Le livre des étoiles part 13

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com-

Les soldats qui les avaient pris au piège appartenaient à une ! pagnie de mercenaires éridanais : les Tchirghri damousses et zaktes 1 qui effectuaient un programme d'exercices " vivants » poul se

prépa-

lls i avaient également été surpris par I'arrivée des pirates. Mais le nombre et le terrain étaient à leur avantage. lls avaient gagné, en payant le prix 1

rer aux dernières êpreuves d'agrégation des forces impériales.

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fort...!

A présent les êcumeurs d'étoiles étaient morts ou en fuite. Et ils avaient deux prisonniers ! Sherk et Diamarra furent amenés sous étroite surveillance au lieutenant Rahroum, spécialiste du renseignement, quicommença aussitôt leur interrogatoire. N'obtenant rien, il décida de prendre des initiatives. De plus ilétait furieux, les Francs-Corsaires avaient infligé de lourdes pertes à la compagnie et I'avaient privêe de ses moyens de transmission. Tchirg cultivé, Grift Rahroum avait une connaissance approfondie du passé de sa race et son savoir s'étendait aux modes de coercition, que les anciens Saïphans avaient poussés à un raffinement extrême au cours de leur longue dêcadence impériale. JÀ vnflW J,z^ixu* L'échec de la psychosonde - dû au bloc mental posthypnotique et celui des sérums courants contre lesquels ils étaient immunisés sembla même réjouir I'officiertchirg quiagit en conséquence, utilisant le matériel dont il disposait pour les cas spéciaux. Sherk fut attaché sur un chevalet de métal dont les arêtes coupantes entraient dans ses chairs. Rahroum effleura le clavier et la douleur vint, rapide et cruelle comme la morsure d'un loup. Sherk MroI Ouargâr sombra lentement dans un grouffre sans fond où rugissaient des brasiers d'épouvantermais avec des répits calculés qui le laissaient reprendre souffle dans l'odeur de son suint et décuplaient I'angoisse de cette savante agonie. Sherk avait déjà été battu au sang, torturé même, mais jamais de sa vie il n'avait enduré de telles souffrances ! D'abord il s'etforça de garder le silence, étouffant ses cris dans l'espoir de lasser Rahroum; mais il eut beau manger sa plainte, il ne pouvait I'empêcher de jaillir comme le jet de sang n0it d'une plaie. Le jeune métis haleta dans un hoquet convulsif, la soif et la fièvre le

consumaient déjà. La souffrance palpitait en luiet montait irrésistiblement à l'assaut du rempart de sa haine.

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Sa mère morte, il avait été vendu à un marchand d'esclaves da_ mousse qui I'avait cédé à d'autres Damousses quiexploitaient des mines à ciel ouvert. ll avait travaillé comme une bête de somme sous le fouet des surveillants damousses et avait finalement réussià s'évader,

non sans en avoir égorgé un de ses dents. sherk hai'issait les cruels Damousses au pelage clair ! Surtout ceux de Salarrik... Rahroum le ranima en re gifflant avec un linge humide. Des ondes

lancinantes parcouraient son corps écartelé, la douleur fourmillait dans chacune de ses fibres auxquelles les vibrations du stimulateur avaient arraché les accords déchirants d'une symphonie de tortures. ses aisselles, son ventre et les extrémitês de ses membres n'étaient qu'une seule flambée, mêlêe de démangeaisons atroces : le fouettenerfs

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un grognement êtouffé lui fit tourner la tête. Diamarra était lié de tout son long sur Ia grande table de bois de la cabane et il se tordait dans ses liens, le visage raidi et dêformé de spasmes. un tourmenteur, les yeux mi-clos, se penchait sur lui et promenait avec une délicatesse infinie le cône vibrant du fouette-nerfs sur les coussinets élastiques de ses pattes, puis aux jarrets le secouant en saccades de crampes. Diamarra n'eut pas un cri, opposant un silence farouche à tous les raffinements de son bourreau. Dans ses yeux dorés se lisaient I'obstination, le dêfi et l'âpre fierté des guerriers burria que l'infortune avait li-

