Une saison en Guyane n°9

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Guyane Une saison en

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Guyane

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Une saison en

n°ISSN : 1966-6446 Société éditrice : Atelier Aymara EURL de presse au capital de 5 000 € 34 rue Louis Blanc - 97300 Cayenne Guyane française. tel. +594 (0) 5 94 31 57 97 / +594 (0) 5 94 30 52 93 fax. +594 (0) 5 94 38 47 79

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Assistante de direction : Karine Martine [karine@atelier-aymara.net]

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webmestre : Sebastien Lévèque [seb@atelier-aymara.net] rubriques brèves : Marion Briswalter rubriques histoire : Dennis Lamaison Photo couverture : Pierre-Olivier Jay Illustration BD : Marc Gayot, Jeremy Beccu, Patochard Illustrations : Fusée Aublet, Marc Delorme, Tanguy Deville, Marie Fleury, Marc Gayot, Alex Mercier, Olivier Nuguet, Turpin. Crédits photos : G. Aubertin, N. Baiben, P-Y Le Bail, D.Beltrà, M. Briswalter, M. Cobigo, C. Delhaye, X. Desbois, T. Deville, M. Dewynter, G. Feuillet, M. Fleury, P-O. Jay, D. Janssaud, F. Melki, E. Ravet, M. Ravet, M. Parizot, F. Piantoni, PNRG, G. Quenette, J-B Kraft, R. Rinaldi, W. Santin, C. Swann, P. Verger Ont collaboré à ce numéro

Remerciements par ordre alphabétique :

Archive departementale de la Guyane, G. Aubertin, F. Blanchard, A. Bordin, D. Carita, J. Chave, M. Cobigo, P-E Christensen, P. Delprete, X. Desbois, T. Deville, M. Dewynter, J. Engel, G. Feuillet, M. Fleury, D. Frame S. Galy, M. Gayot, M. Geydan, R. Girault, J. Gomès, S. Gonzalez, A. Hauselmann, E. Hansen, N. Hulot, E. Jantet, M. Joubel, O. Kayamaré, E. Kergoat, C. Lafleur, D. Lamaison, H. Lamaison, A. Lamoraille, G. Léotard, J. Le Roux, P. Lucenay, N. Maltaverne, K. Martine, F. Melki, A. Mercier, P. Monier, J-M Montoute, O. Nuguet, G. Odonne M.C. Parriault, F. Piantoni, N. de Pracontal, L. Procopio, G. Quenette, D. Redon, R. Rinaldi, A. Saunier,V. Rufray, B. de Thoisy, O. Tostain, D. Virollet. Vente : MLP Vente Guyane : Guyane Presse Service et Plume verte Distribution et commandes n°

[distribution@atelier-aymara.net] Imprimé en France/ Printed in France sur du papier écocertifié PEFC. Revue publiée avec le concours du Centre national du livre

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AOÛT À DÉCEMBRE 2012

Guyane Une saison en

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Animateur aventurier, voyageur infatiguable, militant écologiste, Nicolas Hulot a suscité de nombreuses vocations en nous permettant de découvrir des lieux incroyables, et en nous sensibilisant à la fragilité des écosystèmes de la Terre. Aujourd’hui, Nicolas Hulot nous fait l’honneur de préfacer ce numéro 9, consacré à la richesse des plantes guyanaises, et à notre voisin l’Amapá. Un point de vue plein de sens sur notre monde guyanais en devenir, et devant les “choix” de société en cours... Pierre-Olivier Jay

Edito

de Nicolas Hulot, Président de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme

Il y a des projets qui devraient rassembler les hommes au lieu de les diviser. La lutte contre le changement climatique et la sortie du pétrole devrait en être un. La transition énergétique et écologique de nos sociétés est un impératif moral, et bien au delà, un impératif économique et social incontournable, tant les dommages de notre addiction à l’or noir sont cruels. Déficit de la balance commerciale, catastrophes environnementales menaçant la biodiversité, émissions de gaz à effet de serre provoquant un réchauffement climatique… pourraient nous coûter 5 à 10% de la richesse annuellement produite. La liste est longue, le constat sans appel. La Guyane, ses richesses naturelles et la beauté de ses paysages, incarne la confrontation à un monde où l’illusion de l’abondance des ressources, conduit à éluder leur rareté. Un monde dans lequel il nous faut ensemble, choisir une direction : celle de la surexploitation des ressources, de l’or au pétrole, héritage d’un monde ancien qui laisse trop souvent de côté les plus vulnérables ? Ou miser sur la solidarité, la préservation et le partage équitable des ressources pour assurer à tous la satisfaction de ses besoins essentiels. Les maux

AVEC

LE SOUTIEN DE

de ce siècle ne se régleront pas avec les solutions du passé. Quelques exemples courageux nous montrent déjà la voie à suivre. C’est le cas de l’Équateur et du projet Yasuni qui invente de nouveaux modèles de développement en choisissant de laisser le pétrole sous terre. Soyons clairs, il ne s’agit aucunement de sanctuaires développés au mépris des hommes et des femmes qui y vivent, mais plutôt une façon de faire de l’économie en préservant la nature au lieu de la détruire, tout en s’assurant que les conditions de vie de chacun progressent. Il y a tant de choses à inventer en Guyane comme en métropole, en remettant l’économie à sa place, au service des hommes et de l’environnement. En laissant le pétrole au large de la Guyane sous terre, en inventant une nouvelle économie basée sur les énergies renouvelables et la protection de la biodiversité, il y a matière, après l’échec du sommet de Rio, à donner sens au mot d’économie verte. Les ressources ne manquent pas, seule la volonté de les préserver, ne répond pas. Sans sacrifier les générations présentes, ce niveau de conscience des générations à venir serait sans doute la plus belle preuve en humanité qui soit.

