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Le vivant : enjeu du patrimoine

Le vivant : enjeu du patrimoine

La thématique du vivant occupe donc une place prédominante dans les perceptions du paysage. À la fois témoin de vie et de notre capacité à établir des lieux sociaux, le paysage du vivant traduit des formes d’attachements et soulève des enjeux de paysage comme cadre du quotidien

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Le marqueur culturel, seul paysage perçu ?

Une première réflexion ici consisterait à s’interroger sur la condition nécessaire de marquages humains pour appréhender le paysage. En effet deux témoignages réalisés sur la commune de Bidart révèlent la place importante de la présence humaine dans ce qui est paysagé. Ils sous-tendent que si l’humain ou du moins ses traces (constructions humaines) n’est pas présent, le paysage ne fait pas l’objet d’une attention particulière.

Tout d’abord, un retraité Arbonnais34 (interviewé B5), dans l’évocation d’un cheminement passé pour aller au célèbre moulin de Bidart depuis Guéthary, assimile le « rien » à l’environnement autour du moulin. Cet environnement n’est ni de la forêt, puisqu’elle est évoquée, ni de la côte littorale (au préalablement paysagée). De plus, la personne évoquait des perceptions très tactiles des cheminements réguliers qu’elle effectuait sur la commune. Cependant ces perceptions multisensorielles ne font pas l’objet d’un souvenir particulier et le visuel, par l’absence d’élément, prend le pas.

«Visuel, c’était vraiment de la forêt. Voilà le souvenir queje peux avoir y a maintenant à peu près 50 ans c’était oui voilà. On partait de Guéthary et de suite on était à Bidart. On passait de la côte et on était un peu plus sauvage, plus forêt, c’était ça qui était sympa. Et puis après on arrivait au moulin et yavait pas de restaurant y avait rien. Y avait une vielle décharge qui s’appelait Mutio à l’époque. Une décharge sauvage. C’est des choses que je me souviens comme ça.» Interviewé B5 -Extrait de narration lors de la cartographie

34 Habitant d’Arbonne. La personne interviewée est le président de l’association de randonnée Menditalde à Bidart et se rend régulièrement sur la commune pour se promener.

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Ensuite un jeune Bidartar de 27 ans (interviewé B11) décrira les ambiances des lieux cheminés ou rencontrés par la sociabilité qui s’y produit. Lors d’un itinéraire de course décrit pendant la cartographie, la personne déclare littéralement : « il n’y a pas d’ambiance ». Il ne décrira que les espaces forestiers qui regroupent des champignons et donc où on est susceptible de rencontrer des personnes en pleine quête ou encore les prairies avec des chevaux situées près d’une écurie très animée sur la commune (130). L’absence de remarques ou d’annotations tout le long du parcours reflète le manque d’animation de cette portion de parcours à l’époque où le cheminement y était effectué (et non l’absence d’environnements distingués).

L’« animation humaine » constituerait-elle une valeur paysagère ? En effet la marche exploratoire MEB2 a soulevé la valeur de certains paysages à résider non pas dans leurs qualités physiques mais dans les possibilités qu’il offre pour l’individu à s’établir. Lors de cette marche, nous sommes avons traversé la place de Bidart et le centre-ville en général. Les participants ont décrit le caractère trop minéral de la place. Une des personnes qui ne vit pas à Bidart en a eu un sentiment plutôt désagréable. Cependant une participante Bidartare a rappelé le caractère très animé et festif du lieu lors des diverses animations, de fêtes, chants, marché. La haute fréquentation du lieu et la convivialité qui en ressort lui semble omettre son aspect très minéral.

Le travail manuel, l’artisanat comme valeurs du paysage

Une autre valeur marquée associée aux paysages, marquée par l’enjeu culturel qu’elle porte, est celle du travail manuel exercé.

En effet, les personnes qui vivent dans les zones urbaines, apprécieront la qualité architecturale de certaines etxeet l’entretien apporté à ces maisons et à leur jardin. Nous l’avons vu précédemment, ces éléments sont paysagés à la fois dans leur globalité mais également dans les détails de couleurs, de formes et d’état. Plus généralement, la propreté et l’entretien sont associées à la beauté. L’entretien sera surtout porté sur la question du végétal montrant une forme de désir contrasté –voire contradictoire - entre une quête du sauvage et la volonté d’entretiens que nous verrons dans le paragraphe suivant, Entre quête de paysages sauvageset désirs de paysages entretenus.

