BSC NEWS MAGAZINE - Février 2016

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© Editions Soleil, 2015 – Piatzszek, González Escalada

BSC NEWS N°87 - FÉVRIER 2016

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EDITO

« On a complètement foiré la démocratisation de la culture» par Nicolas Vidal

« On a complètement foiré la démocratisation de la culture» Le célèbre acteur Jean Rochefort s’est insurgé cette semaine chez nos confrères de mytoc. fr. * Sa charge est violente contre les hommes politiques qu’ils accusent «non pas d’avoir peur de la culture mais de s’en désintéresser totalement». Elle est parfois un simple outil utilisé pour la conservation du pouvoir « La culture, ils s’en servent. La culture paillette pour se mettre en valeur. Mais au fond ils s’en moquent eux aussi de la culture » Jean Rochefort poursuit « on a l’impression que pour eux la culture est une contrainte.» Le propos est acerbe, féroce et quelque peu résigné. Certes. Puis il est question du rapport que le peuple entretient avec la culture. «une culture pour tous» plaide-t-il, « Malheureusement une partie de la population s’en est éloignée ». On rentre véritablement dans le coeur du problème. Jean Rochefort déplore une utilisation peu judicieuse des subventions publiques en indiquant que «l’essentiel de l’argent public est réservé toujours aux mêmes 2

et qu’il faut avoir un bon Libé pour les obtenir». L’acteur poursuit dans la mise en cause de «la télévision qui produit souvent de l’anti-culture» ( on se rappellera notamment l’analyse de Pierre Jourde qui définissait la télévision comme une arme de destruction massive). On adhère aisément aux propos de Jean Rochefort qu’il manie avec cette gouaille légendaire. Mais le propos est inquiétant tant il continue d’affirmer la désaffection de la culture par le plus grand nombre. Cependant, la question mérite d’être posée : est-ce la faute d’une politique culturelle publique défaillante et mal utilisée ou est-ce le résultat d’une nonchalance des individus à s’intéresser à la culture sous toutes ses formes même les plus accessibles ? Car à l’heure du numérique où tout devient à portée de main gratuitement d’un simple clic, est-ce la démocratisation de la culture qui a foiré ou la démocratie elle-même qui est mal utilisée par ceux à qui elle appartient ? Le débat est ouvert.

*Lire l’interview en intégralité sur MyToc.fr ici


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La couverture

Stéphane Piatzszek Dessin de presse

P.6

PLANTU EXPO Musique

P.32

LA SÉLECTION 4


Pop

Boy Chanson

Elise Carron Photo

Hymne à la terre : un étourdissant voyage photographique 5


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La couverture

Stéphane Piatzszek

l’interview

Stéphane Piatzszek a laissé libre cours à son envie : écrire sur le Moyen Âge. Pour cela, il a sollicité l’illustrateur espagnol Guillermo Gonzalez Escalada pour mener à bien le Chevalier à la Licorne. Une bande dessinée remarquable et fascinante sur le chevalier Juan de la Heredia qui se met en quête d’une licorne après avoir sauvé le Roi pendant la bataille de Crécy. Une formidable aventure au graphisme saisissant pour laquelle nous avons eu envie d’en apprendre plus. Par Nicolas Vidal - Visuels © Editions Soleil, 2015 – Piatzszek, González Escalada 8


Stéphane Piatzszek, qu’est ce qui vous a donné envie de travailler sur cette histoire de Juan de la Heredia ? Avez-vous des accointances et une passion pour l’Histoire et plus précisément pour cette époque ? J’ai envie d’écrire sur le Moyen Âge depuis longtemps et j’ai eu la chance que cette envie rejoigne celle du dessinateur, Guillermo G.Escaladat, alors j’ai écris ! Et oui, j’aime l’histoire au sens large, j’ai d’ailleurs été professeur d’histoire, il y a une dizaine d’années. Comment votre parcours personnel vous a-t-il mené à l’écriture de scénario pour la bande dessinée ? J’étais journaliste de cinéma, et on m’a proposé d’écrire pour la télévision. Alors j’ai collaboré à plusieurs séries policières, mais je n’ai pas réussi à y être libre et à imposé mes propres histoires. J’ai donc choisi la bd, que je ne connaissais

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pas, mais qui ressemble beaucoup à l’écriture du cinéma et dans laquelle on a une immense liberté de ton et d’histoire. Pouvez-vous nous parler de la naissance de ce projet avec Guillermo G.Escalada ? J’admirais les magnifiques illustrations de Guillermo et je lui ai demandé s’il serait d’accord pour tenter de faire une bd. Il n’avait fait auparavant que des histoires courtes en bd, donc il redoutait un peude faire un 54 planches. J’ai mis un peu de temps pour le persuader ! Il a lu et il a aimé le scénario, il voulait dessiner une aventure ayant lieu au Moyen Âge dans laquelle on ne serait pas noyé dans les batailles ! À ce sujet, comment avez vous travaillé sur cette bande dessinée avec Guillerme G.Escalada ? Comment s’est déroulée la progression du dessin et de


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l’écriture du scénario ? En somme, quelle a été votre stratégie artistique pour achever cette bande dessinée ? J’ai d’abord écrit le scénario puis j’ai fait un découpage rapide et grossier et Guillermo est venu dessiner dessus, c’est aussi simple que cela. De plus en plus de bandes dessinées fonctionnent en série. Ce n’est pas le cas du Chevalier à la Licorne. Etait-ce un choix assumé dès le début ? À chaque histoire, sa bonne longueur. C’était un désir de Guillermo: il voulait une histoire qu’on puisse faire en one-shot car il avait peur de se lancer dans une série qui demande un énorme travail à une cadence rapide. Hors les dessins de Guillermo, si précis, si travaillé ne souffrent pas la rapidité. il a mis plus de deux ans pour faire cet album... 11

En tant que scénariste, comment êtes-vous approprié la période historique ? Avez-vous fait des recherches à ce sujet ? Oui, je fais de plus en plus de recherches pour mes histoires, ce qui n’implique pas que je ne continue pas à faire des erreurs. Par exemple, dans une scène on voit Juan dévorer des tomates, hors les tomates n’existaient pas en Europe à cette époque... Je lis beaucoup, pour tenter d’entrer dans l’esprit de l’homme dont je raconte l’histoire. Ce fut la gageure du chevalier : comment raconter un traumatisme dans l’esprit d’un chevalier du Moyen Âge ? On sait que vous appréciez particulièrement les polars. Dans cet album, il est question de tout autre chose. Peut-on dire que Stéphane Piatzszek est un touche-à-tout ? Oui, oui, bien sûr. Et je ne compte pas m’arrêter là !


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Comment avez-vous appréhendé le destin de Juan de la Heredia ? Est-ce que la vision que vous vous faisiez du personnage a changé entre le début de votre écriture et la fin ou aviez-vous une idée très précise de son destin ? C’est un personnage historique dont on connait simplement deux petits morceaux de sa vie : son acte de bravoure à la bataille de Crecy quand il a sauvé le roi de France et puis le début de sa «vieillesse», une vingtaine d’années plus tard, quand il a connu le pape en Avignon. C’était comme un jeu de piste de recomposer sa vie entre ces deux pôles. Qu’est ce qui vous a plus dans cette quête de la Licorne telle

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une chimère qui s’évapore sans cesse ? C’est l’histoire d’un homme qui se cherche, qui doit aller au bout de lui-même pour trouver la force de se pardonner; de pardonner au guerrier sanguinaire qu’il a du être pour rester en vie. Cette licorne qu’il poursuit, elle n’est pas une chimère, elle est lui-même. Elle est sa vie recommencée. C’est une histoire magnifique à n’en pas douter mais également cruelle et brutale. Il semblerait que vous ayez trouvé une parfaite alchimie dans ce récit. Etait-ce une nouvelle fois votre idée de départ ? Oui, oui, bien sûr : c’est de cette violence de la guerre dont il doit se débarrasser enfin pour deve-


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nir un homme. Juan qui est un homme qui continue sa route, qui ne s’arrête pas, qui va au bout. On brûle d’envie de vous demander si vous travaillez sur un nouveau projet à l’heure actuelle, Stéphane ? Je travaille sur de nombreux projets, mais en effet, oui, je travaille à un nouveau projet avec Guillermo ! Nous explorons de nouveau le Moyen Âge, en demeurant au confin du réalisme et de la magie... Cette fois, nos héroïnes seront des femmes, des femmes de guerre... vous en saurez plus bientôt sur la Guerre des Amazones.

Le chevalier à la Licorne Scénario:StéphanePiatzszek Dessins:GuillermoG.Escalada Collection Quadrants Edition Soleil

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Lorsqu’il est nécessaire de réfléchir à la liberté d’expression, Plantu semble le candidat idéal tout autant qu’il est enthousiaste et heureux d’en débattre. À l’occasion de la sortie de son livre « Souris et tais-toi, petit lexique de l’autocensure» paru aux Editions du Seuil, nous avons eu envie de retrouver Plantu après une année 2015 tragique afin qu’il nous donne son point de vue et nous fasse profiter de son trait magique. Par Nicolas Vidal - © Photo Jérôme Tripier

Plantu, qu’est ce qui a déclenché en vous le besoin de publier le petit lexique de l’auto-censure ? Et pourquoi avoir repris en couverture une souris baillonnée ? Les lecteurs du Monde me demandent souvent pourquoi je dessine une petite souris. J’y répondrais donc par ce lexique. Ma petite souris est née en 1995 : une nouvelle directrice artistique venait d’arriver au journal. Quinze jours plus tard, pour marquer son territoire, elle a décidé de virer sans indemnités deux dessinateurs qui travaillaient au Monde depuis plus de quinze ans : Bérénice Cleeve, dessinatrice américaine, et Tudor

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Banus, dessinateur roumain. J’explique tout ça dans mon lexique (cf. entrée « Souris »). Mais alors pourquoi dessiner une petite souris bâillonnée ? Parce que c’est dans l’air du temps : les dessinateurs vont avoir de plus en plus de mal à dire ce qu’ils ont sur le coeur. Les peurs et le politiquement correct sont passés par là. Pensez-vous que le politiquement correct prend de plus en plus d’ampleur dans nos sociétés aujourd’hui . Et qu’est ce qui le caractérise ? Un jour le directeur de l’imprimerie de L’Express me téléphone,


mande un dessin pour la une du quotidien de Vincent Bolloré. Quand je le lui donne, gros problème. Le rédac’ chef va voir Bolloré et revient, de grosses gouttes sur la tempe : il faut transformer le dessin, considéré comme trop agressif. Le dessin ne fera pas toute la une mais y sera imprimé au format timbre-poste… Illisible.