AVEC

L A C O L L A B O R AT I O N D E

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Sommaire 09 - août 2012

Voyage

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Brésil

Société

Culture

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Botanistes & botanique Biodiversité Culture

Portfolio

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4 6 10 12 14 20 24 32 40 48 56 64 70 76 84 88

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BRUITS DE LA FORÊT spécial bo tanique CONTE DE GUYANE Roun pyébwa ké mil f lèr, l’arbre aux mil les f leurs DES ASSO qui font avancer la G uyane JOURNAL DES GUYANES AUTOUR DE LA QUESTION... de la chasse L’IMMIGRATION BRÉSILIENNE aujourd’ hui POROROCA, la colère de l’Araguari UN PONT beaucoup t rop loin PIERRE VERGER, 194 8 re tour au B résil CÉTACÉS, le peuple méconnu de G uyane LES TÊTES DE CRIQUES DE GUYANE passées au crible PLUS DE SAISON en G uyane REMÈDES ET SAVOIRS CACHÉS de nos jardins PORTFOLIO orchidées guyanaises FUSÉE AUBLET, pionnier de la bo tanique guyanaise BORNE 4, la por te-f ront ière de l’Amazonie

DE LA VANILLE ET DES HOMMES L’e xpédi t ion d u bo taniste voyageur Per ro te t SOUS LES GRIFFES, l’écorce PORTRAIT José G omes SENTIER L a montagne des Singes

Aquatique Faune

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Écologie

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Faune

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◄ La pororoca de l’Amazone est le mascaret le plus sauvage au monde. Cette vague, générée par la marée montante dans l’estuaire du Rio Araguari et de l’Amazone lors des marées d’équinoxe, peut atteindre 4 mètres et plus de 40 km/h.

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AUTOUR DE LA QUESTION

de la chasse PHILIPPE LUCENAY - TCHÔ DANBWA ANTOINE AOUEGUI - MAMA BOBI BENOÎT DE THOISY - KWATA NYLS DE PRACONTAL - GEPOG ERIC HANSEN - OFFICE NATIONAL DE LA CHASSE ET DE LA FAUNE SAUVAGE La Guyane a du attendre le milieu des années 90 pour que le premier morceau de forêt soit interdit à la chasse. Selon certaines études scientifiques, le territoire fait aujourd’hui face à une raréfaction de certaines espèces de gibier. Dans le même temps, la règlementation évolue et selon certains, elle s’engage vers un encadrement plus strict de la pratique. Philippe Lucenay est le président de l’association de chasseurs “Tchô danbwa”. Il répond ici « en tant que chasseur et non en tant que président ». Antoine Aouegui dit Lamoraille est le doyen du Conseil consultatif des populations amérindiennes et businenge. En 1973 il fondait la toute première association « moderne »

CHASSE DE SUBSISTANCE ?

Une saison en Guyane : . En 2012, certains pratiquent la chasse de subsistance,

des chasseurs et pêcheurs du Maroni. En 1990, il a fondé l’association “ Interculturalités et Citoyenneté ” Mama bobi. Benoît de Thoisy est le directeur de l’association Kwata. Nyls de Pracontal est le directeur du Groupe d’étude et de protection des oiseaux en Guyane (Gepog). Ces deux associations sont présentes au sein de la fédération Guyane Nature Environnement. Eric Hansen est le délégué interrégional Outre-Mer à l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), établissement public sous la double tutelle des ministères du Développement Durable et de l’Agriculture. L’intégralité des interviews est à lire sur notre site internet : www.une-saison-en-guyane.com

d’autres une chasse de loisir. Pensez-vous qu’elles doivent être différenciées dans la loi ? Antoine Lamoraille. Depuis 1969 et la fin du territoire de L’Inini, puis des lois de décentralisation de 1981, il ne devrait plus y avoir qu’une sorte de citoyen en Guyane, partageant partout les mêmes droits et les mêmes devoirs. Mais convergences n’est pas confusion, et même si les quotas actuels et le calendrier de prélèvement sur la faune sauvage font l’objet d’un assez large consensus, certaines communautés d’habitants sont dispensées de ces quotas sur leur Zone de Droit d’Usage. Mais pas les autres chasseurs. Ces dispositions peuvent

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d’ailleurs être revisitées et coordonnées avec celles en vigueur chez nos voisins. C’est ainsi que sur le Maroni un point de vue transfrontalier est en étude auprès de très nombreux chasseurs (goniman) et cuisinières (boliman) ! Philippe Lucenay. Non parce que c’est le même gibier et la même forêt, et il y a des abus partout et dans toutes les communautés. Excepté les “chasseurs du dimanche” qui viennent essentiellement de métropole et qui tuent pour le plaisir, nous pratiquons tous une chasse de subsistance (pour se nourrir), comment faire la différence ? Benoît de Thoisy. Je suis assez partagé sur ce point. Les impacts de la chasse de subsistance sont avérés partout en Amazonie, bien qu’ils soient plus difficiles à mettre en évidence. Le sujet de la chasse de subsistance ne doit pas être tabou, et doit être traité également, bien que les solutions proposées et aménagements nécessaires puissent ne pas être les mêmes que pour la chasse de loisir.


