BSC NEWS MAGAZINE - N°95 - Novembre 2016

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© JORJ A. MHAYA - Denoël Graphic

BSC NEWS N°95 - NOVEMBRE 2016

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ÉDITO

par Nicolas Vidal

Encore une belle session de culture ce mois-ci dans les pages numériques du BSC NEWS avec de nombreux invités tous aussi passionnants les uns que les autres. Nous donnons la parole ce mois-ci au dessinateur libanais Jorj A. Mhaya qui présente une bande dessinée passionnante «Ville avoisinant la Terre» en couverture du BSC NEWS. Le pianiste Alfredo Rodriguez, à l’occasion de la sortie de son nouvel album, propose une réflexion musicale autour de la liberté à Cuba et de son ouverture aux autres. Le cinéma français pourrait bien s’enrichir aussi du travail du jeune réalisateur Yannick Privat qui ne cesse de décrocher des prix et des récompenses grâce à ces courts métrages à la fois incisifs, palpitants et soignés. À suivre. Ne faites pas l’économie de dé2

couvrir la Corée du Nord, l’un des pays les plus verrouillés au monde à travers les photos de Benjamin Decoin et l’analyse d’Antoine Bondaz notamment Docteur associé au Ceri-Sciences Po. Puis j’alerte votre sagacité sur l’interview de Damien Serieyx, éditeur singulier qui dirige les Editions du Toucan et de l’Artilleur. Réputé pour publier « des livres qui vont au bout des choses», Damien Serieyx défend ses choix éditoriaux dans un catalogue qui incite au débat, à la réflexion et à l’émulation intellectuelle. « Je choisis les textes d’abord et avant tout parce qu’ils me semblent singuliers et pertinents » nous confie-t-il avec détermination. Une belle entreprise en ces temps de politiquement correct. Bonne lecture de ce 95ème numéro du Bsc News !


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N°1 - Septembre 2016

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Bande dessinée

JORJ A. MHAYA

Cinéma

Yannick Privat 4


Jazz

Alfredo Rodriguez Photo

Immersion en CorĂŠe du Nord avec

Benjamin Decoin et Antoine Bondaz

Edition Exposition

Bernard Buffet

Damien Serieyx 5


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bande dessinée

Jorj A Mhaya

Une autre histoire de la condition humaine en bande dessinée Né pendant la guerre civile au Liban, Jorj A. Mhaya a découvert le pouvoir précieux du dessin. D’abord peintre, puis caricaturiste, illustrateur de presse, il s’est ensuite épanoui dans la bande dessinée. Aujourd’hui, Jorj A Mhaya fait paraître «Ville Avoisinant la terre» (Edition Denoël Graphic), une histoire puissante, fantasmagorique et sensible exprimée comme une parabole de la condition humaine dans un Beyrouth dévasté et fantasmé. Brillant. Propos recueillis par Nicolas Vidal- Traduction Jean-Luc Fromental

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Comment s’est fait votre passage de la peinture à la bande dessinée ? J’ai toujours été attiré par les tableaux qui racontent une histoire. Ou plus précisément par les tableaux qui rendent compte d’une situation. Pour moi, la bande dessinée est la combinaison de multiples situations, du strip de deux cases au roman graphique complet. La BD dispose d’un espace plus vaste que la peinture. Qu’est ce qui a fondamentalement changé dans la pratique entre ces deux disciplines ? Dans un tableau, le temps est arrêté, il résume l’action qui précède et qui suit. En bande dessinée, on peut étirer le temps, en faire un langage. Vous avez été caricaturiste et illustrateur pour la presse mais aussi pour des agences de publicité. Quelles sont les différences de travail et d’approches avec la bande dessinée ? Le travail pour la presse ou la publicité a ses limites. Ce n’est pas une forme d’art, en fin de compte. Il faut se plier à un certain entourage, autoriser d’autres opinions à influer sur votre travail. C’est chronophage et c’est un exercice d’autocensure. En tant qu’auteur de BD, tout se passe entre ma tête et mes mains, je suis à la fois l’acteur et le spectateur.

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Comment la guerre civile a-t-elle nourri votre art et votre dessin dès votre plus jeune âge ? La guerre civile a injecté de la tension dans le récit, si je peux le formuler ainsi. Des photos de cette époque m’ont fourni une certaine ambiance que j’ai ensuite essayé de transmettre à mon dessin. Quelles sont vos sources et vos inspirations concernant la bande dessinée? Que lisiez-vous au Liban ? Enfant, je lisais les illustrés hebdomadaires traduits de l’américain, des comics de super-héros en noir et blanc. Mais pour moi, la presse quotidienne que lisait mon père ressemblait à de la BD. On y voyait chaque jour les mêmes politiciens, avec en Une les mêmes décors urbains ravagés par les voitures piégées ou les bombes, accompagnés de visuels de ces sites en temps de paix. J’y ai toujours pensé comme à de comics pour adultes avec trop de texte. «Ville avoisinant la terre» met en exergue un trait assumé et extrêmement travaillé. Comment êtes-vous parvenu à évoluer dans votre dessin pour parvenir à cette justesse et maîtrise graphique ? J’ai toujours aimé les dessins dont l’atmosphère dépend d’une utilisation spécifique de la lumière. J’ai expérimenté


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beaucoup de techniques picturales, c’est ma passion depuis le plus jeune âge. J’ai passé le plus clair de mon temps à dessiner des personnages, de mémoire ou sur le vif, d’après les journaux et les affiches de cinéma. Pourquoi avoir fait le choix du noir et du blanc sur ce projet ? L’histoire me paraissait mieux fonctionner sans couleur. Les banlieues de Beyrouth sont monochromatiques, du blanc au noir. Il n’y subsiste ni arbres ni verdure. On voit encore beaucoup de bâtiments inachevés, des chantiers arrêtés, comme des immeubles fantômes pendant la nuit. C’est partout dans Beyrouth. Votre dessin est extrêmement réaliste dans l’approche de l’environnement urbain et des personnages. Comment travaillez vous sur ce dessin ? C’est du réalisme exagéré. Les personnages sont déformés, de même que les décors. Je ne me sers pas de documentation pour mes dessins. J’ai utilisé quelques photos pour comprendre les motifs de l’architecture urbaine libanaise.

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Votre personnage central Farid Tawill passe d’une vie bien rangée à une sorte de folie lorsqu’il rentre chez lui et que son immeuble a disparu. Peut-on y voir une situation surnaturelle ou est-ce seulement la vision du personnage qui modifie sa perception des choses ou est-ce encore une certaine idée de la condition humaine ? Oui, comme l’exagération du dessin, c’est une idée exagérée de la condition humaine. C’est le rejet par le personnage de sa vie quotidienne ordinaire, encapsulée dans l’immeuble qu’il habite avec sa famille. C’est une forme de désordre. Un désordre qu’il accepte pour en tirer un bénéfice psychologique. Le personnage de Batman est très intéressant. Il incarne quelque part la figure du Mal. Est-ce le cas ? Batman est un fondamentaliste, comme beaucoup de chefs des milices libanaises qui jouent aujourd’hui encore un rôle de premier plan dans le gouvernement du pays et disposent d’un nombre considérable de partisans. De son propre point de vue, ses intentions sont bonnes même s’il fait peu de cas des dommages collatéraux. Son rival, l’activiste, a le même agenda, mais depuis la position adverse.


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Qu’incarne Ani la figure féminine de cette bande dessinée dans cette histoire en tant que personnage pour Farid Tawill ? Elle représente la passion qu’il risque de ne plus jamais connaître de toute sa vie. Travaillez-vous déjà sur d’autres projets en ce moment ? Oui, je travaille à l’écriture d’un nouveau roman graphique, un peu différent de VALT, qui confrontera différents évènements politique et sociaux réels à l’indifférence tenace des personnages. Je suis en train de développer le scénario pour trouver le rythme et la tension exacts que cette ville impose à ses habitants. Avec ces situations rocambolesques, des personnages étranges et cette atmosphère confuse, est-ce une parabole de la guerre que vous avez souhaité retranscrire ? Pour être précis, les situations se placent entre deux guerres. Après la fin de la guerre civile libanaise, on s’attendait à un nouveau conflit. C’est d’ailleurs toujours le cas. Le récit est situé avant ou après une guerre, où les tensions et la peur de l’autre sont le moteur principal des personnages.

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Ville avoisinant la terre Jork A.Mhaya Editions Denoël Graphic 88 pages 17,90 euros


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EDITION

« Certains sujets déclenchent volontiers des comportements hystériques » Damien Serieyx, directeur des Editions du Toucan et de l’Artilleur est un éditeur iconoclaste, qui se tient loin des codes éditoriaux. lorsqu’il s’agit de bâtir son catalogue de publication. Il détaille pour le BSC NEWS sa ligne éditoriale et sa conception de «ses livres qui vont au bout des choses». Alexandre Del Valle, Christopher Caldwell ou encore David Engels sont à l’honneur dans ses publications. Rencontre avec un éditeur franc tireur. Propos recueillis par Nicolas Vidal Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos débuts dans l’édition ? J’ai travaillé d’abord un an en librairie à Paris puis je suis entré comme stagiaire chez Calmant-Lévy, où j’ai finalement été embauché. Après cinq années passionnantes, j’ai eu la chance de rejoindre Jean-Marc Roberts chez Stock où j’ai passé cinq autres belles années. Comment s’est fait votre passage des Editions du Seuil au Toucan ? J’ai quitté Le Seuil, une maison au fonds éditorial extraordinaire, au moment de la vente à La Martinière. Un cabinet m’a alors proposé de rencontrer les dirigeants de Tf1 qui souhaitaient mener une diversification 18


dans l’édition. C’est ainsi que j’ai fondé le Toucan, sous la houlette de ce groupe audiovisuel. Au bout de quelques années, j’ai racheté les parts de TF1 et j’ai pris mon indépendance totale. Pourquoi avoir fondé votre propre maison d’édition ? Cela participaitil à la volonté d’avoir une plus grande marge de manoeuvre éditoriale ? C’est d’abord l’opportunité qui m’a poussé à franchir le pas. Ensuite, bien sûr, quitte à prendre des risques, autant essayer de publier des livres qui me semblent parfois manquer dans la production de mes confrères. Vous publiez des romans mais aussi des essais. Comment choisissezvous les textes et comment ventilezvous les différentes publications au sein de votre planning éditorial ? Je tente de garder un équilibre, une dizaine d’essais et une dizaine de romans par an. Je choisis les textes d’abord et avant tout parce qu’ils me semblent singuliers et pertinents. Votre ligne éditoriale est tracée loin des sentiers battus avec des ouvrages qui sortent clairement du 19

politiquement correct. On pense notamment au livre de Christopher Caldwell. En quoi cela vous paraîtil important sur le plan éditorial ? Je ne publie pas d’essais agressifs ou gratuitement polémiques, ce serait sans issue. Je constate seulement que certains sujets déclenchent volontiers des comportements « hystériques ». Je pense aux questions climatiques, migratoires, européennes entre autres. Sur ces thèmes, qui devraient pouvoir être discutés et évalués sereinement, je recherche des livres sérieux, construits, écrits par des


Pour moi, des livres qui vont « au bout des choses », ce sont destravaux qui ne s’arrêtent pas à des présupposés idéologiques mais qui osent se frotter au réel, pour y être contredits ou confortés. Fort de cette ligne éditoriale, comment êtes vous perçu par le monde de l’édition française ? Je n’en sais rien et cela m’importe assez peu. Ce qui me semble important, c’est que les lecteurs soient satisfaits de nos livres.

hommes ou des femmes qui font autorité dans leurs domaines. Ainsi vous vous placez comme un éditeur qui propose le débat avec des auteurs qui ne seraient très certainement pas publiés dans d’autres maisons que la vôtre. Est-ce cela que vous appelez «des livres qui vont au bout de choses » ?