Chez les agriculteurs, la valeur du travail tant sur les éléments bâtis que sur le travail des parcelles agricoles, semble prendre le pas sur celui de l’entretien. En effet, notre retraité Donazahartar (interviewé SJLV3) décrira à propos du travail

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130. Extrait de cartographie traduisant les éléments d'intérêt comme les «chevaux » ou «champignons»générant une animation et une présence humaine (interviewé B11).

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manuel des vignes familiales et des vignes d’une autre famille habitante de la commune.

«Mais c'est pour valoriser les endroits qui ne peuvent pas être mécanisables. J'ai connu la vigne et c'était super important au niveau des fermes, à l'époque. Donc chez nous, il y avait cette parcelle en haut. Il y avait toute la moitié du jardin qui était en vigne et il y avait une parcelle là-bas, tout en haut aussi. Ils faisaient du vin, il était bon. Moi j'avais un vieux tonton, il s'occupait de la cave, il était fier comme tout de son vin.»

« Oui enfin, chaque famille, chaque ferme avait des vignes. Même y avait des vignes des gens de Saint-Jean-le-Vieux. Les Mayté là, leurs parents, avaient une petite vigne là. C'était travaillé, entretenu, des systèmes de montagne avec des murs à pierre.» Interviewé SJLV3 – Extraits de narration lors de l’entretien

Finalement à Saint Jean-le-Vieux, ce qui semble plus faire écho que la notion « d’entretien », c’est les valeurs du travail et de l’artisanat local qui ont été discuté lors de la marche exploratoire MESJLV1. Cette réflexion s’est construite à propos d’un entrepôt d’élevage de vache, déprécié par l’ensemble des visiteurs mais qui revêt quelques caractéristiques appréciables par le fait que ce soit une entreprise locale qu’il l’ait construit selon un habitant. De même, la vue d’une bergerie réalisée en bois avec un calepinage singulier a été hautement appréciée par l’ensemble des participants pour son caractère soigné et le travail manuel qu’elle a induit.

Toute forme de marque humaine sur le paysage fait l’objet d’un commentaire souvent même négatif lorsqu’il s’agit de parler d’un impact nuisible et qui incarne trop fortement la distinction naturel/artificiel. Lors de la marche MESJLV1, le berger participant fera remarquer des troncs de bois coupé en forêt sur un ton humoristique : « remarquez le travail des castors ». En réalité ce sont des jeunes qui font du VTT et qui utilisent le bois pour aménager des parcours.

Entre quête de paysages sauvages et désirs de paysages entretenus

En réalité l’appréciation du travail manuel dans le paysage est difficile à cerner. En effet, la perception d’un paysage entretenu semble devoir se concilier avec une part de « sauvage » à préserver. Cette ambiguïté a été ressentie de manière très forte lors des entretiens et des marches exploratoires à Bidart et cette analyse traitera majoritairement d’exemples tirés de ces expériences.

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À Saint-Jean-le-Vieux, il est difficile de percevoir la part de « sauvage/entretien » comme des valeurs paysagères. Tout d’abord les personnes interrogées (en dehors des agriculteurs et d’un pêcheur) n’ont aucunement mentionné l’idée de paysage « sauvage » ou de prairies « entretenues ». À une exception près d’une assistante maternelle (interviewée SJLV9) l’évoquera brièvement. Cette dernière s’avère s’être installée il y a six ans à Saint-Pied-de-Port et est originaire de la région parisienne. Ensuite le pêcheur mentionnera cette état « mal entretenu » de la végétation comme obstacle à son cheminement comme nous l’avons évoqué précédemment dans le paragraphe Le paysage du règne végétal et animal. Les agriculteurs démontreront beaucoup plus une sensibilité aux terres travaillées et entretenues par leurs propriétaires (interviewé SJLV3). De même lors de la MESJLV1, le berger participant évoquera des zones montagneuses « sales » en termes de végétation qui ont été expérimentées par un de ses amis qui marche souvent dans ces territoires.