Nyls de Pracontal. Le sens même de “chasse de subsistance” ne souffrirait pas d’une réflexion commune pour en (re)définir un sens actualisé. Eric Hansen : C’est vrai que la Guyane est un cas unique en France où l’on trouve encore des personnes qui chassent pour pouvoir se nourrir. C’est une situation particulière car la Constitution française précise clairement que tout le monde doit être en situation d’égalité devant la loi et qu’elle doit donc s’appliquer à tous. Pour autant des solutions juridiques existent comme dans le cadre de la règlementation dans le Parc amazonien. En effet, il me semble évident que lorsque le contexte social, économique et culturel n’est pas du tout le même, la règlementation pourrait prendre en compte ces particularités. QUOTAS

Dernièrement le tribunal administratif (TA) de Cayenne a remis en question la validité des quotas de chasse définie par un arrêté déposé par le préfet de Guyane, pour des raisons de forme. Une procédure d’appel est depuis entre les mains du TA de Bordeaux. Que pensez-vous du développement d’une législation de quotas pour la chasse en Guyane ? Eric Hansen : Il me semble nécessaire de limiter le prélèvement de la faune sauvage, la nature n’est pas inépuisable ! Il faut mettre fin au plus vite au prélèvement massif qui est parfois effectué par des personnes qui vont remplir des pirogues de gibier dans un but essentiellement commercial. A l’ONCFS nous prônons une chasse durable et donc raisonnée. Antoine Lamoraille. De fait, il s’agit de réguler et/ou de réglementer la chasse en notre région au bénéfice d’une transmission bien gérée de nos divers héritages naturels, en adaptant par une Education à notre environnement maitrisé, la Coutume au Droit Commun.

▲Boucan & gibiers, village wayampi, fleuve Oyapock ◄L'ONCFS mène des enquètes sur la chasse en Guyane.

Nyls de Pracontal. Nous appelons de nos vœux depuis de nombreuses années à la rédaction d’une véritable “ loi chasse ” pour accompagner et encadrer les pratiques. Nous sommes le seul territoire de France (départements, et pays et territoires d’Outre-mer compris) et d’Amérique du Sud à ne pas bénéficier de cadres réglementaires sur cette activité potentiellement très impactante.

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DOSSIER BRÉSIL

POROROCA Une saison en

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shortboard, l'autre sur un paddle et donc munie d'une rame, se lance sur la pororoca qui deferle dans l'Araguari ce matin.

La colère de l’Araguari Une saison en

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VOYAGES

▼ Deux surfeurs expérimentés, l'un sur un


▲▼ A minuit,

la navette bondé part du port de pêche de Macapa pour remonter l'Amazone jusqu'à l'archipel de Bailique.

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ans vingt minutes, la maison sur pilotis sera à nouveau inondée et il faudra nettoyer - encore - la boue déposée par la lame d’eau. Mais Maria ne soupire pas. Elle prend son bébé dans ses bras, traverse la terrasse et s’en va au bout du ponton qui surplombe un canal vaseux à sec. La boue luit sous le soleil matinal et la plaine se confond au loin avec le ciel et le fleuve. L’horizon blanchâtre et lumineux ne laisse rien apparaître du désastre quotidien qui s’approche. Mais le bruit est sans équivoque : la pororoca arrive ! Et bientôt, le fleuve débordera, s’engouffrera dans les canaux et en quelques minutes envahira la plaine, déposant son limon dans la maison de Maria. C’est ainsi durant les deux ou trois jours qui précèdent et suivent chaque pleine ou nouvelle lune : quand, à l’estuaire, la marée devient montante, une vague prodigieuse se forme qui remonte le fleuve sur quarante kilomètres en à peine une heure. Cette vague, la pororoca, La

Condamine l’a décrite il y a presque 300 ans. Il l’observa ici même, sur l’Araguari, le grand fleuve qui traverse l’État brésilien d’Amapa et se jette près de l’Amazone. Cette «lame, écrit-il, avance rapidement, brise et rase en courant tout ce qui lui résiste [et laisse] le rivage net comme s’il eût été balayé avec soin». Le phénomène, appelé mascaret en France, est connu sur différents fleuves des cinq continents. Lors des grandes marées d’équinoxe, il attire les foules de curieux sur les berges de la Dordogne, du Severn en Angleterre, du Qiantang Jiang en Chine ou du Capim près de Belém au Brésil. Mais ici, en Amapá, peu de curieux s’aventurent. Cette contrée oubliée, séparée de son pays par le gigantesque Amazone qui la borde au sud, semble avoir été délaissée par Brasilia. Les Brésiliens ne se souviennent de cet État qu’au gré des soubresauts judiciaires qui émaillent la vie politique locale notoirement corrompue. Les routes sont rares, les bourgs modestes et le territoire est une succession de forêts, de pâtures, de savanes ou de marais. Et pour parvenir à l’embouchure de l’Araguari, où naît l’un des plus gros mascarets du monde, il faut être prêt à un long et lent voyage. Maria, elle, vit là. Tranquille au bout du ponton, elle rappelle la petite Fernanda qui fait monter les cochons dans un enclos surélevé. Les poules ont décampé depuis belle lurette et chevaux et buffles sont allés se mettre à l’abri sur les terres les plus hautes, en lisière de la forêt qui cerne le lit majeur. Les hérons, aigrettes, spatules et ibis ont aussi disparu et dans les arbres, nulle agitation : les passereaux ne chantent plus et le silence règne dans la forêt. À l’entrée du canal,


