episodes num 3

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Certains soirs de lune en Océanie

C’est l’heure sacrée du mystère et des mélodies, au crépuscule des jours de fêtes, quand le soleil, sous le ciel des tropiques, se meurt sur les plages et les dunes d’un lointain archipel – asile sûr, au cœur de l’Océan ! Bracelets et coquillages, avec les perles des îles, se mêlent aux chapelets de l’Océanie en fleurs, et dans le soir partiel enrichi par la brise au trésor magicien des senteurs inconnues, les danseuses de la Nuit, au charme de la musique et des chœurs, se lèvent, et se balancent – en dentelles, dans le flou discret du voile de certains soirs de lune ! Raymond Lacroix


édito Les mots n’ont pour bercer Qu’un charme doux et vague Plus cher d’être changeant imprécis et sonore Et muet et multiple Et immobile Et vain Jean Mariotti

épisodes Rédacteur en chef :

Nicole Perrier Directeur de publication :

Thierry Skrzydlinski Ont collaboré à ce numéro :

Claudine Jacques et Anne Bihan, Bernard Billot, Jean-Marie Creugnet Pierre Humbert, Roland Rossero, Sylviane Soulard, Gilles Subileau, Bernard Suprin Crédit photo et photo de couverture  :

DR Conception & réalisation :

Écrire en Océanie Impression :

Revue numérique Écrire en Océanie

BP 133 - 98812 Boulouparis Tél. 35 39 40 www.ecrire-en-oceanie.nc Dépôt légal :

Juin 2011 ISBN :

U

ne fois n’est pas coutume, Épisodes ouvre grand ses pages

à la poésie. Pas n’importe laquelle : celle d’ici, aujourd’hui. Ceux qui, jadis, griffonnaient furtivement quelques vers maladroits ou sublimes sur de petits bouts de papier à jamais relégués au fond d’un tiroir, ne se cachent plus. Ils écrivent au grand jour sur les traces de leurs glorieux aînés : Francis Carco, Jean Mariotti, Raymond Lacroix, Paule Paladini. Les Éditions L’Herbier de Feu, dirigées par Frédéric Ohlen, se sont donné pour mission de faire connaître ces nouveaux talents. Certains, encore timides, font leurs premiers pas dans Épisodes et nous offrent, comme Francine Greiveldinger, la joie d’une rencontre inattendue. Quelques facétieux abordent la poésie comme un jeu et taillent à grands coups de stylo d’étonnantes sculptures sur prose. Côté slam, Paul Wamo et Laurent Ottogalli font figure d’ancêtres : la jeune génération est en marche, comme en témoignent les lauréats du concours de l’Alliance Champlain. Invité d’Épisodes, le Club des Amis de la Poésie a choisi d’y publier les résultats du dernier concours Orphée ainsi qu’un florilège de textes écrits par les membres de l’association. Tout ce petit monde fréquente assidûment la Maison Célières dont l’histoire nous est contée, chacun à sa manière, par Roland Rossero et Jean-Marie Creugnet. En aparté, Gilles Subileau nous parle de son art, Sylviane Soulard analyse un roman de Mariotti, Pierre Humbert peaufine sa chronique. À découvrir : un grand poète néo-zélandais récemment disparu, Alistair Campbell. Car la poésie ne s'encombre pas de frontières, elle voyage, tisse des liens jusqu'aux confins de la planète.

978–2–918460–02–2 Nicole Perrier

épisodes

Toute reproduction est subordonnée à l’autorisation expresse de la direction d’Épisodes NouvelleCalédonie

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sommai

épisodes

n°3

poètes & Calédonie n Calédonie, Tribu, Brousse, L'Île, Nouméa

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poète d’ailleurs n Alistair Te Ariki Campbell

9

écrivain d'hier n Jean Mariotti

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rencontre n Francine Greiveldinger

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portrait n Jacqueline Exbroyat

20

n Michel Chevrier

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éditeur engagé n L'Herbier de Feu

34

pays n La Maison, celle d'hier, de Roland Rossero

36

n Le Petit Bois des soupirs, de Jean-Marie Creugnet 38

sculpture sur prose n Sur une idée de Jacques Rancourt

42

nouvelles n Ariirau

slam

50 54

n Boukman n Laurent Ottogalli n Concours de slam

épisodes

art

4

n Gilles Subileau

62

n Bernard Suprin

65


sommaire

concours Écrire les Gens d'ici n Résultats

66

jeunesse n L'oiseau

67

la chronique de Pierre Humbert n Un poète, mais à tout prendre, qu'est-ce ?

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bienvenue à... n Club de poésie

73

n Concours Orphée

82

poésie n Michel Beaudeau n Marc Bouan n Luc Camoui n Michel Chevrier n Tristan Derycke n Jacqueline Exbroyat n Nicolas Kurtovitch n Catherine C. Laurent

87

n Frédéric Ohlen n Arlette Peirano n Nicole Perrier n Roland Rossero n Nicole Perrier

& Tristan Derycke « À Cloche -pied » Poèmes en vis-à-vis

épisodes

cahier littéraire

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Calédonie Enfin ce fut Calédonie Son beau ciel bleu, ses niaoulis Et sa pittoresque harmonie Chacun nicha dans ses replis… (Antoine Soury-Lavergne in Témoignage)

Ce pays ce n’est pas ces verroteries sages l’azur blet qui bat le crin blanc des rivages ces collines stériles où les niaoulis flambent (Frédéric Ohlen in La Peau qui marche)

Grande terre Terre sauvage Rouge Et de sable noir Enfouissant mes doigts Comme on le ferait dans de l’eau Je puise mes forces et mon adresse Dans ton ventre (Nicolas Kurtovitch in Souffles de la nuit)

[…] terre risible pour ceux qui n’ont pas d’os ici terre aux lèvres trop pleines aux sexes débordants terre biche aux yeux de feu qui roulent sous la dent terre femme pour l’or chaud des paumes sans patrie terre cave où la lumière vient toujours du dedans (Frédéric Ohlen in La Peau qui marche)

Elle s’allonge sous des flots de brousse et de forêt Oubliant ses palétuviers tombés par-dessus bord (Roger Durand in la Chanson du Caillou)

Terre noire des vallées Terre rouge des montagnes, Terre verte des mines, Terre sable des plages, Terre cendre de mon passé Terre de mon pays. (Wanir Wélépane in Aux Vents des îles)

Hier, les vieux sages Nous ont interdit de montrer du doigt Le Caillou blanc de la montagne sacrée épisodes

(Luc Camoui in Phaanemi, le Ressouvenir)

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poètes & Calédonie

Tribu […] à l’aube l’odeur du feu dévorant les feuilles mortes de cocotier sous les doigts ridés (Déwé Gorode in Sous les cendres des conques)

Au pied des falaises tu somnoles Oui, ma tribu, tu dors encore En ce petit matin frileux Qui rechigne à dévoiler son jour (Waixen Wayewol in Phaanemi, le Ressouvenir)

Les villages restaient Paille grise aux tempes de la Chaîne (Roger Durand in La chanson du Caillou)

La tribu nonchalante Rit dans tes bananiers (Antoine Soury-Lavergne in Témoignage)

Brousse Ma Calédonie c’est un cheval à l’amble dans la chaîne caresse des niaoulis sur l’encolure safran sous les sabots (Nicole Perrier in Mauvaise Herbe)

Délaissant les forêts et les voûtes secrètes De leurs jours suspendus aux « nids » ensorceleurs Les roussettes du soir dans les rondes, discrètes, Se glissent vers le val de l’érythrine en fleurs. épisodes

(Raymond Lacroix in Le Chemin des instants)

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L’ île

— asile sûr, au cœur de l’Océan ! (Raymond Lacroix, Certains soirs de lune en Océanie)

Le chant de l’alizé lisse la vague chaude (Yves Mamelin in Émaux des mers du Sud)

À l’avant mon regard porte vers l’île Mais le vent n’apporte aucune odeur de terre L’écueil me ramène à la réalité (Nicolas Kurtovitch in Vision d’insulaire)

Une île est un trésor Qui toujours se refuse (Frédéric Ohlen in La Peau qui marche)

Nouméa Quand l’aube teinte en bleu des morceaux de ciel tendre… (Jacques Touya, Poème inédit)

Les fumées du Nickel Étalées sur la ville en panaches rosés… La mer, à contre-sens, Fortement agitée, s’énerve dans le port… (Marguerite Bastogi, in Soleils du Pacifique)

Chaleurs accablantes fondant le parfum des lauriers roses près des hauts murs sous le grand manguier qui perd ses jeunes fruits fades (Déwé Gorode in Sous les cendres des conques)

Le port est écrasé sous la chaleur torride ; Les navires figés attendent en gémissant, Tout au bout de leur laisse, le caprice des gens. Les rumeurs de la ville meurent sur les quais vides. (Gérard Devèze in Par les sentiers oubliés)

épisodes

Le soleil déclinant vers le fond de l’abysse Du bord de l’horizon, bien avant qu’il ne glisse Jette sur le Rocher son ultime rayon D’émeraude écumante en un léger frisson.

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(Yves Mamelin in Émaux des mers du Sud)


poète d’ailleurs

Alistair Te Ariki Campbell Le poète à la recherche de lui-même par Nicole Perrier

Alistair Te Ariki Campbell naît en 1925 à Rarotonga. Son père, Jock Campbell, originaire de Dunedin, s’établit aux îles Cook après la guerre de 1914-1918 pour oublier les combats de Gallipoli et l’horreur des tranchées de la Somme. Commerçant prospère, il épouse une jeune Polynésienne, Teu, qui lui donne quatre enfants. Après quelques années d’un bonheur sans nuage, la belle histoire tourne à la tragédie : à l’âge de 28 ans, Teu meurt, probablement de tuberculose, à l’hôpital de Papeete. Inconsolable, Jock Campbell sombre alors dans l’alcoolisme et la débauche. Les enfants se retrouvent séparés. Les deux aînés, Margaret et Stuart, sont envoyés chez des parents en Nouvelle-Zélande. Alistair et son jeune frère Bill suivent leur père sur l’île d’Atiu où ils sont témoins de sa descente aux enfers. Moins d’un an plus tard, Jock Campbell meurt dans le même hôpital que son épouse adorée.

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… I sit in the dayroom Thinking of that lovely man, my father Who died young of grief. Extrait de Spring in Porirua Assis dans la salle commune Je pense à cet homme charmant, mon père

En 1933, les deux cadets sont à leur tour exilés en Nouvelle-Zélande. Pensionnaire dans un orphelinat de Dunedin, Alistair doit apprendre une nouvelle langue, subir la pauvreté des années qui suivent la Dépression, faire face à l’hostilité et à la discrimination d’un environnement presque exclusivement d’origine européenne. Son besoin de reconnaissance se manifeste dans un travail acharné. Il devient vite un élève brillant et respecté. Il écrit ses premiers poèmes à Cromwell Gorge, où se trouve la ferme des Robertson qui l’accueillent tous les ans pour les vacances d’été. Il s’y sent chez lui et peut enfin exister à nouveau en tant qu’individu. Il entretient un lien quasi charnel avec la nature environnante dans laquelle il projette son âme torturée. The sun is in its glory. Pitiless And supreme, its furious visage Spins in the limitless blue And turns into powdery dust The rock floor and shining cliffs Above an unquiet stream. Extrait de The Cromwell Gorge épisodes

Alistair ressent la mort de ses parents comme une sorte de trahison à laquelle, pendant des années, il oppose un oubli total, oblitérant complètement de sa mémoire son enfance dans les îles. De nombreuses années passent avant qu’il ne laisse les souvenirs remonter à la surface :

Qui, jeune encore, mourut de chagrin.

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Le soleil est dans sa gloire. Impitoyable Et suprême, son visage furieux Évolue dans le bleu infini Et transforme en fine poussière Le sol rocheux et les falaises luisantes Surplombant un fleuve tourmenté. Les esprits commencent à peupler ses jours et ses nuits. Celui de Stuart, son frère, tué en 1945 pendant les derniers jours de la guerre ; celui de Roy Dickson, son ami le plus proche, disparu en montagne deux ans plus tard. In a sun-rinsed rock pool An intensity of weathered wood Caught and dazzled my eyes Water had carved out intricacies Of violence and wild grace … … and one smaller than the rest Had so piteous a form, Being warped by sun and wind, I could not look at it – It was his form, his face. Extrait de Driftwood Dans une mare baignée de soleil au creux des rochers Un amas de bois usé par les intempéries Retint et éblouit mon regard L’eau avait façonné des sculptures complexes De violence et de grâce sauvage…

terrasse. Le flot trop longtemps retenu des chagrins et des frustrations se déverse et inspire les poèmes libérateurs de Personal Sonnets. Rebellion was in her character. Hauntingly beautiful, of ariki Descent, childbearing utterly wrecked her, So that she died young in Papeete Where today she lies with Father. Extrait de My Mother Rebelle était son caractère. D’une beauté obsédante, de lignée Ariki, totalement brisée par les grossesses, Elle mourut jeune à Papeete Où elle repose aujourd’hui auprès de mon père. Mieux encore, il est prêt maintenant à affronter The Dark Lord of Savaiki, l’esprit maléfique qui n’a cessé de l’accompagner depuis qu’il a quitté son île. Il s’installe sur un ancien site maori à Pukerua Bay et écrit Sanctuary of Spirits où il identifie les personnages de la tradition maorie à ses propres ancêtres, recherchant là une sorte d’exorcisme. … and something wild darts into the night from under my window … You – Te Rauparaha ! Extrait de Against Te Rauparaha … et quelque chose de sauvage se précipite dans la nuit de sous ma fenêtre … Toi – Te Rauparaha !

… Et l’une d’elles plus petite que les autres

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Avait une forme si pitoyable À force d’être meurtrie par le soleil et le vent, Que je ne pus la regarder – C’était sa silhouette, son visage.

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Une vie personnelle mouvementée – deux mariages, un divorce – ne fait qu’accroître ses angoisses. En 1960, une dépression nerveuse le

En 1979, un voyage en forme de pèlerinage sur les lieux de son enfance achèvera de le réconcilier avec lui-même. Il sera immédiatement reconnu par les siens et apprendra que son grand-père Bosini avait vainement essayé d’obtenir le droit de le garder auprès de lui. Dès lors, la poésie d’Alistair Campbell s’étendra à des thèmes plus variés et moins personnels,


poète d’ailleurs

ne dédaignant pas à l’occasion la plaisanterie. Il offre un jour à son ami Sam Hunt une sirène qu’il a libérée de ses filets : Her scales are emerald green, brown seaweed is her hair but where she keeps her sex I leave for you to tell. Deep-frozen she stays fresh, but kept in bed, dear Sam, she has a fishy smell. Extrait de A mermaid for Sam Hunt Ses écailles sont vert émeraude des algues brunes ses cheveux mais où elle cache son sexe je te laisse le soin de le dire. Congelée elle reste fraîche, mais gardée au lit, mon cher Sam, elle sent le poisson. Désormais apaisé, il semble cependant que le poète ne puisse se départir d’une sombre mélancolie. … More and more I find myself talking to the sea. I am alone with my footsteps. I watch the tide recede and I am left with miles of shining sand. Extrait de Why don’t you talk to me ?

… When I approach, they turn their head as one and look at me, but I no longer fear them or their unvoiced complaints.

Extrait de Bosini

Des millions d’esprits sont de sortie ce soir … … Lorsque je m’approche, d’un seul mouvement ils tournent la tête et me regardent, mais je n’ai plus peur d’eux ni de leurs complaintes silencieuses. Alistair Te Ariki Campbell a rejoint le monde des esprits le 16 août 2009. Bibliographie sommaire : Mine Eyes Dazzle, Pegasus Press, 1950. Sanctuary of Spirits, 1963. Kapiti : Selected poems,1947-71, Pegasus Press, 1972. The Dark Lord of Savaiki : Collected Poems, Hazard Press, 1980. Pocket Collected Poems, Hazard Press, 1996. Gallipoli & Other Poems, Wai-te-ata Press, 1999. The Dark Lord of Savaiki : Collected Poems, 2005, florilège des meilleurs poèmes de l’auteur, des plus anciens aux plus récents.

… De plus en plus je me surprends à parler à la mer. Je suis seul avec mes pas. Je regarde la marée descendre et je reste là avec pour seule compagnie des kilomètres de sable scintillant.

Millions of spirits are abroad tonight …

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Les esprits qui le hantaient naguère ne s’en sont pas allés. Il les rencontre encore au cours de ses promenades solitaires. Ils ne lui inspirent plus aucune frayeur, ils sont devenus familiers.

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Fuite et enlisement dans... Tout est peut-être inutile

par Sylviane Soulard

Rares sont les jeunes Calédoniens qui n’ont pas lu ou entendu quelques-uns des Contes de Poindi, de Jean Mariotti. À bord de l’Incertaine (1942), du même auteur, n’est pas, non plus, un titre étranger à nombre de lecteurs. En revanche, le premier roman de l’écrivain né à Farino, Tout est peut-être inutile , publié en 1929, est moins connu !

Il est vrai qu’Alin Laubreaux a déclaré à son propos « Tout est peut-être inutile ? Tout ? Peutêtre… Ce livre, sûrement » (signé : «  le Caraïbe  »). Cette condamnation venimeuse n’est-elle pas elle-même inutile ? L’œuvre, chargée d’émotion, est, plus encore, porteuse d’interrogations existentielles (Camus, estu là ?). Le roman ne baigne pas dans un océan d’optimisme, aussi… pacifique soit-il, loin s’en faut : son héros se débat entre fuite et enlisement.

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d

Jean au collège à Nouméa.

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Jacques et Jean

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Il faut dissocier Jacques, le hérosnarrateur de Tout est peut-être inutile,

de Jean, l’écrivain. S’il est vrai que Jacques, tout comme Jean, a un frère à Thio, s’embarque à bord d’un bateau en partance pour la France via la Nouvelle-Zélande et Panama, s’il a, comme l’écrivain, une mère et une sœur avec lesquelles il entretient des rapports d’affection privilégiés, si les interrogations du personnage rendent compte de celles de l’écrivain, il n’en demeure pas moins que leurs destins divergent, la vie de Jacques n’étant qu’un des possibles de celle de l’auteur. L’avant-propos de Tout est peutêtre inutile fait de l’existence de Jacques un destin avorté : il renoncera à poursuivre son


écrivain d’hier

Jacques semble être perpétuellement en déséquilibre, sur la corde raide du mal-être : il lutte contre différentes formes d’enlisement en fuyant de différentes manières également.

Que fuit Jacques ? Comme il est un être souffrant, et que sa souffrance présente plusieurs facettes, les objets de sa fuite sont divers. À Thio, Jacques tente d’expliquer à son frère Sylvain, mais plus encore de s’expliquer à lui-même, les raisons de son départ  : désillusion, perte de la foi dans l’amour et dans l’art, refus d’un avenir tout tracé de fonction1 - Au fil des jours. Tout est peut-être inutile, Réédition Grain de sable, Nouméa, 1998, p. 57. 2 - Ibid., p. 47. 3- Ibid., p. 56.

l’on fuit et recherche trouve sa concrétisation dans le changement de projet du jeune marin à Panama : il renonce à voyager jusqu’en Europe et décide de retourner dans le sein de l’îlemère ; c’est dans ce but qu’il embarque sur l’Ajax. Révélateur est, bien sûr, l’échec de ce projet même : Jacques ne reverra même pas la NouvelleCalédonie puisque c’est dans une île d’Océanie, Nuka-Hiva, que le héros finira ses jours. Quitter l’île, c’est également refuser la facilité et l’embourgeoisement, en ne suivant pas la route toute tracée à laquelle l’avaient préparé son appartenance sociale – Jacques est fils de colon – et son passé scolaire. Il ne sera donc pas « fonctionnaire ou commerçant3 ». Il est évident que la face négative de ce choix a son envers lumineux  : Jacques-Jean porte en lui déjà le goût de l’écriture et une vocation d’écrivain, qui ne s’accommodent pas de la stagnation dans l’île et ont besoin de la capitale intellectuelle qu’est

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Les fuites, sous le signe d’un double paradoxe

naire ou de commerçant dans l’île calédonienne, sa détresse se résume dans ce cri : « J’ai perdu le sens de la vie.1 » Le voyage étant la seule alternative, reste à quitter l’île dans une fuite en avant. Aussi, s’embarquant, à Thio, à bord du Calonne, le jeune héros s’impatiente-t-il devant le retard annoncé, impatience assortie d’une forme de peur  : il ne souhaite pas passer par Nouméa, refuse de figurer sur une liste des partants et désire se faire oublier. Un double jeu d’attirance et de répulsion donne à la fuite un caractère paradoxal  : Jacques souhaite échapper à son île, mais il l’aime encore, elle l’attire, il parcourt avec allégresse le chemin qui le conduit du Calonne à Thio, et durant cette marche, « tout [le] rendait heureux », « [sa] poitrine se dilatait 2». Son pays symbolise son amour de la liberté, or, c’est sur l’océan, loin de la terre aimée, que le jeune héros part à la conquête de cette liberté. Ce paradoxe de la terre que

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voyage jusqu’en France, rebroussera chemin à Panama, pour mourir noyé dans une île du Pacifique, Nuka-Hiva, sans même avoir rejoint le sol natal tant aimé, la Nouvelle-Calédonie. Mariotti, en revanche, poursuivra son voyage, débarquera à Dunkerque, vivra à Paris une vie d’adulte et d’écrivain, et aura l’opportunité de revoir son île. La différence de destin entre Jacques et Jean amène à relativiser le pessimisme de Mariotti  : le héros du roman peut être vu comme un double sombre de l’écrivain ; cependant, dans certains de ses écrits, il porte sur le monde un regard plus lumineux, réminiscence sans doute du ciel du pays natal.

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Paris au début du XXe siècle pour se réaliser. De façon plus précise encore, quitter l’île, c’est quitter la famille. Le malaise est flagrant dans les contacts entre Jacques et son frère Sylvain : après avoir résisté, il se trouve d’excellentes excuses pour descendre à terre alors qu’il est déjà installé à bord du Calonne, mais il décide de ne pas rencontrer son frère4. En fait il le revoit, et finit par répondre à son invitation à dîner, ce qui aboutit à une conversation sur « le sens de la vie »5  entre les deux frères : Sylvain apparaît à la fois comme l’ennemi, celui qui ne peut le comprendre, et comme l’homme qui voit clair en lui et l’amène à s’interroger sur lui-même. En effet la conversation avec Sylvain permet de révéler les motifs profonds et le cheminement de Jacques jusqu’à son départ. Ainsi, le rôle du frère, être proche ou lointain, est-il lui aussi ambigu tandis que la sœur apparaît comme la figure aimante et aimée : Mathilde a préparé avec amour la valise de ce frère qui veut fuir. Mais c’est probablement à sa mère qu’il est le plus attaché, et c’est elle qu’il quitte avec la plus grande souffrance. Dans ce roman, le premier publié, Jean lui offre la dédicace :

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À MA MÈRE dont tant de lieues me séparent depuis tant d’années, je dédie ce livre

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Jean et son épouse Ludmilla.