272 «Le long de ce chemin, on va dire qu'il est plutôt sauvage, juste entretenu. Je pense.» Interviewée SJLV9 – Extrait de narration lors de l’entretien

« GE: (…) À l'époque, il y a eu pas mal de maladies de la vigne. Elles ont disparu les unes après les autres. Mais c'étaient des toutes petites parcelles. C'était entretenu tout autour. Un petit lopin comme ça, c'est une parcelle. J'ai eu une réunion de photos sur Saint-Jean-le-Vieux à l'époque. Il y a quelques années, il y a une photo du village où on voit tout ça. On voit que c'est entretenu. Ce n'est pas la forêt. C'est vert, même des petites parcelles en herbées, des prairies.

ÉM: Et du coup lorsque vous avez arrêté vous avez planté les arbres ?

GE: Non non non, c'est venu naturellement. C'est la broussaille, ça va très vite. Après les arbres, l'acacia.

ÉM: Et du coup vous n'y retournez plus dans ces terres ?

GE: De toute façon, c'est très pentu. Pour de la vigne ce serait bon. Bon on y va prendre du bois. Régulièrement à chaque tempête, vous avez la moitié des arbres qui tombent. Le poids de l'arbre, dès que l'arbre grossit qui est un peu important, il tombe.

ÉM: Vous y allez toujours à pied ?

GE: Oui on y va récupérer ou entretenir un peu. On a toujours entretenu des acacias. On y va, nous, on a des parcelles, qui ont été défrichées y a 40 ans. On y va pour amener les bêtes actuellement. Sinon oui moi tous les jours, je fais la balade à pied parce qu'il faut aller les voir.»

Interviewé SJLV3 – Extrait de narration lors de l’entretien

En réalité la perception des paysages par leur état « entretenus » ou « sauvages » semble relever plutôt d’un fait urbain. En effet durant cette même marche, les participants originaires de la côte urbaine littorale apprécieront à la fois les éléments de paysages entretenus comme les haies plantées d’arbres et les éléments laissés « sauvages » pour la biodiversité. De même, durant cette même marche, un participant venant d’Hendaye émettra un commentaire à la vue d’une parcelle de vigne dont la rectitude des lignes est qualifiée de « trop artificielle » et lui « fait peur ». Il juge que cela « dénote avec le reste qui est plus bordélique, un habitat très éclaté, y a des différences de niveaux, y a des haies, y a pas de haies, y a pas de lignes directrices ».

À Bidart, cet enjeu sera fortement évoqué lors des entretiens, en particulier par les femmes. D’ailleurs une retraitée (interviewée B7) évoquera une dépréciation de certains éléments du paysage qui font « sales » ou du moins « pas propres » (131). Le paysage selon elle est un enjeu d’entretien (mais également d’équilibre avec une part « sauvage à conserver »).

«Vous savez, le tri sélectif des poubelles. Alors les gens, laissent les cartons là parce que ça rentre pas. Ils amènent pas à la déchetterie. C’est la faute des gens, c’est pas la faute de la mairie. Mais il me semble que si on faisait quelque chose de fermer, d’un peu plus propre. Alors la barrière de la SNCF tombe. Il y a des vieux. Comment ça s’appelle? Des vieux poteaux téléphoniques ou électriques qui traînent là. Alors quand ils coupent, ils coupent ils peuvent parce qu’il y a plein de choses qui gênent. C’est catastrophique. Je vous ai fait des photos parce que vous voyez, on parle paysage tout ce que vous voulez, mais je trouve qu’il y a des choses déjà à essayer d’arranger, de faire joli, joli, au moins un peu plus propre. J’ai vu dans des endroits, c’est fermé. Vous rentrez làdedans. Il y a les poubelles et puis s’ils laissent pas d’espace entre, les gens vont pas stocker les cageots, les trucs. Je ne sais pas.» Interviewée B7 - Extraits de narration lors de l’entretien

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131. Photographie montrant des éléments du paysage désagréables par leur caractère « sale» et «mal entretenu» (interviewée B7).