Josemir guette la vague. Lui est né ici, a vu passer la pororoca plus d’une centaine de fois. Et ne s’en lasse pas. Comme un gosse, il joue à se faire peur en l’attendant depuis la berge. Voilà déjà un long moment qu’il l’entend venir dans un lointain roulement de tonnerre qui va crescendo et qu’évoque si bien le nom tupi-guarani de la vague : “ poroROCA ”, littéralement “ vacarme”. La vague apparait enfin : c’est un mur de mousse d’un à deux mètres de haut et de trois kilomètres de large. Tel un front d’avalanche dévorant une vallée, l’écume galopante avale le fleuve. Sur les rives, la fureur est totale : des murs de boue s’écroulent, des branches se cassent, les arbres vacillent ou tombent et sont emportés comme des fétus dans la vague bouillonnante. Devant celle-ci, quelques canots rapides de métal filent à quarante kilomètres à l’heure. Les hommes à leur bord ne fuient pas : ils guettent. Dans un mélange d’excitation et de peur, d’euphorie et de tension,

ils attendent que la vague retrousse sa lèvre écumante et qu’une paroi lisse se forme. Pour la surfer. Justement, voici que le mur se scinde enfin, formant ainsi une vague pouvant être surfée sur la gauche ou la droite. L’agitation sur les canots est maximale. Les pilotes des bateaux, en gilet de sauvetage bien serré et la main crispée sur la manette des gaz, tentent de garder un œil sur la vague tout en vérifiant les avants : il suffirait que l’hélice se prenne dans des végétaux flottants ou des débris d’arbres charriés par le fleuve pour que le moteur s’arrête et que la vague retourne le bateau et son équipage. Ce sera d’ailleurs le cas le lendemain. Pour l’heure, le premier surfeur s’est jeté à l’eau. Il rame un peu et laisse la vague le rattraper… puis rame vigoureusement pour disparaître finalement dans la mousse. Les autres observent avec inquiétude l’écume : le surfeur en rejaillit, couché sur sa planche, rejeté en avant par la vague. Difficile de décrire le suspens qui vous

▼ La pororoca,

prend des formes changeantes, elle s'ouvre, déferle, s'adapte au lit de l'Araguari et le modifie ! Le rivage du fleuve est dévasté.

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DOSSIER

BRÉSIL

UN PONT P U O C BEAU

TROP LOIN

Texte et photos de Guillaume Aubertin

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«UN PROBLÈME DE FONCIER»

Achevé il y a plus d’un an, le pont de l’Oyapock tarde à ouvrir à la circulation. On attend désormais que les travaux de la route se terminent, côté brésilien. Mais plus le temps passe, plus l’inquiétude semble gagner les habitants des deux rives, pas franchement convaincus par l’utilité de cet étonnant édifice.

En fait, personne, de Paris à Brasilia, en passant par Cayenne ou Macapá, n’ose trop s’avancer pour planifier une éventuelle date d’inauguration. « Aux dernières nouvelles, on parlait de la fin de l’année, mais cela semble difficilement réalisable », estime Denis Labbé, préfet de Guyane. Car de l’autre côté de l’Oyapock, les affaires traînent. Si le poste de contrôle français est prêt à l’emploi, les Brésiliens, eux, ne le sont pas du tout. Une vieille cabane en bois qui menace de s’effondrer à tout moment, une épave de tractopelle garée dans un fossé, et un policier armé pas vraiment prompt à lâcher la moindre esquisse de sourire… Voilà à quoi ressemble le poste de contrôle auriverde. « Tant qu’ils ne seront pas prêts, on ne pourra pas ouvrir », résume le préfet. Etre prêt, cela signifie aussi avancer sur le chantier de la route de Macapá, sur lequel il resterait environ 165 kilomètres de bitume à poser. Mais surtout, il s’agit déjà d’achever la jonction de route qui relie l’édifice au bourg d’Oïapoque. Soit moins de deux malheureux kilomètres. Mais les autorités brésiliennes seraient confrontées à un « problème de foncier sur cette partie », à en croire le préfet.

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SOCIÉTÉ

O

n n’y danse pas encore… sur le pont de l’Oyapock. Et pour cause : Fifi veille au grain. Comme tous les soirs, la vieille chienne bâtarde récemment promue adjudant chef - « juste pour blaguer » monte la garde, assise au pied d’une des trois aubettes qui forment le poste de contrôle de la Paf, côté français. On n’avait encore jamais rencontré de “ douanière ” qui se laisse caresser aussi facilement ! L’endroit est désert. « On se demande à quoi il va servir, ce pont », glisse un agent, de retour de patrouille. « Regardez, même les aubettes sont déjà usées par le temps ! » Il faut dire que l’édifice est terminé depuis plus d’un an, tout comme la route d’accès. Mais aujourd’hui, la traversée du pont est toujours strictement interdite. « Quand ce sont des journalistes, ça va, mais quand des gars viennent pour enregistrer un clip sans autorisation, on est obligé de les virer », témoigne un autre policier qui débute son service.