affolé. Il me dit qu’il a arrêté les machines parce qu’il y avait « un petit truc qui dépassait de la braguette d’Iznogoud ». Il ajoutedans un râle : « On ne peut pas imprimer le dessin comme ça. » Ils ont dû gratter le petit bout qui dépassait. Ça a dû faire mal. Une autre fois, en 2008, le rédacteur en chef de Matin Plus me com18

Comment se concrétise l’auto-censure chez le dessinateur et par quoi peut-elle être motivée ? Depuis que je fais ce travail à la une du Monde, et grâce au renom international du journal, j’ai pu rencontrer des dessinateurs dans le monde entier. Je n’en connais pas un seul qui ait envie de dessiner tout ce qui lui passe par la tête. Comme les journalistes, les


dessinateurs se fixent certaines limites. Ça s’appelle l’autocensure. Certains dessinateurs de Charlie Hebdo dessinent également pour le quotidien L’Humanité. Comme le dit lui-même le directeur de L’Huma : « Bien entendu, aucun des dessins publiés dans le journal ne critique les leaders de la CGT ou du Parti communiste.» Cela a un nom : cela s’appelle l’autocensure. Cela n’a rien 19

de choquant, il faut juste le dire. Au delà du fait religieux et de ses fanatismes, pensez-vous que l’auto-censure touche également les dessinateurs sur les sujets politiques, sociaux qui concernent la France ? Autrement dit, est-ce qu’un dessinateur peut potentiellement renoncer à faire un dessin sur un sujet d’actualité nationale ?


Mon tout premier dessin a été publié quand j’avais 18 ans dans l’hebdomadaire de la SNCF, La Vie du Rail. Plusieurs années plus tard, le rédacteur en chef l’apprend et me propose d’imaginer le TGV dans vingt-cinq ans. Le dessin ne sera jamais publié dans le journal de la SNCF. Je me sou-

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viens de ses propos : « Si je publie ce dessin, je suis viré, et en plus il n’y aura plus de trains en France pendant une semaine.» On peut parler également d’un dessin critiquant le Syndicat de l’imprimerie dans un quotidiennational français. Inimaginable.


D’autre part, avez-vous des anecdotes à nous raconter sur le conflit ou le mélange des genres entre l’éditorial d’un journal ( et plus précisément sur votre partie le dessin de presse) et des intérêts supérieurs que peuvent être la 21

publicité ? Un jour, la rédactrice en chef technique me demande de laisser du blanc en bas à gauche de mon dessin afin d’éviter que mon image ne se frotte trop à la publicité contiguë. Ce que je découvre à l’impression, c’est que la pub (Crédit Lyonnais ou Suez) est carrément dans mon dessin. Stupeur ! Je vais voir la rédactrice en chef et je m’aperçois qu’elle n’est pas du tout surprise ; c’était voulu. Et ma deuxième stupeur, c’est quand je comprends qu’il faut que je me prenne tout seul par la main pour aller défendre mon territoire auprès de la responsable de la pub. Grand moment de solitude…


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Ou bien d’éventuelles prises de bec et de divergences d’opinion sur l’un de vos dessins ? On est en 1996, mon dessin de la banlieue arrive sous les yeux du rédacteur en chef, qui s’insurge : « Change ton dessin, il n’y a pas de drogue en banlieue ! » Je lui réponds que, s’il y en a dans mon XIe arrondissement de Paris, on peut imaginer qu’il y en a aussi dans certaines banlieues. Refus. On me réserve le même rectangle dans la page, maisje dois dessiner autre chose. Quand je reviens au moment du bouclage… je propose le même dessin. Ambiance. Le dessin est imprimé mais le lendemain j’ai droit à un tribunal spécial et les 23

« commissaires politiques » me demandent de ne plus jamais faire ça. Il faut dire qu’à l’époque Internet n’était pas encore utilisé. Aujourd’hui, le dessin serait remplacé en deux secondes par n’importe quelle image non dérangeante trouvée sur le web Au contraire, avez-vous une une anecdote de satisfaction sur l’un de vos dessins qui vous permet de continuer à croire en la liberté de la presse ? La loi concernant l’interdiction de la burqa dans les lieux publics m’amène à défendre cette position : pour moi, la laïcité doit passer avant le fondamentalisme re-


ligieux. Or l’éditorial du Monde dit pratiquement le contraire de mon dessin. C’est une chance de travailler dans ce journal : le dessin est quand même publié sans discussion. Mais sur un tel sujet légèrement casse-gueule, au lieu Pouvez-vous nous parler du rôle de «Cartooning for Peace» ? A t-il pris encore plus d’ampleur et de sens depuis les attentats de janvier 2015 ? Le discours de l’organisation a-t-il changé et s’estil adapté aux peurs suscitées par cet attentat ? Le 16 octobre 2006, nous avons 24

réuni à New York, autour de Kofi Annan et devant l’Assemblée de l’ONU, des dessinateurs chrétiens, juifs, musulmans, athées, etc. C’est là qu’est née l’association Cartooning for Peace/Dessins pour la paix. Cette première rencontre s’intitulait « Désapprendre l’intolérance ». À l’heure où certains avaient tellement envie de creuser un fossé entre les cultures, nous, avec nos petits crayons, nous essayions de créer des ponts. Depuis, il y a eu les journées de Janvier à Paris. Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski sont assassinés (en tout


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douze personnes à Charlie Hebdo), des otages sont tués dans l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes et il y a quelques semaines, nous assistions impuissants aux tragiques attentats du 13 novembre. Aujourd’hui, les dessinateurs continuent à faire leur travail de caricaturistes comme avant. Les dessins n’ont pas changé, mais leur vie n’est plus la même ; plusieurs sont maintenant accompagnés d’officiers de sécurité. 26

Depuis dix ans, l’association Cartooning for Peace a pris de l’importance et l’équipe suit de près des dessinateurs du monde entier. Certains sont menacés ; d’autres viennent se réfugier en France. Il s’agit bien sûr de les aider. Mais il s’agit aussi de se nourrir de leur expérience et de s’inspirer de leur exemple pour savoir comment mieux contourner les interdits qui s’installent un peu partout dans notre belle Europe endormie.Face aux injonctions et aux interdictions lancées aux dessinateurs danois, on a inventé un autre paquet cadeau : Cartooning for Peace. Comment ne rien lâcher sur l’essentiel de nos opinions politiques tout en tenant compte des lecteurs habituels ou occasionnels. C’est ainsi que nous organisons des débats avec des dessinateurs d’opinions très différentes : cela va du dessinateur mormon de Madagascar (Pov) au dessinateur israélien militant pour les Territoires occupés (Shay Charka). Entre ces dessinateurs qui n’ont pas tous été


coulés dans le même moule, les débats peuvent être rudes. Une chose pourtant les réunit : le respect mutuel. Pour des hommes et des femmes qui travaillent jour et nuit dans l’irrespect, c’est un tour de force. Mais ça marche. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur «Dessine moi la méditerranée», l’exposition pédagogique organisée par Cartooning for Peace ? Cartooning for Peace présente “Dessine-moi la Méditerranée”, une nouvelle exposition itinérante consacrée aux enjeux

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de la région méditerranéenne d’aujourd’hui. Son propos ? Proposer, via le dessin de presse, des clés pour lire et comprendre les grandes problématiques du pourtour méditerranéen : liberté d’expression, frontières, migrations, environnement, nouveaux défis pour la jeunesse… Son ambition ? Rendre hommage, par le dessin de presse, à la richesse de la diversité culturelle de la région et contribuer à la construction d’un espace commun de paix, où il est possible de vivre ensemble. Plantu Souris et tais-toi Petit lexique de l’autocensure Editions du Seuil Pour aller plus loin : Dessine-moi la méditerranée Cartooning for Peace


Livre

Rarement publication est pareillement survenue à point nommé ! Bernard Fripiat signe une déclaration d’amour à l’orthographe, au moment même où sort du bois un commando décidé à couper 2400 têtes qui dépassent notre entendement, soit environ 4% du lexique de la langue française. Par Pascal Baronheid Fripiat vient de Belgique, pays qui compte quelques jongleurs de la langue française, Bruno Coppens en premier. Soucieux de désamorcer les critiques, la mauvaise foi, la paresse intellectuelle des détracteurs de notre orthographe, il propose 138 questions-réponses (le petit Robert l’écrit sans -) sous un mode facé28

tieux et désacralisant. « Pourquoi y a-t-il un i dans oignon ? Pourquoi écrivons-nous parfois des th et des ph ? Pourquoi hésitons-nous entre le masculin et le féminin ? ». Et de conclure en répondant à « Pourquoi ne simplifierons-nous jamais l’orthographe ? ». Entre anecdotes et explications historiques, un pavé dans la


de louanges et autres plaisirs impartiaux. Montety dirige par ailleurs le supplément littéraire du même Figaro ; c’est dire si son terrain d’aventure est vaste, pour épingler les mots qui surgissent au gré de l’actualité, nationale ou internationale, s’en amuser, en extraire la substantifique saveur avec, bon sang bleu ne peut mentir, une dilection pour les bénéficiaires de gauche. Ce n’est pas Manuel Valls qui nous contredira. D’Amazon (fleuve qui coule, notamment les librairies) à Vagin (organe de pro-

mare d’autant plus judicieux que les professeurs ne sont pas tenus d’enseigner l’orthographe révisée à leurs élèves, puisqu’elle n’a aucun caractère obligatoire. Etienne de Montety écrit pour Le Figaro des billets quotidiens qui « résisteront au temps. Ils se présentent pourtant avec une double modestie » assure dans sa préface Philippe Delerm, directeur de la collection Le Goût des mots. La première gorgée 29

Un pavé dans la mare d’autant plus judicieux que les professeurs ne sont pas tenus d’enseigner l’orthographe révisée à leurs élèves, puisqu’elle n’a aucun caractère obligatoire.

motion), en passant par grexit, selfie, FIFA, karaoké (scène où Christiane Taubira peut chanter faux), un alignement devant un pacifique peloton d’exécution rappelant les « revues » des carnavals rhénans.