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vrés aux tortures de leurs ennemis. Rahroum s'approcha de lui n Et toi, tu t,apprivoises ? , llsaisit unê paire de tenailles électriques, I'activa et se mit à taquiner les côtes saillantes du torse humanoide, qui êtait bandé comme un arc et cruellement tordu en arrière. n Alors, ça vient ? , Diamarra éclata de rire en une toux grondante de dérision. La tête de lion fulgura, la crinière ondoya comme une eau vive et les crocs frôlèrent le visage de Rahroum. un crachat vint s'écraser sur le front du Damousse. Les yeux de Diamarra étincelèrent comme une pluie de pièces d,or. " Voilà tout ce que j'ai à te dire... » gronda la voix rauque de l,Hom_ me-Lion.

lvre de rage, Rahroum redoUbla d,ingéniosité, pinça les membres, s'acharna sur les flancs et le ventre du léo-centaure captif quitremblait, convulsé de douleur, mais souffrait sans une plainte. ll n,obtint

qu'un autre rire de mépris. Renonçant, il revint à sherk qui lobservait entre ses paupières. 182


plissées. llfit signe à son aide, quiabandonna les soles boursoufflées du Serkor pour le rejoindre. Diamarra haletait à grands coups, mais ses yeux flamboyants étaient comme deux lunes vertes dans la pénombre. Rahroum eut un sourire imperceptible. ll avait tout son temps... Dehors les restes de la compagnie s'organisaient en hêrisson, attendant le retour des estafettes envoyées à Flandrys - et aussi d'autres vêhicules, car leurs camions avaient été mis hors d'usage par les roquettes. Des techniciens travaillaient à remettre en état la seule voiture radio à peu près intacte, mais au mieux il en avaientiusqu'à la nuit. Ne pas se laisser avoir peur... haTr est bien et mépriser mieux encore, mais surtout chasser l'angoisse se répétait inlassablement Sherk, comme si cette litanie pouvait apaiser ses souffrances. C'était ce que lui avait conseillé Joris Spassky, le vieux comte déchu de Sol lll, qui connaissait I'existence dans les prisons de l'Empire de ces chambres d'horreur où I'on brise les corps et l'on ruine les esprits. * La civilisation impériale est une ordure ! disait Joris Spassky " « pârcê Qu'elle se nourrit de l'esclavage et de la mort. Les Empires sont comme des fauves tapis au plus profond des jungles stellaires, mais en fait ils vivent à la façon honteuse des êtres parasites car ils détournent tout à leur profit et étouffent ce qu'ils ne peuvent maîtriser. Les Empires sont des fléaux cosmiques quicréent leurs propres univers de terreur : des bauges puantes de haine et de souffrance où les puissants jouent, s'amusent de leur pouvoir et s'imaginent être des dieux. L'impérialisme, c'est la danse macabre des planètes vampirisées et des peuples morts vivants dont la force vitale abreuve et perpétue des oligarchies insatiables. Terra n'est qu'une immense charogne sous ses brocarts, une horrible pourriture vivante et avide de sa jouissance obscène ,. Sherk se souvenait de cela et il haleta n Ordure ! Ordure!... , dans un râle déchirant. ll ne savait plus si leur agonie durait depuis une heure ou un siècle, car il avait perdu tout sentiment de la durée. " Encore un peu d'extension ? " proposa Rahroum avec un sourire aimable. Son aide enfonça une touche aux commandes du chevalet électronique. Sherk se raidit, les dents serrées. Des élancements lui parcoururent les membres et devinrent bientôt d'insupportables coups de poignards. Des griffes de feu lacéraient ses bras et jambes (maintenant des barres brûlantes de souffrance indicible), et déchiraient chacune de ses articulations. Le