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Vous semblez avoir une analyse très poussée de l’état de la lecture et donc des lecteurs en France aujourd’hui. Vous employez notamment l’expression de «lecteurs forts » qu’ Olivier Donnat utilisait déjà dans son rapport sur les pratiques culturelles des français paru en 2008 et qui avait déjà évoqué une baisse significative et constante des lecteurs. Quel est donc le lectorat que vous touchez avec vos publications aux Editions du Toucan ? Je n’ai pas les outils statistiques pour le savoir mais je suppose que mon lectorat est un peu plus « âgé » que


la moyenne. A quoi attribuez-vous cette baisse des lecteurs forts ? Je n’ai pas les compétences pour le savoir. Je pense que la concurrence des objets numériques y est sans doute pour quelque chose. Pensez-vous que le politiquement correct pourrait-être l’une des

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causes de l’affaiblissement des ventes de livres et du monde de l’édition en général ? On pense notamment au succès des derniers ouvrages d’Eric Zemmour en librairie et les échecs de personnalités considérées comme politiquement plus modérées ? Non, je ne pense pas qu’il y ait un lien et je ne pense pas que l’édition soit affaiblie. Je crois même que le livre papier a un très bel avenir devant lui. Pour ce qui concerne les livres d’Eric Zemmour, deux observations: on est libre d’apprécier ou pas le personnage et ses thèses mais il me semble difficile de contester que son « Suicide français » est bien le fruit d’un travail sérieux, émettant et étayant des hypothèses que personne d’autre ne formule. C’est peut-être, avec son exposition médiatique forte, l’une des raisons de son succès. Vous considérez-vous comme un éditeur engagé pour la démocratie et la liberté de pensée ? Oui, absolument. Il me semble que la démocratie est un grand BIEN, dont


nous avons hérité et qu’il nous appartient de maintenir vivant. Pour cela, le débat véritablement ouvert est indispensable. Pour finir, pouvez-vous nous présenter en quelques mots l’ouvrage d’Alexandre del Valle qui vient de paraître ? Il fait le lien entre nos vieilles stratégies issues de la guerre froide et les tensions grandissantes entre l’occident et le monde musulman. Editions du Toucan / L’Artilleur dirigées par Damien Serieyx www.editionsdutoucan.fr

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Photo

Antoine Bondaz et Benjamin Decoin

Immersion en Corée du Nord

Suivez Benjamin Decoin, photographe, dans un voyage passionnant dans l’un des pays les plus hermétiques et fermés de la planète. Le travail de Benjamin Decoin est une passionnante découverte sociologique et géographique au pays de la dynastie des Kim. Antoine Bondaz apporte, pour sa part, son expertise géo-politique de ce pays et des craintes qu’il suscite auprès de la communauté internationale notamment sur sa stratégie nucléaire. Propos recueillis par Nicolas Vidal - (Crédit Photos : © Benjamin Decoin ) 24


Benjamin Decoin - photographe Benjamin, qu’est ce qui vous a poussé à devenir photographe ? Prendre des photos, c’est à la fois un moyen - une obligation - de découvrir l’autre et de raconter son histoire. Je suis reporter photographe, une photo, aussi belle soit-elle, doit rapporter, dire quelque chose, pour être utile, sinon c’est une image. Pourquoi avoir choisi la Corée du Nord pour terrain d’études ? D’abord j’ai toujours été fasciné par la Corée du Nord, et par l’image qu’elle représente à l’étranger. J’ai pensé qu’en allant là-bas je découvrirais de quoi il retournait vraiment. Je suis revenu avec davantage de questions que de réponses. Ensuite, la Corée du Nord est un formidable terrain de ‘jeu’ pour tout photographe. La communication du régime passe avant tout par l’image, qui est omniprésente. Les couleurs, l’obsession de la symétrie, la démesure de l’architecture, les anachronismes sont omniprésents et autant 25

d’occasions de photos différentes. Mais, encore une fois, avant d’être un projet photographique, c’était davantage un voyage ‘égoïste’ : essayer de comprendre pourquoi et comment ce pays pouvait vivre de façon si différente du reste du monde. Comment s’est déroulé votre travail sur place qu’on imagine aisément compliqué ? Comment déjoue t-on les codes et les interdictions pour faire des clichés ? Il est très facile d’être un touriste en Corée du Nord car tout est organisé. Ce qui est plus compliqué, infiniment plus compliqué, est de sortir du chemin imposé. Vous voyez une scène formidable sur le trottoir d’en face. Impossible d’aller faire une photo. Il faut se contenter de ce qui se présente directement, sans pouvoir chercher, ce qui est habituellement le ‘travail’ d’un photographe. Certaines photos sont interdites. L’armée, le génie civil. Tout dépend des guides et des régions. Ce qui est intéressant n’est pas tant de photographier ce qu’ils interdisent (c’est


une entreprise assez vaine) que de décrypter ce qu’ils veulent que l’on photographie, et pourquoi. Cela dit bien plus sur la société que toutes les photos de paysans en guenilles ou de soldats endormis. En somme, comment un photographe appréhende-t-il la censure et la propogande d’un Etat 26

comme la Corée du Nord ? Lorsqu’on parle de censure on s’attend à ce que le régime regarde vos photos et efface celles qui ne lui plaisent pas. Ca m’est arrivé lorsque je suis passé à un petit poste de frontière entre la Corée du Nord et la Chine. Quand on arrive et repart par l’aéroport de Pyongyang c’est plus rare, les militaires ont, je pense, autre chose à faire. La censure s’exerce à un autre niveau, puisque tout ce que vous voyez a été prévu à 90% par le régime. Le risque de prendre une photo «dérangeante» est ainsi limité. Les 10% d’imprévus sont les plus savoureux. Ce sont des situations souvent ubuesques, parfois tristes, d’autres fois drôles. Suite à ce voyage, que diriez-vous pour décrire ce que vous avez vu de la Corée du Nord ? On parle souvent d’un pays qui serait resté coincé dans l’Histoire, à l’ère soviétique. Par certains aspects matériels, c’est assez vrai. Mais davantage qu’un voyage dans


le temps, c’est un voyage sur une autre planète, une uchronie. J’ai vu ce qu’on a voulu me montrer, sans savoir si c’était vrai ou faux. Antoine Bondaz - Docteur associé au Ceri-Sciences Po et membre du Korea-Europe Next Generation Policy Experts Forum Qu’est ce qui fait la spécificité totalitaire de la Corée du Nord ? Le régime nord-coréen est le dernier des régimes totalitaires ce qui, selon la définition du politologue américain Carl Joachim Friedrich, repose sur six caractéristiques. Premièrement, le régime s’appuie sur une idéologie, non pas le communisme, dont la mention a été retirée de la Constitution en 2009, mais le Juche qui infuse toute la politique nord-coréenne. Deuxièmement, le régime est caractérisé par l’omniprésence, à tous les niveaux de la société, du Parti des travailleurs de Corée, créé en 1949. Troisièmement, un contrôle policier très fort va à l’encontre des libertés fonda© Lucky Comics 2016, Matthieu Bonhomme

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mentales, dont la liberté d’expression ou la liberté de déplacement qui sont pourtant officiellement garanties par la Constitution. Quatrièmement, les moyens de communication sont étroitement contrôlés par le régime et un véritable culte de la personnalité est mis en place par les médias d’État afin de garantir la légitimité du régime. Cinquièmement, le poids de l’armée, quatrième armée du monde en termes d’effectif et étroitement contrôlée par le Parti, est primordial. Et enfin, sixièmement, la Corée du Nord est l’une des dernières économies centralisées et planifiées. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la dynastie des Kim ? En cela quelle est la différence de règne et de style entre Kim Jongun à son père Kim Jong-Il ? Est-il plus autoritaire que son père ? La République populaire démocratique de Corée, fondée en 1948, est le seul régime totalitaire dynastique au monde. Kim Jong-un a succédé à son père en 2011 qui lui-même


avait succédé au sien, le fondateur du régime, Kim Il-sung. Bien que le style de Kim Jong-un diffère de celui de son père, et se rapproche de celui de son grand-père en s’affichant comme plus proche du peuple et soucieux de son bien-être et en multipliant les visites sur le terrain et les discours en public, la nature du régime n’a pas changé. Le trentenaire dirige le pays d’une main de fer tout comme son père, purgeant le Parti des travailleurs de Corée afin d’éliminer toute opposition po28

tentielle à l’exercice de son pouvoir et de s’assurer la loyauté des dignitaires du régime à travers l’instauration d’un climat de peur. A votre avis, comment la dynastie des Kim a pu se maintenir au pouvoir malgré la chute de l’empire Soviétique ? Autrement dit comment les Kim ont-ils réussi à asseoir leur pouvoir malgré les changements géopolitiques majeurs depuis 1989 ? A la fin des années 1980, la Co-


rée du Nord fait face à une crise protéiforme qui va profondément déstabiliser le régime. La majorité des experts et des universitaires considèrent alors qu’un effondrement du régime nord-coréen est inévitable. Sur le seul plan économique, l’économie nord-coréenne s’effondre ce qui, couplé à de violentes inondations, provoque une crise alimentaire et une famine sans précédent. Cette crise a des conséquences durables à tel point qu’aujourd’hui le PIB nord-coréen est tout juste revenu à son niveau des années 1980. La résilience du régime est due principalement à sa nature totalitaire. Kim Jong-il accorde alors la priorité au développement des capacités militaires du pays. Cette stratégie lui permet de renforcer les capacités de dissuasion du pays face à une intervention étrangère tout en accroissant le contrôle sur la population. Il en fait une des sources de la légitimité du régime alors que l’État providence n’est

plus qu’une lointaine utopie. En parallèle, il va mener une diplomatie tous azimuts afin de réduire la pression internationale sur le pays en participant notamment au premier sommet intercoréen à Pyongyang en 2000. En ce qui concerne la force de frappe nucléaire, est-ce que la communauté internationale parvient-elle à savoir où en est la Corée du Nord ? Depuis plus de vingt ans, la Corée du Nord a défié les injonctions de la communauté internationale et de l’Agence internationale à l’énergie atomique qui lui demande de mettre un terme à son programme nucléaire militaire. Le pays s’enfonce dans une impasse stratégique qui s’explique tant par sa détermination à se doter d’armes nucléaires que par l’échec de la communauté internationale à l’en dissuader. Le régime a annoncé avoir développé une bombe à hydrogène suite à l’essai nucléaire de janvier

© Lucky Comics 2016, Matthieu Bonhomme 29


2016, et être parvenu à miniaturiser la bombe, indispensable afin de la monter sur un missile balistique, suite au dernier essai de septembre. Cependant, il est très difficile de connaitre avec précision l’état d’avancement du programme nucléaire nord-coréen. Le pays fait cependant des progrès rapides, notamment depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un qui multiplie les essais tant nucléaires que balistiques.