« Au commencement était le verbe … ensuite vint l’orthographe ! », Bernard Fripiat, collection Le Goût des mots, Points P4258, 7 € « Billets du « Figaro » l’actualité au fil des mots », Etienne de Montety, collection Le Goût des mots, Points P4259, 7 €

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Le maître d’école buissonnière

« Poète nocturne, romancier en cavale, Orchestré par le poète Lionel Verdier le volume propose quapeintre de la lumière, de la pluie et Envie de relire, toutes torze petites musiques, des jours perdus ». ivresses cessantes, dont plusieurs sonnent On brocarde suffijuste, entre proximité et samment et à juste ses « Contes bleus du mélancolie, fêlure et intititre les quatrièmes vin » et le reste, qui mité, telles les pages de pages de couverture, attend sa vingt-cin- Sylvie Doizelet, compour ne pas relever quième heure dans pagne de contrebande la sobre pertinence d’une « trajectoire vertigiquelque chai paisible neuse, abandonnant carde celle qui accomtons, dizaines de cartons pagne un récent hommage collectif à Par Marc Emile Baronheid dans votre village… ». Jean-Claude Pirotte. Autant d’amorces pos32


sibles d’études ou d’essais substantiels. On retiendra ce constat paradoxal de Ph. Claudel : « L’homme a beaucoup pérégriné, sans pour autant s’embarquer très loin », auquel répond Pirotte :

l’écrivain et peintre namurois. Un mois avant de tirer sa révérence, il y est tour à tour tendre, grave, narquois, fragile, humain, inquiet, à hauteur d’enfance. Peu auparavant, Pirotte, « poète d’une littérature d’ébriété et d’émiettement » (c’est Claudel encore, dans j’aurai franchi les paysages comme un oiseau dans ses voyages sa préface), débouchait un ultime j’aurai connu la terre entière récit dédié au vin. Une vendange tardive, déjà promise au millésime. et j’aurai vu toutes les mers Envie de relire, toutes ivresses cesCe quatrain figure dans un recueil santes, ses « Contes bleus du vin » et écrit pour de jeunes lecteurs et don- le reste, qui attend sa vingt-cinquième nant à lire les ultimes poèmes de heure dans quelque chai paisible, 33


corruptible, au moment précis où nous entreprenons de la corrompre d’un mot, d’un geste ou d’un signe ». Pirotte, tel qu’en lui-même la rébellion le fit.

dormant – comme on le dit des personnages en instance de jaillissement. Car n’en doutons pas, Pirotte a encore fugué, mais il reviendra. Il a dû laisser un mot. Parti pour vendanger les petits arpents de ce bon dieu qui prétend changer l’eau en vin et la cruauté du monde en poésie. Pris à la gorge par une soif maligne. « Cette soif brutale, à quelle source de vie pourrons-nous jamais l’étancher ? A quelle source de mort ? Et comment obtenir de l’aujourd’hui qu’il nous abreuve sans mesure de ce liquide inconnu dont nous rêvons de préserver la saveur in34

« Jean-Claude Pirotte », sous la direction de Lionel Verdier, Classiques Garnier. Repères biographiques, bibliographie fouillée, index, 29 euros « Il y a », poèmes de Jean-Claude Pirotte/ images de Didier Cros, Møtus. 10,40 euros. (ww.editions.motus.com) « Le silence », Jean-Claude Pirotte ; préface de Philippe Claudel, Stock, 13 euros


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Sainte Simone d’Avila ou l’ambiguïté guidant le peuple Sacrée Beauvoir ! Elle continue d’aimanter des groupies et non des moindres. Comme si quantité de lectrices étaient définitivement frappées de cécité. Aujourd’hui une autre voix se fait entendre, salubre et dissonante, révélant une reine dépouillée de ses leurres. PAR MARC EMILE BARONHEID

Parmi les vestales historiques, Julia Kristeva : « La vie et l’œuvre de Simone de Beauvoir (19081986) cristallisent une révolution anthropologique majeure, préparée collectivement de longue date par les deux sexes, et qui ne cesse de produire des effets imprévisibles sur nos destins personnels et sur l’avenir politique de la planète ». Telle est la bande de lancement de la réédition de quatre

études consacrées à l’aristocrate, philosophe existentialiste, symbole de la cause féministe. La suite est à l’avenant, les lignes les moins enthousiastes promettant « des lectures personnelles et des commentaires admiratifs ou critiques que suscite en moi une expérience fondatrice dont les nuances et l’actualité n’ont pas fini de nous interpeller et de nous surprendre ».

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L’approche de Marie-Jo Bonnet conjugue rigueur et liberté d’en découdre avec le mythe de la grande intellectuelle, femme libre, transparente et épanouie. Il s’agit ici de dévoiler celle qui n’assumait pas ses gourmandises et dont les paravents dissimulaient un narcissisme démiurgique, un clivage mesquin entre la clarté de l’énoncé philosophique et une vie aux multiples désirs, aux appétits insatiables. Jusqu’à penser sans vergogne que la jus-


tification de sa vie tiendrait indéfiniment dans son œuvre ? La correspondance de cette Emma Beauvoiry regorge de jalousie, de faux-fuyants, d’orgueilleux désir d’exclusivité malgré l’acquiescement à des étreintes interchangeables, de manipulations piteuses. Elle qui adorait plastronner en tête de gondole dans les cortèges dévoués à la cause du peuple féminin jouerait assurément des coudes, aujourd’hui, parmi les hétaïres dépoitrail-

lées et réclamerait la tête de Marcela Iacub. Lire Marie-Jo Bonnet, c’est adhérer à une opération de salubrité morale. Le féminin accapare l’attention de Gérard Pommier, psychiatre et psychanalyste. Son essai part de l’interrogation fondamentale d’Aristote sur l’existence d’une âme féminine, pour rejoindre une Annie Le Brun, exemple de lucidité face aux pantalonnades du féminisme guerrier (« la bêtise mili37

tante »). Tout au long de son essai, Pommier considère quantité de prismes fondamentaux, avançant subtilement des pions suivis de points d’interrogation, lorsqu’il lève quelque lièvre. Et ce n’est pas rare, conférant une qualité certaine à cette exploration littéraire et politique qui a le bon goût et la clairvoyance de privilégier le féminin au féminisme, de préférer l’original à la caricature. « Beauvoir présente », Julia Kristeva, Pluriel. 6,50 euros « Simone de Beauvoir et les femmes », Marie-Jo Bonnet, Albin Michel. 22 euros « Feminin, révolution sans fin », Gérard Pommier, Pauvert. 19 euros


Gilles Kepel, l’éclairage sur une société fragmentée La France a été meurtrie par une série d’attentats tout au long de l’année 2015. La liste,en effet, est longue: de la tuerie à Charlie Hebdo en janvier jusqu’au massacre au Bataclan en novembre en passant par un attentat avorté contre une église en avril, une décapitation en juin et une fusillade dans un Thalys en Août. PAR RÉGIS SULLY

Le mérite du livre de Gilles Kepel et de Antoine Jardin est d’éclairer le lecteur sur les tenants et les aboutissants de cette vague de violence qui a déferlé sur la France. Les auteurs qui

ont perpétré ces actes abominables sont des individus issus de la troisième génération née de l’immigration après les émeutes de 2005. Cette nouvelle génération de nationalité française, passée par l’école de la République va se retrouver dans un monde où la promesse d’ un avenir radieux porté par le parti communiste a disparu, où les islamistes non violents , piétistes du Tabligh, salafistes, frères musulmans s’efforcent de mettent en place « des frontières culturelles infranchissables », c’est à dire des pratiques quoti-

«C’est que les tueries ont une double fonction: susciter la panique dans les sociétés mécréantes occidentales et recruter les sympathisants qui commettront de nouveaux carnages» 38


diennes qui tentent d’enfermer les Français d’ascendance musulmane. Les djihadistes qui prônent la violence ont là un terrain propice à la diffusion de leurs idées d’autant qu’ils développent un sentiment de victimisation parmi leurs coreligionnaires. A ce contexte intérieur, les auteurs mettent en exergue le changement radical intervenu avec le déclin d’al-Qaida au profit de nouveau type de terrorisme de proximité qui s’appuie sur des jeunes immigrés mal intégrés qui vont servir de fantassins à ce nouveau type de violence dont le but ultime est la guerre civile en Europe prélude à l’effondrement de l’Occident. Un texte mise en ligne en 2005: « L’appel à la résistance islamique mondiale » d’un certain Suri théorise cette nouvelle stratégie au regard des précédentes qui ont échoué. Cette nouvelle forme de djihad est servie par l’explosion des réseaux sociaux et par la proximité de camps d’entraînement militaire en Irak,Syrie et Libye. Mais les auteurs

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notent que parallèlement à cette radicalisation une intégration politique de la jeunesse française immigrée et musulmane est perceptible au travers de la participation aux élections soit par le vote soit par les candidatures. Pour assurer un avenir plus paisible à notre pays les auteurs grâce à ce qu’ils ont pu constater, entre autres, à Lunel voient dans l’instruction publique un lieu privilégié par faire éclore une société plus homogène. Ils souhaitent également que toute politique, en la matière, s’appuie sur les travaux universitaires indispensables à comprendre et donc à combattre. A lire donc, pour nourrir sa réflexion sur un sujet qui préoccupe nombre de nos compatriotes. Terreur dans l’Hexagone Gilles Kepel avec Antoine Jardin Editions Gallimard 21 euros


