments singuliers. Le paysage comme succession de milieux englobants Les milieux géographiques sont perçus comme des expériences et ambiances sensorielles englobantes et singulières. Cela signifie que les éléments paysagers relèveront d’éléments généraux comme les types de chemins parcourus ou les milieux traversés. Ces derniers sont un seul mot pour désigner une expérience multisensorielle globale. Il s’agira de mentionner le terme de géographie associée au milieu ou à l’occupation du sol : les espaces agricoles, la 216


« forêt », la « campagne », l’activité qui s’y produit : « agriculture », une composante du milieu qui domine : l’ « océan » ou une caractéristique physique : la « montagne » et les « collines ». (99). Ainsi, une retraitée de Saint-Jean-le-Vieux (interviewée SJLV4) évoquera les ambiances paysagères de son parcours par le terme « agriculteurs » qui associe l’activité humaine à la définition d’un paysage et à la présence d’animaux et par le terme « forêt » qui désigne une expérience paysagère globale notamment associée aux bruits d’oiseaux, aux effets ombragés et plus frais.

« L'ambiance est aussi, c'est plus des agriculteurs. Y a des animaux. Après y a une petite forêt. C'est très animé avec les oiseaux. » Interviewée SJLV4– Extrait d’entretien lors de la narration Chaque milieu se voit donc attribuer des caractéristiques singulières presque stéréotypées que ce soit à Saint-Jean-le-Vieux ou à Bidart. Ces caractéristiques sont liées à l’expérience multisensorielle qui s’y produit et permet de distinguer plus ou moins finement des ambiances différenciées au sein d’un même milieu. D’abord, les zones résidentielles de campagne ne sont mentionnées qu’à Bidart et regroupent des caractéristiques à la fois visuelles et sonores. En effet, elles sont synonymes de perceptions liées à de « belles » propriétés situées sur des espaces « verts » très généreux où le végétal, de jardin majoritairement (par les fleurs, les arbres et l’herbe) contribue à la définition d’un cadre qui reflète l’idée d’un équilibre entre construction et préservation des espaces naturels. La sonorité de ces espaces se rapporte à une ambiance de « calme » où des brides de chants d’oiseaux peuvent être perçus. En effet lors de la marche exploratoire MEB1 les propriétés parcourues entre l’arrêt B et l’arrêt C font l’objet de beaucoup d’admiration. Selon un des participants, ces propriétés ne tuent pas le côté « campagne », « on n’enlève rien à la nature, les oiseaux chantent, on ne ressent pas l'urbanisme ou le béton comme le bord de la mer ou ailleurs ». Sa femme d’ailleurs trouve ça simplement « beau », avoir de grands espaces de jardins contribue selon elle au respect de la nature. Enfin un autre participant plus jeune acquiesce en disant que « campagne ne veut pas dire agricole, c'est campagnard, on ne sent pas l'urbanisme ». Ces mêmes « campagnes » ne font pas l’objet d’une description très précises à Saint-Jean-le-Vieux, les discours permettent de deviner qu’elles sont

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99. Extrait de cartographie montrant la perception des ambiances paysagères par les milieux géographiques (interviewé B2). 100. Post-its qui traduisent les sensations ressenties et émotions au bord de la falaise vers l'océan (participants, arrêt D, marche MEB2). 218


assimilées aux quelques hameaux d’habitations qui sont présents sur la commune dans un contexte relativement agricole ou forestier. Les zones résidentielles et urbaines font l’objet de très peu de description plus précise que le qualificatif « zone résidentielle » à Bidart. Elles sont parfois assimilées à la configuration du chemin parcouru, la « route », le qualificatif « goudronnée » ou la présence d’un « trottoir ». Elles font l’objet d’expériences sonores fortes « bruyantes », d’« animation » ou même parfois de « calme » relevé lors que l’absence de bruit semble procurer un étonnement ou déconstruire un apriori. Les ambiances de zones résidentielles ou urbaines n’existent pas à Saint-Jean-le-Vieux. Les zones résidentielles sont qualifiées par la densité et l’absence de vues remarquables, le côté minéral (« trottoirs ») et fortement marqué par les pratiques anthropiques (« espace piéton ») (interviewée B12).

« Là, c’est la route. Ici, c’est l’autoroute, donc il y a plus de bruit. Mais il y a des trottoirs et un espace quand même piéton. Donc, si tu veux, bon, c’est pour ça. En fait, on va ici, c’est très agréable. Là, c’est parce que ça nous fait un chemin. C’est pour pas, tout le temps, c’est pour faire une boucle. Il y a un espace piéton, donc voilà. Mais c’est sûr que la vue n’est pas aussi agréable. C’est très résidentiel. » Interviewée B12 – Extrait de narration lors de la cartographie L’océan est le territoire multisensoriel et affectif par excellence. Sa mention est l’objet systématique d’une description de ce qu’il procure d’un point de vue sensoriel et émotionnel (100). La sensorialité s’exprime par la vue, l’horizon dégagé sur l’eau mais également le territoire littoral du Pays Basque, par l’ouïe permise par les vagues, les odeurs d’embruns et parfois le goût dans l’air salé (interviewée B12). Il est surtout le milieu de l’expérience tactile, l’expérience du corps à la falaise, au sable, à l’eau. Il est le territoire où l’individu est à la recherche de contact physique et psychologique avec son environnement.

« T’as la mer, ici, c’est tout ce qui est l’air, les odeurs et les odeurs de la mer. Quand tu sens les embruns, tu vois, tout ce qui est odeur de la mer et tout ça. » Interviewée B12 – Extrait de narration lors de l’entretien La rivière correspond au milieu multisensoriel qui apaise. Elle est un élément géographique systématiquement évoqué par sa sonorité (dynamique de l’eau qui 219


coule), ses qualités tactiles (puisqu’elle est associée aux espaces ombragés) (101). Pour les pêcheurs, la rivière est vue comme un réel biotope qui permet une expérience corporelle totale. En effet, un pêcheur Donazahartar (interviewé SJLV7) distinguera les différentes ambiances propres à la rivière par le relief et l’expérience du pas. La rivière est presque cartographiée dans le discours par la végétation qu’elle présente, ta topographie subaquatique, les espèces qu’on peut y rencontrer.

« C'était dégagé. Il y avait des endroits où, c'était dégagé. Là, maintenant, c'est un peu dense, moi je pense que c'est moins entretenu qu'avant. Que les années qui a 10/15 en arrière. Il y a des ruisseaux où on ne peut plus pêcher parce que justement, ce n'est pas du tout accessible. Les ronces ont pris le dessus. C'est plus délicat comme pêche. Pour des jeunes qui débutent à la pêche, là c'est pas possible. Les cannes sont grandes. Il faut des endroits quand même assez dégagés pour apprendre à pêcher. (…) Tout à fait. On s'adapte. Si on pêche sur une fosse, on va avoir une profondeur, une profondeur de pêche huit fois plus importante que si on pêche un courant ou une bordure avec 5 centimètres d'eau. On s'adapte continuellement à l'environnement, l'environnement. Autant les appâts, c'est pareil, il faut s'adapter un peu, regarder ce que mange la truite, le poste qu'elle a. Où elle est ? Qu'est-ce qu'elle fait ? À quelle heure ? Il faut essayer de s'adapter. Vous pouvez très bien pêcher au ver le matin et au bout de 10 heures, changer d'appât, mettre à la teigne ou à la sauterelle en plein été. » Interviewé SJLV7– Extraits d’entretien lors de la narration La forêt est souvent associée aux perceptions tactiles qui décrivent un milieu « ombragé » à Bidart comme à Saint-Jean-le-Vieux. De réels moments de stimulations multisensorielles sont décrites. La forêt est biologiquement un milieu riche en biotopes qui sont identifiés et paysagés par les chasseurs notamment. À Bidart le chasseur interrogé (interviewé B9) fournira une description précise de l’ensemble des essences rencontrées « chêne », « pins », (102) « houx », « fougères », « roseaux » en fonction de la configuration du site et de son relief. Il apportera également un témoignage sur l’état de la forêt par la description de la hauteur des végétaux, de leur entretien ou entremêlement.

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102. Extrait de cartographie montrant la perception du milieu de la rivière par ses caractéristiques (interviewé SJLV7). 101. Extrait de cartographie révélant la diversité des biotopes perçus dans une même forêt (interviewé B9).

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103. Série de photographies montrant le panorama ouvert sur les grandes prairies et parfois les horizons de montagnes qu’elles laissent à découvrir (interviewée SJLV2).

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« La bécasse, l’idéal, c’est quand ils font des coupes de bois. (…)Et là, quand la végétation a 7-8 ans, la bécasse elle adore. Comme le soleil pénètre bien puisqu’il n’y a pas, il n’y a pas d’arbres. Donc là, il y a du petit bois 6, 7 mètres de haut et au milieu de la ronce. La bécasse, elle adore. Les bois de chêne qu’on a ici très haut. Elle n’aime pas. Elle aime les petits bouts, les bois bas. Même les grands bois de pin, elle n’aime pas trop. Elle aime les petits pins de 5-6 mètres. Voilà tout ce qui est végétation jeune. Et je pense que même au niveau, parce qu’elle mange des lombrics, elle mange du ver. Je pense que dans la végétation jeune, comme la nature ne pompe pas tout, il y a beaucoup plus de vers à manger que dans les vieux bois où c’est couvert. Le soleil ne rentre pas beaucoup. » Interviewé B9– Extraits d’entretien lors de la narration Pour la plupart des personnes interrogées cheminant dans le cadre de marches de loisirs, la « forêt » constitue une expérience sensible quasi totale. Elle est vécue comme un milieu agréable, contrastant (103) avec la réalité urbaine ou rurale du territoire. C’est le milieu où l’expérience sensorielle semble être la plus forte. Lors de la marche MESJLV1, une des participantes évoque « la conjugaison des sons, des odeurs, de l'eau, de la terre » comme une expérience paysagère globalisante de la forêt. Lorsque le paysage visuel de la forêt est dépeint, c’est celui de l’appréhension des couleurs de l’ombres (interviewée B4), de la lumière, des sons et des odeurs dont la personne, cheminant ce milieu dans le cadre d’une marche de détente est sensible. Cependant la mention de forêt omet parfois la précision des sens qui sont sollicités. C’est le milieu appréhendé où le moins de sensorialités peuvent être décrites. En effet, le témoignage de la forêt comme un milieu où il n’y a « rien » pour notre Arbonnais cheminant souvent à Bidart interpelle (interviewé B5).

« ensuite je suis à nouveau dans la forêt. Pareil alors là, c’est les chants d’oiseaux. C’est très calme. Très apaisant. Y a même un petit ruisseau. Puis y a les odeurs enfin. Là pour le coup on a les odeurs, même les barbecues des voisins. Pleins d’odeurs qui viennent. C’est un peu ça. » Interviewée B4 – Extrait de narration lors de l’entretien « Puis je rejoins la forêt là, y a le lac Mouriscot c’est comme ça qu’il s’appelle je crois. Donc là c’est tout de suite plus sympathique. » Interviewé B2 – Extrait de narration lors de l’entretien

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« Y avait rien. Juste de la forêt et cette décharge » Interviewé B5 – Extrait de narration lors de la cartographie Les collines à Saint-Jean-le-Vieux sont assimilées à l’expérience du relief surtout par les agriculteurs qui les pratiquent régulièrement dans le cas de transhumance ou de labourage (interviewé SJLV3). Les agriculteurs y portent un affect particulier puisqu’ils connaissent les noms de ces collines Atxumalda ou Bel

Ezponda. La commune de Saint-Jean-le-Vieux est marquée par un relief relativement plat en son centre et qui se vallonne à ses extrémités nord et sud. La colline apparait sans doute comme un élément singulier dans le paysage perçu, un territoire de conquête voire une entité presque personnifiée. Bien que la commune de Bidart soit très vallonnée, les collines ne font pas l’objet de mentions particulières soit car leurs caractéristiques résident dans le milieu ambiant qu’elles procurent (forestier ou urbain) soit parce qu’elles ne constituent pas un élément singulier dans le paysage par leur pluralité.

« C'est une partie de colline que l'on voit là-bas. On voit c'est des bois. Et moi j'ai connu ça, jusqu'à 12/13 ans, on allait accompagner les parents tout ça, à bécher car c'est raide tout ça. On faisait de la vigne. C'était de la vigne familiale. Tout le monde avait sa vigne. » Interviewé SJLV3 – Extrait de narration lors de l’entretien Le relief marque également le territoire de la montagne à Saint-Jean-leVieux et de l’océan à Bidart situé au pied des falaises. C’est une réelle expérience du corps qui est paysagée sur ces territoires. D’ailleurs à Bidart, plusieurs personnes cheminant sur le littoral expliquent soit la volonté de se rendre en montagne soit ont une expérience de randonnée forte en montagne. Cependant à la différence des collines ces milieux permettent de prendre de la hauteur. Ils sont l’occasion de points de vue exceptionnels, surplombant sur le territoire procurant sentiment « de liberté » pour l’océan (interviewé B3), de situation surplomb pour la montagne (interviewée SJLV5).

« Alors là pour le coup la notion de liberté, d’espace. En fait je sais pas, quand je vais dans ces endroits ça m’évoque, tu vois loin, donc si tu as cette vision, je l’ai peut-être dit tout à l’heure, ça libère l’esprit, ça donne l’impression que tout est possible. » Interviewé B3– Extrait de narration lors de l’entretien 224


104. Photographie qui révèle la forêt comme milieu paysagé (interviewée B7).

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« Bon, je vais à l'Arradoy, c'est à Saint-Jean-le-Vieux. C'est la montagne. C'est super beau la vue que tu peux voir sur les photos que je t'ai envoyées. On voit tout, toute la vallée. » Interviewée SJLV5 – Extrait de narration lors de l’entretien Enfin si à Bidart les prairies ne font l’objet que d’une seule mention brève (interviewée B7), à Saint-Jean-le-Vieux les prairies font notamment l’objet d’une description plus poussée notamment par les agriculteurs qui identifient les types de végétaux ou essences rencontrées (interviewé SJLV11). En effet, le territoire marqué par l’activité agricole en présente de nombreuses (104) qui font l’objet d’un reportage photographique riche (17 photographies pour deux personnes interrogées). Mais la narration du paysage se fera plutôt sur les éléments singuliers qui les différencient (présence d’animaux) que sur la mention même de la prairie.

« De la végétation. Il y a l’autoroute. On ne peut pas l’enlever, y a l’autoroute, mais de l’autre côté, c’est des prairies. Il y a eu un seul camp, maison, il y a des camping-cars, des choses comme ça. » Interviewée B7 – Extrait d’entretien lors de la narration « C'est des prairies. Alors sur 12 hectares de SAU on a des prairies naturelles, c'est à dire des prairies qui ont plus de six ans d'ancienneté. Voilà, celle devant la maison elle doit avoir 17 ans. Après 6 hectares ce sont des prairies temporaires, qu'on a refait y a moins de 5 ans. L'aspect, les prairies temporaires sont plus jolies parce qu'elles sont homogènes. Elles sont bien vertes parce qu'on les a ressemées y a deux ans. Après moi, j'adore les prairies naturelles parce que justement, c'est moins homogène. Il y a une grande diversité florale. Il y a du trèfle blanc, trèfle isolé, de la raygrass hybride, de la fétuque des prés, du lauthier et pleins d'autres ». Interviewé SJLV11 – Extrait d’entretien lors de la narration Le paysage par les éléments singuliers La perception d’un milieu ambiant conditionne l’attention à certains éléments plus ponctuels ou qui sembleraient, de prime abord, insignifiants. En effet, les marches exploratoires groupées ont permis de révéler la manière dont la sensibilité générale à une ambiance, perçue comme agréable par l’ensemble des conditions

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sensorielles propices à un état de « bien-être » et qui conditionnent une attention à des éléments de détails. En effet, lors de la marche MEB1, un moment d’arrêt fort, l’arrêt B’ improvisé pendant la marche a été comparé à celui réalisé en amont, au point B, situé près d’une voie de circulation très fréquentée. Il a été l’occasion d’évoquer divers éléments singuliers perçus comme le chant du coucou identifié ou la présence de feuille d’acacia. Ainsi le paysage est une sorte d’ambiance générale ressentie par les odeurs, le bruit du calme, les sensations tactiles du climat comme nous l’avons vu précédemment. Mais les éléments qui font l’objet de discussions ou d’une attention particulière sont ces éléments singuliers perçus par divers sens. Un des participants postule que la vue ne permet donc pas à elle seule l’appréciation du paysage, « c’est un tout » et ce « tout » résiderait aussi dans la capacité à observer (au sens multisensoriel) des éléments ponctuels. La perception de ces éléments du paysage est influencée aussi par le mode de marche et sa motivation (interviewée B4). Ces éléments paysagés sont également liés au rapport direct qui s’établissent entre l’individu et l’élément. En effet ceux-ci feront l’objet d’une mention si un rapport tactile s’établit (jeux avec les cailloux (interviewée SJLV4), corde pour grimper la falaise) ou un moment de contemplation long s’est produit (odeur de l’herbe coupée qui a suscité un moment de souvenir particulier).

« Donc on a pas la même, ni la même écoute, ni le même revers que quand on a plus nos enfants. Et maintenant comme je vous disais, la marche c’est plus pour des raisons de santé et de forme, de maintenir ça. Et en fait, on s’attache beaucoup plus aux détails. Que ce soit à des ombres, des couleurs, des chants d’oiseaux. On est plus ouvert à ces choses-là. » Interviewée B4-Extrait de narration de l’entretien « Oui, mais c'est vrai que les enfants sont très observateurs. ils ramassaient des fleurs, jouaient avec des cailloux. » Interviewée SJLV4 - Extrait de narration de l’entretien Ces éléments de détails paysagers sont très divers dans leur nature ou aspect formel. Ainsi la marche est l’occasion de découvrir du petit mobilier comme le panneau du chemin de Saint-Jacques de Compostelle, le végétal sous ses diverses formes (arbres, fleurs, lichen (105)), les éléments ornementaux originaux (106), les animaux et leur comportement (107). 227


105. Photographie qui traduit le paysage par une attention aux éléments ornementaux originaux des maisons rencontrées (participant, marche MEB1). 107. Photographie réalisée par un participant lors de la marche MEB1 où l'attention se porte à la mousse végétale qui pousse sur les sources et troncs d'arbres (participant, marche MEB1). 106. Photographie qui montre un événement qui a suscité l'étonnement et l'amusement et qui donc fait partie des éléments qui génère l'arrêt spontané et une attention particulière (interviewée SJLV4).

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108. Extrait de cartographie qui situe les éléments singuliers qui apparaissent dans les paysages de ses cheminements quotidiens (interviewée SJLV8).

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Cette attention aux éléments de détail et qui sont paysagés dans la narration d’un cheminement se fait aussi par le point de vue de l’animal chez les agriculteurs (108). En effet, le comportement animalier sera l’occasion d’évoquer des éléments singuliers du paysage (rivière, plage, source) alors que le paysage n’est que très peu décrit (uniquement par la sensorialité animale comme nous l’avons vu précédemment).

« Aujourd’hui quand je regarde la rivière, je rappelle à l’époque, vers là, il y avait une espèce de plage où on amenait les vaches à boire. Aujourd’hui ça a changé, on ne pourrait pas emmener les vaches boire. Et ça je vous parle de changement en 50 ans. » Interviewée SJLV6 - Extrait de narration de l’entretien Ces éléments sont paysagés parce qu’ils stimulent la curiosité. En effet, la stimulation sensorielle a le potentiel d’étonner, amuser et le cheminement est finalement l’occasion de rencontre avec ce qui change ou surprend. Un lien affectif alors s’établit parce que l’élément a procuré l’émotion de surprise ou parce qu’il possède de fait un caractère éphémère.

« C'est plus des moments agréables de par ce que l'on voit, qui change. Le côté un peu « surprise » des nuages qui sont différents des autres jours. » Interviewée SJLV4 - Extrait de narration de l’entretien

2.2. Percevoir le paysage temporel L’étude a révélé que le paysage était vécu également dans ses réalités temporelles par les stimulations tactiles et visuelles éprouvées par l’individu lors de ses cheminements quotidiens. Précisons que la collecte des témoignages et les expériences de marches exploratoires a eu lieu entre mars et juin. Cette dimension temporelle relève à la fois des aspects climatiques et saisonniers mais également des aspects historico-évolutifs. La dimension temporelle du paysage est vectrice de cheminement. Le paysage sous ses aspects climatiques La dimension temporelle du paysage la plus évoquée relève d’aspects climatiques et saisonniers perçus par les sensations tactiles et visuelles. 230


Le climat est d’abord un spectacle observé. Les montagnes permettent d’élever le regard vers les nuages. L’océan offre une nuance bleutée qui dépend de la météorologie. Le végétal est bien vert et luxuriant grâce à l’humidité de l’air. Le sol aussi est marqueur de cette saisonnalité par le changement des couleurs et textures qui le caractérisent (109). La perception du végétal (visuelle et parfois même olfactive) informe sur la saisonnalité.

« Toute la chaîne de montagnes. Je suis allée le matin, l’après-midi, j’ai fait des photos mais c’était dans la brume, un peu, voyez, on voyez pas. Avec la neige, c’était grandiose et même sans neige pour la première fois. » Interviewée B7 – Extrait de narration lors de l’entretien « GJ : Alors c'est vrai que quand on démarre d'ici, on va vers la route de Jaxu, on a en plein l'Arradoy devant, toutes les vignes là. On trouve que c'est très joli ça. Suivant les saisons, ça change à chaque temps. EM : Qu'est-ce qui change ? GJ : Ben la couleur. En hiver, y a rien, puis tout d'un coup ça devient tout vert. On voit bien les rangées au départ. Après les rangées on les voit plus pratiquement, tellement y a de feuillage. Et après en automne ça donne une couleur jaune, rouge. » Interviewée SJLV4 – Extrait de narration lors de l’entretien Les perceptions climatiques se font également par les sensations tactiles du vent, de l’air ou de l’eau qui entrent en contact avec la peau (interviewé SJLV6). Le climat est aussi vécu par la sensorialité podotactile notamment sur les chemins terreux où la pluie conditionne une attitude de cheminement et une appréhension du paysage différente (110). Au-delà de sa dimension sensorielle, il favorise le bien-être (la brise lors des grosses chaleur), les sensations corporelles sont confrontées aux dynamiques météorologiques et conditionnent un état de ressentis voire de sentiments.

« Un paysan n'est pas en train de s'extasier comme un citadin devant les paysages où il vit. Oui, c'est beau, il fait bon, c'est beaucoup plus, il fait bon, il fait beau, il fait bon. » Interviewé SJLV6 – Extrait de narration lors de l’entretien 231


109. Photographie employée pour montrer une portion de paysage (les vignes) beaucoup appréhendée sous l'effet des saisons (interviewée SJLV4). 110. Photographie employée pour montrer les effets de la pluie sur le paysage cheminé qu'elle éprouve quotidiennement par les sensations podotactiles (interviewée B1).

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Le climat confère au paysage son caractère informatif (111) annonçant les conditions météorologiques du jour. En effet, une mère de famille Bidartare soulignera le rituel avec ses enfants d’observer un panorama, plus précisément la montagne de la Rhune pour constater le climat du jour sur le chemin de l’école. La saisonnalité est le premier paysage perçu par les agriculteurs, chasseurs et pêcheurs. Ces catégories de cheminements sont directement liées aux saisons et au climat qui les rythment. En effet, les chasseurs se trouveront dans les forêts à créer leurs propres cheminements durant la saison hivernale de chasse tout comme les pêcheurs qui se rendront à la pêche entre le printemps et l’automne pour la truite par exemple. Les agriculteurs transhumeront autour de la commune tout au long de l’année jusqu’en période estivale où ils se rendront aux estives, en montagne, beaucoup plus loin de la commune de Saint-Jean-le-Vieux, pour laisser pâturer leurs troupeaux. Notre interviewé chasseur décrira des cheminements dessinés en dehors des sentiers balisés lorsqu’il s’agit en hiver de chasser. Le cheminement est guidé par les chiens et la connaissance du lieu de la personne. Les cheminements se dessineront physiquement par une empreinte de bois écrasés progressivement dans la saison mais « disparaîtront » à la saison suivante par la végétation qui poussera pendant les huit mois restants de l’année. La personne en dehors de cette saison cherchera à expérimenter une autre forme d’épreuve du paysage. En effet, elle décrit des besoins de cheminer dans des ambiances relativement contrastées à celles vécues pendant la saison hivernale. Notre interviewé pêcheur décrira des cheminements de rapport d’épreuve forte avec le milieu de la rivière pendant la saison de pêche. Tandis qu’en dehors de la saison de pêche, la rivière sera toujours source de cheminement mais plus dans un rapport distancé physiquement de contemplation et d’observation. Le paysage qui évolue Le paysage est donc perçu par ses caractéristiques évolutives et éphémères liée ou non aux conditions climatiques (interviewée B10). En effet, le paysage changeant, évolutif est également évoqué notamment avec le changement d’attribution des terres à Saint-Jean-le-Vieux, les phénomènes d’érosion de falaises à Bidart. Il est alors question de cheminement qui ne sont plus réalisables dans ce contexte de falaise ou simplement d’un décor, d’un territoire qui se transforme.

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111. Photographie utilisée pour montrer le panorama observé tous les jours pour se renseigner sur le temps qu'il fait (interviewée B12).

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« Et le paysage change tout le temps. Des fois, ça fait un peu, quel que soit le temps, d’ailleurs, quel que soit le temps, c’est toujours. C’est différent. C’est très joli. Donc oui, il fait beau. On voit jusqu’à Biarritz. Alors des fois par contre je descends sur le sable aussi, jusqu’à la Milady. Ça change en fonction de la météo aussi. » Interviewée B10 – Extrait de narration lors de l’entretien Ces évolutions sont perçues sous le prisme du changement climatique. En effet le paysage marqué par le temps pointe les enjeux de transformation du climat mais également de transformations de l’environnement. Elles initient les marcheurs à des enjeux globaux par des perceptions locales de ces changements sur leur territoire. Cette perception est particulièrement forte chez les pêcheurs (interviewé SJLV7), chasseurs et agriculteurs (interviewé SJLV11) qui entretiennent une relation très forte avec les milieux et écosystèmes dans le contexte de leur pratique professionnelle qui induit une connaissance des mécanismes naturels.

« C'étaient des endroits bien spécifiques. En général, sur les rivières, y a des poissons partout mais il y a des endroits qui sont plus porteurs que d'autres. Si vous avez des quantités d'eau plus importantes automatiquement y a plus de poisson. Ensuite à un tel moment de la journée, le poisson ne va pas se trouver dans le même endroit le matin que l'après-midi, que le soir. Donc il faut trouver les endroits à force de pêcher. On apprend ça. Ça s'apprend. On sait que le matin on va être à tel endroit, après l'après-midi à tel endroit, et le soir sera encore un peu différent. Avant, on voyait beaucoup de poissons sur la rivière. On les voyait, on les apercevait. C'était visuel. Maintenant on en voit pas du tout, ou presque. C'est plus délicat. C'est plus délicat pour les jeunes qui cherchent à pêcher, c'est encore plus délicat. Parce que pour leur apprendre, pour leur donner goût. » Interviewé SJLV7 – Extrait de narration lors de l’entretien « Oui je prends mon chien, je m'en vais. On fait un petit tour de quartier, y'a vachement de parcours, on passe par les petits chemins où tu peux éviter la circulation. J'aime bien aller, regarder, voir le paysage, tout, tout ce qui change. Par exemple, moi je suis très pessimiste, pas climatosceptique, mais dans le sens où je suis très pessimiste par rapport à l'avenir. (…) Parce que les générations d'avant on pas du tout fait gaffe à tout ce qui était environnement. Alors ici, tu le vois moins l'impact. Mais pour moi, c'est irréversible. Et voilà, moi je me fais chier quelque part à arrêter les produits phytosanitaires, à des systèmes vachement conciliants, vachement 235


respectueux de l'environnement. Des trucks qu'on appelle, l'agriculture raisonnée. Je pars du principe que le changement se fait par les petits efforts. Mais je reste conscient que tout ce qui a été fait avant, c'est irréversible. Chaque année, même moi je le vois, l'an dernier, par exemple, on fait du maïs et on a récolté moitié moins l'an dernier parce qu'il y a une sécheresse. Ça fait deux ans qu'on bouffe les sécheresses ici, alors qu'on n’est pas du tout, du tout habitué parce que la moyenne de pluviométrie en France, elle est de 600 mm annuel. Ici on est à 1800. C'est à dire qu'on a trois fois plus de pluie que dans le reste. On est une région qui est quand même épargnée par les sécheresses. Ça fait quand même deux ans qu'on fait. Chaque année je regarde des arbres, par exemple cette année au mois de mars, il y avait des arbres qui étaient fleuries déjà et c'est pas normal ça. Normalement ici on a un hiver jusqu'à avrilmao, on a des gelées. Là, ça fait trois ans que chaque année, les arbres commencent à fleurir en mars. C'est pareil pour les vignes qui ont commencé à fleurir au mois de mars. Après tu te bouffes une gelée au mois d'avril, ce qui était pénalise complètement la culture. » Interviewé SJLV11 – Extrait de narration lors de la cartographie Un affect s’est construit autour de ces paysages qui évoluent. Pour reprendre l’exemple de l’évolution de la falaise évoqué par un fervent pratiquant des falaises bidartares (interviewé B5), c’est le territoire du cheminement qui se transforme et l’affect se porte sur le fait de ne plus pouvoir y accéder ou de le voir se dégrader. Cet affect se traduit tantôt par le sentiment de désolation (comme évoqué précédemment par notre agriculteur interviewé SJLV11) ou par le simple fait de la constatation d’un enjeu plus large (interviewé B5).

« Vous n’y allez pas parce qu’il y a soit une barrière soit au final ce n’est pas fait pour être pratiqué ? Des obstacles, de temps en temps y a un peu les rochers mais enfin ce n’est pas vraiment un obstacle. Il faut faire un peu plus attention tout simplement. Non y a des choses maintenant où on ne peut plus aller, ce sont les falaises. Parce que si on veut monter un petit peu dans les falaises, donc ce sont des zones un peu interdites. Il a des éboulements, c’est dangereux. Même un peu plus loin vers Erretegia, on ne peut pas trop s’approcher parce qu’il peut tomber des morceaux de falaises et de rochers. Donc ça c’est logique aussi que, malheureusement, on ne puisse pas y aller, pour respecter et sauver la flore. Mais après on ne peut pas dire qu’il y ait d’obstacles. » Interviewé B5 – Extrait de narration lors de l’entretien

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Le temps vecteur de cheminement Le temps sous ses aspects climatiques, saisonniers et évolutifs conditionnent le cheminement en étant moteurs ou contraintes. La pluie peut être évoquée comme contrainte au cheminement car elle rendra impraticable les chemins terreux. D’ailleurs ces chemins impraticables feront l’objet d’un reportage photographique pour une jeune femme qui court quotidiennement à Bidart et une retraitée qui marche souvent en forêt. Les saisons conditionnent alors les moments de cheminement. En effet, les personnes interrogées à Saint-Jean-le-Vieux comme à Bidart évoqueront des moments de marche plus tôt le matin en été qu’en hiver évitant la chaleur et la sur fréquentation des parcours (interviewé SJLV12).

« Ouais mais c'est trop fréquenté. A Iraty j'y vais en hors saisons. En pleine saisons c'est trop fréquenté. En plus c'est des mecs qui respectent pas. Ils respectent pas la montagne. Moi, je veux aller dans un endroit où je suis tranquille et ne pas entendre gueuler. Je connais des endroits, on est tranquille, pas tous tassés. Et puis au mois d'octobre y a personne et même temps que juillet. Et donc voilà Saint-Jean-le-Vieux, on ira se promener. On ira le soir. Parce que la fraicheur et pour le petit c'est mieux. T'as pas de voitures, c'est calme. Et tu vois je vais te dire, des lampadaires des fois c'est joli. Moi j'aime bien. Comme la neige. Quand il neige, je vais me promener. » Interviewé SJLV12 – Extrait de narration de l’entretien La saisonnalité peut aussi dévoiler de nouveaux cheminements, des parcours éphémères appréciés pour leur rareté. Sur le littoral à Bidart, les marées dessinent de nouveaux parcours. En effet, les grands coefficients dessinent de nouvelles ouvertures sur la côte, de nouveaux paysages et possibilités de cheminer grandement désirée. Le paysage éphémère qu’il soit visuel, sonore ou plus généralement propre à n’importe quel sens, dirige les cheminements, anime le parcours. La saisonnalité dessine donc le parcours et chez certains elle offre une expérience des paysages réellement contrastée. Un commerçant à Bidart (interviewé B6) évoquera les différents parcours saisonniers et climatiques qu’il

112. Cartographie pour montrer les itinéraires réalisés pendant la période estivale (page suivante, à gauche, interviewé B6). 113. Cartographie pour montrer les itinéraires réalisés pendant la période hivernale (page suivante, à droite, interviewé B6).