PIERRE

VERGER

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CULTURE DOSSIER BRÉSIL

1948, Retourau Brésil E

n avril 1948, Pierre Verger entreprend de rejoindre son ami et collègue l’ethnologue Alfred Métraux, spécialiste du Vaudou haïtien, lui-même sur la piste des premiers travaux de l’ethnologue Melville Herkovitz sur les Businengés ou “ noirs marrons ” dans le langage de l’époque. Il traverse ainsi tout le plateau des Guyanes, du Brésil au Suriname. Accueilli à Cayenne par le gouverneur de Guyane française, ville dont il a gardé un souvenir grinçant, il se rend ensuite au Suriname, en quête des Businengés. Cette quête est à l’origine d’une série de clichés portant sur Belem et l’état du Para pour la partie brésilienne, et sur les Marrons Ndjukas (Aukans en néerlandais) de la rivière surinamaise Cottica pour la partie surinamaise.

1948 : L’ANNÉE DÉCISIVE POUR LE DÉCLENCHEMENT DE LA VOCATION AFRO-AMÉRICAINE DE VERGER

◄Port et marché de Ver-o-Peso, Belem, 1948

Après quelques années de pérégrinations en Amérique Latine (1940-1946), le photographe français Pierre Verger (1902-1996) s’installe définitivement à Salvador de Bahia, au Brésil, en 1946. Il y est d’abord introduit par l’anthropologue Roger Bastide, qui avec l’historien fondateur des “ Annales ” Lucien Febvre, entretient des relations étroites avec les universités, participant même à leur mise en place dans le cadre d’accords de coopération. L’installation de Pierre Verger au Brésil est intéressante en ce qu’elle représente une expérience pionnière de coopération franco-brésilienne. En effet, elle participe tout autant d’une intégration

professionnelle via des commandes de médias brésiliens et de musées (principalement d’ethnologie) que, dès l’année 1948, de missions de recherche universitaire initiées par la France (IFAN – Institut français d’Afrique Noire, CNRS). Sous la dictature de Getulio Vargas (1937-1945), la presse brésilienne est étroitement contrôlée et Pierre Verger, à son arrivée en Amérique Latine en 1940 suite à sa démobilisation, trouve plus d’opportunités dans les autres pays du continent. En 1946, lorsqu’il s’installe au Brésil, il peut exercer comme photographe indépendant d’origine étrangère grâce au lien contractuel qui le lie au magazine “ O cruzeiro ”, accord capital pour l’obtention d’un visa de résidence. Cette revue, fondée en 1928, équivalent du Petit Journal en France au début du XXème siècle, est alors le premier magazine illustré du pays. Un premier contrat couvrant la période 1946-1951 lui permet de publier une partie des photographies réalisées en Amérique Latine et d’effectuer quelques 117 reportages dans les états du Brésil. Pierre Verger réalise ainsi 46 missions photographiques sur Salvador et l’état de Bahia, 37 sur Recife et le Pernambouc, 7 sur Sao Luis de Maranhao et 7 sur Belem du Para (n°58 à 64). L’ensemble de ces travaux traitent de la culture populaire brésilienne. BELEM DO PARA, SUR LA ROUTE DU SURINAME…

Pierre Verger arrive à Belem en mai 1948. Il y retrouve son futur compagnon de route des “ Amériques

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CÉTACÉS le peuple méconnu de Guyane

Alors que les campagnes sismiques du consortium pétrolier démarrent au large de la Guyane, une étude menée par l’association GEPOG délivre les premières données sur les nombreuses espèces de mammifères marins qui vivent entre le talus océanique et les grands fonds. Une saison en

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FAUNE

Globicéphales tropicaux

▼ (Globicephala macrorhynchus) en plongée depuis la surface dans l’océan atlantique (Photo de Christopher Swann - Biosphoto )


PLUS DE

SAISON en Guyane ?

▲Sécheresse

de

l’Amazone en 2005.

Ce bateau échoué à l’Est de Manaus reflète l’isolement des communautés vivant au bord du fleuve pendant la sécheresse, dépendantes de l’approvisionnement aérien (cette photo de Daniel Beltrà a été primée au World Press en 2007).

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ans le film Une Vérité qui Dérange, Al Gore nous alerte sur les changements climatiques et leurs conséquences directes pour les hommes. L’augmentation des températures est en route et elle va conduire à une fonte des glaces, donc à une montée du niveau des océans… Mauvais temps pour les ours polaires et les atolls du Pacifique. Mais les forêts tropicales, qui rassemblent les deux tiers de la biodiversité et dont dépendent un milliard d’humains, sont passées sous silence. Fort dommage : les forêts sont un rempart naturel aux changements climatiques car elles ont une grande capacité à stocker du carbone. Que savons-nous vraiment du futur de l’Amazonie ? Le climat de Guyane peut-il vraiment se dérégler ? Et que se passerait-il alors ? Un article publié dans Le Monde en 2003 était titré « Forêts tropicales : c’est fichu »1. Il prédisait la destruction totale des forêts tropicales en moins de cent ans. C’est 1

Frédéric Durand, Francis Hallé et Nicolas Hulot, Le Monde, 10 novembre 2003. Wright & Muller-Landau, Biotropica, 38, 287, 2006. 3 Il existe plusieurs définitions d’une forêt. Selon la FAO, est en forêt toute zone dans laquelle les arbres ont au moins 5 m de haut, et couvrent au moins 10% de la superficie. Selon la FAO la superficie des forêts tropicales mondiales est aujourd’hui de 15 millions de km². La définition retenue ici est plus stricte : avec les instruments de mesures montés sur les satellites d’observation de la Terre, on peut précisément déterminer si un pixel est couvert ou non par dela forêt à une résolution de 30 m. Selon cette nouvelle définition, la superficie des forêts tropicales est de 11 millions de km². 2