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sang jaillit et les arêtes brillantes se teintèrent de vermeil. ll sentit un ébranlement dans ses hanches et ses épaules, une main d'acier lui froissait les vertèbres. ll flamba dans la frénésie des explosions de douleur. Tous ses os craquaient... Désespérément, il banda ses muscles pour opposer une ultime résistance avant d'être mis en pièces. La traction horrible s'arrêta. La machine était programmée pour infliger un paroxysme de tortures, sans mutiler nituer. L'air lui manquait et sherk avait ouvert la bouche, arrachant par à-coups un souffle de râpe à sa poitrine raidie dont les côtes ressortaient à crever la peau. ll battit des paupières, Rahroum était penché sur luicomme une goule rieuse qui veille un mourant. La pièce tournait dans un brouillard rouge. ll vit Diamarra qui re_ troussait ses babines sur la blancheur de ses crocs, dans un grondement silencieux. Les grands yeux d'or se posèrent sur lui comme pour dire * tiens bon, frère ! , sherk sourit en lêchant le sang sur ses lèvres déchirées. oui iltiendrait... ll serait loyal envers les corsaires ! Et la farouche amitié de ce regard fut son réconfort. Masque de démon serti de deux émeraudes impies, mufle de ve_ lours clair plissé dans I'ivresse féline des longs orgasmes et des tortures sans fin, le visage souriant de Rahroum riait de son impuissance. ll jouissait de lui comme un chat joue avec sa proie. Non I plutôt un vampire... qui se grisait d'atroces voluptés. sherk étouffa un cri, les ongles du Damousse étaient jaillis d'une brusque dêtente pour fouiller sa chair et la creuser en sillons de feu ! sherkvit dans une brume écarlate l'éclair fou qui passait dans la mince fente de ces yeux diaboliques. ll eut un sourd grondement de gorge, mais se mit à grelotter de frissons. Le morfil des gritfes impitoyables suivait les muscles saillants et couverts de sueur, pinçait les côtes bloquées, traçait en pointillé de rubis sur I'or mat des flancs distendus les dessins mêlés de I'extase et de l,agonie... Le linge mouillé le ranima à grandes giffles humides. ll respirait mieux. on avait relâché les extenseurs et la souffrance s,apaisait comme une marée qui descend. un soulagement, une paix merveilleuse... n Alors ? Combien êtes-vous ? Votre armement ? euels sont vos plans ?... , Les questions pleuvaient déjà sur ce court répit. une litanie inces184


sante, monotone, lancinante... Mais Sherk vrilla ses yeux cruels et patients - creuset de haine incandescente - dans les prunelles déjà victorieuses de son tourmenteur, pour luidonner la réponse obstinée de

son silence qui défiait et raillait le bourreau. " Attends... D'abord les piqtres pour te réveiller les nerfs. , Deux aiguillons de feu plant_ês dans sa chair ! Une flamme qui le fit s'arquer en le dévorant oes #r à la nuque ! Rahroum sourit et appela son aide d'un miaulement doux, si singulier qu'il parcourait comme une décharge et hérissait le poil... Zacca était son nom. ll vint essuyer et tâter longuement les pieds nus de Sherk, éprouvant et avivant leur sensibilité irritée par de petites touches agaçantes d'ongles aigus, ilouvrit une cassette vernie, choisit en prenant son temps, se décida enfin pour une plume allongée à tige du- , re que protégeait son étuide feutre et apporta le 4eilleqr cqussin pour,,lv. i t^, s'asseoir... Et ilcommença de chatouiler tes da8hffiGn-fiâ\ pt*les coussinets, aux endroits les plus sensibles. ll fut d'abord très lent \'-n,. dans ses taquineries, et Sherk se moqua de lui, mais le Tchirg étrêcit \ les yeux en fentes grises, patiemment cruelles, sans rien dire. ll savait toutes les astuces du tourment intolêrable, il usa peu à peu de ces notes subtiles qui accordent ou varient les transes d'un paquet de nerfs tout délicatement affolé, exacerbant de caresses lascives les mouvements involontaires, bientôt aussi violents que des secousses électriques... rythmant avec un art infernal les soubresauts puis les battements sourds du corps furieux contre le métalqui le retenait prisonnier et impuissant. C'etaient les jeux de la plume frôlante ou gratteuse qui causaient les efforts tenibles, pressaient les ahans étouffés de la force en lutte, et à nouveau précipitaient entre les dents serrées le halètement du désespoir... Sherk finirait par sutfoquer dans la frênésie montante, irrésistible de cette danse presque immobile de la démence entravée, où l'on ne pouvait plus s'empêcher de se tordre, de se soulever à grands coups de reins et de se raidir en râlant dans les atfres savantes, les affres déchirantes qu'égrènent en chapelets de spasmes, à I'infini, les plus abominables tortures des supplices saiphans. Un rugissement tonna en saccades roulantes. Diamarra essayait de secouer sa tête massive qui était prise dans un carcan sous un robinet de fer d'où, goutte à goutte coulait l'eau... A lui marteller le front ! Mais ses yeux flambaient rouge leur promesse de sang... Le rictus de Diamarra était un masque terrifiant. Le masque convul-