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prévoit pour son groupe de coureurs. Le parcours estival (112) s’établit sur la partie littorale et sud de la commune puisqu’il est l’occasion de parcourir la falaise sans danger (lumière, raréfaction de la pluie). Les grandes chaleurs dessinent le parcours « fraicheur » qui consiste à explorer les sensations tactiles et corporelles entre course sur le sable et nage dans l’océan. Le parcours hivernal, effectué de nuit (puisque le rendez-vous établi avec le groupe est à 19heures) est l’occasion d’une expérience sensorielle singulière par le fait de courir avec une lampe frontale sur des terrains moins marqué par le relief au nord de la commune (113).

« La variante fraîcheur, donc on descend après là et jusqu’à la plage. Je vais même plus loin parce qu’on va dans l’eau. » (À propos de la variante hiver) : « On croise quelques voitures, mais ça dépend des jours. Ça dépend. On croise un peu de trafic, mais on n’a pas le choix làdessus. Parce que si on avait le choix d’aller courir là-bas, on peut pas. Mais c’est compliqué. Après, une fois qu’on est là, il n’y a plus de personnes. Parfois, il y a une voiture qui va se garer au parking du blue cargo. Mais voilà, quasiment personne. Et puis bon, ce sont des chemins côtiers. (…) Alors c’est pas éclairé, à part cette petite partie qui, y a quelques... Je n’ai pas de souvenirs. Non. On est en frontal là. Généralement. Il faut avoir sa frontale. Là, c’est pas du tout éclairé sur cette partie-là. Ça, c’est sûr. C’est pas du tout éclairé. Parfois, c’est un peu éclairé, mais là, là, c’est vraiment noir. Il faut avoir la frontale, en effet. (…)C’est un côté sympa de courir avec la frontale. La nuit avec la frontale.» Interviewé B6 – Extraits de narration lors de la cartographie Finalement le temps est vecteur de parcours et aussi moteur. Le spectacle du coucher du soleil (interviewé B6) ou des tempêtes seront autant d’occasions de se rendre à certains points de vue connus et reconnus pour offrir un panorama favorable à l’observation de cette caractéristique du paysage.

« Tout le temps, parce que les couleurs changent à chaque fois, en fonction de la météo, en fonction des jours qui rallongent ou diminuent. Le coucher de soleil, le soleil on l’a au fond. Y a des journées où on attend le coucher de soleil. Souvent même on prévoit la course à pied pour terminer sur la petite chapelle de Bidart, pour regarder le coucher de soleil. Parce que le point de vue ici est superbe. » 240


Interviewé B6 – Extrait de narration lors de l’entretien

2.3. Une redéfinition de l’exceptionnel comme valeur paysagère Le paysage quotidien comme vécu spatio-temporel s’éprouve également dans l’opportunité qu’il offre à être remarquable. Cette notion de « paysage remarquable » s’inscrit dans un cadre de réflexion que nous avons évoqué en première partie au chapitre 01. Définition d’un cadre théorique : paysages

quotidiens et approche sensible, hodologie et patrimoine sensoriel. Rappelons-le brièvement, le remarquable désigne ce qui a été institutionnalisé et ce qui relève du « patrimoine » en contribuant, à la grande à échelle au maintien de larges vues et de panoramas « typiques » au sens de « caractéristique » d’un territoire. Cependant notre enquête a révélé que le caractère de remarquable et spectaculaire peut s’exprimer à différentes échelles, du milieu ambiant éprouvé à l’élément singulier paysager. Selon le Larousse, le remarquable désigne tout simplement ce « qui est susceptible d’être remarqué, d’attirer l’attention ». Si le paysage constitue « une portion de territoire perçue », tout élément est paysageable (puisque susceptible de faire l’objet d’une attention), tout élément est remarquable et ainsi tout paysage est remarquable. Pour en revenir à des réflexions plus proches des témoignages collectés. Il convient de comprendre que par le cheminement, les individus portent un affect, une valeur d’attachement aux éléments de paysages par leurs qualités contrastants, surprenantes et singulières. Le paysage comme opportunité de contraste À Bidart l’expérience du paysage majoritairement décrite est celle qui se construit dans l’opportunité de contrastes. Le territoire urbain est parsemé de milieux ambiants plus végétalisés qui sont vécus comme de réels moments de déconnection. Ces expériences contrastantes sont incarnées dans les paysages dits de forêts, de l’espace côtier ou de campagne qui offrent la possibilité de contrastes sonores. En effet lors de la marche exploratoire MEB1, certains participants ont décrit le contraste saisissant entre le contexte rural, de campagne dans lequel nous marchions et le contexte urbain associé au littoral. Selon un des participants, c’est cette situation exceptionnelle de la côte basque, d’être située entre l’océan et la montagne, l’occasion d’être dans la « civilisation » d’un côté et d’être dépaysé dans

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l’autre. L’expérience de contraste s’incarne aussi dans la recherche d’une spatialité ou l’épreuve du corps. Elle est une réalité pour notre chasseur (interviewé B9) qui en fonction des saisons cherchera des ambiances paysagères et des expériences de marches contrastées.

« Alors là, quand tu bouffes de la végétation comme j’en bouffe pendant quatre mois après les mois, j’y rentre presque pas. Je vais que dans les champs. Des parcours ouverts, où tu vois les champs sur 200-300m. Tous les endroits comme ça j’y vais plus. Je suis maso mais jusqu’à un certain point. Et là, c’est que de la plaine ou des bois qui sont très propres, naturellement. Alors en ce moment, je suis en train de repérer les nichées de palombes. D’ailleurs il est en train de faire les nids. » Interviewé B9 – Extrait de narration lors de l’entretien Cette quête du contraste est relative à chaque individu et n’est pas forcément une réalité pour les Donazahartar(e)s. En effet, la marche en général est l’occasion de s’informer sur le territoire par l’observation. Il ne s’agira d’évoluer le changement par le contraste entre deux milieux mais plutôt par l’évolution même du paysage et de fait par ce qu’il étonne ou surprend. La découverte et l’inhabituel dans le quotidien Sur les deux communes, le paysage est l’occasion de (re)découverte et de rencontre avec des éléments inhabituels. La valeur d’attachement ne s’exerce pas sur l’objet même rencontré mais plutôt sur le souvenir de cette même découverte. Une personne m’évoquera spontanément à Bidart la présence d’une briqueterie qu’il a entrevu récemment lors d’un cheminement sur l’espace côtier. Il s’est d’ailleurs demandé s’il elle avait toujours été là et s’est renseigné sur cette dernière. L’étonnement et la surprise ont surtout été exprimé lors des marches exploratoires et à travers les reportages photographiques. Lors des marches exploratoires la rencontre d’un élément nouveau dans le paysage a fait l’objet d’un arrêt spontané et de discussions (114). Sur les deux communes, les éléments du paysage qui lié à la notion de découverte ont fait l’objet d’une photographie comme élément qui attire le regard et génère l’arrêt. Ils sont caractérisés par le fait de sortir de l’ordinaire, de l’habituel dans la finesse du changement comme la rencontre d’un animal sur le

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116. Photographie réalisée pour montrer un hôtel à insectes qui a été découvert près de l'école communale alors que nous marchions en direction de la place de Bidart. Cet objet a été Photographie l t d' qui montre êt d le paysage t d comme d ( t la rencontre t h d’un MEB2) 117. surprise de animal sur le chemin (interviewée SJLV4). 115. Photographie réalisée pour noter un élément remarquable observé lors d'un cheminement quotidien qui attire la curiosité. Il est également remarquable par l'originalité de l'œuvre qu'il est (interviewé B7). 114. Photographie réalisée alors que nous réalisions que nous étions sur une portion du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle ce qui a suscité étonnement et curiosité (participant, marche MEB1).

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parcours (115) ou par leur originalité comme une œuvre artistique rencontrée dans un paysage à caractère familier (116). Enfin la curiosité et la volonté d’être stimuler par la découverte dirige le cheminement. En effet, lors de la marche MEB1, un des participants a suggéré un détournement du parcours pour faire découvrir « sa maison préférée ». De même, les parcours des quatre marches exploratoires que j’avais établis avaient pour but de faire (re)découvrir pour comprendre les perceptions des paysages quotidiens qu’avaient les habitants de la commune. Ils ont d’ailleurs pris des notes sur le petit livret qui leur était donné en début de parcours, repérant sur l’itinéraire les points de vue remarquables ou situation qu’ils ont apprécié ou découvert. Le paysage par son caractère singulier et exceptionnel Le cheminement est alors l’occasion d’éprouver une situation paysagère quotidienne qui revêt d’un caractère exceptionnel pour les personnes cheminant. Au quotidien, le caractère exceptionnel du paysage s’exprime par la situation inédite à l’échelle nationale ou supranationale dans laquelle il peut se situer. En effet, lors de la marche MEB1 et la marche MESJLV1, la possibilité de se situer sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle est appréciée par certains participants comme l’occasion de cheminer sur un parcours reconnu (117) et qui s’inscrit dans un itinéraire à plus grande échelle (l’échelle binationale franco-espagnole). Ce parcours est apprécié par l’épreuve du corps qu’il offre et la traversée des différentes ambiances paysagères à travers le territoire, notamment celui du Pays Basque. Les discussions se sont d’ailleurs brièvement orientées sur la recherche de ce qui fonde la singularité de la portion traversée lors de nos marches. À Bidart, lors de la marche MEB1, la portion réalisée est celle qui serait une des plus difficile en milieu relativement urbain. Lors de la marche MESJLV1, la présence des croix sur la commune est sujets à discussion quant à leur orientation qui devrait être celle de l’est et non pas de l’église comme elles ont été récemment changées. Les cheminements sur les communes de Bidart et Saint-Jean-le-Vieux sont également appréciés dans les possibilités à l’échelle communale qu’ils offrent au quotidien à rencontrer des paysages remarquables situés sur l’espace côtier, la plaine agricole, un territoire plus campagnard ou montagnard. Chaque milieu est perçu dans sa singularité. Le caractère exceptionnel de ces espaces relève d’une expérience sensorielle par la stimulation et affective par l’occasion qu’il constitue

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(118). Il est projeté sur la situation en elle-même mais aussi sur le cheminement ou l’aménagement qui amène à cette situation (interviewée B10).

« Alors ce que je trouve le plus désagréable. Autrefois, quand j’étais gamine, j’habitais là-bas donc il y avait des marches jusqu’en bas. C’était quelque chose d’exceptionnel, vraiment magnifique. Bon, ça n’a pas été entretenu, donc ça s’est écroulé. C’est pour ça qu’ils ont fait des chemins pour contourner ces éboulements. Mais c’était vraiment quelque chose d’unique et de magnifique. » Interviewée B10 – Extrait de narration lors de la cartographie Enfin le remarquable s’incarne dans les milieux géographiques même. La forêt et la rivière semblent être des situations constamment éprouvées de manière exceptionnelle par leur singularité sur le territoire. Des éléments d’architectures marqué par une originalité ou une esthétique particulièrement appréciée feront également l’objet de qualificatifs valorisants. Le remarquable est finalement propre à chacun et relève tout simplement de ce qui attire (MESJLV1) et dirige le cheminement pour être observé (au sens multisensoriel).

Le parking n'est pas particulièrement attirant, mais ce lieu semble intrigué, la présence de l'eau, de l'église donne envie d'explorer les environs. Anne décrit « des choses qui nous appellent, ça a l'air super joli, y a des montagnes là-bas, y a du vert, la petite église est magnifique ». Jacques présente un « pont à côté, il y a un joli pont ». Extrait de narration de la marche MESJLV1

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118. Photographie montrant l’émerveillant sur l’espace côtier et le sentiment libérateur qu’il produit (Clara Chavanon, marche MEB2).

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Conclusion intermédiaire Le paysage éprouvé relève d’un nouveau niveau de perception décrivant une expérience de l’environnement extérieur mais surtout d’une introspection personnelle. En effet, par le cheminement, la mise en marche du corps, l’expérience du paysage sort des considérations artialisées et l’enveloppe corporelle devient une forme de matrice intermédiaire entre l’environnement et l’individu. Lorsque l’individu est amené à parler de son paysage in situ (marches exploratoires) ou rétrospectivement (entretiens), il s’adonne au paysagement de ses ressentis physiques ou mentaux. Certains individus déploient alors une description d’un paysage émotionnel. Cette dimension intime du paysage est variable et dépend des circonstances d’échanges ou de la personnalité de chacun. Cheminer dans un environnement, c’est l’occasion d’éprouver du bien-être d’un point de vue physiologique et psychologique. Introspectif, le paysage est aussi l’occasion d’un cheminement vers son identité et son caractère propre. Il participe à se remémorer sa propre construction identitaire à travers les souvenirs personnels qu’il évoque et les émotions qu’il génère. Il est également un moment d’évocation d’une identité collective culturellement marquée et territorialement inscrite. Enfin, il est la perception d’un rapport établi à un moment donné par une culture sur son territoire et de fait il soulève les conflits liés à cette même question identitaire. Cette épreuve multisensorielle est spatialement et temporellement située puisque le cheminement même quotidien est l’occasion de paysager ce qui relève du banal comme de l’exceptionnel. L’attention aux paysages se porte à la fois sur les milieux géographiques vécus par leur expérience englobante sur le plan multisensoriel et affectif. Elle se porte également sur les éléments perçus ponctuellement dans ces milieux et qui constituent des éléments singuliers de taille variable : du bâti à l’ornement, de l’arbre au lichen, de l’animal à l’insecte. Le cheminement est également l’expérience de la dimension temporelle du paysage, réalité climatique, saisonnière mais également évolutive. Le paysage revêt alors d’un caractère éphémère propre à l’instant vécu et à une situation donnée. Cette conjonction spatio-temporelle confère au paysage un caractère exceptionnel et singulier. Le banal est vécu comme remarquable non pas parce qu’il peut ou doit faire l’objet d’une reconnaissance collective ou institutionnelle mais simplement parce qu’il est perçu. La curiosité ou l’étonnement sont des ressentis qui traduisent son paysagement.

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03. LE PAYSAGE HABITÉ : LE CHEMINEMENT COMME MILIEU OU S’ÉTABLIR Un troisième niveau d’appréhension sensible du paysage correspond à la perception d’un milieu habité. Qu’entendons-nous par la dimension « habitée » du paysage ? Le verbe « habiter » a acquis un certain nombre de valeurs au cours des siècles en passant d’une définition formelle désignant l’action de « s’établir » dans un lieu naturel ou urbain à des concepts plus philosophiques et sociologiques traitant des rapports entre les êtres humains et l’environnement proche (Paquot et al, 2007). Habiter provient du verbe latin habitare qui signifie « avoir souvent » et son dérivé latin habitudo signifie « habitude » en français. Habiter, « ne se limite aucunement à l’action d’être logé, mais déborde de tous les côtés de l’« habitation » et de l’ « être », au point que l’on ne peut penser l’un sans l’autre… » (Paquot et al, 2007, p.113). Habiter c’est s’établir et marquer son empreinte (Paquot et al, 2007). L’être humain cherche à exprimer son existence d’une certaine façon vis-à-vis du monde en faisant acte de rester dans un lieu et en se l’appropriant physiquement et mentalement. Manola

(2012)

distingue

trois

manières

d’habiter :

celle

par

les

représentations d’autrui, c’est-à-dire dans un rapport « désengagé », celle de l’intimité par des moments intenses vécus seul ou avec des personnes proches et enfin la manière d’habiter en société par des pratiques et activités quotidiennes. Le paysage habité désigne d’abord la perception par l’individu en tant qu’être extérieur d’un milieu où réside le vivant, humain/non humain. Mais il désigne également le rapport intime de cet individu à son environnement par les modes d’appropriation du paysage, physiques ou mentaux relevant de pratiques sociales individuelles et collectives.

1. À la rencontre de milieux habités L’analyse des perceptions multisensorielles nous a précédemment amené à comprendre la conjonction visuelle/auditive qui informe sur la présence (humaine, 249


animale, végétale) ou l’absence de l’autre. S’il est souvent question de « calme » comme sensation d’être en dehors des zones fréquentées, nous relevons également des sensibilités aux voix, sons qui évoquent les jeux d’enfants, la présence animale mais aussi les échanges et moments de sociabilité qui ont lieux pendant les rencontres fortuites ou marches groupées. La présence de l’autre se traduit également par la stimulation multisensorielle où le végétal apparait comme témoin d’un milieu propice à la vie. Plus généralement, les paysages par les cheminements de ceux de réels milieux habités, « milieux » car il est souvent question de « zones » (B4, B5, B6, B9, B11, SJLV1, SJLV2, SJLV3, SJLV7) ou d’« ambiances » (B1, B6, B7, SJLV2, SJLV4, SJLV1) décrites.

Entre marqueurs humains et espaces de rencontres, le paysage culturel De nombreux éléments paysagés lors des cheminements relèvent d’une dimension culturelle par la perception des marqueurs humains, démonstration d’un territoire habité. Ces marqueurs sont constitués à la fois des éléments de construction humaine qui incarnent son installation mais également des lieux qui témoignent de sa capacité à être un être sociable. L’etxe et le jardin, le paysage habité l’intime Les constructions humaines et plus particulièrement l’etxe occupent une place à part entière dans les éléments paysagés sur les deux communes étudiées. À Saint-Jean-le-Vieux, ce qui importera le plus, surtout pour les personnes de culture agricole ou paysanne, c’est le nom des maisons. Traditionnellement, celuici occupe une place importante dans la culture basque. D’ailleurs un homme retraité m’expliquera, en dehors du cadre de l’entretien, qu’il appelle parfois ses amis ou connaissances par le nom de la maison dans laquelle ils ont grandi. Cela montre les rapports de familiarité qui existent entre les habitants de la commune. Cette même personne (119) m’indiquera par exemple « la maison du maire », nommée Belhagorria qui signifie « le portail rouge ». Elle continuera à se repérer sur la carte grâce aux noms de ces maisons ou par l’évocation du nom même du propriétaire si le nom n’est pas connu. Ainsi la maison occupe une place à la fois dans le paysage affectif de la personne mais constitue également un repère sur le territoire. Les habitants et leurs propriétés comme éléments de paysage s’étendent

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119. Extrait de cartographie montrant le nom des maisons et des propriétaires de vignes (interviewé SJLV3). 120. Extrait de cartographie le nom des personnes qui lui sont familières sur un parcours qu'elle effectuait en temps de confinement (interviewée B10).

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aussi aux propriétés agricoles. Cette même personne me montrera les « vignes à Peote », ami et connu sur le territoire pour sa production. À Bidart, les etxe seront également paysagées soit par la nomination de leur propriétaire soit par leur description formelle. L’évocation des maisons se fera à travers son histoire, son évolution et ses caractéristiques physiques. Par exemple, une personne retraitée distinguera « de grandes villas » aux « maisons plus modestes » et aux « fermes habitées ». Certains détails pourront également faire l’objet d’une attention plus poussée. Par exemple, lors de la description d’un paysage qu’il a éprouvé par une marche récente, un participant à la marche exploratoire MEB1 évoquera une maison qu’il apprécie, située proche de la falaise avec un « portail rouge » remarquable. La présence de maisons est évoquée par la mention également des propriétaires. En effet une jeune retraitée Bidartare évoquera sur la carte (120) la présence de personnes qu’elle connait qui se situent « là », se rapportant alors à la maison de ces mêmes propriétaires qu’elle connait très bien et qui font parfois parties de son cercle proche de connaissances voire familial (interviewée B10). Enfin ces maisons peuvent être évoquées par la rencontre fortuite du propriétaire lors d’un cheminement. Ce même participant à la marche exploratoire MEB1 a attiré notre attention sur certaines maisons dont il a rencontré le ou la propriétaire lors d’une marche qu’il réalisait avec sa femme.

« Je suis là. Là c’est les quatre maisons. Là c’est mon frère. On descendait ici et Jean-Jacques, c’est là. Alors là c’est le premier champ. Je ne sais pas comment on descendait, comme ça, je crois. Ici, on longeait, là. Comme ça. Alors c’est ce champ, il fait des patates, Lauriatho, depuis longtemps et c’est ici, alors je sais pas si on faisait ça ou ça. Et là, soit on rentrait un peu dans le bois, on sortait au cimetière, donc on rentrait comme ça et on sortait ici, et après on remontait ici. Et là. Alors Pierre il est où ? Ça doit être ici. Et ici y a un sentier qui arrive ici derrière. Par ici je pense à peu près. Ici je crois qu’il fait du blé. Ici c’est chez Lebouche là (incertitude de l’orthographe). C’est la maison juste ici en bas. Ici, c’est Pierre Loiena (incertitude de l’orthographe). Et ça, c’est chez Monsieur Barebone (incertitude de l’orthographe). » Interviewée B10 – Extrait de narration lors de la cartographie À Bidart seulement, certaines personnes interrogées et participants aux marches exploratoires porteront un regard attentif également aux jardins situés le long des itinéraires parcourus. Le regard est alors porté au soin apporté, à l’entretien, aux

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essences de fleurs, d’arbustes et d’arbres. Parfois l’attention aux jardins peut relever d’une forme d’affect. Une femme retraitée (interviewée B7), racontera une série d’anecdotes personnelles vis-à-vis des jardins qu’elle rencontre. Pour ceux situés près de son quartier dans lequel elle marche depuis plus de 40 ans, elle en connait l’histoire, leur évolution et parfois les secrets en se remémorant certaines fleurs ou plantes que l’on trouve. Comestibles ou ornementaux, les végétaux font l’objet d’une contemplation et de l’évocation d’un rapport affectif qui s’étend aux personnes propriétaires ou s’occupant des jardins.

« Et vous arrivez au bout de ce chemin creux. Vous avez des filles sur notre chemin qui n’est pas goudronnée et les filles Labèque (musiciennes basques), sont là avec une immense maison. Mais ça je sais pas la voir là. C’est immense. Elle a un terrain immense et haut de l’appareil. C’est des gens très gentils qui m’ont autorisé à ramasser les grandes marguerites dans leurs champs et ils sont gentils, ils se promènent avec une voiture. » Interviewée B7 – Extrait de narration lors de la cartographie Le paysage de la sociabilité Le paysage habité est également celui de la sociabilité. Il est dépeint à la fois par les rencontres effectuées lors des cheminements mais également par l’évocation des lieux de sociabilité spécifiques à chacune de deux communes. Cheminer est l’occasion de rencontres et ces dernières sont évoquées lors de la narration d’une marche. Les rencontres sont de différents ordres : spontanées ou programmées avec des personnes inconnues ou reconnues. La fréquentation des itinéraires de manière régulière construit un paysage social de l’affectif quand bien même les rapports établis avec les personnes rencontrées systématiquement soient relativement distancés (121). D’ailleurs ces rencontres systématiques laissent place à des attitudes presque rituelles. En effet, une jeune coureuse évoquera la salutation presque rituelle à une personne qui joue de la pétanque et paysagera les nombreuses personnes qu’elle croise avec leur chien autour du bassin de rétention à Bidart.

« Ah oui j’ai pris des photographies de gens qui marchent. Y a une dame avec un chien et son enfant. Ici y a de l’eau et y a je ne sais pas dix chiens qui boient, jouent dans l’eau. » Interviewée B1 – Extrait de narration lors de l’entretien 253


121. Photographie montrant les personnes qu'elle rencontre lors de ses cheminements quotidiens (interviewée B1).

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Les rencontres sont également paysagées par les désagréments qu’elles ont causés. En effet, le berger Donazahartar (interviewé SJLV8) évoquera la rencontre avec une personne qui se plaignait des déjections de ses brebis en face de sa maison. D’ailleurs, à la suite de cette rencontre, le berger a changé son attitude de cheminement en plaçant son moment d’arrêt un peu plus loin que l’initial.

« Je m’arrête là dans un endroit, je passais souvent devant une maison. J'avais l'habitude de m'arrêter. Et là, les brebis quand elles s'arrêtent, souvent elles chient. Et l'an dernier, j'ai vu un type qui sortait et disait « ah ces putains de brebis, elles vont chier encore ». Et depuis, je m'arrête plus à cet endroit, je continue à marcher parce qu'elles chiaient sur son trottoir. Depuis je le fais plus. » Interviewé SJLV8 – Extrait de narration lors de l’entretien Les rencontres sont aussi évoquées par l’attitude d’évitement. En effet, certaines personnes recherchent dans leurs parcours à éviter la rencontre avec d’autres individus et parleront de portions d’itinéraires qu’elles évitent du fait de leur forte fréquentation (interviewé SJLV3).

« GE : Pour moi, oui. Ce matin, j'ai fait un petit peu de jardin. Il y a quatre personnes qui font le tour du village chaque jour. Et eux ils aiment rester que sur ce circuit-là. ÉM : Pourquoi vous le faîtes pas ? GE : Parce que je passerai mon temps à causer avec tout le monde. Je passe à chaque fois dix minutes à causer. ÉM : Finalement, vous connaissez tous le village et du coup, de sortir un petit peu. Ça permet d'être un peu plus seul. GE : Si vous avez décidé de faire de la marche, il faut vous isoler un petit peu. Il ne faut pas prendre les circuits établis. » Interviewé SJLV3 – Extrait de narration lors de l’entretien Enfin ces rencontres sont spatialement localisées. Elles deviennent des éléments de paysages dont l’absence est remarquée. Lors de la cartographie, une retraitée Donazahartare me localisera sur son itinéraire, les endroits où elle rencontre toujours les mêmes personnes, une personne marchant seule et une autre

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accompagnée de son chien, qu’elle nommera sur la cartographie (122). Elle m’expliquera d’ailleurs que la semaine passée une des personnes avait un léger « retard » sur son habitude. Si les rencontres construisent une forme de paysage vivant, les lieux de rencontre constituent à la fois des éléments de repère dans le territoire mais également des lieux vecteurs de cheminement. Pour un jeune Bidartar, cheminer, c’est surtout rencontrer ses amis dans des lieux spécifiques. Pour cette personne, les lieux évoqués à Bidart constituent des souvenirs puisque la plupart des lieux de rencontre actuels sont situés à Guéthary (commune limitrophe). Pour un autre jeune Bidartar (interviewé B3), les paysages perçus sont ceux des lieux de rencontre formels ou informels (122). Il les évoque par les activités qu’il y fait (chanter, boire un verre) ou les rencontres potentielles qu’il peut y faire.

« On se retrouve souvent avec la chorale dont je fais partie pour chanter là-bas. Et ensuite deux possibilités. Soit, je rejoins directement la place en coupant, soit je descends jusqu’à la plage du centre. (…) À la chapelle de la Madeleine, beaucoup, donc à la chapelle. Sur la place. Mais c’est beaucoup plus en été parce qu’ils viennent moins en hiver. Pour avoir un moment convivial au bar du fronton, à Elizaldia, ou y a maintenant l’auberge Koskenia. Ou sinon les dimanches quand on pouvait encore danser sur la place on faisait souvent ça. (…) Juste à côté, je sais pas si la map est à jour mais y a la bibliothèque Toki-Toki ÉM : Et c’est un lieu que tu fréquentes souvent ? EB : Pas énormément parce qu’avec récemment les confinements et tout ça je me suis dit : « je vais faire attention et rester à l’intérieur ». Mais j’y suis allé et j’ai emprunté des livres. Et puis j’adore les bibliothécaires donc. Et je trouve l’endroit très bien fait, très joli. » Interviewé B3 – Extraits de narration lors de l’entretien Ces lieux de sociabilité peuvent faire l’objet d’une description attentive en termes d’animation, d’ambiance générale qui s’en dégage. En effet, une mère de famille (interviewée B12) décrira avec précision les générations qui fréquentent les lieux où elle se rend avec ses enfants (ou se rendait dans le cas de cheminements passés).

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122. Extrait de cartographie qui montre les lieux où une personne fait fréquemment les mêmes rencontres : « homme marchant seul » et « homme avec son chien » (interviewée SJLV4). 123. Extrait de cartographie qui dévoile les lieux de sociabilités paysagés sur un itinéraire réalisé régulièrement à pied (interviewé B3).

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« C’est très familial, très familial. C’est de tout âge. Il y a des enfants, petits vélos, y a des parents et des grands parents. Après, c’est une voie qui est très, très utilisée. Y a des sportifs, il y a des papis, des mamies, des enfants plus petits et des poussettes. C’est très familial. C’est sympa, cool, sympa. » Interviewée B12 – Extrait de narration lors de l’entretien Aussi, le cheminement pousse à l’imagination de la sociabilité sur certains lieux rencontrés. En effet, le paysage narré est également celui de la potentielle sociabilité comme c’est le cas pour d’une jeune coureuse de Bidart (interviewée B1). Nous reviendrons sur ce point dans le paragraphe S’établir par le cheminement, le

temps de l’appropriation du paysage. « J’ai plusieurs choses agréables. Ça c’est la chapelle. Moi personnellement j’aime bien quand la mairie coupe la pelouse. Quelque fois ce n’est pas trop fait. Dans ma tête je pense que pour les endroits comme ça, c’est mieux que la pelouse est coupée. Par exemple aussi, ici à Uhabia, la pelouse est mal coupée, et j’imagine que le week-end, quand il fait beau, plus de gens iraient s’asseoir. C’est un énorme espace et c’est bien pour s’asseoir. Les photos sont faites le matin mais si j’y vais l’après-midi y a des gens qui s’y assoient. » Interviewée B1 – Extrait de narration lors de l’entretien

Le paysage du règne végétal et animal La faune et la flore occupent également une place importante dans les éléments du paysage vivant perçus par les personnes se déplaçant à pied. Le domaine de la biodiversité en général est intrinsèquement lié aux sens, son expérience est multisensorielle. Elle relève de combinaisons par « duo » ou « trio » sensoriel : visuel/olfactive/tactile pour les végétaux, visuel/sonore/ parfois tactile pour les animaux. Le végétal entre perception olfactive et désir de contact Le

végétal

occupe

une

place

importante

dans

les

perceptions

multisensorielles du paysage puisqu’il est à la fois un élément que l’individu cherche à sentir mais également à toucher lorsqu’il le voit.

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En effet, lors des trois marches exploratoires (deux à Bidart et une à Saint-Jean-leVieux), les participants ont systématiquement noté l’absence d’odeurs de fleurs. Ce phénomène permet de comprendre à la fois les souvenirs d’expérience sensorielle du végétal que permet la marche mais également une forme de précondition de l’esprit à être attentif aux perceptions sensorielles de l’environnement végétal. Les végétaux ont fait l’objet de nombreuses photographies comme éléments agréables ou désagréables relevant du paysage (124) aussi parce qu’ils sont très divers. Les marches exploratoires ont été l’occasion de comprendre les rapports multisensoriels liés au végétal. Le végétal est donc l’opportunité d’exercer notre odorat mais il est également l’occasion d’un rapport tactile avec l’environnement (126). En effet, l’attrait pour une fleur va par exemple diriger le cheminement vers celle-ci pour que les doigts de l’individu puissent en toucher les pétales ou les feuilles (125). La cueillette construit également ce rapport tactile qui dépasse l’observation pour aller à la compréhension, connaissance du végétal. La cueillette d’un végétal comestible amène à sa consommation. Le goût est la dernière étape à l’expérience multisensorielle de ce végétal. La cueillette traduit également une volonté de s’approprier le végétal en l’intégrant dans son intime psychologique par le souvenir ou physique en faisant des boutures pour chez soi. Généralement le végétal est perçu comme un élément « agréable » du paysage qui contribue au sentiment de bien-être, de « communion » avec la nature. La biodiversité procure des sentiments de joie comme l’exprime une des participantes de la marche MESJLV1 qui a la vue de « noisetiers » se dit « très contente ». L’attention portée au végétal permet de caractériser son type, son état, son aspect. En effet, les essences seront identifiées qu’il s’agisse d’arbres (interviewé SJLV3) ou de fleurs. À Bidart, les fleurs, l’herbe, les arbustes seront perçus par leur caractère plus ou moins entretenu ou sauvage. L’état mal-entretenu est également paysagé par les individus comme constituant un élément désagréable du paysage. Le végétal est ainsi parfois associé à un élément d’obstacle à la marche.

« Alors c'est ça la vue et les vues que j'ai quand, voilà. La rivière. J'aime bien les fleurs sauvages comme ça. » Interviewée SJLV2 – Extrait de narration lors de l’entretien

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125. Extrait des reportages regroupant les végétaux qui ont été évoqués comme éléments du paysage (à gauche, interviewées B1, B5, SJLV2, SJLV4). 124. Photographie révélant l'intérêt pour le végétal et la recherche de contact physique et sensoriel avec ce dernier (participant, arrêt B’, marche MEB1). 126. Photographie montrant l'intérêt des participants à l'acacia (photographie personnelle, arrêt B’, marche MEB1).