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François Bogliolo rappelle, dans sa biographie de Mariotti,

Gare l’areu6, les paroles de la mère de Jacques à propos de ce départ : « Pars, il faut que tu partes. J’aurai de la peine si tu pars, mais j’en aurai davantage si tu restes ». Cette fuite loin de la famille, qui implique l’absence de la mère aimée, est la même pour Jacques le héros, comme en témoigne la lettre7 qu’il reçoit avant même d’avoir quitté la Nouvelle-Calédonie : sa mère le supplie de rester, mais le jeune homme ne le peut. Excepté le départ, la seule échappatoire serait le suicide, il le refusera, comme il s’en explique dans le roman. Il est donc indéniable que la fuite loin de la famille, loin de la mère en particulier, est un déchirement. Les racines du mal-être du narrateur Jacques et la cause profonde de son départ, résident dans le conflit que se livrent en lui la nature et la culture : nature en raison de son enfance dans son île au milieu de ses compagnons kanak, culture en raison de son origine occidentale et plus encore de ses études « classiques » qui pendant un temps l’ont comblé. Jacques explique à Sylvain : Songe que je suis ce produit hybride : Le fils d’un colon, un broussard, un sauvage qui a reçu l’éducation d’un civilisé 8. S’embarquer comme matelot, c’est donc fuir la culture et la civilisation, le héros confirmera cette fuite en jetant son journal à la mer9, et jugera le retour à la nature comme une victoire :

- Ibid., p. 45. 5- Ibid., p.57 - F. Bogliolo, Gare l’areu. Sur les traces biographiques de Jean Mariotti, Nouméa, Grain de sable, 1995. 7 - Au fil des jours. Tout est peut-être inutile, Réédition Grain de sable, Nouméa, 1998, p. 73-75. 8 -Ibid., p. 54. 9-Ibid., p. 145. 4 6


écrivain d’hier

- Ibid., p. 182.

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Jacques se berce peut-être d’illusions en pensant que le voyage est un choix ; il semble conscient de la passivité du voyageur : sans doute n’estil que le jouet des courants, comme la fourmi qu’il observe : Pourtant la petite bête s’agite désespérément […] Et elle allait au fil de l’eau […] Suis-je aussi impuissant qu’elle14 ? Cette errance est si fondamentale qu’elle se trouve reliée au titre du livre, qui sous

- Ibid., p. 184.

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- Ibid., p. 61.

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- Ibid., p. 68.

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- Ibid., p. 146.

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Les modalités de la fuite Le roman peut être interprété comme une succession de départs qui sont en réalité des fuites et qui en constitueraient la structure narrative. Tout d’abord, l’insularité facilite la fuite et la rend radicale : la mer, qui isole, constitue à la fois le moyen de s’enfuir – à l’époque de Jacques on voyage par bateau – et un espace quasiment infranchissable : partir de la Nouvelle-Calédonie, au début du XXe siècle, c’est partir pour longtemps ! La première fuite de Jacques est donc d’importance : il quitte son île à bord du Calonne. Puis il fuit depuis Panama, renonçant à poursuivre son voyage à destination de l’Europe, il embarque à bord de l’Ajax en partance pour la Nouvelle-Calédonie11, mais le quitte clandestinement, fuyant les activités de contrebande du capitaine, et il débarque à Nuka-Hiva. Par un effet de transfert ou de miroir, c’est le bateau qui est présenté comme le fuyard : Debout à l’extrême pointe du cap nord, nous regardions fuir l’Ajax12. Mais au grand départ presque irréversible avait présidé une forme de fuite sur place, révélatrice des hésitations et du déchirement de Jacques qui déclare : Je fuyais le Calonne à Thio, je fuyais Thio à bord du Calonne13.

L’avant-propos du roman révèle d’emblée au lecteur la fin tragique du héros : il meurt noyé dans une rivière sur une île du Pacifique et le carnet trouvé sur son cadavre contient le récit de sa vie, c’est-à-dire ce roman. Jacques, jeune Calédonien fils de colons européens, choisit de quitter la Nouvelle-Calédonie, et, avec elle, son passé. En proie à de multiples interrogations, il espère supporter la vie en mêlant son existence à celle des marins, et en voyageant. Aussi, après un mois d’attente à Thio, embarque-t-il à bord du Calonne pour se rendre en France. Il gagne ainsi la Nouvelle-Zélande, essuie une tempête au passage du Cap Horn, puis débarque à Panama, où il s’enlise dans des amours faciles. Il renonce à poursuivre son voyage jusqu’en Europe et monte à bord de l’Ajax, dans l’intention de rejoindre son île natale ; mais il débarque, en fait, dans une autre île du Pacifique, Nuka-Hiva, où il frôle la mort, égaré dans la Plaine des Lacs. La vie de bûcheron qu’il y mène ensuite ne le délivre pas de ses perpétuelles questions ; il fait la connaissance de Moïse, le vieux sage, qui lui livre sa philosophie de la vie : « Ta vie aura été parfaitement inutile […] Cueille les heures brèves qui fuient au fil des jours »…

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Au fil des jours. Tout est peut-être inutile .

La nature m’avait repris, je retournais à l’homme sauvage et sain10. En fait, de façon générale, c’est à son passé et à lui-même que Jacques tente d’échapper.

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L’enlisement dans

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sa forme complète est Au fil des jours. Tout est peut-être inutile, or Jacques conclut sa mise en parallèle de l’homme et de la fourmi par cette interrogation : Est-ce longtemps encore que je dois errer au fil des jours15 ? Le lieu d’arrivée ne compte pas pour Jacques ; seul importe le départ  : apercevant, pendant une partie de pêche, un petit vapeur, Jacques ressent « Un appel mystérieux 16» et pense : Là était ma vraie vie. Voyager, voyager encore. Espérer chaque jour la venue d’une terre nouvelle. Errer sans but sur l’océan17. Jacques s’interroge lui-même sur la finalité de cette fuite, et la définit différemment selon le moment du récit : en son début, la réponse, représentative d’une sensibilité d’homme du vingtième siècle, est à situer dans la lignée d’une philosophie de l’absurde : Je pars peut-être parce que je n’ai aucune raison de le faire18. En revanche, au début de la quatrième partie du roman, la réponse, plus optimiste, va dans le sens d’un renouvellement : Fuir ! Fuir vite ! et recommencer une vie saine ! C’était mon seul désir…19 Dans ce roman règne une tension perpétuelle entre la fuite, inquiétante, nous l’avons vu, mais en même temps porteuse d’espoir, et l’enlisement, qui motive la fuite et qui, lui, représente toujours une menace, un danger réels.

16

-Ibid., p. 68.

15

-Ibid., p. 224. 17-Ibid., p. 225.

16

Enlisements métaphoriques Fuir la Nouvelle-Calédonie, c’est échapper à l’enlisement au sens métaphorique du terme  : demeurer dans le même pays, insulaire qui plus est, suivre la voie toute tracée d’une profession prévue, demeurer dans le cocon familial, entouré des mêmes amis, c’est s’enliser. Mais dans ses voyages, entrepris pour échapper à cette vie stagnante, Jacques va rencontrer une succession d’enlisements. L’amour, ou plus exactement l’attirance physique pour la femme, en est un  : le jeune homme, qui a déclaré ne plus croire à l’amour, se trouve pris au piège dans les filets de Sylviane, la femme facile de Panama. Aussi vit-il son départ à bord de l’Ajax qui l’éloigne de Panama, comme un « nettoyage » : Je m’étais débarrassé de ma gangue de crasse. Peu à peu se détachait de moi toute la boue qui avait failli m’enliser à Panama20. Une variante de l’enlisement : la noyade La noyade obsède Jacques. Tout d’abord, avant le départ, elle est une tentation : après qu’il a reçu la lettre de sa mère, alors qu’il est encore ancré à Thio, il rêve de ce suicide qui lui est refusé : Qu’il ferait bon se glisser là

-Ibid., p. 53.

18

-Ibid., p. 183.

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doucement, doucement. Comme tout doit être calme dans ces abîmes d’ombre. Avec quelle volupté je sentirais l’eau montante m’envelopper de son étreinte. Avec quelle douceur la grande bleue bercerait mon corps mort21. Mais plus loin dans le roman, la noyade suscite chez Jacques la répulsion quand il découvre avec horreur un noyé, et qu’il constate qu’ à ses vêtements limoneux s’attachaient des mousses et des algues22. Il est révulsé par l’invasion de la couleur verte : ce spectacle met fin à son attirance pour les « abîmes d’ombre » jadis désirés : Je sentis que cette répugnante image serait toujours entre la mort et moi23. Enfin, lorsque Jacques est témoin de la folie d’une amante abandonnée, « la fille aînée du père Duplot », qui « Cinq ou six fois, [elle] avait failli se noyer 24» malgré la beauté poétique de la scène et le sentiment que la noyade délivrera la pauvre démente, le souvenir du noyé incite Jacques à intervenir : il sauve la jeune fille. Oui, la noyade est désormais hideuse. Se noyer, c’est comme s’enliser, dans un élément plus liquide que la boue : l’étouffement et l’immersion caractérisent ces deux formes

-Ibid., p. 182. 21- Ibid., p. 75 22-Ibid., p. 57 23- Ibid.

20

-Ibid., p. 226

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écrivain d’hier

- Au fil des jours. Tout est peut-être inutile, quatrième partie, chapitre V. - Ibid., p. 197. 27- Ibid., p. 196. 28- Ibid., p. 200. 29- Ibid., p. 202. 30- Ibid., p. 205.

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de l’action et de la volonté. Cette tension entre fuite et enlisement amène à penser que l’itinéraire de Jacques est l’histoire de vies et de morts successives, donc de renaissances : ce serait cela, son parcours initiatique.

Mariotti dans les années 50

Un sportif accompli…

épisodes

L’enlisement réel : le monde de la boue La hantise de l’enlisement, bien réel celui-là, est à son comble pendant l’errance – encore une ! – de Jacques et de Lucien à travers la plaine des Lacs, décrite dans la quatrième partie du roman. Cette peur se justifie par la particularité géographique de la région parcourue : zone marécageuse à l’intérieur des terres, mangrove sur le littoral. Cette plaine, qui semble vouloir retenir, engluer les jeunes gens, est décrite à travers un réseau lexical du monde de la boue, par l’emploi de termes tels que « boue gluante » qui « collait », « vase liquide », « mares de boue », «  le sol mou et gluant », « la boue grasse », « la glaise molle25 ». Le malaise est amplifié par l’odeur qui s’en dégage puisque La vase surchauffée dégageait une odeur fade, écœurante. L’air était chargé de miasmes putrides26. Cette terre monstrueuse provoque, dans un premier temps, une réaction de survie chez les garçons, ils tentent de s’arracher à son emprise : D’une secousse nous arrachions la jambe qui se décollait de la boue grasse avec un bruit de bouteille que l’on débouche27.

Mais la situation s’aggrave lorsque les marcheurs n’essaient même plus d’échapper à cette boue vorace, et, bien au contraire, s’y assimilent progressivement comme en témoigne ce portrait de Lucien : Ses vêtements et sa figure même étaient maculés de boue. Je sentais que j’étais pareil à lui28. Pire, à la hantise de l’engloutissement fait place l’abandon de toute volonté, et le désir de répondre à cette sirène terrestre, au point de souhaiter presque entrer en elle ; leur démarche d’êtres épuisés les assimile à des animaux qui se vautreraient dans la boue : Moitié marchant, moitié rampant, nous allions sans savoir où ni pourquoi. Puis le découragement nous prit, nous nous laissâmes choir dans la boue29. La situation se dégrade au point que le héros ne peut plus s’arracher à la fange : … j’essayais de me redresser dans un dernier sursaut. Je retombais dans la vase30… Ainsi l’évolution des jeunes gens, dans leur rapport à la boue, ressemble-t-elle à une course à l’abîme, qui se serait terminée par l’enlisement mortel, si les sauveteurs n’étaient intervenus in extremis. L’enlisement est encore plus dangereux que la fuite, celuilà étant lié à la passivité et à l’impuissance, celle-ci relevant

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de mort et génèrent chez Jacques l’horreur.

par Sylviane Soulard

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tous ses états

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Francine Greiveldinger

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Je suis née en 47 à Metz où deux fées veillèrent sur mon berceau : Lorraine et Serbie. L’une m’ancra dans le siècle, l’autre dans le merveilleux et les arts. Ainsi entamai-je un peu plus tard des études de théâtre au cours Simon où je restai 3 ans tout en écrivant poèmes, scénarii au gré de l’humeur... Au théâtre on me qualifia « d’intellectuelle » et je me dirigeai alors vers l’enseignement ce qui me permit de garder ce goût pour la dramatisation et le contact avec un public tout en transmettant, en éduquant et en instruisant. Différentes voies s’offrirent à moi, m’évitant ainsi l’ennui et la monotonie. Le contact avec la jeunesse fut pour moi une perpétuelle source de jouvence qu’un mari et trois enfants alimentèrent également. Arrivée à Nouméa en 1978, je poursuis toujours la lecture de cette terre, de ses mystères...

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rencontre

La vieille dame est tombée Du bord de sa tartine Dans le thé où trempaient Ses souvenirs rassis. J’aimais sa main vibrante Qui me montrait la lune Le cristal de ses yeux Que la vie a voilé.

2

J’ai tout appris des arbres morts de l’instant fade qu’on malmène Passe le temps des clairs ruisseaux Les Elfes dansent La nuit ébruite ses silences… 2 J’aime les lampes Que le soir allume Sur les phrases en suspens Dans les regards absents. J’aime la vie des choses Qui taisent leurs blessures Et le cri du silence Qui achève les mots. La vie ferme ses parenthèses La pendule minaude Aux murs des oubliés Tout unit dans le rien

Les miroirs sont muets Les fards capitulent Le temps déblaie les traits De candeurs trop lisses. Oser une dernière fois Affronter le reflet De ce qui fut un jour Et ne reviendra plus.

2 La vie peaufine Ses stratagèmes Ses jeux serviles Ses raisons closes Elle bat le pavé Sous la porte cochère Attente de l’instant Qui fait l’éternité.

La force de l’instant.

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Les clowns posent sur la vie Leur masque blanc et noir Simagrée ironique Pitrerie du destin Les jours gambadent et chantent Sur la piste aux étoiles On meurt souvent de rire On se rit de la mort On oublie le silence Et ses grottes profondes Les paillettes allument L’horizon de papier Et la vie bat son plein – Danse les saltimbanques – Mais le cœur muselé Déserte ce grand rire Il sait le dérisoire Des aurores sans fard Il voit déjà le clown Dans le cercle qui s’étrangle Écraser dans sa main Le rouge de son nez.

Hasard, Convive inattendu De la farce mondaine Tu conduis le ballet Des joies échevelées Mais sous le loup rieur Que les jours taquinent Tu regardes l’horloge Et figes le balancier.

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Jacqueline Exbroyat Jacqueline Exbroyat est née en 1931 en NouvelleCalédonie. Médecin-chef du centre médico-scolaire de Nouméa dans les années soixante, elle s’investit dans l’éducation pour la santé en liaison avec la Commission du Pacifique Sud. Passionnée de littérature, elle est l’auteur de plusieurs ouvrages : — A lbert Lavigne, négociant en vins, poète et communard, Éd. La Bruyère, 2002. — Une île si longue, Éd. Amalthée, 2006. — L e colonel Gally-Passebosc, Éd. Amalthée, 2007. — L e Caillou sauvage, Éd. Amalthée, 2009. — Regards croisés,

épisodes

Éd. Amalthée, 2010.

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« Une île si longue » à lire dans le Cahier Littéraire.


portrait La nouvelle n’a de place que pour l’essentiel

D. Aury

Liens et cheminements Par Sylviane Soulard

Pour Jacqueline Exbroyat insularité ne rime ni avec isolement ni avec exclusion. Il est vrai que Une île si longue raconte les racines et l’amour pour la terre natale, valeurs partagées par les « terriens » du monde, mais non l’enracinement, ni le statique : dans les nouvelles, évoluent des personnages sans cesse en mouvement, mouvement du passé vers le présent et l’avenir, et, tout simplement, cheminement sur la terre et sur les mers. La Nouvelle-Calédonie, l’île natale, se situe au centre radieux d’une toile d’araignée mondiale, dans laquelle le lecteur est pris au piège de la beauté et de la sensibilité, tant il est vrai que Une île si longue est une histoire de liens.

Petits voyages et grandes agapes De l’ensemble des nouvelles, se dégage l’impression que familles et amis se déplacent d’un bout à l’autre de la Grande Terre, resserrant ainsi les liens. Le voyage en car de la petite Nouméenne, Christiane, impatiente de passer ses vacances annuelles chez sa grand-mère de Bourail (« La mort du cochon »), ou la famille tumultueuse de « Le week-end », rendant visite à des cousins et organisant avec eux une expédition jusqu’à Poé, en sont des illustrations. Le voyage peut mener à Lifou quand il est motivé par une activité professionnelle : le médecin (l’auteure ?) doit y informer les habitants des dangers de la tuberculose (« La leçon »). Dans ce contexte d’un cheminement modeste, comment les liens se matérialisent-ils ? Par la musique, souvent ; par la nourriture et la boisson, toujours, au point qu’un lecteur gourmand pourrait lire Une île si longue comme un manuel de cuisine intitulé  : « Coutumes gastronomiques et recettes de cuisine en Nouvelle-Calédonie dans la première moitié du vingtième siècle ». Quand André, dans « Métamorphose »  revient au pays, sa sœur « déroule » le menu de luxe typiquement calédonien :

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Au menu : curry de crabes, roussettes, salade de cerf, gratin de coquillages et de langoustes. (p. 79)

Dès l’atterrissage à Lifou, dans « La leçon » une comparaison met l’eau à la bouche puisque le sol inégal « ressemble à une barre de chocolat au riz soufflé » (p. 49). Puis, au petit déjeuner, sont offerts café, pain et « une boîte de beurre salé d’Australie » (p. 55), précision réaliste, qui en même temps rappelle la dépendance économique de la Nouvelle-Calédonie et sa position dans le Pacifique : elle emprunte traditionnellement, depuis la fin du dix-neuvième siècle, certains produits de base à la grande sœur australienne. Mais surtout, à travers cet épisode du petit déjeuner, l’accent est mis sur le sentiment qu’a la narratrice d’appartenir à une communauté, par le repas : « Tant que les Calédoniens se retrouveront autour d’un bol de café et d’une boîte de beurre salé, quelque chose passera » (« La leçon » p.55).

Et les liens d’hospitalité se renforcent avec le vrai repas qui concrétise l’accueil ; y sont partagés « ignames et tarots », « poissons », « petit salé de porc », qui eux-mêmes constituent un lien (de dévoré à dévorant) entre la terre, la mer, les habitants kanak et leur invitée. La famille nouméenne en visite à Bourail («  Le week-end ») est accueillie par un repas, et c’est la nourriture qui constitue le but de la chasse à Poé. Quant au « traitement » du cochon auquel assiste Christiane (« La mort du cochon »), il peut faire figure de traité de charcuterie. Quand le héros de « La ligne droite de

épisodes

Cheminements terrestres

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Jacqueline Exbroyat

épisodes

l’horizon » se rend chez les grands-parents de sa femme, la visite se « termin(e) par un grand repas de famille » (p. 59). Le thème du « bon café calédonien » (p. 81) parcourt le recueil : pas de rencontre sans dégustation de café. De plus, lorsque l’ambiance est vraiment à la fête, aux dégustations s’ajoute la musique, celle qui fait danser les jeunes invités au gouvernement ou les Bouraillais participant au bal, celle qui fait chanter Émilienne ; ou la chanson tonitruante diffusée pour rameuter et motiver les habitants de Lifou lors de l’organisation de la séance médicale, et que reprend avec les autres le médecin que cette forme d’attraction avait dès l’abord interloquée : « Nous avons bien rigolé » (p. 56). On ne prétend pas que cette forme de liens entre les hommes présente un caractère d’originalité, elle témoigne au contraire de l’universalité des rapports humains. En revanche, certaines pages rendent compte de relations humaines spécifiques aux colonies, où se côtoient métropolitains envoyés par l’administration française et habitants permanents de l’île : aux repas pris ensemble, signes des liens familiaux et chaleureux, fait contrepoint l’ambiance dans « L’invitation au gouvernement ». L’incompréhension réciproque et l’antagonisme sont peut-être symbolisés par un impair sur la boisson offerte  : les jeunes lycéens ironisent sur les jus de fruit réservés selon eux à « l’école primaire » (p.30). Claudine, la fille du gouverneur, doit alors ajouter du rhum afin que, grâce au punch obtenu, revienne « l’ambiance de la fête » (p.30). De même, aux yeux des jeunes invités, le champagne offert n’est-il pas signe de distance plutôt que de lien  ? « Ce dont ils étaient certains, c’est qu’ils ne reviendraient pas. Ce que résuma la réflexion de l’un d’entre eux : "le champagne aura été bon quand même". » (p. 32) Au-delà du partage chaleureux à Lifou, des repas de famille à Bourail et des sorties de lycéens à Nouméa, la nourriture acquiert un caractère

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plus symbolique encore, quasi prémonitoire, et intime, quand elle est offerte par un jeune homme, Émile, à la jeune fille désirée, Milie, dans « Le bal » : Un jour il avait acheté des papayes, il lui en avait offert une, d’un jaune d’or. C’était son fruit préféré. Elle aimait la consistance crémeuse de sa chair finement parfumée. (p.15)

La papaye est le fruit élu par Milie, comme Émile sera élu pour être son premier amant, et la sensualité de la consistance crémeuse est un prélude à la scène d’amour, que l’auteure se gardera bien de décrire, lui donnant ainsi plus de force, mais qu’elle préfère suggérer par l’image du fruit, défendu peut-être, assurément offert et mangé.