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Aujourd’hui, quelles sont les sanctions internationales entreprises contre la Corée du Nord? Sont-elles suffisantes à vos yeux pour freiner Kim Jong-Un dans sa course à l’armement nucléaire? Les sanctions internationales, qu’elles soient unilatérales - comme les récentes sanctions américaines visant Kim Jong-un pour « graves violations des droits de l’homme » - ou multilatérales - à l’instar des six résolutions du Conseil de Sécu-


rité de l’ONU depuis 2006 - n’ont pas entamé la détermination du régime. Contrairement aux attentes occidentales, Pyongyang perçoit les bénéfices sécuritaires apportés par son programme nucléaire et balistique comme dépassant largement les coûts économiques des sanctions. La République populaire démocratique de Corée fait en effet l’objet de sanctions internationales depuis sa fondation en 1948 et a su s’y adapter. Si ces sanctions ont ralenti le programme nucléaire et balistique nord-coréen, elles n’ont pas permis d’y mettre un terme. Compte tenu de l’absence de consensus international sur la nature des sanctions à adopter, la Chine souhaitant éviter toute sanction radicale qui conduirait à un effondrement du régime, il est aujourd’hui difficile d’imaginer que la Corée du Nord abandonne un programme dans lequel elle a tant investi depuis des décennies.

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Corée du Nord Plongée au coeur d’un Etat totalitaire Photographie : Benjamin Decoin Textes : Antoine Bondaz


YANNICK PRIVAT

Un jeune réalisateur passio

Né au coeur d’une famille entièrement dévouée à la m lavoy est son père et son frère brille comme pianiste ch Privat aurait du faire aussi carrière dans la musique. Ma jourd’hui, Yannick enchaîne les court-métrages, les dist Negro, deux courts bluffants du jeune réalisateur qui de la planète ciné. Rencontre passionnante avec un amour tique. Propos recueillis par Nicolas Vidal- Crédit photo D.R 32


onné qui se fait un nom

musique - José Privat ancien du groupe Mahez le prestigieux label Act Music - Yannick ais c’est le cinéma qui s’est destiné à lui. Autinctions et les prix. Retour sur Barbara et El evrait faire du bruit dans les mois à venir sur reux du travail, de l’authenticité et de l’esthé-

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Comment êtes-vous tombé dans le cinéma Yannick Privat alors que vous avez grandi au sein d’une famille très tournée vers la musique ? C’est vrai que mon père, musicien, nous a très tôt mis à la musique mon frère et moi, et rien dans l’environnement familial ne me prédisposait à ce métier. Mon frère est d’ailleurs devenu un musicien accompli, alors que moi je me suis tourné vers l’image. C’est très difficile pour moi d’expliquer ce qui m’a donné envie de faire du cinéma. Je sais que j’allais voir des films d’horreur chez mon voisin qui en était passionné, et qu’à l’école déjà avec mes camarades de l’époque on inventait les suites de Terminator, des Predator, les Freddy... Cette passion est selon moi née en regardant des films d’abord et elle a été nourrie à l’école très tôt en échangeant avec des camarades de classe. C’est marrant de se dire qu’au lieu de se raconter les films qu’on avait vu, on préférait s’imaginer les suites. L’un d’eux, je me souviens, en faisait carrément des bandes dessinées. C’est

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très certainement parti de là. Quel fut votre premier projet cinéma ? En dehors des films d’école, mon premier projet de cinéma est le court que j’ai réalisé à la sortie de l’EICAR, « La Main dans le sac». Pourtant, au départ, je ne l’ai pas vraiment pris au sérieux, je le voyais plus comme une blague. Mais quand j’y repense j’ai beaucoup appris sur ce tournage, le rythme des dialogues, la direction des comédiens et la gestion d’une équipe… J’étais assez content de moi une fois le film terminé, même si aujourd’hui c’est un peu difficile de le regarder. Quel genre de réalisateur êtesvous ? Quelles sont vos inspirations et vos mentors ? Difficile encore de dire quel genre de réalisateur je suis. Je n’ai pas fait suffisamment de films pour répondre à cette question. Et c’est encore moins un premier long-métrage qui me permettra d’y répondre, je pense. Je sais simplement que j’aime le dialogue,


El Negro

créer des personnages avec un discours, qui débattent de faits de société, de leur vie personnelle, et même de politique. Le dialogue est un moyen assez simple de faire passer des idées. Pour ce qui est de mes inspirations, elles sont nombreuses. Si je suis cohérent, Tarantino et Lelouch sont des sources inépuisables d’inspiration, leur maîtrise des scènes dialoguées, dans leur style respectif, est assez bluffante. Dans la comédie, le travail d’écriture de Larry David, même quand il est un peu paresseux, m’enthousiasme à chaque fois. Mon côté musicien fait aussi que je suis forcément touché par l’utilisation unique de la musique de Terence Blanchard et du jazz dans les films de Spike

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Lee. Maintenant je suis très bon public, je regarde beaucoup de films, toutes sortes de films. Plusieurs fois primés pour votre court-métrage depuis quelques années. Quelle a été la première vraie reconnaissance ? Le prix du meilleur court-métrage à l’Alpes d’Huez pour mon film Dog Sitting, co-réalisé avec Sara Verhagen. Faut dire ce qui est, un prix comme celui-là fait vraiment plaisir. Les prix sont définitivement une forme de reconnaissance. Tout comme peuvent l’être aussi une aide du CNC, une aide de région, une aide de télé. Ce sont des gens qui te disent « mec, on te fait confiance ». Je pourrais dire que je me satisfais bien du sou-


rire tendre de ma mère et des félicitations de mon père. Mais qu’on le veuille ou non dans ce métier, il faut aller au-delà de la passion, on veut montrer qu’on n’est pas plus con qu’un autre, on veut montrer qu’on sait faire comme les grands, qu’on a compris le truc. Quand Benoît Delépine récompense Barbara du Grand Prix du Jury au dernier festival du film européen de Lille, ça fait un bien fou. Etre récompensé par un réalisateur qui fait un cinéma exigeant, et qui te dit que «t’as un putain de talent», ça compte forcément.

Barbara

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Parlons de vos deux derniers courts-métrages El Negro et Barbara. En visionnant ces deux propositions, on est immédiatement happé par l’intensité de vos plans qui nous plongent immédiatement dans les interactions humaines entre les personnages. Est-ce exact de dire cela ? C’est vrai que j’essaie de capter l’attention du spectateur dès le début. Barbara et El Negro n’ont d’ailleurs pas de générique de début. Ils commencent comme si on lançait une vidéo sur Youtube. Je ne suis pas le plus fidèle des spectateurs. Je m’ennuie as-


sez vite, je ne suis pas vraiment patient. Le dernier Tarantino par exemple demande beaucoup de patience au spectateur. Mais si tu fais confiance, tu es récompensé à la fin. Maintenant la plupart des spectateurs sont comme moi, il faut être happé dès les premières secondes. Il faut faire une promesse et la tenir. Sur une promesse, ok, je reste jusqu’à la fin. Avec les générations actuelles,, intéresser les gens dès les premières minutes, surtout quand tu veux traiter de sujet pas forcément vendeurs aux yeux de certains, c’est un pari très difficile à gagner. Donc puisque je ne peux pas prendre le spectateur par la peau du cou et le forcer à regarder mon film, je laisse les personnages s’en occuper. J’avais tellement peur que le public s’ennuie devant Barbara que je l’ai écrit, réalisé et monté comme un film d’action. Alors qu’il s’agissait d’une simple discussion dans un salon.

Vous parlez souvent d’authenticité et de vérité dans votre rapport aux comédiennes notamment dans Barbara. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ? Comme je l’ai dit, j’en suis qu’à mes balbutiements dans ce métier, mais je sais que ce que je recherche, c’est de la vérité ; de mon point de vue ça doit être le seul but d’un cinéaste. Si le spectateur se dit « cette nana, ou ce mec joue trop bien », on a déjà perdu. Si en revanche il traite le personnage d’enculé comme on a pu le faire à Larry Hagman qui interprétait J. R. Ewing en son temps, là c’est gagné ! Après, il faut être honnête, pas mal de cinéastes ont déjà tué le game de la vérité au cinéma, Cassavetes, Cimino, Pialat, pour ne citer qu’eux. Après, la vie en général et notre vie est la meilleure des inspirations comme dit Lelouch. Donc tant qu’il y a de la vie, il y a potentiellement du bon cinéma à venir.

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Barbara

Aussi bien dans Barbara que dans El Negro, la tension monte de façon fulgurante entre les personnages. Comment anticipe-t-on cela quand on est réalisateur ? Quels sont les pièges à éviter ? C’est difficile de répondre à ce genre de question, « Quels sont les pièges à éviter ? » J’ai fait deux court-métrage qui ont bien marché en festival, mais je considère que je n’ai pas encore fait mes preuves, j’ai juste un avis sur la question. Disons que mes personnages sont toujours en conflit.. C’est certes un vieux truc de scénario, sans conflit il n’y a pas d’histoire, pas de suspense. Cependant mes personnages sont en général directement touchés par une réalité brutale de la société ou de

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leur milieu de travail ou personnel. Ils expriment souvent un mal-être, font face à des personnes qui ne les comprennent pas. Forcément ça crée de la tension. S’il y a un piège à éviter ce serait, en partant de ce postulat, de ne pas prendre de recul avec ses personnages et tomber dans une forme de dénonciation qui pourrait paraître en décalage avec ce qu’on raconte… C’est très difficile pour le coup, parce que mes personnages sont soit une meilleure version de moi-même soit la pire. Je suis un piètre débateur et je me sers beaucoup de mes personnages pour mieux dire ce que je dirais moi-même dans la vie. Le piège serait d’être trop impliqué dans le propos engagé du film, quel qu’il


Barbara

soit, et de perdre par conséquent en narration et en émotion. Pour ma part, je fais confiance à mon instinct, je suis un jeune cinéaste donc les pièges à vrai dire, je les vois venir trop tard ; après j’essaie d’être sincère dans ce que j’écris, de ne pas me donner de limites.