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« Oui oui, les arbres ont pris le dessus. Y a plusieurs sortes. Y a des chênes, et même si c'est pentu y a de l'acacia. » Interviewé SJLV3 – Extrait de narration lors de l’entretien « Je voulais montrer une photo du rond-point. Les fleurs ils montrent beaucoup d’efforts. » Interviewée B1 – Extrait de narration lors de l’entretien « Y a de tout, y a du noisetier, du frêne, de la ronce. Y a de tout. C'est assez envahissant. » Interviewé SJLV7 – Extrait de narration lors de l’entretien Le végétal, c’est aussi l’occasion d’échanger sur des pratiques quotidiennes, souvent de jardinage ou de cuisine et démontrent un trait de personnalité, une culture. En effet, lors de la marche exploratoire MEB1, l’attention aux feuilles d’un acacia est l’occasion d’évoquer des recettes de cuisine de fleurs d’acacia puis des recettes en général. S’en suit une discussion sur les végétaux jardinés chez les deux femmes participantes à la marche. De même la marche MEB2 est l’occasion d’échanges sur l’ail des ours rencontré dans les bois, que l’on peut cuisiner en pesto et sur les asperges sauvages qu’un des participants aperçoit sur le sentier du littoral et qu’il aime cuisiner. De même une des participantes évoque spontanément des choix de cultures de fleurs réalisées dans son propre jardin. Le végétal appelle aussi aux souvenirs, comme c’était le cas lors de la marche exploratoire MEB1 où la vue d’un végétal à éveiller la mémoire d’une participante d’avoir aperçu des crocus près de la voie verte le long de la rivière Uhabia à Bidart, souvenir aussi associé à une émotion d’étonnement. Enfin le végétal est perçu sous ses aspects cycliques et biologiques par les agriculteurs interrogés (interviewé SJLV11) et les personnes pratiquant la chasse (interviewé B9).

En effet dans le premier cas, les éleveurs entretiennent une

relation étroite avec le végétal qui sert à nourrir leur troupeau. Dans le second cas la perception du végétal est permise par l’observation de la bécasse chassée qui éveille à la compréhension du cycle des arbres forestiers.

« Partout. La plante elle fait un cycle dans l'année. Là, la plante elle est très haute comme ça. Là, elle va devenir, à épissons. C'est une fois dans l'année. Après y a plus cet épi qui monte. Après elle pousse et elle fait juste de la feuille, qui est meilleure. La feuille est meilleure 262


que la tige, elle est plus riche en protéine. La tige, c'est ce que vous donnez en hiver, en réserve. » Interviewé SJLV11 – Extrait de narration lors de l’entretien « Et là, quand la végétation a 7-8 ans, la bécasse elle adore. Comme le soleil pénètre bien puisqu’il n’y a pas, il n’y a pas d’arbres. Donc là, il y a du petit bois 6, 7 mètres de haut et au milieu de la ronce. La bécasse, elle adore. Les bois de chêne qu’on a ici très haut. Elle n’aime pas. Elle aime les petits bouts, les bois bas. Même les grands bois de pin, elle n’aime pas trop. Elle aime les petits pins de 5-6 mètres. Voilà tout ce qui est végétation jeune. » Interviewé B9 – Extrait de narration lors de l’entretien La faune comme perception sonore et visuel distancée Si le végétal est caractérisé par le rapport de proximité qu’il permet d’établir entre l’individu et ce qui relève de la nature, la faune relève de perceptions sensorielles généralement distancées qui invitent à un contact rapproché. Les perceptions sensorielles qui relèvent de la faune sont principalement d’ordre sonores et visuelles. En effet les oiseaux sont souvent évoqués par leur chant mais ne sont pas perçus visuellement. Ils participent à l’établissement d’une ambiance paysagère agréable puisqu’ils traduisent la possibilité d’éveil à ce qui ne relève pas l’ « humain ». Comme toute perception sonore, celle des animaux se fait également dans leur absence. En effet, quelques témoignages à Bidart déplorent le manque de chant d’oiseaux dans leurs cheminements quotidiens et de proximité. La perception sonore peut être très fine. En effet, lors de la marche MEB1, un des participants identifie le chant du coucou. Il analyse ce chant comme celui du mâle qui appelle la femelle et qui s’inscrit dans la période de reproduction des oiseaux. Un rapport déductif s’établit de la perception sensorielle de la présence animale à l’analyse de son comportement vis-à-vis de son environnement ou de la saison. En effet, bien que les perceptions sensorielles ne relèvent pas de l’auditif chez le chasseur interviewé (interviewé B9) et le pêcheur, les perceptions sensibles du paysage permettent de comprendre et d’analyser le comportement de l’animal traduisant la capacité de l’individu à se forger une culture presque savante de celuici. Ainsi les perceptions sonores sont également liées aux perceptions d’un paysage saisonnier que nous avons vu précédemment dans le paragraphe Percevoir le

paysage temporel du chapitre précédent. 263


« YC : Aident au visuel. Après aux traces tout ça, on peut pas voir. C’est dans les ronces, tout ça. On peut pas voir les pattes de bécasses. Ça peut voler jusqu’à huit mille mètres de haut. Aussi haut qu’un avion avec un vent de Nord. » ÉM : Impressionnant. Et elle se cache dans les arbres ou dans les houx ? YC : Non c’est un oiseau terrestre. Ils se cachent dans des haies. Y a des fois, c’est impénétrable. Mais elle, elle navigue bien. » Interviewé B9 – Extrait de narration lors de l’entretien À Bidart ce seront surtout les oiseaux par leur chant qui seront paysagés. Une personne (interviewée B8) mentionnera des animaux rencontrés visuellement et phonétiquement sur son passage. Les pratiques agricoles de la commune de SaintJean-le-Vieux permettent une perception visuelle qui se somme à cette perception sonore et qui induit de fait l’établissement d’un rapport beaucoup plus proche avec entre la faune et les individus cheminant. En effet, la perception sensorielle des animaux se fait essentiellement par le visuel sur cette commune puisqu’ils sont nombreux et diversifiés. Ils sont d’ailleurs cartographiés. En effet, les mères de familles de la commune semblent très sensibles à leur présence sans doute parce qu’elles sont accompagnées d’enfants ou parce qu’elles ont des souvenirs associés aux enfants (127).

« CV : Alors forcément, vous voyez peut-être un peu quand on passe devant le camping, derrière le camping, il y a des animaux. Donc il y a le bruit des animaux. ÉM : Quels animaux il y a ? CV : Y a des ânes, cochons, là-bas. Donc il y a un peu de tout. Très sympa. Après il y a un très joli pont qui a été fait avec une partie surélevée en bois, parce que c’est trop humide sinon. Et là, je vais chercher mes orties pour mes plantations et là, il y a des chevaux aussi. » Interviewée B8 – Extrait de narration lors de l’entretien « On arrive dans une ferme où il y a des animaux. Un peu plus, il y a un lama, il y a souvent des petites chèvres, ou y a des ânes. » Interviewée SJLV2 – Extrait de narration lors de l’entretien 264


127. Extrait de cartographie situant les animaux comme éléments paysagers du parcours à pied (interviewée SJLV10).

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La possibilité de voir démontre une certaine curiosité et procure des désirs de rapports tactiles avec les animaux (128 & 129). En effet, les cheminements décrivant leur présence révèlent des attitudes d’arrêts spontanés et de durées significatives durant lesquels les personnes se rapprochent et cherchent à entrer en contact par la main par exemple, au niveau de la clôture d’une prairie regroupant ses animaux. Parfois les personnes pénètrent dans la ferme comme c’est le cas pour l’assistante maternelle interrogée (interviewée SJLV9) ou la mère de famille réalisant des promenades avec ses enfants. Cette curiosité révèle aussi de l’intérêt à rencontrer ces animaux et à les comprendre. Par exemple, lors de la marche MESJLV1, la vue de chevaux a généré des interrogations sur leur race.

« C'est incroyable, je ne sais pas, mais en tout cas, ça leur fait des réactions absolument impressionnantes. C'est fascinant de les voir réagir. Ils sont attirés par les animaux. N'importe quelle taille. Y a une espèce de connexion. Enfin connexion, je ne sais pas si c'est réciproque. Mais en tout cas, eux ça les rend très joyeux. Même avec les chevaux, parce qu'au départ, je pensais que c'était plutôt côté dominateur, par exemple avec des poules ou autre. Mais non les chevaux, les vaches. Heureux, voilà. » Interviewée SJLV9 – Extrait de narration lors de l’entretien S’ils sont généralement perçus de manière agréable, les animaux peuvent aussi appréciés négativement comme les « chiens qui aboient » (interviewée B1) qui induisent une sonorité agressive. Si le cheminement peut être inconsciemment guidé par l’envie de percevoir, rencontrer voire d’établir un contact avec une règle animal, il peut être également induit par la volonté de ne pas le rencontrer.

« Y a une dame là, son chien aboit à chaque fois que quelqu’un passe et elle, elle est agressive. Elle incite son chien à aboyer et râle quand les gens passent. Comme si c’était la faute des gens. » Interviewée B1 – Extrait de narration lors de la cartographie

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128 & 129. Photographies qui montrent la diversité des animaux rencontrés sur le parcours réalisé à pied (interviewée SJLV4).

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Le vivant : enjeu du patrimoine La thématique du vivant occupe donc une place prédominante dans les perceptions du paysage. À la fois témoin de vie et de notre capacité à établir des lieux sociaux, le paysage du vivant traduit des formes d’attachements et soulève des enjeux de paysage comme cadre du quotidien Le marqueur culturel, seul paysage perçu ? Une première réflexion ici consisterait à s’interroger sur la condition nécessaire de marquages humains pour appréhender le paysage. En effet deux témoignages réalisés sur la commune de Bidart révèlent la place importante de la présence humaine dans ce qui est paysagé. Ils sous-tendent que si l’humain ou du moins ses traces (constructions humaines) n’est pas présent, le paysage ne fait pas l’objet d’une attention particulière. Tout d’abord, un retraité Arbonnais34 (interviewé B5), dans l’évocation d’un cheminement passé pour aller au célèbre moulin de Bidart depuis Guéthary, assimile le « rien » à l’environnement autour du moulin. Cet environnement n’est ni de la forêt, puisqu’elle est évoquée, ni de la côte littorale (au préalablement paysagée). De plus, la personne évoquait des perceptions très tactiles des cheminements réguliers qu’elle effectuait sur la commune. Cependant ces perceptions multisensorielles ne font pas l’objet d’un souvenir particulier et le visuel, par l’absence d’élément, prend le pas.

« Visuel, c’était vraiment de la forêt. Voilà le souvenir que je peux avoir y a maintenant à peu près 50 ans c’était oui voilà. On partait de Guéthary et de suite on était à Bidart. On passait de la côte et on était un peu plus sauvage, plus forêt, c’était ça qui était sympa. Et puis après on arrivait au moulin et y avait pas de restaurant y avait rien. Y avait une vielle décharge qui s’appelait Mutio à l’époque. Une décharge sauvage. C’est des choses que je me souviens comme ça. » Interviewé B5 -Extrait de narration lors de la cartographie

Habitant d’Arbonne. La personne interviewée est le président de l’association de randonnée Menditalde à Bidart et se rend régulièrement sur la commune pour se promener.

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Ensuite un jeune Bidartar de 27 ans (interviewé B11) décrira les ambiances des lieux cheminés ou rencontrés par la sociabilité qui s’y produit. Lors d’un itinéraire de course décrit pendant la cartographie, la personne déclare littéralement : « il n’y a pas d’ambiance ». Il ne décrira que les espaces forestiers qui regroupent des champignons et donc où on est susceptible de rencontrer des personnes en pleine quête ou encore les prairies avec des chevaux situées près d’une écurie très animée sur la commune (130). L’absence de remarques ou d’annotations tout le long du parcours reflète le manque d’animation de cette portion de parcours à l’époque où le cheminement y était effectué (et non l’absence d’environnements distingués). L’« animation humaine » constituerait-elle une valeur paysagère ? En effet la marche exploratoire MEB2 a soulevé la valeur de certains paysages à résider non pas dans leurs qualités physiques mais dans les possibilités qu’il offre pour l’individu à s’établir. Lors de cette marche, nous sommes avons traversé la place de Bidart et le centre-ville en général. Les participants ont décrit le caractère trop minéral de la place. Une des personnes qui ne vit pas à Bidart en a eu un sentiment plutôt désagréable. Cependant une participante Bidartare a rappelé le caractère très animé et festif du lieu lors des diverses animations, de fêtes, chants, marché. La haute fréquentation du lieu et la convivialité qui en ressort lui semble omettre son aspect très minéral. Le travail manuel, l’artisanat comme valeurs du paysage Une autre valeur marquée associée aux paysages, marquée par l’enjeu culturel qu’elle porte, est celle du travail manuel exercé. En effet, les personnes qui vivent dans les zones urbaines, apprécieront la qualité architecturale de certaines etxe et l’entretien apporté à ces maisons et à leur jardin. Nous l’avons vu précédemment, ces éléments sont paysagés à la fois dans leur globalité mais également dans les détails de couleurs, de formes et d’état. Plus généralement, la propreté et l’entretien sont associées à la beauté. L’entretien sera surtout porté sur la question du végétal montrant une forme de désir contrasté – voire contradictoire - entre une quête du sauvage et la volonté d’entretiens que nous verrons dans le paragraphe suivant, Entre quête de paysages sauvages et

désirs de paysages entretenus. Chez les agriculteurs, la valeur du travail tant sur les éléments bâtis que sur le travail des parcelles agricoles, semble prendre le pas sur celui de l’entretien. En effet, notre retraité Donazahartar (interviewé SJLV3) décrira à propos du travail 269


130. Extrait de cartographie traduisant les éléments d'intérêt comme les « chevaux » ou « champignons » générant une animation et une présence humaine (interviewé B11).

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manuel des vignes familiales et des vignes d’une autre famille habitante de la commune.

« Mais c'est pour valoriser les endroits qui ne peuvent pas être mécanisables. J'ai connu la vigne et c'était super important au niveau des fermes, à l'époque. Donc chez nous, il y avait cette parcelle en haut. Il y avait toute la moitié du jardin qui était en vigne et il y avait une parcelle là-bas, tout en haut aussi. Ils faisaient du vin, il était bon. Moi j'avais un vieux tonton, il s'occupait de la cave, il était fier comme tout de son vin. » « Oui enfin, chaque famille, chaque ferme avait des vignes. Même y avait des vignes des gens de Saint-Jean-le-Vieux. Les Mayté là, leurs parents, avaient une petite vigne là. C'était travaillé, entretenu, des systèmes de montagne avec des murs à pierre. » Interviewé SJLV3 – Extraits de narration lors de l’entretien Finalement à Saint Jean-le-Vieux, ce qui semble plus faire écho que la notion « d’entretien », c’est les valeurs du travail et de l’artisanat local qui ont été discuté lors de la marche exploratoire MESJLV1. Cette réflexion s’est construite à propos d’un entrepôt d’élevage de vache, déprécié par l’ensemble des visiteurs mais qui revêt quelques caractéristiques appréciables par le fait que ce soit une entreprise locale qu’il l’ait construit selon un habitant. De même, la vue d’une bergerie réalisée en bois avec un calepinage singulier a été hautement appréciée par l’ensemble des participants pour son caractère soigné et le travail manuel qu’elle a induit. Toute forme de marque humaine sur le paysage fait l’objet d’un commentaire souvent même négatif lorsqu’il s’agit de parler d’un impact nuisible et qui incarne trop fortement la distinction naturel/artificiel. Lors de la marche MESJLV1, le berger participant fera remarquer des troncs de bois coupé en forêt sur un ton humoristique : « remarquez le travail des castors ». En réalité ce sont des jeunes qui font du VTT et qui utilisent le bois pour aménager des parcours. Entre quête de paysages sauvages et désirs de paysages entretenus En réalité l’appréciation du travail manuel dans le paysage est difficile à cerner. En effet, la perception d’un paysage entretenu semble devoir se concilier avec une part de « sauvage » à préserver. Cette ambiguïté a été ressentie de manière très forte lors des entretiens et des marches exploratoires à Bidart et cette analyse traitera majoritairement d’exemples tirés de ces expériences. 271


À

Saint-Jean-le-Vieux,

il

est

difficile

de

percevoir

la

part

de

« sauvage/entretien » comme des valeurs paysagères. Tout d’abord les personnes interrogées (en dehors des agriculteurs et d’un pêcheur) n’ont aucunement mentionné l’idée de paysage « sauvage » ou de prairies « entretenues ». À une exception près d’une assistante maternelle (interviewée SJLV9) l’évoquera brièvement. Cette dernière s’avère s’être installée il y a six ans à Saint-Pied-de-Port et est originaire de la région parisienne. Ensuite le pêcheur mentionnera cette état « mal entretenu » de la végétation comme obstacle à son cheminement comme nous l’avons évoqué précédemment dans le paragraphe Le paysage du règne

végétal et animal. Les agriculteurs démontreront beaucoup plus une sensibilité aux terres travaillées et entretenues par leurs propriétaires (interviewé SJLV3). De même lors de la MESJLV1, le berger participant évoquera des zones montagneuses « sales » en termes de végétation qui ont été expérimentées par un de ses amis qui marche souvent dans ces territoires.

« Le long de ce chemin, on va dire qu'il est plutôt sauvage, juste entretenu. Je pense. » Interviewée SJLV9 – Extrait de narration lors de l’entretien « GE : (…) À l'époque, il y a eu pas mal de maladies de la vigne. Elles ont disparu les unes après les autres. Mais c'étaient des toutes petites parcelles. C'était entretenu tout autour. Un petit lopin comme ça, c'est une parcelle. J'ai eu une réunion de photos sur Saint-Jean-le-Vieux à l'époque. Il y a quelques années, il y a une photo du village où on voit tout ça. On voit que c'est entretenu. Ce n'est pas la forêt. C'est vert, même des petites parcelles en herbées, des prairies. ÉM : Et du coup lorsque vous avez arrêté vous avez planté les arbres ? GE : Non non non, c'est venu naturellement. C'est la broussaille, ça va très vite. Après les arbres, l'acacia. ÉM : Et du coup vous n'y retournez plus dans ces terres ? GE : De toute façon, c'est très pentu. Pour de la vigne ce serait bon. Bon on y va prendre du bois. Régulièrement à chaque tempête, vous avez la moitié des arbres qui tombent. Le poids de l'arbre, dès que l'arbre grossit qui est un peu important, il tombe. 272


ÉM : Vous y allez toujours à pied ? GE : Oui on y va récupérer ou entretenir un peu. On a toujours entretenu des acacias. On y va, nous, on a des parcelles, qui ont été défrichées y a 40 ans. On y va pour amener les bêtes actuellement. Sinon oui moi tous les jours, je fais la balade à pied parce qu'il faut aller les voir. » Interviewé SJLV3 – Extrait de narration lors de l’entretien En réalité la perception des paysages par leur état « entretenus » ou « sauvages » semble relever plutôt d’un fait urbain. En effet durant cette même marche, les participants originaires de la côte urbaine littorale apprécieront à la fois les éléments de paysages entretenus comme les haies plantées d’arbres et les éléments laissés « sauvages » pour la biodiversité. De même, durant cette même marche, un participant venant d’Hendaye émettra un commentaire à la vue d’une parcelle de vigne dont la rectitude des lignes est qualifiée de « trop artificielle » et lui « fait peur ». Il juge que cela « dénote avec le reste qui est plus bordélique, un habitat très éclaté, y a des différences de niveaux, y a des haies, y a pas de haies, y a pas de lignes directrices ». À Bidart, cet enjeu sera fortement évoqué lors des entretiens, en particulier par les femmes. D’ailleurs une retraitée (interviewée B7) évoquera une dépréciation de certains éléments du paysage qui font « sales » ou du moins « pas propres » (131). Le paysage selon elle est un enjeu d’entretien (mais également d’équilibre avec une part « sauvage à conserver »).

« Vous savez, le tri sélectif des poubelles. Alors les gens, laissent les cartons là parce que ça rentre pas. Ils amènent pas à la déchetterie. C’est la faute des gens, c’est pas la faute de la mairie. Mais il me semble que si on faisait quelque chose de fermer, d’un peu plus propre. Alors la barrière de la SNCF tombe. Il y a des vieux. Comment ça s’appelle ? Des vieux poteaux téléphoniques ou électriques qui traînent là. Alors quand ils coupent, ils coupent ils peuvent parce qu’il y a plein de choses qui gênent. C’est catastrophique. Je vous ai fait des photos parce que vous voyez, on parle paysage tout ce que vous voulez, mais je trouve qu’il y a des choses déjà à essayer d’arranger, de faire joli, joli, au moins un peu plus propre. J’ai vu dans des endroits, c’est fermé. Vous rentrez làdedans. Il y a les poubelles et puis s’ils laissent pas d’espace entre, les gens vont pas stocker les cageots, les trucs. Je ne sais pas. » Interviewée B7 - Extraits de narration lors de l’entretien 273


131. Photographie montrant des éléments du paysage désagréables par leur caractère « sale » et « mal entretenu » (interviewée B7).

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Le manque d’entretien constitue aussi un obstacle à l’appréciation d’une expérience sensorielle. En effet une Bidartare évoque une dépréciation des accotements qui ne sont pas tondus, entretenu. Selon elle cela empêche la possibilité de pouvoir s’approprier le lieu mais cela appelle à l’incivilité. Lors de la marche exploratoire MEB2, le point d’arrêt B est l’occasion d’évoquer un regret quant au manque d’entretien des arbres qui obstruent la vue. Durant cette marche, les entretiens paysagers rencontrés sur les accotements et bords de route sont appréciés par le soin et l’attention portée au végétal (interviewée B1). Il y a une sorte de lien établi entre l’attention du soin et la personnalité de la personne qui l’a réalisé. Une personne qui épargne des fleurs pendant la tonte, c’est une personne qui aime les fleurs. Une personne qui agrémente son jardin, c’est une personne qui prend soin de sa maison.

« LF : J’ai plusieurs choses agréables. Ça c’est la chapelle. Moi personnellement j’aime bien quand la mairie coupe la pelouse. Quelque fois ce n’est pas trop fait. Dans ma tête je pense que pour les endroits comme ça, c’est mieux que la pelouse est coupée. Par exemple aussi, ici à Uhabia, la pelouse est mal coupée, et j’imagine que le week-end, quand il fait beau, plus de gens iraient s’asseoir. C’est un énorme espace et c’est bien pour s’asseoir. Les photos sont faites le matin mais si j’y vais l’après-midi y a des gens qui s’y assoient. ÉM : Pourquoi ? parce que c’est mieux vu ? LF : Car je pense que les gens respectent mieux. Comme ça c’est plus propre. Y a moins de gaspillages, de déchets. C’est mieux pour que les gens s’assoient. ÉM : À la fois à la chapelle et ici ? (Mentionnant l’espace vert près de la plage de l’Uhabia) LF : Oui mais j’ai pris cette photo pour montrer qu’ils le font. Ça c’est vers le bassin de rétention. Y avait trois monsieurs qui coupaient bien le côté. Donc ça c’est très agréable. Je trouve que ça fait plus propre. Les gens utilisent plus pour les enfants, marcher. C’est bien. J’ai pris une autre aussi avec le monsieur qui coupe. Car parfois c’est sauvage. Je trouve pour le chemin en ville c’est mieux si ce n’est pas sauvage. Dans les terres, par exemple l’inverse n’est pas grave. Maintenant je vais montrer une nouvelle chose. Ça c’est derrière le lotissement Gracien, près du train. Tu peux voir ils ont essayé de faire une bonne, je ne sais pas, espace vert. Mais ça c’est 275


toute la mauvaise herbe. J’ai l’impression qu’ils ont dépensé l’argent mais en fait ils n’ont pas fait attention de faire attention à continuer ça. » Interviewée B1 – Extrait de narration lors de l’entretien Cependant le cheminement est apprécié par sa capacité à créer des moments de coupure de la réalité urbaine en accédant à des ambiances paysagères plus « sauvage(s) » où le végétal prédomine et la présence de l’impact humain semble être oublié. Lors de la marche exploratoire MEB2, la rue Capera fait débat entre les marches aménagées vécues comme une dénaturation du site et l’appréciation de l’enlèvement du bitume au début du sentier comme une marque de « la nature (qui) reprend ses droits ». Le terme de « jungle » est même employé pour en qualifier l’ambiance. Dans d’autres lieux rencontrés lorsque des désirs de plantations sont émis des rejets sont exprimés par d’autres personnes en quête de « sauvage » de « naturel ». Le sauvage au-delà d’être une valeur paysagère devient un enjeu du paysage. En effet cette part de « sauvage » participe selon une participante de la marche MEB2 à une ambiance de village où « tu ne peux pas avoir tout rectiligne, si c'est trop rectiligne ça fait trop aménagé, ça fait trop urbain ». Son compère de randonnée ajoute qu'il ne faut pas que ces lieux soient trop structurés, types « jardins à la française ». Un point d’arrêt évoqué (le point B) comme espace végétal se détache aussi des jardins qui entourent le lieu et qui sont très travaillés et aménagés, ce qui lui confère une qualité très appréciable par l'ensemble des participants. Ce lieu serait parfait « pour des essences locales par exemples ». La conciliation « sauvage /entretenus » résiderait dans une sorte d’équilibre qui permet liberté et variété. Cette idée de variation et de respect du végétal à son état le plus « naturel » a pour but de favoriser la biodiversité (interviewée B7). En effet selon une participante, « il faut un minimum », des endroits sont décrits comme pouvant être « plus soignés ». Cet équilibre serait en quelque sorte incarné par l’image d’une prairie, rencontrée sur notre parcours, où l’herbe venait d’être fraichement tondue mais dont les marguerites avaient été contournées pour laisser comme des petits îlots de biodiversité (132).

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132. Photographie qui révèle une prairie où les marguerites ont été épargnées de la tonte. La vue de cette prairie a généré de grandes émotions d’étonnement et d’extase (participant, marche MEB2).

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« Oui bien sûr. Il est joli, ce chêne. Il y a deux grosses branches. Il faut le conserver. Alors là, par contre, j’avais pensé qu’il faut laisser quand même la nature telle qu’elle est, même si on peut aménager un peu. Je trouve qu’il ne faut pas trop. Éviter des choses qui peuvent, où les gens peuvent jeter des choses comme ça, mais je pense qu’il faut laisser la nature. Voyez ça (montre les bordures d’autoroute, des buissons coupés, en face de son jardin), il faut pour les petits oiseaux. Ils ont coupé là parce qu’ils nous ont dit : « ça amène la vermine ». Et puis c’est plus facile derrière. Mais vous entendez, j’ai plus de petits oiseaux. J’avais plein de petits oiseaux, alors je leur mets à manger et ils reviennent de temps en temps. J’ai le merle qui vient, mais il faut qu’ils viennent là-bas. » Interviewée B7- Extrait de narration lors de l’entretien Finalement à Saint Jean-le-Vieux, ce qui semble plus faire écho que la notion « d’entretien », ce sont les valeurs du travail et de l’artisanat local qui ont été discutées lors de la marche exploratoire MESJLV1. Cette réflexion s’est construite à propos d’un entrepôt d’élevage de vache, déprécié par l’ensemble des participants mais qui revêt quelques caractéristiques appréciables par le fait que ce soit une entreprise locale qu’il l’ait construit selon un habitant. De même, la vue d’une bergerie réalisée en bois avec un calepinage singulier a été hautement appréciée par l’ensemble des participants pour son caractère soigné et le travail manuel qu’elle a induit. Toute forme de marque humaine sur le paysage fait l’objet d’un commentaire souvent même négatif lorsqu’il s’agit de parler d’un impact nuisible et qui incarne trop fortement la distinction naturel/artificiel. Lors de la marche MESJLV1, le berger participant fera remarquer des troncs de bois coupés en forêt sur un ton humoristique : « remarquez le travail des castors ». En réalité ce sont des jeunes qui font du VTT et qui utilisent le bois pour aménager des parcours. Le vivant, une valeur paysagère ? Finalement, cette valeur du « vivant » attribuée aux paysages tant par la perception de la biodiversité que de l’entretien ou du travail manuel, traduit la capacité du cheminement à resituer l’individu dans son milieu et à lui faire prendre conscience de son appartenance à une forme d’écosystème possible et désiré. En effet, le paysage végétal et animal est perçu dans ses enjeux écologiques. Lors de la marche MEB1, l’occasion de la rencontre spontanée en cheminant, avec des grands arbres : palissade de bambous haute, forêt, chêne majestueux (branchage, 278


canopée) a montré aussi l’intérêt de la marche comme occasion de voir les puissances et forces des écosystèmes naturels. D’ailleurs la personne qui a réalisé des photographies se concentrait beaucoup sur les grands arbres rencontrés (133). Le vivant comme valeur paysagère porte l’idée d’un enjeu écologique du paysage. Le végétal dans sa présence et son aspect le plus « sauvage » est donc vécu comme un réel moteur de biodiversité. Sa présence systématique sur les bords de trottoirs, les accotements, les espaces minéralisés et sa diversité dans les espaces enherbés ouverts est vécu à la fois comme un élément à valoriser et à développer. De nombreuses allusions ont été faites les variations de végétaux, de l’implantation des essences locales et de les laisser évoluer. Lors de la marche MEB2, le végétal est donc cité à de nombreuses reprises par ses vertus d’habitats à la fois pour la faune (« les abeilles », « les oiseaux », « les fourmis », « les bêtes » sont citées) et l’humain. Lors d’un entretien avec un jeune éleveur Donazahartar (interviewé SJLV11), la perception d’une diversité végétale contribue à apprécier un paysage. De plus cette personne est également sensible à l’entretien du sol et des haies dans le rôle écologique qu’ils jouent.

« C'est des prairies. Alors sur 12 hectares de SAU on a des prairies naturelles, c'est à dire des prairies qui ont plus de six ans d'ancienneté. Voilà, celle devant la maison elle doit avoir 17 ans. Après 6 hectares ce sont des prairies temporaires, qu'on a refait y a moins de 5 ans. L'aspect, les prairies temporaires sont plus jolies parce qu'elles sont homogènes. Elles sont bien vertes parce qu'on les a ressemées y a deux ans. Après moi, j'adore les prairies naturelles parce que justement, c'est moins homogène. Il y a une grande diversité florale. Il y a du trèfle blanc, trèfle isolé, de la raygrass hybride, de la fétuque des prés, du lauthier et pleins d'autres. » « Ouais ouais ouais, j'ai un peu de tout. J'ai des clôtures, j'ai des haies. Je pense que notre génération en est un peu plus sensible que celle d'avant, tout ce qui est environnement et tout. Donc y a une partie que je préserve, c'est vachement bien pour la biodiversité, pour les insectes et pour les retenues d'eau. Parce qu'avant ils faisaient les haies dans des espèces de fossés comme ça. Ça fait des coupe-vent car il y a beaucoup de vent dans cette région en automne. » Interviewé SJLV1 – Extrait de narration lors de l’entretien

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133. Extrait d’un reportage photographique qui révèle la prédominance du végétal dans la volonté de la perception des paysages (participant, marche MEB1).

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134. Post-its qui montrent l'émotion procurée par le fait de se situer dans un écosystème global entre végétal, animal et êtres humains (participants, marche MEB1).

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L’aspiration à plus de végétal, plus de richesse et moins de transformation humaine sur le paysage démontre une reconnaissance de l’intérêt des interactions interespèces. La volonté de rencontre avec une faune aussi identifie les mécanismes écosystémiques des milieux rencontrés. Lors de la marche MEB1, l'environnement perçu dans une forêt est décrit par le référentiel de l'oiseau selon un participant. Ce dernier est qualifié de « très boisé », « un paradis des oiseaux », « ressource à la vie », « si c'est un paradis pour les oiseaux, c'est un paradis pour la vie » révèle cet intérêt et connaissance des écosystèmes, peut-être aussi permis par la marche (134). Ainsi le sentiment d’attachement et d’action au paysage passe par le rêve et le fait de faire partie d’une sorte d’écosystème complet entre humain, animal et végétal, où le dualisme nature/culture s’efface pour faire place à un besoin de contact avec son milieu de vie. Ce besoin définit la volonté d’un état symbiotique entre les différents êtres vivants qu’ils le composent. D’ailleurs le côté « naturel » des lieux ou le fait d’être « dans la nature » ou en contact avec, est aussi assimilé aux espaces résidentiels traversés mais décrit avec une ambiance de campagne, d’ouverture, où l’impact humain est perçu comme amoindri. Ainsi toute forme d’aménagement sera appréciée dans le paysage pour leur ambition de favoriser la biodiversité animale et végétale. Par exemple, lors la marche MEB2, l’observation d’un hôtel à insectes et à aromates construit sur un trottoir avec un petit aménagement fait l’objet d’une « surprise » appréciée de la balade qui a suscité émerveillement et grand intérêt (135). Aussi lors de cette même marche, l’aménagement d’une clôture sur les sentiers de terres battus au cœur des falaises a considérablement réduit l’espace où les marcheurs pouvaient se promener. Cependant les participants ne l’ont pas décrit comme une contrainte mais une valeur ajoutée à l’espace conciliant sécurité et intérêt écologique.

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135. Extrait d’un reportage photographique qui montre l'intérêt fort qu'a suscité un petit aménagement d'hôtel à insectes et d'aromates rencontré sur le parcours (participant, marche MEB1).

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2. S’établir par le cheminement, le temps de l’appropriation du paysage Les témoignages et marches exploratoires ont permis de mettre en évidence les modalités d’appropriation mentales et physiques du paysage sensible. S’intéresser au paysage par le regard local, c’est comprendre des modalités d’appropriation – individuelle ou collective – du territoire par des pratiques sociales génératrices de liens sociaux. Cependant le paysage en souligne aussi des conflits d’usages liées à des pratiques inconciliables.