Le chemin de fer tisse l’amitié La toile d’araignée que trame le recueil prend, nous l’avons dit, les dimensions du monde, le cheminement ne se limite pas à la NouvelleCalédonie, il se fait également dans une région connue et aimée de l’auteure : le Roussillon. L’originalité de la nouvelle « Conte vrai de Noël » tient à une jonction spatio-temporelle : le nœud de l’histoire se joue à un passage à niveau. Quel meilleur croisement de la route et de la voie ferrée que cette barrière ? Pour ce qui est du temps, le lien créé entre la conductrice, Henriette, et la garde-barrière dont nous ne saurons jamais le nom, est, fatalement, éphémère dans la mesure où la rencontre est toujours brève, même si leur amitié court sur plusieurs années. Cependant une grande humanité toute de simplicité, émane de ces retrouvailles régulières, qui commencent par les « paroles mystérieuses » (p.98) prononcées par la gardebarrière ; puis se poursuivent par un lien fait de services rendus : Henriette a pour mission de signaler si, entre deux passages à niveau, le train a changé de voie, puisque dorénavant « La garde-barrière demandait tout naturellement à Henriette sa collaboration pour les jours à venir. Elle dura plusieurs années » au point que


portrait

Les paysages/tissus où la femme chemine Qu’il se fasse en voiture à cheval ou en automobile, selon l’époque, il semble que le cheminement, lorsqu’il est associé à des moments importants de la vie des personnages, se déroule dans un paysage « textile », ou jalonné d’« arbres/tissus ». Dans ce cas les liens deviennent à la fois ténus et serrés : ce sont les fils ! Dans « Le bal », les arbres nés d’un tissu vaporeux servent de sentinelles, durant le retour de Milie « devenue femme » : Les "bois-piquants", arbres énormes, sortaient d’une mousseline de brouillard comme des colosses tenant dans leur poing des bouquets de feuillage. (p.20)

La mousseline, si légère qu’elle en devient évanescente, pourrait bien symboliser le bonheur éphémère de Milie, qui ne sera pas vêtue de ce tissu dont on enveloppe souvent les mariées. Lors de ce même voyage, à la mousseline du brouillard s’opposent les montagnes, qu’une belle métaphore transforme en « lourdes draperies de velours violet » (p.20), comme si la dureté des parois rocheuses augurait de la réalité de la vie de Milie, dont l’auteure annonce qu’elle ne sera pas heureuse. Cette dureté se double de celle des bois-piquants, qu’un souffle épique, dans la description, transforme en colosses. Le « premier coq » lui-même, qui, en « héraut » porteur de nouvelles, chante « un

hymne à l’amour » annonce peut-être les désillusions de la jeune fille, dont les rêves se heurteront à une vie aussi dure que le métal : le coq est fait de « cuivre éclatant ». Enfin, si l’image de feuilles devenues « tapis de velours » peut, au premier abord, sembler banale, elle est en fait rehaussée par sa portée symbolique, qu’il n’est pas nécessaire d’élucider : sur ce tapis « le soleil projeta sa semence ». Cette description, de plus, illustre une vision de la vie comprise comme une osmose entre l’être humain et son milieu, mise en lumière dans les lignes qui suivent : La vie emprunte à la nature ses couleurs, ses odeurs, aux corps elle emprunte la beauté, la jeunesse, le désir, l’amour, pour appliquer sa loi. (p. 20)

C’est pourquoi, de cette nature, Milie « était devenue un élément dans le quotidien, comme une fatalité ». Ce dernier terme atteste que l’émerveillement de l’auteure face à la beauté et à la vie ne se dilue pas dans un optimisme béat. L’atmosphère qui baigne « Le bal », onirique et pathétique à la fois, contraste avec celle de « La

leçon » qui montre une femme bien ancrée dans la réalité : elle se déplace en automobile ; les temps ont changé. Mais dans les deux nouvelles se retrouve l’image des arbres sentinelles ; ceux de « La leçon » sont devenus tissus : Nous approchions du village de Mu, fief du grand chef Boula. Je me sentais apaisée, m’imprégnant de la majesté de ces arbres qui semblaient nous rafraîchir comme autant d’éventails de soie émeraude agités en longs mouvements, projetant en diagonale l’ombre de leurs troncs noirs sur un buffalo doux comme une caresse. (p. 51)

Les lignes géométriques acérées comme des lames sont atténuées par la douceur soyeuse du précieux tissu, douceur qui culmine dans la mollesse sensuelle de l’herbe. Le buffalo, herbe/tissu, offre sa douceur dans une autre nouvelle : « Le week-end », où les enfants sont décrits « enfonçant avec délices leurs pieds nus dans le velours un peu rude du épisodes

« Ces nouvelles fonctions changèrent les habitudes d’Henriette » (p.99). Mais le temps fait son œuvre : rupture entre passé et présent, nostalgie et déplaisir devant certains effets du progrès affleurent régulièrement au long du recueil. Ainsi, dans cette nouvelle, la garde-barrière finit-elle par prendre sa retraite, elle sera remplacée par… un signal électrique ! La charge émotionnelle, faite à la fois de regret et d’amitié, jaillit alors, en guise d’adieu, de la bouche d’Henriette : « Joyeux Noël ! » (p.104)

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Jacqueline Exbroyat buffalo » (p.123). La soie, quant à elle, qualifie à

nouveau le végétal dans la nouvelle « La race », elle s’applique à l’enveloppe des cerises du caféier : les fruits deviendraient noirs et durs avec une coque cassante qui laisserait voir, sous une fine pellicule de soie, deux petits grains verdâtres dont on évaluerait la valeur comme des joyaux, entre deux doigts. (p.90)

La douceur de la soie et sa finesse offrent un contraste saisissant avec la dureté des grains devenus pierres précieuses. Si l’on en revient au déplacement dans l’île de Lifou, il semble que la végétation hospitalière, déjà évoquée, qui longe le chemin, préfigure la qualité de l’accueil kanak réservé au médecin. Elle est à mettre en relation, également, avec la douceur et la compassion de la mère de famille qui, à la vue, sur l’écran de cinéma, d’une femme tuberculeuse filmée depuis cette France si froide, « dit simplement : beaucoup malheureux ». (p.53) Cependant, la métamorphose du végétal n’a pas toujours l’image de la douceur. Tout comme le coq dans « Le bal », la feuille peut devenir métallique, voire tranchante ; ainsi, dans « Les droits de l’homme »,

épisodes

Les niaoulis présentaient à la brûlure des rayons le fil de leurs feuilles semblable à celui d’une lame de rasoir.(p.114)

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Le niaouli, aux antipodes de la feuille/tissu associée à la douceur et à la fraîcheur, est lié d’une part à la brûlure du soleil, d’autre part à une situation humaine conflictuelle et douloureuse : c’est dans la propriété d’Albert, où croissent les niaoulis, que les gendarmes se rendirent et « La jeep de la gendarmerie, conduite par deux très jeunes gens, emmena Albert dans le village » (p.114), puis en prison. Enfin, la métamorphose peut, parfois, être inversée : lorsque Émilienne, dans « Le bal », repasse sa robe, se parant pour aller danser ; le vêtement a la couleur d’une fleur, celle de la «  rose-thé » ; la température n’en est ni brûlante ni fraîche, nous sommes dans la tiédeur.

Surtout, le tissu, sous la caresse du fer, se métamorphose en bois, puisqu’il « devint chatoyant comme un copeau » (p.14), donc brillant et volanté, animé de courbes douces comme celles de la jeune fille… Cette végétation métamorphosée en tissu par la magie de comparaisons et de métaphores ne présente pas seulement la qualité d’être tissée tout en tissant des liens, elle donne aussi à la narration sa force par la valeur de symbole qu’elle recèle.

Des liens élastiques à la dimension du monde : routes maritimes/routes aériennes Le retour au pays par la voie des airs : de l’importance des pieds ! « Métamorphose » relate comment un étudiant, résidant en France, se transforme, parce qu’il est de retour dans l’île natale, en ce Calédonien, qu’au fond il n’a jamais cessé d’être. Il lui suffit pour cela d’un vol en avion, relativement rapide, comme si le fil qui relie Europe et Océanie était tendu à l’extrême. D’une part, le lien avec l’île se renoue d’une façon toute classique : André retrouve avec émotion sa mère, ses pots de confiture confectionnés avec amour, et « le bon café calédonien ». La force de cette attache familiale va de soi ; valeur universelle, elle se manifeste dans une autre nouvelle : « La race », dans laquelle la mère est consciente de ce qui l’unit à son fils aîné : « Elle lui était toujours redevable de ses liens complexes qu’elle avait tissés avec lui » (p.92). D’autre part, et c’est cela qui rend la métamorphose intéressante, l’appartenance au pays se concrétise par une liberté de posture que peut enfin adopter le jeune homme : Il écarta son gros orteil des autres doigts de pied, comme une pince de crabe qu’il referma sur le talon d’Achille de l’autre pied dans un


portrait

Ce geste, sorte de leitmotiv, est chargé de signification dans la mesure où il avait été amorcé

quaient aux orteils recroquevillés et à tout le corps la vibration de cette terre dans le bruit des réacteurs. (p.79)

durant le voyage de Paris à Nouméa, à Djakarta : André sortit un pied encore gainé d’une chaussette de soie noire parisienne. Il frotta doucement le tendon d’Achille de l’autre pied, les yeux dans le vague. (p.78)

Poser les pieds sur le sol qui leur appartient, pour lequel ils ont parfois lutté, c’est là le bonheur et l’ambition de la plupart des hommes, et le moteur de leur Histoire.

Mais il fut stoppé par sa femme qui, en Calédonienne encore un peu métropolitaine, lui lança avec une tendresse ironique : « Enfin, chéri, tu n’es pas encore dans ta tribu ! ». Mais cette frustration momentanée n’est pas pour le jeune homme son… talon d’Achille, puisque finalement le geste désiré sera exécuté : il célèbre le pays reconquis, l’identité retrouvée, c’est André redevenu calédonien, c’est la véritable métamorphose ! L’autre voyage de la France vers la NouvelleCalédonie évoqué dans le recueil mettra en relief la condamnation portée par l’auteure sur le transport aérien. Il n’en est rien en ce qui concerne le périple d’André et d’Odette. Cela tient au fait qu’à l’époque concernée, l’utilisation de la voie maritime est désormais rejetée dans le monde du rêve, mais on peut surtout lier cette acceptation de l’avion à la valeur affective de ce voyage-là. Le point de vue adopté est celui des voyageurs eux-mêmes, ce déplacement, décrit de l’intérieur, est du côté des larmes d’émotion : l’avion est accepté sans difficulté et même avec tendresse tant qu’il permet aux héros de revenir en Calédonie. Et cet attachement au pays est si violent qu’il n’habite pas seulement le mental du couple, mais aussi, mais surtout son corps. Quand Odette atterrit « C’était tout son corps qui pleurait de joie ». C’est cela la signification du geste et de la posture d’André. Tout se passe comme si le bonheur du retour se vivait plus dans les pieds que dans la tête : c’est par les pieds et par le corps qu’à l’atterrissage André s’assimile à l’avion, dont les roues entrent en contact avec…  le SOL ! Les roues qui touchaient le sol et communi-

Le bateau, ouverture sur le monde

Une page du recueil (voir encadré) analyse avec précision l’arrivée du paquebot, à l’issue d’un très long voyage maritime depuis la France jusqu’à Nouméa, fil souple et sinueux, parcourant la moitié du globe. Extraites de la nouvelle « L’invitation au gouvernement », ces lignes permettent une fine transition entre l’évocation du collège et celle de l’invitation lancée par la fille du gouverneur, de plus elles brossent un tableau saisissant et émouvant d’une période précise de la vie calédonienne, placée sous le signe de la mutation. Cette évocation s’organise en fonction d’une antithèse très marquée entre bateau et avion.

Temps de vivre/ vs /rapidité destructrice L’arrivée du bateau au port se vit dans la lenteur, dans une sorte d’indifférence au temps ; nombre de termes suggèrent un rythme tranquille selon un déroulement que ralentit l’utilisation des imparfaits. Même les bouquets d’accueil finissent par se faner à l’issue des « heures d’attente ». La transformation du bateau en « corps énorme » se fait progressivement. C’est par étapes (« Une fois », « encore », « Puis », « et tout de suite ») que la foule calédonienne investit le bateau. Cette lenteur est vécue comme positive, elle est reliée à cette époque où tout, depuis les transports jusqu’au rythme de vie, adoptait une cadence qui permît de profiter de l’existence. À cela s’oppose la rapidité, voire la précipitation qui caractérise la venue de l’avion. Contrastant avec les imparfaits, le passé simple

épisodes

mouvement de va-et-vient vertical. (p.81)

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Jacqueline Exbroyat « balaya », à valeur ponctuelle, produit un effet de vitesse, et suggère une destruction expéditive et instantanée. Cette rapidité est perçue comme négative, tant et si bien que l’auteure se refuse à décrire cette arrivée-là.

Le bateau : liaison avec le monde L’interpénétration entre le monde calédonien et le monde métropolitain, qui à lui seul symbolise le reste de l’univers, est un élément clef, sans cesse rappelé. Le bateau « c’était le lien », une « fenêtre ouverte sur le monde » et se trouvait « irrigué par des torrents de gens », par ces « Calédoniens » mis en relation avec « cette France ». Le bateau désenclave l’île, il est vecteur d’ouverture. « Rencontres » et « osmoses » qui disent l’unité, pourraient être des notions associées à l’avion, moyen de contact rapide, or elles concernent le bateau, et se trouvent anéanties par l’avion, qui les « balaya ». La formule lapidaire « l’avion balaya tout cela » suffit à faire de l’avion un obstacle, – paradoxal à première vue, mais justifié par la page tout entière – à la communication entre la Nouvelle-Calédonie et le reste du monde.

épisodes

Le prestige de la croisière d’autrefois : mystère, gloire et beauté …

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Le premier charme du bateau venu du bout du monde consiste sans doute dans l’atmosphère de mystère qui l’enveloppe. Tout d’abord, l’arrivée du bateau s’apparente à une cérémonie religieuse : elle fait figure de « rite » ; comparables à des saints, les voyageurs sont nimbés d’une auréole et le bouquet peut apparaître comme une offrande, le tout sous les yeux de l’assemblée des fidèles : « la foule ». De plus, les héros de cette cérémonie, entourés de gloire, suscitent l’envie. Le luxe et la beauté accompagnent les voyageurs et constituent un véritable spectacle pour les Calédoniens qui ont le privilège de monter à bord, l’auteure met l’accent sur le raffinement des salons : « dorés, peints, plaqués d’acajou et autres bois précieux », les odeurs elles-mêmes

contribuent à créer « une atmosphère feutrée », ce sont les parfums « d’anis » et de « cigarettes », non pas les prolétariennes gauloises mais les racées « blondes », de sorte que la France tout entière apparaît « brillante », « gourmande » et « racée ». Cependant Jacqueline Exbroyat n’est pas dupe puisque, dans son bilan, elle associe le bateau aux « illusions ».

Le bateau métamorphosé

La beauté réside surtout dans la série de métamorphoses que subit le bateau sous la plume de l’écrivain : l’objet flottant fait d’emblée figure de symbole, il est comparé à une « fenêtre ouverte sur le monde ». Plus riche est la métaphore qui transforme le bateau en une sorte d’animal (une baleine ?) et lui confère la vie puisqu’il « devenait un corps énorme ». Par une plongée qui rappelle l’art cinématographique, voire le film de science-fiction, le lecteur entre dans ce corps « irrigué par des torrents de gens », et l’adjectif « nourricier » renvoie aux artères où circule le sang. Mais à l’image du corps se superpose celle d’un paysage doué de vie, comme le suggère le « courant ininterrompu », image accentuée par la mention des « torrents » : s’agirait-il de cours d’eau ?

Liens et harmonie La venue du navire à Nouméa est placée sous le signe de la communication, et ceci à plus d’un titre. Si l’on s’attache au bateau lui-même, on remarque qu’il se fixe au port où il aborde, se liant à la terre grâce aux amarres. Par ailleurs, par le navire et sur le navire, des liens se créent entre les hommes, le navire étant un microcosme et en même temps un signe d’identification et de reconnaissance sociale, élitiste il est vrai, pour ces « gens qui se reconnaissaient, qui avaient la même manière d’apprécier la vie ». Plus intéressants parce que plus authentiques sont les liens qui unissent les voyageurs et les habitants demeurés en Nouvelle-Calédonie. L’auteure les suggère par l’établissement d’un parallèle : au spectacle de la foule terrienne qui se presse, « Tout l’espace du quai était occupé par la foule »,


portrait

L’avion et les liens brisés Bonheur envolé Le dernier paragraphe consacré au navire annonce la fin d’une époque dans ce qu’elle pouvait avoir de merveilleux, en ce sens on bascule déjà dans l’ère de l’avion et de l’indifférence, ce qui explique la tonalité nostalgique, que « dernier » repris par « dernière » confère à ces lignes.

Place dans le texte et longueur des passages L’évocation de l’avion ne se fait qu’en fin de texte, cela répond à un ordre chronologique, il est vrai, mais joue surtout le rôle d’une triste conclusion, qui ferme, qui rejette dans le passé ce que le voyage pouvait présenter de charmant. On peut interpréter de façon identique le fait que le récit de l’arrivée de l’avion nécessite trois lignes à peine, alors que l’auteur consacre à la venue du navire vingt-cinq lignes !

Le creux Le silence étant souvent plus parlant que les mots, le lecteur ne sera pas sans remarquer que tout ce qui était positif avec le navire est tu dans le paragraphe consacré à l’avion. Plus de luxe évoqué, pas de visite des terriens dans l’avion,

plus de liens ! Le lecteur échappe même à l’image éculée, devenue cliché, de l’avion-grand oiseau blanc !

L’ère de l’indifférence La critique de l’avion n’est pas seulement implicite, elle s’exprime aussi clairement, à travers quelque mots ; ainsi « passer » traduit l’absence d’attache, le peu de poids et de présence des nouveaux voyageurs. Plus frappante est la formule, répétée : « n’importe qui », à la limite du mépris, elle traduit en tout cas l’indifférence, celle de voyageurs sans consistance, qui ne se fixent pas, et celle des habitants devenus eux aussi indifférents. Les points de suspension employés à deux reprises dénotent qu’ils ne se sentent plus concernés. La valeur de cette petite fresque où l’avion sert de faire-valoir au bateau de la description, à la précision et à la vie qui en émanent. L’émotion du vécu de l’auteure suscite chez le lecteur une réflexion sur le temps qui passe et sur les charmes d’un certain passé calédonien. Plus encore, par delà ces qualités, se dégage l’image magistrale de ce bateau symbolique, polymorphe et doué de vie, sa silhouette vibrante se profile avec une force qui n’est pas sans rappeler la figure allégorique de ce bateau-homme, embarqué sur la mer-musique, que Baudelaire – avec désespoir tandis que Jacqueline Exbroyat adopte une tonalité nostalgique – met en scène dans son poème « La musique » : La musique souvent me prend comme une mer

amorce le poème, qui se prolonge par cette vision de l’homme-bateau souffrant : Je sens vibrer en moi toutes les passions D’un vaisseau qui souffre

Le cheminement est porteur d’espérance. « Un voyage c’est un moment qui bouge » (p.63) : ainsi l’auteure présente-t-elle, dans « La ligne droite de l’horizon », les espoirs d’une nouvelle vie qui accompagnent le déporté dans son périple vers La Nouvelle. Quand il est aussi ouverture à l’autre, le déplacement permet de tisser et

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répond celui des voyageurs encore massés sur le bateau, « En face, les voyageurs se tassaient sur les ponts ». Cette communication devient plus évidente encore lorsque la foule se déverse dans le navire. De plus, même s’il le fait indirectement, le bateau, sur terre également, permet de « créer des liens » selon la belle formule de Saint-Exupéry. En effet, par lui, la barrière entre adultes et adolescents, entre professeurs et lycéens tombe : les élèves demandent une autorisation qui leur est accordée, eux-mêmes rempliront sans difficulté le contrat tacite et se remettront au travail. Cette complicité est générée par la venue du bateau et le lecteur comprend que sont esquissées les quelques lignes d’une époque révolue.

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Jacqueline Exbroyat

de mettre à jours des liens, il peut, également, provoquer un voyage à l’intérieur de soi, parfois jusqu’à la révélation, les nouvelles du recueil l’attestent. Quant aux longs périples entre Océanie et Europe, si les Calédoniens les vivent sereinement, c’est précisément parce que leurs racines les attachent à leur île, leur permettant de se déplacer dans le monde sans s’y trouver perdus, puisqu’ils ne sont jamais… déracinés. Ils restent les pieds rivés à ce sol qui leur donne assurance et sécurité. On peut aisément imaginer que la jeune Christiane de la nouvelle « La mort du cochon » voyagera jusqu’en France, confiante malgré l’éloignement, parce que chez sa grand-mère

« Elle enfonçait petit à petit ses racines dans cette terre qui était la sienne ». (p. 45) Cet ouvrage veut témoigner de spécificités, mais, par les sentiments et les expériences qu’il traduit, il tend à l’universel. S’il n’avait cette valeur d’universalité, il ne susciterait pas chez le lecteur une telle émotion. L’écriture, par le réalisme du détail et la finesse sensuelle de la description, n’est pas sans rappeler celle de Colette. Mais, quand elle peint des paysages, c’est en fait des hommes que Jacqueline Exbroyat nous parle, avec humanité : en plaçant l’homme au centre de son ouvrage, elle s’inscrit dans la lignée humaniste.

« L’invitation au gouvernement »

extrait

Années de transition, d’évolution, ces années d’après-guerre furent marquées par les voyages. Jusque-là, pour cette île lointaine, le bateau faisait partie de la vie des Calédoniens. C’était le lien. C’était comme une fenêtre ouverte sur le monde concrétisé par la beauté de la décoration des salons, le dédale des coursives, les uniformes, les voyageurs que l’on auréolait volontiers d’un certain mystère et que l’on enviait. Cet effet était accentué par le rite de l’accostage, toujours lent, majestueux. Tout l’espace du quai était occupé par la foule. En face, les voyageurs se tassaient sur les ponts. Parfois, un bouquet, fané par les heures d’attente était jeté à la mer. Une fois les amarres attachées, il y avait encore un long moment d’attente. Puis la passerelle descendait et tout de suite se mouvait un courant ininterrompu, nourricier. Le navire devenait un corps énorme, irrigué par des torrents de gens. Les salons dorés, peints, plaqués d’acajou et autres bois précieux, se remplissaient peu à peu. Une odeur d’anis, de cigarettes blondes accompagnait une atmosphère feutrée de gens qui se reconnaissaient, qui avaient la même manière d’apprécier la vie. Et les Calédoniens s’imaginaient voir, en maquette flottante, cette France qu’ils ne connaissaient pas. Ils la voyaient là si brillante, si gourmande, si racée qu’ils en étaient fiers. Ce fut la dernière année de ces rencontres, de ces osmoses, de ces illusions… Ce fut la dernière année où les élèves pouvaient demander tout naturellement à leur professeur : « Monsieur, un bateau arrive dans quelques jours, vous nous autorisez à y aller ? » Et le professeur autorisait en échange d’une interrogation écrite pour la semaine à venir. C’était de bonne guerre et les élèves ne manquaient jamais d’accomplir ce travail.

épisodes

Rencontres, osmoses, illusions, l’avion balaya tout cela avec l’avènement des voyages rapides. Avec l’avion,

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n’importe qui pouvait venir… n’importe qui pouvait passer…


portrait

Michel

© Eric Dell’Erba 2009

Chevrier

Poèmes Illustrations de Bernard Billot

C’est l’histoire d’une rencontre. Août 2009. Festival de la bande dessinée de Boulouparis. Quelques écrivains dédicacent Sillages d’Océanie. En face d’eux, un stand où officie un grand barbu rigolard, entouré de Pinocchio océaniens, têtes en noix de coco, corps de bois sveltes, sculptés dans les moindres détails. Une évidence s’impose. Entre le poète qui signe à ma gauche son Dead can dance et ce Gepetto décomplexé, une rencontre est sans doute possible : même sens de la dérision, retournée contre soi, même amour des mots et du monde. De leur poésie réciproque, naîtra une douceur bien loin du sarcasme. Coquineries et non-sens. Dès les premiers traits, les deux compères se donnent le mot : « Sus au Sage ! » Oui, foin de cette philosophie qui alourdit tout et ne laisse pas d’espoir. Cet humour-là, au contraire est une clairvoyance, une légèreté pour vaincre l’encerclement et la peur. Alors si vous pensez, à l’instar du vieil Anatole, que « sans l’ironie, le monde serait comme une forêt sans oiseaux », ouvrez ce livre, voyez comme cela chante. épisodes

Fredéric Ohlen

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À Michel Chevrier, Extrait de mon album de souvenirs Je le revois gravir en souples enjambées les pentes escarpées des montagnes d’ici puis se fondre à la brume humide des sommets pendant que, hors d’haleine, au bord de l’apoplexie, je cavalais derrière lui. Transcalédonienne, merci ! Il m'a semblé l'apercevoir autrefois parmi les touaregs que je croisais en caravanes effilochées au pied des dunes du Sahara. Mirage au bord de l’oued, sa silhouette bleutée se perdait dans l’azur profond d’un ciel magnétique. Je ne l’ai pas vu pêcher le picot sur le platier de Raïatea mais je l’imagine très bien écouter au matin, dans l’éclosion des fleurs de tiaré, l’esprit des Anciens. Je garde la vision d’un yogi assis en lotus entre ciel et terre au faîte d’un rocher à l’aplomb d’une rivière, évidente incarnation de la synthèse entre l’esprit et la matière. Lorsque j'entendais claquer la baguette du maître Zen sur les épaules des disciples soumis, je savais de quelle bienveillance était empreint ce geste codé. Maître, il se défend de l’être, mais qu’il me pardonne : professeur, en ce qui le concerne, c’est un peu léger… Il enseignait à ses élèves de drôles de mathématiques, leur montrait que dans la vie rien n’est jamais carré ni sphérique mais les deux en même temps selon le chemin que l’on prend, les embarqua en voyage d’Australie en Polynésie pour aller reconnaître sur le vif le Nombre d’Or au cœur des arts primitifs. C’est ainsi que nous le vîmes arriver au prix Orphée : un billet pour sa classe manquait, or parmi les récompenses, un aller-retour vers Papeete était offert. Lauréat plébiscité, il ne nous a, depuis, jamais quittés. De voyages en naufrages, de révoltes en désillusions, il garde les yeux fixés droit sur la ligne d’horizon avec, au fond de sa poche, son bloc-notes et son crayon. Vers quels nouveaux rivages vogue-t-il aujourd'hui ?