Par Laurence Biava

Ce cinquième roman de Gaëlle Josse est particulièrement esthétique et ambitieux.. Un vrai bonheur de lecture dans lequel on plonge tête baissée. De la part de l’auteur, on sent un vénérable désir de bien faire, semblable à celui de l’ouvrière appliquée devant sa toile. On est frappés ici par l’ardeur de la veine romanesque, où s’épanouit d’ailleurs de 40

roman en roman une écriture décidément soyeuse, précise, ciselée. Chaque phrase est travaillée, pas un mot n’est en trop, et le lecteur se laisse dériver, happé par la mélomanie du texte. Ici, le récit, plein de


ferveur touche et marque encore plus les esprits que les précédents. Sur fond de guerre opposant le Royaume de France et le Duché de Lorraine, on assiste à une savante mise en perspective de l’histoire de la création du Saint Sébastian de Georges de la Tour sous Louis XIII - De la Tour deviendra, par la grâce de ce prodigieux tableau le peintre officiel du roi - , dans laquelle se superposent les aléas d’une équivoque et assez destructrice relation amoureuse. Un récit parfaitement ajusté, intense et tendu,

Gaëlle Josse est écrivain. L’ombre de nos nuits est son 5ème roman. un roman historique à sa façon doublé d’une réflexion nécessaire sur la dépendance, l’oubli de soi, le masochisme unilatéral. Un roman passionnant dans lequel on plonge, le coeur pétrifié, comme on plonge peu à peu dans... les halos de la nuit... En effet, on l’apprend assez vite, la narratrice est au musée des Beaux-Arts de Rouen, devant le tableau Saint Sébastien soigné par Irène qui l’hypnotise et dans laquelle elle se fond, se remé-

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morant une histoire ancienne douloureuse. En arrière fond, deux prismes articulent le scénario et convergent : celui du syndrome de la femme « sauveur », et celui du couple destructeur, dans sa forme sacerdotale. Dans ce tableau qu’elle mire et où se lit toute son histoire personnelle, font corps modèles et artistes, sauvés et sauveurs, transfigurés par l’amour, le désir, ou bien la souffrance. Deux tempos d’écriture servent de fil conducteur à la trame narrative, où peu à peu se révèlent quelques amputations tandis que des flashback égrènent des impressions vécues. Avec ou sans l’autre – l’homme qu’elle aime, et à qui elle donne tout - Gaëlle Josse évoque avec brio les plages de solitude, d’attente, de silence, de frustration, qui côtoient un gout sensible affirmé pour la spiritualité et toute forme d’art. 1er extrait : «Tu te montrais attentif, prévenant, tendre. Nous étions bien ensemble. Mieux que bien. Je t’aimais et il me semblait voir arriver le moment où cela deviendrait réciproque. Je te laissais venir, à ta façon, à ta vitesse, sans rien demander sans rien brusquer, comme on laisse s’approcher de soi un cheval au pré. Tu m’aimais beaucoup. Tu ne m’aimais pas. Je pensais que ce ter-


rible mot de trop finirait par disparaître. Je t’aimais tellement qu’il ne pouvait en être autrement ». Le récit avance ainsi, évanescent, somptueux, ourlé, « féminin » livrant une construction très maîtrisée. La mise en perspective est efficace avec son effet loupe. D’un côté le regard d‘Irène, de l’autre, celui de la narratrice qui dénoue les nœuds de sa passion malheureuse, jusque dans les miasmes de son enfance fébrile. Au clou et au

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pinacle, les mensonges pieux des hommes, les faux éclats de vérité, les manques d’authenticité. Et cette dévotion toujours. Et cette conviction que plus elle donne, plus elle se convainc qu’il va l’aimer… Le tableau de Delatour, quant à lui, nous entraîne au cœur de la jubilation fervente et de l’effervescence créatrice de l’atelier du peintre. Là, jaillit la beauté de toute chose, et le regard mystique de Claude la fille de l’artiste, pour Laurent l’apprenti amoureux, investi d’une copie de la dite toile à réaliser. Gaëlle Josse livre ici, le meilleur, à ce moment du texte, avec de grands moments d’épiphanie comme des petits miracles. «Relu ces jours-ci Jean de la Croix. La nuit de l’âme d’où jaillit la lumière de la foi, comme une source de vie. Dans cette nuit heureuse, en secret, car nul ne me voyait, ni moi ne voyais rien, sans autre lueur ni guide que celle qui en mon coeur brûlait.». La foi, oui. Rappelons que nous sommes au XVIIème siècle, en Lorraine dévastée par la guerre de trente ans. Le désordre extérieur est palpable, il revient parfois en rappel injec-


tant quelques doses de réalisme dru : la vie fervente et sacrée qui règne dans l’’atelier du peintre oppose alors une forme d’alternative à l’histoire du monde. Intéressant l’italique des paragraphes, qui signifient des murmures.. 2ème extrait : Je rêvais de tout ce que j’allais te montrer et te faire aimer, les beignets de fleurs de courgette, le granité au café de la Tazza d’Oro, la cantine ouvrière du Trastevere où j’avais mes habitudes, la fontaine des Tortues, ma préférée, les étranges inscriptions hébraïques sur les façades du Ghetto, le Caravage de la basilique Sant’Agostino et les épaules de marbre blanc de Paolina Borghese. J’ai passé ce week-end seule, au milieu de ce que j’aimais le plus au monde, et tout cela n’avait plus de sens. J’étais expulsée de mon propre paradis, parce que je ne pouvais le partager avec toi, et que tu ne désirais pas le connaître. Je fus très émue en achevant «L’ombre de nos nuits» qui est sans conteste, un des temps forts de la rentrée littéraire d’hiver. Grande réussite que ce livre de haute tenue littéraire, tant au niveau de l’audace qui le caractérise que de son contenu savamment nour-

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ri, autour de la perception d’une relation et de l’analyse des sentiments. . . L’ombre de nos nuits - Gaëlle Josse Editions Notabilia - 196 pages


BILLET

Des morts, des vivants, des salons du Livre et des auteurs infidèles Ettore Scola (1931-2016): grand maître du cinéma italien, Leila Alaoui (1982-2016): photographe des identités culturelles, Gottfried Honegger (1917-2016): figure emblématique de l’art moderne, Blowfly (1939-2016): un rappeur hors norme, Hubert Giraud (19202016): l’auteur de l’éternel Mamy Blue, Alan Rickman (1946-2016): de Vingt morts en trois semaines ! De Michel Tournier à Glenn Frey, Shakespeare à Harry Potter, David Bowie (1947-2016): l’icône rock brigentleman des Eagles, en pastannique, René Angélil (1942-2016): sant par Edmonde Charles-Roux, l’homme qui créa Céline Dion, Prix Goncourt en 1966 et anOtis Clay (1942-2016): légende de cienne présidente du jury Gongospel et de la soul, André Courcourt, de nombreuses personna- règes (1923-2016): couturier de lités du monde du spectacle et l’ère moderne, Yves Vincent (1921de la littérature ont tiré leur ré- 2016): le colonel des Gendarmes vérence. La liste de ceux qui nous de Saint-Tropez, Silvana Pampanini ont quittés en janvier ne cesse de (1925-2016): premier sex-symbol s’allonger. Une hécatombe. du cinéma italien, Vilmos Zsigmond Par Emmanuelle de Boysson (1930-2016): précurseur du Nouvel Hollywood. Qu’est-ce qui marche 44


aujourd’hui ? Les livres politiques, forcément. A force d’émissions et d’une presse énorme, « La France pour la vie », le livre dans lequel l’ancien président de la République et président du parti Les Républicains, Nicolas Sarkozy, fait son mea culpa et tire un bilan critique de ses années à la tête de l’Etat, prend la tête du Top 20 GFK/Livres Hebdo des meilleures ventes de livres, toutes catégories confondues. Les auteurs pensent que changer de maison d’édition va leur donner une meilleure visibilité et faire monter leurs ventes. Jusqu’alors édité par Fleuve éditions, Gilles Legardinier a signé chez Flammarion où il publiera son prochain roman en octobre. Auteur de best-sellers, il est selon le classement du Figaro le 4e romancier à avoir vendu le plus de livres en 2015. La directrice du pôle littérature de Flammarion, Anna Pavlowitch, qui était auparavant à la tête de J’ai Lu, indique dans un communiqué se réjouir «Nous avons fait nos premières armes chez J’ai Lu, et c’est avec bonheur que je le retrouve.» Réalisateur de documentaires et de films publicitaires, Gilles Le45

gardinier a commencé sa carrière d’écrivain dans le polar avec L’exil des anges, prix SNCF du polar 2010 et Nous étions les hommes (2011), avant de se tourner vers la comédie. C’est avec ses «feel good books», mêlant émotion et humour, qu’il séduit le plus large public, notamment avec Demain j’arrête ! (2011), Complètement cramé ! (2012), Et soudain tout change (2013) et Ça peut pas rater ! (2014). Les salons du printemps. Du 17 au 20 mars, le salon du Livre de Paris, baptisé Livre Paris, reçoit la Corée du Sud, et trois villes du continent africain invitées, deux de la République du Congo, Brazzaville & Pointe-Noire, et une algérienne, Constantine. Nouvelles dates et retour d’une nocturne – du jeudi au dimanche (17 au 20 mars 2016) au lieu du traditionnel vendredi au lundi, avec une soirée d’inauguration le mercredi (le 16 mars) et une nocturne le jeudi (le 17 mars), création d’un hors les murs installé sur la rive gauche des Berges de Seine, en guise d’avant-première Salon, puisqu’il se tiendra le week-end précédant la manifestation, le samedi 12 et le dimanche 13 mars 2016. Gratuite


et entièrement consacrée au livre jeunesse, une nouvelle mise en espace, une scénographie totalement repensée, une programmation sur les différentes scènes complètement remaniée, imaginée pour refléter la diversité de l’édition, être à la fois qualitative et accessible à tous et être à la fois innovante et festive (notamment au moment de la nocturne le jeudi soir). La 9e édition du Salon du Livre en Bretagne aura lieu les 10, 11 et 12 juin 2016 dans le cadre prestigieux des jardins des Remparts de Vannes, avec l’arrivée de Sylvie Rostain en tant que Directrice artistique. Grâce à l’appui de Jean Tulard et de plusieurs amis comédiens et metteurs en scène dont Patrice Leconte la Fédération Française des Salons du Livre organise avec le concours de la Bergerie Nationale le 1er Salon National du Livre de Rambouillet. Celui-ci se tiendra le 26 juin prochain. Rambouillet est une ville d’art et d’Histoire qui se devait d’avoir un grand salon du livre. A Deauville, dans le cadre du Fes-