Le paysage par le cheminement, créateur de liens ? Le temps de l’introspection personnelle L’expérience du paysage par la marche constitue une introspection de soi pour une quête de convivialité. Marcher seul, à deux ou en groupe n’appelle pas la même appréhension des paysages. Ainsi une question rétrospective sur le format des marches exploratoires à Bidart et à Saint-Jean-le-Vieux a permis d’échanger sur les pratiques collectives et individuelles de la marche et les discussions se sont rapidement tournées vers l’ « état psychologique » du marcheur. En effet, la situation de groupe a changé la manière de pratiquer la marche pour certaines personnes qui connaissaient déjà les itinéraires parcourus à Bidart comme à Saint-Jean-le-Vieux. Lors de la marche MEB1, une des participantes qui marche quotidiennement avec son mari évoque les promenades qu’ils effectuent quotidiennement comme des moments de coupure de son quotidien. Même accompagnée de son mari, elle évoque sa pratique comme l'occasion d’« être dans (sa) bulle, de (se)ressourcer, (elle) fait le bilan, (elle) règle certaines

choses.

(Elle

est)

dans

l'environnement,

mais

l'environnement

accompagne pour être dans (sa) bulle ». Le cheminement ne serait-il pas une affaire de pratique solitaire ? Rappelons-le la plupart des témoignages relatent des expériences de cheminements effectués individuellement. En effet selon ces témoignages, le cheminement comme loisirs génère du bien-être avant tout ou le cheminement, comme déplacement professionnel, est l’occasion de travailler avec son troupeau. En effet, la forme de « communion » qui s’établit entre les éleveurs et leur troupeau ou entre le chasseur et ses chiens ne laissent pas entrevoir de place possible avec d’autres participants 284


humains. Nous l’avons vu précédemment, le chasseur et ses chiens, les éleveurs et leurs troupeaux ne semblent former qu’un seul et même corps puisque les individus humains paysageront leurs sensations corporelles à travers celles de leurs compagnons. Être seul permet l’introspection personnelle mais également de s’éveiller à son environnement, quel que soit la pratique du cheminement (interviewé SJLV7).

« JF : J'ai toujours apprécié pêcher à deux mais c'est vrai que pêcher tout seul, c'est un plaisir. Si on veut décompresser qu'on parte sur une matinée ou une journée de pêche. Que ce soit en montagne où ici dans les bas-fonds, on décompresse. C'est agréable, très très agréable. ÉM : Qu'est-ce qui est agréable ? JF : D'être seul. La nature, les oiseaux. Vous avez des truites qui gobent. On peut voir des animaux. C'est très intéressant, très intéressant. Non, non, la pêche est très, très intéressante. On voit toutes sortes de, toutes sortes de, la végétation change d'un mois à l'autre. C'est très joli. On voit la nature. » Interviewé SJLV7 – Extrait de narration lors de l’entretien De surcroit, le cheminement étant un mode de choix d’itinéraire, de s’établir dans un lieu, ce dernier devient plus spontané et libre lorsqu’il n’y a qu’un décideur (interviewé B9). La présence d’autrui pourrait également constituer une forme de distraction, de détournement de l’attention. Bien que cette dernière idée ne semble pas coïncider avec l’éveil sensoriel profond au paysage que reflètent les témoignages de personnes cheminant à deux : des couples ou amis (interviewée SJLV4).

« Moi, j’aime beaucoup chasser seul, soit parce que je peux, je gère mon temps. Moi, je pars, je pars. J’ai envie de faire une pause avec mes chiens, je fais une pause. Si j’ai pas envie, je marche encore plus, je marche. Moi, j’aime chasser seul. C’est sûr, pour le rendement, c’est mieux à deux, je m’en fous. Pour chasser à deux, il faut de la complicité. C’est comme quand on vit avec quelqu’un. A la chasse, j’ai un bon ami à moi, mais bon, lui il peut plus trop venir car il a des problèmes de jambes. Je préfère en tuer moins, j’aime chasser seul. » Interviewé B9 – Extrait de narration lors de l’entretien 285


« Alors c'est vrai que quand on démarre d'ici, on va vers la route de Jaxu, on a en plein l'Arradoy devant, toutes les vignes là. On trouve que c'est très joli ça. Suivant les saisons, ça change à chaque temps. (…) En hiver, y a rien, puis tout d'un coup ça devient tout vert. On voit bien les rangées au départ. Après les rangées on les voit plus pratiquement, tellement y a de feuillage. Et après en automne ça donne une couleur jaune, rouge. (…) L'ambiance est aussi, c'est plus des agriculteurs. Y a des animaux. Après y a une petite forêt. C'est très animé avec les oiseaux. » Interviewée SJLV4 – Extrait de narration lors de l’entretien Une pratique qui décuple la convivialité En effet, neuf témoignages de cheminements sur vingt-quatre sont ceux de marches réalisées à deux ou avec plusieurs enfants et démontrent que cette pratique peut relever d’une dimension collective de l’appréhension des paysages. À deux ou à plusieurs, la marche semble transcender au sens où elle génère de réels moments intenses d’échanges (interviewée SJLV2) voire de chants (interviewée SJLV8). Ces moments ne sont pas prévus ou anticipés et relèvent d’une réelle spontanéité.

« On discute. On débrief la semaine. » Interviewée SJLV2 – Extrait de narration lors de l’entretien « En général, c'est beaucoup de chanson. On chante beaucoup. On commente si voilà, je sais pas on voit des animaux, si y a des fleurs. Mais souvent, c'est vraiment des temps de chants. Et ils mémorisent beaucoup en marchant. » Interviewée SJLV8 – Extrait de narration lors de l’entretien Lors des marches exploratoires, l’enjeu était de faire parler les participants même les plus timides. Les échanges ont pris place de manière assez spontanée lors des moments d’arrêts de groupe et de discussion à deux ou trois pendant la marche. Les discussions tournaient plutôt autour de nos ressentis et perceptions aux moments d’arrêts et pendant la marche les participants apprenaient à se connaître. À la fin de la marche MESJLV1, un moment de chant s’est installé dans la dernière portion traversée, celle située en pleine forêt. Dans chacune des marches, les participants ont réellement apprécié à la fois les rencontres mais également les échanges et connaissances partagées (136). Cet instant de sociabilité a été 286


136. Photographie qui montre les moments d'échanges qui ont eu lieu lors de la marche exploratoire MEB2 (Clara Chavanon, marche MEB2).

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apprécié même pour les personnes qui en général, préfèrent cheminer seul. Cependant cette forme convivialité n’est appréciée que lorsque la marche est prévue à être effectuée en groupe. Il faut nuancer la qualité de convivialité que la marche induit notamment vis-à-vis des situations de rencontres spontanées qu’elle permet. En effet, les entretiens ont révélé différents degrés de sociabilité allant du simple rituel salutaire (interviewée SJLV2) au bref moment d’échanges qui permet aux interlocuteurs d’échanger un peu plus longtemps.

« On ne s'arrête pas. On ne s'arrête pas. On va s'arrêter. Si, vraiment, si on rencontre quelqu'un avec qui on va discuter. On s'arrête pas en principe, on ne s'arrête pas là, on regarde tout en marchant. Ensuite, en continuant, on passe à droite entre deux fermes. Là c'est un quartier où y a un peu plus de maisons. On dit : « Bonjour ! » (rire) Voilà ! » Interviewée SJLV2 – Extrait de narration lors de l’entretien La convivialité, une question de nuance La convivialité ou quête de convivialité dépend du profil et de la personnalité de la personne qui chemine. Cependant la présence d’autrui guide définitivement le cheminement dans la quête de rencontre ou la recherche d’évitement. Lors des marches exploratoires, nous avons abordé l’idée de marcher en groupe ou de

cheminer

pour

rencontrer

d’autres

personnes.

Toutes

les

personnes

participantes ont apprécié les moments de marches comme un réel temps d’échange et de convivialité. Cependant cette pratique de la marche à plusieurs n’est évidemment pas une pratique partagée. En effet, il a été évoqué lors de la marche MEB2 que la présence d’autres personnes ne semble pas être un frein pour les participants plus jeunes. Elle est l’occasion d’une convivialité et sociabilité qui participent à rendre le lieu vivant. Deux des participants font d’ailleurs parties d’une chorale qui se produit régulièrement en extérieur. Ils nous ont raconté avoir partagé un pique-nique à l’occasion sur le lieu même où nous nous trouvions. L’un d’eux explique également qu’il se retrouve occasionnellement avec des amis pour prendre l’apéritif sur la falaise. L’espace côtier, érigé comme paysage remarquable possède donc une réalité quotidienne dans la sociabilité qu’il facilite notamment pour les habitants les plus jeunes. Cependant comme nous l’avons vu dans le chapitre 01. Le paysage cheminé, la rencontre du paysage par le contact du sol la prédisposition à cette convivialité dépendent de l’attitude du cheminement elle288


même induite par la configuration du sol et l’ambiance vécue du paysage. En effet, les marches exploratoires ont révélé la prédominance de la dimension sonore dans la perception des paysages et des moments de convivialité et sociabilité. À contrario, les personnes plus âgées de notre groupe de marche ont régulièrement émis des sentiments et désirs d’être « au calme », « paisible » sans trop de monde. Du moins, elles ne s’arrêtent pas trop longtemps dans des lieux de fréquentation trop importante. Elles envisagent éventuellement d’y rester pour un moment bref à vivre seul. Ainsi une personne retraitée participant à la marche MEB2 se verrait plutôt prendre l’apéritif seul avec une bière ou un verre de vin sur les falaises plutôt que de faire un réel pique-nique. Aussi, les deux personnes retraitées participant à cette marche se connaissaient. Elles ont apprécié le format du groupe car il respectait une certaine intimité (faible nombre de participant) et une certaine familiarité. Enfin, à Saint-Jean-le-Vieux, les agriculteurs interrogés ne cheminent pas dans le but de trouver des moments de sociabilité. Bien que notre berger ait été ravies de nous accompagner et de nous transmettre son paysage lors de la marche MESJLV1, il préfère marcher seul. Alors la convivialité est une notion qui semble pouvoir se vivre seule à l’instar de ce berger qui apprécie les moments de points de vue même durant ses transhumances quotidiennes.

Le cheminement par le point d’arrêt comme volonté de s’établir dans son territoire La troisième hypothèse émise était que les perceptions sensorielles et mémorielles individuelles du paysage appelaient de nouvelles pratiques locales de sociabilité spontanées au niveau des points d’arrêts liés à des points de vue paysagers. L’étude s’est donc attachée à comprendre les liens entre expérience sensible individuelle du paysage et des formes de sociabilité qui s’établissaient pendant la marche mais également à ces points d’arrêts. Elle a également cherché à comprendre la relation au paysage que traduit ces pratiques sociales. Les entretiens à Bidart et Saint-Jean-le-Vieux ont révélé différents modes de cheminements dont ceux exercés dans le cadre d’une pratique quotidienne, régulière ou occasionnelle de loisirs. Ce type de pratique réside soit dans la pratique même de la marche soit à se rendre dans un lieu plus ou moins aménagé, théâtre de pratiques de sociabilités collectives. Cependant cette étude couplée aux marches exploratoires à Bidart a mis en lumière des volontés de pouvoir s’établir 289


individuellement dans ces lieux, détachées de ces sociabilités supposées et la conjonction de circonstances favorisant la volonté de s’établir. En effet, il semble que l’appropriation physique d’un lieu, en dehors des espaces aménagés, ne fasse que très peu l’objet d’une volonté sur la commune de SaintJean-le-Vieux, à une exception près par le récit d’une mère de famille narrant sa pratique de la marche avec ses enfants sur la commune ou lorsqu’elle était jeune, le cheminement à Saint-Jean-le-Vieux est rythmé de nombreux moments d’arrêts mais qui restent très brefs tant dans les pratiques professionnelles de loisirs. Ce volet montrera les éléments du paysage perçus lors des moments d’arrêts plus prolongés. Il exclura cependant les pratiques de cheminement réalisées dans un cadre professionnel par les agriculteurs notamment puisque nous l’avons démontré précédemment, l’arrêt spontané n’est pas assujetti par une stimulation sensorielle du paysage mais plutôt par l’attitude du troupeau qui accompagne la personne et ne fait pas l’objet d’une appropriation physique de l’espace. Sur les deux communes, marcher, se promener est l’occasion de s’arrêter pour un temps plus prolongé, de vivre un moment de convivialité seul ou partagé dans des lieux plus ou moins aménagés qui réunissent tout de même des configurations communes qui nous expliciterons ci-dessous. À Bidart plus spécifiquement, les marches exploratoires ont mis en avant la capacité des habitants et usagers de la commune à se projeter dans un espace et d’y envisager des usages temporaires voire informels (137). Au-delà de l’idée de pratique sociales, l’étude sur les deux communes a démontré que le cheminement était l’occasion de s’établir mentalement sur son territoire. En effet, par leurs sensibilités au paysage via l’observation de panoramas paysagers, les individus démontrent une capacité et volonté à se situer sur leur territoire de vie et à le définir. Le cheminement, de l’occasion d’une appropriation physique du paysage… À Saint-Jean-le-Vieux, les témoignages relatent une expérience du cheminement où les moments d’arrêts sont généralement très brefs et spontanés. Nous l’avons vu précédemment dans le chapitre 02.Le paysage éprouvé : le

cheminement comme vécu de paysages multisensorielles et affectifs, ils peuvent être marqués par l’observation d’une fleur particulière, par la rencontre avec des animaux mais aussi par l’apparition d’une vue particulière, un panorama. Dans le cas de la présence d’animaux, l’interaction générée avec les enfants ou la recherche 290


137. Série de photographie montrant certains lieux d'arrêts prévus ou imprévus réalisés lors des marches MEB1 et MEB2 (personnelle et participants, marche MEB1 et MEB2).

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de contact physique suggère un moment d’arrêt plus prolongé. De même pour la recherche de contact physique ou olfactif avec des fleurs par exemple. Ces moments d’arrêts ne sont pas réellement explicités comme tels, mais déduits par le comportement décrit lors des entretiens ou par le fait qu’une photographie ait été réalisée. Cependant quelques témoignages à Saint-Jean-le-Vieux et à Bidart permettent de comprendre les liens qui s’établissent entre perceptions sensorielles du paysage et moments de convivialité lors d’arrêts plus prolongés. Lors de ces arrêts la conjugaison d’une ambiance propice à l’arrêt générée par une sensorialité forte et agréable et d’une configuration spatiale singulière est nécessaire. La typologie des lieux ne traitera pas des espaces de jeux spécifiquement aménagés mais traitera des espaces ou une pluralité d’usages est possible par le degré d’aménagement présent. Un premier type de moment d’arrêt spontané peut se distinguer autour de la présence de l’eau. En effet à Saint-Jean-le-Vieux, la rivière semble être un élément qui attire et suscite l’arrêt spontané par la sensorialité (interviewée SJLV1) comme évoquée précédemment. Lors de la marche MESJLV1, la rivière est d’emblée posée comme un élément qui « appelle » au début de la marche et qui fait l’objet d’une photographie en fin de marche.

« Quand, au départ, on est vers la Madeleine, y a un petit cours d'eau qui passe. Donc là sur le pont, je m'arrête parce que j'aime bien regarder l'eau et c'est agréable. Et après je continue, je m'arrête au lac d'Harrieta. On peut aller se poser là-bas aussi, pêcher, tout ça. Après je continue à marcher. » Interviewée SJLV1 – Extrait de narration lors de l’entretien Une mère de famille évoquera l’arrêt sur un pont comme moment de rencontre avec la rivière et de convivialité partagée avec ses enfants autour du « goûter » dans un format très spontané (sans aménagement, au bord de la route) (interviewée SJLV10). L’expérience est vécue à la fois dans la sensation de bienêtre individuel mais également dans la convivialité intime et familiale qu’elle permet. L’ambiance multisensorielle procurée par l’eau est le théâtre de moments d’interactions (interviewée SJLV10) ou de sociabilité fortes (interviewée SJLV5).

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« Le quartier Sabaltze, souvent où on s'arrêtait au niveau de la rivière, y avait un pont comme ça. On faisait une petite pause goûter. » « Par contre, après avec les enfants, ce qu'on faisait quand ils étaient plus petits, on allait très souvent au lavoir. Ils aimaient bien avec l'eau et tout ça. » Interviewée SJLV10 – Extraits de narration lors de l’entretien « Y a une table de pique-nique en fait, du coup on mange, c'est tranquille. On entend le bruit de l'eau. Un endroit tranquille où on peut se poser. » Interviewée SJLV5 – Extrait de narration lors de l’entretien De même la présence de l’océan permet ces mêmes moments de convivialité spontanés notamment avec les enfants (interviewée B4). L’eau stimule la découverte et l’amusement par les sensations corporelles (aussi éprouvée par la situation de l’océan en pied de falaise à Bidart). La sociabilité est vécue à l’échelle collective.

« On profite du paysage. Et puis quand les enfants étaient plus petits alors la voie verte n’existe pas. Mais on faisait ce bord de mer. On allait beaucoup à Erretegia. À la plage là, pour pouvoir grimper. On pique-niquait. Voilà. On adorait faire ça. » Interviewée B4 – Extrait de narration lors de l’entretien Un second type de lieux d’arrêt spontanés se définit par la conjonction d’une ambiance auditive forte (absence de bruits et de personnes ou au contraire très animé) et d’un léger aménagement. Ces lieux ne présentent pas de panoramas paysagers et se situent en bordure de chemins. À Saint-Jean-le-Vieux, une mère de famille (interviewée SJLV10) qui a grandi sur la commune et qui s’y rend souvent avec ses enfants relate des trajets qu’elle effectuait jeune pour retrouver ses amies. Le cadre peu fréquenté, « tranquille » qui permet de ne rencontrer « personne » est propice à la convivialité aussi par la présence d’un banc qui invite à s’asseoir. La situation paysagère ne fait pas l’objet d’une attention particulière, elle est surtout décrite par ce qu’elle permet, la rencontre amicale dans une forme de situation secrète.

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« Au niveau de l'intersection où elle habite Laura Mayté là. Nous à l'époque, il y avait un banc. Là aussi avec les copines, des fois on s'arrêtait voilà. On discutait. On était tranquille, y avait personne. » Interviewée SJLV10 – Extrait de narration lors de l’entretien À Bidart, une mère de famille (interviewée B4) dont les enfants sont maintenant partis du foyer familial évoque les marches qu’elle effectue actuellement avec son mari autour du Lac Mouriscot, un lac très animé d’un point de vue sonore par le bruit des enfants qui jouent, des personnes qui y passent seules ou à plusieurs, parfois avec des animaux. La présence d’un banc dans cette ambiance spécifique qui la replonge dans ses souvenirs avec ses enfants lorsqu’ils étaient plus jeunes l’invitent également à l’arrêt. La convivialité y est vécue avec son mari comme un moment commun de partage des souvenirs de leurs propres enfants provoqués par les stimulations auditives et visuelles.

« RC : Oui voilà, y a des personnes qui font du cheval qui viennent là. Y a des personnes avec leur animaux de compagnie. Après y a des enfants. Y a pas forcément de jeux. Après y a des gens qui font du sport, du footing. Ce genre de chose. Voilà. ÉM : Et ça vous arrive de vous arrêter un instant, soit pour asseoir, soit parce que vous rencontrez quelqu’un ? RC : Non je peux m’arrêter oui. Euh sur un banc, au bord du lac. » Interviewée B4 – Extrait de narration lors de l’entretien Enfin un dernier type d’arrêt est celui de la stimulation de la vue par le panorama paysager. Ce dernier est le plus récurrent et peut se produire autant dans des espaces fortement aménagés qui font parfois même l’objet d’une attention patrimoniale institutionnalisée que ceux situés en bord de route et qui ne présentent aucune ou très peu de forme d’aménagement (si l’ambiance sonore ne constitue pas une perturbation). Il ne s’agit pas là de revenir sur ce qui a été évoqué précédemment dans le chapitre02.Le paysage éprouvé : le cheminement comme

vécu de paysages multisensorielles et affectifs mais plutôt de comprendre l’influence sur les pratiques sociales de la rencontre d’une stimulation sensorielle forte et d’une configuration spatiale. Les lieux patrimonialisés, dont le degré de formalisation est plus ou moins important entre la commune de Bidart et celle de

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Saint-Jean-le-Vieux, peuvent offrir l’occasion d’une expérience sensorielle visuelle et corporelle forte propice à des moments de convivialité et de sociabilité. La colline Mendikasko à Saint-Jean-le-Vieux s’est construite comme élément de curiosité, d’attraction et presque de « jeux ». La situation en surplomb, inédite sur la commune qu’elle permet, confère à ce lieu ses propriétés de convivialité. Elle est le théâtre d’une réelle expérience du paysage par le corps (le fait de grimper) et par la contemplation (le fait de se situer en surplomb). L’expérience de cet espacepaysage induit pour certains habitant sociabilité et convivialité, incarnées dans les moments de pique-nique au sommet de cette colline (interviewée SJLV10). Concernant le pic de l’Arradoy, la situation en surplomb génère une expérience corporelle forte (la marche pour y accéder puis peut-être le vertige) et visuelle exceptionnelle (par la situation surplombante). Pour une jeune Donazahartare convivialité rime avec sociabilité au sommet de la montagne (interviewée SJLV5) pour d’autres, la convivialité réside dans la possibilité de contempler son territoire (nous verrons cela dans le paragraphe suivant). Cette première personne relatera l’aménagement du lieu à partir des pratiques de « goûter », « pique-nique » ou « barbecue » qu’il permet. D’ailleurs elle réalisera une photographie qui omettra tout élément de l’environnement extérieur et montrera le paysage vécu à l’instant, celui du partage et de la sociabilité incarnés par l’activité du pique-nique (138).

« Par contre, quand j'étais petite, j'allais très souvent sur la butte du camp romain. On montait, on descendait en courant. On allait faire le goûter en haut. On avait l'impression que c'était immense quand on était petit. Et en fait c'est tout petit. C'était la découverte. » Interviewée SJLV10 – Extrait de narration lors de l’entretien « Avec ma famille et surtout mes amis. On pique-nique là-haut. On prend le goûter en haut. C'est là où il y a des tables de pique-nique, un barbecue et tout, et y a des places pour se garer et y a un sentier. » Interviewée SJLV5 – Extrait de narration lors de l’entretien La convivialité et la sociabilité à partir de la vue peuvent se faire également au niveau d’espaces peu aménagés au bord de route (comme évoqué dans la catégorie de lieux précédente). Cependant la vue occupe une place primordiale car elle est l’objet de l’échange parmi les personnes cheminant. Par exemple, une mère de famille Bidartare (interviewée B12) évoquera les moments d’interactions 295


139. Photographie pour décrire les activités ayant lieu au pic de l'Arradoy sur l’espace aménagé pour le pique-nique orienté par un panorama sur le pays de Garazi (interviewée SJLV5). 138. Photographie qui paysage les moments d'interactions forts bien que brefs ayant lieu quotidiennement sur ce banc, situé sur le trajet de l'école et orienté vers la vue de la plaine de l'Uhabia à Bidart. L’extrait de cartographie en dessous montre l’association de la vue (Rhune, océan) à cet espace (interviewée B12).

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et de complicité avec ses enfants sur les trajets quotidiens pour se rendre à l’école. Ce trajet est ponctué par un lieu d’arrêt, un banc qui offre une vue sur la plaine de l’Uhabia (lieu d’ailleurs évoqué lors des entretiens comme un espace de jeux très apprécié par les enfants). Elle photographiera d’ailleurs le moment de l’interaction même permise par la présence du banc (139). Aussi lors de la marche exploratoire MEB1, alors que nous réalisions un détour pour voir une maison particulière, à la suggestion d’un participant, nous avons découvert un espace enherbé, situé sous un acacia qui a suscité un grand intérêt chez les participants (140).

« En général, quand on monte la côte, on s’arrête toujours voir si la Rhune est bien. Là, on regarde toujours. On a un regard sur la Rhune, sur l’océan. C’est génial ! Avant de prendre la journée, on regarde. Ça nous fait, voilà, y a la plaine scolaire. On continue à avancer et on entend les oiseaux de bon matin. » Interviewée B12 – Extrait de narration lors de l’entretien Philippe 35 fait ensuite remarquer un lieu avec une vue sur les Pyrénées. Le lieu présente de l'herbe coupée, un arbre, il est situé en bord de route mais contrairement au premier lieu d'arrêt, « il fait tellement sauvage qu'on y est bien » dit Jeanne. Les termes de « calme », « bien-être » qualifient selon les participants ce lieu. Les personnes alors cherchent à localiser ce lieu sur la carte comme une petite trouvaille. Le bruit des grillons perçu est l'occasion pour Philippe d'évoquer son enfance et le fait qu'il capturait les grillons avec des amis. Et spontanément ces personnes aspirent à venir pique-niquer pour la jeune femme, s'asseoir sur une chaise longue pour la femme retraitée. Selon Philippe, le paysage est un tout, c'est la vue mais aussi le cadre. Sa femme explique que s’il n'y a que la vue, mais avec du bruit de voiture, « ça ne marche pas ». L'homme retraité explique même qu'il s'installe volontiers dans ce lieu, contrairement à la plage où il verrait « 500 personnes autour et ce n'est pas la peine ». Anna explique que lorsqu'elle s'arrête, elle apprécie lorsqu'il y a du végétal qui enclos le lieu. Les personnes semblent interloquées lorsque je demande ce qu'il y a à transformer ou valoriser. Cet espace, « il faut le laisser en état ». Extrait de narration de la marche exploratoire MEB1

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Le nom des participants a été modifié pour garantir leur anonymat.

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140. Photographie révélant la configuration spatiale et paysagère du lieu qui stimule l'imagination et l'appropriation physique et mentale du paysage (participant, arrêt B’, marche MEB1).

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141. Extrait de cartographie qui situe les diverses activités : "apéro", "pique-nique" ou "pétanque" qui ont lieu (ou ont eu lieu en bleu) au niveau de l'espace côtier avec des amis (interviewée B1). 142. Photographie révélant un des espaces où elle aime pique-niquer avec sa famille ou ses amis. Cet espace est marqué par l'étendue d'espace enherbé et le caractère renfermé et à la fois ouvert par le panorama (interviewée B1).

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Les aménagements en bord de falaise ou en montagne conjuguant situation en surplomb, présence d’un espace enherbé généreux, quelques aménagements (bancs, tables de pique-nique ou non) et parfois la présence d’un édifice remarquable (chapelle de la Madeleine à Bidart) semblent être propice à toute forme d’activité allant de l’introspection personnelle au partage collectif de moments de chants et de pique-nique. À Bidart, une jeune Australienne (interviewée B1) évoquera des moments de convivialité seule mais également des moments de pique-nique ou de pétanque (141) qu’elle fait en été avec sa famille et ses amis sur des espaces enherbés ou sableux situés en surplomb de la falaise (142). Un jeune Bidartar (interviewée B3) évoquera avec son amie qui a pris part à la marche MEB2 des moments de chants pour l’association de chorale locale et de convivialité autour d’un pique-nique partagé. Lors de cette même marche, un des participants, retraité vivant dans une commune limitrophe a évoqué plutôt une forme de convivialité qu’il souhaite vivre seul.

« Donc je peux monter ici par exemple et y a un très joli point de vue. Un petit banc très mignon dans les arbres. Et l’été là plusieurs fois, je vais m’asseoir, méditer, lire. Avant y avait ça à Erretegia avec l’herbe mais je sais plus maintenant. » Interviewée B1 – Extrait de narration lors de la cartographie « Pas de vue sur Biarritz à cet endroit-là. La perspective ne le permet pas. Mais ça rejoint la chapelle qui est un endroit vraiment ouvert. Donc beaucoup d’espaces, de suite à flanc de falaise, qui donne sur l’océan. Donc quand il fait beau c’est hyper joli. On se retrouve souvent avec la chorale dont je fais partie pour chanter làbas. » Interviewé B3 – Extrait de narration lors de l’entretien Ce spectacle visuel semble être inconsciemment ou consciemment le vecteur de socialité. Un jeune Bidartar évoquera la multitude des lieux de rencontre avec ses amis localisés presque de manière scientifique pour permettre la vue du coucher de soleil (143), « le sunset » comme il l’emploiera tout au long de l’entretien (interviewé B11). Cependant le choix des moments d’arrêt revêt de l’idée d’un espace enclos mais permettant un sentiment d’ouverture que ce soit pour les jeunes qui souhaitent s’y retrouver seul (interviewé B3) ou à plusieurs (interviewé B11) ou

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143. Extrait de cartographie qui montre les lieux d'arrêt ou de rencontres possibles lors d'un cheminement. Les "sunset" ou "meilleur spot" localisent les lieux d'arrêts où l'appréciation du coucher de soleil est la plus forte (interviewé B11).

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les personnes âgées (interviewé B5). En effet, lors de la marche MEB2 un de ses lieux (situé au niveau de l’arrêt B) sera le théâtre d’évocations de riches émotions « paisible », « calme », « serein » ; de sentiments de « solitude », de « bienvenue », « romantique » et d’imaginaire de « petit monde », d’ « endroit secret ». L’ambiance de ces lieux est caractérisée par l’idée d’ « alcôve naturelle » « d’enclos » et par la possibilité de « liberté », « d’ouverture » (143).

« Alors des fois, oui bah avec David, on se pose à Erretegia, vu qu’il est à côté. Mais on s’embête plus à aller en bas pour faire le sunset. On prend les endroits où on est sûr d’avoir la plus belle vue. Chacun voit midi à sa porte. Mais c’est surtout sur les endroits où il y a moins de monde et moins facile d’accès, moins de monde. » « On chill (se pose) avec les potes qui ont des chiens tout ça. Ils les lâchent car c’est encore un endroit qui reste un peu sauvage. Qui a pas été réaménagé ou créé pour le tourisme. Ça reste le même spot, le même petit truck où tout le monde peut se retrouver le soir. C’est pas trop visuel car les flics doivent rentrer sur le parking pour nous voir. C’est pas tellement caché, mais c’est facile d’accès et on se retrouve là-bas car on voit la mer facilement. » Interviewé B11 – Extraits de narration lors de l’entretien « Bah le côté d’avoir, alors c’est assez paradoxal, sur l’Uhabia, on a cette sensation d’espace parce que la plage est super longue et très en retrait par rapport à la côte. Mais du coup je trouve ça désagréable. Si je vais sur la plage pour une activité de baignade, de bronzage ou de lecture. Je ne saurai pas te dire pourquoi. Mais quand je vais sur la plage, je préfère les paysages de falaise, qui entourent et donnent cet aspect de cocon. » Interviewé B3 – Extrait de narration lors de l’entretien « Les endroits où c’est le plus tranquille en général. Entre Pavillon Royal et Erretegia, y a des endroits, y a des rochers, y a pas grand monde. J’aime bien. » Interviewé B5 – Extrait de narration lors de l’entretien

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144. Post-its montrant les sensations d'ouverture et d'enclos propices à l'arrêt (même en bord de route) regard un panorama paysager (participants, arrêt B, marche MEB2).

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L’expérience spatiale et sensorielle qu’offrent ces lieux est si forte qu’elle est également une réalité pour ceux qui effectuent des cheminements en courant en groupe dans la nécessité d’attendre le reste du groupe (interviewé B6). Ces points « d’attentes » possèdent des configurations spatiales très similaires : la situation en haut de la montée avant d’attaquer une descente, une ouverture sur un paysage panorama, et la proximité d’un aménagement (intersection de chemin, parking) ou d’un bâtiment (restaurant, chapelle). Au-delà d’être perçus par leur praticité (l’attente du groupe), ils sont de réels moments de convivialité où les composantes multisensorielles et spatiales favorisent l’arrêt, ce dernier participant à la cohésion du groupe.

« Y a un stop là, juste en haut, pas sur le parking. Mais juste en haut parce qu’il y a un point de vue ici. Le point de vue est juste ici, une espèce de courbe. Quand vous montez les escaliers, parce que la plage du centre vous y accédez par la route, soit vous y accédez, vous garez votre voiture sur le parking et vous descendez les escaliers. Ce que font beaucoup de gens. Alors cette partie d’escalier, alors c’est pas long, ça monte bien, et la y a une espèce de plateforme en herbe, qui domine et qui est au-dessus de la plage du centre. Et c’est ça qui est sympa. » Interviewé B6 – Extrait de narration lors de l’entretien Il est important de repréciser que l’ambiance multisensorielle de ces lieux d’arrêt est donc indissociable de leur expérience spatiale physique. En effet des configurations similaires de lieux mais avec une forte nuisance sonore ne génère par la même pratique sociale. En effet lors des marches MEB1 et MEB2 différents moments de points de vue (aménagés ou non aménagés) ont été testés. Cependant la présence d’une route très fréquentée à proximité a inhibé les volontés de s’établir sur le lieu et de se l’approprier. Ce type d’espace fait plutôt « ralentir ». Mais il constituera plutôt selon les participants, un moment de « respiration urbaine » hautement appréciés pour ceux transitant à une plus grande vitesse (vélos, voiture, course) et qui ne peuvent pas ou ne souhaitent effectuer des moments d’arrêts. Une participante de la marche MEB2 évoque l’idée de partage, d’apprécier le paysage non pas que en marchant mais aussi par les voitures, pour les cyclistes, ceux qui se déplacent à grande vitesse.