épisodes

Nicole Perrier

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portrait

Michel Chevrier Qu’est-ce qu'une vie, sinon un tissu de non événements montés en épingle par un petit « je » en mal de reconnaissance. Né Bas-Normand, en 1937, voilà qui est original et vous en dit long sur le « je » en question ! Au plus peut-on en inférer qu’il y aura une date et un lieu de décès. Données non encore disponibles. Une vie ordinaire ça peut donc par exemple commencer dans le bocage normand, un lundi, dans une lignée de paysans pauvres, vaccinés au travail, jusqu’au vice, dès leur plus jeune âge. Très normal donc ! Parents également normaux, mais exempts de tout alcoolisme ; enfance catholique, elle aussi parfaitement normale, bien sûr près de la nature, mais dans la crainte « du petit Jésus qui sait tout ce que tu fais », lequel d’ailleurs ne semblait pas remarquer qu’en ce tempslà, la Normandie recevait plus que sa part légitime de bombes. Un grand-père mécréant, exanarcho-syndicaliste, pour la bonne bouche. Dans un aprèsguerre où l’optimisme avait repris du poil, on passait le bon vieux « certif » qui vous collait en milieu populaire l’aura d’une quasi-sainteté laïque. Soif de s’arracher à la glèbe

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oblige, et c’est la découverte des humanités bourgeoises au lycée d’Argentan. Des horizons s’ouvrent sur le terreau d’un passé riche en lectures. Le monde est à construire et se devra lumineux à l’image de la belle mais inaccessible Zoé aux yeux de biche. Vivre comme en un poème ! Sans plus ! C’est dire à quelle altitude nous volions. Une poignée de fils de prolos, fagotés comme as de pique, donc pas très normaux, dans un aréopage de filles et fils de juges, d’avocats, de toubibs, de gros commerçants, jusqu’au jour où le premier jean « Levi Strauss » les insère dans un minimum de normalité vestimentaire. Sauver les apparences, premier pas vers la subversion. Un goût marqué pour toutes choses et ça vous mène votre homme du bac philo au bac maths et en fac de sciences à Clermont-Ferrand. La guerre d’Algérie est là, dans toutes les têtes, avec les manifs et les prises de positions passionnées. Anti-militarisme doublé d’anti-colonialisme, c’est plus que n’en peut supporter le socialisme à la Guy Mollet. « Expédiez-moi ce ramassis d’intellos communisants sur le théâtre des opérations, où le fusil à la main il vont incul-

quer la grandeur de la France des Lumières à ces mécréants de bougnoulo-musulmans. » On défendait déjà l’occident chrétien, ma chère ! Toujours rien que de très normal, comme on le voit : l’arrière-grand-père avait fait 70, le grand-père 14-18, le père 39-45 et lui l’Algérie. Individu normal, vous dis-je. D’autant plus qu’il y avait eu en 14 un grand-oncle, fauché dès le premier jour, comme quatre-vingt-dix pour cent de son régiment, sabre au clair, chargeant, en tunique rouge et casque à crinière, les mitrailleuses allemandes. On vous le dit : famille normale, mais non dépourvue de panache. Oran, en pleine OAS ; le « pathos de mierda » découvre que l’on est toujours un étrange étranger, même pour ses compatriotes. De retour de guerre, l’idéaliste commence à avoir les pieds qui frôlent le sol et devient prof de l’enseignement technique en 64 ; ça assure le quotidien et l’on aime, mais ça n’interdit pas de voir l’avenir en rose et de construire des lendemains qui chanteront, en militant au PC ; performance, pour de la graine d’anar. Dix ans plus tard,

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« Porter un regard neutre sur sa propre vie, autant regarder derrière son épaule pour voir son cul ! »

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Michel Chevrier les lendemains se sont cassé la voix et il se retrouve avec une solide étiquette de dissident révisioniste bourgeois. Qu’importe, la planète est belle, l’on part vers les beautés du monde, en de multiples voyages, pour confirmation qu’il y a bien des hommes, des frères, sous toutes les latitudes. L’ailleurs comme destination depuis l’enfance ; ainsi en 80, on part vivre et travailler au

Sahara algérien dans l’écrin de l’oasis de Ghardaïa, puis ce sera le rêve du Pacifique sud concrétisé par six années à Raïatea aux Îles-Sous-Le-Vent, suivies de vingt ans à Nouméa. Pourvu que ça dure ! C’est ainsi que, sournoisement, l’âge advient. « L’homme naît seul, vit seul, meurt seul, lui seul pioche le chemin », a dit l’Éveillé, grand connaisseur en optimisme.

Vengeance froide Vous avez la rancune tenace ? Votre meilleur ami vous fait-il des crasses ? Offrez-lui donc un banian, mais en pot. Il le mettra dans son salon, le sot !

Portrait Si jétais Une île : Je serais une de ces îles à la dérive, qui flottent sur l’Amazone, elles voient du monde, elles vont tranquillement mourir dans l’immensité de l’océan.

Une légende :  La Légende des siècles , on a une bonne garantie de durée et de qualité littéraire.

Un instrument de musique : La flûte indienne des Andes, pour l’élévation, ou son frère, fils du désert, le ney, pour la nostalgie de l’atome.

Une couleur : Le rouge Attendez un siècle, calmement, Il lui aura squatté l’appartement ! À vous de ricaner au fond du trou. Les impatients ne sont-ils pas des fous !

Myopie Quel que soit l’objet de tes sens,

au front, pour la honte d’appartenir à la seule espèce qui martyrise et massacre ses semblables.

Un écrivain  : Si j’étais un

écrivain, d’abord cela se saurait et alors j’aimerais assez que l’on m’appelle Dostoïevski ; mais c’est peut-être trop demander.

Le soleil est au-delà. Quel que soit l’objet de ton esprit,

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La vérité est au-delà.

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Michel


portrait

chinois de... Une religion : Le bouddhisme

Illustration Bernard Billot

Chan ; pas de dieu créateur, pour lui coller sur le dos la responsabilité dernière de toutes mes saloperies d’homme ; pas de dogmes qui me donnent les réponses avant qu’elles ne soient posées ; pas de certitudes absolues ; pas de croisades ; pas de Guerre sainte ; la joie de partager ce bref instant de vie… le pied, quoi !

Une devise : « Ce n’est pas grave d’être petit, l’important c’est d’avoir les pieds qui touchent le sol », d’après Coluche. Il faut dire qu’en ma jeunesse, j’avais une forte tendance à souffrir de lévitation chronique.

Un verbe : Le Verbe de distance la horde touristique ; Un son : Le son du cor au tant

qu’à

Un climat : Un climat de confiance, cela va de soi, tel le climat saharien, tu peux dormir dehors avec des milliards d’étoiles pour ciel de lit ; en été il fait si chaud que cela tient à

l’hiver, il gèle le matin, à midi tu es en chemise, enfin il n’y pleut que tous les six ou sept ans, mais on y rencontre les caractères les mieux trempés.

fond des bois. Ça fait haut moyen âge et furieusement romantique !

Un élément : Un mauvais élément, à surveiller de

Une planète : Celle du près. Plus sérieusement l’eau, Petit Prince, pour y accueillir Saint-Ex.

qui ne craint pas la lame du couteau.

Chevrier

épisodes

Dieu lui-même, faire…

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L’Herbier de Feu… Une brève histoire du Feu...

Les éditions L’Herbier de Feu ont été fondées, le 13 décembre 1996, par Frédéric Ohlen et Nicole Perrier. Elles se fixent, dès l’origine, un défi : « favoriser ici l’essor d’une littérature à vocation océanienne et universelle. » Elles publient ainsi, sous forme associative, 30 ouvrages en 12 ans et plus de 40 auteurs (1998-2010). Parmi eux, Pierre Gope (S’ouvrir, 1999), Paul Wamo (Le Pleurnicheur, 2005 ; J’aime Les Mots, 2008, en coédition avec les éd. Grain de Sable), Luc Énoka Camoui et Georges Waixen Wayewol (Phaanemi, le Ressouvenir, 2005), ainsi que Denis Pourawa (Les Mots des Murs, photos : Tokiko, 2005), poètes kanak dont elles font largement connaître les textes en Nouvelle-Calédonie et au-delà.

épisodes

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La promotion de la poésie ne se limite bien évidemment pas à l’édition proprement dite. « Toute langue est un feu » qui se communiquera aussi, au fil des ans, à travers d’innombrables ateliers, séminaires, rencontres et spectacles en NouvelleCalédonie, en Polynésie, à Vanuatu ou en Métropole. « Cela fait maintenant plus de vingt ans que j’anime des ateliers d’écriture, raconte Frédéric Ohlen, et c’est toujours le même miracle : l’occasion d’un déclic, le partage d’un moment, la mise en commun de nos paroles et de nos expériences. Et c’est bien là justement la justification de tout art et de toute littérature : enfin se rencontrer au bord du monde, au bord des mots, au bord des livres… » Dans le cadre du Printemps des Poètes, L’Herbier de Feu sera à l’origine de quatre recueils, coécrits avec les étudiants de l’université de la


éditeur engagé

Nouvelle-Calédonie et avec les élèves des classes de CE-CM de la ville du Mont-Dore : Lianes (1999), Solstice (2000), Secrète Aria (2002), Une Heureuse Rencontre (2004). Les éditions L’Herbier de Feu ont publié enfin Avant que la Nuit tombe (1999), un ouvrage collectif, illustré par Mathieu Venon et vendu, sous l’égide de la Croix-Rouge internationale, au profit des enfants victimes de la guerre. Elles réitèrent cette initiative en 2009, avec Magnitude 7, un recueil de sept textes conçu pour venir en aide aux sinistrés d’Haïti. « Nous sommes, écrit Frédéric Ohlen, convaincus que l’écriture est nécessaire, qu’elle participe de notre

histoire et de notre condition, qu’elle est même fondatrice, non seulement de notre être secret, mais aussi de notre langue dont elle révèle et accroît les pouvoirs. Bouleverser les conventions de pensée, susciter l’attention à l’inconnu singulier qui est en nous et hors de nous, voilà la tâche du poème qui permet ainsi libération et dépassement. Alors l’écriture ? Oui, encore et toujours, car c’est elle qui digère le passé, donne « sa » lecture, permet le recul, l’acceptation, la re-naissance et la re-connaissance. C’est par elle que ce temps, le nôtre, acquiert sa densité, sa cohérence face au chaos de l’action et de la pensée. » L’Herbier de Feu publiera en mai 2011, en association avec les Amis de la Poésie, une anthologie poétique de

la Nouvelle-Calédonie, la première depuis quinze ans. Cet ouvrage, illustré par dix collages originaux d’Isabelle Simon, ancienne invitée du SILO (Salon International du Livre Océanien) réunira 26 auteurs, sous le titre Éclaire nos pas… Alors « Terre de poésie, la Nouvelle-Calédonie ? Oui, et depuis toujours. Des chants des premiers âges aux florilèges d’aujourd’hui, des voix se sont levées pour créer et crier, susciter un écho. Entre le pays d’avant et l’horizon des possibles, le poète sera toujours là pour faire danser les mots, dire la vérité de sa terre, toucher le cœur des hommes. »* *Prière d’insérer de la future anthologie

épisodes

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La Maison Célières

La Maison, celle d’hier… par Roland Rossero

Visible et lisible depuis la rue, signalée aux passants par des lettres forcément nobles, la Maison Célières, joyau patrimonial trop longtemps délaissé, a fait peau neuve pour devenir la Maison du Livre de la NouvelleCalédonie. Une rénovation matérielle, doublée d’un carrefour d’échanges, pour relier tous les passionnés qu’ils soient auteurs, épisodes

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éditeurs, libraires, lecteurs ou artisans du livre, et, aussi, pour attirer le grand public qui en fera sa résidence secondaire, voire primordiale. Depuis peu, donc, l’écrivain habite au 21, mais pas seulement, car ce numéro de la rue du Port-Despointes, au Faubourg Blanchot, est un lieu pour tous et pour tous les états du livre. Cette référence d’impénitent cinéphile que je suis


pays

bas, ses ferrures rouillaient, ses planchers béaient, ses murs « termitaient », ses fenêtres s’aveuglaient, son jardin broussaillait à un tel point que mon esprit facétieux, toujours à la recherche de jeux de mots, l’avait surnommée : la Maison Jachère. La vieille dame déchue gardait cependant une certaine noblesse, telle une princesse séculaire dans la gêne dont les haillons n’arrivent pas à ternir une beauté fanée. Malgré cela son cœur continuait de battre, ses hautes herbes bruissaient de jeux d’enfants, des odeurs de cuisine et des fumées s’échappaient de ses entrailles, bref ! elle était habitée, humainement parlant. C’est vrai qu’on y entendait des cris, des rires et des disputes, ses couloirs éventrés résonnaient de vie, même si c’était celle de squatteurs. Mon sang de cinéaste amateur n’avait fait qu’un tour (de manivelle) et, à cet instant, j’avais pris la décision de la filmer afin d’en garder une trace. Un matin, après plusieurs semaines d’hésitation liée à la présence des habitants temporaires du lieu, j’ai capturé les images de sa déchéance. Coïncidence, acte manqué ? Toujours est-il que le jour du tournage, elle était déserte, vraiment abandonnée de tout représentant humain. Sûrement par arrêté municipal. Avec mon œil artificiel, j’en fis le tour, l’enregistrant sous toutes ses nombreuses coutures, dues aux intempéries et

aux blessures du temps. Tout en filmant cette villa fantôme, j’enrageais : pourquoi l’avait-on abandonnée ? Pourquoi accepter la construction onéreuse de bâtiments à la modernité laide et la laisser s’étioler derrière ses grilles rongées d’humidité ? Évidemment, je ne connaissais pas les arcanes juridiques liés à ses droits de succession, ni le coût de ses réparations, pas plus que le combat, depuis des décennies, d’associations voulant ardemment sa reconstruction. Une fois ces images en boîte, j’écrivis, rapidement et sous la colère, un scénario sur l’immobilier et ses spéculations.Le titre était La chute de la Maison Jachère,

en hommage à Edgar Allan Poe et à l’adaptation cinématographique, qu’avait fait Jean Epstein en 1928, de sa célèbre nouvelle La chute de la Maison Usher. Sur des images tournées de constructions modernes défigurant Nouméa, je fis lire les premières lignes (en voix-off) du texte original de Poe par un comédien, en modifiant quelques mots afin de l’adapter à notre époque. Cet extrait, où le narrateur est saisi d’effroi devant la lugubre demeure, collait à un kaléidoscope de maisons bétonnées sans âme, de bouquets de grues disgra-

cieuses.

épisodes

fait évidemment appel au célèbre film « L’assassin habite au 21 », réalisé par Henri-Georges Clouzot en 1942. Si dans cette perle du cinéma français on parlait de meurtres, de destructions physiques, la réfection de ces locaux chargés d’histoire est, au contraire, synonyme de renaissance et même de résurrection. Au livre calédonien si prolifique, il manquait un toit, un lieu convivial et, littéralement, une solide couverture pour l’abriter. Un événement attendu par beaucoup et qui s’est traduit par la visite de trois mille personnes lors de la journée portes ouvertes du dimanche 8 mars 2009, une date rythmée par les va-et-vient du petit train dans les rues du Faubourg. Accueillis par l’association Témoignage d’un passé et ses membres habillés à la mode d’un autre siècle, les visiteurs ont pu admirer des objets d’époque et d’anciennes photos, liés à la mémoire des propriétaires d’antan. C’est avec curiosité que je les ai examinés, ma mémoire de cette bâtisse ne remontant qu’à 2002, date de mon installation en famille à Nouméa. Habitant à quelques battements d’ailes d’un vol d’oiseau et adepte de la marche à pied pour m’imprégner d’un nouvel environnement, je l’avais remarquée d’emblée, dès les premiers jours de notre enrochement dans le quartier. Son état était pitoyable, elle était trouée du haut jusqu’en

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La Maison Célières Puis, sur les images de la Maison Célières délabrée, je lisais (toujours en voix-off) de fausses publicités immobilières, vantant des appartements flambant neufs (rappelons que la Maison Usher se consume dans un terrible incendie à la fin). Le contraste et le décalage entre textes et images se voulaient ironiques, mais hélas le court-métrage, une fois monté, n’était pas à la hauteur de mon ambition

première. Dernièrement, fin 2008, j’ai tourné un court beaucoup plus professionnel et construit, si j’ose dire, dans lequel une saynète a pour décor la Maison rénovée. Dans cette séquence, deux personnages d’anciens squatteurs apparaissent et ce n’est pas un hasard si l’écriture de mon scénario a « relié » inconsciemment mes souvenirs imagés de sa décrépitude et la renaissance du lieu. De la

Maison, celle d’hier, est née la nouvelle Maison Célières. Finalement, la jachère est un mal pour un bien à venir, elle laisse le sol se bonifier pour l’éclosion de nouvelles cultures. Ici, la culture multiple et multiforme de la littérature. Et quand bien même la jachère de la Maison aurait duré un peu trop longtemps, nul doute que sa seconde vie sera définitive. Délivrée par des livres, quoi de meilleur !

Le Petit Bois des soupirs par Jean Marie Creugnet

Les voitures de place… voitures particulières : buggy, sulky, charrette et autres, landau ou victoria… faisaient, ce jour-là, la queue pour traverser le Creek de la tannerie, sur la route de Magenta. Les cochers y allaient avec précaution après les pluies

épisodes

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diluviennes du début de la semaine. Thomas Célières avait une raison supplémentaire d’éviter tout écart à son attelage : sa jeune femme, Marie Ohlen, attendait un bébé pour le mois de décembre 1906. À six mois de grossesse, la belle Marie n’avait pas très envie d’aller s’exposer à l’hippodrome de Magenta, mais son mari, qui était en pourparler avec Albert de Gaillande pour entrer au Service des Contributions, avait insisté en prétextant la nécessité, pour y parvenir, d’avoir une vie sociale basée sur des relations suivies et ciblées avec des

gens de la bourgeoisie calédonienne. Le fait d’avoir eu pignon sur la rue d’Austerlitz depuis sept ans ne suffisait pas. Dans la tribune, où guirlandes et oriflammes battaient au vent de la mer à peine atténué par les grands palétuviers blancs, Marie ne dépareillait pas parmi les belles dames et demoiselles au chapeau fleuri de rigueur, pour protéger efficacement le teint de leur visage du méchant soleil de la fin septembre. Sa joie fut à son comble quand Blanche Ducasse, épouse de Joseph Cheval, gravit les marches jusqu’à sa


pays

qui montait aux joues de son amie, tandis qu’en son for intérieur, celle-ci revivait quelques scènes de la fin de son adolescence. Un jour de fin janvier 1901, Joséphine Durand épouse Henri Ohlen, envoya sa fille Marie en ville pour choisir, à la mercerie Ballande, un tissu à son goût, en vue de lui confectionner une robe d’été. Marie avait dix-sept ans, elle avait hérité de la nature opulente de ses parents des avantages distinctifs corporels qui ne laissaient pas indifférente la gent masculine. En passant rue Austerlitz,

elle faillit buter contre un « gentleman » qui fumait le cigare avec un ami, sur le

... l’imagination féconde de Marie fit rapidement le tour de la question...

trottoir devant un magasin « general store », comme il en existait des dizaines en ville à cette époque. — Pardonnez-moi, belle demoiselle, fit Thomas Célières en retenant fermement Marie

Ohlen par le bras, avant qu’elle ne trébuchât réellement sur le sol inégal de la devanture de sa boutique. Marie se confondit en excuses à son tour, mais accepta tout de même ce que ce commerçant de trente ans lui proposa : — Venez vous asseoir une minute à l’intérieur, Mademoiselle, venez donc vous rafraîchir et réparer les méfaits de cette chaleur estivale. En buvant quelques gorgées d’un verre d’eau aimablement offert par le galant homme, Marie entendit une tirade qu’elle n’oublia jamais. Cet homme était né à La Réunion un 26 juin. Il avait eu la chance de faire des études de pharmacie à Paris, mais le service militaire l’avait amené en Nouvelle-Calédonie à vingt ans en 1891 pour trois ans. Le pays lui plut. Démobilisé sur place, il n’eut pas l’opportunité de poursuivre son parcours de pharmacien. Il entra dans le commerce dès épisodes

hauteur et sollicita une place à côté de son amie du cours ménager de la fin des années quatre-vingt-dix à Nouméa. Toutes deux mariées depuis peu, il fallait des occasions comme celle-ci pour qu’elles aient l’opportunité de papoter sans être accaparées par les tâches ménagères que leur imposaient chaque jour la tenue d’une maison et le contentement d’un mari, commerçant ou entrepreneur, exigeant une présence à domicile à n’importe quelle heure du jour pour honorer des passages impromptus. En évoquant leurs souvenirs communs, du temps où le célibat nourrissait par fantasmes interposés des espoirs idéalisés d’amours printanières à l’eau de rose, Blanche rappela à Marie le fameux pique-nique de 1901 à Magenta. — Tu te souviens de cette magnifique journée organisée par les garçons, anciens élèves de l’École Communale : Michel Cacot, Henri Brock, Élie Cormier… à laquelle nous avions été conviées par nos prétendants de l’époque ? Étais-tu déjà avec Thomas Célières ce jour-là ? Marie sourit… L’arrivée du Grand Prix, applaudie par les spectateurs debout pour mieux en profiter, lui laissa un répit durant lequel Blanche put observer le rose

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La Maison Célières 1895 et mit suffisamment d’argent de côté pour acheter un terrain au Faubourg Blanchot et y construire une jolie maison avec jardin. — Vous pouvez la voir de la route, si vous allez vous promener du côté du Port Despointes, dit-il en fermant la parenthèse. La curiosité poussa Marie Ohlen à s’y faire conduire, quelques jours plus tard. En effet, à la différence des petites maisonnettes alentour, celle de Thomas Célières était suffisamment éloignée de la route pour laisser place en devanture à un immense jardin planté de fleurs et d’arbustes. L’imagination féconde de Marie fit rapidement le tour de la question. Voilà un homme mûr bien différent des galants à peine sortis de l’adolescence, qui lui faisaient la cour à tous les bals. Il avait fait son chemin à la Capitale et ferait bientôt partie des notables de la Ville. Alors !… Thomas Célières lui parut beau... — Hé ! Marie, tu rêves ? intervint son amie Blanche Ducasse, redescends sur terre… étais-tu déjà avec Thomas Célières le jour du pique-nique de Magenta ?