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un fait, le tiers de la superficie potentielle des forêts tropicales a déjà disparu2. La conversion des terres pour l’agriculture intensive reste perçue comme le danger principal qui guette ces forêts, leur conservation a donc concentré l’essentiel des efforts. En témoignent les pressions législatives autour de la réforme du Code Forestier brésilien, qui était encore en examen par le Congrès du Brésil début juin 2012. Cependant, même si la déforestation continue (à une moyenne de 0,5% par an), la plupart des études récentes démontre un ralentissement de cette déforestation dans les tropiques. Avec l’exode rural, on devrait aller vers une diminution de la pression humaine sur les forêts tropicales et voir le couvert forestier3 passer de 65% à environ 50% à l’horizon 2050. Autrement dit, les forêts tropicales continueront à être coupées mais il en restera beaucoup dans cent ans. Un enjeu crucial de conservation est de savoir si ces forêts seront non

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entre 1900 et 2100 sur la région amazonienne. Les incertitudes varient entre +1,7°C et +5,5°C en fonction du modèle et du scénario socio-économique choisi. Les valeurs en rose représentent les erreurs sur les mesures entre 1900 et 2000. Tiré du rapport du GIEC (2007).

C° 8 6 4 2 0 1900

perturbées et si elles pourront assurer leur rôle de havre de biodiversité et de puits de carbone. Pour répondre à cet enjeu, il faut intégrer des risques nouveaux, plus insidieux (car moins visibles) que les bulldozers et les tronçonneuses. L’utilisation croissante du charbon, du pétrole et du gaz naturel par les hommes a pour conséquence une augmentation de la concentration en gaz à “ effet de serre ” dans l’atmosphère, comme le CO² (dioxyde de carbone). Les molécules de CO² contenues dans l’atmosphère stockent la chaleur émise par la Terre et l’empêchent ainsi de se refroidir. Ce phénomène n’est pas nouveau : il a été décrit par le chimiste suédois Svante Arrhenius en… 1896. Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) est en charge de synthétiser les preuves de l’existence de l’effet de serre. Son quatrième rapport a été publié en 2007 et les scientifiques du GIEC

SCIENCE

►Augmentation de la température

1950

2000

2050

ont reçu la même année le prix Nobel de la Paix pour leurs efforts de lutte contre ces changements climatiques (Al Gore a partagé ce prix avec eux). Sans attendre leur prochain rapport (prévu pour 2014), penchons-nous sur les conclusions du GIEC pour l’Amérique du Sud. Pour la période 2080-2099, la température pourrait y augmenter de 3,3°C par rapport à la période 1980-19994. Une telle augmentation constituerait un réchauffement considérable pour cette région. En effet, les enregistrements à Cayenne suggèrent que la température n’a pas encore augmenté : avec une moyenne de 26,3°C, les extrêmes n’ont jamais dépassé +1°C ou -1°C. Les années les plus chaudes (1983 et 1998) correspondent à des années où le phénomène El Niño5 a été très intense, ce qui a conduit à un réchauffement d’environ +0,5°C en Guyane. En 2005 et 2010, la température a été anormalement élevée et la saison sèche plus prononcée. Durant ces deux années, la

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Ces résultats ont été obtenus par un consortium de 21 équipes de recherches qui ont comparé les résultats de simulations climatiques à l’échelle globale.

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Un événement El Niño est une année durant laquelle la circulation de l’eau dans l’océan Pacifique se modifie, ce qui a des conséquences globales sur le climat, et entre autres dans les Guyanes.

►Inondation

sur le Maroni à Loka en juin 2008. Une saison en

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2100


ET SAVOIRS CACHÉS de nos jardins

L

devient dans ce cas un conservatoire d’espèces rares, parfois inconnues des botanistes, car absentes de la flore locale ou de l’herbier de Guyane.

La Guyane est riche de 5 500 espèces de plantes supérieures, dont plus de 700 ont des usages médicinaux (Moretti et al., 2006). S’il n’est pas possible en quelques lignes de décliner toutes les potentialités du territoire guyanais, nous pouvons à travers quelques exemples illustrer la richesse de la biodiversité la plus proche de nous : celle de nos jardins. En effet, parmi les plantes cultivées autour de nos “Kaz”, grand nombre ont des vertus médicinales. Certaines sont connues de l’ensemble des communautés de Guyane, comme le vénéré, le corossol et le coton. D’autres sont limitées au littoral, comme le quassi par exemple. Dans l’ensemble il faut souligner la diversité des usages des plantes en Guyane : les nombreuses communautés amérindiennes, businenge, créoles, hmong, etc., ont toutes développé des savoirs et des pratiques différentes à partir de leur bagage culturel. Certaines communautés continuent à importer des plantes originaires de leurs pays pour se soigner au quotidien. Le jardin