que j’ai déjà citée et qui avait déjà joué dans mes deux précédents courts. Ou encore Sandra Dorset ; j’étais à peu près sûr qu’elles me donneraient ce que je voudrais sur le plateau. Pour d’autres, comme Baya Rehaz, Caroline Anglade, Vanessa Dolmen et Olivia Gotanègre, j’avais un petit instinct que ça pouvait marcher. Je savais que c’était de bonnes comédiennes, on était simplement amis sur Facebook, le réseau aidant, et à travers ce qu’elles avaient déjà fait, je n’avais pas trop de doutes sur comment elles allaient s’approprier leur rôle. Ce qui a été difficile c’est trouver le rôle du personnage principal, qui fait évoluer l’histoire. Si je me plantais, je plantais aussi

Pour Barbara, comment avezvous fait votre casting pour les 7 comédiennes du court-métrage ? Lorsqu’on écrit un dialogue de vingt minutes entre sept comédiennes. On se dit d’abord une chose, « il va me falloir des tueuses ». S’il y en avait une à côté de la plaque ça aurait été une catastrophe. Je connaissais très bien certaines comédiennes comme Sara Verhagen

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le film. Le personnage passait par toutes les émotions, jouait la nana un peu défoncée à l’herbe, puis complètement bourrée, passait de la bonne copine qui fait rigoler les potes, avant de se transformer en sorcière un poil psycho ; il fallait toute la finesse de Marie Lanchas pour que le personnage gagne en relief et en nuance. Elle a passé un casting et à la fin j’étais sur le cul. Elle a révélé des facettes insoupçonnées de son personnage. Je savais que je tenais là quelque chose ; j’avais les sept rôles… On pouvait tourner. Travaillez-vous déjà sur un autre projet ? Un long métrage ? Oui. (rires)

Yannick Privat Court-métrages > Barbara > El Negro

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Roman

Viens mon cher Fran(t)z, encore une danse Un maître-queux sybarite propose cette salve époustouflante de nouvelles mitonnées dans la volupté, servies avec un accompagnement carnassier. Par Marc Emile Baronheid - Crédit photo C. Hélie Gallimard

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Avez-vous déjà approché une femme pratiquant les dissipations compensatoires ? Celle-ci se prénomme Musette. Guy, son mari, pique du nez dès qu’il rentre d’une de ces journées harassantes qui sont le lot des commis-voyageurs consciencieux. Comme Musette n’a pas la vocation de femme au foyer, même à la mode de Landru, elle s’offre une vie en accordéon

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et orchestre le bal des prétendants. Puis on apprend que le brave représentant de commerce est un culbuteur de première, attendu comme le facteur étalon dans chaque vestibule rural. Un camelot de la littérature friponne y verrait matière à cinquante nuances de Guy. Bartelt trousse l’histoire en une poignée de pages allègres, édifiantes, plaisamment ciselées, d’une tendreté acquise au bain-marie subreptice de la narquoiserie considérée comme un des beaux-arts. Les treize nouvelles du recueil sont à l’avenant, solidaires des petites gens mais pas du monde qui tire leurs ficelles, dignes du programme d’une primaire pré-présidentielle : marivaudage pour tous, scandaleux partage des richesses, éloge de la fraternité (« ce con, il ne se doute pas que je vais le bouffer tout cru ! »), doux chants pour les sourds. Avec cette critique métaphysique de la déraison pure, Franz B rappelle que son arbre généalogique compte quelques-unes


des branches maîtresses de l’ironie flibustière. On le lit allègrement, sans se mettre Bartelt en tête. Et si quelque pisse-froid reprochait à sa prose de ne pas avoir les vertus laxatives des prévisions de Christine Boutin, gageons qu’il répondrait I would prefer not to. Quelque chose en nous de Barteltby… « Comment vivre sans lui ? », Franz Bartelt, Gallimard, 18 euros

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Le bon mot

Enjamber Diogène

Ironiques, délicieux, cinglants, rosses, équilibristes, humoureux transis, les jongleurs de mots rivalisent d’audace, d’originalité, pour apparaître comme antidotes à la morosité d’une rentrée littéraire oubliable. Par Marc Emile Baronheid

Même Diogène, apôtre redouté du cynisme, ne dédaignait le plaisir gratuit du bon mot. On en trouve quelques exemples dans un volume 46

d’inédits, « petit livre fait pour tenir dans la poche d’un vagabond », mais qui évoque le fond de tiroir (1). François Fillon n’a pas son pareil


pour remettre à leur place les caricatures consternantes de l’humour belge et susciter une floraison de calicots « je ne suis pas Charline ». En revanche, une incursion dans le monde de Bruno Coppens est vivement conseillée. Virtuose de la rosserie, lanceur d’alertes cinglantes, observateur de la foire aux vanités, il est l’auteur d’ exercices de salubrité éthique (sur la réforme de l’orthographe, la maladie du colon, BHL et son visagiste belge, …) et fourbisseur de sentences (cougar : dérèglement de la mature ; Lévy (Marc) : cancer de la prose tarte). (2) Briller dans les dîners en ville, mais pas à n’importe quel prix. Daniel Lacotte flatte les apprentis cuistres en distinguant la zénana d’ une chanson de Ferré, ferre les gourmands par le lexique de la séduction tarifée et dévoile sans s’outer son amour des homos (-nymes, -phones, -graphes). Plutôt pour les amoureux de la langue, version quai de Conti, qu’à l’intention des inconditionnels de Bérurier (3). Plus indispensable encore, la collection « Le Goût des mots » a récemment rappelé les nuances 47

vitales de la ponctuation (avec la collaboration éclairée de Sartre en matière de « guilles »), la primauté de l’orthographe (par le truchement de dictées agrémentées de leçons de grammaire parfaitement exactes mais joliment absurdes), un enfilage jubilatoire de perles potachières (néologisme forgé par paresse), une collecte d’aphorismes et autres fantaisies littéraires au titre énigmatique fleurant bon le pangramme (cela signifie qu’il vaut son pesant de lettres de


l’alphabet). On y découvre notamment un trait commun à Proust et Bob Marley… (4) Qui veut détendre l’atmosphère, faire rire, voire lancer autour de la table des sujets de discorde, ira plutôt vers Alain Bouteiller (5), un coffret de citations d’humour (6) ou un abécédaire « joyeusement moderne » du féminisme, grâce auquel Girl Power, Masculinisme, Riot Grrrl n’auront plus de secret pour quiconque est soucieux de vivre avec son temps. Et que dire de la friend 48

zone , notion qui « perpétue le sale mythe selon lequel le sexe serait une rétribution que les femmes devraient aux hommes » (7). (1) « Diogène le Cynique – fragments inédits », textes présentés et traduits par Adeline Baldacchino, Autrement, 13 euros (2) « Ludictionnaire », Bruno Coppens, Racine, 2 vol., 14,95 euros/vol. (3) « Dico des mots pour briller en société », Daniel Lacotte, Hatier. 17,95 euros


(4) voir en Points Seuil, cette collection dynamique, constamment enrichie – « L’art de la ponctuation », « Les dictées loufoques du professeur Rollin », « LOL est aussi un palindrome », « Bâcher la queue du wagon-taxi avec les pyjamas du fakir ». Chaque titre est vendu 5,40 euros, sauf « L’art de la ponctuation » : 6,80 euros (5) « Les 500 histoires drôles qui font vraiment rire », Alain Bouteiller, le

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cherche midi. 12,50 euros (6) « La boîte à citations d’humour », coffret de 4 volumes : Animaux, Famille, Métiers, Sports, le cherche midi. 14,95 euros (7) « Les gros mots – abécédaire joyeusement moderne du féminisme », Clarence Edgard-Rosa, Hugo. 14,95 euros


30/40 Livingstone l’anthropologie selon Sergi López

Invité d’honneur du 38ème Cinemed, Sergi López est revenu le temps du festival montpelliérain à ses premiers amours: le théâtre. Sur la scène de l’Opéra Berlioz, il a joué 30/40 Livingstone, une pièce coécrite, mise en scène et interprétée avec son complice Jorge Picó. Par Romain Rougé - (Photos David Ruano) 50


Jorge Picó. Une pièce très remarquée lors et depuis sa première représentation en 2014 au festival off d’Avignon.

30/40 Livingstone : un théâtre qui déroute bien

30/40 Livingstone est une pièce énigmatique. Tout comme son titre. « Une idée anthropologique qui a l’air très sérieuse : regarder l’être humain comme si on ne savait pas ce que c’était », décrit de son côté Sergi López. Dans cette fable burlesque teintée d’imaginaire, l’acteur catalan campe un explorateur rêvant de mettre la main sur une créature chimérique mi-homme, mi-cerf, interprétée par 51

Dans la peau d’un personnage lassé de sa vie morne et sans réel intérêt – selon lui, Sergi López joue la carte de la duplicité, un personnage à la fois drôle et inquiétant, qui n’est pas sans rappeler celui de Harry, un ami qui vous veut du bien de Dominik Moll pour lequel l’acteur avait été Césarisé en 2001. Il va d’abord tout quitter, à commencer par son travail, pour se lancer dans une quête anthropologique des plus mystérieuses. Ce qui constitue la scène d’ouverture est d’ailleurs hilarante : l’acteur mène une discussion haute en couleur avec un père invisible dont l’incompréhension n’a d’égal que la folie du fils. La rencontre avec la créature est tout aussi survoltée mais nimbée d’une


noirceur qui enveloppe peu à peu le personnage principal. Ceci aidé par des sous-entendus en lien avec des sujets de société comme la xénophobie ou l’écologie. Plus le monologue avance – Jorge Picó ne prononce aucun mot, plus l’instabilité mentale gagne le personnage jusqu’à un dénouement déroutant, qui interroge sur nos relations à l’autre. Car 30/40 Livingstone est avant tout une pièce qui parle d’humanité, de la peur de l’autre, de l’incapacité à communiquer aussi, de la solitude qui ronge tout un chacun dans un monde à la fois connecté et cloisonné, proche et éloigné.

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De fait, Sergi López donne beaucoup de sa personne, la pièce ne souffre d’aucun temps mort. Assister à 30/40 Livingstone n’est pas de tout repos, que cela soit par les rires qu’elle suscite ou par l’angoisse de voir un personnage sombrer crescendo dans l’extrémisme. Un reflet bien amer d’une humanité sur le fil du rasoir et un miroir, pas si déformant, de notre société contemporaine. Sous sa carcasse drolatique, 30/40 Livingstone est intrinsèquement tragique.


30/40 Livingstone Auteurs/Mise en scène/Interprètes : Sergi López et Jorge Picó Lumière : Lionel Spycher Création musicale : Oscar Roig Technicien son et lumière : Ruben Taltavull Costumes : Pascual Peris Casquette : Amadeu Ferrer, Clap Produccions Régisseur : Pepe Miro

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Production exécutive, Xochitl de Leon, Coproduction, SetzeFetges Associats, ring de Teatro, Festival Temporada Alta 2011 Avec le soutien de : Teatre Principal de Vilanova i la Geltru, Institut Ramon Llull.