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Le manque d’entretien constitue aussi un obstacle à l’appréciation d’une expérience sensorielle. En effet une Bidartare évoque une dépréciation des accotements qui ne sont pas tondus, entretenu. Selon elle cela empêche la possibilité de pouvoir s’approprier le lieu mais cela appelle à l’incivilité. Lors de la marche exploratoire MEB2, le point d’arrêt B est l’occasion d’évoquer un regret quant au manque d’entretien des arbres qui obstruent la vue. Durant cette marche, les entretiens paysagers rencontrés sur les accotements et bords de route sont appréciés par le soin et l’attention portée au végétal (interviewée B1). Il y a une sorte de lien établi entre l’attention du soin et la personnalité de la personne qui l’a réalisé. Une personne qui épargne des fleurs pendant la tonte, c’est une personne qui aime les fleurs. Une personne qui agrémente son jardin, c’est une personne qui prend soin de sa maison.

«LF : J’ai plusieurs choses agréables. Ça c’est la chapelle. Moi personnellement j’aime bien quand la mairie coupe la pelouse. Quelque fois ce n’est pas trop fait. Dans ma tête je pense que pour les endroits comme ça, c’est mieux que la pelouse est coupée. Par exemple aussi, ici à Uhabia, la pelouse est mal coupée, et j’imagine que le week-end, quand il fait beau, plus de gens iraient s’asseoir. C’est un énorme espace et c’est bien pour s’asseoir. Les photos sont faites le matin mais si j’y vais l’après-midi y a des gens qui s’y assoient.

ÉM : Pourquoi ? parce que c’est mieux vu ?

LF : Car je pense que les gens respectent mieux. Comme ça c’est plus propre. Y a moins de gaspillages, de déchets. C’est mieux pour que les gens s’assoient.

ÉM : À la fois à la chapelle et ici ? (Mentionnant l’espace vert près de la plage de l’Uhabia)

LF: Oui mais j’ai pris cette photo pour montrer qu’ils le font. Ça c’est vers le bassin de rétention. Y avait trois monsieurs qui coupaient bien le côté. Donc ça c’est très agréable. Je trouve que ça fait plus propre. Les gens utilisent plus pour les enfants, marcher. C’est bien. J’ai pris une autre aussi avec le monsieur qui coupe. Car parfois c’est sauvage. Je trouve pour le chemin en ville c’est mieux si ce n’est pas sauvage. Dans les terres, par exemple l’inverse n’est pas grave. Maintenant je vais montrer une nouvelle chose. Ça c’est derrière le lotissement Gracien, près du train. Tu peux voir ils ont essayé de faire une bonne, je ne sais pas, espace vert. Mais ça c’est

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toute la mauvaise herbe. J’ai l’impression qu’ils ont dépensé l’argent mais en fait ils n’ont pas fait attention de faire attention à continuer ça. »

Interviewée B1 – Extrait de narration lors de l’entretien

Cependant le cheminement est apprécié par sa capacité à créer des moments de coupure de la réalité urbaine en accédant à des ambiances paysagères plus « sauvage(s) » où le végétal prédomine et la présence de l’impact humain semble être oublié. Lors de la marche exploratoire MEB2, la rue Capera fait débat entre les marches aménagées vécues comme une dénaturation du site et l’appréciation de l’enlèvement du bitume au début du sentier comme une marque de « la nature (qui) reprend ses droits ». Le terme de « jungle » est même employé pour en qualifier l’ambiance. Dans d’autres lieux rencontrés lorsque des désirs de plantations sont émis des rejets sont exprimés par d’autres personnes en quête de « sauvage » de « naturel ».

Le sauvage au-delà d’être une valeur paysagère devient un enjeu du paysage. En effet cette part de « sauvage » participe selon une participante de la marche MEB2 à une ambiance de village où « tu ne peux pas avoir tout rectiligne, si c'est trop rectiligne ça fait trop aménagé, ça fait trop urbain ». Son compère de randonnée ajoute qu'il ne faut pas que ces lieux soient trop structurés, types « jardins à la française ». Un point d’arrêt évoqué (le point B) comme espace végétal se détache aussi des jardins qui entourent le lieu et qui sont très travaillés et aménagés, ce qui lui confère une qualité très appréciable par l'ensemble des participants. Ce lieu serait parfait « pour des essences locales par exemples ».