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sé, agonisant de la haine et de la folie. Des explosions et des cris retentirent. Rahroum laissa échapper la minuscule tasse d'acide qu'il allait poser sur le ventre de Sherk, bondit en empoignant son pistolaser et voulut sortir. Par la porte ouverte, le vacarme fit irruption à l'intérieur, avec la puanteur familière de l'ozone et de la chair brûlée. La lumière du jour fut soudain occultée par un monstre ferraillant. lly eut un cri, et un bruit écæurant. Le bois dégoulinait...Zacca, surpris par la rapidité des événements, tenait toujours sa penne dont le bout était agritfé d'un ongle jailli. Avec un feulement d'épouvante, il courut à l'unique fenêtre de cette cabane de trappeur, arracha le rideau, l'ouvrit et s'etfondra en hurlant, environné de flammes. ll se contortionna, puis roula, recroquevillé et pareil à un fætus rongé par le feu. Un moment, Sherk crut qu'il allait trouver une fin stupide lié sur le chevalet de torture, que les siens allaient jeter par prudence leurs grenades avant d'entrer. Diamarra devait avoir la même pensée, car il tirait frénétiquement sur les cordes épaisses avec des rauquements sourds. Sherk appela, en vain... Tous deux essayèrent de crier. S'arrachant la gorge avec ce qui leur restait de souffle. Attendant l'engin de mort qui allait les déchiqueter dans leurs liens. Une fin absurde, après

tant de souffrances

!

ll n'y eut pas de grenade, ce fut un homme quivint. Un solide Kursan aux cheveux de lin et aux yeux de porcelaine, sanglé dans une anime d'officier impérial, fulgurant au poing. u Ach so !vous voilà ! s'ex" clama-t-il en donnant un coup de pied au petit tas grésillant d'où montaient des fumerolles et une odeur de friture. " La viande est à point " constata-t-il en rengainant son lourd pistolet radiant, avant de venir les dêtacher. Dehors rêsonnait toujours le clomp clomp des armes automatiques. Diamarra fut le premier à se redresser, et il étouffa un crien se mettant debout. Ses muscles le poignardaient et ses soles à vif le brtlaient comme des braises, ilse laissa retomber. On les porta jusqu'auxvéhicules. Kurt Meyer, I'officier responsable de la section blindée des forces d'assaut, vint à eux. u On les a eus, les gars, c'est terminé. Les derniers d'entre eux se rendent ou sont en fuite. Ceux-ci sont d'anciens mercenaires confédérés, capturés lors des combats d'Achernar, quiont préfêré servir les lmpériaux plutôt que d'attendre dans les camps un ra-

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chat improbable et être finalement vendus comme esclaves.

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lls avaient été secourus par les groupes 4 et 6 qui étaient revenus en arrière pour liquider la poche et secourir d'éventuels survivants. ll devait s'avérer que les mercenaires étaient les seules troupes de métier de la planète - à part les canonniers du spatioport et la garde peu nombreuse du gouverneur impérial. Une heure plus tard les chars et les semi-chenillés roulaient sur les emplacements dévastés des radiants et des lance-missiles lourds. Cette artillerie, installêe en casemates souterraines pour repousser les envahisseurs venus de l'espace, s'était révêlée tragiquement impuissante contre une attaque au sol. Les servants êtaient tous des Acrabiens et des Dschubbéens :transfuges des légions de Sham qui s'étaient battus jusqu'à la mort. Seuls les roquettes des chars et ffes lance-flammes avaient pu en venir à bout. La milice locale, mal instruite, insuffisamment encadrée et dépourvue de canons portatifs, avait cédé au premier choc. La petite cité de Flandrys appartenait aux Corsaires... Seul le palais du gouverneur tenait encore. Le jour finit et la nuit bleue salua leur vic-

toire de ses arabesques d'étoiles. Avec cent cinquante combattants et une quinzaine detanks légers,