BILLET

Cadeaux de fin d’année pour rire, pleurer, s’étonner, réfléchir.

Par Emmanuelle de Boysson Dans un dîner en ville, lorsqu’un invité se met à parler de Proust, certains se pâment, d’autres se contentent de hocher la tête n’osant avouer qu’ils ne l’ont pas lu. Si « La Recherche » est intimidante, on oublie que Proust était aussi un comique ou plutôt un maître de la dérision. En témoigne ce petit ouvrage : « L’humour de Marcel Proust », anthologie constituée par Bertrand Leclair, illustrée par Philippe Pier-

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relée (Folio). Extraits de « Du côté de Guermantes »: « Gilberte appartenait, ou du moins dans ces années-là, à la variété la plus répandue des autruches humaines… » ; « L’amour ? Je le fais souvent mais je n’en parle jamais » ; « Je reconnais qu’elle n’a pas l’air d’une vache, car elle a l’air de plusieurs, s’écria Mme de Guermantes ». Philosophe potache, moraliste, séducteur, cuisinier, collaborateur à « Hara Kiri », grand amateur d’humour caustique, Pierre Desproges a publié de nombreux articles et interviews dans une revue bien bourgeoise « Cuisine et vin de France ». Passionné de bons vins, figeac 1971 au Saint Emilion, Desproges adorait la bonne bouffe. « Encore des nouilles »,(Points) recueil de ses chroniques culinaires illustrées par Cabu, Charb, Riss, Tignous et Wolinski est un délice de causticité. Pa-


raît aussi son unique roman, « Des femmes qui tombent », préfacé par Philippe Jaenada. Comme toujours, Desproges ne se prend pas au sérieux et ça fait du bien : « Pour qui s’emmerde au trou perdu, la mort du voisin ranime toujours un peu la vie ». Dans son genre, Sagan savait être piquante et rigolote. Grâce au formidable travail de son fils, Denis Westhoff, ses chroniques sont pour la première fois réunies dans un recueil. Entre 1954 et 2003, Françoise Sagan écrivit de nombreux articles pour la presse, des reportages de voyage. Ses portraits en disent beaucoup sur elle, sur ses amitiés Yves Saint Laurent, ses goûts : la vitesse, Saint Tropez, mais aussi Tennesse Williams, Billie Holiday, Montand. Avant les fêtes, laissez-vous tenter par « Les douze indices de Noël et autres récits », de P. D. James ( Fayard). Dans la veine, d’Edgar Poe, Conan Doyle, Agatha Christie, il nous offre des nouvelles policières savoureuses, salées et satiriques. Un régal ! On trouve parfois dans ses piles de livres de presse des petites pépites, comme « Petits et grands cadeaux arrivés pieds nus » de Marie Vola (La Pe-

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tite Marguerite). L’auteur s’adresse d’abord à Françoise Héritier dont elle a aimé « Le sel de la vie », avant de nous confier ses plaisirs quotidiens : l’odeur du café, fumer une roulée sous la pluie, chausser des espadrilles après l’hiver. Espérons qu’il ne sera pas trop froid… Pour les tristounets dépressifs, « J’ai choisi la dépression. La méthode infaillible pour ne plus se relever de son canapé » de Dana Eagle ( Robert Laffont) vous sortira de votre torpeur. Tests, code d’honneur du dépressif, phrases négatives, chansons, livres, films déprimants, tout vous saurez tout sur vos terribles maux et, cerise sur le gâteau, vous pourrez retrouver la communauté des dépressifs ! Soigner le mal par l’humour, rien de tel pour en rire ! Pleurer. Il y a deux ans, Hugues Royer, journaliste et auteur de biographies à succès, apprend qu’une tumeur lui ronge le fémur gauche. Opéré d’urgence, il est équipé d’une prothèse massive qui l’immobilise. L’écriture s’impose, le seul moyen de s’évader, d’exorciser ses peurs, d’apprendre la patience, reprendre es-


poir. « Je n’imagine pas un monde sans toi » (Michalon) lui souffle une de ses amies. Grâce à l’amour de sa compagne, de ses filles, il tente de comprendre l’inconcevable, de réapprendre à marcher. « J’ignore comment tout ça va finir. Moi, face à la maladie. Lequel des deux sera le plus malin ? ». Un récit bouleversant, sincère, profond, un chemin vers la paix, la sagesse. Dans un genre très différent, plusieurs auteurs reviendront sur la guerre de 40 et l’antisémitisme à la rentrée de janvier. Ecrivain, scénariste et dialoguiste, Gilbert Sinoë raconte le destin d’« Irena Sendelerowa, juste parmi les nations » ( Don Quichotte). Employée au Comité d’Aide sociale de Varsovie, cette femme remarquable réussit à faire évader près de 2500 enfants du ghetto juif, gardé nuit et jour par des soldats nazis. Elle les fit passer par des caves, des canalisations, dans des boites en carton, des valises, des sacs à dos, des taies d’oreiller, sous des épluchures de patates. « Je continue d’avoir mauvaise conscience d’avoir fait si peu », disait-elle.

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S’étonner Thierry Ardisson est royaliste et il a raison. Au lieu de jouer les people, le président se ferait plus discret, à l’ombre d’une famille royale, d’un roi, d’une reine qui permettraient d’équilibrer le pouvoir de notre soit disante démocratie. Suffit de se tourner vers l’Espagne ou l’Angleterre pour s’en rendre compte. Symbole de la royauté, le palais des Tuileries a été incendié par la Commune de Paris en 1871 avant d’être rasé par le République en 1883. Une grande partie de cet édifice a disparu. Cinq dauphins y ont vécu, aucun n’a régné. Ils sont « Les Fantômes des Tuileries », de Thierry Ardisson (Flammarion). Un livre passionnant et vivant sur l’histoire de ce Palais, notre histoire avec ses drames, ses fastes et ses malédictions. Six nouvelles d’adolescentes, sur leurs rêves, leurs préoccupations : une bouffée de fraîcheur que nous offrent les Editions Héloïse d’Ormesson. Un jury a sélectionné ces jeunes talents, lauréates du Prix Clara, un vivier de plumes. Les bénéfices des ventes seront versées à l’Association pour la recherche en Cardiologie du Fœtus à l’Adulte de


l’Hôpital Necker-Enfants malades. Les sujets ? La naissance d’un écrivain à San Francisco au XIX e, l’âme d’un violon exilé à New York, une famille fuyant les bombes en Syrie, une ville futuriste… Etonnante imaginaire de jeunes filles en fleur. Avant Noël, faites vous plaisir et lisez les étonnants contes de Noël des plus grands écrivains de tous pays, depuis Dickens, Andersen, Hoffmann, Gogol… Magie de l’enfance. « Le bouquin de Noël » édition établie par Jérémie Benoit (Robert Laffont). Réfléchir Face à la tentation de repli qui submerge notre nation, il est temps de redevenir nous-mêmes, fiers de notre histoire, de nos sources pour faire revivre la France que nous aimons, humaniste et cosmopolite. C’est le projet que Raphaël Glucksmann nous propose dans « Notre France. Dire et aimer ce que nous sommes » (Allary Editions) : « L’énergie citoyenne est là, disponible, en attente, les initiatives se multiplient dans la société civile. Il reste à promouvoir le récit qui leur donne sens, à inventer le débouché politique qui les transforme en pro-

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jet national. Voici la grande tâche de notre génération ». Plein d’espoir et exaltant. A vous de remplir votre panier avant la cohue des fêtes. Offrir un livre reste un gage d’amour, surtout s’il est choisi en pensant au plaisir que vous pourrez donner. Cette année, le Goncourt de Léïla Slilami est un excellent cru. « Chanson douce » (Gallimard) c’est à la fois un Simenon et un livre sur la lutte des classes, a dit Bernard Pivot. Je l’ai dévoré. Ecriture sèche où l’accent est mis sur l’action des personnages plus que leurs états d’âme, intrigue au cordeau, évolution bien menée, personnages ambivalents, un roman presque parfait que seules celles qui ont une nounou hésiteront à lire. Elles ont tort : mieux vaut prévenir que guérir ! Quant au Renaudot essai, chapeau au jury d’avoir osé couronner Aude Lancelin : courageuse, elle balance, elle dénonce une presse corrompue. Une militante, une femme engagée, comme l’est aussi Leïla Slilami qui fustige l’hypocrisie du régime marocain à l’égard des homosexuels. Des femmes jeunes et talentueuses ont été les vedettes des grands prix. On applaudit.


PHILOSOPHIE

Les ANTIPODES PAR SOPHIE SENDRA

Bob Dylan, Prix Nobel de Littérature 2016. Donald Trump 45ème Président des Etats-Unis D’Amérique, époque des Antipodes. Blowin’ in the mind, The Times they are a changin’, hymnes anti-guerres, chansons populaires et sociales célébrées pour la poésie, pour la paix. Il y a tant à dire sur le résultat des élections américaines, mais il ne reste plus qu’à penser et agir. Au-delà des envies partisanes de préférer un camp plutôt qu’un autre, que devons-nous analyser ? Sans doute nos souvenirs, notre présent et notre futur. Beaucoup pensent que les Etats-Unis n’ont plus autant d’influence qu’avant : Maitres un jour, plus du tout Maitres pour toujours. Ces jugements ne semblent tenir qu’à l’influence décisionnaire qui ne se fait plus unilatéralement mais de façon plurielle. Les USA ne peuvent plus décider par eux-mêmes sans l’accord d’autres Nations, mais il est un paramètre que nous oublions, l’influence des Idées, des rêves, de la culture, celles-là mêmes qui nous ont nourries pendant des décennies. 58


Retour vers le futur Qui se souvient de ces littératures qui ont bercées nos rêves, nos idées, nos envies d’ici et d’ailleurs ? Jack Kerouac, Truman Capote, F. Scott Fitzgerald, Ernest Hemingway, Toni Morrison, et bien d’autres encore. Peintres, chanteurs, Hopper, Pollock, Warhol, Joan Baez, Springsteen, Dire Straits, Cat Stevens ; réalisateurs, Woody Allen, James Cameron, Steven Spielberg, la liste est longue et non exhaustive. Nous pourrions encore et encore l’égrener. Autant de noms qui ont jalonnés les rêves de beaucoup, imaginant à quel point tout pouvait être possible là-bas mais aussi ici, chez soi. Un vent de liberté de penser, d’agir, de volonté de réussir à Etre au-delà de ce qu’imposent les règles. La révolte venait d’outre-Atlantique en passant par l’outre-manche. Il s’agit donc de regarder vers le passé pour nous apercevoir que, quel que soit notre âge, notre sexe, nous avons tous et toutes un petit quelque chose de cette Amérique, pays des libertés, des réfugiés européens, des 59