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… à la recherche d’une territorialité Par le cheminement, la rencontre avec le paysage est également l’occasion pour l’individu d’une recherche territorialité. Le paysage participe à l’ancrage des individus dans leurs territoires de vie et de fait à leur appropriation de ce territoire. Cette recherche de territorialité se manifeste sur les deux communes par la recherche d’une situation, d’un rapport sur le territoire par la nomination des communes avoisinantes perçues visuelles à l’occasion de panoramas paysagers (interviewé B3) ou par la nomination des directions de routes (interviewé SJLV3).

« Depuis cet endroit-là, on voit Guéthary, Saint-Jean-de-Luz, la Corniche, jusqu’à Hendaye, Fontarabie. Quand c’est vraiment dégagé on peut voir. Je sais pas jusqu’où on peut voir mais on voit très très loin en Espagne. Et j’adore parce que si tu imagines la vue satellite de la carte de l’Espagne et ensuite de la (bombe ?) ibérique, on voit en fait vraiment la forme, depuis là où on est sur ce lieu. » Interviewé B3 – Extrait de narration lors de l’entretien « De toute façon on suivait les vaches. J'avais 11 ans la première année que je l'ai fait. On avait les vaches. Elles avaient l'habitude d'Iraty. On prenait la route d'Iraty jusqu'à Lekumberry. On allait à Laharraquy puis le pont d'Estérençuby. Ça remontait vers... j'ai oublié le nom. Et là, on sortait les vaches, les vaches suivaient. » Interviewé SJLV3 – Extrait de narration lors de l’entretien Le panorama paysager est observé depuis un point d’arrêt qui, par l’ambiance multisensorielle qu’il dégage participe à la contemplation du territoire. La contemplation est de plusieurs ordres, elle est esthétique (du territoire, du temps climatique) mais aussi informative et culturelle. En effet, observer le territoire, c’est observer ses changements, prendre de la hauteur par rapport à la vie qui s’y déroule (145). Mais c’est aussi comprendre la place de son cadre de vie dans un territoire plus large, ce qui en fait une spécificité ou non, comprendre le continuum géographique dans lequel il s’inscrit (146). Cela participe à la construction identitaire et culturelle du marcheur qui éprouve le sentiment d’appartenir à une 145. Ce point de vue s’apparente à tous ceux évoqués en situation de colline ou montagne qui permet au marcheur de prendre de la hauteur sur son territoire, de l’observer et de s’informer sur l’évolution de son territoire (page suivante, à gauche, interviewée SJLV5). 146. Ce point de vue s’apparente à tous ceux évoqués en situation de falaise ou de crête qui permet à la fois de contempler le la situation de Bidart vis-à-vis de son territoire et d’observer le spectacle du temps climatique (page suivante, à droite, interviewée B7).

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communauté identifiée. L’identification à son territoire passe également par la compréhension d’une ambiance spécifique à cette dernière portée par les perceptions. L’ambiance de village, est choisie pour d’écrire l’ambiance de Bidart notamment par les sens : le clocher de l’église, le marché, les enfants, animaux, quelques oiseaux. En effet, lors des marches exploratoires effectuées à Bidart, les arrêts marqués par la vue de nombreux panoramas paysagers sont systématiquement l’occasion d’évoquer cet « esprit de village » qui caractérise la commune par un forme d’équilibre végétal/urbain. Cette recherche d’ambiance spécifique s’établie également en comparaison d’autres communes. La propriétaire d’un gîte touristique à Bidart décrira les ambiances ou milieux « sympathiques », « mignons » qui caractérisent la commune, caractérisés par un certain équilibre entre des milieux urbanisés de type « village », comme le centre-ville d’Arcangues, d’Arbonne et de Guéthary et des milieux plus « sauvage » où la nature semble dominer (la forêt notamment). Concernant la commune de Saint-Jean-le-Vieux l’ambiance semble se détacher par la présence de la montagne avec des rapports de plus ou moins proximité en fonction du lieu où l’on observe, où on la vit. En effet, lors de la marche exploratoire MESJLV1, un des participants qui a grandi sur la commune note la présence de la montagne « Arradoy qui veille sur nous » comme si un rapport intime et familier s’était établi entre cette montagne et les habitants de la commune. D’autres situations sur la commune seront qualifiées par rapport à la centralité de celle-ci. En effet, lors de la marche MESJLV1, un participant, ancien habitant décrit que l’espace où nous nous trouvons est « isolé du reste, on ne voit plus le village ». Il s'adonne à la description du lieu actuel en citant Saint-Jean-Pied-de-Port, Caro, Aincille. Il parle de « zone frontière ». La territorialité constitue-t-elle une valeur paysagère ? La valeur esthétique du paysage sera appréciée par les agriculteurs plutôt à l’échelle du territoire. Ainsi notre berger exprimera lors de la marche MESJLV1 des dépréciations de certains bâtiments qui par leur forme ou couleur se détachent et se remarquent visuellement. Il nous parle de la vue d’un bâtiment agricole sur ses terres nommées Bel Ezponda, « une tour qui fait je sais pas combien de mètres de haut » et « on ne voit que ça ». Un autre participant n'est pas choqué par ce bâtiment car « c'est quelque chose qu'on a toujours vu » et il « sait que c'est des entreprises locales, de charpente métallique, qui ont bossé. Il y a ce côté économique, le pays qui vit ». 308


Cette dépréciation est également exprimée concernant la construction de logement dans une partie du territoire initialement marquée par de nombreuses fermes et quelques châteaux. Ainsi cette appréciation esthétique n’est pas tant à l’échelle du bâti mais plutôt à sa conséquence à l’échelle territoriale. Cela démontre un certain attachement à un esprit des lieux que nous avons évoqué précédemment. Aussi cette valeur esthétique et territoriale se ressent dans les photographies prises sur Saint-Jean-le-Vieux et Bidart où le regard se porte sur une forme de beauté contemplative du paysage à grande échelle (147).

Une pratique qui génère des conflits d’appropriation du paysage L’appropriation physique et mentale du paysage, par ses réalités individuelles ou collective et naturellement génératrice de conflits d’usages. En effet, nous avons vu précédemment que le paysage possède une réelle valeur à être le support d’usages (professionnels comme de loisirs) ce qui lui confère une valeur utilitaire liée à des pratiques quotidiennes ou régulières. En effet si le paysage possède bien un paradoxe c’est celui de relever de pratiques d’appropriations communes et partagées parfois sur des espaces qui relèvent du domaine privé.

La pratique physique du paysage génère des conflits d’usages En ce qui concerne les cheminements quotidiens voire professionnels, les conflits d’usages des chemins sont assez significatifs notamment chez les agriculteurs. Un berger Donazahartare (interviewé SJLV8) qui transhume quotidiennement sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux relatera les problèmes qu’il a rencontré avec des habitants de la commune qui se sentaient incommodés par l’usage.

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147. Série de photographie collectées à l'occasion des reportages photographies et des marches sur les communes de Bidart (à gauche, de haut en bas, interviewée B7, MEB2, interviewée B12) et à Saint-Jean-le-Vieux (à droite, de haut en bas, interviewée B2, interviewée B4, MESJLV1). Cette série révèle le rapport au territoire par le panorama paysager à l’occasion de points d’arrêts.

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« Oui à la campagne oui mais la campagne ça devient comme à la ville. Parce que moi j'ai eu une réflexion sur le fumier. J'avais répandu le fumier. Et à côté, y a une villa, et c'est des gens qui sont venus de Nantes. Et c'est vrai que ça faisait peut-être dix ans qu'ils étaient là ces gens-là. Puis trois mois après, le type qui me sonne et me dis : « Vous avez mis le fumier là ». Apparemment pendant une semaine, il avait été incommodé tout ça avec l'odeur et tout. Mais je lui ai dit que ce que j'avais fait c'est du compostage. On peut l'étendre à côté des maisons le compost. Le compost, c'est du fumier broyé avec une machine. Avec ça on peut l'épandre. Parce que par rapport à ça aussi y a des restrictions. Si c'est du purin, il faut 100 mètres d'une maison. » Interviewé SJLV8 – Extraits de narration lors de l’entretien Ce même conflit d’utilisation des chemins s’exprime aussi sur la côte notamment chez notre Bidartar chasseur qui se sent oppressé et critiqué lorsqu’il effectue ses cheminements à pied pour se rendre à la chasse (interviewé B9).

« Alors, pour ce qui est de la chasse, il y a beaucoup de Parisiens depuis quelques années qui viennent ici, qui achètent, qui ont de l’argent, qui achètent des domaines, des endroits. Et là donc, dès que tu passes à 200 mètres de chez eux, tu te fais jeter. Alors que tu as le droit de passer, parce qu’on a une réglementation. Le coup de fusil de ne doit pas être à moins de 150 mètres d’une maison, tout ça. Et puis, il y a autre chose qui me dérange chez les promeneurs. En Espagne, il y a 80% des bois et des champs qui sont privés. Donc, les gens qui se promènent souvent ouais, les chasseurs, on ne peut pas se balader à cause des chasseurs alors qu’on est là, qu’on est dans des bois privés. Alors on va faire des panneaux interdiction aux piétons. Pourquoi maintenant ? Parce que nous, nous, on est interdit, on interdit de passer, de chasser chez des privés. Pourquoi on interdirait pas quand on est propriétaire de bois, les piétons ? Pourquoi alors ? On a le droit, mais il faut que ce soit clôturé ou alors il faut avoir plus de tant d’hectares. Ainsi, ce que je reproche aux gens qui se disent écolos, nous, on a besoin de se promener dans la nature. La chasse, c’est novembre, décembre, janvier, février. Les mois les plus rudes, donc nous, on aimerait l’avoir pour nous, c’est vrai. Pendant quatre mois, il y en a 8 pour les autres. Et à cause d’une dernière chose. Moi, je paye une cotisation que je payé pour aller chasser à Ahetze/Bidart, car c’est un canton. Si je vais aller chasser à Saint-Pée, je paye. Pour les Landes, je paye un permis départemental. Je paye les cartes. Je paye pour faire ce que je fais. Le promeneur qui râle parce qu’il ne peut pas ceci, ne veut pas cela. Il ne paye pas, mais il peut aller partout. » 311


Interviewé B9 – Extrait de narration lors de l’entretien Par la diversité des personnalités et des motifs ou modes de cheminements, leurs superpositions génèrent des conflits d’appréciation et de partage du paysage. À Bidart, quatre témoignages successifs ont relaté les problèmes de déchets que généraient les activités sur certains lieux appréciés pour leurs qualités paysagères spatiales et sensorielles. Ainsi trois personnes interviewées mentionneront les déchets présents sur l’espace côtier près des parcours qu’elles effectuent à pied. Une autre, le chasseur interviewé à Bidart (interviewé B9) relatera les nombreux déchets trouvés dans la forêt et les blessures générées sur ses chiens.

« Aussi les pattes coupées. Les endroits avec des bouts de verre, déjà jetés pendant tout l’été, des bouteilles de verre dans les bois. Il s’est coupé les pattes » Interviewé B9 – Extrait de narration lors de la cartographie De même, le témoignage d’une Bidartare retraitée (interviewée B7) permettra de relever les problèmes de fréquentation de forêts par d’autres personnes véhiculées - en quad ou en moto - abîmant ainsi les chemins de terre en période pluviale et qui sont normalement praticables à pied. Elle évoquera alors des initiatives spontanées d’habitants pour éviter la fréquentation de ces lieux notamment par l’instauration d’un panneau « voie privée » alors totalement illégal ou par l’installation d’un panonceau rappelant l’interdiction d’utilisation de ces chemins par des engins motorisés (148).

« Et voilà le chemin. Alors, il y a un gros panneau avec interdit aux motos, etc. Ils sont toujours là-dedans. Il nous massacre ce chemin. Et ils avaient aussi balisé ce qui faisait le tour avec celui que je vous disais. » « C’est très désagréable, de prendre l’air et de tourner la tête et de croiser des motos. Mais y en a, ils s’arrêtent. Du coup, avec eux on parle, parce que c’est déjà qui aiment quand même la nature. Ils aiment être au milieu de la nature. Mais moi j’en ai qui arrivent dans le tunnel qui essayent leur grosse moto et Vroum ! Vroum ! Oh là là ! » Interviewée B7 – Extraits de narration lors de la cartographie et d’une promenade à l’issue de l’entretien

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148. Photographie illustrant les conflits d'usages sur certains chemins entre piétons, chasseurs et utilisateurs de quads et motos (interviewée B7). 149. Photographie qui montre le regard attentif porté aux paysages quotidiens situés sur des terrains privés comme les prairies et forêts (participant, marche MESJLV1).

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L’appropriation des paysages s’opère sur des espaces privés Finalement ces récits témoignent du paradigme de la sensibilité au paysage dont l’appréciation ignore la trame foncière mais dont l’accessibilité et l’appropriation (mentale ou physique) peuvent être limitées par cette dernière. En effet, l’ensemble des paysages décrits relèvent du domaine privé : les bois sont privés et accessibles par un droit de passage communal restreint, les jardins appartiennent à des propriétés privées et les prairies convoitées se dessinent par les limites de terrains. À l’issu de l’entretien, une promenade avec une retraitée Bidartare m’a permis d’observer son attitude vis-à-vis des enjeux d’accès des espaces qui relèvent du domaine privé. En effet, nous nous sommes promenés sur des espaces qui relèvent tantôt du domaine privé, tantôt du domaine public. Cependant, la personne prenait le soin de me diriger sur la route communale ou de m’inviter à contourner les voies qu’elle pensait privées. Son regard se portait essentiellement sur les jardins et les forêts traversées (appropriation mentale) où elle me révélait secrètement avoir cueilli fleurs ou champignons (appropriation physique) De même lors de la marche MESJLV1 effectuée à Saint-Jean-le-Vieux, la partie la plus appréciée située dans les champs était en réalité réalisée sur des espaces privés. Elle n’a été permise que parce que le berger qui nous accompagnait connaissait le territoire, les propriétaires et était lui-même propriétaire d’une partie des terrains. En réalité ce type de marche ne pourrait être rendue publique ni être réalisée souvent puisque les champs ont une réelle valeur utilitaire pour les agriculteurs et leur publicisation pour des cheminements ne pourraient avoir lieu. Les reportages photographies aussi sont très révélateurs de cette pratique d’attention du paysage sur des espaces privés. En effet, à l’instar de la plupart des photographies réalisées par les interviewés, à Bidart comme à Saint-Jean-le-Vieux, les photographies réalisées lors de la marche MESJLV1 (149) s’attardent à porter un regard des paysages sur les prairies détenues par les agriculteurs ou les forêts (qui en réalité relèvent du domaine privé également).

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Conclusion intermédiaire Finalement la notion de convivialité et de pratiques de socialités générées par le cheminement sont des questions qui restent difficiles à cerner et qu’il s’agit de nuancer en fonction de la personnalité des personnes cheminant. Le cheminement n’est pas seulement l’occasion d’une rencontre avec soi mais il est aussi l’occasion d’une rencontre de l’individu avec son territoire par la diversité des milieux habités rencontrés et les stimulations multisensorielles qu’ils permettent. En effet, l’étude révèle une forte sensibilité à un paysage habité par les êtres humains dans leur capacité de s’établir (forte présence des maisons et de l’etxe dans les éléments paysagés) mais également dans leur capacité à créer du lien social. Les lieux de sociabilités sont vecteurs de cheminement ou à défaut des lieux de repère. Le paysage de ses milieux habités relève également du monde animal et végétal allant des perceptions sensorielles globales à une description savante des biotopes qui construisent les milieux cheminés. Le vivant constitue une réelle valeur d’attachement au paysage. Il relève de l’idée de travail, d’empreinte de l’individu sur son environnement, accepté lorsque ce travail témoigne d’une forme de respect ou « communion » avec la nature. Il relève également de l’idée d’une dynamique qui dépasse la maîtrise humaine. Le sauvage est l’incarnation de ce qui est « naturel » au sens où il a sa place d’exister dans une certaine mesure. Enfin, il relève des désirs contrastés propres à une culture basque marquée par les populations locales et itinérantes, peut-être même propre à la nature de l’être humain. Ces désirs contrastés oscillent entre une volonté profonde de s’inscrire et de respecter les dynamiques naturelles, ce qui révèle du « sauvage » ou ce qui en parait et une volonté de ne pas être limiter par ces dynamiques (obstruction de la vue, possibilité de s’établir, attentions à l’entretien et au travail du sol). Le paysage habité ne se limite pas à sa perception mais traduit également des désirs s’établir et de s’approprier l’espace. S’établir par le cheminement c’est d’abord ressentir des formes de convivialité éprouvées seul(e) ou accompagné(e) voire de vivre des moments de sociabilité. Mais c’est surtout l’occasion de s’approprier le paysage. L’appropriation y est physique notamment lors des points d’arrêt. L’individu prend corps avec son environnement qu’il paysage et se construit lui-même son paysage par la sociabilité qu’il permet. 315


L’appropriation est mentale. Le paysage est l’occasion pour l’individu de se situer dans son territoire et cadre de vie quotidien notamment lors de ces points d’arrêts. Le paysage habité, en tant que milieu de vie perçu et vécu constitue une nouvelle valeur au paysage, celle de son « utilité » mais qui est source de conflit d’ordre spatial (superposition des usages), mentale (superposition de l’attention portée au paysage) mais surtout communautaires (entre respect du domaine privé et du domaine public).

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04. LE CHEMINEMENT, UNE PRATIQUE DE TRANSMISSION DU PAYSAGE Après avoir analysé les différents niveaux de perceptions du paysage sensoriel et affectif, ce dernier chapitre a pour objectif de révéler le cheminement comme une pratique informelle de patrimonialisation du paysage. Sur les deux communes, les marches exploratoires ont été un temps de réflexion sur la sensibilité locale aux paysages quotidiens et leur partage. De surcroit, elles ont été une expérience immersive de transmission de ces paysages par le témoignage du vécu des habitants qui ont exprimé leur affect lié à la réalité de leur quotidien. En première partie, au chapitre 01. Définition d'un cadre théorique : paysages

quotidiens, hodologie et patrimoine sensoriel, nous avons envisagé la notion de patrimoine comme une pratique vivante. Cette étude a permis de comprendre la pratique patrimonialisante des paysages quotidiens par les cheminements comme une réalité où les enjeux d’affect et de multisensorialité en dessinent des modalités informelles, en dehors de tout cadre institutionnel. Aussi le patrimoine, la patrimonialisation et la pratique patrimonialisante sont envisagées dans ce chapitre comme des concepts recentré vers la question de l’attachement, l’affect et de la transmission comme nous l’avons évoqué précédemment. Ce chapitre élucidera le cheminement comme une pratique patrimoniale du paysage sensible au sens de création spontanée qui revêt d’une pluralité de modalité propre à l’individu ou à un groupe d’individu. Il comprendra ensuite le cheminement étant lui-même une pratique faisait l’objet d’un processus de patrimonialisation par l’attribution de valeurs et le partage de cette pratique.

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1. Le cheminement comme pratique patrimoniale spontanée et sensible du paysage quotidien Les expériences multisensorielles des paysages quotidiens ont généré un affect orienté vers l’émotion et le vécu que ces paysages portent. Le cheminement par sa simplicité et son accessibilité constitue une pratique spontanée et informelle de patrimonialisation du paysage qui traduit une volonté des individus de faire l’expérience du paysage, d’en créer leur propre représentation. Ils en deviennent ainsi le témoin qui attribue des valeurs d’attachement et qui en partage son expérience sensible. Le paysage partagé est celui qui à la fois génère des émotions mais qui fait également parti d’un vécu quotidien et multisensoriel.

L’émotion et le vécu patrimonialisant du paysage quotidien En effet, le cheminement permet d’apporter une nouvelle appréhension des paysages quotidiens par le vécu et l’émotion, construisant ainsi des valeurs patrimonialisantes du ceux-ci. L’émotion patrimonialisante Anne Watremez par son approche expérientielle du patrimoine, propose d’envisager le processus patrimonial dans la « dimension émotionnelle de notre rapport au monde » qu’il traduit (2008). En effet, elle emploie le terme d’« émotion patrimonialisant » plutôt que d’« émotion patrimoniale » pour désigner le processus affectif et rationnel qui s’opère chez les individus qui identifie un objet comme patrimoine (Watremez, 2008). Si dans son étude sur le centre-bourg d’Avignon (2008, 2009), l’identification de certains éléments du cadre quotidien se fait de manière explicite, notre étude a révélée des manières implicites le caractère patrimonial du paysage quotidien. Qu’entendons-nous par émotion ? L’émotion est communément admise comme étant un « trouble subit, (une) agitation passagère causés par un sentiment vif de peur, de surprise, de joie, etc. » ou comme une « réaction affective transitoire d'assez grande intensité, habituellement provoquée par une stimulation venue de l'environnement » (Larousse). Sans entrer dans le cadrage théorique du rapport entre émotion, sentiment et paysage, cette étude a révélé la place prépondérante de l’émotion sur l’affect porté aux paysages sensoriels.

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Tout d’abord, la joie est le sentiment le plus souvent dépeint pour décrire l’attachement à des éléments de paysage sensoriel. En effet, elle ressenti dans la possibilité de rencontrer des individus par le cheminement, la faune ou de flore (cf.

Le végétal entre perception olfactive et désir de contact) ou plus globalement avec son territoire. Elle est également ressentie par les interactions sociales qui ont été vécue lors des marches exploratoires collectives à Bidart comme à Saint-Jean-leVieux. Elle traduit un attachement à la possibilité de cette rencontre. La joie est donc finalement le pendant du plaisir à éprouver, ressentir et est le premier sentiment à préconditionner l’esprit du marcheur dans sa volonté de choisir ses modalités de cheminement en termes d’attitude et de parcours.

« Notre groupe, terre de running croise le groupe du BO. D’ailleurs, chaque fois qu’on se croise, on s’arrête, on est content de se voir. » Interviewé B6 – Extrait de narration lors de la cartographie. « C'est incroyable, je ne sais pas, mais en tout cas, ça leur fait des réactions absolument impressionnantes. C'est fascinant de les voir réagir. Ils sont attirés par les animaux. N'importe quelle taille. Y a une espèce de connexion. Enfin connexion, je ne sais pas si c'est réciproque. Mais en tout cas, eux ça les rend très joyeux. Même avec les chevaux, parce qu'au départ, je pensais que c'était plutôt côté dominateur, par exemple avec des poules ou autre. Mais non les chevaux, les vaches. Heureux, voilà. » Interviewée SJLV9 – Extrait de narration lors de l’entretien « Ce n’est pas la plus belle vue, mais elle a si, ici, c’est joli, mais pour moi, c’est le plus important. Et vous aimez le village ? Toute la hauteur du village. Je trouve très beau, mais de chez moi, je suis très contente. » Interviewée B7 – Extrait de narration lors de la cartographie La surprise et la déception sont des sentiments régulièrement évoqués.

Nous

l’avons vu précédemment, il y a une sorte d’attente de sensation, de découverte, d’expérience sensorielle du paysage par le cheminement. Le souvenir de cette expérience est créé par la surprise d’un stimulus sensoriel et dirige alors les futurs cheminements. Si l’expérience n’est pas renouvelée, le sentiment de déception naît comme démonstration d’un affect sensoriel du paysage. Cette émotion a été surtout expérimentée lors des marches exploratoires et deux expériences fortes

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sont à évoquer. La première était lors de la marche MEB1, un des participants à proposer au reste du groupe de détourner le parcours pour aller voir ce qu’il nommait comme sa « maison préférée ». Ce parcours a été l’occasion de la surprise de la découverte d’un point de vue à proximité d’un acacia présentant une grande étendue enherbée (149). Cependant arrivés à la « fameuse » maison la déception a été évoqué par ce participant qui ne pouvait nous montrer la vue que la maison offrait à partir de son jardin, la haie autour de la maison ayant été dédoublée. Le lieu a tout de même fait l’objet d’une attention par les participants qui ont noté le nom de la maison « Dorréa » (150) et l’un d’eux l’a photographié. La seconde était lors de la marche MEB1. L’arrêt C était un lieu connu d’un participant qui l’avait décrit lors de son entretien (interviewé B3) comme un lieu où l’odeur de l’herbe coupée lui rappelait les souvenirs de son enfance. Cependant, il ne s’y était jamais arrêté longtemps. Arrivés sur le lieu, vers le point de vue qu’il offre, le bruit des voitures a généré un sentiment de déception chez cette personne qui l’expérimentait pour un temps plus long pour la première fois (151). La colère n’est pas un sentiment qui a été explicité mais qui s’est ressenti dans la tonalité adoptée pour décrire des moments de cheminements ou d’appréciation du paysage. Un berger (interviewé SJLV8) m’a narré avec une certaine colère la rencontre avec un véhicule lors d’une transhumance. De même, un éleveur de vache laitière posé un regard assez pessimiste sur les paysages, exprimant une certaine inquiétude quant à leur évolution vis à vis de l’impact humain (interviewé SJLV12). La colère, l’inquiétude traduisent un attachement aux valeurs de quotidienneté, d’usage du paysage mais également aux valeurs écologiques de celui-ci.

« Parce qu'à chaque fois, elle essaye de me pousser la voiture avec les brebis et tout ça. Y a une femme de paysan. Toujours pressée, à essayer de les doubler et tout ça. Une fois, je l'ai arrêtée parce que les brebis étaient obligées de rentrer dans un champ. Son fils il avait la vitre ouverte derrière, elle, elle avait la vitre fermée et je commence à l'engueuler. Et bon je lui dis : « Bon écoute si tu es pressée, tu passes par la départementale, là, personne va te faire chier. Ici chaque fois tu me pousses les brebis. Alors que là-bas y a personne qui va t'emmerder. Moi quand je vais dans ton village et qu'il y a des brebis, j'attends derrière ». Depuis elle passe plus. Depuis au moins, elle me fait plus chier. Y a des gens, ils comprennent pas. » Interviewé SJLV8 – Extrait de narration lors de l’entretien

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150. Photographie illustrant la découverte d’un lieu (participant, arrêt B’, marche MEB1). 151. Photographie de la plaque ornementale de la "maison préférée" pour laquelle nous avons détourné notre itinéraire. (participant, arrêt B », marche MEB1).

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152. Post-it qui révèle le sentiment de déception associé à l'arrêt C expérimenté lors de la marche MEB2 (participant, arrêt C, marche MEB1).

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« J'aime bien aller, regarder, voir le paysage, tout, tout ce qui change. Par exemple, moi je suis très pessimiste, pas climatosceptique, mais dans le sens où je suis très pessimiste par rapport à l'avenir. » Interviewé SJLV12 – Extrait de narration lors de l’entretien De même le dégoût ne fait pas l’objet d’une explicitation mais est plutôt ressenti par la tonalité et les éléments décrits. Le dégoût sera notamment exprimé par une retraitée Bidartare à la vue de déchets à l’entrée de son quartier (interviewée B7). Il traduit un rejet d’un élément paysagé et la volonté de vouloir transformer, améliorer le paysage. La question des déchets est souvent évoquée comme expérience désagréable à la fois par le dégoût et la colère de voir des marques d’absence d’attachement aux paysages même du quotidien. Le dégoût est donc exprimé lors que l’élément perçu porte atteinte aux enjeux d’écologie mais encore de soin et d’entretien du paysage.

« Mais bon, c’est très mal agencé. C’est très mal fait parce que les gens, ils s’en foutent. Alors ils mettent le pain sur le trottoir, enfin là, c’est les oiseaux qui mangent. Bon, mais ça attire les rats. C’est vraiment, c’est un très, très gros problème pour rentrer dans ce quartier. Vous tombez là-dessus. » Interviewée B7 – Extrait de narration lors de l’entretien « SL : Et j’ai vu à la chapelle. J’ai vu aussi des gens qu’on a vu venir pique-niquer et qui ont laissé les bouteilles, les déchets. ÉM : C’était à la chapelle ? SL : La chapelle de la Madeleine. Tu sais que ça fait comme ça et après, on revient à la chapelle. Ils ont profité des beaux jours et on a vu les cadavres de bouteilles de vin sur le côté, juste à côté de la chapelle. J’ai dit : « C’est quand même dommage, Bidartar, pas Bidartar. J’ai dis c’est quand même dommage, on profite, on apprend à nos enfants à l’école d’être respectueux d’un environnement ». » Interviewée B12 – Extrait de narration lors de la cartographie La tristesse révèle également un attachement à une qualité ou une caractéristique d’un élément du paysage transformée ou disparue. Notre pêcheur Donazahartar (interviewé SJLV7) éprouvera la tristesse et la désolation à propos 323


de l’appauvrissement des rivières en poisson dû au manque d’eau. Cette émotion est générée par le fait qu’une pratique régulière, la pêche sportive ne puisse plus avoir lieu dans cette rivière (valeur de praticabilité et fonctionnelle). Elle est également liée à la constatation de l’évolution du biotope de la rivière (vécue par l’expérience podotactile de marche sur les abords de la rivière et par l’observation visuelle) et de sa dégradation (valeur écologique). Elle sera donc paysagée tout au long de l’entretien par ses modifications, le fait qu’elle ne soit plus ce qu’elle était ou qu’elle ne permette plus cette pratique.

« Oui, ça m'arrive de regarder la rivière. Le constat est assez triste. Le constat est assez triste. Avant on se penchait sur la rivière et on voyait les poissons. Et là, c'est vrai qu'on en voit moins qu'avant. Du fait, je pense par le manque d'eau. Le niveau de l'eau est très très bas donc automatiquement les truites. Je pense qu'elles doivent se pousser dans des endroits où il y a de plus en plus d'eau fraîche. La truite aime l'eau froide, pas l'eau chaude. Donc les variations de l'eau, elles ressentent. Automatiquement, les après-midis et là maintenant, ça devient délicat. Ça devient délicat de voir des truites alors qu'avant, on les voyait régulièrement. C'est là qu'on se dit, on a des rivières à truites. On a des rivières à truites, sauf qu'on en voit pas autant qu'avant. Ce qui me laisse croire qu'il y en a pas autant qu'avant. » Interviewé SJLV7 – Extrait de narration lors de l’entretien Finalement l’émotion est patrimonialisante par le fait qu’elle caractérise et traduise l’attachement porté aux paysages. Elle traduit également la volonté de voir perdurer une expérience, d’avoir l’opportunité de la revivre et donc de la transmettre. Par le témoignage de l’émotion, une expérience propre du paysage sensible et quotidien est transmise à celui qui le reçoit. L’émotion est création spontanée d’une reconnaissance patrimoniale et également une transmission. En explicitant son émotion, on transmet le paysage multisensorielle mais surtout notre sensibilité à celui-ci. Le vécu patrimonialisant Dans ce rapport affectif quotidien qui s’établit entre le paysage et l’habitant ou l’usager régulier, il semble primordial de revenir sur l’idée d’un vécu patrimonialisant. La notion de vécu s’inscrit dans la considération d’un paysage qui

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ne pense par un dualisme sujet/objet ou nature/culture mais plutôt par une relation symbiotique qui se tisse par les pratiques du quotidien. À la question : « qu’est-ce qui est patrimoine », la hiérarchie des valeurs ou leur énumération est difficile. En effet, le vécu relève d’une certaine subjectivité propre à chacun qui dépend de la pratique que les individus ont du paysage et des affectes qui lui portent. Le patrimoine comme inventaire semble une question difficile à palper voire dépassée selon les participants des marches exploratoires. Elle a tendance à « figer » lorsque l’un des participants de la marche MESJLV1 suggère que notre berger serait patrimoine mais qu’il ne faut pas le figer. Mais qu’est-ce que le vécu patrimonialisant ? Le vécu couvre à la fois l’idée d’un attachement à la fois distancé par la prise de recul dans la narration mais également immersif par le fait d’être lié à une expérience du quotidien. Le vécu est porté surtout l’idée d’un paysage toujours habité, vivant qui n’est pas figé. En effet lors de cette même marche exploratoire MESJLV1, ce qui a été finalement vécu comme un patrimoine, c’est le fait de pouvoir rencontre un paysage vécu au quotidien, de comprendre les liens qui s’établissent entre un environnement perçu et ses habitants tant sur les aspects sensoriels et affectifs. Tout d’abord, le vécu quotidien outrepasse la valeur historique des paysages. En effet, les entretiens et les marches exploratoires ont révélé que certains éléments patrimonialisés ont acquis une valeur d’attachement pour les locaux par des usages qu’ils permettent que par leurs valeurs historiques. Ces éléments du paysage font parties du quotidien de la personne au sens où ils permettent des pratiques sociales plutôt qu’ils ne participent à se remémorer une histoire collective. Lors de la marche exploratoire MEB2, un habitant nous évoquera les fêtes de Méchoui ayant lieu près de la chapelle Ur Onea à Bidart. Ces fêtes constituaient de réels moments de sociabilités et convivialité au-delà de l’échelle de la commune (la personne s’y rendait alors qu’elle vivait à Guéthary lorsqu’elle était jeune). L’attachement éprouvé ne se restreint pas à la chapelle mais au lieu, au paysage qui l’entoure pour évoquer des moments de vie de son enfance au-delà de l’aspect religieux ou historique et culturel. De même une jeune habitante de Saint-Jean-le-Vieux évoquera des moments de jeux et de convivialité avec ses amis autour de sites patrimoniaux reconnus de la commune : la colline médiévale Mendikasko et le lavoir (interviewée SJLV12). 325


L’attachement à ces lieux ne se porte encore une fois pas sur l’aspect historique ou identitaire mais plutôt sur l’aspect pratique et mémoriel de l’enfance.