La conciliation « sauvage /entretenus » résiderait dans une sorte d’équilibre qui permet liberté et variété. Cette idée de variation et de respect du végétal à son état le plus « naturel » a pour but de favoriser la biodiversité (interviewée B7). En effet selon une participante, « il faut un minimum », des endroits sont décrits comme pouvant être « plus soignés ». Cet équilibre serait en quelque sorte incarné par l’image d’une prairie, rencontrée sur notre parcours, où l’herbe venait d’être fraichement tondue mais dont les marguerites avaient été contournées pour laisser comme des petits îlots de biodiversité (132).

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132. Photographie qui révèleune prairie où les marguerites ont été épargnées de la tonte. La vue de cette prairie a généré de grandes émotions d’étonnement et d’extase (participant, marche MEB2).

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«Oui bien sûr. Il est joli, ce chêne. Il y a deux grosses branches. Il faut le conserver. Alors là, par contre, j’avais pensé qu’il faut laisser quand même la nature telle qu’elle est, même si on peut aménager un peu. Je trouve qu’il ne faut pas trop. Éviter des choses qui peuvent, où les gens peuvent jeter des choses comme ça, mais je pense qu’il faut laisser la nature. Voyez ça (montre les bordures d’autoroute, des buissons coupés, en face de son jardin), il faut pour les petits oiseaux. Ils ont coupé là parce qu’ils nous ont dit: «ça amène la vermine». Et puis c’est plus facile derrière. Mais vous entendez, j’ai plus de petits oiseaux. J’avais plein de petits oiseaux, alors je leur mets à manger et ils reviennent de temps en temps. J’ai le merle qui vient, mais il faut qu’ils viennent là-bas.» Interviewée B7- Extrait de narration lors de l’entretien

Finalement à Saint Jean-le-Vieux, ce qui semble plus faire écho que la notion « d’entretien », ce sont les valeurs du travail et de l’artisanat local qui ont été discutées lors de la marche exploratoire MESJLV1. Cette réflexion s’est construite à propos d’un entrepôt d’élevage de vache, déprécié par l’ensemble des participants mais qui revêt quelques caractéristiques appréciables par le fait que ce soit une entreprise locale qu’il l’ait construit selon un habitant. De même, la vue d’une bergerie réalisée en bois avec un calepinage singulier a été hautement appréciée par l’ensemble des participants pour son caractère soigné et le travail manuel qu’elle a induit.

Toute forme de marque humaine sur le paysage fait l’objet d’un commentaire souvent même négatif lorsqu’il s’agit de parler d’un impact nuisible et qui incarne trop fortement la distinction naturel/artificiel. Lors de la marche MESJLV1, le berger participant fera remarquer des troncs de bois coupés en forêt sur un ton humoristique : « remarquez le travail des castors ». En réalité ce sont des jeunes qui font du VTT et qui utilisent le bois pour aménager des parcours.

Le vivant, une valeur paysagère ?

Finalement, cette valeur du « vivant » attribuée aux paysages tant par la perception de la biodiversité que de l’entretien ou du travail manuel, traduit la capacité du cheminement à resituer l’individu dans son milieu et à lui faire prendre conscience de son appartenance à une forme d’écosystème possible et désiré.

En effet, le paysage végétal et animal est perçu dans ses enjeux écologiques. Lors de la marche MEB1, l’occasion de la rencontre spontanée en cheminant, avec des grands arbres : palissade de bambous haute, forêt, chêne majestueux (branchage,

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canopée) a montré aussi l’intérêt de la marche comme occasion de voir les puissances et forces des écosystèmes naturels. D’ailleurs la personne qui a réalisé des photographies se concentrait beaucoup sur les grands arbres rencontrés (133).

Le vivant comme valeur paysagère porte l’idée d’un enjeu écologique du paysage. Le végétal dans sa présence et son aspect le plus « sauvage » est donc vécu comme un réel moteur de biodiversité. Sa présence systématique sur les bords de trottoirs, les accotements, les espaces minéralisés et sa diversité dans les espaces enherbés ouverts est vécu à la fois comme un élément à valoriser et à développer. De nombreuses allusions ont été faites les variations de végétaux, de l’implantation des essences locales et de les laisser évoluer. Lors de la marche MEB2, le végétal est donc cité à de nombreuses reprises par ses vertus d’habitats à la fois pour la faune (« les abeilles », « les oiseaux », « les fourmis », « les bêtes » sont citées) et l’humain. Lors d’un entretien avec un jeune éleveur Donazahartar (interviewé SJLV11), la perception d’une diversité végétale contribue à apprécier un paysage. De plus cette personne est également sensible à l’entretien du sol et des haies dans le rôle écologique qu’ils jouent.