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Cinq ans s’étaient écoulés depuis ce jour mémorable,

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Marie Ohlen devenue Marie Célières en décembre 1903, n’avait oublié aucun détail. Elle avait revu plusieurs fois son « Thomy » au magasin, avant qu’il ne se décidât à l’inviter à sortir avec lui en promenade, au parc ou au pique-nique à Magenta. — Ne vous faites aucun souci, avait-elle assuré au trentenaire, je me fais fort de trouver le chaperon le plus permissif de la ville… Marie pensait à son jeune cousin Charles Ohlen en pension chez eux pendant

... le soleil du mois de mai, complice des amoureux, réchauffait en douceur les corps...

sa scolarité. Elle en dit deux mots à sa mère qui la renvoya à son père John-Henry, dit Henri, pour une autorisation définitive. — Nenni ! Ma fille. Tu es très futée, je l’avoue, mais sache que je ne suis pas dupe ; à sept ans, Charles n’a pas encore les qualités d’un vrai chaperon. Demande

plutôt à ton frère Jean, cela fera plus sérieux aux yeux des gens. Jean Ohlen avait dix-huit ans. Son père ne se doutait pas que le cœur de son fils aîné était déjà occupé par la présence virtuelle mais constante d’une jeunette « à l’accin-qui-chane-te »... En revanche, Marie le savait. C’est pourquoi elle fit mine d’être un peu contrariée, pour donner le change, tout en se frottant les mains de joie hors la présence de son père. De toute évidence, si la belle phocéenne venait à Magenta pour l’occasion, Jean n’aurait d’yeux que pour elle et laisserait une paix royale à sa petite soeur. Marie en informa Thomy et il fut convenu d’un départ de ville pour le pique-nique à sept heures du matin. Sur la banquette du buggy, Marie trônait à côté de son cocher préféré ; dans la benne, sur les banquettes latérales, Jean avait pris place… Et le cousin Charles Ohlen aussi  : on lui devait bien ça ! Comme prévu, Thomy et Marie passèrent la majeure partie de la journée à roucouler du côté du petit bois des soupirs, bien loin des yeux des chaperons, trop occupés eux-mêmes. L’un à jouer avec les copains d’école, l’autre à déjouer


pays

doigt, fécondée de bonheur. Mais que pouvait-il bien te raconter, questionna Blanche, pour que tu sois rivée à ses lèvres. Marie sourit encore.

accorder la grâce d’attendre un enfant, au bout de trois ans. Thomy se plaît à dire avec humour : cet enfant à naître sera un « poème » ! Toutes les personnes qui ont

— Mon Thomy est un érudit, un amoureux des belles lettres. J’ai été subjuguée quand il me récita avec tant d’expression, le jour du pique-nique, des poèmes de José-Maria de Hérédia. Thomy travaille tard le soir au magasin. Mais cela va changer quand il aura sa place au Trésor, grâce à Albert de Gaillande. Depuis notre mariage, chaque soir au coucher, il me lit de belles pages de la littérature française. Cette pratique n’est pas propice à l’éclosion de la vie, mais elle réjouit tellement notre esprit que Dieu a bien voulu nous

bien connu Renée Célières savent que la prophétie de son père s’est réalisée... (Extrait de Errata, Jean-Marie Creugnet, Éditions Paterna Paternis, 2010)

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l’attention du pion attaché à la surveillance de sa cigale. Que ceux qui ne l’ont jamais fait osent leur jeter la première pierre... La guerre des Poyes, que le gouverneur Feillet était en train de résoudre contre Amane dans la chaîne calédonienne, était bien loin des préoccupations des piqueniqueurs de Magenta, le soleil du mois de mai, complice des amoureux, réchauffait en douceur les corps et les coeurs. L’alizé avait laissé place à une brise légère qui poussait les vagues, cassées par l’immense haut-fond, à venir clapoter une musique douce sur la grève, où le varech jonchait le buffalo de ses filasses orangées comme des fleurs fanées. Thomy parlait… Marie buvait ses paroles… La communion des cœurs, associée à l’œuvre océanique et au tableau du Mont d’or dont le bleu lointain se détachait sur l’azur du ciel austral, leur procurait une extase spirituelle proche de l’euphorie charnelle. À dix-sept ans il en faut peu !… Que dire du trentenaire ? Thomas Célières en perdit l’appétit. Le bourdon virevoltait autour de la reine au parfum suave. Il ne rêvait plus qu’à la conduire à la ruche du Faubourg Blanchot, la bague au

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Sculpture sur prose

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© Eric Dell’Erba 2009

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Poèmes à l’honneur à La Maison du Livre, le temps d’une exposition au concept novateur, une idée du poète québécois Jacques Rancourt, relancée à Nouméa par Anne Bihan. Le principe est simple : le poète doit partir d’un texte de prose et en extraire plusieurs mots qui, mis bout à bout, donneront vie à un poème de son cru. Pour corser les choses, le poète est obligé de respecter l’ordre d’apparition des mots dans le texte en prose. Les textes d’origine sont divers et les résultats souvent stupéfiants. Quelques exemples…


sculpture sur prose

Fléau la pulsation intime De l’invisible Pénétrer la pénombre tirer Quelques vignettes cliniques Longer gouffres déserts Jungles psychiques Les eaux de surface Nous éloignent Sous l’emprise des virvoucheurs ?

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Anne Bihan D’après Le voyage intérieur, par Joseph Macé-Scaron, éditorial du Magazine littéraire de juillet-août 2008.

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Émilie Petit baiser L’été dernier Engouement innocent Batifolages orphiques L’âme Soeur des esprits S’élance Vers les dieux Magicienne Qui emprunte Au poète Sa nature première Enchantements mystérieux Calice de miel et de rosée Les belles saisons Sont de velours d’azur Dans la moiteur des mangroves

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Claudine Jacques D’après Sur les papillons, Chronique de Gérard Oberlé, Lire, été 2008

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sculpture sur prose

Samir Bouhadjadj D’après la préface de Dominique Jouve pour Le Marcheur insolent, de Frédéric Ohlen.

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Pour toute feuille donnée, Qu’on plaque contre son nez Quel plaisir Pur, simple, inviolable Le pouls même de l’être Les cinq sens Habiter le pays Expérience authentique Au labyrinthe L’extase spirituelle et charnelle.

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Bourail Les plages De roches tourmentées Ourlées d’écume Attirent Sous l’oeil moqueur Des surfeurs Au creux d’un amphithéâtre de pins Le bonheur Des ombrages.

Mireille Rolly

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D’après Le Globe-Trotter Nouvelle-Calédonie, 2008-2009.

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sculpture sur prose

1968 est une révolte Un télescopage entre Un système Et Une nouvelle génération. Gifles À l’école communale, Aller chez le coiffeur C’était cela le monde. Besoin de s’émanciper !

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Roland Rossero D’après Forget 68 de Daniel Cohn-Bendit, entretiens avec Stéphane Paoli et Jean Viard, p. 10, 11 et 12.

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Longtemps Les pensées Dans le silence de la nuit Les souvenirs Sans une interruption Le vertige de voir Le sommet peu praticable Et Sous mes pas Ce passé qui descendait si loin Mon oeuvre Occupant une place si considérable Dans le temps.

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Tristan Derycke, D’après la première et la dernière page, le premier et le dernier mot de La Recherche du temps perdu, de Marcel Proust.

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sculpture sur prose

La première fois, Il a passé par la fenêtre, Tous mes élèves. Plus tard encore, Il avait étouffé un martien. J’avais les jambes qui flageolaient. Trouille ou joie ? Je ne sais pas.

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Alain Mardel D’après Huit monologues de femmes, de Barzou Abdourazzoqov.

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Stéphanie Ariirau Je m’appelle Ariirau, plus précisément Stéphanie Ariirau née Richard, épouse Vivi. Mon nom d’auteur Ariirau est en fait mon prénom tahitien, que m’a donné mon arrière-arrière-grand-mère, Aroatua Richmond, femme de Kaukura, des îles Tuamotu. Il signifie « reine/ roi/seigneur » (Arii) « de toutes les îles » (Rau). Je suis tahitienne, et blanche, je tiens à l’écrire parce que lorsqu’on me voit, on a du mal à le croire. Ma mère est polynésienne et mon père est français. D’ailleurs j’aime à dire « bien malheureux le peuple qui fait de ses enfants des étrangers parce qu’ils n’ont pas la même couleur de peau que leurs ancêtres. » Je suis née à Pirae, à Tahiti, et j’ai passé mon enfance dans un village de la Mayenne, en France. Occasionnellement, je retrouvais mon pays natal et ma grand-mère. J’ai grandi heureuse mais dans la nostalgie d’une île, que j’ai souvent pleurée, et personnalisée. Je suis partie aux États-Unis, à l’âge de vingt-quatre ans, poursuivre des études et j’ai découvert un monde qui me convenait, par ses extrêmes et par son milieu : ses extrêmes, parce que c’est le pays des excès et des différences, et son milieu, parce qu’il se trouve au centre de deux points d’attache : Tahiti, île mère, et Argentré-France, terrepère. J’emménage à New York le 1er septembre 2001, et je pars vivre à Tahiti en septembre 2005. Entre temps, j’écris deux romans et j’en épisodes

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commence un. Je ne me souviens pas n’avoir jamais écrit, dans ma vie. Écrire est un de mes sens. On mange pour vivre, j’écris comme je mange, comme je respire, pour vivre dans un ailleurs, faire vivre d’autres voix. Souvent, quand je me relis, je ne me reconnais pas. C’est étrange. C’est un réflexe vital que je n’explique pas, que je ressens. J’écris depuis l’enfance, depuis toujours. Je n’écris pas par intérêt, ni pour être ici et là, je n’aime pas parler de moi, je ne suis guère douée pour me vendre, d’ailleurs on écorche souvent mon nom, Ariirau. Ce nom, je ne l’ai pas choisi, c’est comme l’écriture. Les écrivains ne sont pas faits pour palabrer, pour s’expliquer. Ce sont des voyageurs sans frontières, ils vivent sur une autre planète et reviennent sur terre, soit par obligation soit pour s’inspirer. Quand on me demande si Matamimi a vécu, si c’est ma fille, je suis heureuse, ça veut dire qu’elle a existé dans la tête de quelqu’un d’autre. J’aime ouvrir le livre, oublier ce qui m’entoure, entrer dans la bulle des autres, et peu m’importe l’auteur, ce sont les personnages qui m’attirent. J’écris aussi pour ne pas crier, sur des choses de la vie qui font honte, ou mal, j’écris pour dire que j’aime ce qui est vivant, et que rien ne meurt jamais dans l’écriture. J’écris parce que je suis persuadée qu’entre les pages, il y a de la vie. J’écris, tout simplement, par instinct. d


nouvelle

Aroatua

Ils ont placé le corps du petit Temahana au centre de la cuisine, sous terre, à l’intérieur du fare, parce qu’ils ne voulaient pas se séparer de lui. Aussi sans doute, existait-il un sentiment de culpabilité, de ne pas avoir pu préserver la vie d’un enfant qu’on leur avait confié. Le père géniteur, famille Richmond, lorsqu’il apprit que les Maire avaient enterré son fils dans leur maison, est arrivé chez eux, bien enragé, avec la ferme intention de reprendre Aroatua. La vue de leur souffrance a balayé

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- adoptée

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- maison 3- Petite-fille

toutes ses intentions, il est retourné sur ses pas en laissant derrière lui, sa fille. Parce qu’Aroatua était tout ce qui leur restait du goût de la vie. Aroatua était une enfant qui, je l’imagine, parlait peu, mais lorsqu’elle parlait, c’était en tahitien. Maman, lorsqu’elle vient à Tahiti, prie en tahitien, pour lui souhaiter la paix et le repos, pour lui dire qu’elle conserve la gratitude envers elle, de son enfance et de l’éducation qu’elle a reçue. Gratitude, pour ces biberons d’huile de foie de morue, la cueillette du coton, les cannes à sucre, gratitude pour les tâches à la maison, pour la préparation du café qu’elle grillait tous les matins très tôt, qu’elle moulait pour Aroatua et le chef de famille, Georges Poroi. Gratitude également pour sa vie de jeune femme, lorsqu’elle était hôtesse sur les lignes interinsulaires et qu’Aroatua et Tihoti l’attendaient aux descentes d’avion, car ils voyaient d’un mauvais œil l’intérêt des hommes pour les jeunes hôtesses de l’air. Très protecteurs et très exigeants, mais très aimants de leur mo’otua3 blonde, ma mère. Aroatua vivait avec son époux, Georges Poroi, dans une maison, où, jusqu’à l’arrivée du CEP, il n’y avait pas de frigidaire. Mais comment faisiez-vous pour le lait ? On vivait bien, on ne tombait jamais malade, le ma’a était toujours frais, répond ma mère. C’est Aroatua qui nous a donné les prénoms que nous portons. Aroatua a choisi, pour ma épisodes

Alors qu’ils jouaient tous les deux près d’une rivière, Aroatua vit son petit frère, Temahana, mourir sous ses yeux, d’une crise d’épilepsie. À cette époque, l’épilepsie était encore un mal incompris. Le sentiment d’impuissance de voir son petit frère s’étouffer sans pouvoir rien y faire, a certainement tracé le destin de mon arrière-arrière-grand-mère, qui vécut assez longtemps pour me voir naître. Aroatua Richmond est née en 1886 à Kaukura. Enfant d’une grande fratrie, elle eut le destin d’une fille unique, en étant fa’a’amu1, avec son frère Temahana, par le couple Maire qui ne pouvait pas avoir d’enfants. Ils vivaient du côté de Fare Ute. Tellement saisis de chagrin, ils prirent le corps de leur fils et l’enterrèrent à l’intérieur du fare2, dans la cuisine. Ils pleurèrent et pleurèrent, tandis qu’Aroatua, elle, s’était emmurée dans l’image des derniers instants de son frère qu’elle n’avait pas pu sauver.

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Stéphanie Ariirau

épisodes

mère Teioa...i, c’est un prénom sacré, très long, qu’elle nous a légué, qui nous appartient, que nous retrouvons dans notre généalogie, jusqu’en 1859, toujours porté par des femmes. Aroatua est la mère de Benjamin Poroi, mon grand oncle, dit « tamin » pour les amis, dit « tonton Ben » pour moi, il vit à Faa’a. Dans notre culture, celle des silences pour les autres et des palabres entre nous, je confesse la fascination que j’éprouve envers mon aïeule. À sa mort, ils ont brûlé tous ses vêtements, parce que c’est aussi dans notre tradition de ne pas conserver ce qui appartient aux morts. Encore moins ce qui appartenait à Aroatua qui avait un don particulier. Le Feu n’atteindra pas Aroatua. Mamie a récupéré du feu un manteau de soie, doublé, au col Mao, d’une telle épaisseur, d’une couture si serrée, si précise. Le feu avait percé quelques endroits de la parure presque royale d’Aroatua, qui vivait pourtant dans un bien modeste fare, et que j’ai retrouvée, en 2006, fourrée dans un sac poubelle de la maison de mon frère, sans doute à cause de l’humidité. Par instinct, j’ai confié le manteau de soie à ma mère, sachant qu’elle l’emmènerait loin d’ici : en novembre 2006, la maison de grand frère brûlait et nous perdions tout dans l’incendie, clichés des années quarante, tifaifai4 cousus à la main par notre tupuna5, tifaifai bien conservés qui avaient plus de trente ans d’âge, manuscrits et lettres, bibliographies, diplômes et interview de thèse, photos encadrées, livres dédicacés et disques vinyl, les livres de Matamimi, mes archives de journaux, les peintures et poèmes de notre frère aîné, la vie de plusieurs générations calcinée en trente minutes. Rien n’a résisté au feu, sauf, étrangement un petit morceau de dalle, à l’entrée de la maison, sous laquelle le grand-père Galenon avait enterré les placentas de mes frères.

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- Patchwork tahitien 5- ancêtre 6- Que m’as-tu légué ?

Il ne nous restait que les vêtements que nous portions. Toamiti n’a plus parlé pendant une semaine. Et le manteau de soie d’Aroatua n’avait pas brûlé, il était auprès de ma mère. Dépossédée de tout, des terres, d’un toit, d’un passé et d’une langue, je pensais à ce que m’avaient légué mes aïeux: E aha tā ‘oe i tu’utu’u nā ‘u ? 6 Avant de confier cet objet centenaire à des mains protectrices, je l’ai essayé, et en le mettant, j’avais palpé l’existence d’Aroatua. De savoir qu’elle avait été matière, quand je ne la connais qu’esprit, la transgression était trop tentante d’entrer dans la parure de mon aïeule. Je me suis toisée dans ce manteau de soie qui descendait jusqu’aux genoux. Ses fils dorés noyés dans l’émeraude et surtout l’épaisseur du doublage donnaient cette impression de carapace, presque d’un vêtement de guerrier, pourtant si féminin. En portant cette blouse, quelques minutes, je voulais qu’elle sache que j’existais à travers elle et que je l’aimais, que c’était la seule chose d’elle qui me restait. Cette brève transgression fut naïve mais certainement pas irrespectueuse. Aroatua était menue, mais elle avait en elle une lucidité et un esprit de persuasion puissants ; ce qu’elle souhaitait, elle l'obtenait. Ce qu’elle voyait en rêve, se réalisait aussi. C’est ainsi qu’elle me fascine, tant ce qu’on me raconte d’elle, témoignages de ces gens qui ne mentent pas, m’inspire l’envie de perpétrer sa mémoire. Un jour, un homme avait fait souffrir ma mère ; Aroatua, en colère, avait crié en tahitien : « Tu te casseras le bras, cette semaine ! ». L’autre était parti en lui riant au nez. Il s’est cassé le bras dans la semaine et il n’a plus cherché à revoir Aroatua. Il peut en témoigner encore aujourd’hui : il vit dans le quartier de la Mission. Parce qu’Aroatua était vraiment exceptionnelle, il est très difficile de comprendre aujourd’hui la banalité de ma vie, ce commun


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Quarante années passées après ce rêve, la prophétie d’Aroatua s’est réalisée pour chacun de nous trois et en octobre 2 000, après avoir renoncé, à contrecœur, à l’héritage de ma grand-mère, poursuivie après sa mort, par des corbeaux de médisance et des créanciers qui profitèrent de notre peine et de notre éloignement pour secouer des fausses factures, je suis devenue étrangère sur ma propre terre. Accueillie aussi, après quinze ans d’absence, comme une étrangère par les gens de mon pays. E aha tā ‘oe i tu’utu’u nā ‘u ? Comme rien ne se fait jamais au hasard, toi qui accueilles les enfants des autres dans ta maison, qui les nourris comme tes propres enfants, veille à ce qu’ils ne te fassent pas ce que les autres nous ont fait à nous. Ainsi, Georges Poroi avait dit à sa petite fille, Léa, lorsqu’elle était revenue à la maison, avec dans les bras, l’enfant d’une autre femme : « Tu ne prends même pas soin de ta propre fille et tu veux élever les enfants des autres? Ton geste, c’est ta descendance qui le paiera cher. » Le vieux Poroi ne pensait pas si bien dire. Finalement, notre histoire, c’est celle de notre pays, un pays qui a tout donné à l’autre, qui a délaissé ses propres enfants. Un pays qui a donné des terres, qu’il doit racheter aujourd’hui, comme ce qui est

en train de se passer là-bas, à Uturoa. Aujourd’hui, combien d’entre nous doivent acheter la terre, pour être chez soi ? Il n’y a pas de place pour l’amertume dans nos cœurs, car le legs le plus précieux est celui de la mémoire. On ne peut pas la brûler, ni la voler. E aha tā‘oe i tu’utu’u nā‘u ? Mon ancêtre à moi, s’appelait Aroatua. Et ton ancêtre à toi, comment s’appelait-elle ? Aroatua Richmond, fa’a’amu Maire, épouse Poroi, a légué à l’enfant de sa 4ème génération, un beau manteau de soie. Une existence retransmise par écriture, dans une ère de la banalité et du commun, noyée dans les mondes parallèles où aucun destin, aussi exceptionnel soit-il, ne peut vraiment percer... Aroatua, E aha tā‘oe i tu’utu’u nā‘u ? Un pays et quelques rêves auxquels je m’accroche. Un pays que je n’abandonnerai pas, comme j’ai pu, par lâcheté, abandonner tout le reste...

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épisodes

de nos petits destins et cette impuissance qui ressort quotidiennement de nos actes. Elle fit un rêve étrange qui l’avait beaucoup perturbée et elle avait dit à ma mère que ses enfants seraient traités comme des étrangers sur leurs propres terres. En espérant contourner le destin, Aroatua a fait en sorte qu’aucun de nous trois n’hérite de terres aux Tuamotu. Mais aussi doué soit-on en prédiction et en paroles fatales, on n’efface pas l’écriture de nos vies et ce qui doit être sera.