« ÉM : Et quels sont les endroits où tu traînes sur la commune ? LM : Des fois, il y a le lavoir en bas. Ouais, bah c'est cool. Et quand j'étais petite, j'allais à Mendikasko, tu sais la petite butte. On montait en haut quand on était petit. ÉM : Ok, d'accord et au niveau du lavoir, peux-tu me décrire un peu le lieu, ce que vous y faîtes ? LM : Y a une table de pique-nique en fait, du coup on mange, c'est tranquille. On entend le bruit de l'eau. Un endroit tranquille où on peut se poser. » Interviewée SJLV12 – Extrait de narration lors de l’entretien Le vécu permet également de sortir d’une forme de regard contemplatif du paysage sensible et d’en comprendre l’histoire des éléments perçus ou la place qu’une vue paysagère peut avoir dans le quotidien des locaux. Une vue panoramique peut avoir une fonction bien précise pour les habitants d’une commune. Lors de la marche exploratoire MEB2, la vue panoramique au point d’arrêt C sur la vallée de l’Uhabia occupe une dimension contemplative de prime abord. Mais elle acquiert une autre dimension par la narration d’une habitante qui raconte la place de cette vue dans son quotidien en tant qu’employée de la maison de retraite située juste à côté. Elle y emmenait régulièrement une personne en fauteuil roulant pour cette dernière puisse voir sa propre maison. Cette vue avait donc une double fonction à la fois de permettre à une personne de constater l’état de sa maison alors qu’il ne pouvait pas s’y rendre et de constituer un moment de pause dans le travail quotidien de la participante alors employée à la maison de retraite (152). Aujourd’hui ce point de vue est un moment de rituel d’observation du paysage et du temps par une mère de famille avec ses enfants comme évoqué précédemment. La dimension contemplative est également dépassée par les anecdotes associées aux lieux. En effet, lors de la marche exploratoire MESJLV1, des éléments de bâti attiraient le regard de ceux qui ne connaissaient pas le territoire. Ces éléments du paysage ont acquis une nouvelle dimension d’attachement qui dépassent la valeur

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153. Post-its évoquant des souvenirs d'un quotidien passé vis à vis du point de vue et du paysage observé (participants,, arrêt C, marche MEB2).

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esthétisante sensorielle ou contemplative pour les individus étrangers au territoire par les histoires rapportées à ces bâtiments narrées par les habitants qui les connaissent et vivent au quotidien. Un ancien habitant évoquera le bar « le baladin », « la meilleure boite de tout le Pays Basque », situé dans le quartier de la Madeleine à Saint-Jean-le-Vieux, comme souvenirs de soirées vécues dans le quartier lorsqu'ils étaient de jeunes adultes. Les cheminements dans les prairies ont été l’occasion de s’en rapprocher pour constater leur réalité vivante et usuelle. Un participant se déclara « heureux » de voir « des matériaux comme ça » en parlant d'une baignoire, de barbelés enroulés car il se dit que la prairie est habitée. De même, lors de cette marche, un berger de la commune a pu raconter l’histoire des différentes prairies que nous traversé ou aperçues. Ces histoires relevaient réellement d’un vécu quotidien par sa pratique agricole ou les rencontres qu’il effectue. En effet, un ancien habitant de Saint-Jean-le-Vieux » s’est déclaré « heureux » d’entendre son ami berger de « donner de la valeur à ce paysage et que ce soit reçu ». Un autre participant déclara que ce qui est réellement du patrimoine, c'est « quelqu'un de compétent qui par son métier et qui n'est pas passé par l'université qui nous raconte la vie ici ». Un autre évoquera une expérience du paysage et des territoires, singulière : « Aujourd'hui on était dans le lien entre le paysage et le vécu, c'est plus intéressant ».

Le cheminement, le temps du témoignage du paysage L’expérience des marches exploratoires a permis de mettre en évidence le temps du cheminement comme celui où l’individu se place en tant que témoin du paysage par la création de souvenirs d’expériences sensorielles. Le temps du témoignage se caractérise par la mise en narration du territoire jusqu’à la création de mythes populaires portés par la population locale, à travers les paysages. De la mise en narration du vécu… Comme nous l’avons vu précédemment, le cheminement dans le paysage est le temps de la mise en narration du territoire par son histoire quotidienne mais aussi collective. Le cheminement comme pratique patrimonialisante permet la réactivation des souvenirs et du vécu transmis par l’oralité. L’environnement multisensoriel traversé et éprouvé est à la fois cadre de narration, illustration parfois preuve voire démonstration du récit.

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Une mère de famille (interviewée B4) évoquera par exemple une balade qu’elle a réalisée avec sa famille et la compagne d’un de ses fils pour raconter l’enfance de son enfant à Bidart. Cette expérience est vécue dans le but de révéler les paysages dans lesquels la personne a grandi vis-à-vis de la jeune femme mais également d’essayer de revenir les émotions du temps vécu puisque la personne explique qu’elle a ressenti « un peu d’émotion car la maison n’était plus pareille mais les souvenirs étaient restés ». Plus qu’un environnement, le paysage comme nous l’avons vu précédemment est porteur d’une identité. Cheminer est tout simplement l’occasion de renouer les liens avec cette identité.

« Alors oui dans le sens là où lui a retrouvé, par exemple où est-ce qu’il prenait le bus, le bus s’arrêtait quand il allait à l’école puis au collège. Et on a eu la chance d’aller voir la maison et la dame qui l’a acheté, elle est sortie et on a pu voir la maison. Oui c’était trop cool. Trop cool et en même temps, un peu d’émotion car la maison n’était plus pareille mais les souvenirs étaient restés. Et du coup on a fait découvrir à sa compagne, pleins d’endroits comme ça. Et on est allé jusqu’au moulin pour acheter le gâteau basque et après on a fait retour à la maison. » Interviewée B4 – Extrait de narration lors de la cartographie Le paysage multisensoriel traduit donc une sorte de relation de réciprocité qui s’établit entre l’environnement de l’individu. Entendu comme une construction culturelle, une portion de territoire perçue et façonnée, le paysage s’inscrit dans une quotidienneté où la nécessité de son existence vis-à-vis de sa réalité présente voire instantanée, est la plus facilement comprise et acceptée (en comparaison des systèmes de référence au passé, le paysage comme héritage, marque d’une histoire). Le cheminement est finalement le mode opportun pour témoigner des changements du paysage et transmettre un témoignage à la fois passé et présent. La description de l’évolution des paysages, dans un système de comparaison du vécu passé (à des distances plus ou moins longues) au vécu présent est le propre même de la transmission de ce paysage par cette pratique. En effet une des participantes de la marche exploratoire MEB1 explique qu’en Australie, (son pays natal) son père lui racontait souvent au cours de balades, les changements de paysage qu’il a vécus. Elle-même alors s’est mise à témoigner de ces changements et histoires à ses ami(e)s. Lors de la marche exploratoire MEB1, le temps de

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narration a été réalisé par un des participants qui relataient les histoires de familles, de ventes ou changements de propriétaires vis-à-vis des maisons rencontrées. La participante se sentait enjouée de pouvoir témoigner à nouveaux de ces histoires à ces amis et de leur montrer la marche que nous avions réalisé. Ces mêmes changements sont décrits à Saint-Jean-le-Vieux où par exemple, un ancien agriculteur (interviewé SJLV6) racontera les moments de narration du paysage avec son fils.

« Tandis, que moi je pourrais vous décrire quand on allait chercher l'eau avec les vaches, je pourrais par exemple, les odeurs. Les odeurs au printemps par exemple, actuellement, il y aurait eu une odeur à la fois, selon les prairies où l'on passait, il y aurait eu une odeur de fumier composté, mais le compost d'aujourd'hui n'a pas du tout la même odeur que le compost que l'on faisait il y a 50 ans. Pourquoi ? Parce qu'on utilisait la fougère etc. Le paysage a changé et les odeurs ont changé et la perception de l'air a changé. Par exemple, hier, j'ai retrouvé la météo. Et en cette saison, je disais à mon petit fils. Et voilà cette odeur, cette odeur là où il n'y a pas eu d'engrais, moi, je l'ai connue quand j'étais petit. Je n'ai pas du tout la même odeur de l'herbe qui a reçu des engrais chimiques. Ce qui fait que je suis effectivement cette génération qui a connu à la fois des paysages différents et des odeurs différentes. » Interviewé SJLV6 – Extrait de narration lors de la cartographie … par celle du territoire… Le paysage par la narration acquiert une valeur historique dans une double temporalité présente/passée. L’histoire du territoire portée par le paysage, est ici entendue en tant que récit, processus de construction du passé vers le présent et ne se restreint pas à l’idée de mémoire de faits historiques. Elle a donc une dimension vivante qui se recrée par la réalité quotidienne qu’elle constitue. Tout

d’abord,

la

toponymie

est

l’occasion

de

narrer

le

territoire

principalement dans une perceptive mémorielle. Sa connaissance est plus forte dans la commune de Saint-Jean-le-Vieux que dans celle de Bidart. La toponymie construit l’identité collective d’une commune par l’énumération de ses quartiers. Par exemple, l’interviewée SJLV2 murmure le nom des quartiers lors de la cartographie et les écrits sur la carte après que je lui ai demandé si elle les connaissait. Elle inscrira les noms de « Zuriatia », « Putzia », « Madeleine » et « Harieta » (153). 330


154. Extrait de cartographie qui révèle le nom des quartiers de la commune (interviewée SJLV2). 155. Extrait de cartographie qui localise la toponymie de certains lieux (interviewé SJLV6).

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La toponymie évoque aussi l’histoire du lieu et de fait ses caractéristiques. Par exemple, un Donazahartar dont la femme possédait une exploitation agricole (interviewé SJLV3) évoquera le nom de ses terres Mahasti Lekua qui signifie « l’ancienne vigne ». Un ancien agriculteur (interviewé SJLV6) m’évoquera une redoute, un espace creusé en étoile sur ses terres qui offre une vue sur la plaine. Cet espace est appelé Bele Ezponda (154) et signifie « le refuge des corbeaux ». À l’époque, ils y amenaient les cochons pour qu’ils mangent les glands des chênes en automne. L’administration aurait francisé en Bella Esponda mais cela ne correspond en aucun cas à quelque chose de beaux. Il accueillait des oies et des corbeaux. Aussi, le nom de ses anciennes vignes, Apezteia permet de deviner qu’elles ont été détenues par un curé. Il me décrit une forme de croix creusée comme un fossé dans le sol. Aujourd’hui il ne reste plus qu’une branche de la croix. À Bidart, le nom des lieux traversés n’est pas systématique connu. Les bâtiments ou aménagements emblématiques comme les chapelles ou les sources sont nommés. Par exemple, la vue de la chapelle Ur Onea qui signifie en basque « la bonne eau » est identifiée par les personnes et est l’occasion de narrer l’histoire de l’aménagement du bassin de rétention à proximité. Ensuite, la narration se porte sur les histoires de vie de la commune, à l’échelle du quartier. Ces histoires de vie, vécu, ne sont de simples faits ou événements relatés à l’échelle de la cellule familiale, d’un groupe d’individus, vis-àvis de lieux ou milieux traversés, eux-mêmes porteurs d’un récit historique à plus grande échelle. Les narrations d’histoires de quartier permettent alors de comprendre la construction progressive du territoire. Nous l’avons évoqué précédemment, dans le chapitre 03. Le paysage habité : le cheminement comme

milieu où s’établir, les maisons sont par exemple l’occasion de raconter les histoires de villages et de familles locales. Le nom des propriétaires est évoqué ainsi que les histoires d’héritage et de rapports personnels avec ces personnes. Le cheminement par les quartiers ou différentes ambiances est également le temps d’évocation de ragots de quartier. La place du centre-ville de Bidart traversée lors de la marche exploratoire MEB2 est l’occasion de parler des habitudes des habitants, divisées entre les deux bars sans pour autant qu’il y ait un esprit de rivalité particulier. À plus grande échelle, le paysage est donc porteur également d’une histoire culturelle. Lors de la marche exploratoire MEB1, la rencontre d’une source cachée par les ronces, ébahie les participants qui pour la première fois, font consensus dans les désirs de valorisation et surtout d’aménagement. « C'est beau, c'est du passé, 332


c'est de l'histoire » déclare une des participantes qui témoigne d’un mode de vie spécifique à l’époque, propre également à la culture judéo-chrétienne de l’époque et basque, de processions et d’événement, culture maintenant qui s’est transformée. Des histoires de fêtes ou d’événements annuels qui rythment la vie culturelle des communes sont également évoquées. De même à Saint-Jean-leVieux, la marche exploratoire est l’occasion d’évoquer les deux fêtes de quartiers annuelles qui s’y produisent, ce qui en fait une particularité par rapport aux autres communes basques qui ont une fête de village par an. Enfin l’histoire portée par le paysage peut couvrir d’une dimension nationale ou territoriale à grande échelle. À la vue des montagnes, lors de la marche SJLV1, deux participants discutent des 2000 ans d'histoire qui lient le territoire à la montagne et notamment de « tour Urkulu » et de son histoire. Aussi lors de la marche exploratoire MEB2, la vue du bunker est l’occasion brève de raconter la période de l’occupation allemande de la Seconde Guerre Mondiale en Pays Basque. …. à la création de mythologies locales L’oralité et la marche deviennent une combinaison créatrice de mythes locaux. Ces mythes s’inscrivent dans une sorte de catégorie informelle, non documentée marquée par les expressions « on dit » ou « il paraitrait ». Ils sont posés comme des histoires qui viennent animer les éléments rencontrés du paysage ou les faire parler. Ils permettent d’en révéler une caractéristique ou d’en démontrer le caractère exceptionnel ou original, ce qu’il fait qu’il est unique parmi les autres. Le mythe donne une sorte de personnalité à cet élément, bâti ou géographique (la montagne par exemple). Lors de la marche MESJLV1, une histoire populaire sur la menthe évoquée par un participant révèlera son caractère envahissant. En effet ce dernier raconte l’histoire suivante : « quand un garçon venait se marier dans une maison, son père lui demandait toujours : "où elle habite ta promise ? " Il dit : "voilà telle maison". Il dit : "bon d'accord. Bon je suis pas d'accord". Il lui dit "Pourquoi ? ". Il lui dit : "va voir". Il y avait de la menthe à l'entrée de la maison. Donc comme il y a de la menthe, c'est pas entretenu donc c'est pas celle qu'il te faut ». Lors de cette même marche, la vue « panoramique » observée sur les montagnes sera l’occasion d’évoquer la spécifié du lieu où nous nous trouvons qui est « le seul lieu de Garazi où on voit tous les villages de Garazi » d’après un « enfant » du village de Saint-Jean-le-Vieux ». Il rappelle alors que Garazi n'évoque pas seulement Saint333


Jean-Pied-de-Port qui en basque s'appelle Donibane-Garazi. Cela regroupe 19 villages qu'il commence à énumérer. Un des participants montre en suite le pic de Béhorléguy et souligne son caractère « énigmatique » par le fait qu’il soit perçu comme un pic alors qu’en réalité il soit une crête de poule ». Un participant ajoute qu’on lui a raconté que c’était un pic « extrêmement difficile à explorer » par la présence de nombreux gouffres. Cette personne n’y est jamais allée, elle relate seulement le témoignage de connaissances (155). Enfin lors de cette même marche, des légendes de village se sont créée autour d’une habitante « Marie Cochine » qui est décrite par les anciens habitants de la commune comme une « semi-sorcière » habitant dans une maison que nous avons aperçu. Elle se situe dans l’ancien quartier des « bohémiens » qui est un territoire où les jeunes enfants ne se rendaient pas à l’époque. Le témoignage porte finalement une qualité relativement informelle et spontanée, ni préétablie ni réfléchie. Elle est de l’ordre d’une sorte de réflexe de transmission de culture par l’oralité qui anime et construit le paysage.

2. Le cheminement, vers la patrimonialisation d’une pratique ordinaire ? Si

par

le

cheminement

le

paysage se

voit

attribué

des

valeurs

patrimonialisantes, le cheminement en lui-même fait l’objet d’un attachement et d’une démarche patrimoniale. Lors des entretiens, les personnes interrogées ont témoigné d’habitudes voire de rituels acquis qui marquent leurs cheminements. Lors des marches exploratoires, le fait de cheminer a été soulevé comme une pratique sociale qui démontre la capacité de l’individu à être sensible à son territoire de vie et qu’il faut transmettre en tant que démarche de respect et d’attention à celui-ci.

Le rituel qui révèle une pratique transmise Le cheminement, se construit par un certain nombre de rituels qui influent l’attitude de marche, les modes d’éveil au paysage mais également les directions choisies.

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156. Cette photographie a été prise pendant le récit des histoires de pics des Pyrénées racontés par un ancien habitant de Saint-Jean-le-Vieux (participant, arrêt C, marche MESJLV1).

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Le rituel d’éveil Tout d’abord, les rituels orientent l’attention aux éléments sensoriels du paysage. La contemplation multisensorielle (olfactive, auditive ou visuelle) est une expérience qui se construit par le cheminement et qui se transmet. Cette transmission est souvent initiée par une personne familière ou du cercle amical proche. Elle se construit par une attitude initiée qui prend place dans le quotidien de manière spontanée. Un jeune Bidartar (interviewé B3) associera son attention aux odeurs aux enseignements de sa mère et l’imaginaire que cela déploie en lui. En effet, la personne se remémore des moments de cheminements quotidiens avec sa mère qui lui apprenait à porter attention aux odeurs de végétal et à prendre le temps de s’arrêter à ces endroits-là (Erreur ! Source du renvoi introuvable.). Cheminant principalement seul sa pratique du cheminement réitère cette attention aux odeurs de végétal. Lors de sa participation à la marche MEB2, il évoquera un autre rituel initié avec sa mère, celui de venir « saluer » l’océan à partir d’un point de vue de l’arrêt A situé près de chez lui. Le cheminement comme pratique de rituels sera également évoqué par une mère de famille (interviewée B12) qui décrit la convivialité et les échanges avec ses enfants lors des trajets effectués à pied pour aller à l’école.

« EB : Alors noyade olfactive. Nature. Ces odeurs me rappellent beaucoup mon enfance et la transmission vraiment consciente avec ma maman, qui m’apprenait en fait à vraiment m’arrêter dans ces endroits, ces moments-là, pour, bah pour prendre le temps en fait. Savourer quelque chose. ÉM : C’est quoi ces endroits ? EB : C’est pas du coup des endroits localisés. Ce sont tous les endroits où l’herbe fraîche va être coupée, tous les endroits où on va pouvoir sentir l’odeur du feu de bois. Ça va varier selon le sens des vents, suivant période de l’année. Mais c’est des petites choses comme ça qui ont été transmises. J’y aurai peut-être pas prêté attention tout seul. Ou alors y aurait pas cette qualité affective associée à l’odeur en particulier. Encore aujourd’hui je vais avoir fini une journée de travail ou journée d’étude, je vais, sur le chemin du travail, sentir le feu de bois, je vais dire « oh c’est trop bien, y a des gens qui sont chez eux, qui ont une cheminée, qui profitent du feu

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157. Extrait de cartographie qui révèle l'attention aux paysages multisensoriels par la « transmission maternelle » (interviewé B3).

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de bois » et ça m’évoque le confort du foyer. Des moments agréables en famille. Ou même tout seul le confort de la chaleur. Savoir que tu es sur le trajet du retour. Et que tu vas bientôt te reposer. Même si j’ai pas de cheminée. Alors noyade ça peut paraître péjoratif mais c’est un mot cool ici. » Interviewé B3 - Extrait de narration lors de la cartographie « Oui, c’est déjà agréable pour aller à l’école. En général, quand on monte la côte, on s’arrête toujours voir si la Rhune est bien. Là, on regarde toujours. On a un regard sur la Rhune, sur l’océan. C’est génial ! Avant de prendre la journée, on regarde. Ça nous fait, voilà, y a la plaine scolaire. On continue à avancer et on entend les oiseaux de bon matin. » Interviewée B12 - Extrait de narration lors de l’entretien

Le rituel d’orientation Le rituel ne se limite pas à une forme d’éveil aux sensorialités du paysage, il oriente le cheminement. De nombreux témoignages ont décrit des pratiques de cheminement marquées par le rituel du rendez-vous, c’est-à-dire avec une heure et un point de départ (interviewée SJLV4). Ces cheminements « rendez-vous » s’effectuent quasi systématiquement selon le même tracé que la personne soit seule ou accompagnée et toujours avec les mêmes personnes dans le second cas.

« GJ : Je marche, en général, je marche tous les mercredis, toutes les semaines. On essaye quand le temps nous le permet bien-sûr. Avec une autre personne, on fait une heure, une heure et demie de marche. Tout dépend si on va rencontrer quelqu'un pour discuter un peu. (rire) ÉM : Et vous le faîtes le matin, l'après-midi ou, vous fixez un rendezvous ensemble ? GJ : Oui le matin, ben avec une voisine, qui habite là. On démarre d'ici et après, on va vers la route de Jaxu et après on prend à droite vers Saint-Jean-le-Vieux. » Interviewée SJLV4 – Extrait de narration lors de l’entretien Le cheminement guidé par le rituel renforce le statut de la personne comme réel témoin des paysages puisqu’elle devient attentive aux changements, aux éléments

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qui apparaissent ou disparaissent de manière inhabituelle. Le rituel cependant, n’omet pas des variations dans l’attitude de cheminement. En effet, un témoignage d’une femme retraitée à Bidart, qui depuis qu’elle a emménagé sur la commune (il y a un peu plus de 40 ans), effectue les mêmes balades dans les bois situés à côté de son domicile. Ce rituel de promenade a cependant changé. Il y a plusieurs années de cela, elle y allait pour cueillir les champignons, avec ses enfants, maintenant elle y va pour elle-même, pour se détendre. Elle passe souvent par les mêmes endroits ce qui en fait en quelque sorte une réelle « gardienne » des lieux, un témoin clé des transformations qu’a subi le quartier aux alentours. Le rituel comme orientation peut-être non conscientisé. En effet, le témoignage d’un retraité d’Arbonne (interviewé B5), une commune limitrophe, qui marche souvent à Bidart est intéressant dans ce qu’il traduit de l’attachement à des lieux cheminés lors de marches passées. En effet, lors qu’il était jeune et habitait à Guéthary, commune limitrophe sud, il se rendait régulièrement avec ses parents au moulin de Bassilour à pied. Aujourd’hui il part du moulin de Bassilour (cercle rouge sur la cartographie) pour se promener sur Bidart (158). Le rituel transmis s’incarne dans le rendez-vous du lieu. D’abord destination, maintenant point de départ, le lieu est chargé d’affect orientant le cheminement. En effet, un commerçant travaillant et habitant depuis récemment à Saint-Jean-le-Vieux expliquait ne pas faire du trail sur le mont Arradoy car il ne le connaissait pas (interviewé SJLV12).

« DL : Non, je fais du trail mais en montagne. ÉM : Et pas sur l'Arradoy ? Ça ne t'attire pas ? DL : Non, c'est pas ça, c'est comme tout le monde, moi, j'ai mes habitudes, j'ai mes parcours. Je suis pas chiant. Non moi je change pas de parcours tous les quatre matins. Après c'est une histoire de sécurité. Moi je vais courir à tel endroit, ma femme elle sait où je vais. Je change d'endroit, ma femme elle connait pas. ÉM : Du coup, les parcours que tu faisais avant étaient vers Jaxu ? Tu les connaissais parce que tu habitais là-bas ? DL : Bah ouais j'étais là-bas. Après c'est une question de sécurité, enfin d'assurance. Je vais pas aller me balader en plein milieu d'Iraty par exemple, je connais pas. Aller courir dans un sentier, enfin. » Interviewé SJLV12 – Extrait de narration lors de l’entretien 339


158. Extrait de cartographie qui montre l'attachement à un lieu paysagé, le « Moulin de Bassilour », ancien point d'arrivé, aujourd'hui lieu de départ des cheminements (interviewé B5) 159. Extrait de cartographie qui révèle des cheminements actuels et passés gravitant autour de son ancien lieu d'habitation (croix bleue) (interviewée SJLV1).

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De même une jeune mère de famille habitant à Ascarat (commune située à proximité de Saint-Jean-le-Vieux) évoquera des cheminements effectués sur la commune, dessinés à proximité de son ancien lieu d’habitation à Saint-Jean-leVieux (croix bleue), quartier où elle marchait quotidiennement avec son chien (159). Cependant, le souvenir peut présenter une dimension contraignante, construire un apriori sur le territoire. Le même jeune Bidartar (interviewé B3) évoquera le fait qu’il ne se rend que très rarement à la plage de l’Uhabia et que cela est sûrement dû aux souvenirs de personnes qui l’alertaient sur les risques de pollution. Aussi la personne vit à Bidart depuis assez longtemps pour ne pas avoir connu la voie verte, qui a été créée en 2019. Elle n’a pas réussi à intégrer ce parcours dans son territoire de cheminements quotidiens bien qu’il soit perçu comme « bien aménagé » (interviewé B3).

EB : Vers la mairie. Et l’Uhabia pareil je fais rarement parce que je n’aime pas énormément cette plage du coup. ÉM : Pourquoi ? Est-ce qu’il y a des raisons particulières ? EB : Peut-être parce que quand j’étais petit on m’avait dit qu’il fallait faire attention quand j’étais au centre aéré, il fallait faire attention parce qu’il y avait les égouts et cetera qui se déversaient. Peut-être que c’est inconscient et que c’est resté. C’est pas la plage la plus propre malgré la station d’épuration qui a été faite. Et puis tout simplement parce que si je veux aller à une plage, y a Erretegia juste à côté. Et je trouve ça plus simple avec tout cet espace vert autour. J’aime bien cet endroit. Parce que je suis très sensible aux odeurs d’arbres, de verdure. Y a toujours les odeurs de pluie sur le sol mais ouais plus au printemps et en été. Y a des feuilles, des fleurs, beaucoup de choses. Interviewé B3 – Extrait de narration lors de l’entretien « EB : Peut-être que j’essaye davantage de faire la voie verte. Après j’ai pas été hyper réceptif car on longe la voie ferrée et tout. Bon c’est joli, c’est bien aménagé, c’est propre. Mais ça pourrait être mieux. (…)Et la voie verte, j’y suis allé un peu mais pas trop. Je suis perdu. Ça doit pas être là mais par ici. J’ai fait une fois la voie verte à vélo, pour voir jusqu’où ça allait. Ça m’a amené à l’ESTIA. J’y suis arrivé. J’y suis allé 3 minutes le temps de faire le tour. Et j’y suis reparti de suite. ÉM : Pourquoi ? 341


EB : Parce que je me suis pas senti bien là-bas. Alors complètement irrationnel. Je sais même pas où est l’ESTIA sur la carte. Je saurai pas de l’expliquer avec des mots. Où alors je sais pas c’est de l’ordre du spirituel. En fait on a sûrement une très jolie vue sur les montagnes mais j’ai pas eu du coup cette perception-là. Et juste quand t’arrives sur le parking, c’est vraiment un lieu dortoir avec quelques résidences étudiantes et juste des gens qui viennent travailler. Et c’est un lieu mort. Malgré la vie des gens quotidiennement qui y passent, j’ai eu l’impression que c’est un lieu mort, qui s’y passe rien. Et puis c’était pas végétalisé. Les arbres avaient pas l’air vitalisé du tout. » Interviewé B3 – Extrait de narration lors de la cartographie

Le cheminement une pratique sociale et sensible du paysage L’expérience des marches groupées sur les deux communes a soulevé l’enjeu des cheminements comme moyen d’éveil et de transmission des paysages. En effet, certains entretiens avaient révélé une certaine culture du cheminement secret. Comment partager cette culture du cheminement et de l’approche sensible du paysage ? Qu’est-ce qu’il faut transmettre ? Cette pratique doit-elle faire l’objet d’une démarche de transmission et de partage spécifique ? Sont autant de questions qui se sont posées à l’occasion des marches exploratoires à Bidart et Saint-Jean-le-Vieux. Les chemins de découverte et chemins de l’introspection, des réalités distinguées ? Les chemins de la découverte et ceux de l’introspection peuvent être distingués. Ainsi en fonction des histoires et affectes de chacun, des territoires sont plus propices à la convivialité et d’autres à l’introspection. On viendra ici pour se ressourcer et là-bas pour faire découvrir. Que révèle cette dichotomie ? Une volonté de garder ces terrains secrets ? Ce n’est pas la raison évoquée lors de ces marches en particulier. Cette dichotomie révèlerait-elle une volonté de faire découvrir le territoire dans sa globalité par les différentes ambiances qu’on peut y trouver ? Sans doute qu’il y a des parcours qui permettent une appréhension globale de la commune par sa diversité et c’est comme cela que j’ai construit mes parcours. En effet, il semblerait qu’il y ait des parcours un peu « typique » sur chacune des commune, connus voire reconnus pour permettre de faire découvrir le territoire. 342


Ainsi notre commerçant de Saint-Jean-le-Vieux, qui ne chemine jamais sur la commune a évoqué une marche qu’il a réalisé avec ses beaux-parents pour faire découvrir en quelque sorte la commune (interviewé SJLV12).

« On a rien fait d'extraordinaire. On a juste fait le tour de SaintJean-le-Vieux. On est passé derrière le magasin, le petit chemin. On est ressorti par le mur à gauche. On est resté une demi-heure à l'aire de jeu avec le petit. Après on a fait la boucle, tu sais, la boucle derrière chez Gene et tout ça. Et après on est rentré chez nous. C'était une balade de quoi ? Trois quarts d'heure. Histoire de sortir quoi. Il faisait beau. Donc on va pas rester enfermé. » « La tranquillité. Se retrouver seul, tranquille. Tu as la vue. T'es pas emmerdé par les voitures. Tous ces trucks-là. Moi j'en ai besoin avec le métier que je fais. J'ai besoin d'être dans la nature, tranquille, des fois seul. » Interviewé SJLV12 – Extraits de narration lors de l’entretien De même sur la commune de Bidart, les parcours pensés par le propriétaire du magasin de sport qui organise des courses en groupe définit des parcours, qui en été permettent aussi aux personnes de découvrir le territoire (interviewé B6).

« Alors la nuit, là je vous parle des parcours qu’on fait plutôt l’été. Parce que la nuit-là c’est chaotique. Mais c’est le parcours qu’on fait le plus souvent. Tac tac tac. C’est très nature, très boisé, l’océan à côté. Quand j’emmène des touristes ici. Ils sont comme des dingues. Ils découvrent les petits sentiers pour courir. Ils découvrent la chance qu’on a quasiment tous les jours. » Interviewé B6 – Extraits de narration lors de la cartographie Le cheminement, à Bidart en particulier semble relever d’une pratique secrète et qui se transmet à un cercle de connaissances proches. En effet, une personne retraitée interrogée m’a avoué accueillir des personnes dans le cadre d’une location Airbnb pendant la saison estivale. Elle est donc régulièrement amenée à conseiller des itinéraires de marches. En réalité elle ne diffuse pas les marches qu’elle fait régulièrement dans les bois, en retrait de l’espace côtier de la commune. Elle partage volontiers celles à réaliser sur l’espace côtier ou la voie verte le long de la rivière Uhabia. Chez cette personne la transmission des itinéraires se fait en fonction du degré de familiarité. La famille 343


proche bénéficie fortement de la connaissance des possibilités de ces espaces, en allant même jusqu’à en connaître les secrets. Sa fille vient récupérer les champignons à son tour, le relai est passée car la personne ne les consomme plus. Ses petits-enfants sont également amenés dans ces chemins et espaces. Ensuite les amis, sont avertis de quelques secrets mais très peu emmenés soit parce qu’ils ne le désirent pas soit parce que la personne se décrit elle-même comme « sauvage ». Elle explique cependant qu’elle ne répond en réalité qu’aux attentes des touristiques : « eux ce qu’ils veulent c’est la mer. Ici ça ne les intéresse pas ». De même une Bidartare qui gère un gîte touristique sur la commune de Bidart, a de prime abord évoqué les itinéraires qu’elle conseillait à ses hôtes lors de notre entretien. Elle prendra soin de décrire les aménagements faits comme la passerelle en bois, les petits chemins, la route. Ces itinéraires sont conseillés justement pour ces aménagements qui permettent aux personnes de passage de cheminer dans le territoire en toute sureté. Au fur et à mesure, elle s’est mise à me dévoiler ceux qu’elle effectuait personnellement pour collecter des orties ou marrons par exemple. Ces derniers ne sont pas les mêmes que les premiers évoqués et de même se situent plus en retrait de l’espace côtier (160). Pour ces personnes, les itinéraires à pied semblaient relever d’une certaine confidentialité. Il y a des itinéraires que l’on partage volontiers et d’autres que l’on garde pour soi. Ces itinéraires « secrets » relèvent d’un caractère plus sauvage et moins fréquenté et cette volonté de ne pas les partager relève sans doute d’un désir de les préserver. Quel partage ? Lors des marches exploratoires effectuées à Bidart, le sujet du partage et de la transmission a été celui qui a le plus fait l’objet de débats. En effet, si la plupart des participants refusaient l’idée de partage à un large public (MEB1 et MEB2), une des participantes de la marche MEB1 (d’origine Australienne et qui vit à Bidart six mois de l’année) a émis clairement le souhait transmettre cette promenade à des amis et plus largement de la diffuser par des affichages ou des panneaux d'indication. Elle y verrait une amélioration des lieux par des petits aménagements pour les rendre praticables pour tout le monde qui résideraient en un bon entretien

160. Cartographie qui révèle les parcours qu’une gérante de gite partage à ses hôtes (le long de la voie verte vers le littoral) et les parcours qu'elle effectue elle et qui ne sont pas partagés (vers le nord de la commune et à l'est en direction d’Arbonne) (interviewée B8).