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tival Livres & Musiques, l’Italie s’implante et s’installe avec des : débats, concerts, ateliers, rencontres, lectures, lectures musicales. Le festival explore sur tous les modes les liens étroits entre littérature et musiques italiennes. Au cœur du mythe italien, des auteurs venus de la péninsule témoigneront aux cotés des écrivains français pour lesquels cette culture est une source d’inspiration. Egalement pour sa nouvelle édition consacrée à l’Italie, le festival Livres & Musiques (16 au 18 avril) de Deauville remettra pour sa 13e édition son prix littéraire le samedi 16 avril. Après avoir récompensé deux ex-aequo, en 2015, Les forêts de Ravel de Michel Bernard (Editions La Table Ronde) et Gil de Célia Houdart (P.O.L.), le prix littéraire du Festival Livres & Musiques récompensera le 16 avril prochain l’un des huit romans sélectionnés par le jury littéraire du Festival Livres & Musiques. Huit romans qui ont choisi la musique comme enjeu thématique, de langue, de rythme, de compagnonnage. De-


puis 13 ans, ce prix littéraire met chaque année à l’honneur les auteurs contemporains inspirés par la musique et a déjà récompensé des auteurs comme Alain Gerber, Jean Echenoz, Valentine Goby, Stéphane Héaume, Gilles Leroy, Colette Fellous, Nicolas d’Estiennes d’Orves.Le Prix est doté de 4 500€. Le lauréat sera connu le 26 mars et le prix sera remis samedi 16 avril durant le festival. Les membres du jury : Jérôme Garcin (Président), Philippe Augier (Maire de Deauville), François Bott, Arnaud Cathrine, Paul Giannoli, Stéphane Héaume, Philippe Labro, Scholastique Mukasonga, Christine Orban, Florian Zeller ; ainsi que des deux musiciens co-fondateur du Cercle de l’Harmonie, orchestre né à Deauville : Jérémie Rhorer (chef d’orchestre) et Julien Chauvin (violoniste) qui dirige aujourd’hui un nouvel ensemble : le Concert de la Loge Olympique. Le premier et l’unique Salon dédié aux Années 80 ouvrira ses portes le 6 février prochain à Toulouse. Musique, cinéma, séries et émissions TV, mode, culture,

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jeux, voitures... les années 80 ont fortement marqué les esprits et laissé leurs empreintes indélébiles dans la mémoire collective. Baptisé Flashback, le Salon propose aux nostalgiques comme aux plus jeunes dont la culture puise nombre de ses inspirations dans les années 80, un véritable voyage dans le temps. L’occasion également de rencontrer des personnalités qui ont marqué cette époque Igor et Grichka Bogdanoff dans le cadre de la sortie du livre Nos années Temps X, l’actrice américaine Alison Arngrim (interprète de l’épouvantable Nellie Oleson de La Petite maison dans la prairie) ou encore les inoubliables chanteurs Desireless, Emile & Images et Jean-Pierre Mader. Profitez bien du printemps, des salons du livre où on fait de belles rencontres et des lectures de classiques : Balzac, Stendhal, Flaubert, il n’y a pas mieux !


PHILOSOPHIE

Echecs et Mat PAR SOPHIE SENDRA

On emploie très souvent le mot « idéologie » à tort et à travers sans pourtant en connaitre l’origine. Tantôt relevant de « l’Idée », tantôt relevant de ce qu’il y a de péjoratif dans le terme. Le mot « eidos » désigne une représentation mentale, une conception abstraite, mais également un ensemble d’opinions. Ce terme est souvent associé au concept. Dire qu’une pensée manque d’idéologie voudrait dire qu’elle manque de concept, ce qui pourrait suggérer qu’elle manque d’idées. Cela peut aussi vouloir dire qu’elle manque de rigueur. Le sens le plus commun lié à l’idéologie est celui retenu comme étant une représentation ou une idée qui expose tous les critères du rationnel mais qui exprime souvent une forme de spéculation creuse, hors de la réalité, d’une conscience fausse dont les intérêts ne reflètent qu’une classe dominante. L’idéologie pourrait donc toucher les éléments les plus banals de notre quotidien. Echec au Roi « L’idéologie est un processus que le soi-disant penseur accomplit sans doute consciemment, mais avec une conscience fausse » disait Engels dans les Etudes Philosophiques en 1893. Les jeux d’échecs dont l’ori48

gine est quelque peu ballotée entre l’Arabie, la Perse et l’Inde reflètent la logique, l’intelligence, le calcul, l’affrontement idéalisé – conceptuel – le jeu paisible de deux « camps » qui se confrontent, mais la particularité de ce jeu est qu’il met en avant le fait que toutes les pièces, de la plus petite à la plus grande, ont une importance : elles peuvent, à tout moment, faire basculer l’avantage à l’un des deux joueurs. L’autre particularité est que la pièce maîtresse est la reine. Elle peut aller dans toutes les directions, elle détient un pouvoir de régénérescence, elle peut revenir dans le jeu, sauvée par un pion. L’information selon laquelle une


fatwa aurait été émise en Arabie Saoudite par un mufti est confirmée. Selon ce haut dignitaire religieux, le jeu d’échecs ne conviendrait pas à l’esprit paisible de ceux qui s’y adonnent. Inutile, perte de temps, il déclencherait l’animosité entre les protagonistes, pousserait à jouer de manière excessive, et inciterait aux jeux d’argent. Se basant sur un texte religieux interdisant « les substances intoxicantes, les jeux d’argent et la divination » (L’Express), ce haut dignitaire verrait dans les échecs un danger pour ceux et celles (sic) qui y « succomberaient », tel un abîme de débauches. Ce « roi des jeux », ce jeu de réflexion est celui qui est pratiqué le plus sur la planète. Compréhensible sans barrière de langue, il peut réunir des joueurs de tous horizons et dont le seul but est d’échanger des tactiques logiques. Ce jeu universel dont on trouve trace au VIII° siècle à Téhéran, puis en Europe au X° siècle a su traverser le temps et l’Histoire jusqu’à s’inviter sur nos ordinateurs. Mais alors pourquoi une telle vindicte, un tel interdit ? Vive le Reine L’esprit du jeu est très différent de celui qui inspire les dynasties. Dans le jeu d’échecs, le joueur protège sa reine afin de ne pas perdre sa pièce maîtresse. Cette reine a pour but de piéger le roi adverse, seule ou avec le concours des autres pièces du jeu. A la fois protectrice de son roi, attaquante 49

zélée, sauveuse de ses acolytes, elle est de tous les fronts. Lorsqu’elle est perdue, un seul but, la retrouver. Sauvée par un pion, elle peut revenir dans le jeu et à la manœuvre. Comment un jeu dont le bassin d’origine est l’Arabie peut-il se retrouver au cœur d’une interdiction dans cette région du monde ? Sans doute parce qu’il défend des valeurs incompréhensibles par certaines idéologies qui, comme le disait Engels, confondent vérité et « conscience fausse ». Des idées présentées comme rationnelles peuvent avoir des conséquences sur la vision que nous avons du monde. Présenter le jeu d’échecs comme un danger reviendrait à dire que la réflexion, l’anticipation, la logique seraient l’ensemble d’un péril pour l’âme humaine. Cette idéologie oublie la valeur que ce jeu transmet à tout joueur : l’humilité devant la force intellectuelle de l’adversaire. Il existe même la mention « échec et pat » qui termine une partie qui ne trouve pas son vainqueur. Gagner grâce au concours d’un fou, d’une reine et/ou d’un pion, bloquer sans tuer le roi, le coincer sans jamais l’abattre, résister contre la force intellectuelle de l’adversaire, voilà sans doute des valeurs à transmettre. Quant aux jeux d’argent, ce haut dignitaire ne sait sans doute pas qu’il s’agit d’un jeu convivial qui n’engage pas de pari. S’il fallait conclure Le jeu de Dames dont l’origine est


également incertaine, mais dont on retrouve traces dans le bassin arabique, en Inde ou encore en Afrique, montre l’affrontement entre deux camps. La dame a également des possibilités décuplées. Cela veut-il dire que ce jeu est un danger pour les « bonnes mœurs » ? Penser par soi-même, réfléchir, calculer, anticiper voilà des termes à bannir dans certaines idéologies qui voudraient voir l’intelligence réduite à la simple expression de la spéculation sans fondement. Jouer c’est également apprendre à perdre avec panache, toujours debout. Lorsqu’on fait « tomber » le roi c’est qu’on accepte mal la défaite. L’idéologie est tombée, vive la Reine.

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LE BSC NEWS DANS VOTRE POCHE !

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Chanson

Elise Caron «Un nouveau spectacle de clown avec des vrais morceaux de musique dedans», voilà comment Elise Carron définit son projet qui n’arrête plus de se développer et de se gorger de plaisir au fur et à mesure des représentations. Chansons pour les petites Oreilles est «un pont entre l’enfant et l’adulte» qui mérite que l’on s’y attarde avec Elise Carron. Par Nicolas Vidal - photos ©Gala Collette 52


Lorsqu’on se plonge dans votre carrière jusqu’à aujourd’hui, il est impressionnant de voir à quel point vous êtes polyvalente, Elise Caron. Auteur, compositeur, comédienne et actrice, quelques mots sur cette polyvalence ? La polyvalence est venue avec le temps, j’ai appris la musique très tôt et le théâtre après le lycée, mais les styles de musiques, du classique au contemporain et du jazz à la chanson sont venus par la conjonction de mes rencontres artistiques avec mes goûts personnels, l’un et l’autre n’étant pas dissociables. L’écriture est arrivée bien plus tard parce qu’impérieuse, que ce soit pour les textes comme pour la musique, l’un et l’autre n’étant pas dissociables non plus ! Pouvez-vous nous parler de votre participation à l’Orchestre National du Jazz ? Est-ce que cet apprentissage a été décisif dans votre carrière ? Oui absolument, le jazz n’ayant pas fait partie de mon cursus, c’est la curiosité qui m’a poussée en premier, et mon expérience en tant 53

qu’instrument vocal au sein de l’orchestre ainsi qu’en improvisation, a été aussi excitante que passionnante sur la liberté musicale notamment - toute neuve pour moi- mais également sur ses codes. La façon de synthétiser les deux m’a guidée depuis ce temps-là entre code et liberté Quelle est votre première rencontre avec le chant, Elise Carron ? Très petite, je me suis rendue compte que le son qui sortait de moi venait de ma propre personne, alors même que j’avais la sensation qu’il venait d’ailleurs. Je m’en souviens très précisément. Cela a été aussi surprenant qu’agréable. Vous déclariez chez nos confrères des Trois Coups qu’ «à chaque inflexion de votre parcours, correspond une relation humaine.» Est-cela le secret de votre polyvalence ? Heureusement que la vie professionnelle se nourrit de la vie personnelle et vice versa; la mienne en tout cas.