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Le slameur… Boukman Thonon

Boukman Thonon

Certains disent que je suis un slameur, encore un d’ces rimeurs, comme le disent les rumeurs Il est vrai qu’j’aime les rimes et qu’elles me tiennent à cœur, mais c’est pas pour la frime, plutôt pour leur chaleur Car les rimes que j’exprime ont en prime leur ampleur, parfois elles te chagrinent ou bien te rendent rieur Il y a celles qui subliment mes messages de rêveur, et puis celles qui s’abîment sur des pages sans valeurs

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Je n’ai pas dans les mains quelque style novateur, je n’m’appelle pas Merlin, je n’suis pas enchanteur Loin des phrases assassines ou bien des mots moqueurs, j’préfère les phrases divines et les mots salvateurs J’aime parler d’évangile et puis de mon Sauveur, de ses paroles agiles toujours pleines de saveur J’aime bien parler d’amour et bien moins de rancœurs, parler avec humour plutôt qu’parler d’malheur

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slam

J’suis un gars sans histoire, tout comme le pleurnicheur, j’ai mes peines, mes déboires, mes sourires, mes bonheurs Quand il s’agit d’rêver, j’suis un grand voyageur, je rêve que le mot « paix » prenne la place du mot « peur » C’est pas gagné, j’le sais, donc je reste songeur, m’immerge dans mes pensée à la façon d’un plongeur Et quand j’refais surface, même si j’ai l’air farceur, j’remplis des pages en masse pleines de traces d’effaceur Je me souviens qu’en classe, pour certains professeurs, je n’avais pas la classe d’un élève travailleur J’aimais pourtant les lettres, j’en appréciais chaque heure, puisqu’au fond de ma tête elles trouvaient leur demeure J’aimais bien moins les chiffres, les longueurs, les largeurs, faisaient l’effet d’une gifle dans mon crâne d’amateur Du coup, écrire des textes devint mon seul labeur, j’avais tous les prétextes pour devenir chanteur J’ai chanté par moment et selon mes humeurs, j’étais rasta avant, et aussi un peu rappeur J’ai jamais eu l’regard ou l’sourire ravageur, en c’temps-là je n’allais jamais chez le coiffeur Depuis tout a changé, j’ai même trouvé l’âme sœur, la vie me montre en vrai toutes ses plus belles couleurs Mes ch’veux sont mieux coupés, mon style de vie meilleur, et j’ai même deux bébés qui font tout mon honneur J’écris de plus en plus, toujours autant de vers, et j’suis passé des heures à des journées entières J’m’amuse avec les mots, jusqu’à c’qu’ils fassent la paire, avec mon stylo, mon plus fidèle compère Et quand j’perd mes repères, que la fatigue opère, j’me dis faut qu’j’me tempère, mon inspiration s’altère Mais comme toujours j’libère mon esprit et l’aère, pour ça y’a pas d’mystère, il suffit d’changer d’air

épisodes

J’suis toujours à l’affût de nouvelles atmosphères, j’croyais avoir tout vu mais en fait il s’avère Que dans l’univers slam je suis bien loin derrière,

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Le slameur

mais peu importe je clame quand même ce qui m’est cher Je chéris mes croyances et couvre mes arrières, ma foi est mon essence mais le mal prolifère Alors je garde patience même quand tout est amer, avec persévérance, sérieux dans mes affaires Mais bon j’vais pas non plus rester sérieux pour plaire, retrouvons une ambiance beaucoup plus familière Je n’suis pas un phraseur, juste un gars simple et clair, je manie mieux l’marqueur que le sabre laser Parce que j’dessine aussi des scènes peu singulières, la gouache est mon amie la plus particulière J’ai jamais rien vendu, mes toiles prennent la poussière, p’t’être qu’un jour j’s’rai connu, qu’j’irai en Angleterre D’ici là j’continue mes éternelles croisières, celles que j’fais chaque matin, le même itinéraire Direction le boulot pour une journée entière, après quoi mon cerveau doucement se régénère Moi j’ai besoin d’repos, besoin d’faire mes prières, et même si je vise haut, jamais je n’exagère J’suis déjà pas costaud, je n’soulève pas d’haltères, faudrait pas qu’je pousse trop pour en finir par terre

épisodes

Je n’pars pas à l’assaut dans une quelconque guerre, ni ne suis le héros d’une histoire légendaire Un jour j’irai là-haut, vivre auprès de mon Père, mais il est bien trop tôt, pour ce voyage éclair J’suis pas au top niveau, mais mon slam a du flair, et même s’il fait défaut, rien ne peut le défaire J’ai encore plein de mots dans mon vocabulaire, dont je vous ferai cadeau un autre jour j’espère…

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Lavez Maria

Laurent Ottogalli

Comme mon ex-femme déménageait pas mal, Elle a fini par s’faire la malle…, normal Alors, j’me suis mis en ménage… avec ma femme de ménage Ne l’prenez pas mal, mais elle est pas mal, Elle est bonne, à tout faire, À tout prendre, une affaire, Pour vous la faire, Vous pouvez repasser Elle planche… mais elle n’s’froisse jamais Elle rayonne…

épisodes

Devant l’évier quand elle fait la plonge Vous la verriez, moi je jette l’éponge Je rends mon tablier, le remords me ronge Son p’tit tablier est en tissu éponge Impec’, parce qu’elle éclabousse Les deux mains dans la mousse Faisant la vaisselle du jour, en douce Elle me fait oublier qu’j’ai pas lavé celle d’hier Une douceur infinie, Un peu poète, moi, je m’occupe des verres, Dès qu’elle aura fini, J’pourrai r’mettre le couvert

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Lavez Maria

À la cuisine, ma cocotte, elle fait tout, Une vraie sauteuse, elle est partout, Au poil, des poêles, elle passe à la casserole, Une vraie « t’es folle » Mais tellement attachante… À genoux, élégante, toute en plastique, Elle prend des gants, et le four elle astique, Non, en fait, elle fait pas tout, Si elle fait plus tapisserie, n’en parlons plus, Elle fait pas non plus de pâtisserie En sablés, ma portugaise, Elle n’y entend rien, Elle a beau feuilleter des livres de recettes, Elle reste brisée, le rouleau à la main Alors, tout c’qui est pâte elle écarte Elle est un peu tarte Elle n’est pas très maline J’la roule dans la farine Sur la table d’la cuisine Et pendant qu’elle s’échine J’en profite, j’la taquine J’mets la main à la pâte… Devant sa machine à laver, Maria, elle s’étend Nue, normal, ses dessous sont dedans, Détachée, elle fait la lascive, se détend, Attendrissant, adoucissant, des reins sages Elle attend qu’elle essore, elle les sort, me les tend, Faut pas la laisser choir à c’t’instant, j’la soutiens, Je lui donne un coup de main, la main à la corbeille, Ils ont un goût de miel : imaginez l’essaim… les abeilles…

épisodes

Quand elle passe le balai, une maîtresse de ballet Un vrai rat d’opéra, qui vivra verra Elle vit elle danse, c’est une évidence Elle n’aspire à rien de plus C’est ça qui est bien en plus Et quand elle s’accroupit

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slam

Ramasser la poussière Moi, je me fais tout tapi Et je baisse les paupières… Je lui déroule la pelle, Elle, la balayette Là, je la trouve bien belle J’en perds pas une miette… Et quand elle fait les vitres, Là, j’me tiens à carreaux Surtout pas faire le pitre, Sur le dernier barreau, Tout en haut de l’échelle, Elle tire la langue, elle s’applique, Et comme il se doit, Elle veut plus qu’j’mette les doigts, Alors, elle chope la tringle, et raccroche les rideaux… Moi bien droit, je suis debout à l’escabeau, Je lève les yeux au ciel, regarder s’il fait beau, Oh, oui, y a du soleil, j’trouve qu’il fait très beau… D’temps en temps elle se pose Il faut bien qu’elle se repose Elle s’effeuille comme une rose Je l’accueille, je m’appose Jamais elle ne s’oppose C’est même elle qui propose, une catin Alanguie dans l’grand lit, drap’d’satin Ce grand lit qu’elle faisait chaque matin Maintenant cette couche elle s’y couche, Moi, ça m’touche, elle aussi, ça m’atteint…

Laurent Ottogalli

épisodes

Maintenant que je suis son mari J’l’appelle plus Maria mais Marie Parce que vous savez quoi ? Ya de quoi rester coi, Mais quand j’l’appelle Maria Elle me fait une scène… de ménage… Avouez qu'ce s'rait dommage.

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Concours de Slam De nombreux participants au concours de Slam organisé par l’Alliance Champlain en 2010. crescendo – mobile – baladeur – escagasser – zapper – remue-méninges – variante – galère.

épisodes

mobile

Les lauréats :

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J’me balade en ville Regarde les passants immobiles Le baladeur branché D’un air escagassé Je regarde les gens plongés dans leur galère Les bambins insouciants, qu’ont la tête en l’air Dans ma tête, c’est un remue-méninges Des fois, je voudrais une intelligence de singe Je voudrais tout zapper Pouvoir tout recommencer Je voudrais une variante Une voie différente Il m’faudrait un mentor Mais de nos jours, ça vaut de l’or Je n’ai plus rien à vous dire J’vais pas en mourir… Alors je vous laisse Avec ma piètre prouesse

crescendo

Dix mots étaient imposés : mentor – cheval de Troie –

zapper

Tess, en seconde au lycée du Grand Nouméa.

cheval


slam

galère Disparue, mon âme poète. Au voleur ! Un baladeur a volé mon âme de poète. Sans mon âme, mon cheval de Troie n’est plus. Crescendo, je me sens désemparé Et ça m’escagasse. C’est la galère, avec tout ce remue-méninges, J’ai zappé.

André

remue-méninges Tous ces jeunes zappant sur leurs télécommandes et faisant leur malin mais la galère et la rue ils ne les ont jamais vécues !

Et ils escagassent les leurs en écoutant leurs baladeurs ! Et j’exclame ma stupeur devant ces parents qui supplient leurs enfants de partir en cours pour apprendre les variantes et les crescendo pour qu’un jour ils puissent être cultivés aux plus hauts niveaux. Leur mentor leur dit de se remuer les méninges pour que demain ils puissent être médecin, juge ou politicien. Mais… rien à faire pour ces gamins. Israëla Sanchez

variante

Ils jouent avec leur mobile immobile quand le prof les interroge sur le cheval de Troie ils sont glacés d’effroi.

épisodes

de Troie 61


Gilles Subileau

épisodes

À 20 ans, je décidai qu’un jour je deviendrais artiste peintre. Quelle aventure ! Un peu d’organisation et me voilà en train de peindre comme un forcené chaque jour. Ce fut ma première leçon : quand tu travailles tous les jours, tu avances beaucoup plus vite que si tu ne fais rien. En résumé, pas d’œuvre dans la paresse. Au début, d’ailleurs, c’est plutôt pas de paresse mais pas d’Art non plus. Tu as beau essayer de faire de ton mieux, le résultat n’est pas à la hauteur de l’ambition. Fort heureusement, le travail, l’acharnement et la passion modifient la donne. Les difficultés deviennent aventures nouvelles, démarches et cheminements insoupçonnés. Le temps disparaît, le style naît, les éléments indispensables finissent par s’emboîter plus ou moins heureusement les uns avec, ou dans les autres.

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art

épisodes

Dans les travaux de jeunesse, j’expérimentais des matériaux : la laque a une grande tendance à courir sur la toile ; la peinture à l’huile, à force de travailler « gras sur maigre », finit par avoir un velouté incomparable aux autres matières. Ceci dit, c’est aussi difficile que la peinture à l’eau ; l’aggloméré, c’est bien, mais c’est lourd au transport ; le contre-plaqué donne des rendus veinés très agréables à l’œil ; le papier à tapisserie, c’est intéressant, mais assez fragile. Il m’a néanmoins appris à maroufler ; la toile de lin, c’est le top ; la toile de coton demande une bonne préparation, surtout pour la première couche. Eh oui, quand tu apprends à peindre, tu apprends aussi que tu peux cumuler des couches et des couches et encore des couches les unes sur les autres. J’ai appris que c’était pour plusieurs raisons différentes comme celle par exemple qui consiste à rechercher matière, couleur, ou plastique. L’acrylique, c’est bien si tu le retraites (plus les recettes sont personnelles, mieux c’est). Si je me laissais aller, je vous écrirais 17 pages sur les matières et leurs aspects, les techniques possibles mais ce serait probablement rébarbatif pour le lecteur béotien. Aussi vais-je laisser ma plume, non plutôt mon pilote v7, peindre des mots sur la pensée profonde et l’image émergente.

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Gilles Subileau

épisodes

Au début, pour moi, c’était aléatoire parce que je jouais de l’abstrait comme je jouais de la flûte à bec, puis j’ai joué avec le surréalisme. Là, tu forces ta tête à aller au-delà du réel et ton pinceau fait le reste. Finalement les années ont vite passé, je n’incruste plus mes chemises dans mes toiles, mais je suis ravi d’avoir encore cette merveilleuse petite flamme qui m’a fait peindre il y a un peu plus de 30 ans. J’ai dans ma tête cette nouvelle Océanie qui va sans doute me faire peindre encore quelques kilomètres de toiles. Ah ! ce thème sur le monde océanien. Toute cette force qui peut se dégager de ces formes, de ces visages, tous ces contrastes, tous ces mondes à peindre, j’ai de quoi faire aujourd’hui et encore jusqu’à la fin des temps. Je vous donnerai auparavant mon secret n°17 : pour devenir artiste peintre, il faut d’abord et avant tout, peindre, beaucoup peindre. Pour finir, imaginons le futur. L’avenir, ce sera sans doute une peinture kanako–papou–calédo–vanuataise, agrémentée de frises et de motifs de style plutôt polynésien (genre tatoos 3D), ce sera très rouge et jaune, pétant, lumineux comme des paréos au soleil ou une robe mission toute neuve. J’assaisonnerai largement de tatouages. Il faudra certainement du grand format, voire du monumental. Dans 170 ans, je…

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« Ceci n'est pas une fin : ce n'est qu'un épisode »


art

Compositions poétiques

de Bernard Suprin

Alerte !

épisodes

On signale dans le sud de la Grande-Terre une importante invasion de coléoptères venus de l’extérieur. Poussés par leurs actionnaires insatiables, ils dévorent sans relâche nos belles fleurs endémiques de leurs mandibules d’acier. Si rien n’est fait, ils saccageront à jamais nos magnifiques paysages.

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Concours de nouvelles

Écrire les Gens d’ici Les résultats Écrire en Océanie Association loi de 1901, Écrire en Océanie a pour but la promotion de l’écrit, elle agit en collaboration avec des partenairesrelais qui ont à cœur, chacun dans leur région, dans leur bibliothèque, dans leur école, dans leur maison, le développement de la culture de l’écrit. Tous nos remerciements vont vers eux, en GrandeTerre, aux Îles, à Tahiti et au Vanuatu.

D’île à il Evelyne André-Guidici

Prix 2010 Écrire en Océanie

La Visite Patrick Genin

Prix 2010 des Lecteurs décerné par l’Association des bibliothécaires de la Province Nord

Et la vie continue… Un recueil de textes sera prochainement édité par Écrire en Océanie grâce au mécénat.

Waej Genin

Prix 2010 de la Maison du Livre de la Nouvelle-Calédonie

Angélique ou l’Histoire sans nom… Frédérique Viole

épisodes

Grand Prix 2010 de la médiathèque Ouest

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jeunesse

Claudine Jacques - Illustrations : PAPOU

ĂŠpisodes

Le gardien des lĂŠgendes raconte...

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L’oiseau

épisodes

Jadis, à l’aurore d’une ère de sel et de plumes, les hommes vivaient sans femmes. Ils n’en avaient jamais vu, jamais rêvé, jamais imaginé et ne comprenaient pas ce grand manque qu’ils ressentaient tous, sortis de la terre comme d’un ventre, ensemble et pourtant seuls.

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Un jour, ils s’aperçurent qu’on leur volait de la nourriture.

Ils chargèrent le plus habile, le plus haut perché, le plus rapide de leurs oiseaux de proie, de surveiller leurs provisions.

épisodes

Ce crime était terrible et méritait châtiment.

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L’oiseau à l’œil vif scrutait le paysage lorsqu’il vit une corde descendre des nuages ;

il crut d’abord voir d’autres hommes venus du ciel et s’apprêtait à les attaquer...

épisodes

... mais ces hommes-là étaient différents : ils avaient des corps sveltes et charnus, des peaux lisses et ambrées, de longs cheveux de jais et riaient et chantaient et bougeaient avec grâce.

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Elle commença par les racines, puis découpa le tronc et tout ce qui était à sa portée, et enfin elle décida de grimper sur ses ramures.


L’oiseau malin décida de patienter avant d’agir. Il attendit que le dernier de ces êtres mystérieux ait touché le sol et, de son bec acéré, coupa la corde.

Les femmes, prises au piège de leur gourmandise, durent rester avec les hommes qui partagèrent leur repas avec allégresse.

C’est fini !

épisodes

De ce jour, l’oiseau fut vénéré.

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la chronique de Pierre Humbert

Air du temps Un poète, mais à tout prendre, qu’est-ce ? Aurait peut-être pu dire Cyrano, car, de l’aède lyrique au troubadour courtois, du persan savant Umar Khayyâm aux scaldes nordiques, des élégiaques Chu chinois au Bengali Tagore, des griots aux noms inconnus aux yé-yés aux noms franglais parfois saugrenus, de Nerval à Allais , de Baudelaire à Vian et Prévert, de Villon à Renaud, et même Coluche, des bardes gaulois au rocker américain Dylan, la poésie et les poètes ont traversé imperturbablement le monde et son histoire en y semant l’amour, la révolte, l’ironie, et parfois même la pagaille. La poésie a même été écologique avant l’heure, puisque Eurydice, la dryade épouse d’Orphée, et ses sœurs protégeaient les forêts… Les poètes, ces fous d’espoir, qui, disait Cocteau, se souviennent de l’avenir, ont, souvent, et même parfois sans le savoir, tant influé sur le monde que cet hétéroclite assemblage de tout et n’importe quoi a, bien

épisodes

d

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que cela ne soit d’une évidence biblique, ni même coranique, fini par évoluer (dans le sens aller vers le mieux, évidemment). Même si cela n’est pas non plus très visible dans la lecture des actualités. Il est des endroits où on dit qu’un homme voyageant un peu à côté de ses chaussures est un poète. Comme s'il s’agissait d’un individu sans importance, sans poids sur la scène humaine, voire un peu simple, presque un… fada. On, bien sûr, c’est l’insensible à la musique des mots, le sans imaginaire, celui

qui s’éveille chaque matin sans avoir rêvé, le matériel, en un mot le « pratique » dont les pieds sur terre l’empêchent, le pauvre, de voir le sublime. Des poètes ont écrit des vers si alambiqués qu’on est presque mangé par les vers quand on les a compris, d’autres sont si lumineux qu’on pourrait presque les lire dans le noir, d’autres si doux que les enfants s’endorment en les écoutant et que des gros durs barbus et musclés, armés jusqu’aux dents ont la larme à l’œil. Parfois même ils sont si simplement clairs et limpides qu’on se prendrait à se croire capable de les écrire. Certains sont rythmés par les rimes, d’autres par les mots ou les images qu’ils évoquent, quelques-uns sont faits pour être déclamés avec emphase, d’autres pour être murmurés, ou même seulement lus. D’autres encore disent la vie, l’aventure, l’amour, la mort, la crainte de mourir et la certitude de la vie éternelle de l’esprit, parfois même tout cela en même temps. Quelques-uns sont tristes, quelques-autres hilarants, tous sont si profondément, si définitivement humains qu’à les écouter on se pourrait croire au Paradis, ou entouré de houris au Jardin d’Allah, parvenu au Nirvana, ou encore conduit au Walhalla par de blondes walkyries, et ils coulent dans nos cœurs comme l’ambroisie dans le gosier des vieux dieux grecs et le vin du Rhin dans celui d’Odin… Ces temps-ci, l’Islam est à la mode, et pour clore cette chronique, je voudrais livrer à votre réflexion ces quelques vers de Monsieur Hugo, issus de La Légende des Siècles : Le divin Mahomet chevauchait tour à tour Son mulet Daïdol et son âne Yafour, Car le sage lui-même a, selon l’occurrence, Son jour d’entêtement et son jour d’ignorance. Point n’est besoin de commentaire, n’est-il pas ?


club des Amis de la Poésie

bienvenue à... n Club des Amis de la poésie Petits haïkus à la lune Patricia Artigue Ô mon île ! Patrick Eliès Madinina Dominique Flaugnatti La Nasse Diego Jorquera L’Été Michèle Maniquant La Méduse Aline Mori La Dame des carrefours Marie-Jo Paillard Comme un bois précieux Catherine Vallette n Concours Orphée 1er prix Grand Public adultes

Rap-Contine Michel Fougère 1er prix Grand Public jeunes (collèges et lycées)

Pourquoi ? Jean Hnaweongo 1er prix Primaire

Rose bleue Océane Souliman

club La Forêt sèche Kadar Imène et son frère Zidane

épisodes

Les Pas Emma Vignoles

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Petits haïkus à la lune Patricia Artigue

épisodes

Une goutte d’eau, nacre sur le nénuphar, piège la lune. Caresse du vent, l’étang doucement frémit, la lune se noie. Ma robe qui danse, papillon sous la lune, ton regard fragile. Or sur les tilleuls, chaussons de feuilles rousses, mes pas dans la nuit.

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club des Amis de la Poésie

Ô mon île ! Patrick Eliès

Sur tes plages nouméennes, Alanguies et sereines, J’ai souvent dit : «Je t’aime» Pas toujours à la même, J’ai pêché ton poisson Dans le bleu du lagon Et l’ai mis en brochettes Sur des îlots en fête,

Entends-tu cet écho Dans le ciel, sur les eaux, Qui te dit que l’on t’aime, Ô ma terre, ma bohème. Ô mon île de lumière, Si timide et si fière, Ô mon île au soleil, Ma tendresse, ma merveille.

J’ai chassé dans ta chaîne Et j’ai connu l’aubaine De l’accueil en tribu Dans des vallées perdues,

Sont-ils fous mes amis De ma Calédonie Un peu blancs, un peu noirs, Un peu jaunes, va savoir…

Je me sens enfin libre Quand tout en moi tu vibres, Mon caillou, mon pays, Ô ma Calédonie.

Ils sont toujours les mêmes Qui se battent et qui s’aiment, Pathétiques et comiques, Pour raisons politiques,

Ô mon île de lumière, Poésie printanière Provocante et pudique D’un caillou magnifique. Ô mon île de lumière, Si timide et si fière, Rêverie féerique Dans ce Sud Pacifique, Ô mon île au soleil, Ma tendresse, ma merveille, Tu fleuris dans mon cœur En un brin de bonheur,

Ne voudrais-tu leur dire De s’apprendre à sourire, Un sourire c’est facile Si on t’aime mon île, Une pour tous, tous pour toi, Y’a d’la place sous ton toit. Apprends-leur le langage Délicat du partage ! Ô mon île de lumière, Ma furie débonnaire, Ô mon île au soleil Qui rugit et sommeille !

épisodes

Entends-tu la musique De cette âme nostalgique Qui s’ennuie loin de toi En un doux désarroi,

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Analepse I La proue hasardeuse de leurs caravelles a heurté sur la vague assoupis des archipels heureux qu’émouvait parfois le spasme d’un volcan Mais seul le sable était d’or

Madinina Dominique Flaugnatti

Ils y plantèrent l’étendard souverain l’épée et la foi qui absout les appétits mercenaires Avant eux étaient Mais seule la mer en parle encore Écoute Je te dirai Madinina terre métisse où tout lieu est l’ébauche d’un poème Brin d’amour patchwork des cases de tôle fouillis de feuillages lustrés sanglants pétales des hibiscus sauvages baptisés coquelicots

épisodes

Bois-lézard touffeur glauque anolis mimétiques ici jamais les cyclones n’ont eu raison de l’obstination des arbres

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Chère-épice notre maison celle du blanc les patcha-patcha de la pluie dans les bananeraies quand l’averse impromptue escalade le morne le ciel alentour serein comme si de rien n’était la route de terre entre les cannes dans sa courbe ultime deux cocotiers enlacés face à la mer la Caravelle sentiers de chèvres le long des falaises sur les parois à pic des frangipaniers ancrés à l’horizon le ciel et la mer cousus blanc faufil de l’écume Baie du trésor souveraine la mangrove l’enclave nos pieds que la vase englue bruit de succion morsure du soleil débandade de cé ma fot clarté fraîche de l’eau bizarrement inerte en surplomb débris du passé corsetés de racines depuis toujours indifférentes les pierres se souviennent de l’indigne trafic mer et nuit complices dans la Baie du trésor


club des Amis de la Poésie

Le blanc broie du noir quand il a le cafard Et le noir Qu’est-ce qu’il broie le noir ? Il broie la canne au moulin pour que le blanc sucre son petit noir du matin pour que le blanc se sucre… Parfois la meule lui broie la main on lui coupe le bras pour son bien Alors il voit rouge il voit son sang qui coule Et le maître blanc fier de son sang bleu s’offusque de voir que le sang d’un noir à peine un humain a la même couleur que le sien Écoute Je t’apprendrai Madinina terre créole Son français le fwancé de fwance l’habit du dimanche parole empesée Ses mots de tous les jours rondeur de galets polis où le R rugueux s’émousse aspérités sonores des ouichi ouichi

Ses mots de tous les jours musiquent toutes les couleurs du passé graine du rocou sang versé ébène/blanc sang mêlé Leur odeur terre torréfiée entêtantes senteurs Leur saveur celle d’un marché à ciel ouvert damier des étals à terre vu du ciel une toile de Klee Les mots de tous les jours laissent sur la langue un goût de canne mâchouillée ou de grain de café croqué le feu du piment parfois ou le picotement acidulé de la jujube Les mots de tous les jours sont lianes qui te relient à ceux d’ici

épisodes

Analepse II

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La Nasse Diego Jorquera

Tu as tressé la nasse. Tu savais pourtant que je ne m’y laisserais pas prendre. J’ai tourné autour, entre deux eaux, lentement. Je ne t’y ai pas aperçue. De cet espace végétal fait de vides plus que de pleins, je n’ai retenu qu’une lancinante ondulation. Et des lambeaux d’algues brunes qui ont du mal à se détacher, comme j’en ai à m’attacher. Quand tu retireras la nasse, tu n’y trouveras qu’un peu de sable au fond, aux paillettes d’or liquide qui coulent en un instant. Tu n’y trouveras rien de ma chevelure même si elle s’y est un instant frottée. Le chant hypothétique des sirènes du large a pris corps, houle chaude au-dedans de ma douce errance. Il m’entraîne plus loin. Fais plutôt une natte de ces lanières de pandanus tressées. Je reviendrai peut-être m’y reposer. Peut-être.