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pour écarter les dangers. Le partage de ces chemins risquerait selon les autres participants de porter atteinte aux côtés « nature » des lieux traversés, en transformant l’ambiance calme et « sain e ». Aussi cette discussion révèle des volontés qui convergent vers le renforcement de l’ambiance (densification et diversification de la végétation des espaces de loisirs) et la transmission (sauvegarde des espaces très végétalisés comme les forêts et compagnes) de ce qui existe déjà plutôt que de conquérir ce qui n’est pas. Finalement ce qui fait consensus dans la démarche de partage c’est de développer une pratique de la découverte et de l’attention sensible aux paysages. En effet cette même participante d’origine Australienne aimerait que les itinéraires à pied soient plus développés dans les écoles par exemple pour renforcer l’éducation « à la nature » et à la découverte des biotopes. Une réunion-bilan de la démarche Nouveaux Commanditaires s’est tenue le 9 juin 2021 à Bidart. J’y ai pu présenter les prémisses d’analyse de mon travail. S’en est suivi une discussion sur les modalités de partages et de transmission des cheminements à pied et des paysages sensibles. L’idée de « non-aménagement » a été d’emblée évoquée comme une volonté de ne pas intervenir, de laisser les choses dans leur informalité et leur essence. En effet, Jérôme Potiés, chargé de la culture à la mairie a d’ailleurs évoqué un exemple vécu où l’intervention sur un édifice historique avait transformé les perceptions du site. Cet exemple évoqué est celui de la réhabilitation d’un ancien château en Moselle en centre d’art, ce qui a dénaturé l’essence même du lieu à laquelle les habitants s’identifiaient. Il a particulièrement plu aux commanditaires comme un exemple de conservation de l’esprit des lieux, du patrimoine et du paysage affectif. Aussi, la thématique de l’oralité a été abordée, comme un moyen potentiel de transmission du patrimoine paysager multisensoriel et affectif. La langue basque étant un élément fort du patrimoine local, il pourrait être le moyen de transmission de cette pratique du cheminement, de la narration des paysages sensibles. J’ai spontanément évoqué l’idée d’un système de rencontres spontanées entre habitants ou visiteurs, où le rendez-vous serait l’occasion d’un cheminement à la découverte du territoire et de fait des relations affectives que les habitants entretiennent avec le paysage. Aussi une commanditaire Bidartare a évoqué un rituel qu’elle s’est instaurée avec sa voisine lors du premier confinement. Ces dernières se sont mises spontanément à marcher ensemble, pour se rencontrer lorsque les conditions sanitaires restreignaient nos moments de sociabilité. 346


Ainsi plus que l’idée de partage des cheminements semble plus être portée sur l’expérience même du cheminement, de la sociabilité et de la mise en narration du paysage que les itinéraires mêmes à cheminer. Le bouche-à-oreille permettrait de découvrir le territoire. D’ailleurs un commerçant à Bidart (interviewé B6) avait découvert les parcours qu’il fait effectuer dans le cadre du rendez-vous hebdomadaire qu’il organise avec son magasin de vente d’équipement sportif par un ami qui vit sur la commune. C’est ainsi que les nouveaux arrivants, à Bidart comme à Saint-Jean-le-Vieux (interviewé SJLV12) partent à la rencontre de leur territoire, en prenant conseil auprès des habitants ou usagers régulier.

« Je les ai découverts grâce à des gens du coin qui sont venus au magasin. Des clients, en fait pratiquement des amis et qui m’ont fait découvrir des chemins. On a même cherché des petits chemin, l’opportunité de tracer d’autres chemins variés. Mais c’est plutôt les gens du coin qui m’ont fait découvrir ça. Ils nous ont dit par exemple ou ils sont venus. » Interviewé B6 – Extrait de narration lors de la cartographie « Le confinement. Après j'ai des habitants de Jaxu, y a un club de trail qui m'ont accueilli dans leur groupe. Et grâce à eux, j'ai su les parcours, tout bêtement. » Interviewé SJLV12 – Extrait de narration lors de l’entretien Transmettre une pratique sensible d’ouverture à son territoire Les marches exploratoires ont mis en avant marcheur comme un exploratoire et non pas un conquérant. En effet, cheminer c’est partir à la découverte de son territoire, l’explorer en découvrir les parcours et les portes dérobées en fonction des attentes et des désirs de chacun. Le marcheur connait les secrets de son territoire. Il a découvert les meilleurs chemins et dirige ce cheminement pour les rencontrer. La connaissance ou reconnaissance des « meilleurs » chemins ou lieux d’arrêts devient alors inhibitrice de désirs pour d’autres espaces L’alternative connue se suffit à elle-même en quelque sorte et ne fait pas naître des envies de conquête absolue des espaces et des chemins qui ne sont pas nécessaire propices au cheminement piéton. Là est tout l’art du cheminement, dessiner ses chemins. Le marcheur chemine au sens où il se dessine une sorte de parcours idéal chargé d’affect et d’attachement personnels. Ainsi les variations d’ambiances paysagères et de types de sols 347


cheminés deviennent des sortes de trésors existants dont la rencontre construit l’expérience affective et sensorielle singulière. Aussi ce qui pourrait apparaitre comme un défaut à l’acte de cheminer, dans le cas précis une route sans trottoirs aménagés, apparaît par les marcheurs, sensible à certaines ambiances de campagne, de rural, comme pouvant contribuer à une sorte de charme du territoire. C’est une route « un peu comme c’était avant à la campagne » dit une des participantes lors de la marche exploratoireMEB1 ou par son caractère vivant comme il a été souligné lors de la marche exploratoire MESJV1. La découverte est une démarche proactive qu’il faut inciter à pratiquer sans pour autant tout dévoiler. Lors de la marche exploratoire MEB2, il a été souligné finalement qu’il n’était pas besoin de partager les itinéraires, qu’en réalité les individus devaient développer une volonté propre de rencontrer leur territoire et les paysages de leur quotidien en cheminant de leur propre chef, en découvrant par eux-mêmes ou à défaut par un mode de transmission oral. Cheminer est finalement d’une sorte de philosophie de vie, guidée par le désir de rencontre de soi, de partage mais surtout de découverte du territoire. Le balisage, l'information, sont autant d’aspects normatifs de la marche qui vont moins dans le sens d’une pratique spontanée d’éveil. La marche, selon un autre participant de cette même marche MEB2, est une démarche qui doit être proactive, il ne faut pas attendre qu'on nous donne les éléments à découvrir mais il faut provoquer la rencontre avec le territoire. D’ailleurs cette rencontre se caractérise autant par les éléments proches évoqués précédemment que le grand territoire. Ils concluent que cheminer « c’est comme la vie, (on) prend des chemins qui nous amènent à en rencontrer d’autres ». Cette philosophie de découverte du territoire en se laissant portée a également été abordée à Saint-Jean-le-Vieux lors de la marche exploratoire MESJLV1 où un des participants décrivait l’avantage de marcher dans les prairies comme un moyen de réellement rencontrer le territoire en le vivant : « ça fait plus réel ». Sortir des sentiers balisés permet « d’accepter de (se) perdre ». Enfin, le cheminement c’est transmettre une pratique qui met en avant l’idée de « respect de la nature » selon un participant de la marche exploratoire MEB1. En effet, le cheminement est une pratique de découverte de l’environnement tel qu’il est et qu’il s’offre à nous.

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Conclusion intermédiaire Par l’expérience immersive et multisensorielle, le cheminement constitue une pratique qui définit des modes d’affects aux paysages quotidiens liés à l’émotion produite et au vécu qu’ils portent. L’émotion est patrimonialisante puisqu’elle traduit un attachement aux paysages par ce qu’ils procurent sensoriellement et affectivement. Mais elle traduit surtout le fait que les habitants ou usages réguliers se sont appropriés leur cadre de vie, mentalement et physiquement et que chaque modification ou découverte est sujette à un regard affectif critique. Le vécu est patrimonialisant comme garant d’un paysage vivant, animé qui n’est pas inerte et qui traduit l’identité d’un territoire. Le vécu est fédérateur pour tous les types de cheminement car il accepte la diversité. L’émotion et le vécu, jalons patrimonialisant ouvrent des champs possibles de reconstruction de la notion de patrimoine vers une acception plus évolutive et souple et qui est liée à l’expérience immersive et sensible. Ces émotions et ces vécus des paysages quotidiens sont narrés pendant le cheminement, ce qui en fait un processus de « mise en patrimoine » du paysage. Cette narration se porte sur le vécu quotidien des paysages du territoire et participe à la construction de mythologies populaires. Le cheminement, comme pratique accessible, spontanée et ordinaire réattribue donc le processus patrimonial aux habitants et usagers du territoire. Le cheminement constitue une pratique sujette à la patrimonialisation par sa transmission spontanée et informelle. En effet, le cheminement est transmis à travers des formes de « rituels » d’éveil et d’orientation dans le paysage. Il se construit ainsi au fil des expériences multisensorielles du paysage qui en définit l’orientation, l’attitude et les modalités (en groupe ou individuels). Si patrimoine il est, le cheminement constitue une pratique sociale (marquée par la transmission et les liens de sociabilités qu’il permet) et sensible du paysage. En tant que moyen de découvrir ou faire découvrir le territoire, il est une pratique différente que lorsqu’il est moment introspectif. L’oralité et l’expérience sont les éléments clés de son partage. Il ne s’agit pas temps de transmettre des itinéraires mais plutôt de les faire parler. Aussi le cheminement est une pratique sensible dont il s’agit de valoriser l’intention proactive plus que le parcours.

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CONCLUSION GÉNÉRALE Le cheminement est l’occasion de déployer une sensibilité multisensorielle du paysage qui traduit différents niveaux de perception, allant de la relation podotactile du paysage à l’épreuve corporelle totale puis intime de l’individu avec son milieu. L’expérience quotidienne des paysages – tant

remarquables

qu’ordinaires – construit un affect aux paysages qui relève de l’attachement, de l’attribution d’un système de valeurs et d’une volonté de transmission. Cependant cet attachement sort des considérations classiques patrimoniales pour entrer dans un nouvel affect lié à l’émotion et au vécu quotidien. Par le cheminement, la sensibilité au paysage et sa valeur patrimoniale se voient reconstruites sous des modalités spontanées voire informelles de transmission. Ce travail de recherche s’inscrit dans une dynamique générale qui visent à comprendre la relation sensible qui s’établissent entre l’individu et son paysage quotidien sous le prisme de l’expérience multisensorielle et affective. Certains chercheurs ont souhaité sortir du carcan classique de la notion de paysage en qualifiant l’expérience sensible des paysages ordinaires à l’échelle de l’individu (Bigando, 2006) ou en éclairant l’apport de la notion de multisensoriel à la notion de paysage urbain (Manola, 2012)). D’autres se sont intéressés à l’hodologie comme expérience immersive et phénoménologique du paysage (Lévy & Gillet, 2007) et comme processus psychologique (Besse, 2004). Enfin certains chercheurs se sont penchés sur la notion de patrimoine/patrimonialisation, son tiraillement entre pratique institutionnalisée et informelle (Watremez 2008; Isnart 2012) et ses écueils (Sgard, 2010). Notre étude finalement, cherche à lier ces notions de paysages quotidiens, d’hodologie et de patrimonialisation spontanée par le prisme de la multisensorialité en s’intéressant au paysage (au sens de ce qui est paysagé) des individus cheminant, à leur expérience multisensorielle et affective mais surtout à ce que cela traduit en termes d’attachement et de démarches informelles de transmission de ce paysage. Cette réflexion a été menée à partir du discours d’habitants ou d’usagers réguliers grâce à une démarche d’enquête qui a multiplié les supports d’expression (reportage photographique, narration, cartographie). Cette démarche a permis d’accéder ainsi aux ressentis et sensibilités de l’individu dans sa diversité et grâce à une démarche d’expérimentation qui, par le biais de la marche exploratoire 351


groupée, a permis le partage et la transmission de cette dimension affective portée aux paysages du quotidien. L’expérience sur les deux communes a révélé des différences dans la manière de partager et de dévoiler sa sensibilité. Cependant cette enquête a certainement révélé que le paysage quotidien par le cheminement relève de dimensions intimes, émotionnelles liées à des réalités psychiques et psychologiques. Son appréciation se construit au-delà d’un regard distancé esthétisant.

Principales hypothèses et résultats Le point de départ de l’étude était de s’intéresser aux relations sensibles et patrimoniales des individus aux paysages quotidiens en prenant l’angle du cheminement comme pratique sociale. Tout d’abord une première hypothèse se penchait sur le contexte précis des terrains d’études, les communes de Bidart et de Saint-Jean-le-Vieux étant marquées par des paysages ordinaires et surtout des paysages identifiés comme remarquables mis en valeur par des parcours aménagés. La diversité des parcours a mis en évidence que les personnes qui cheminent sur leurs communes, aussi bien à Bidart qu’à Saint-Jean-le-Vieux n’empruntent en effet pas seulement les parcours aménagés. D’ailleurs la diversité des profils de personnalités et de marches a permis de couvrir un périmètre très large sur les deux communes, voire quasi-total. En réalité comme nous l’avons vu précédemment, il semble que le parcours soit dirigé en fonction de la configuration de la marche (seul ou accompagné) et d’une sorte de « but » : professionnel (utilitaire), marche seule, marche pour faire découvrir le territoire. Les parcours dirigeant vers les paysages remarquables sont en effet vécus par certains comme des itinéraires quotidiens. Cependant le regard porté aux paysages n’est pas vraiment de l’ordre de la contemplation esthétique mais plutôt de l’opportunité d’une expérience multisensorielle forte, voire émotionnelle, situation où le paysage de l’environnement extérieur et le paysage émotionnel fusionnent. La seconde hypothèse requestionnait le sens de la vue comme sens perceptif dominant pour comprendre les formes de perceptions sensorielles du paysage quotidien qui s’établissaient par le cheminement. Plus qu’un rapport monosensoriel, le paysage est raconté par la pluralité des sens qu’il sollicite. En effet, les dominantes sensorielles sont à nuancer en fonction des personnes et des lieux cheminés. Si la vue est fortement sollicitée pour décrire ce 352


qui est perçu, les ambiances paysagères sont aussi rapportées par ce qui est senti (le rapport de proximité qui s’établit avec le paysage), entendu (comme nuisance ou bruit propre à un milieu habité) mais également touché (le paysage podotactile, temporel) voire goûté. Ce rapport multisensoriel s’établit par le rapport de la corporéité directe de l’individu cheminant à son environnement. Une dimension corporelle et affective qui peut s’étendre à la dynamique du groupe : par exemple, l’expérience multisensorielle peut être vécue à travers celle des enfants qu’on accompagne, dans le cas d’expériences relatées par des mères de famille (aspect sécuritaire, éveil sensoriel par les animaux rencontrés). La dimension sensorielle n’est donc plus liée à la corporéité individuelle mais à une corporéité générale, comme si le groupe qui cheminait constituait un seul et même corps. De même, chez les agriculteurs, pêcheurs ou chasseurs interrogés, la perception des paysages multisensorielle et affective se construit par l’attitude et les effets sur les animaux - accompagnants ou chassés. Ainsi la construction du paysage est déductive et traduit une sorte de fusion entre le corps de la personne cheminant et les animaux. Pour dépasser la question multisensorielle comme rapport sensible au paysage et entrer dans le domaine de l’affect, de l’attachement, l’étude s’est attachée à n’employer le terme de « paysage » que si les individus étaient amenés à le prononcer par eux-mêmes. En effet, notre recherche cherchait à comprendre les éléments

paysagers,

qu’ils

soient

physiques,

sensoriels,

relationnels,

psychologiques. Ainsi la question de la sensibilité a pu être élucidée au-delà de la notion de sensorialité pour comprendre où l’attention aux paysages se porte et les relations émotionnelles et vivantes qui en découlent. Le paysage est ainsi perçu par ce qu’il procure comme sensation, mais également comme sentiment ou par la manière dont il est vécu au quotidien, tant du point de vue pratique qu’émotionnel. Notre étude s’est donc ouverte aux perceptions affectives aux paysages qui se comprennent par trois niveaux perceptifs : le paysage cheminé, le paysage éprouvé, le paysage habité. Ces niveaux perceptifs ont permis de mettre en relation expérience multisensorielle du paysage (podoctactile, corporelle, physiologique) et affective (praticabilité, psychologique, historique, identitaire, émotionnel, social) des paysages quotidiens. Ces trois niveaux perceptifs marquent des discours orientés. Certaines personnes paysageront plutôt l’expérience podotactile de leur environnement, d’autre l’expérience physiologique et émotionnelle, et d’autres enfin les rapports de sociabilité permis par le paysage. Ces trois niveaux perceptifs ne s’excluent pas. En effet, si un discours sera majoritairement orienté vers les

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éléments paysagers liés aux milieux habités (faune, flore, lieux de sociabilités), il n’exclura pas des sensorialités corporelles ou podoctactiles. Ainsi, ces niveaux perceptifs se superposent spatialement. Un même lieu n’est pas paysagé de la même manière : pour prendre l’exemple d’un paysage remarquable de falaise, une personne paysagera les sensations corporelles et émotionnelles tandis qu’une autre en paysagera les sensations liées au relief et au sol. Pour prendre le cas d’un paysage ordinaire marqué par les activités agricoles : une personne paysagera les éléments singuliers qui composent cet environnement (maisons, animaux, rencontres) tandis qu’une autre paysagera par exemple l’ambiance sous un qualificatif « agriculture ». Bien qu’elle soit spontanément évoquée ou explicitée par la grille d’entretien, la sociabilité occupe une place non négligeable dans la perception des paysages, surtout chez les jeunes et les familles qui cheminent. Elle est tantôt évoquée comme possibilité rendue par le paysage, tantôt comme élément paysager. Notre hypothèse de départ prenait le point d’arrêt, lié à un point de vue paysager, comme lieu qui appelle à de nouvelles pratiques locales de sociabilité. Cette étude a mis en évidence que certains points d’arrêts lors des cheminements pouvaient générer des situations de convivialité, pas nécessairement liées à des formes de sociabilité notamment dans le cadre de pratiques individuelles. Ces points d’arrêts ne sont pas nécessairement liés à une situation avec un panorama paysager, bien que la plupart le soient. Ils sont établis de manière spontanée sur des lieux aménagés ou non (situation en bord de route). Cependant ils sont surtout liés à la perception d’une ambiance paysagère qui favorise cette situation, qu’elle soit de l’ordre de la convivialité ou de la sociabilité. Ainsi l’expérience sensible individuelle d’un paysage influe sur des formes de sociabilité qui peuvent s’y produire, bien qu’elle relève de réalités et de degrés différents en fonction des individus. L’étude a particulièrement révélé, lors des marches exploratoires, que la convivialité et la sociabilité pouvait également s’établir pendant le cheminement même. En effet, les typologies de chemins et d’ambiances paysagères étaient propices à des échanges ou des dynamiques de groupes propres à ces mêmes notions de convivialité (également individuelle) et de sociabilité. Cette notion de pratique sociale a permis de comprendre la sensibilité au paysage dans la possibilité qu’elle permet pour l’individu de pouvoir s’approprier son environnement, aussi bien mentalement que physiquement. Et cette notion

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d’appropriation a soulevé les enjeux de partages du paysage et de superpositions de pratiques de cheminement, parfois conflictuelles. Enfin notre étude a cherché à comprendre les relations patrimoniales qui s’établissaient entre les individus et le paysage. Une hypothèse initiale considérait que les perceptions des paysages et les pratiques de sociabilité traduisent des rapports patrimoniaux spontanés aux paysages quotidiens. Par le cheminement, les relations qui s’établissent avec les paysages quotidiens permettent d’élucider un certain nombre de valeurs qui sont attribuées au paysage. Cependant l’attachement qui est porté aux paysages du quotidien se porte davantage sur l’émotion éprouvée par le paysage et le vécu qu’il permet. Ainsi ces deux notions « patrimonialisent » le paysage puisque le cheminement devient essentiellement le temps du témoignage d’un ressenti, d’un vécu individuel ou collectif du paysage. D’ailleurs la narration du vécu paysager tend à créer des formes de mythes locaux. Cependant l’étude a permis de mettre en avant une autre dimension de la question du patrimoine via le cheminement qui n’avait pas fait l’objet d’une hypothèse. En effet, le cheminement est une pratique sociale qui fait elle-même l’objet d’une transmission comme l’opportunité d’établir une relation sensible au paysage. Finalement ce qui fait patrimoine, au-delà de l’expérience vivante et émotionnelle du paysage, c’est l’idée de valeurs et de pratiques d’éveil et de respect vis-à-vis de son environnement. Le paysage est finalement une création de ce qui individuellement ou collectivement résulte d’une relation entre l’individu et son environnement.

Entre enjeux territoriaux et enjeux locaux, les réalités de la méthode participative Les motivations qui ont mobilisé le CAUE et le CDPB autour de ma recherche, ce sont les outils participatifs que j’ai mis en place, testés sur une commune et répliqués sur une autre. En effet, aujourd’hui, autant les secteurs publics que privés s’arment pour faire à face à une vogue participationniste qui a progressivement fait sa place sur les enjeux de construction et développement du territoire. Le 10ème principe de la déclaration de Rio de 1992, « la meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient » identifie la participation de la société civile

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comme un enjeu international. Ce principe sera mis en œuvre par la convention d’Aarhus ratifiée en France en 2002. La vogue « participationniste » sera initiée en France dès les années 80 par le développement de politiques dites « procédurales » qui portent sur « l’organisation de dispositifs locaux destinés à assurer des interactions cadrées, des modes de travail en commun et la formulation d’accords collectifs » (Lazzeri et al., 2015). La succession de lois - loi d’orientation sur la ville de 1991, loi sur l’administration territoriale en 1992, loi Barnier de 1995 qui met en place la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) - poseront les principes de l’information, de la consultation et de la concertation avec les habitants. Enfin les années 90 sont marquées par la loi Voynet de 1999 qui met en place les conseils de développement, la loi SRU de 2000 qui prévoit l’obligation de la concertation dans l’élaboration de PLU, la loi Vaillant de 2002 qui impose la création de conseils de quartiers dans les villes de plus de 80 000 habitants et enfin la loi Grenelle 2 de 2010 qui insiste sur l’accès du public à la participation ainsi qu’à de « nouvelles formes de gouvernance favorisant la mobilisation de la société par la médiation et la concertation » (Lazzeri et al., 2015). En ce qui concerne les enjeux de paysage ; la CEP 36, dans son article 5, encourage les démarches de décisions participatives avec l’énonciation d’une obligation des parties à mettre en place ces procédures. Aujourd’hui on assiste à une hétérogénéité des formes participatives tant sur la forme, sur l’ancrage, sur le sujet que sur les outils mis en place, les temporalités, les échelles ou encore les acteurs concernés. La participation peut en effet relever de réalités très contrastées et de fait, de nombreux chercheurs comme Rowe et Frewer (2000) Fung (2003) Beuret, Beltrando

et Dufourmantelle (2006) (cités par Lazzeri et al. , 2015) - se sont

penchés sur l’évaluation des processus de participation. Lazzeri et al. proposent l’élaboration d’un outil de réflexion pour comprendre l’impact de la participation sur les effets directs et indirects dans un contexte local. Les modes d’évaluation

Convention Européenne du Paysage a été adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe à Strasbourg le 19 juillet 2000 et a été ouverte à la signature des Etats membres de l'Organisation à Florence le 20 octobre 2000.

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permettent à la fois de comprendre les conditions de réussite ou non d’un projet par la participation, mais également d’en définir des grands enjeux. Un des grands enjeux de la participation réside dans la définition du « comment » et « jusqu’où » mobiliser les citoyens, et notre recherche est un éclairage sur les écueils que peut présenter ce type de démarches (Lazzeri et al. 2015). Sur la question du « comment », la recherche a proposé un protocole qui développait une pluralité d’outils. Cependant, ces outils avaient été réfléchis en amont avec le groupe des Nouveaux Commanditaires à Bidart pour une étude basée sur leur commune. Aussi, il peut y avoir des différences observées entre les formes expérimentales de participation auxquelles les Bidartar(e)s sont enclins et celles avec lesquelles les Donarzahartar(e)s se sont sentis à l’aise. Sur la question du « jusqu’où », l’étude a duré 6 semaines par commune. Il n’a pas été si simple de remobiliser les habitants entre l’entretien et la participation à une marche exploratoire. En effet, l’enquête se basant sur un entretien en premier lieu, les habitants sont dans une optique d’accorder ponctuellement leur temps plutôt que d’être inclus dans un projet de réflexion à plus long terme dans lequel ils s’engageraient. C’est pour cela que le groupe des Nouveaux Commanditaires est mobilisé, comme un groupe qui s’est fédéré autour d’un intérêt commun, tandis que mes interviewés sont des personnes prêtes à répondre à des questions dont j’ai défini le sujet. Ce dernier entre plus ou moins en résonnance avec leurs préoccupations actuelles concernant leur cadre de vie, leur territoire. La période pendant laquelle s’est déroulée cette étude (mai-juin 2021), qui a amené des contraintes très particulières, a également joué dans la difficulté de la prise de rendez-vous (confinement, reprise des activités très rapide avec la saison estivale). Par la différence entre l’intérêt que suscitait ma recherche à Bidart et à SaintJean-le-Vieux, j’apporterai deux nouvelles questions à se poser concernant les dynamiques participatives que sont : le « sur quoi » et le « quand ». Ces deux questions sont en réalités très liées. En effet, dans la définition d’un projet qui mobilisera une démarche participative, l’enjeu du projet même doit faire l’objet d’une concertation. Les questions de « patrimoine » et « paysage » ont réellement intéressé les Bidartar(e)s par les réalités vécues au quotidien liées à la pression foncière, à la transformation rapide des terres en zone périurbaine et finalement à une dynamique évolutive du

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territoire palpable sur un temps court. Cependant, ces enjeux ont fait l’objet de très peu de remarques d’intérêt chez les Donazahartar(e)s qui vivent dans un contexte plus rural. Concernant Saint-Jean-le-Vieux, le manque de dynamique collective locale, contrairement à Bidart, peut aussi expliquer ce phénomène, et notamment la non-tenue de la seconde marche, puisque les personnes interrogées ne souhaitaient pas forcément s’impliquer dans la démarche. Cela peut aussi s’expliquer par le format de la marche, non adapté (bien que la plupart des personnes rencontrées marchent en duo ou en groupe). Inclure les habitants dans la définition d’un projet mène donc à comprendre la démarche participative comme un processus qui doit inclure l’habitant dans des phases très en amont de celui-ci, bien que la réalité de la disponibilité de l’habitant fait qu’il ne puisse pas forcément suivre tout le processus ou qu’il y ait un risque d’épuisement de la participation. Les difficultés supplémentaires rencontrées à Saint-Jean-le-Vieux pour mobiliser des habitants pour des marches exploratoires peuvent s’expliquer par le simple fait que les enjeux de « paysage » et « patrimoine » y font moins écho aux réalités locales vécues. Ainsi la concertation pourrait inclure, dans une certaine mesure, la définition de l’objet et du format de la concertation, permettant ainsi de créer une dynamique locale de mobilisation. Une méthode élaborée sur un territoire défini à une échelle déterminée, ne semble pas pouvoir être répliquée sur d’autres communes. Au-delà d’être un outil, la participation est un processus de co-construction dont il ne s’agit pas de prédéfinir un protocole rigide sur l’objet et les moyens mobilisés. La réalité locale, aussi diverse qu’elle peut paraître à l’échelle communale, implique un protocole défini sur des modes de mobilisation variables et adaptables.

Les apports de la notion de cheminement aux enjeux de paysages quotidiens et patrimoine paysage sensible Finalement cette étude ne se contente pas de comprendre la sollicitation des sens comme description d’une relation sensible qui s’établit entre l’individu cheminant et le paysage. Elle dévoile un affect aux paysages quotidiens porté par cette multisensorialité, tant sur le plan émotionnel que vivant – au sens de vécu et pratiqué au quotidien. Elle élucide ainsi différents niveaux de perceptions relationnelles entre l’individu et son environnement par la multisensorialité et l’affect. Plus que de comprendre la relation qui s’établit, cette recherche réactualise le paysage comme une création propre résultant de la sensibilité de chacun. Elle 358


démontre que les pratiques de cheminements traduisent une recherche de sensations - stimulation sensorielles, émotionnelles, affectives voire sociales - qui guide et oriente ces pratiques. La multisensorialité est envisagée comme un lien, une mise en relief entre l’environnement perçu extérieur et l’état psychologique de l’individu. Elle participe à une forme de poétique du territoire au sens où elle suscite rêverie, expression d’un esprit des lieux. La notion de cheminement ajoute à la notion de patrimoine l’idée d’une pratique spontanée et informelle qui s’établit par l’expérience immersive de l’individu dans son paysage. La multisensorialité n’est alors pas un élément à catégoriser qui viendrait fournir l’achalandage patrimonial déjà existant. Le cheminement révèle une pratique ordinaire où l’individu est au cœur du processus patrimonial par les représentations qu’il se fait de son environnement et par son attitude de respect, de témoignage, de partage. Le paysage par le cheminement, c’est un patrimoine par l’appropriation. L’élément paysagé acquiert sa qualité patrimoniale par la démarche même du sujet qui reconnait par le simple fait de percevoir, qui se fait témoin par le simple fait d’identifier et enfin qui se fait passeur par le simple fait de partager. Enfin, cette recherche a permis d’élucider la valeur patrimoniale du paysage (comme héritage et transmission) par son aspect vécu, vivant et faisant parti du quotidien. L’attachement porté au paysage est finalement la résultante de relations dynamiques entre les individus et leur environnement (le milieu habité et éprouvé, convivialité) et entre les individus mêmes (sociabilité). Finalement, il ne s’agissait pas de comprendre comment la sensorialité faisait partie d’une forme de patrimoine,

mais

plutôt

comment

la

sensorialité

exprimait

une

relation

d’attachement, d’affect que l’individu éprouvait à son paysage. Ce travail est parti du principe que l’individu n’évoquait pas le terme de paysage de manière spontanée, bien que cela ait été le cas à neuf reprises. En effet, nous avons considéré dans cette recherche que tout est paysage, et que tout ce qui est évoqué est paysagé puisqu’il est une portion ou un élément de territoire perçu, éprouvé sensoriellement. La multisensorialité par l’hodologie a réouvert tout un champ de la psychologie puisque la description des paysages oscillait entre un environnement paysagé et un paysage des émotions. L’interdisciplinarité de la multisensorialité réouvre donc un champ d’investigation qui, particulièrement en milieu urbain pourrait être

359


approfondi sur les questions de territoire de proximité et cadre de vie quotidien contribuant au bien-être. Il s’agirait d’investiguer un peu plus ce que les gens entendent par paysage dans leur quotidien et en quoi cela se rapporte à une expérience propre. Ainsi la notion de paysage ne serait-elle pas obsolète pour parler de ce que les gens expriment de leur cadre de vie quotidien ? Il en serait de même pour la question du patrimoine. S’il s’agit d’évoquer des éléments matériels ou immatériels à transmettre. La notion de patrimoine, en ce qui concerne le paysage quotidien et des pratiques spontanées, n’est-elle pas trop institutionnalisée ou connotée ? Enfin un dernier volet pourrait être exploré, celui de comprendre les pratiques spontanées et informelles de reconnaissance et de transmission des paysages en dehors de la pratique de cheminement. En effet cette pratique a révélé qu’une forme

d’acte

ordinaire

pouvait

contribuer

de

manière

distancée

à

la

reconnaissance des facteurs du paysage comme patrimoine. Il s’agirait alors de comprendre les actions locales, en dehors de toute forme d’institution, qui contribuent à reconnaître un patrimoine paysage sensible, affectif et multisensoriel. Nous terminerons cette réflexion pour préciser que le point de vue prospectif ici a été brièvement évoqué lors des marches exploratoires à Bidart, et très peu à Saint-Jean-le-Vieux. De plus, une visée aménagiste serait difficile à palper avec les différences de points de vue et parfois contradictions exprimées. Cependant la recherche a mis en avant que la sensibilité aux paysages s’exprime par la rencontre de ce qui pourrait être relégué au détail : ornement, bruit d’oiseau, de l’eau, sensibilité tactile du sol etc. L’attention au paysage doit donc être à plusieurs échelles : de l’échelle territoriale à l’échelle macro. La pensée aménagiste doit aussi être envisagée dans le non-aménagement, comme cela a été exprimé par les habitants, permettant ainsi de reconstruire les notions de patrimoine et paysage par le regard intrinsèque de ceux qui le vivent.