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Ce nouveau projet «Chansons pour les petites oreilles» a-t-il répondu à cette même inflexion ? J’ai créé ce nouveau projet il y a plus de quinze ans après avoir répondu à une commande d’écriture de chansons pour enfants de Gilles Avisse pour le festiVal de Marne, mais je peux dire que c’est un éternel nouveau projet chaque fois que nous le jouons devant des enfants 55

car ils incarnent eux-mêmes le renouveau. Le spectacle a pris de la bouteille grâce à eux et c’est leur influence qui a fini par dresser la mise en scène. Car j’ai passé plus de 7 ans à faire évoluer le spectacle, pour qu’il me convienne autant qu’à eux. Il est maintenant «fini » mais toujours ouvert au public. On peut donc vraiment parler d’inflexion.


Pouvez-vous nous parler en quelques mots de votre collaboration avec Christine Chazelle et Michel Musseau ? Je connais Michel depuis plus de trente ans et j’ai beaucoup chanté pour lui; c’est un compositeur très délicat, aussi drôle que mélancolique avec un univers extrêmement personnel que j’ai eu l’immense plaisir d’interpréter. Car j’y ai trouvé une liberté singulière dans une écriture pourtant très précise. Il joue le piano-jouet et la scie musicale dans le spectacle. Il m’a aussi conseillée au tout début du projet pour me lancer sur l’écriture des chansons car c’était la première fois que j’allais tout assumer en tant que compositrice. J’ai rencontré Christine (elle est par ail-

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leurs également arrangeur, pédagogue et spécialiste du tango) par l’intermédiaire d’une amie commune et nous avons inauguré notre collaboration sur un récital de mélodies de Kurt Weill, nous l’avons scellé dans la foulée sur le spectacle des Petites Oreilles. Nous formons à nous trois une petite famille chaque fois que nous nous retrouvons. C’est délicieux ! On lit dans la présentation que ce nouveau spectacle est « un pont entre l’enfant et l’adulte». Qu’est ce qui vous a plu dans ce spectacle ? De l’écrire, de le composer, de le jouer, de le chanter avec mes amis et voir la bouille réjouie des enfants !


parle donc aussi aux adultes... ce fameux pont entre l’enfant et l’adulte Si vous deviez définir ce projet, comment le définiriez-vous ? Spectacle musical, conte, chant ou lecture de contes ? C’est un spectacle de clown avec des vrais morceaux de musique dedans !

Elise Carron Comment avez-vous articulé les textes et la musique afin que cet univers soit accessible au plus jeune ? C’est le contact avec les enfants qui fait l’articulation. Au début, il n’y avait que les chansons et le spectacle en tant que tel s’est construit avec le temps. Qu’est ce qui vous a inspiré dans l’écriture de ces textes ? En somme, comment avez-vous appréhendé ces histoires pour le jeune public ? C’est moi en tant qu’enfant qui m’a inspirée, je me suis parlé à moi-même avec mon expérience d’adulte. Je 57

Chanson pour les petites oreilles Durée 50 minutes Elise Caron : chant, textes et musiques Christine Chazelle : piano Michel Musseau : scie musicale, piano jouet Au Théâtre Molière de Sète ( 34 ) 19 Mars 2016 à 17 H 00 > Réservez vos places ici


POP

BOY

Valeska Steiner et Sonja Glass forment le duo Boy. Étonnant ? Non ! Boy travailler son succès avec une pop mélodique et confortable à souhait. Va reviennent avec un nouvel album « We were here» encore plus abouti et mier. Elles ont pris du temps ( c’est leur marque de fabrique) pour répon tournée qui les amènent aux quatre coins de l’Europe diffuser leurs tendre Par Nicolas Vidal - photos Debora Mittelstaed 58


est un groupe qui a su patiemment aleska (chanteuse) et Sonja (bassiste) t tout autant passionnant que le prendre à nos questions au coeur d’une es mélodies. 59


Une première question : quand et comment s’est formé votre duo Boy ? Quelle est la signification de ce nom ? On s’est rencontré dans un atelier de musique à Hambourg en 2005. On s’est tout de suite bien entendu et nous avons senti une connexion musicale et très personnelle entre nous. Après l’atelier, je suis rentré à Zurich, où je vivais toujours à cette époque. Deux ans après, j’ai déménagé à Hambourg. C’est à ce moment-là que nous avons réellement commencé à travailler ensemble et que nous avons trouvé le nom du groupe «Boy». Cela n’avait pas réellement de signification - on avait juste une longue liste avec des idées et BOY était notre favori - un mot court et facile à se rappeler. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre 1er album « Mutual Friends » sorti en 2011. Quel est le chemin parcouru depuis ? Quand on a commencé à écrire notre premier album, on a réfléchi à l’identité de notre groupe et quel était le meilleur moyen pour nous de 60

le faire. C’était un processus assez long et nous avons passé deux ans à l’écrire, le produire et à jouer nos petits concerts avant d’enregistrer cet album. Avec ce second album, les bases étaient claires, il y avait l’identité musicale de notre premier album qui devait faire office de référence. Mais c’était important de se donner la liberté de faire de nouvelles choses et d’expérimenter les nouveaux sons qui nous intéressaient. Ce nouvel album « We were here » tient largement la comparaison avec le premier. Il est très mélodique avec des morceaux entêtants et un équilibre musical entre le chant et les accompagnements très satisfaisant. Avez-vous travaillé de façon différente sur cet album que sur votre premier disque ? Non, le processus d’écriture était assez similaire. On a proposé nos idées à notre producteur Philipp Steinke, qui a déjà enregistré notre premier album. Sonja a acheté un nouvel instrument avant l’écriture, un synthé Juno qui est devenue sa muse pour ses nouvelles idées musicales.


On notera également des clips très bien réalisés avec une atmosphère qui retranscrit parfaitement votre album. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos clips notamment celui de New-York ? Les clips en acoustique ont tous été filmés par Benedikt Schnermann, une amie proche qui joue aussi des percussions pendant nos live. On voulait filmer dans un décor adéquat aux morceaux. On a alors choisi un décor de jungle pour « Into

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The Wild » et un toit d’un des plus grands buildings d’Hambourg pour « New-York » Pourquoi avoir attendu tant de temps entre la sortie de ces deux albums quand on sait que vous être un duo perfectionniste ? La perfection est la raison pour laquelle cela a pris tant de temps pour finir les albums. Après la tournée « Mutual Friends » de 2 ans, on s’est arrêté pendant 1 an et demi. Nous


avons juste enregistré « We Were Here ». De notre point de vue, cela a très été rapide en fait ! On aime faire les arrangements avec beaucoup de précautions avant d’être totalement satisfaites. Parfois on enregistre 2 ou 3 versions d’une chanson avant de sentir que c’est la bonne. Et ça prend du temps. On a compris que ça n’allait pas être bénéfique si on précipitait les choses ou si on s’était mis la pression. Que signifie le nom de votre nouvel album « We were Here » ? C’est le nom d’une des chansons sur l’album, mais on a pensé que cela marcherait aussi pour le titre d’un album. Parce qu’un album est comme un moment instantané d’un groupe. C’était particulier à ce moment-là. C’est que nous avions à l’esprit et ce qui résonnait en nous. C’est aussi une trace de notre travail qu’on laisse derrière nous, comme gravé dans un arbre. Avez-vous gardé votre façon de travailler avec Glass qui écrit les musiques et Steiner qui travaille sur les texte ? Ou vous arrive-t-il

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de modifier votre organisation sur quelques morceaux ? C’est toujours le même procédé pour la plupart des morceaux sauf à exception près : Sonja à écrit les paroles de la musique « Flames ». Elle me les a montrés et j’ai adoré, mais d’une certaine façon c’était son histoire et c’était donc bizarre que je chante toute seule. On a alors décidé de l’enregistrer en duo. Je suis vraiment contente du résultat, elle a une place spéciale dans l’album. Les thèmes abordés dans vos chansons sont à la fois poétiques, romantiques et très ancrés dans la réalité. Pouvez-vous nous dire quelques mots à ce sujet ? Toutes nos morceaux sont tirés de vraies expériences, j’aime avoir des émotions quand je chante - mais ce n’est pas comme un journal. C’est important pour moi d’écrire des chansons personnelles mais de laisser assez de place aux personnes qui les écoutent avec leurs propres histoires. Avez-vous déjà commencé à réfléchir sur un nouvel album ou profitez-vous de la promotion de « We


were here » ? Nous sommes assez occupées en ce moment avec la tournée et la promotion de l’album, mais on a vraiment envie de retourner à l’écriture sur notre 3ème album dans les mois qui arrivent. On va voir combien de temps cela nous prend cette fois-ci. Où pourra-t-on vous voir sur scène dans les semaines à venir ? En février, nous jouons à Londres en showcase et ensuite viendra une tournée en Allemagne, Autriche et 63

Suisse en mars. Et cet été, direction les festivals! BOY We were Here www.listentoboy.com


LA SÉLECTION MUSIQUE Par Nicolas Vidal

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The Looking Glass Robin McKelle

Revoilà Robin McKelle avec un album qui surprend de la meilleure des façons. Celle que nous connaissons dans un registre très Rhythm’Blues et Jazz revient avec un album porté sur la Pop aux travers de 10 morceaux exclusivement originaux. Chaque sonorité de The Looking Glass dévoile un peu plus l’artiste qu’est Robin McKelle dans ce style si singulier, fruit de son succès et outil de son talent. Ce nouveau album est l’une de ses meilleures réalisations car Robin McKelle se bonifie avec le temps. C’est un fait ! > Sortie en France le 26 mars 2016

www.robinmckelle.com

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One more for the fans !