L’association Gadepam qui vise à la valorisation des plantes à usage traditionnel en Guyane, participe depuis une dizaine d’années à une action concertée et collective, issue des DOM-TOM, pour l’inscription des plantes locales à la pharmacopée française. En effet, l’inscription à la pharmacopée est une étape préalable obligatoire avant toute commercialisation officielle de plantes médicinales. L’initiative est partie de la Guadeloupe (Association pour la promotion et le développement des plantes médicinales et aromatiques de Guadeloupe APLAMEDAROM), qui a réussi à faire inscrire deux plantes à la pharmacopée : Senna alata (“cassia alata”), et Lippia alba (“mélisse de calme»). Le combat s’est poursuivi durant huit ans pour arriver à une réforme du code de la santé publique en 2009, permettant l’inscription des plantes domiennes à la pharmacopée. Depuis 2010 chaque département d’Outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Réunion, Guyane) a proposé une liste de quinze plantes pour leurs inscriptions à la pharmacopée. La démarche se poursuivra ensuite par une demande de libéralisation de ces plantes, en absence de toute toxicité, afin d’ouvrir leurs commercialisations en dehors du circuit pharmaceutique. Cette démarche permettra également de vérifier l’efficacité et la non-toxicité des plantes utilisées dans les pharmacopées traditionnelles. Elle pourrait également ouvrir de nouveaux débouchés aux

’ethnobotanique étudie les usages pratiques et représentations des végétaux dans les différentes cultures. Ses recherches portent sur les classifications, la signification culturelle, l’origine, les usages, et la valeur économique des plantes. Nous allons aborder dans cet article, un domaine particulier de l’ethnobotanique : l’étude des plantes médicinales. Cette démarche peut être associée à l’ethnopharmacologie qui traite plus spécifiquement des remèdes qu’ils soient végétaux ou non, dans une approche pluridisciplinaire.

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agriculteurs, et ainsi favoriser le développement endogène de la Guyane et des autres DOM. Parallèlement, il est important de souligner l’existence d’un mouvement en France pour réhabiliter le métier d’herboriste. En effet, le diplôme d’herboriste a été supprimé en France en 1941, sous le régime de Vichy. Actuellement seuls les pharmaciens sont autorisés à délivrer les plantes médicinales au public. La réhabilitation du métier d’herboriste répond à une demande croissante du public et à une revendication des syndicats de producteurs de simples*. Par contre le projet de loi actuel prévoit la distribution par les herboristes des seules 148 plantes “libérées”. Ces différentes démarches de reconnaissance autour de l’usage des plantes médicinales laissent espérer une plus grande accessibilité aux remèdes naturels pour se soigner. Espérons que la Guyane saura saisir cette opportunité de mieux valoriser sa biodiversité, tout en répondant à une demande du public sans cesse croissante. Marie Fleury, Antenne du Muséum National d’Histoire Naturelle en Guyane Illustrations de Olivier Nuguet Photos et aquarelles p72 de Marie Fleury *La tradition populaire désignait autrefois sous le nom de SIMPLES les plantes utilisées pour leurs vertus thérapeutiques, sans préparation alambiquée.


Il est très difficile de distinguer les différentes espèces de Siparuna qui sont toutes regroupées sous le même nom de “vénéré” en Guyane, avec toutefois des distinctions de couleur (rouge et blanc). Ce nom vient de “vulnéraire” qui signifie “ propre à soigner une blessure”. C’est un de ses nombreux usages tant chez les Créoles de Guyane, qu’en Amazonie. En effet l’usage du vénéré est très partagé, à la fois par les populations amérindiennes, businenge et créoles.

Il est parfois cultivé dans les jardins de la côte, tandis que dans l’intérieur on le récolte dans le milieu naturel, où il est surtout fréquent en végétation secondaire. On le reconnaît surtout grâce à son odeur très particulière, qui lui a valu son nom en langue aluku (kapasi wiwii), car on dit qu’il a l’odeur du tatou (kapasi). Les Créoles guyanais lui attribuent surtout le pouvoir de nettoyer le sang, de soigner la fièvre (en bain). Cette activité fébrifuge est reconnue également chez les Aluku et les Amérindiens. Les études chimiques ont permis d’isoler de la plante un alcaloïde qui possède une action sédative, analgésique, antibactérienne, antifongique et cytotoxique. L’espèce possède aussi des propriétés anti-radicalaires (Grenand et al., 1987). Les propriétés anxiolytiques (calmantes) de la plante, connues en Amazonie brésilienne, pourraient être liées à des flavonoïdes (Negri et al., 2012). Cette plante a donc un potentiel intéressant qui justifie ses usages populaires dans toutes les populations de Guyane. Elle est d’ailleurs est en cours de demande d’inscription à la pharmacopée française ce qui permettra de tester sa toxicité..

►Atoumo, Alpinia zerumbet (Pers.) Burtt et Smith, Zingiberaceae : aromatique, antigrippale et antiulcère

Cette plante indomalaise de la famille du gingembre, avec ses grandes feuilles linéaires et ses hampes de fleurs très décoratives, est cultivée dans les jardins comme plante ornementale. En Guyane, les feuilles aromatiques sont employées pour parfumer les grillades et boucans. En Martinique l’infusion des feuilles est le remède le plus utilisé contre la grippe. L’usage du rhizome contre les ulcères a été confirmé par les scientifiques. L’extrait alcoolique des fleurs et des rhizomes a des propriétés antiseptiques et antixoydantes intéressantes. Si l’atoumo n’est pas vraiment une panacée comme son nom l’indique (“contre tous les maux”), les travaux Tramil1 recommandent son usage comme antigrippal et contre les ulcères gastriques (Longuefosse, 1995). : TRAMIL est un programme/réseau de recherche appliqué à la médecine traditionnelle populaire dans le Bassin Caraïbe, dont le propos est de rationaliser les pratiques de santé basées sur l’utilisation de plantes médicinales.