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ICONOGRAPHIE 1. Des cheminements dans la rue Harguin Etcheberry ont été évoqués lors d’une marche exploratoire expérimentale (photographie personnelle) .................................. 24 2. L’entrée de l’exploitation maraîchère est remarquée comme étant un espace clef d’appréciation du paysage (photographie personnelle). .....................................................25 3. L’élargissement, le calme sensoriel et la présence d’une vue dégagée favorisent la rencontre et des sociabilités le long du littoral. (Crédit : Paul Laramburu) ...........25 4. Cartographie du territoire Pyrénées-Atlantiques (source : Atlas des paysages des Pyrénées Atlantiques, agence Morel Delaigue, 2003) ............................................................ 65 5. Cartographie représentant les sept ensembles paysagers dont les trois provinces basques, le Labourd, la Basse-Navarre et la Soule en font partie (source : Atlas des paysages des Pyrénées Atlantiques, agence Morel Delaigue, 2003). ............................ 66 6. Affiche des Chemins de Fer de Paris à Orléans (PO) et du Midi " Côte basque, Saint-Jean-de-Luz et Ciboure " par Ramiro Arrué qui cherche à promouvoir l'attractivité des stations balnéaires basques (source : photorail.fr). ........................... 70 7. Dessin d'une etxe, la maison Lapitzea située à Sare réalisé par Dominique Duplantier qui révèle le style labourdin. Ce style est marqué par les pans de bois visibles en façade, les pierres apparentes en angle et en saillie, le lorio qui constitue une entrée en retrait (source : site dominique-duplantier.com). .................................... 74 8. Dessin d'une etxe, la maison Sarrasquette située à Bussunarits réalisé par Dominique Duplantier qui révèle le style de Basse-Navarre. Il est marqué par une façade plate en pierre, sans pans de bois ni lorio, l’entrée est entourée de pierre assemblée en bouteille (ibid). ............................................................................................................. 74 9. Photographie personnelle d'une maison de style néobasque se trouvant à Bidart., typologie aussi observable sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux. Cette maison est typiquement un produit immobilier standard -que l’on retrouve partout en France - et qui est réadapté au territoire d’accueil : code couleur, usage de quelques matériaux, etc. C’est une maison dite « de catalogue.» (photographie personnelle). .................................................................................................................................................. 75 10. Vue depuis le centre-bourg de Saint-Jean-le-Vieux sur le chemin GR68 (photographie personnelle). ................................................................................................................ 79


11. Itinéraire du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle (GR68) sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux (source : géoportail). ............................................................................ 79 12. Vue depuis le quartier de la Madeleine sur le chemin GR68 (ibid). ......................... 79 13. Vue sur la plaine agricole depuis le chemin GR68 (ibid). .............................................. 79 14. Itinéraire du sentier du littoral à Bidart (source : géoportail)..................................... 80 15. Vue de l'itinéraire du sentier du littoral depuis les falaises (photographie personnelle). ................................................................................................................................................. 80 16. Vue de l'itinéraire du sentier du littoral près de la chapelle de la Madeleine (ibid). ............................................................................................................................................................................. 80 17. Vue du sentier du littoral depuis la départementale D810 (ibid). ............................. 80 18. Itinéraire du circuit « patrimoine » sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux. (source : géoportail) .................................................................................................................................. 81 19. Vue sur le lavoir qui ponctue le parcours « patrimoine » (photographie personnelle). ................................................................................................................................................... 81 20. Vue sur la colline Mendikasko, datée de l'époque médiévale et qui fait l'objet d'une petite note informative (ibid). ................................................................................................. 81 21. Itinéraire de la voie verte et du circuit patrimoine à Bidart (source : géoportail). ............................................................................................................................................................................. 82 22. Vue sur un des lavoirs et source reconnue à Bidart, inscrite sur le parcours patrimoine de la commune (photographie personnelle). .................................................... 82 23. Vue sur une portion de la voie verte de Bidart (ibid)..................................................... 82 24. Vue sur la chapelle Ur Onea et sa source inscrite sur le parcours patrimoine et de la voie verte (ibid). ............................................................................................................................. 82 25. Cartographie de localisation des communes de Bidart et Saint-Jean-Pied-dePort dans le département et les deux entités Labourd et Basse-Navarre. (source : géoportail)..................................................................................................................................................... 86 26. Carte de l'ensemble paysager Labourd................................................................................. 88 27. Carte géologique simplifiée de Bidart (source BRGM)................................................... 89 28. Carte topographique de Bidart (source : topographique-map.com) .................... 89 29. Coupe schématique du sol argilo-marneux et des effondrements engendrés 90

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30. Coupe schématique de la configuration côtière de la plaine alluviale (source : BRGM)............................................................................................................................................................... 90 31. Coupe schématique sur le sol d'altérite au Sud de Bidart (source : BRGM) ........ 90 32. Les milieux le long de la rivière Uhabia varient entre zones résidentielles, espaces forestiers et plaines enherbés marécageuses(photographie personnelle). ............................................................................................................................................................................. 92 33. L'embouchure de l'Uhabia a été canalisée et est aujourd'hui équipée d'un clapet en cas de pluie importante (ibid). .................................................................................................... 92 34. La source Contresta, surnommée la source Royale, était très populaire pour ses vertus médicales. Elle est aujourd'hui fermée (ibid)............................................................... 92 35. Carte de l'état-major de 1831 montrant la formation originelle de la commune à la croisée de la route d’Arbonne (est-ouest) et de la Nationale (nord-sud).............. 95 36. Photographie non datée qui révèle l’activité agro-pastorale majeure sur la commune (source : Décitre). ............................................................................................................. 95 37. Cartographie des continuités urbaines et des axes de communications principaux organisant le territoire de Bidart (source : Géoportail). .............................. 97 38. Cartographie des typologies paysagères bidartares de l'espace littoral à l'arrière-pays. (à gauche, source : géoportail & PLU de Bidart, 2011). ........................... 101 39. Vue sur l'espace littoral avec sa densité et ses falaises rocheuses végétalisées (photographie personnelle). ................................................................................................................ 101 40. Vue sur l'espace rétro littoral dominé par l'habitat pavillonnaire et les espaces végétalisés généreux............................................................................................................................... 101 41. Vue sur l'espace arrière-pays avec ses prairies et ses champs dominants (ibid). ............................................................................................................................................................................. 101 42. Vue depuis le centre-bourg de la commune (photographie personnelle). .......103 43. Vue sur la zone commerciale installée le long de la départementale D810 (ibid). ............................................................................................................................................................................103 44. Vue sur la zone technopole d'Izarbel située en périphérie de la commune (ibid). ............................................................................................................................................................................103 45. Vue sur la plaine de l'Uhabia et ses activités de loisirs à proximité du complexe de sport Kirolak et de l'ancienne gare et le long de la voie verte (ibid). ...................103

375


46. Carte de l'ensemble paysager Basse-Navarre................................................................. 104 47. Carte géologique simplifiée de Saint-Jean-le-Vieux (source BRGM). ................. 106 48. Carte topographique de Saint-Jean-le-Vieux (source : topographiquemap.com). .................................................................................................................................................... 106 49. La rivière Hartzubiko Errekale située au nord de la commune longe la plaine agricole et quelques hameaux habités (photographie personnelle). ...........................107 50. Le Laurhibar constitue le cours d'eau principal de la commune par sa largeur et sa proximité avec le centre-bourg et le quartier de la Magdeleine (ibid). ...............107 51. Le Laurhibar est une rivière très pratiquée pour sa pêche (ibid). ..........................107 52. Carte de l'État-Major 1820-1866 qui montre la structure originelle de Saint-Jeanle-Vieux en hameaux dispersés. (source : géoportail) .......................................................... 110 53. Photographie historique du centre-bourg. (non datée, source : Delcampe) ..... 110 54. Vue sur la ruine du château d'Harrieta (à gauche) aujourd'hui adjointe à une exploitation agricole et à un quartier résidentiel récemment construit (à droite) (photographie personnelle). ................................................................................................................. 111 55. Vue sur la façade du château de Salha (ibid).11156. Vue sur le quartier de la Magdeleine depuis son fronton, vers sa place et son église (ibid). ................................. 111 57. Cartographie des continuités urbaines et des axes de communications principaux organisant le territoire de Saint-Jean-le-Vieux (à droite, source : Géoportail). ................................................................................................................................................... 112 58. Cartographie des typologies paysagères Donazahartare de la plaine agricole aux bocages vallonnés (à droite, source : Géoportail). ......................................................... 114 59. Le centre-bourg de Saint-Jean-le-Vieux marqué par la densité et les matières minérales (photographie personnelle)........................................................................................... 116 60. La plaine agricole marquée par l'horizontalité et les Pyrénées en toile de fond (ibid). ................................................................................................................................................................ 116 61. La zone bocagère de la commune présente des massifs forestiers qui viennent ponctuer les bordures de champs (photographie personnelle). ..................................... 119 62. La vallée agricole en pied de montagne dessine le début de relief au nord du territoire. (ibid). .......................................................................................................................................... 119

376


63. Parcours réalisé à Bidart lors de la marche-test du 15 janvier 2021. Les lettres correspondent aux points d’arrêts réalisés (à droite, source : Géoportail). ............. 122 64. Carte sensible réalisée dans le cadre d’un workshop intitulé « Cartographie sensible de l’Ile de Nantes » animé par Quentin Lefevre à l’été 2018. Cette carte révèle des pôles d’intensité d’usages exprimés par un code couleur et des formes dont la légende est commune aux participants sur un fond de carte commun. Il en résulte une pluralité de cartes subjectives avec une charte graphique commune. ............................................................................................................................................................................ 126 65. Journée participative « Paysage et patrimoine » à Glux en Glenne, le 11 juillet 2017où une vingtaine de participants a pris part dont les habitants de Glux en Glenne ou des villages environnants, deux agriculteurs, la présidente de l’association pour la mise en valeur du paysage de la commune voisine, les organisateurs et le directeur de Bibracte venu aussi en tant qu’habitant de Glux. ............................................................................................................................................................................ 127 66. Cartographie des parcours prévus pour les marches exploratoires MEB1 et MEB2 superposées aux parcours patrimoniaux déjà existants sur Bidart (à gauche, source : Géoportail et Office du Tourisme de Bidart)........................................................................... 138 67. Cartographie des parcours prévus pour les marches exploratoires MESJLV1 et MESJLV2 superposées aux parcours patrimoniaux déjà existants sur Saint-Jean-leVieux ( à droite, source : Géoportail et chemins-compostelle.com) ............................. 138 68. Parcours réalisé lors de la marche exploratoire MEB1 qui révèle l'itinéraire ajouté et les arrêts supplémentaires qui ont eu lieux (à gauche, source : Géoportail). ....149 69. Parcours réalisé lors de la marche exploratoire MESJLV1 qui révèle l'itinéraire dérouté et les arrêts prévus qui ont été déplacés (à droite, source : Géoportail). ............................................................................................................................................................................ 149 70. Extrait de cartographie réalisée montrant l’effort du corps qui construit une perception du paysage (interviewé B5). ...................................................................................... 164 71. Extrait de cartographie montrant la perception des différents types de sol (interviewé B3)........................................................................................................................................... 164 72. Photographie qui montre des accotements de chemins parfois perçus comme désagréables par leur caractère artificiel ou pas assez naturel (interviewée B1).166

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73. Photographie réalisée par l'interviewée B1 pour parler des accotements de chemins entretenus qui participent à des moments agréables de ses itinéraires quotidiens (interviewée B1). ................................................................................................................ 166 74. Photographie qui décrit les chemins sécurisés et trottoirs d’un trajet quotidien à l’école et à son lieu de travail.(interviewée B12).................................................................... 171 75. Photographie qui montre une voie aménagée facilitant les cheminements à pied sur la commune (avec des enfants) notamment dans des espaces décrits par leur caractère végétal et « naturel » (interviewée B12). ................................................................. 171 76. Post-it réalisé par une participante de la marche MEB1 sur le premier tronçon de parcours (AB) relevant une perception du paysage cheminé par sa diversité....... 175 77. Photographie qui montre la manière dont le groupe se configure sur un chemin bitumé peu fréquenté (participant, marche MEB1)................................................................. 176 78. Photographie qui révèle les modes de marches induit par la présence d'un faible trottoir et d'une forte fréquentation routière (Clara Chavanon, marche MEB2).... 176 79. Photographie qui révèle des modes de marche en file indienne sur un chemin terreux étroit en forêt (participant, marche MESJLV1)........................................................ 177 80. Extrait d'une vidéo qui montre le mode de marche dispersé sur des parcours non balisés (participante, marche MESJLV1). ............................................................................ 177 81. Photographie qui décrit l'environnement perçu lors d'une randonnée effectuée sur l'Arradoy et qui révèle la prédominance du chemin terreux dans cet environnement (interviewée SJLV5) .............................................................................................. 181 82. Photographie qui montre un chemin de terre très agréable par sa matérialité et l'ambiance sensorielle génère et qu'elle a découvert (interviewée B7). ..................... 181 83. Extrait de cartographie qui montre les ambiances paysagères parfois résumées à la « belle vue » (interviewée SJLV2)........................................................................................... 188 84. À la vue de ce pittosporum, les participants se sont approchés pour le toucher et le sentir (Clara Chavanon, marche MEB2). ............................................................................ 189 85. Post-its qui transcrivent l'expérience multisensorielle et contrastée par l’ouïe (présence de voiture, d'animaux, de machines agricoles) et la vue (participants, arrêt B, marche MEB1). ............................................................................................................................ 189 86. Extrait de cartographie qui montre les perceptions tactiles du paysage (interviewé B5)........................................................................................................................................... 192 378


87. Extrait de cartographie qui dévoile l'expérience multisensorielle et surtout gustative du paysage (orties, marrons) associée à la perception visuelle des lieux (interviewée B8). ....................................................................................................................................... 192 88. Photographie qui révèle l'éveil multisensoriel (visuel, tactile, gustatif) permis par cet acacia (à gauche, photographie personnelle, arrêt B’, marche MEB1). ................194 89. Photographie utilisée pour décrire des moments désagréables liées aux sensations corporelles lors d’une marche sur la montagne Arradoy (interviewée SJLV5). ........................................................................................................................................................... 198 90. Extrait de cartographie décrivant le paysage par les sensations corporelles, tactiles et psychologiques, qu'il produit (interviewée SJLV1). ......................................... 198 91. Post-its qui traduisent un réel paysage émotionnel qui est dépeint (participants, arrêt D, marche MEB2). .........................................................................................................................202 92. Photographie réalisée pour qualifier les moments agréables et d’arrêts spontanés (interviewée SJLV2). ..................................................................................................... 205 93. Post-it qui évoque les souvenirs de jeux d'enfance qu’évoquent la plaine de l’Uhabia (participante, arrêt A, marche MEB1). ....................................................................... 208 94. Post-it qui évoque ses souvenirs de premières randonnées dans les bois de la périphérie bordelaise (participante, arrêt C, marche MEB1). .......................................... 208 95. Post-it qui décrit le paysage perçu depuis le point de vue comme paysage "typique" de la commune (participante arrêt B, marche MEB2). ..................................... 211 96. Photographie qui dévoile l’intérêt pour la maison néobasque inspirée de l'etxe traditionnelle (participant, marche MEB1). .................................................................................. 213 97. Photographie qui montre les tags rencontrés sur le parcours (participant, marche MEB2). ............................................................................................................................................ 213 98. Photographie qui montre le bâtiment agraire qui a suscité le débat pour ses qualités esthétiques et le modèle agricole qu’il porte (participant, marche MESJLV1). ...................................................................................................................................................... 214 99. Extrait de cartographie montrant la perception des ambiances paysagères par les milieux géographiques (interviewé B2)................................................................................. 218 100. Post-its qui traduisent les sensations ressenties et émotions au bord de la falaise vers l'océan (participants, arrêt D, marche MEB2). ................................................. 218

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101. Extrait de cartographie montrant la perception du milieu de la rivière par ses caractéristiques (interviewé SJLV7). ............................................................................................ 221 102. Extrait de cartographie révélant la diversité des biotopes perçus dans une même forêt (interviewé B9)................................................................................................................ 221 103. Série de photographies montrant le panorama ouvert sur les grandes prairies et parfois les horizons de montagnes qu’elles laissent à découvrir (interviewée SJLV2). .......................................................................................................................................................... 222 104. Photographie qui révèle la forêt comme milieu paysagé (interviewée B7). .. 225 105. Photographie qui traduit le paysage par une attention aux éléments ornementaux originaux des maisons rencontrées (participant, marche MEB1)..... 228 106. Photographie réalisée par un participant lors de la marche MEB1 où l'attention se porte à la mousse végétale qui pousse sur les sources et troncs d'arbres (participant, marche MEB1)................................................................................................................. 228 107. Photographie qui montre un événement qui a suscité l'étonnement et l'amusement et qui donc fait partie des éléments qui génère l'arrêt spontané et une attention particulière (interviewée SJLV4). ............................................................................. 228 108. Extrait de cartographie qui situe les éléments singuliers qui apparaissent dans les paysages de ses cheminements quotidiens (interviewée SJLV8)......................... 229 109. Photographie employée pour montrer une portion de paysage (les vignes) beaucoup appréhendée sous l'effet des saisons (interviewée SJLV4). ..................... 232 110. Photographie employée pour montrer les effets de la pluie sur le paysage cheminé qu'elle éprouve quotidiennement par les sensations podotactiles (interviewée B1). ....................................................................................................................................... 232 111. Photographie utilisée pour montrer le panorama observé tous les jours pour se renseigner sur le temps qu'il fait (interviewée B12). ............................................................. 234 112. Cartographie pour montrer les itinéraires réalisés pendant la période estivale (page suivante, à gauche, interviewé B6). ................................................................................. 237 113. Cartographie pour montrer les itinéraires réalisés pendant la période hivernale (page suivante, à droite, interviewé B6). .................................................................................... 237 114. Photographie réalisée pour montrer un hôtel à insectes qui a été découvert près de l'école communale alors que nous marchions en direction de la place de Bidart.

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Cet objet a été le moment d'un arrêt du groupe et de discussions (participant, marche MEB2). ........................................................................................................................................... 243 115. Photographie qui montre le paysage comme surprise de la rencontre d’un animal sur le chemin (interviewée SJLV4). ............................................................................... 243 116. Photographie réalisée pour noter un élément remarquable observé lors d'un cheminement quotidien qui attire la curiosité. Il est également remarquable par l'originalité de l'œuvre qu'il est (interviewé B7)...................................................................... 243 117. Photographie réalisée alors que nous réalisions que nous étions sur une portion du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle ce qui a suscité étonnement et curiosité (participant, marche MEB1). ........................................................................................... 243 118. Photographie montrant l’émerveillant sur l’espace côtier et le sentiment libérateur qu’il produit (Clara Chavanon, marche MEB2). ................................................ 246 119. Extrait de cartographie montrant le nom des maisons et des propriétaires de vignes (interviewé SJLV3)................................................................................................................... 251 120. Extrait de cartographie le nom des personnes qui lui sont familières sur un parcours qu'elle effectuait en temps de confinement (interviewée B10)................... 251 121. Photographie montrant

les personnes

qu'elle rencontre

lors de ses

cheminements quotidiens (interviewée B1). .............................................................................. 254 122. Extrait de cartographie qui montre les lieux où une personne fait fréquemment les mêmes rencontres : « homme marchant seul » et « homme avec son chien » (interviewée SJLV4). ............................................................................................................................. 257 123. Extrait de cartographie qui dévoile les lieux de sociabilités paysagés sur un itinéraire réalisé régulièrement à pied (interviewé B3). ..................................................... 257 125. Photographie révélant l'intérêt pour le végétal et la recherche de contact physique et sensoriel avec ce dernier (participant, arrêt B’, marche MEB1)............. 261 124. Extrait des reportages regroupant les végétaux qui ont été évoqués comme éléments du paysage (à gauche, interviewées B1, B5, SJLV2, SJLV4). ........................ 261 126. Photographie montrant l'intérêt des participants à l'acacia (photographie personnelle, arrêt B’, marche MEB1). ............................................................................................... 261 127. Extrait de cartographie situant les animaux comme éléments paysagers du parcours à pied (interviewée SJLV10). ........................................................................................ 265

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128. Photographie extraite du reportage réalisé par l'interviewée SJLV4 qui montre la diversité des animaux rencontrés sur le parcours réalisé à pied. ............................ 267 129. Photographie extraite du reportage réalisé par l'interviewée SJLV4 qui montre la diversité des animaux rencontrés sur le parcours réalisé à pied. ............................ 267 130. Extrait de cartographie traduisant les éléments d'intérêt comme les « chevaux » ou « champignons » générant une animation et une présence humaine (interviewé B11). ........................................................................................................................................270 131. Photographie montrant des éléments du paysage désagréables par leur caractère « sale » et « mal entretenu » (interviewée B7)................................................... 274 132. Photographie qui révèle une prairie où les marguerites ont été épargnées de la tonte. La vue de cette prairie a généré de grandes émotions d’étonnement et d’extase (participant, marche MEB2). ........................................................................................... 277 133. Extrait d’un reportage photographique qui révèle la prédominance du végétal dans la volonté de la perception des paysages (participant, marche MEB1). ........ 280 134. Post-its qui montrent l'émotion procurée par le fait de se situer dans un écosystème global entre végétal, animal et êtres humains (participants, marche MEB1). ............................................................................................................................................................... 281 135. Extrait d’un reportage photographique qui montre l'intérêt fort qu'a suscité un petit aménagement d'hôtel à insectes et d'aromates rencontré sur le parcours (participant, marche MEB1)................................................................................................................. 283 136. Photographie qui montre les moments d'échanges qui ont eu lieu lors de la marche exploratoire MEB2 (Clara Chavanon, marche MEB2). ......................................... 287 137. Série de photographie montrant certains lieux d'arrêts prévus ou imprévus réalisés lors des marches MEB1 et MEB2 (personnelle et participants, marche MEB1 et MEB2). ........................................................................................................................................................ 291 138. Photographie pour décrire les activités ayant lieu au pic de l'Arradoy sur l’espace aménagé pour le pique-nique orienté par un panorama sur le pays de Garazi (interviewée SJLV5)............................................................................................................... 296 139. Photographie qui paysage les moments d'interactions forts bien que brefs ayant lieu quotidiennement sur ce banc, situé sur le trajet de l'école et orienté vers la vue de la plaine de l'Uhabia à Bidart. L’extrait de cartographie en dessous montre l’association de la vue (Rhune, océan) à cet espace (interviewée B12)......................296

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140. Photographie révélant la configuration spatiale et paysagère du lieu qui stimule l'imagination et l'appropriation physique et mentale du paysage (participant, arrêt B’, marche MEB1). ............................................................................................. 298 141. Extrait de cartographie qui situe les diverses activités : "apéro", "pique-nique" ou "pétanque" qui ont lieu (ou ont eu lieu en bleu) au niveau de l'espace côtier avec des amis (interviewée B1).................................................................................................................... 299 142. Photographie révélant un des espaces où elle aime pique-niquer avec sa famille ou ses amis. Cet espace est marqué par l'étendue d'espace enherbé et le caractère renfermé et à la fois ouvert par le panorama (interviewée B1). .....................................299 143. Extrait de cartographie qui montre les lieux d'arrêt ou de rencontres possibles lors d'un cheminement. Les "sunset" ou "meilleur spot" localisent les lieux d'arrêts où l'appréciation du coucher de soleil est la plus forte (interviewé B11).....................301 144. Post-its montrant les sensations d'ouverture et d'enclos propices à l'arrêt (même en bord de route) regard un panorama paysager (participants, arrêt B, marche MEB2). .......................................................................................................................................... 303 145. Ce point de vue s’apparente à tous ceux évoqués en situation de colline ou montagne qui permet au marcheur de prendre de la hauteur sur son territoire, de l’observer et de s’informer sur l’évolution de son territoire (page suivante, à gauche, interviewée SJLV5). .............................................................................................................................. 305 146. Ce point de vue s’apparente à tous ceux évoqués en situation de falaise ou de crête qui permet à la fois de contempler le la situation de Bidart vis-à-vis de son territoire et d’observer le spectacle du temps climatique (page suivante, à droite, interviewée B7). ....................................................................................................................................... 305 147. Série de photographie collectées à l'occasion des reportages photographies et des marches sur les communes de Bidart (à gauche, de haut en bas, interviewée B7, MEB2, interviewée B12) et à Saint-Jean-le-Vieux (à droite, de haut en bas, interviewée B2, interviewée B4, MESJLV1). Cette série révèle le rapport au territoire par le panorama paysager à l’occasion de points d’arrêts................................................310 148. Photographie illustrant les conflits d'usages sur certains chemins entre piétons, chasseurs et utilisateurs de quads et motos (interviewée B7). ....................................... 313 149. Photographie qui montre le regard attentif porté aux paysages quotidiens situés sur des terrains privés comme les prairies et forêts (participant, marche MESJLV1). ...................................................................................................................................................... 313

383


150. Photographie illustrant la découverte d’un lieu (participant, arrêt B’, marche MEB1). ............................................................................................................................................................... 321 151. Photographie de la plaque ornementale de la "maison préférée" pour laquelle nous avons détourné notre itinéraire. (participant, arrêt B », marche MEB1)........... 321 152. Post-it qui révèle le sentiment de déception associé à l'arrêt C expérimenté lors de la marche MEB2 (participant, arrêt C, marche MEB1). ................................................... 322 153. Post-its évoquant des souvenirs d'un quotidien passé vis à vis du point de vue et du paysage observé (participants,, arrêt C, marche MEB2). ...................................... 327 154. Extrait de cartographie qui révèle le nom des quartiers de la commune (interviewée SJLV2). .............................................................................................................................. 331 155. Extrait de cartographie qui localise la toponymie de certains lieux (interviewé SJLV6). ........................................................................................................................................................... 331 156. Cette photographie a été prise pendant le récit des histoires de pics des Pyrénées racontés par un ancien habitant de Saint-Jean-le-Vieux (participant, arrêt C, marche MESJLV1). ................................................................................................................. 335 157. Extrait de cartographie qui révèle l'attention aux paysages multisensoriels par la « transmission maternelle » (interviewé B3). ....................................................................... 337 158. Extrait de cartographie qui montre l'attachement à un lieu paysagé, le « Moulin de Bassilour », ancien point d'arrivé, aujourd'hui lieu de départ des cheminements (interviewé B5)......................................................................................................................................... 340 159. Extrait de cartographie qui révèle des cheminements actuels et passés gravitant autour de son ancien lieu d'habitation (croix bleue) (interviewée SJLV1). .......................................................................................................................................................................... 340 160. Cartographie qui révèle les parcours qu’une gérante de gite partage à ses hôtes (le long de la voie verte vers le littoral) et les parcours qu'elle effectue elle et qui ne sont pas partagés (vers le nord de la commune et à l'est en direction d’Arbonne) (interviewée B8). ........................................................................................................... 344

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ANNEXES Annexe 1 - Liens références des tracés testés grâce à l'application Viewranger. 387 Annexe 2 - Plan de Bidart utilisé lors de la cartographie. (source : Géoportail) .... 387 Annexe 3 - Plan de Saint-Jean-le-Vieux utilisé lors de la cartographie. .................... 387 Annexe 4 - Livret de la marche exploratoire 1 à Bidart (MEB1)........................................ 387 Annexe 5 - Livret de la marche exploratoire 2 à Bidart (MEB2)...................................... 387 Annexe 6 – Livret de la marche exploratoire 1 à Saint-Jean-le-Vieux (MESJLV1) 387 Annexe 7 - Livret de la marche exploratoire 2 à Saint-Jean-le-Vieux (MESJLV2) ........................................................................................................................................................................... 387

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Annexe 1 - Liens références des tracés testés grâce à l'application Viewranger.

387


BIDART http://my.viewranger.com/track/details/MTg5MDM3ODU= http://my.viewranger.com/track/details/MTg5MDQyNTc= http://my.viewranger.com/track/details/MTg5MDYzNDc=

SAINT-JEAN-LE-VIEUX http://my.viewranger.com/track/details/MTg5MDM3ODU= http://my.viewranger.com/track/details/MTk2NDU4NjA= http://my.viewranger.com/track/details/MTk2NDcxNTg= htt //

388

i

/t

k/d t il /MTk2OTk ND


Annexe 2 - Plan de Bidart utilisé lors de la cartographie. (source : Géoportail)

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390


Annexe 3 - Plan de Saint-Jean-le-Vieux utilisé lors de la cartographie. (source : Géoportail)

391


392


Annexe 4 - Livret de la marche exploratoire 1 à Bidart (MEB1)

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394


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Annexe 5 - Livret de la marche exploratoire 2 à Bidart (MEB2)

397


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Annexe 6 – Livret de la marche exploratoire 1 à Saint-Jean-le-Vieux (MESJLV1)

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Annexe 7 - Livret de la marche exploratoire 2 à Saint-Jean-le-Vieux (MESJLV2)

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Mars – Juillet 2021

Atelier des Jours à Venir Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement des Pyrénées-Atlantiques Conseil de Développement Pays-Basque


Articles inside

BIBLIOGRAPHIE

13min
pages 363-372

Les apports de la notion de cheminement aux enjeux de paysages quotidiens et patrimoine paysage sensible

5min
pages 358-362

Principales hypothèses et résultats

11min
pages 352-357

Conclusion intermédiaire

1min
pages 349-350

CONCLUSION GÉNÉRALE

1min
page 351

Le cheminement une pratique sociale et sensible du paysage

12min
pages 342-348

Le cheminement, le temps du témoignage du paysage

10min
pages 328-333

04. LE CHEMINEMENT, UNE PRATIQUE DE TRANSMISSION DU PAYSAGE

1min
page 317

Une pratique qui génère des conflits d’appropriation du paysage

8min
pages 309-314

Conclusion intermédiaire

2min
pages 315-316

territoire

25min
pages 289-308

Le paysage du règne végétal et animal

11min
pages 258-267

Le vivant : enjeu du patrimoine

21min
pages 268-283

Conclusion intermédiaire

1min
pages 247-248

Une redéfinition de l’exceptionnel comme valeur paysagère

7min
pages 241-246

Entre affect psychique et valeurs identitaires paysagères

17min
pages 203-215

Percevoir le paysage temporel

14min
pages 230-240

De l’expérience multisensorielle du paysage au paysage émotionnel

23min
pages 186-202

Conclusion intermédiaire

1min
pages 183-184

L’expérience du pas devient une motivation au cheminement

4min
pages 180-182

La praticabilité et la fonctionnalité du sol comme valeur paysagère

7min
pages 167-171

Le récit du pas comme narration d’une marche

6min
pages 162-166

Etape 2 : De la sensorialité à l’appropriation et la transmission collective des cheminements et des points de vue paysagers (visites groupées

5min
pages 133-137

La méthodologie d’enquête, un protocole ancré sur un territoire

11min
pages 146-156

Etape 1 : Sensorialité et mémoire des cheminements et points de vue paysagers du quotidien (entretiens individuels semi-directifs

4min
pages 129-132

Seconde partie : Du paysage cheminé au paysage habité, la transmission d’une pratique sensible comme patrimoine

1min
pages 157-160

3. Présentation du protocole d’enquête

2min
page 128

montagnard

34min
pages 85-120

2. Ancrer une démarche méthodologique

6min
pages 122-127

Vers la mise en scène des paysages remarquables

13min
pages 71-82

De la patrimonialisation à l’intérêt général, les enjeux de la demande de paysage

6min
pages 56-58

Le cheminement en héritage et support de mémoire

4min
pages 51-52

Les pratiques touristiques et récréatives, des mécanismes de redéfinition du paysage basque

5min
pages 67-70

Le point de vue comme zone de contact au paysage

4min
pages 48-49

Les cheminements comme empreinte du paysage

4min
pages 43-44

Sensorialité et patrimoine : une conciliation discutable

5min
pages 59-62

aux approches sensorielles

10min
pages 36-40

Les cheminements, une expérience phénoménologique du paysage

6min
pages 45-47

Des paysages quotidiens

2min
page 35

La mise en crise du paysage artialisé

2min
page 31

Une conception relationnelle du paysage

2min
page 30

Problématique

1min
page 21

Annonce du plan

2min
pages 23-26

Avant-propos : posture de chercheure

7min
pages 11-14

Hypothèses de travail

1min
page 22

Quelle distinction entre paysages ordinaires et paysages remarquables ?

6min
pages 32-34

Remerciements

1min
pages 9-10
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