« bâtisseurs » issus de cette « vieille Europe » que nous sommes. Nous avons tous regardé de l’autre côté un jour en nous inspirant, comme on respire un bon air. Envieux parfois, critiques de temps à autre, moqueurs que nous sommes épisodiquement mais toujours aimant cette passion, cet engouement permanent, cet « amazing » que nous jalousons par manque d’enthousiasme et d’encouragement pour tout et rien ; un brin ridicule, cette expression est pourtant ce que nous avons toujours voulu entendre partout et tout le temps sans jamais oser le dire. Un retour vers le futur ne se regarde pas sans un regard vers l’avenir, comme ce dernier ne se regarde jamais sans un regard vers l’Histoire. En 1938, à la veille de la seconde guerre mondiale, l’Office Internationale Nansen pour les réfugiés, remporte le Prix Nobel de la Paix pour son travail exceptionnel et son aide aux réfugiés apatrides d’Europe. La même année, Pearl Buck, auteure et romancière américaine remporte le Prix Nobel de Littérature pour « l’ensemble de ses chefs d’œuvres bio-


Comme un retour vers un futur déjà là, l’Histoire montre qu’elle se répète, elle se contracte et nous retenons notre souffle. L’imparfait du Présent

graphiques ». Elle écrivit en 1938 Un Cœur fier dans lequel elle expose les problèmes que rencontre une femme artiste, ses passions créatrices et sa vie de femme au foyer, mère, épouse. Dans cette condition de la femme de l’époque d’avant-guerre, les choses étaient bien différentes de celles que nous connaissons aujourd’hui. Pearl Buck remarquait justement cet « empêchement » d’être de la femme. 60

Que devons-nous regarder de ce séisme politique ? Tel un glissement tectonique, la plaque des modérés vient de glisser sous celle des immodérés, les soulevant jusqu’à provoquer un tsunami non perceptible encore, et que nous attendons en regardant l’horizon. A quoi serait due cette vague ? Au passé antérieur que nous n’avons pas deviné, mais que nous aurions pu prévoir. Nous le savons désormais, Hillary Clinton a remporté le vote populaire de peu, devançant son adversaire, le système électif américain est ainsi fait. Près de 47% des américains sont des abstentionnistes. L’imparfait du présent est de savoir que les trois quarts des électeurs de Donald Trump sont peu, voire pas diplômés. Faut-il avoir un diplôme pour être intelligent ? Assurément


non. Faut-il avoir un diplôme pour être cultivé ? Même réponse. Le défaut de nos sociétés est de privilégier la productivité et non la créativité. Pour être productif il faut être spécialisé, être performant en bannissant de sa culture ce qui est général et qui semble inutile. L’électorat de Donald Trump est ce qu’il est, varié mais souvent ignorant. On peut ne pas aimer Hillary Clinton, mais force est de constater, que son électorat se trouve dans des villes cosmopolites où la culture, la rencontre, l’échange sont de mise. Dans une étude regroupant les discours du 45ème Président des EtatsUnis, il a été calculé le nombre de mots distribués comme autant de pains salvateurs et prometteurs. Les auteurs de cette étude en ont dénombrés 700. Il faut savoir qu’un adulte utilise entre 4000 et 6000 mots pour traduire ses émotions, ses idées. 1000 mots est la limite acceptable pour exprimer le minimum aux fins d’échanges avant que le langage ne soit remplacé par la violence. Est-ce à dire que Donald Trump est personnellement en deçà de cette limite ? 61

Non, par contre il a eu l’intelligence de penser que son électorat avait besoin de comprendre des choses simples au travers d’un langage limité. Rendre les messages simplistes pour qu’ils soient acceptables par le plus grand nombre voilà le dessein. Si vous ne comprenez pas un au-delà du langage et de la pensée, l’idée devient binaire car vous n’avez pas la culture suffisante pour décrypter ce qui est en train d’être dit, ou encore, ce qui n’est pas clairement dit. Plus le langage est évolué, plus il affine le jugement et l’idée ; plus vous êtes cultivés, plus vous pouvez faire référence à des événements historiques, plus vous comprenez ce qu’il se passe au-delà de ce que l’on veut vous faire croire : complots, éléments de langage, postures, caricatures grossières, références erronées, comparaisons ridicules et sans fondement etc. Et ce, de part et d’autre des médias, de vos concurrents, de vos adversaires. Le Futur Antérieur Il existe un temps dont nous ne nous


souvenons guère, le futur antérieur. Aussi lointain qu’obscure, il parait très « antérieur » à ce que peut rendre notre mémoire. Lorsque la métaphore est là, elle nous aide très souvent à comprendre ou à nous rappeler de ce qui est important. Le futur antérieur est composé du sujet, de l’auxiliaire Etre ou Avoir au futur simple et du participe passé. Le colistier de Donald Trump, Mike Pence (sujet) est (auxiliaire) un catholique évangéliste, très proche du Tea Party. Auteur de lois homophobes en tant que Sénateur de L’Indiana, il est clairement pour un interventionnisme armé, pour un recul des libertés à disposer de son corps. En apparence plus « posé » que son – désormais – Président, Mike Pence, en tant que Vice-Président, n’a qu’un pouvoir limité, mais il murmure à l’oreille de celui qui gouverne en lui insufflant les idées bien malheureuses d’une Amérique qui regarde vers une antériorité d’un autre siècle. Il a su donner et inspirer le peu de mots indispensables à un électorat refermé sur lui-même, conservateur, ce même électorat dont personne ne 62

s’est occupé ou si peu. Cet électorat qui, pour la plupart, utilise l’Obama Care que Donald Trump veut supprimer, ce peuple trop pauvre pour se soigner dans le pays des libertés, première puissance mondiale. Lorsque Mike Pence (sujet) aura (futur simple) parlé (participe passé) de sa vision du monde à Donald Trump, de sa croisade si attendue contre les forces du mal, il aura enfin le boulevard de l’Histoire pour trouver de l’inspiration et penser à un futur que nous aimerions garder derrière nous. Le problème est que la parole est un flux qui a, une fois qu’il est lancé, du mal à s’arrêter. Dans un système pyramidal, celui qui se trouve tout en haut est censé donner le ton, l’exemple à tous ceux qui se trouvent en dessous de lui. La parole est ouverte avec les moindres mots et des idées que le monde a déjà connu par le passé participant ainsi à cette antériorité future annoncée. La vague du glissement tectonique amènera sans doute ce que nous redoutons tous, un abaissement majeur de la pensée, de l’idée, noyant au passage toute volonté de grandeur.


La Nation américaine est en crise et c’est le monde qui tousse. Il faut résister contre une apoplexie, cette stupeur qui nous laisserait loin de nos fonctions vitales. S’il fallait conclure Indignez-vous écrivait Stéphane Hessel, il faudrait sans doute parler désormais de résistance, cette « force qui s’oppose à un mouve-

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ment ». Des mouvements antérieurs se présentent au monde, résistons.


Cuba

ALFREDO RODRIGUEZ

L’artiste cubain attaché à l’ou

Tocororo est le nouvel album d’Alfredo Rodriguez tallé à Los Angeles. Son nouvel album évoque l’o prend son envol pour partir à la découverte d’autr en substance le projet musical d’Alfredo Rodrigue autres Ibrahim Maalouf et Richard Bona pour port Propos recueillis par Nicolas Vidal / Crédit photos : Anna Webber 64


Z

uverture

z, pianiste et compositeur cubain, insoiseau national de Cuba, Tocororo qui res cultures et d’autres identités. C’est ez qui a, pour l’occasion, convié entre ter ce message. 65


Quel est votre rapport à la musique cubaine ? Mon père est un chanteur et compositeur cubain, donc j’ai grandi en écoutant beaucoup de sa musique, fortement influencée par la musique cubaine. J’ai toujours eu accès à des types d’art très différents chez moi, mais la musique est resté un aspect très important de mon enfance, car j’avais l’habitude d’écouter beaucoup de musiques cubaines des années 50-60 et même avant. Il était difficile de trouver régulièrement la musique noncubaine puisque nous n’avions pas Internet ou la télévision d’autres pays (nous avions seulement des canaux cubains) j’ai donc été réellement entouré par cette musique une bonne partie de ma jeunesse. Est-ce important pour vous de revisiter les traditions musicales cubaines ? Oui absolument! Cuba est ma ville natale et c’est là que mes racines sont. C’est un pays très musical. Je me souviens lorsque je marchais dans les rues, il y avait toujours de la musique ou de la danse. Et même si les étudiants n’étudient pas la musique dans les 66

écoles, c’est comme s’ils avaient naturellement de la musique dans leur sang. De la même manière, la musique a toujours été impliquée dans mon processus de vie. Même si je vis aux États-Unis depuis un certain temps maintenant et que j’ai découvert des cultures et des sons différents à travers le monde, je reste toujours fidèle à mes racines. Je suis certainement ouvert à ce qui se passe autour de moi, mais je dois aussi rester honnête et fidèle à mes groupes et à mes traditions. Pouvez-vous nous dire ce qu’est le Tocororo ? Le Tocororo est l’oiseau national de Cuba, et s’il est en cage, l’oiseau


meurt de tristesse, reflétant non seulement le désir de liberté, mais la nécessité pour lui d’être libre. Tout comme le Tocororo a besoin de place pour voler, ma musique a eu besoin de la plate-forme et l’occasion d’être entendu par de nombreuses personnes. Sinon j’aurais été triste si je m’étais restreint qu’à Cuba. En raison de ses nombreuses restrictions, Cuba fut ma cage et elle ne m’a pas permis de déployer mes ailes et de faire ce que j’aime à plus grande échelle. Ainsi, cet album est une personnification du peuple cubain ainsi qu’une représentation de la liberté, des voyages et de la 67

pollinisation croisée des cultures. Je suis aux États-Unis depuis des années, mais je suis encore physiquement loin de ma ville natale; mes racines viendront toujours de Cuba et je voulais que cela transparaisse dans cet album. Pourquoi avoir associés des artistes de nationalités différentes sur cet album ? On pense notamment à Richard Bona, à Ibrahim Maalouf … Ce qui me plaît vraiment, c’est que nous sommes tous nés dans des pays différents, mais nous venons tous du même endroit; Les êtres humains sont tous liés d’une


manière ou d’une autre, donc je le reflète dans ma musique. Mes collaborations sont ma façon de lutter pour l’unité. Je suis donc ouvert à apprendre des autres,, donc j’aime que nous nous réunissions tous ensemble pour créer une expression extérieure de l’unité. Quand je suis arrivé à Los Angeles, je me suis ouvert à de nombreuses cultures différentes. J’ai alors réalisé que les gens aux États-Unis ont la famille de partout dans le monde. Comme ma famille est cubaine, je n’ai jamais eu l’occasion de voyager et de rencontrer d’autres cultures avant ça.

lui demander d’être sur l’album. Il est tellement musical et j’ai adoré lui faire apporter sa culture et sa saveur au mix.