«C'est des prairies. Alors sur 12 hectares de SAU on a des prairies naturelles, c'est à dire des prairies qui ont plus de six ans d'ancienneté. Voilà, celle devant la maison elle doit avoir 17 ans. Après 6 hectares ce sont des prairies temporaires, qu'on a refait y a moins de 5 ans. L'aspect, les prairies temporaires sont plus jolies parce qu'elles sont homogènes. Elles sont bien vertes parce qu'on les a ressemées y a deux ans. Après moi, j'adore les prairies naturelles parce que justement, c'est moins homogène. Il y a une grande diversité florale. Il y a du trèfle blanc, trèfle isolé, de la raygrass hybride, de la fétuque des prés, du lauthier et pleins d'autres.»

«Ouais ouais ouais, j'ai un peu de tout. J'ai des clôtures, j'ai des haies. Je pense que notre génération en est un peu plus sensible que celle d'avant, tout ce qui est environnement et tout. Donc y a une partie que je préserve, c'est vachement bien pour la biodiversité, pour les insectes et pour les retenues d'eau. Parce qu'avant ils faisaient les haies dans des espèces de fossés comme ça. Ça fait des coupe-vent car il y a beaucoup de vent dans cette région en automne.» Interviewé SJLV1 – Extrait de narration lors de l’entretien

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133. Extrait d’ unreportage photographique qui révèle la prédominance du végétal dans la volonté de la perception des paysages(participant, marche MEB1).

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134. Post-its qui montrentl'émotion procurée par le fait de se situer dans un écosystème global entre végétal, animal et êtres humains(participants, marche MEB1).

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L’aspiration à plus de végétal, plus de richesse et moins de transformation humaine sur le paysage démontre une reconnaissance de l’intérêt des interactions interespèces. La volonté de rencontre avec une faune aussi identifie les mécanismes écosystémiques des milieux rencontrés. Lors de la marche MEB1, l'environnement perçu dans une forêt est décrit par le référentiel de l'oiseau selon un participant. Ce dernier est qualifié de « très boisé », « un paradis des oiseaux », « ressource à la vie », « si c'est un paradis pour les oiseaux, c'est un paradis pour la vie » révèle cet intérêt et connaissance des écosystèmes, peut-être aussi permis par la marche (134). Ainsi le sentiment d’attachement et d’action au paysage passe par le rêve et le fait de faire partie d’une sorte d’écosystème complet entre humain, animal et végétal, où le dualisme nature/culture s’efface pour faire place à un besoin de contact avec son milieu de vie. Ce besoin définit la volonté d’un état symbiotique entre les différents êtres vivants qu’ils le composent. D’ailleurs le côté « naturel » des lieux ou le fait d’être « dans la nature » ou en contact avec, est aussi assimilé aux espaces résidentiels traversés mais décrit avec une ambiance de campagne, d’ouverture, où l’impact humain est perçu comme amoindri.

Ainsi toute forme d’aménagement sera appréciée dans le paysage pour leur ambition de favoriser la biodiversité animale et végétale. Par exemple, lors la marche MEB2, l’observation d’un hôtel à insectes et à aromates construit sur un trottoir avec un petit aménagement fait l’objet d’une « surprise » appréciée de la balade qui a suscité émerveillement et grand intérêt (135). Aussi lors de cette même marche, l’aménagement d’une clôture sur les sentiers de terres battus au cœur des falaises a considérablement réduit l’espace où les marcheurs pouvaient se promener. Cependant les participants ne l’ont pas décrit comme une contrainte mais une valeur ajoutée à l’espace conciliant sécurité et intérêt écologique.

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135. Extrait d’ un reportage photographique qui montre l'intérêt fort qu'a suscité un petit aménagement d'hôtel à insectes et d'aromates rencontré sur le parcours (participant, marche MEB1).

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