Grisements secs sous mes pas

L’été Michèle Maniquant

Rien ne pourra arrêter Cette pluie continue De feuilles colorées Rien Si ce n’est le grand calme de la Nature Mais soudain Une rafale Les feuilles tourbillonnent, s’enlacent S’entassent en îlot ocre sur Le vert du gazon

épisodes

Rien ne pourra arrêter L’été venant Et les bourgeons naissants Des badamiers

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club des Amis de la Poésie

La Méduse Aline Mori

Éclairs obscurs d’yeux caves perçants

Depuis le jour où le père mort,

Lèvres d’acier,

Du trône, indigne, il hérita

Biaiseux sourire, bouche tranchée,

Tel frère, telle sœur… Ni père, ni cœur…

En coup de serpe ou de serpent

Tout s’emballa

Éclairs obscurs d’yeux caves perçants

VOIX DOUCEREUSE

VOIX DOUCEREUSE

Phrases assassines signaient ses seins

Langue, fétide dard vipérin,

Qui éructaient

Sifflant, cinglant et menaçant,

Sa taille fine collait aux mains

Moi, la « méchante »

VOIX DOUCEREUSE

VOIX DOUCEREUSE

Qui fustigeait, pestilentielle

Battant des cils, de la paupière,

Qui vous arrache

D’aucuns, dit-on, furent pris au piège

Yeux et guibolles

Fausse modeste, blanche comme neige

Quand le chacal qui l’habitait la rendait folle

VOIX DOUCEREUSE

VOIX DOUCEREUSE

Et pour mieux l’ennemi tromper…

Le fiel aux dents

Rampante, de ses proies médusées,

Elle invectivait les gisants

Elle s’approchait

Cheveux tressés tels des serpents

Susurrant ses Mots Sucrés

Pour méduser les revenants

De pâte fine enrobés

VOIX DOUCEREUSE

VOIX DOUCEREUSE

Ses poèmes, ses mots blêmis

Hors de sa bouche, mots séduisants

À la lumière, je les ai mis

De prime abord

Mal m’en a pris !

Puis vint le temps du Venin Rance

Le miroir lisse de ses traits traîtres se brisa,

Du désaccord

Rompant le charme de sa voix qui me trompa

Paroles folles et lapidaires

Moi l’étrangère

De cette femme au cœur de pierre…

Son cœur de pierre se révéla

VOIX DOUCEREUSE

Cœur d’amertume des âmes damnées

Le frère renard, rictus de hyène et cœur de

Aux corps sans cœur des condamnés

haine,

C’EST À L’ENVERS QU’IL FALLAIT MORDRE

Le charognard,

LANGUE TORDUE, CERVELLE TORVE

Ce frère de sang pour exister,

ET L’IGNORER À TOUT JAMAIS

Voilà l’histoire

MEA CULPA épisodes

Menait sa meute comme sa moitié

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La dame des carrefours Marie-Jo Paillard

À Mona Je l’ai rencontrée À la croisée des chemins Dans un halo de fumée Qu’elle chassait d’une main. Dans l’autre un verre. Pittoresque pythonisse. À sa vision éphémère L’heure était propice Et dans la clarté du soir Qui ennoyait son regard Elle m’a dit un poème Qui rime avec Aime « Toi qui t’appelles Marie Si tu bouscules l’ordre établi Des lettres de ton prénom Qu’y trouveras-tu sinon Cette charmante anagramme Ce mot simple et superbe Le plus puissant des verbes : Aimer sur toute la gamme. » Qui est-elle La Dame des carrefours Entrevue à l’ombre d’un jour ? Était-ce moi était-ce elle

épisodes

Cette voix profonde et tendre Qui dit sans détour Le seul chemin à prendre Est celui de l’Amour ?

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club des Amis de la Poésie

Comme un bois précieux Catherine Vallette

Comme un bois précieux Je t’étendrai au coffre Ô minéral ami Et tu retourneras Vers notre ample famille De rois et d’infants dessertis De l’humain à l’humus Frémira dans l’ultime Une note infinie Rebelle transparence Enfin réaccordée Goutte d’eau Grain de sel Rameau dans le soleil

épisodes

Ô noble ô frémissant Ô Joueur-jusqu’au-bout Austère et tendre ami.

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Le club des Amis de la Poésie Depuis sa fondation en décembre 1989 à l’initiative de Bernard Deschamps, le Club des Amis de la Poésie poursuit avec bonheur la mission qu’il s’est fixée : promouvoir la poésie néo-calédonienne. Très active, l’association est présente sur tous les fronts. Outre des rencontres régulières avec le public le premier mercredi de chaque mois, de 20h30 à 22h30, au piano-bar de Marie-Jo et Jean-Pierre Paillard, ou lors de « Poésie Voyage », café poétique mensuel à la Maison du Livre, elle participe à tous les grands événements littéraires comme le Printemps des Poètes, le SILO, les journées de la Francophonie. En tant qu’éditeur, elle a publié deux anthologies poétiques de référence : 40 ans de Poésie néo-calédonienne, 1954-1994 (janvier 1995), avec une préface d’Alain Bosquet, et Poèmes de la Nouvelle (mars 2004), en coédition avec l’Herbier de Feu. À paraître prochainement, également en partenariat avec les éditions l’Herbier de Feu, une troisième anthologie : Éclaire nos pas, qui couvrira la période 1994-2010. Les quinze numéros de la revue annuelle Orphée, dont la publication a cessé en 2009, sont désormais « collector ». Les Amis de la Poésie sont aussi les organisateurs du Prix Orphée, concours biennal ou-

vert à tous, petits et grands, fondé par Frédéric Ohlen. La remise des prix de la 10e édition a eu lieu le 25 novembre 2009 à la Maison Célières, en présence de M. Le Vice-recteur, Ives Melet, de Mme l’Inspectrice pédagogique régionale, Annick Le Bourlot et de la présidente de l’association, Aline Mori. En voici le palmarès : 1er prix, catégorie GRAND PUBLIC Adultes : Rap-Contine de Michel Fougère 1er prix, catégorie GRAND PUBLIC Jeunes moins de 18 ans (collèges et lycées) Pourquoi ? de Jean Hnaweongo 1er prix, catégorie GRAND PUBLIC Jeunes moins de 18 ans (primaire) Rose bleue de Océane Souliman 1er prix, catégorie PRIMAIRE (CM) La Forêt sèche de Kadar Imène et son frère Zidane 1er prix, catégorie PRIMAIRE (CE) Les Pas de Emma Vignoles

Concours Orphée

Extrait du discours prononcé à la Maison du Livre de la Nouvelle-Calédonie à l’occasion de la remise du Xème prix Orphée [...] En ce sens, la culture en général et la poésie en particulier ne sont pas des gadgets de luxe à l’usage de quelques privilégiés. Elles forgent progressivement notre fonds commun, nos références, notre façon de penser et d’agir. Une société sans danse ni poésie propres, un pays sans musique ni théâtre, ne serait, en effet, qu’un agrégat forcé, une masse informe où ne prévaudrait que la logique économique et l’autosatisfaction, bref, un peuple sans véritable présence au monde, sans esprit. [...] La création nous apporte ce surcroît d’âme-là, elle donne, elle nous donne un sens. Et peut-être est-ce aussi le moment de nous rappeler cette phrase que Jean Mariotti adressait dans une lettre à sa sœur Faustine. « Va où ton cœur te porte », lui disait-il. Oui, va où ton cœur te porte. Aimez ce que vous faites. Faites ce que vous aimez. Et la vie sera bien autre chose qu’un songe, elle deviendra le plus prodigieux des voyages.

O

épisodes

Frédéric Ohlen

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concours Orphée

Rap-Contine Michel Fougère

Quand j’étais petit je n’étais pas grand, Je montrais mon cul à tous les passants ; Ma mère me disait…

En plus, ça n’a rien de désastreux ! Même si ce n’était pas dans les vœux De cette femme froide et altière, Qui n’aurait même pas dû être mère, Que son grand fils, pour elle radieux, Soit avec le sexe masculin heureux, Ça doit l’atteindre personnellement Elle qui rêvait de gouvernement. Moi la fille en retard sur les prévisions, Que seul mon père avait vu dans ses visions, Que venais-je faire ici, petit grain de sable, À part déranger leur vie minable ? Je suis une fille qui vit maintenant Presqu’uniquement dans l’instant ; Sans m’occuper des autres mondes, De leurs valses et de leurs rondes, De leurs prés carrés et de leurs ondes, Je montre mon cul à tous les passants. Mais seulement s’ils ont de l’argent. Pas un peu d’argent, beaucoup ! Je peux le dire, je vaux le coup, Pas que pour montrer, pour tout.

M’en fous maintenant j’ai l’âge De ne plus du tout être sage, Est-ce que le savoir et la rigueur Sont des modèles pour le cœur ? Oublions vite les faux parleurs. Je suis dans ce monde pourri Celle qui donne de l’oubli. Chaque homme qui vient en moi Pour de l’argent, ça va de soi, Peut être lui au moins une fois. Moi, moi je suis leurs libertés, Le reflet des âmes et des ambiguïtés. Dans le plaisir qu’en moi on prend Il y a l’oubli du miroir déformant De la vie et de ses tourments. Quand je me donne, façon de parler, Je sens les désirs à ne pas avouer, Les mascarades, les particularités. Ils veulent ces gestes imaginés, Rêvés et fantasmés. Et qui sont tarifés. Toi, maman, si fière, si dure et qui savais, Toi aussi, le grand frère que j’aimais, Vous souvenez-vous de la petite fille Et de ces vacances en famille ? Frère, ton doigt encore me vrille.

Orphée Ma mère me disait : « Ta culotte C’est secret, ce n’est pas de la parlotte. » Je sais maintenant qu’elle avait raison, C’est une vraie réserve de pognon, Comme me l’a dit un compagnon.

Je me vends, c’est vrai, mais je donne. Si on veut, que Dieu me pardonne. Mon corps est un habitacle, Un cirque, un hall, un spectacle. Sa beauté sans doute, un miracle.

épisodes

C’était pour mon grand frère Qu’elle chantait ça, la mégère. M’en fous maintenant que je suis grande. Et que je sais pourquoi il bande.

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Je fais tout ce qu’on veut, Les hommes, les femmes, même les neuneus. Comment pourrais-je oublier ? Comment pourrais-je pardonner ? Maman, frangin, il faut payer ! Vous êtes morts. De quoi ? Personne ne sait. Qui peut en être satisfait ? Personnellement, ça m’indiffère, Mais réellement, je n’en suis pas fière.

Sur vos tombes je n’irai pas cracher, Ce serait trop d’honneur à vous donner. Je change ma vie que j’ai galvaudée, Si Dieu veut bien, pour être reposée. Toi, papa, qui n’a rien vu, la vie sans doute, Tu sais que j’ai encore une route. Tu es depuis longtemps dans ton éternité, Mais montre-moi les chemins de ma liberté. Quand j’étais petite je n’étais pas grande…

Je vous ai empoisonnés à ma table, Ce n’est même pas regrettable. Il ne fallait pas dire, et j’ai raison, Que je n’étais qu’une complication.

Pourquoi ? Jean Hnaweongo

On m’a souvent caché la vérité Mais pourquoi, pour qui, alors comment, Comment pourrais-je grandir normalement Comme ceux dans la cour de récré Ou bien ceux qui courent dans les prés. Je n’ai pas de vrai père, vraie mère, Je n’sais même pas d’où je viens. Du clan de la terre, de la mer ?

épisodes

En me traitant de bâtard, de gosse perdu,

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J’ai compris… Peut-être étais-je Un orphelin, un enfant abandonné. Étaient-ils pauvres mes parents, Pauvres au point de m’abandonner ? Trop de bouches à nourrir peut-être… Peut-être que je n’étais pas désiré.

O

Alors, je comprends, je les comprends, Mais pourquoi ? Mais pourquoi ?!


concours Orphée

Rose bleue Océane Souliman

Moi, j’ai vu des roses Mais ce n’est pas grand-chose. J’ai vu des roses rouges Si ce n’est qu’elles ne bougent, J’ai vu des roses jaunes Très loin des cyclones

Et des roses violettes Elles doivent être coquettes ! La seule couleur que je n’ai pas vue C’est le bleu azur. J’ai cherché longtemps, Cela doit bien exister pourtant.

La Forêt sèche Kadar Imène et son frère Zidane

En cette immensité de vert, les oiseaux piaillent dans l’air pur. Devant moi, une multitude de fleurs embellissent notre chemin et laissent flotter un parfum délicat. À gauche, un arbre étoilé porte une roussette rousse. En avançant, j’aperçois un imposant sanglier qui s’est frayé un chemin jusqu’à une petite clairière dont l’herbe est jaunie par le soleil. À l’horizon, une rivière houleuse et étroite se jette dans la mer couleur bleu ciel. Les vagues se brisent contre les rochers… Un cerf dissimulé dans les bois m’observe avec des petits yeux.

Les Pas Emma Vignoles

Orphée Il faut aller au bout du chemin Même si le jour touche à sa fin

Je marcherai encore et même demain Un peu d’effort ce n’est pas loin Marcher ou courir Toujours prêt à découvrir De nouvelles sensations Ou odeurs de fruits de passions

épisodes

Mes empreintes de pied Parmi des milliers Gravées sur le sable Ce n’est pas invraisemblable

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Conseils pour écrire un poème « Le poème est une grappe d’images » Quelle meilleure définition que celle de Gaston Bachelard pour expliquer LE POÈME Voici quelques conseils d’écriture… — Un poème s’écrit avec des mots choisis. — Un poème peut partir d’une bonne idée mais, comme le disait Mallarmé, on l’écrit d’abord avec des mots. — La rime doit servir et non pas commander. — Les vers ne doivent pas faire plus de quinze syllabes, question de rythme. — Un poème est une musique, une voix, une évidence. Il faut : • Avoir une visée, quelque chose à dire, fût-ce en apparence dérisoire, et quand bien même n’en aurait-on pas une idée claire. Affaire d’intensité. • Fuir le pathos comme le terrorisme. On peut émouvoir sans dire tout le temps le mot « larmes ». • Fuir le guindé comme le débraillé. • Fuir les bons sentiments, ils ne font pas les bons poèmes, les mauvais non plus. • Construire un poème comme une histoire mais il faut avoir le sens de la concision et celui de la chute. On a droit à un relatif hermétisme, pas à la confusion. • Écouter de la musique. Regarder un tableau. Ou encore ressentir une impression très forte. • Fuir l’ennui et la cacophonie. Il ne faut pas assommer les gens, sinon définitivement. • Lire beaucoup de poésie, toute la poésie. Ne pas hésiter à demander des conseils, à feuilleter des revues, à butiner dans les librairies.

épisodes

Une fois le poème achevé : • Le murmurer pour l’entendre. • Le laisser reposer pour le reprendre avec un regard neuf et puis aviser. • Secouer le poème pour en faire tomber les adverbes et les incongruités • Beaucoup travailler pour donner l’apparence de la simplicité. • Être capable de biffer, de sacrifier si besoin. • Êre capable de défendre son poème contre vents et marées. • Vérifier l’orthographe. Car, les bons poèmes agrandissent l’âme, ils ne méritent ni ne pardonnent les fautes d’orthographe !

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poèmes

Cahier littéraire

idées

Cahier Michel Beaudeau Afrique Marc Bouan Le poète a toujours raison Luc Camoui Mwata pweevo Michel Chevrier Quand la bête hurle Éveil Leïla Pour une enfance... Homo erectus Tristan Derycke Fin de partie Jacqueline Exbroyat Noir & Blanc Le surfeur Le voile Une île si longue Pierre Humbert Amour fou Nicolas Kurtovitch Poèmes lorsque je déambule sans trop savoir Catherine C. Laurent Le silence du théâtre

FrédéricOhlen Vanuatu 2009 Arlette Peirano Ô Calédonie ! Nicole Perrier Cyber chagrin Meetic Esthétique Retour à la source Messages d'Haïti Roland Rossero Lion's club sandwich Croqueur en larmes Nicole Perrier et Tristan Derycke « À cloche-pied » Poèmes en vis-à-vis

épisodes

théâtre nouvelles extraits contes légendes

poèmes

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Beaudea épisodes

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Afrique Michèle Beaudeau

Les tam-tams me racontent, Les larmes des anciens ont séché sous mon soleil, Oubliant les souffrances des douloureuses chaînes, Le temps a emporté les regards de la haine, Seule ma terre en a gardé la couleur vermeille. Les tam-tams me racontent, J’entends les chants entre les vallées et les plaines, Et les sons des djembés monter de la forêt profonde. Je vois le corps des danseurs former des ombres Quand leur chair meurtrie se libère de leur peine. Les tam-tams me racontent, Silhouettes magnifiques, brillantes de sueur et de sang Noir comme ta peau que tu revendiques avec fierté. Afrique, peuple en agonie, dans ton cœur brisé Ce sont les pleurs de tes enfants que je ressens. Les tam-tams me racontent, De rares nuages ont amené une tiède pluie Venue grossir les points d’eau et la vie s’éveille, La savane se désaltère entre terre et ciel, Elle palpite, m’enivre jusque tard dans la nuit. Les tam-tams me racontent, Des mouvements glissent non loin du feu, des flammes, Dans la chaleur moite, les rugissements résonnent, La faune s’approche, avec respect, chacun s’abreuve C’est à cet instant que je touche leur âme. Les tam-tams me racontent, Ses pieds ont foulé mes chemins et mes rivages, Les nuits de lune j’entends ses soupirs et ses pleurs. Femmes ! gemmes sacrées, je vous garde dans mon cœur, Demain, après les blessures votre mission sera la plus sage.


poèmes

Le poète a toujours raison Marc Bouan Hommage à Jean Ferrat

C’était un artiste À la poésie immédiate et au regard heureux Et qui s’était replié dans un village de pierre L’ultime verdict a été rendu et le temps est venu Es-tu transformé en nuage Pour conduire chacun vers sa montagne ? Combien ce jour a été triste pour nous

Toi qui déclarais que le poète avait Toujours raison et que la femme Était l’avenir de l’homme Oui la poésie est la raison du monde Oui la poésie est aussi résistance Car elle amplifie la lumière des causes lumineuses Le poète a le courage de regarder Dans les abîmes et étire les horizons Il agit pour que les portes soient ouvertes à tous Il contribue au rayonnement Des grands monuments de l’humanité Et a recours à un langage majoré La société mécanisée aura toujours Besoin de la poésie libératrice Et des arcs-en-ciel sublimes Militant du bonheur, tu as célébré la fin Des amours au rabais et la quête De nouveaux champs plaisants

Bouan

épisodes

Héraut de la liberté et de la nature Chanteur de phrases magiques Ton cœur était vaste

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Camou

Mwata Pweevo

épisodes

Luc Camoui

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Menu Altier Citoyen Du Terroir MWE LE BENG PWEEVO, Fruit de mes entrailles, Noblesse de ma Terre-Mère Généreuse, nourricière Aux délices endémiques. Langue de ma Terre, Sang de mes veines ; Ta couleur jaune-ocre Exhibe la richesse De PWEEVO. Protéines à pléthore, Vitamine de ma chair, Culture de mes pairs ; Intelligence de ma Nature-Mère. Recette culinaire de Tradition Orale, Antidote pour ma survie, Nourriture d’Antan De nos Ancêtres Communs, aux saveurs exquises, aux parfums jubilatoires ; Ta ferveur exotique Transcende tes visiteurs Sous le charme De tes odeurs incantatoires. Générique de ma rhétorique ; À cet élan d’Humanisme, Ton Aura est digne De ton Apparat... Que flotte aux Vents De l’Universel, La Fierté de ton Émancipation PWEEVO... À cette image, Ton Destin nous appartient ! Bon Vent MWATA.


poèmes

Quand la bête hurle Michel Chevrier

Chevrier

à Nat

Quand chaque pas ouvre des trappes, Quand la bête hurle.

Quand aux marges en miettes, Se brise le cri.

Quand sur l’enfant claque la chape, Quand se clôt la fête.

Quand sous mes mains inquiètes, Fleurissent des marteaux.

Quand sur la boîte immonde, Sonne la terre.

Quand au fond des yeux, S’ouvrent des nuques.

Quand la douleur est une onde, Dans les artères.

Quand la bête hurle, Mais aux cieux, Qu’elle sait caduques.

Quand la vie vend ses roses, Puis fige les pleurs.

Quand à jamais, main dans la main, Deux cris chevauchent. Quand le sourire s’ébauche Et se sait vain.

Éveil

Michel Chevrier

Ô vous ! Les dormeurs, Je vous apprendrai à fouler des sols intangibles, Puis à revenir de lieux inaccessibles. Vous croiserez de grands troupeaux d’aurochs, Revenus de concerts équivoques. Ainsi parvenus, vous serez celui que l’on applaudit d’une main Et votre nom d’avant la naissance ne sera plus demandé en vain.

épisodes

Quand la poitrine implose, Et que l’acier noie le cœur.

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Leïla Michel Chevrier

Du « Grand Sud », elle avait la clarté sans lune. Son sourire m’était plus précieux Que l’ultime écho d’un printemps andalou. À mon cou, s’enlaçaient ses bras, Comme le sentier étreint la montagne . La gouaille de ses prunelles Me coulait au cœur un airain trempé au plus pur miel. Par elle le geste prenait sens. La vie s’organisait comme fête primitive, Carnaval du cœur et de l’esprit. La vie me l’enleva, La mort la reprit. Écheveau de mes pensées, Vie, es-tu souvenance de la mort ? Mort, es-tu prémonition de la vie ? Au rebord de ce grand trou noir, Agrippé, Je crois distinguer l’horizon, Fuyant mais tenace ; Bribes fulgurantes, Que douloureusement j’assemble. Pareille à une aurore accouchée des brumes, La réponse déjà s’élève. L’esprit effaré, Tout entier pris dans la glace d’une douleur fidèle, Lentement s’ouvre cette vérité aux biseaux tranchants : Mort, instant nécessaire à la vie.