ils avaient pris une ville et un monde ! La leçon se grava dans le souvenir de Sherk d'Acamar, il ne devait jamais oublier que la puissance de l'armement donnait l'avantage à l'initiative et à la rapidité plutôt qu'au nombre. Mais le sac de Flandrys - orgie effrénée de pillages, de viols et de meurtres souvent gratuits apprit également à Sherk Mroi Ouargâr que la piraterie n'apportait aucun remède à I'injustice, dont elle aggravait au contraire les conséquences, et ainsi s'expliquait la résistance maladroite mais parfois sauvage des pauvres de Flandrys. ll comprit alors que les riches et les puissants font moins de tort en spoliant avec l'aide de la loi que les bandits qui volent et détruisent sans discernement, selon leur bon plaisir - car l'argent des uns nourrit les autres, même si c'est en les tuant de travail. Sherk ne devait jamais oublier cette leçon qu'il imprima dans sa mêmoire tandis que brûlait le quartier populaire, incendiê à la roquette en guise de représailles. Songeur, il écouta les échos de la sanglante bacchanale, de la danse de terreur et d'épouvante que Flandrys dansait avec ses vainqueurs. La ville tout entière au supplice hurlait de ses

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mille voix damnées. ll comprit alors, cette nuit-là, et après la luciditê vinrent la commisération et l'horreur. La plupart des gens qu'ils dêpouillaient êtaient presque aussi misérables que le bêtail des Damousses, quitravaillait et mourait sous le fouet dans les immenses carrières rocheuses de Salarrik. La majorité des citoyens de Flandrys étaient des colons frugaux qui vivaient à la dure... Mais pas tous ! Les archives êlectroniques du siège local d'une importante société de publicains de I'Empire donnèrent maintes indications très utiles à cet égard. Les pirates orientèrent principalement leurs recherches d'après les pots de vin enregistrés dans une banque-mémoire particulièrement confidentielle. L'ordre et l'efficacitê des Bureaux, ce remarquable sens de l'orga= nisation qui était la force de l'administration solaire et sans lequel l'Empire n'aurait pu se maintenir sur tant d'étoiles, servait à présent la horde victorieuse. Quelques fonctionnaires devaient même venir proposer de renseigner et d'aider secrètement les Franc-Corsaires, en échange d'une substantielle rétribution, mais la plupart avait pris la fuite car tous savaient la précarité du règne des brigands. Les gardes du palais - une section d'authentiques soldats terriens - suivirent finalement le gouverneur dans sa fuite. lls avaient opposé une résistance opiniâtre aux pirates, mais ceux-ci les avaient délogés des toits et des terrasses à coups de mortiers. Le palais rapporta autant de butin à lui seul que le restant de la ville. Ses hautes murailles de pierre grise dissimulaient les trésors arrachés aux entrailles de la planète et accumulés dans l'attente du vaisseau qui venait deux fois par année locale. Les coffres, ouverts au fulgurant, débordaient de longues briques luisantes et de gemmes aux reflets acérés. Sherk et Diamarra, soignés aux rayons, étaient de nouveau sur pied pour prendre part à l'exploration des caves, du labyrinthe souterrain des galeries et des cryptes qu'éclairaient de petites lampes blêmes. Attirés par des appels étouffés, ils arrivèrent devant une lourde porte que le Serkor fit sauter avec un bazooka magnétronique pris aux Terriens, après avoir rugi son avertissement qui se répercuta en roulement de tonnerre dans le dédale sans fin de ces catacombes. Une puissante odeur de fauve, les relents douceâtres du sang et ceux fêtides des excréments frappèrent leurs narines. Une centaine d'êtres

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enchaînés s'entassaient dans cette ergastule, sur un lit d'immondices. lly eut un remous fiévreux parmi les formes lépreuses et indistinctes, avec leurs loques nausêabondes, leurs plaies infectées, leurs croûtes suppurantes... Une même flamme indicible s'allumait dans leurs orbites creuses comme celles desséchées des anciens morts. L'air restait opaque malgré la lumière venue du dehors, épaissi de mille puanteurs. La geôle forçait ses remugles dans un mêlange de relents funèbres, comme si toute la chair des prisonniers se liquéfiait et s'écoulait