Lynyrd Skynyrd

Un magnifique hommage concentré dans un seul concert joué un soir de novembre 2014 au Fox Théâtre que le groupe mythique avait aidé à sauver. Des dizaines d’invités sont venus rendre un hommage musical au Lynyrd Skynyrd en leur présence lors de cette soirée avec comme directeur musical Don Was. Un CD live de 19 chansons ainsi qu’un DVD avec les coulisses du concert et les interviews. Idéal pour découvrir ou redécouvrir le groupe au 60 albums et aux 30 millions d’exemplaires vendus ! Label Very Records

Istanbul Sessions

Ilhan Ersahin

Nous avions déjà reçu le saxophoniste et producteur turc Ilhan Ersahin dans le Jazz Club du BSC NEWS Magazine. Une nouvelle fois, Ersahin continue d’avancer sur ce grand projet musical « Istanbul Session» avec un nouvel opus paru en novembre dernier dans les bacs. Quel plaisir de réécouter le talent de composition et cette force mélodique dans tout ce qu’entreprend Ilhan Ersahin. Lorsque la musique vient « de l’Est à l’Ouest et du Nord au Sud» Ilhan Ersahin sait de quoi il parle et pourquoi il la joue. Incontournable !

www.ilhanersahin.net

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Give it back to you The Record Company La très belle découverte de ce groupe californien qu’est The Record Company! Chris Vos, Alex Stiff et Marc Cazorla forment un trio détonnant entre rock, blues et garage. Un son qui accroche , un tantinet vintage et chaleureux qu’on écoute sans aucune peine. Les californiens nous gratifient d’un nouvel album « Giver it back to you» entêtant. The Record Company devrait devenir très rapidement un compagnon de voyage musical. Ecoutez, c’est nouveau, différent et en plus c’est beau et bon !

therecordcompany.net

VOIR LE CLIP 67


The Silver Lining

Tony Bennett & Bill Charlap Deux grands monsieurs de la musique américaine que sont Tony Bennett et Bill Charlap se sont associés pour sortir « The Silver Linning - The songs of Jerome Kern». Tony Bennett ( 18 grammy awards à lui seul !) a tracé une ligne qui relie la variété au jazz. Quant à Bill Charlap, il est le pianiste des grands standards américains. Tous deux ont alors décidé de rendre hommage à Jérome Kern, compositeur célébre d’Hollywood et de Broadway dans cet album.

Guitar Heroes

Amazing Electric Le label DixieFrog continue de nous enchanter avec ses sorties éclectiques et toujours bien léchées ! Cette fois-ci délectons nous d’un album qui swingue, qui gratte, qui vibre avec aisance ! Un concert de Guitar Heroes avec Amos Garrett, James Burton, Albert Lee et David Wilcox, ou plus succintement, quatre des meilleurs guitaristes du monde qui passent du rock, au blues et à la country en un claquement de doigt lors d’un soir de juillet au Island Fest Vancouver ! Label DixieFrog

www.bluesweb.com

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Masoch I-II Puts Marie Il y a quelque chose de déglingué chez Puts Marie mais c’est cela qui donne à ce groupe cette pâtine si singulière. Les suisses allemands n’arrêtent plus de connaître les succès depuis quelques mois. Ce nouvel album est la nouvelle preuve que leur univers résonne, respire et se déplace à la vitesse de la lumière chez un nombre de fans toujours plus grand. Masoch I-II est un grand cabaret rock’n’roll déjanté écrit sur la route, qui saute de morceaux en morceaux sans jamais dénaturer l’essence même du groupe : la recherche permanente d’un rock en perpétuel mouvement.

www.putsmarie.com

VOIR LE CLIP 69


L’intégrale

Django Reinhardt, Stéphane Grappelli

Une intégrale formidable signée Django Reinhardt et Stéphane Grappelli pour le Quintette à cordes du Hot Club de France. Huit volumes où vous pourrez écouter cette formule instrumentale « sans tambour ni trompette» joué par deux maîtres du Jazz avec cette obstination à revisiter le style et à dépasser les frontières. Une intégrale qui couvre une très large partie de l’histoire musicale des années 30 à l’après guerre. Une valeur sûre. Label Ouest

NYCarré

Dominique Carré Le nouvel album de Dominique Carré visite les confluences étonnantes entre le métissage d’une musique urbaine sortie des entrailles de New York et le jazz manouche, terrain de jeu favori de Dominique Carré. Lui aussi grand admirateur de Django Reinhardt, le guitariste propose un album tout en grand écart musical qui n’est pas pour nous déplaire. Loin de là. À découvrir ! Label Vilaine figue

www.dominiquecarre.com

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This machine kills fascists Francesco Bearzatti

Avec ce nom d’album aussi loufoque qu’improbable, le saxophoniste italien Francesco Bearzatti reste dans sa veine musicale en rendant hommage au chanteur de country et guitariste Woddy Guthrie qui a beaucoup oeuvré dans la folk des protest songs dans les années 60. Entouré de son Tinissima 4tet, le musicien italien fait de ce nouvel album une biographie musicale qu’il affectionne tant. Voilà un voyage dans l’Amérique des laissés-pour-compte. Singulier. Label CamJazz www.francescobearzatti.com

It’s a man’s world Carter Calvert

Un focus sur Carter Calvert et son dernier album « It’s a man’s world» sur lequel vous feriez bien de vous arrêter. La chanteuse américaine reprend 13 grands titres à sa façon et qu’elle porte de façon formidable de sa voix. Vous pourrez y retrouver des morceaux de Ray Charles, Bruce Springsteen, ou encore James Brown. Laissez vous porter par Carter Calvert !

www.cartercalvert.com

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Photo

Hymne à la terre: un étourdissant voyage photographique PAR FLORENCE YÉRÉMIAN - Crédit Photos Art Wolfe, , National Géographics

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Manchots de l’Antarctique


Art Wolfe est photographe depuis près de quarante ans. Fils de négociants d’art de Seattle, il a grandi dans un amour évident du beau et de la nature. Photojournaliste autodidacte, il ne se contente pas de saisir l’évènement du bout de son objectif mais apporte à ses oeuvres une approche très artistique qui lui vient certainement de ses études en peinture. Qu’il s’agisse de paysages traditionnels ou de compositions quasi-abstraites, il confère toujours à ses clichés une grande puissance visuelle: entre un troupeau de bisons d’Amérique du Nord et une armée de séquoias géants de Californie, il nous laisse sentir le froid de la neige tombant sur le poil des bêtes ou la mousse verte et douce ensevelissant l’écorce de ces arbres centenaires. A travers ses images lumineuses, Art Wolfe s’applique 73

à nous révéler les richesses chromatographiques de sa merveilleuse planète : jouant avec les lignes et les couleurs naturelles, il capture aussi bien un ciel rose se reflétant dans un lac chilien qu’une nuée de papillons Monarques se reposant sagement dans l’ombre. Amoureux des éléments, il saisit la brume, le vent ou les arcsen-ciel et semble passer ses journées dissimulé dans la savane ou perché sur la cime des montagnes les plus hautes du


Cygnes chanteurs devant le Kirkjufell en Islande

monde. Par delà l’esthétisation de ses photographies, Art Wolfe s’amuse aussi à leur donner un côté onirique tels ces cygnes chanteurs devant le Kirkjufell islandais ou ce splendide croissant de lune accroché aux pointes rocheuses de la cordillère des Andes.

coins du monde, il a ainsi pu croiser de flamboyants flamants des Caraïbes, des lièvres arctiques jouant sur la glace ou même un Nestor Kéa de Nouvelle Zélande! Véritable photographe écologiste, il ne se contente pas d’observer la biodiversité de sa planète, il tente aussi de nous faire réfléchir à un meilleur respect Hormis les paysages, ce grand des merveilles qui la composent. interprète de la nature s’attache Son appel à la protection de l’enégalement à la faune: au fil de vironnement est l’un des aspects ses pérégrinations aux quatre primordial de son travail, l’autre 74


Cygnes chanteurs devant le Kirkjufell en Islande

étant une curiosité insatiable à l’égard de ses semblables.

massaïs ou de ces incroyables fauconniers de Mongolie.

Observateur des Touaregs du Sahara, des Huli de Papouasie ou des chasseurs Yanomami du Vénézuela, Art Wolfe a côtoyé des dizaines de tribus et de peuples indigènes dont certains ont aujourd’hui disparu. Attaché à l’humain, il l’a révélé au fil des années dans d’incroyables portraits réalisés de prés ou de loin à l’exemple de ces guerriers

Pour découvrir le talent incontestable de cet explorateur photographe, il vous suffit de tourner les pages de son dernier album « Hymne à la terre ». A travers quelques quatre cent planches dont douze panoramiques époustouflants, vous ne pourrez qu’être, à votre tour, subjugué par la beauté du monde.