épisodes

En moi il y a cet homme qui pleure, Ses gémissements se mêlent à ceux de la terre.

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poèmes

Michel Chevrier

Nul n’ose rêver de persécutions hâtives, Pourtant, Les aubes grises surgissent, Embusquées à plus d’un détour de destin. Sérier ses chances, Comme l’on compte des fèves Sur un coin de table ! Déraison légitime ! Toutes les routes se ressemblent, Il n’en est qu’une, Pour mener à ce grand tumulte.

Révulsés et blêmes, Eux qui furent caresse et gouaille, Est-ce besoin d’en dire comme un oracle, Pour que l’on voit se tordre Des mains. Si ton amour n’embrase pas, Tu ne sais rien. Si ton amour oublie, Un seul être, Tu brûles.

Si ton amour ne voit pas, Le monde, Tu n’es qu’illusion.

Homo erectus Michel Chevrier

Il était descendu de son arbre, Mais les bras lui traînaient encore au sol. Bossu, hirsute, La peur au ventre, Il risqua la traversée d’une immense plaine. Les grands fauves, repus, Ignorèrent une si chétive proie. Ivre de lui-même, il eut la certitude, D’être le Maître. Redressé, Face au soleil, Chaque jour, Il lui rend grâce De ne briller que pour lui.

épisodes

Je ne suis point l’homme qui parle, Mais il est des fleurs, Pour m’appeler à l’aide.

Chevrier

Pour une enfance arrachée

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Derycke

Fin de partie Tristan Derycke Longtemps j’ai pensé Finir mes jours Dans un mouroir suisse Face à la montagne Sur une chaise longue Mitaines et plaid à carreaux Trouver un pré en pente douce M’allonger dans l’herbe Lever les yeux Pour Tel l’accent Contempler les cimes Et glisser dans l’abîme Mais non Ce sera ici Entre lagon émeraude et latérite ocre Dans les fragrances De frangipaniers et de niaoulis Par l’alizé répandues Moi l’ancien Dans un pays neuf Moi sans avenir Dans un pays en devenir Ici dit-on Le respect des vieux Au-delà du vœu pieu Psalmodie occidentale Est une valeur ancestrale Donc

épisodes

Quoi qu’on pense Quoi qu’on dise Quoi qu’on fasse Quoi qu’il advienne

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À cette terre, mes os se mêleront.


poèmes

Noir & blanc je ne sais pas écrire sur toi et sur ton peuple mais à la fête du cochon à la Poueo les bananes venaient toujours de la tribu là-haut

Pourquoi tu n’écris pas sur moi et sur mon peuple ? je ne sais pas écrire sur toi et sur ton peuple je sais qu’un jour, à Lifou tu as fait signe aux enfants de m’offrir un coco

Pourquoi tu n’écris pas sur moi et sur mon peuple ? je ne sais pas écrire sur toi et sur ton peuple devant ma vieille maison là-bas dans la vallée tu venais avec les tiens chanter la bonne année et moi aussi à l’unisson je chantais bien Pourquoi tu n’écris pas sur moi et sur mon peuple ? mais… je viens d’écrire sur toi.

épisodes

Pourquoi tu n’écris pas sur moi et sur mon peuple ?

Exbroyat

Jacqueline Exbroyat

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Le surfeur Jacqueline Exbroyat

Tu as dominé la terre tu l’as grattée aussi loin que tes dents longues, tu l’as ensemencée, tu l’as mangée et rejetée dans le cycle parfait que tu croyais tenir dans ton poing tu as voulu autre chose comme le chien qui a pissé et croit que l’arbre lui appartient tu as glissé sur la mer comme pour l’avoir à tes pieds toi, petit point noir tu te prenais pour l’immensité

quand la vague t’a jeté au sol tu n’étais qu’un remous accroché à la feuille plus grande que toi et sauvé par la main ensanglantée tu as laissé pourrir au fond de l’abîme cette partie de ta chair orgueilleuse et tu as pleuré et tes larmes ont relevé les maisons et tu es revenu car c’est là ton cimetière humble parmi les humbles tes frères que tu avais reconnus.

Le voile Jacqueline Exbroyat

Elle m’a dit : Je ne savais plus que les mots pouvaient être si beaux, que les feuilles des arbres avaient la couleur du rayon vert, que j’allais m’étendre dans le hamac de vos chansons, et me bercer,

épisodes

que je pourrais manger ce gâteau aux multiples parfums de vos histoires, que j’allais goûter la papaye fragile comme des larmes de sucre

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Elle m’a dit : Tout cela me fait peur et d’un geste de tous les droits, elle les a détruits,

elle… la censure


poèmes

Une île si longue

Une traînée vert clair caresse une rivière entourée d’érythrines et parmi leurs racines des gosses plongent et crient « C’est fin bon ! » à la vie Des hibiscus en couleur et leurs longs pistils en fleur, des sons venus en vrac des hautes cases canaques, des volutes de fumée annoncent, dans les chaudrons, ignames et taros sucrés, roussettes et entrailles cuisant à gros bouillons… Autour, des enfants qui braillent…

Dans l’ombre du vieil hangar une famille de broussards rassemble, dans la lenteur, les saisons et leurs odeurs le bétail à l’abreuvoir, celle, douce, du café noir. Nouméa la convoitée garde, dans son tracé, les murs et les sentiers laissés par les pionniers. L’océan lui appartient, l’isole en va-et-vient jusque vers un horizon qui s’allume, tout le long, dans un coucher de soleil que j’aimerais sans fin sans la promesse, au réveil de l’aurore dans ma main.

épisodes

… Une montagne bronzée virant parfois au rouge de ses côtes déchirées Même le siffleur ne bouge sous le soleil trop fort. Des gouttes de sueur dans le silence des corps coulent comme des heures sur une peau ravinée en niaouli desséché

Exbroyat

Jacqueline Exbroyat

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Fabre

C ’est une caresse... Christine Fabre

C’est une caresse immense, un souffle rosé un sourire intense, grand comme l’été, une perle, souple sur les lèvres, irisée… C’est une euphorie lente, une folie incomparée les doigts égarés, noyés dans l’absence… Les yeux cherchent sans trouver l’appui qu’ils connaissaient dans la vie d’avant où fleurissaient les soupirs Ici rien n’est pareil là tout est différent tout est si différent d’avant ! Les choses semblent se ressembler, mais on découvre une nouvelle substance une matière douce et flottante qui semble manger la distance entre nous, entre nos yeux et l’objet comme si on avait ôté toutes les couleurs de l’image pour enfin voir l’unique, la seule, celle dont nous sommes tous faits.

épisodes

Tout a changé !

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poèmes

Sur une plage de cailloux gris Assis sur un champignon de Paris, Un amour fou joyeux et plein d’entrain, Regardait passer les trains, En mangeant des petits cœurs Qu’il avait sur la main. Dans une salle d’école, un dentiste Regardait à la télé une journaliste Qui lisait des nouvelles En se poudrant le nez. Elle voulait se faire belle Pour aller au marché. Dans un train qui allait vers la mer La journaliste mangeait du chocolat amer, Et riait en voyant un oiseau tout nu Qui lavait ses plumes dans un chapeau pointu. Le dentiste sur son vélo en bois Pédalait en jouant du hautbois. Au passage à niveau, le vélo et le train, Qui regardaient en l’air N’ont pas vu les barrières Et se sont embrassés. Leurs conducteurs embarrassés Se sont serré la main. L’amour fou a lancé ses cœurs à l’eau Et la locomotive est tombée in petto Amoureuse du vélo. Ils se marièrent et eurent beaucoup d’autos. Mais les dents de la journaliste Ont dû être soignées par le dentiste. Moralité On ne mange pas de chocolat amer Quand on va en train à la mer.

épisodes

Pierre Humbert

Humbert

Amour fou

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Poèmes lorsque je Nicolas Kurtovitch

En passant à Mt Eden Ce matin j’ai parcouru la montagne maintenant elle reste si lointaine je suis redescendu en quelques marches abruptes jusqu’à la caverne au pied de Tinakori je passe devant la maison de bois à trois étages, par-delà Pankarow Avenue je pense à la jeune fille qui y habitait, de la terrasse elle dominait le Monde à Linda

Par Trois-Rivières Montagne froide se promène, aujourd’hui le fleuve va à l’océan sans me soucier de qui l’accompagne je vais avec le bouleau le long du fleuve je suis au Canada, à quelques pas le Saint-Laurent la saison est celle des feuilles jaunes encore par terre.

épisodes

Une nuit durant j’ai entendu en les accompagnant du regard tomber les feuilles rouges et jaunes d’un arbre enraciné près du fleuve elles glissaient au ras du sol poussées par je ne sais quoi, happées par ces belles tavernes disséminées formant trottoirs, d’où jaillissaient les voix tonitruantes de chanteurs ivres, poètes en exil avalant fatigues et angoisses Ils chantaient les heures sombres qui ont eu apparence de bonheur avec des oublis et des silences tapis au creux de la poitrine, et maintenant ils clament qu’une fois cela amoncelé, de la joie et de la douceur ne resteront que des ruines et des pleurs en d’interminables errances. Assis sur un tabouret plus haut que nécessaire, moi-même happé au-dehors, j’ai laissé mon esprit se couler dans un vent imperceptible les feuilles devenues forêts les voix devenaient à leur tour tonnerre et cascades, la nuit comme une malle au trésor s’était enfin ouverte.

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Kurtovitch

poèmes

déambule sans trop savoir Vers Poindimié

Rochers et pluie se marient comme la houle avec le vent en longeant les falaises je suis baigné d’une grande félicité au sommet de Montagne Froide je croise le chemin de quelques souvenirs je sais aujourd’hui que son visage s’illuminait lorsqu’elle avançait avec joie et courage jusqu’à la lointaine maison de notre sœur

à Bernadette Hagen

À Papeete Le rythme du cœur vient du souffle de la terre les tambours posés en arrière du cercle d’eau et de sable déploient genoux et bras jusqu’au cœur du banian vêtues de rouge de noir de bleu elles surgissent par les côtés mêlées aux danseurs oiseaux venus des sommets de Hakaui elles vont apprivoiser mon corps et prendre possession du monde Le sol vibre et tremble sous la charge des guerriers partis à la conquête des cieux de Nuku Hiva et de Ua Pou ils sont venus ils ont volé mon sang et mes yeux ils ont chassé le superflu du cœur des anciennes blessures la joie et le désir d’être au monde une herbe au fil du vent ici se réalisent quand l’ombre de la danse croise mon regard.

En allant vers Païta Montagnes et arbres se dessinent par la fenêtre un mur de pierres blanches vient s’intercaler j’entends distraitement un ami chanter son poème en quelques secondes j’ai rejoint le sentier des chèvres

à Jonathan

épisodes

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Kurtovitch épisodes

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Nicolas Kurtovitch

à Nouméa Que faire de ces journées mornes à pleurer arbres et rochers s’entendent à fissurer la montagne le portail solitaire dans l’allée claque avec le vent comment dire ce matin la vraie faiblesse du torrent

à Sydney Le souvenir inattendu de ces quelques mois anciens lorsque tous les trois nous allions par les allées du parc du haut de la ville jusqu’au quai des ferries, reniflant le bonheur ces images de nous m’assaillent sans relâche Quel bateau allions-nous choisir, pour quelle direction sans importance le premier à partir nous vit à la passerelle et franchir le bras de mer aujourd’hui j’observe par la grande fenêtre ces mêmes arbres de Hyde Park ils ont, semble-t-il, à peine changé, les années ont à peine marqué leurs belles écorces à Jean-François et à Roger


poèmes

Le silence du théâtre

épisodes

Je le sais Demain je partirai Je traverserai la terre Tu ne sauras rien De mes pas dans le ciel Impatiente d’arriver J’irai dans l’hiver Glacée dehors Brûlante au-dedans Et dans le silence du théâtre Dans le noir de la salle Je te verrai arriver Et toi seul sur la scène Mokhor magique Tu trouveras face à toi Et mes yeux Et mon âme

Laurent

Catherine C. Laurent

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Vanuatu 2009 Frédéric Ohlen Pour Thierry

Dit-elle Allons vers l’Ouest Par ces routes où le sable De corail talque Les creux lisse Les crevasses

Allons vers l’Ouest Où le marcheur Au retour de l’église Missel à la main Ombrelle sur l’épaule Ne rend aucun salut

Allons vers l’Ouest Où le regard porte Plus loin que les cierges rouges Que les cocagnes décapitées Des vieilles cocoteraies

Allons vers l’Ouest Vers l’éphémère fraîcheur des Hauts Banians Des gens assis Des chiens si maigres qu’ils Traînent Une ombre de cadran solaire

Allons vers l’Ouest Où le ciel s’oublie Où le bleu reste Cette vibration pure Sous la semelle Un éclat de rire Qui s’éparpille dans les gestes

épisodes

Allons vers l’Ouest Dans ce lucide encens Que le vent jette à la face Voile qui t’environne Et double la surface des peaux De sorte que ton cœur s’étend Aux plus lointaines eaux Aux sommets noyés Aux bras immobiles des fougères

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Allons vers l’Ouest Où le vieil homme Brandit à l’égal des plus rares Trophées Des bouteilles de Coca-Cola Millésime mil Neuf cent quarante-deux Au cul des fiasques New York City Minnesota


poèmes

Allons vers l’Ouest Scierie ou friche À vau-le vent Ivre de cette irradiation Richesse Talk more pay less Ici on sème jusqu’à l’inceste Allons vers l’Ouest Sur les sièges lacérés du taxi Loin l’orgueil Des haies taillées et des murs Pour jusqu’aux cimes De soi-même s’élancer

Allons vers l’Ouest Sur la hanche des femmes Dans le roulement irrésistible De leurs reins

Ohlen

Allons vers l’Ouest Quand le corps descend Courbe De s’être greffé À cette virginité nouvelle Country for renting Beauty for hire

Allons vers l’Ouest Au plus noir Du sol All for sale À nous la salsa Vengeresse des routes

Allons vers l’Ouest Avec l’enfant au front Gercé de mouches Avec l’homme Aux mains nervurées de rotang

Allons vers l’Ouest Vers le soir remué de pupilles Vers la Ténèbre muée en chair Genoux offerts Pour y poser nos joues de voyageurs

épisodes

Allons vers l’Ouest Dans le sucre filé des franchises Dans l’incessant Rebond des secousses Les doigts soudés au vinyle du volant Brodant d’absurdes diagonales Sur la terre vide Blasée de vacarmes

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Peirano épisodes

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Ô Calédonie ! Arlette Peirano

Ô Calédonie ! Si lointaine, enveloppée de ta chaleur. Aux antipodes de ma vie, à l’envers de mon heure. Je t’ai connue, je t’ai aimée, que de beaux souvenirs ! Sans parler de ta terre, de la mer qui m’invite à revenir. Source d’inspiration, grâce à toi j’ai pris nom d’auteur. J’ai écris de belles choses mais aussi des horreurs. Ce que je garde à présent est enfoui dans mes veines. Ma conscience est intacte, pour elle je reste reine. Au contact du froid, j’ai appris bien des choses. L’amour est au fond de soi et si parfois l’on ose, Quitter famille, amis, perdre un coin de paradis, Aucune cause ne se perd et mérite un non-dit. Ô Québec ! Si présent, enveloppé de ta froideur. Aux confins de cette vie nouvelle, à l’endroit du bonheur. Misant sur ton accueil, ta neige, tes grands espaces, Mille lacs enfin pour trouver ce pays qui m’enlace.


poèmes

Cyber chagrin Nicole Perrier

J’ai l’cafard fard fard fard

elle s’expédie des e-mails

Meetic Nicole Perrier

Rivée à son ordinateur Ça ne lui arrange pas la vue mais ça lui arrange le cœur

Esthétique Nicole Perrier

— Sexy le nouvel ourlé de tes lèvres Botox ? — Branche basse en forêt de Saille…

épisodes

Quand elle est triste que son humeur ressemble à un gros ciel de pluie

Perrier

Comme la nature Héloïse a horreur du vide

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Perrier

Retour à la source Nicole Perrier

Marcher jusqu’au bord de l’orage Contre la montagne se laisser glisser dans l’eau Flotter les yeux dans les nuages quand le soleil emprunte à la lune son halo N’être plus que lumière bercée d’éternité

Reflux Nicole Perrier

La ville charrie ses torrents d’estropiés de gueux de pochards Surnage qui peut sur l’écume de l’infortune

Messages d’Haïti Nicole Perrier

Par-delà le chaos des voix nous parviennent paroles mesurées qui n’osent dire l’horreur

épisodes

Dignité que n’a pas la horde des médias

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En filigrane comme un gospel chante l’espoir


poèmes

Lion’s club sandwich

Sa royale cage trône à l’entrée du zoo, Il règne au beau milieu d’un harem de lionnes, Qui sont chattes, félines plutôt que bobonnes… Et quelquefois lui égratignent le museau. C’est l’attraction préférée de tous les enfants, Ils s’amusent à de grandes chasses africaines, Sous un soleil d’hiver, encombrés de mitaines… Ils font même la nique au célèbre Tarzan ! L’inactivité et l’insipide pâtée Sans parler de répétitifs coïts triviaux, De sa couronne font pâlir les vieux joyaux Et raccourcir sa crinière déjà mitée. Par bonheur, le gardien redore son blason Tous les jours, ponctuel, à douze heures Greenwich Lorsqu’il va sur un banc boulotter son sandwich… La faute en est, pour sûr, à la conjugaison ! Par le brave employé, sur les barreaux du roi, Tous les midis une pancarte est déposée, Où est écrit : « LE GARDIEN A ÉTÉ MANGÉ » Être ou aller, félin comblé et mauvais choix !

épisodes

Des animaux, sans conteste, Roi est le lion, Un personnage dont on ne se moque pas ! C’est une chose acquise et un postulat. Une fois n’est pas coutume, nous en rirons…

Rossero

Roland Rossero

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Rossero

C roqueur en larmes

épisodes

Roland Rossero

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(Peut se chanter sur un air de Voulzy)

Animal aquatique, saurien très dentu, Sous son dur cuir se cache un cœur tendre, émotif, Bien que bouffant des porteurs comme des p’tits Lu Sans aucun ennui gastrique, ni digestif. Après ce long repas, il écrase une larme Repu, mais contrit de cet immense carnage. À ce moment, vulnérable et à portée d’arme, Le croco peut finir sac à main ou bagage. Le tyran, tristement célèbre, Amin Dada En a fait un féroce animal domestique. Il en logeait dans sa piscine tout un tas, Réduisant en bouillie opposants politiques. Écœuré, il se vida en pleurs torrentiels. D’un « quaïment » parent, le gros alligator, Il rallia le pays et changea de ciel. Bonjour la Floride, fini Terminator ! Très loin des zoos troubles, à présent, il se prélasse Avec des mémés aussi sensibles que lui, Sieste, hot-dog et rock n’roll, la vie de palace… Expression lacrymale de joie, il essuie !


À cloche-

poèmes

Tristan Derycke et Nicole Perrier

Fantaisie à deux voix

À la fin du concert, rabats le couvercle de ton Bösendorfer, range tes partitions, ôte ta queue de pie et quitte le cercle restreint de tes amis, toute réclamation serait très malvenue. N'oublie pas de fermer la porte sur la rue, d'acheter le journal, de remplir le grand cabas sans trop dépenser et ne m'emmerde pas avec ton récital ! C'est vrai quoi à la fin, deux années que ça dure… Pourtant tu le sais bien que Frédo, ton polak phtisique, il me déprime, bémols plein l'armature, trilles mineurs en prime, tu m'en joues tout un sac. Tu vires limace scotché à ton clavier, serait bien que tu fasses un petit peu de sport. Un Apollon je veux, avec de beaux fessiers, remue-toi, comateux, quand il est temps encor.

C'est pas tes arpèges, tes vibrants trémolos, brûle toujours un cierge, qui nous arrondiront fins de mois, nous sortiront tête hors de l'eau. Il serait temps, crois- moi, qu’tu sois au diapason. Cesse un peu, mégère, de tirer sur l’pianiste, si tu veux la guerre tu vas l'avoir forte. Moi aussi je peux être un fichu égoïste et t'envoyer paître, tu l’auras mérité !

épisodes

« À cloche-pied »

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Vis-à-vis

Marée noire

Tristan Derycke

Enfoui dans ta psyché maladive Dans une hostile expectative Ça vit en toi Léviathan sournois Entité dévolue À ta destruction absolue Tu n’y peux rien Tu le sais bien Vague interrogation Anodine réflexion Léger doute Semé sur ta route Et c’est

Le marc de houille luisant au fond de la tasse Qui profite du moindre espace Du plus petit interstice Ça germe sombre esquisse Aspérité sur une surface lisse Ça rampe ça s’immisce D’abord avec quelque retenue Noire pensée contenue Puis répandue Mazout sur l’océan

Évocations morbides Avatars putrides Te voilà balayé Désagrégé émietté Englouti submergé

Marée gluante Flots puants En d’inextinguibles assauts

épisodes

Qui

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Étreignent ta gorge martèlent ton cœur cisaillent tes jambes fracassent ton crâne broient ton cerveau.

Dans cette peur Atavique animale C’est paradoxal De sueur inondé Salive asséchée Tu n’es plus grand-chose À peine si tu oses Bouger respirer Simplement exister Un seul désir en tête Que ça s’arrête. Tu donnerais n’importe quoi Mais tu n’as pas le choix Pas question Jusqu’à complète annihilation Ça ne te lâchera pas N’y compte pas Nul répit Tout ce temps infini Et lorsque peut-être adviendront Décrue et reflux Qui t’abandonneront Sur la grève morne d’un monde d’automne Gisant pantelant désossé désarticulé Pour tout dire Hors de toi Encore une fois Tu sauras que ça recommencera Pour toi ça sera toujours là Insurmontable angoisse.

Désolé Tristan Derycke

J’ai tout prévu À côté de moi Vous trouverez Huiles essentielles Bougies parfumées Désodorisants Pot pourri Ironie De circonstance De telle sorte que Votre nez Ne sera pas froissé Quel que soit Mon état De décomposition Avancé Pour des raisons pratiques Dans une housse Je me suis couché Un coup de zip Et On n’en parle plus


poèmes

Nicole Perrier

Extrait du fond d’un tiroir état neuf mort à confesse un amour de jeunesse Brève romance italienne très ancienne allergique aux changements climatiques Passablement cabossé un sans blanc de mariage tombé de son nuage Vestiges d’aventures qualité discutable provenance inavouable Travestis en fausse histoire de solide amitié des sentiments déguisés Pour durer toute une vie un amour impossible garanti indestructible

En prime sans supplément un lot d’émotions fortes d’étreintes entre deux portes un quintal de chagrins confettis serpentins Le tout pour pas cher un aller simple pour l’enfer

Si proche et… si loin Nicole Perrier

D’une boîte de chocolats d’une bouteille de Santenay je dîne du plexus à la gorge l’angoisse m’étreint La douleur née de ta douleur me mine je meurs de ne pouvoir apaiser ton chagrin

épisodes

Avant la mise en bière pièces uniques à saisir à la foire aux souvenirs

Vis-à-vis

Braderie

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« Implosion plein sud » acrylique 84X122 Mathieu Venon : http://mathieuvenon.blogspirit.com


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