Ibrahim Maalouf participe à cet album. Comment s’est passée cette collaboration ? J’ai rencontré Ibrahim Maalouf par une amie commune, Alejandra Norambuena. Elle nous a présenté et nous avons rapidement réalisé que nous avions beaucoup de choses en commun même si nous ne nous connaissions pas. Lorsque que j’étais à Paris, je suis allé dans son studio mais il était occupé. Puis il est venu à Los Angeles et il m’a invité à jouer dans son concert. Nous avons gardé le contact et avons continué à explorer les occasions musicales ensemble, alors c’est là que j’ai appelé pour

Quel a été l’apport de Quincy Jones sur cet album ? Honnêtement, c’était une contribution ancienne avant même de le rencontrer. Sa musique et ses livres m’ont influencé depuis mon enfance. C’était comme si j’avais une relation musicale avec lui avant de le rencontrer réellement. Quincy Jones a toujours contribué à ma musique et à mes choix stylistiques. Par la suite,, il est devenu plus qu’un mentor; Il est aussi un ami et je suis si heureux de l’avoir comme producteur de mon album. Il m’apporte de telles connaissances et toutes ces expériences.

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De quelles influences vous êtes vous inspiré pour réaliser cet album ? Les influences culturelles autour de moi ont inspiré l’album. Le monde est si grand et il y a tellement de choses à apprendre. Chaque artiste avait quelque chose de spécial. Je voulais mettre cela en évidence sur l’album et je suis si heureux de voir autant de différentes cultures représentées.


Comment avez-vous découvert la musique lorsque vous étiez jeune ? La musique est quelque chose qui me constitue depuis que je suis né. Tout le monde a de la musique en lui, mais certains individus développent un amour irrépréssible pour elle parce qu’ils sont plus intéressés.. Même à 1 ou 2 ans, ma famille m’a dit que j’ai toujours essayé d’imiter les sons que j’entendais autour de moi. Qu’il s’agisse de sons ou de rythmes, je faisais de mon mieux pour les imiter. Une des raisons pour lesquelles je suis musicien aujourd’hui , réside dans le fait 69

que j’ai toujours pensé que la musique est la meilleure façon de m’exprimer. J’avais toujours voulu être un batteur professionnel, alors mes parents m’ont inscrit à l’École de Musique Classique de La Havane où ils nous ont testés sur la musicalité et les fondements de la théorie avant de pouvoir choisir un instrument. Il a fallu choisir entre le piano et le violon. Quel regard portez-vous sur Cuba sur le point de vue social, culturel et politique en tant qu’artiste ? Pour les Américains, le pays


s’est ouvert lentement depuis 1 ou 2 ans. Nous avons été isolés pendant tant d’années et c’est pourquoi je ne savais pas que d’autres cultures existaient jusqu’à que je quitte Cuba. Cela se produit toujours et je voudrais changer les choses, avec beaucoup d’autres règles qui sont strictement appliquées. Par exemple, je dois encore demander un visa pour aller dans mon propre pays. Il y a beaucoup d’autres choses qui ne vont pas dans mon pays, comme la liberté d’expression, alors j’aime crier cette réalité à travers ma musique. Je ne dis pas que cette expérience est la même pour tout le monde, mais elle a été été la mienne. Cela n’a pas beaucoup changé, mais j’espère que tout cela va changer parce que nous en avons besoin en tant que pays et en tant qu’êtres humains. Cependant, je pense qu’il y a eu une ouverture dans les relations musicales entre Cuba et les États-Unis. Je dis cela parce qu’il y a des musiciens cubains qui vivent à Cuba, qui viennent en Amérique pour jouer et des Américains qui vont aussi à Cuba pour jouer. Cependant, je ne vois pas beaucoup de possibilités pour les musiciens cubains comme 70

moi, qui vivent aux États-Unis, de retourner à Cuba et de jouer pour notre peuple. Si un seul message devait passer par cet album, quel serait-il ? Unité. Comme je l’ai mentionné précédemment, c’est une expression de liberté. Il ne s’agit pas d’imposer des limites ou des barrières; Il s’agit de franchir les frontières. C’est une interprétation musicale que de serrer la main à des gens de différents pays en dépit de nos différences physiques. Alfredo Rodriguez Tocororo Mack Avenue Avec Ibrahim Maalouf, Richard Bona, R.Elizarde, M.Olivera...


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Sport

Dompter et repousser ses limites Par Pascal Baronheid

Professeur de sport : une étiquette qui peut provoquer le scepticisme ou même faire sourire. Hervé Le Deuff s’en prévaut modestement. C’est l’arbre qui cache la forêt, puisque HLD a collaboré avec des équipes et des sportifs de haut niveau dans des domaines aussi variés que le cyclisme, l’ultratrail, le golf, l’escrime, etc… Il sait donc ce que veulent dire entraîner et coacher. Son manuel d’aboutissement à la performance distingue les deux notions. L’entraînement mental – des habiletés, des procédures, des stratégies d’optimisation – doit s’accompagner d’une éducation psychologique sur le long terme. Chaque notion a son importance et implique des paramètres fondamentaux. Le Deuff redéfinit opportunément la notion de coaching, si galvaudée et déconsidérée lorsque des apprentissorciers prétendent l’incarner. 72

On notera au passage cette réflexion de Cédric Pioline « On peut parvenir, en discutant avec quelqu’un, à repousser ses limites, à découvrir les blocages qu’il faut résoudre, à progresser, à améliorer le mental. On peut comparer cela à une psychanalyse ». Cocktail d’objectifs, d’exigences, de gestion, de recours aux nouvelles techniques visuelles, de stratégie, de contrôle du stress et de l’anxiété, de diététique, l’ouvrage incite également l’athlète à se poser les bonnes questions


générales sur la météorologie. Ce manuel abondamment illustré et commenté est-il un passage obligé ? Comme toujours, les très déterminés et les supérieurement doués iront plus loin, plus vite, plus fort, mais celles et ceux qui prendront la peine de suivre humblement ce guide ne devraient pas s’en plaindre. « Entraînement mental et coaching du sportif », Hervé Le Deuf, @mphora, et à y répondre lucidement. La 19,95€ performance : maison de papier ou « Manuel de KiteSurf – initiation,bastion solide ? Un trousseau de perfectionnement – performance », UCPA/Lionel Collin/ Lucie clés pour y répondre. Poudevigne, @mphora, 17,50 €

S’initier et se perfectionner seul au KiteSurf est-il moins incongru qu’apprendre le vélo sans les mains ? Comme tout sport destiné aux amateurs de sensations fortes, il nécessite la connaissance et la maîtrise de paramètres élémentaires. Les inévitables : l’eau et le vent. Une lapalissade, mais qui s’accompagne ici d’informations 73


LA SÉLECTION MUSIQUE Par Nicolas Vidal

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Chimichurri Tribuls Terrestris Five In Orbit Un nom d’album extrêmement tropical et étrange, une pochette d’album psychédélique commandée à Marcel Antunez Roca pour un formation francocatalane au jazz exubérant et lui aussi terriblement psychédélique. Laurent Bronner (piano), Olivier Brandily (saxophone alto) et Ramon Fossati ( trombone et coquillages) envoient sur le marché un album iconoclaste et séduisant. Et, en plus, c’est du Jazz ! (French Sound Records )

VOIR LA VIDEO

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Gershwin

Foltz & Oliva Un vibrant hommage à Gershwin réalisé par le clarinettiste Jean-Marc Foltz et le pianiste Stephan Oliva. Le projet n’est pas aussi aisé qu’il en a l’air car faire entendre Gershwin (les deux frères) doit être savamment prépare et interprété. Cet album est une véritable immersion à la fratrie Gershwin pour laquelle on vous recommande une écoute attentive et presque religieuse.

VOIR LE CLIP

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Myrddin

Rosa de Papel Du beau et bon Flamenco distillé par Myrdinn qui mérite une écoute attentive et passionné. Le titre de l’album «Rosa de Papel» est également une chanson de cet album sur le poème de Federico Garcia Lorca. Et contre toute attente (attention aux préjugés !), Myrddin est belge. Rosa de Papel est son quatrième album sur lequel il continue de mélanger le jazz et le flamenco avec douceur et profondeur. Beau.

PAUSE

TOURNÉE GÉNÉRALE Passez un petit moment musical avec Tournée Générale. Le nom du groupe est sans équivoque. La TG a 10 ans d’existence derrière elle, plus de mille concerts, quatre albums et un DVD live qui fleurent bon l’enthousiame de raconter des histoires avec légèreté et attrait. Remettez-vous au français franchouillard. C’est agréable que de s’offrir une tournée générale ! www.tourneegenerale.net

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Vamos A Guarachar Orkesta Mendoza

Suite à la rencontre de Salvador Duran et de Sergio Mendoza de Calexico et son big band ORKESTA MENDOZA est né l’explosif Vamos a Guarachar ! Vous voici propulé au coeur de l’Arizona dans un désert balayé par des sons psychédéliques et électronique, enveloppé dans un univers musical à part et vibriyonnant de sonorités, de rythmes et d’une irrésistible allégresse. Glitter Beat

Breaking The Rule The Excitements The Excitements, réputé pour être entièrement Soul, lancent un nouvel album pour cette fin d’année 2016 : Breaking The Rule. Portée par la plantureuse KoKo Jeans-Davis, le groupe venu de Barcelone distille une Soul réjouissante au travers de 12 morceaux qui n’ont rien envier aux formations américaines. A découvrir dans les plus brefs délais ! ( Penniman Records / DifferAnt )

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Who’s Counting Rachelle Garniez

Rachelle Garniez est une personnalité atypique. Musicienne et chanteuse new-yorkaise, elle touche à tout et surtout à la musique depuis ses 17 ans alors qu’elle vadrouillait en Europe avec une guitare. Son album Who’s Counting inspire une délicatesse toute particulière de blues et de Jazz bien agréable. On aime ! Jaro Medien

African Flower Patrick Cabon

Le pianiste français Patrick Cabon sort son premier album en quartet. Après avoir beaucoup joué aux côtés de grands noms du jazz. Suite à un séjour à NewYork, il a décidé de se lancer dans l’aventure d’un album dédié à Duke Ellington. African Flower est un très bon travail de relecture de l’oeuvre de Duke Ellington. Pour réaliser son objectif, Patrick Cabon a choisi minutieusement des musiciens qui pouvaient se fondre au mieux dans African Flower. Une réussite.

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Beauty & Truth

Joachim Kühn New Trio Le pianiste allement Joachim Kühn revient avec un nouveau projet « Beauty & Truth» accompagné par Eric Schaefer (batterie) et Chris Jennings (contrebasse). Il propose tout un florilège de morceaux passant des Doors à Gershwin, jusqu’à Ornette Coleman et Gil evans. Voilà un bel horizon agencé par Joachim Kühn pour les amoureux du jazz et pour les néophytes. Chez le prestigieux Act Music. On aime !