en pus. Alors ils se relevèrent, du moins ceux qui le pouvaient encore, avec des soupirs, des râles et des rires qui se mêlaient en une rumeur sépulcrale aux cliquetis des maillons rouillés. C'étaient des fantômes et des spectres qui revenaient avec leur pourriture, pour se venger des souffrances passêes et des crimes oubliés. lls les entouraient, avec une sorte d'avidité monstrueuse, de leurs gestes larvaires et de leur êtoutfante odeur qui était comme une haleine d'outre-tombe. Sherk, Diamarra et les autres Corsaires étaient des intrus dans cette antichambre de l'enfer. lls n'avaient pas le droit d'être là !Vivants, libres et forts, c'était comme s'ils étaient descendus sous terre pour profaner un tombeau sans âge. lls allaient être chassés... lls allaient être châtiés ! Mais le délire de ces êtres êtait étrangement joyeux, leurs paroles étaient des mots de délivrance et d'amour. Un souffle d'espoir fou passait dans les moindres recoins des ténèbres moites de cette prison qui était pire que la cale d'un vaisseau négrier. Quelques instants plus tard, ils pouvaient sortir. Mangeant et buvant sous la surveillance attentive de leurs libérateurs qui avaient cure de ce que nul ne s'étouffe. Parmi eux se trouvait un grand nombre de mercenaires prisonniers, attendant que soit conclu le carteld'échange ou payée la rançon libératrice... ou bien le marchand d'esclaves. Des Tchinos, sortes de grands loups anthropomorphes venus de la lointaine Héka pour se battre au service de la Confêdération du Libre Echange. Des hommes de Rigel reconnaissables à leurs têtes allongêes aux pommettes hautes et à leurs yeux clairs. Un indigène d'Arneb aux fortes incisives, aux oreilles mobiles et au regard couleur de rubis. Une demi-douzaine de Bételgeuséens roux et plus petits que les Rigelliens. Quelques dizai-

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nes de Tchirghri vifs et souples. Cette race d'humanoides félins, dont I'empire avait sombré devant la puissance nouvelle des Mondes Asso-

ciés, fournissait des combattants féroces et disciplinés. D,aucuns soutenaient que c'êtait en partie pour cette raison qu'un recès de la Diète du Libre Echange - la dernière à s,être tenue sur Lorne leur

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avait conféré les mêmes droits qu'aux humains. parmi eux il y avait des

Zaktes, des Damousses et des Kardes. A l'écart se tenait un grand Karde farouche aux yeux de marbre vert et au fin pelage noir que le fouet avait mis en lambeaux. " Qui est le chef parmi vous ? " demanda Sherk en s,avançant parmi eux. Diamarra suivait en cas d'accident, silencieux et vigilant comme un lion aux aguets. o C'est moi ! feula le Karde * Chigir Bâgh d,Haÿsa et capitaine " aux Corps Francs du Libre Echange. Nous n'avons pas trahi notre serment de mercenaires - sonna la voix rude comme certains autres. o Le Karde eut un sourire que démentait l'éclat de ses yeux aussi durs que des pierres de jade. " En effet, reconnut Sherk, j'ai rencontré certains Damousses (à ces mots de nombreux captifs tressaillirent avec des mouvements ramassés de bêtes de proie) qui n'avaient pas vos scrupules et ce serment... , u Est un serment ! un bruit sec.

, Les mâchoires du Karde se refermèrent avec

" Mais dites-moi, Franc-Corsaire, comment se porte notre cher lieutenant Rahroum ? , demande très doucement le Karde, la suavité de sa voix - traînante mais chargée d'une menace inf inie rendait encore plus terrifiante la flamme verte de son regard. n Ecrasé par un char... , u Dommage, je me le réservais... Certaine dette à rêgler. ll a infligé à mon second le supplice du pinceau et l'a fait agoniser pendant une semaine en I'enduisant de sues corrosifs. Je lui réservais un'e fin très lente. Regarde ! " Sa voix était douce comme du miel mais son ton était d'acier brtlant, et il écarta ses haillons. Sherk vit sur le corps décharné, poudreux, les marques du chevalet et des tenailles. Se souvenant de ce qu'il avait enduré lui-même il sentit la compassion l,envahir, mais se garda de la montrer. ll était dangereux de se faire un ennemi d'un être comme Chigir Bâgh. 190


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