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Danses du Tshechu Dzong au Bhoutan

Hymne Ă la terre (Earth is my witness) Photographies de Art Wolfe Introduction de Wade Davis, ethnobotaniste et anthropologue EditĂŠ par le National Geographic 396 pages - 450 photographies Format 285 x 362 www.nationalgeographic.fr

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TOUTE L’ACTUALITÉ DU JAZZ CONCENTRÉE SUR UN SEUL SITE

LE JAZZ-CLUB.COM

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Bettina Rheims / Daido Moriyama :

l’oeil des photographes L’hiver parisien est faste en expositions photographiques de qualité. Parmi elles, deux manifestations célèbrent des artistes contemporains pareillement incontournables, quoique fort différents dans leurs quêtes et leurs réalisations : Bettina Rheims et Daido Moriyama. De quoi s’immerger dans deux univers esthétiques des plus captivants, selon l’humeur, selon les goûts. PAR VIRGINIE LÉROT

L’art troublant de Bettina Rheims

fique Rose, c’est Paris, conçu avec Serge Bramly), et exposé partout Inutile de présenter Bettina Rheims. dans le monde. Et l’on peut dire Ses clichés sont connus de tous, que son éblouissante réussite n’est ils nous accompagnent depuis les pas usurpée. années 1980, hantent notre imaginaire, surgissent au détour d’un ma- La Maison européenne de la Phogazine. L’artiste a publié un grand tographie avait accueilli en 1990 nombre d’ouvrages, seule ou en la série Modern Lovers, réflexion collaboration (pensons au magni- visionnaire sur l’androgynie ; en 78

Bettina Rheims, Autoportrait de Valeria Golino par moimême, Los Angeles, avril 1991. © Bettina Rheims


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2000, elle prêtait ses murs à la controversée série I.N.R.I., extraordinaire relecture du sacré biblique. Aujourd’hui, elle rend hommage, en 180 photos, au travail souvent pionnier et toujours essentiel – au sens premier – de Bettina Rheims. Le mystère de l’identité

Le visiteur est d’abord convié à une sorte de mise en condition visuelle et mentale pour pénétrer l’univers de la photographe. Face aux tirages de très grand format, qui seuls peuvent rendre justice au travail de l’artiste, on comprend d’emblée que l’identité, la féminité aussi – seul Mickey Rourke représente la part mâle de l’humanité dans ce premier espace – sont depuis l’origine au cœur de la recherche de Bettina Rheims. Elle scrute, dévoile, perce l’enveloppe corporelle et le visage pour montrer ce qui ne saurait se traduire en mots. Une intimi80

té qui affleure dans les regards, les attitudes. La beauté n’est que la porte d’entrée vers cette dimension ô combien évanescente. On rencontre aussi, dans un recoin, les premiers clichés, au tout début des années 1980, en noir et blanc, qui, questionnant le corps autant que l’âme, firent connaître la jeune photographe. Sublime équivoque

Car si elle est une portraitiste hors pair, Bettina Rheims sait aussi magnifier les corps (féminins surtout), les explorer comme des territoires infinis, changer en lieu inédit ce que l’on pourrait croire connu, rebattu, familier. Son œil saisit l’altérité émouvante et le mystère inquiétant des êtres, comme dans la série Pourquoi m’as-tu abandonnée ? (19942002). Parfois, on flirte avec la pornographie, le fétichisme et le voyeurisme (notamment


Bettina Rheims, Breakfast with Monica Bellucci, Paris, novembre 1995. © Bettina Rheims

avec les séries Chambre close, en 1991-1993, et The Book of Olga, en 2006). D’autres fois, l’interro-

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gation sur le corps devient interrogation sur le genre. Homme ou femme ? L’un et l’autre, l’un


Bettina Rheims, Georgie Bee wearing her own amazing shoes, Londres, juin 2013. © Bettina Rheims

ou l’autre. Abordée dès 19891990 avec Modern Lovers, la réflexion sur l’identité sexuelle et le genre demeure au centre

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de la démarche de Bettina Rheims, comme le montrent les séries Espionnes (1991-1992), Kim (1991) et Gender Studies


(2011), rapprochées au sein d’un même espace. Ne pas savoir, ne pas juger au premier coup d’œil, et jouir du trouble causé par la perte des repères, voilà ce que suggèrent ces clichés. Des visages, des histoires

La dernière partie de l’exposition, perchée au troisième niveau de la Maison européenne de la Photographie, se partage en trois univers. Dans le premier, on admire des portraits de célébrités, notamment ceux de la série Héroïnes (2005), qui, par un traitement magistral des formes, couleurs et de la mise en scène, transforment en sculptures humaines Dita von Teese, Milla Jovovich, Tilda Swinton et plusieurs autres femmes. On découvre aussi les photographies de détenues de prisons françaises, qui font l’objet de la dernière série en date réalisée par l’artiste. Mis en regard de stars de la musique pop des années 2000, leurs visages content des histoires uniques. 83

Changement radical de ton ensuite : la mort et sa fascination s’invitent à travers une série de clichés d’animaux empaillés (Animal, 1982-1985). Moins connue peut-être, cette facette du travail de Bettina Rheims est pourtant parfaitement cohérente avec l’ensemble de son œuvre. La présentation finale de tirages issus de la série I.N.R.I (1997), qui avait tant fait couler d’encre, souligne cette continuité en réunissant peu ou prou tous les thèmes explorés en près de 40 ans de carrière : la vie et la mort, la femme, le corps, la douleur, l’érotisme, le sacré, la provocation et la spiritualité. Comment résister à la puissance de l’extraordinaire triptyque Crucifixion I, II, III , qui invoque le souvenir du Christ crucifié de Velázquez, au fatal Festin d’Hérode II ou à la vénéneuse Mater Dolorosa ? Nourris d’une tradition picturale maîtrisée, réinventant la mythologie chrétienne, ils attirent et captivent. Irradiant leur lumière noire, ils laissent le visiteur K.-O.


À travers l’objectif de Dai- Clichés instantanés, pris sous le coup d’une impulsion, clichés do Moriyama Figure clé de la photographie japonaise contemporaine, Daido Moriyama (né en 1938) avait déjà été invité à exposer son travail à la Fondation Cartier pour l’art contemporain en 2003. Il s’agissait alors de présenter son œuvre en noir et blanc. Aujourd’hui, c’est au contraire la couleur qui est à l’honneur dans la vaste salle d’exposition vitrée de l’édifice du boulevard Raspail, inondée de lumière comme pour mieux mettre en valeur les œuvres sélectionnées pour l’occasion. Le parti pris des choses

Quatre-vingt-six tirages chromogènes monumentaux de la série Tokyo Color (2008-2015), voilà ce qui attend le visiteur. Superbement disposés sur des panneaux qui créent un dédale où l’on déambule librement, ces photographies montrent le Tokyo de l’artiste, celui qu’il rencontre au hasard de ses errances diurnes ou nocturnes 84

exemplaires pourtant d’un œil toujours aiguisé qui repère au sein du décor le plus trivial l’élément insolite, surprenant, l’objet propre à susciter la réflexion ou la rêverie, la géométrie impensée ou les effets d’écho inattendus. Loin des règles académiques et des modes, Daido Moriyama fait de la photographie un moyen d’expression personnel, et de l’appareil un prolongement de son corps et de son esprit. C’est donc le portrait en mosaïque de Tokyo, et plus particulièrement du quartier de Shinjuku, ville dans la ville, à la fois sordide et dynamique, insaisissable dans sa géographie comme dans son essence, dont l’artiste dit qu’il est une « boîte de Pandore débordant de mythes contemporains », qui se compose peu à peu sous nos yeux. Tout ce qui constitue cet univers urbain est saisi sur le vif : affiches défraîchies à moitié décollées, passants plus ou


Daido Moriyama, Tokyo Color, 2008-2015. Tirage chromogène, 111,5 x 149 cm. © Courtesy of the artist / Daido Moriyama Photo Foundation

moins égarés dans leurs pensées, vitrines aguicheuses et miroitantes, tuyaux aux formes fantastiques, rues bizarrement vides, reflets où se glissent des silhouettes fantomatiques, parfois même celle du photographe. Il y a autant de beauté dans une baignoire rosée emplie d’eau violette que dans le visage 85

d’une femme aux yeux humides, autant de vérité dans un oiseau posé sur un fil électrique que dans la vision nocturne et fluorescente d’une rue tokyoïte. Les rapprochements effectués entre les différentes images pour les besoins de la scénographie font dialoguer les couleurs, les textures, les matières, et


contribuent à accroître le sentiment d’un réel étrangement abstrait, infusé de solitude et de mélancolie. Le visiteur est ainsi happé dans une dimension à la fois onirique et hypnotique. Le Tokyo tiré à quatre épingles, moderne, séduisant de notre imaginaire est mêlé à son alter ego méconnu, peuplé de sansabri, de mégots, de tags et de façades lépreuses. À vue de chien

Créant un heureux pendant à cette effusion colorée, le slide show intitulé Dog and Mesh Tights, conçu spécialement par l’artiste pour cette exposition, rassemble 291 photographies en noir et blanc, prises entre 2014 et 2015, dans un diaporama de 25 minutes présenté sur quatre écrans géants, dans une salle obscure. Soyez prévenus : c’est un rapt qui se produit là. Enveloppé des sons de la ville, des villes plutôt – l’artiste a pour cette série parcouru les rues de Tokyo, Hong Kong, Taipei, Arles, Houston et Los Angeles – inclus 86

dans une musique de Toshihiro Oshima, le visiteur-spectateur est saisi par la gravité sereine de ce regard qui entend reproduire « le monde tel que vu par un chien ». Cette référence au chien n’est pas nouvelle chez l’artiste qui, en 1984, avait publié une autobiographie intitulée Places in my Memory: Memories of a Dog. Cette sorte d’objectivité recherchée permet de mieux saisir ce qui passe généralement inaperçu dans le flot et l’agitation de la vie urbaine, de mieux percevoir aussi les relations des individus à leur environnement. C’est un journal photographique, et plus encore. Le réel le plus banal retrouve consistance, profondeur, l’objet le plus humble (un vieux poste de télévision, une publicité racornie, des bouteilles vides, un dérouleur de Scotch) est tiré de l’indifférence où nous le reléguons d’ordinaire pour s’affirmer dans une épiphanie photographique comme une œuvre d’art inédite et fragile. Cette création touchante et envoûtante qu’on


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Daido Moriyama, Dog and Mesh Tights, 2014-2015. © Courtesy of the artist / Getsuyosha Limited / Daido Moriyama Photo Foundation

pourrait (voudrait) visionner ad vitam æternam offre une salutaire échappée poétique loin de nos existences erratiques. L’intime et le réel

Photographies couleur et noir et blanc se complètent ainsi, conformément à la vision développée par l’artiste : « Le noir et blanc exprime mon monde intérieur, les émotions et les sensations que j’ai quotidiennement quand je marche sans but dans les rues de Tokyo ou d’autres villes. La couleur exprime ce que je rencontre, sans aucun filtre, et j’aime saisir cet instant pour ce qu’il représente pour moi. » Deux regards sur le monde à découvrir au plus vite.

Informations pratiques Bettina Rheims Jusqu’au 27 mars Maison européenne de la Photographie 5-7 rue de Fourcy, 75004 Paris www.mep-fr.org Daido Moriyama ‒ Daido Tokyo Jusqu’au 5 juin Fondation Cartier pour l’art contemporain 261 boulevard Raspail, 75014 Paris fondation.cartier.com

Daido Moriyama, Dog and Mesh Tights, 2014-2015. © Courtesy of the artist / Getsuyosha Limited / Daido Moriyama Photo Foundation

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