Act Music

Bones and Dust Bigger Bigger, formé par Damien Félix ( Catfish) et Kevin Twowey (Monsieur Pink) le groupe marche sur les traces de Nick Cave et d’Anna Calvi avec une certaine candeur. Bigger est une formation à suivre dans ces prochains mois avec cet Ep qui promet de belles choses et enclin à une profondeur musicale certaine. Des textes, des rifs et du rock !

Trolls Production

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Black Market Flowers Moutain Men

On dirait bien que les Moutain Men ont repris des couleurs depuis « Spring Time Coming», leur premier album tonitruant qui tournait en boucle sur la platine de la rédaction. A suivi quelques mois de disettes à l’occasion d’autres projets moins réussisà notre avis. Mais revoici le duo avec ce Black Market Flowers qui reprend le chemin des bonnes vieilles notes blues pour notre plus grand plaisir. Très très plaisant.

www.mountain-men.fr Echo Production

LIFT Koki Nakano Koki Nakano est un jeune pianiste japonais qui s’est lancé dans la composition de morceaux pour violoncelle et piano dans son album Lift. Accompagné de Vincent Segal, Lift fait son entrée sur la scène jazz avec douceur et délicatesse à l’image de l’univers de Koki Nakano. Tout fait inspiration chez lui : de la pop au Jazz passant par la musique classique. Lift, un album étonnant car singulier.

( Sony Music) 81


Jeunesse

Une petite fille, allongée sur le ventre est sur une plage face à la mer. Le texte précise qu’elle ne dort pas, ne rêve pas et que la Méditerranée se souvient.

Les pages suivantes confrontent des peintures de la mer à des textes parlant de la fillette et des siens, de ses rêves et aspirations - découlant des explications Par Boris Henry de ses parents - une fois qu’elle aura franchie la Méditerranée et qu’elle vivra dans un pays du Nord. Ce court récit d’Edmond Baudoin repose sur des oppositions. La première est visuelle : dès le dessin inaugural, la fillette 82


et la plage sont en noir et blanc, la mer étant peinte avec un camaïeu de bleus intenses. Si la mer est ici calme, elle s’agite au fil des pages. Pour signifier cette agitation et le danger qu’elle constitue, Baudoin répartit la peinture avec énergie, en tous sens, jouant sur les traces de pinceau, sa représentation pouvant être perçue aussi bien comme abstraite que comme figurative. Parallèlement à ces peintures, les textes livrant le désir de la petite fille d’avoir une vie meilleure créent un contraste d’autant plus fort et violent qu’ils sont sensibles et posés et que nous savons que ces vœux ne seront jamais exaucés. Et si la mer s’apaise finalement, ce n’est pas le cas du lecteur. Certains trouveront sans doute la démarche de Baudoin louable, mais son œuvre trop naïve. On peut - au contraire ? - y voir une grande noirceur tant le jeu sur les contrastes ne laisse aucun doute possible. Mais en décrivant l’espoir d’une fillette qui souhaite la même enfance que d’autres, Edmond Baudoin pointe la légitimité de ce souhait et l’absolue nécessité de le prendre en compte et 83

de s’intéresser au sort des migrants, ce qui, bien évidemment, est essentiel.

Méditerranée Éditions Gallimard Jeunesse Scénario, dessins et couleurs d’Edmond Baudoin 32 pages en couleurs 14 euros


Entrée de l’exposition au MAM

Bernard Buffet: une rétrospective virulente mais nécessaire La peinture de Bernard Buffet a toujours prêté à controverse: adulée ou décriée selon l’époque et les lieux, la voici aujourd’hui à l’honneur du Musée d’Art Moderne qui lui consacre (enfin!) une rétrospective. L’occasion de découvrir la prodigalité et les variations thématiques d’un artiste aussi talentueux que tourmenté. Par Florence Yérémian - ( photos F.Y) 84


Le Buveur - 1948 ((©MAM / Roger-Viollet, ©ADAGP, Paris 2016)

Autoportrait sur fond noir - 1956 (Collection P. Bergé - ©Dominique Cohas, ©ADAGP Paris 2016)

Le parcours proposé par le MNAM est chronologique et se déploie autour d’une centaine d’oeuvres soigneusement sélectionnées. Certaines appartiennent au fils de Bernard Buffet mais la plupart proviennent de sa dotation ou de la collection personnelle de Pierre Bergé qui fut un ami très proche du peintre. Débutant dans l’effervescence de l’après 85

guerre et s’achevant par le suicide de Bernard Buffet en 1999, cette rétrospective met en avant son éclectisme, sa grande amitié avec Cocteau et Jean Giono ainsi que sa célébrité si souvent fustigée par la presse française du siècle dernier.


La Ravaudeuse de filets - 1948 (©MAM / Roger-Viollet, ©ADAGP, Paris 2016)

Pierre Bergé - 1950 (Collection P. Bergé - ©Dominique Cohas, ©ADAGP Paris 2016)

Buffet: un artiste précoce et mélancolique Né en 1928 dans le quartier des Batignolles, le jeune Bernard Buffet est un artiste précoce qui triture ses toiles et ses pinceaux depuis son plus jeune âge. Après un bref passage à l’Ecole des Beaux-Arts où il excelle, il présente 86

déjà un style unique où prévaut un trait aussi noir que désespéré. Qu’il s’agisse de natures mortes, de crucifixions ou de portraits, les tableaux de Buffet possèdent en effet un graphisme anguleux à travers lequel posent passivement des personnages arachnéens. Semblables à des pantins, ces figures longues et solitaires sont reconnaissables entre toutes: l’oeil hagard, la bouche morose et la posture statique, elles ne diffusent aucun souffle de vie et arpentent morbidement des pièces closes dénuées de toute profondeur. Au premier regard, la peinture de Bernard Buffet peut ainsi sembler pauvre et froide mais il faut aller au-delà de son attrait excessif pour l’épure et les tonalités sourdes: derrière cette austérité et ce manque d’émotion se dissimule en réalité un art tortueux que l’on capte en contemplant la puissance incisive de


son tracé et l’exaltation douloureuse de ses amples gestes. Lorsque l’on sait le regarder, l’art de Buffet se transforme ainsi en un creuset fait d’angoisses et de talent qui possède une résonance très particulière. Mutiques et sourdes, ses grandes compositions ont en effet le pouvoir de véhiculer une mélancolie silencieuse qui résonne dans l’esprit du public comme un cri de détresse.

Modèle dans l’atelier - 1956 (©Ville de Troyes, Carole Bell - ©ADAGP Paris 2016)

Trois nus (La toilette) 1949 (MAM de Paris)

Vers une peinture violente et monumentale Une fois passées les premières salles où sont accrochés des vues d’atelier désertique et des lapins écorchés, l’exposition perd en grisaille et s’enrichit en 87

matière: les corps des personnages de Buffet se remplissent un peu, quelques éléments décoratifs apparaissent et des teintes ocres ou bleutées viennent orner les fonds de ses grands tableaux. Malgré ce changement de palette, la thématique ne s’égaie pas: lorsque les toiles de Buffet nous transportent dans le monde du cirque, c’est pour nous montrer des clowns tristes et de maigres acrobates avant de nous plonger sans concession dans les horreurs de la guerre à travers un immense triptyque parsemé de pendus et de fusillés… En faisant face à ces compositions cuisantes et monumentales, chacun des visiteurs ressent


immédiatement une violence intrinsèque qui le rend mal à l’aise. Ces oeuvres ne font pourtant qu’annoncer une période encore plus morbide…

Horreur de la guerre - L’ange de la guerre - 1954 (Fonds de dotation B.Buffet ©ADAGP Paris 2016)

Un art proche de l’expressionnisme

Dans les années 70, les huiles de Buffet prennent de nouveau une autre voie: proche de l’expressionnisme d’Otto Dix, elles donnent naissance à des raies gigantesques tailladées au couteau ainsi qu’à un étrange bestiaire allant de l’horrible crapaud aux oiseaux de mauvais augure. Parallèlement à cette thématique animalière, Buffet épaissit son trait, acère son écriture picturale et s’arme d’une texture aussi lourde que brillante. Aux antipodes de ses toiles de jeunesse, il nous livre alors une oeuvre criarde voire saturée où se distinguent d’immenses figures d’écorchés. Poussant le jeu de la provocation, il engendre également sa série des « Folles » dans laquelle il exhibe des douzaines de filles de joie croquées dans les bas-fonds de Pigalle.

Les deux raies 1963 (Fonds de dotation B. Buffet) Tête d’écorché - 1964 (Fonds de dotation B.Buffet ©ADAGP Paris 2016) 88


Buffet, un précurseur de l’illustration? En contrepoint de ces fresques grotesques et agressives, les dernières salles de l’exposition changent radicalement de registre pour nous offrir des cycles fantaisistes autour de L’Enfer de Dante ou des récits de Jules Verne. Durant les ultimes années de sa vie, Buffet s’est amusé à illustrer Vingt Mille lieues sous les mers en s’aventurant vers une technique qui nous fait étrangement penser aux bandes-dessinées de Fred ou d’Uderzo. Laissant de côté toute sa fibre mélancolique, Il nous donne cependant l’impression de perdre peu à peu son âme au sein d’une mythologie qui ne lui appartient pas.

20000 lieues sous les mers - Le poulpe géants - 1989 (Fonds de dotation B. Buffet ©ADAGP Paris 2016)

Pressentant la fin de son existence, Buffet décide volontairement de conclure son voyage terrestre et pictural avec une série de toiles représentant la mort. Semblables aux personnages d’un jeu de tarot, les derniers panneaux du peintre sont pétris d’un cynisme effrayant. Réalisés du bout de ses doigts tremblants, ils nous livrent une ultime danse macabre menée par une faucheuse que n’aurait pas reniée Jean-Michel Basquiat…. En sortant de cette rétrospective, l’on a l’esprit hachuré de noir et de désespoir. L’on garde cependant en tête la modernité de ce peintre méconnu ainsi que son talent narratif qui s’illustre notamment à travers sa superbe série de planches consacrées à La voix humaine de Cocteau. L’on s’étonne aussi d’avoir décou-

Extrait de L’Enfer de Dante, Les damnés pris dans les glaces - 1976

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planche 20 de la série consacrée à La Voix humaine de Cocteau

La Mort 7 - 1999 (©Museum für Moderne Kunst, Frankfurt, ©ADAGP Paris 2016)

vert des pépites aussi inattendues que ce fulgurant crâne d’écorché ou cette magnifique mer au bord de l’abstraction.

L’exposition Buffet? Une relecture virulente mais nécesTête d’écorché de dos - 1964 (collection saire ! fond de dotation B.Buffet)

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La mer 1960 (Fonds de dotation B.Buffet)

Bernard Buffet - Rétrospective Musée National d’Art Moderne 11, avenue du Président Wilson Paris 16e T. 0153674000 www.mam.paris.fr Métro Alma Marceau ou Iéna Du 14 octobre au 26 février Du mardi au dimanche de 10h à 18h Nocturne le jeudi de 18h à 22h

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