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DOSSIER BOTANIQUE

▼Vénéré (Siparuna guianensis Aubl., S. poeppigii A. DC.), Siparunaceae : nettoyante et calmante


PORTFOLIO

Orchidées guyanaises Photos et texte par

Maria Madalena & Emmanuel Ravet remerciement à Ecobios

▲Gongora

atropurpurea Hook.

Les orchidées de notre département attirent l’insecte pollinisateur de différentes façons, elles adoptent des méthodes particulières, propres à chacune, elles se sont adaptées, diversifiées et rivalisent d’ingéniosité quant à la façon de procéder et seul l’élu de leur choix pourra repartir avec les pollinies vers une autre fleur et de ce fait assurer la descendance de l’espèce. La forme, les couleurs, les émissions de parfums, les récompenses en miellat, loin d’être des fantaisies inutiles de la nature, sont des atouts indispensables pour ces joyaux de notre région.

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DOSSIER BOTANIQUE

▼►Catasetum

macrocarpum Rich. ex Kunth

Les Catasetum sont connus pour leur méthode sophistiquée de pollinisation. Leurs fleurs attirent les bourdons par un parfum enivrant, la fleur mâle possède de plus un mécanisme qui au moindre attouchement catapulte ses pollinies sur la tête de l’insecte. Ce sont les bourdons mâles du genre Eulaema qui affrontent ce phénomène. En pénétrant dans la fleur ils vont toucher deux appendices qui déclenchent le mécanisme de projection des pollinies. Au passage dans ces fleurs, les bourdons se chargent d’une substance à forte odeur de menthe dont on pense qu’elle leur servira à séduire leurs partenaires naturelles.

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BORNE IV

La porte frontière de l’Amazonie

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DOSSIER BOTANISTES Une saison en

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De la vanille & des Hommes L’EXPÉDITION DU BOTANISTE-VOYAGEUR

Perrotet (1819-1821)

LA BOTANIQUE COMME PASSION

▲ Mémoire

de S. Perrotet

sur la culture et la multiplication du vanillier, vers 1821. Arch. départementales de Guyane.

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Selon ses biographes, le Suisse Guerard Samuel Perrotet eut toujours le goût pour la botanique. Entré très jeune comme jardinier au service d’un grand propriétaire, il consacrait à l’étude toutes ses heures libres. Mais quelques années à compulser tous les traités d’agriculture et d’histoire naturelle mis entre ces mains lui donnèrent soif de connaissance plus riches. Il entendit alors parler du Jardin des Plantes de Paris où de nombreux jeunes gens se formaient sous des maîtres habiles. Munis de lettres de recommandations, Perrotet y est reçu par l’administrateur André Thouin, qui dans un premier temps lui laisse peu d’espérance : « - Nos places d’employés sont bornées, dès qu’il en est une de vacante vingt sujets se présentent pour l’obtenir. Cependant, d’après le bien que me disent de vous les personnes qui vous ont adressé à moi, je ferai du moins quelque chose. Tenez, mettez-vous là (en lui montrant quelques platesbandes à bêcher), nous verrons ce que vous savez faire. » Feuille du Canton de Vaud, 1831. Perrotet sait si bien faire qu’il est accepté comme aide-garçon jardinier avant d’être nommé en 1816 botaniste-cultivateur. Thouin devient son mentor et, quand en 1818 le ministère de la marine et des colonies cherche un botaniste pour accompagner une expédition en partance pour l’Asie, l’administrateur

◄ Gravure de M. Weyhe, 1828.

glisse le nom de son protégé. Perrotet rejoint le commandant de l’expédition Henri Philibert, un créole de Bourbon, à Rochefort. L’officier lui apprend alors la raison de ce voyage, qui est d’aller aux Philippines engager 2 à 300 Chinois, « instruits dans les cultures exotiques », et les transporter à Cayenne. Pour le ministère des colonies, il s’agit de faire aussi bien qu’au Jardin du roi de Rio de Janeiro, où 15000 pieds de thé sont cultivés par des Chinois. L’expédition met voile pour Cayenne le 1er janvier 1819 et arrive début février en vue des côtes guyanaises. ESCALE À CAYENNE

« La couleur de l’eau, comme on le sait, indique d’avance le voisinage des côtes de la Guiane : cette circonstance est d’autant plus heureuse, qu’il est souvent impossible de déterminer sa position par des observations astronomiques, ainsi que cela nous est arrivé. Le temps fut même si couvert, que je fis mouiller la division près du cap d’Orange. » Rapport du capitaine Philibert, 20 septembre 1820. Le port de Cayenne étant envasé, Philibert va laisser ses deux voiliers au mouillage de l’îlet le Père. Les navires y sont « fort bien », écrira l’officier, et l’équipage peut y cueillir quelques fruits. Le capitaine est ensuite reçu par le gouverneur de Guyane avec lequel il doit organiser la prochaine installation des Chinois. L’expédition a porté des instruments aratoires ainsi qu’un ingénieur des ponts-et-chaussées


DOSSIER BOTANISTES

FRANCE Départ : 1er anvier 1819 Retour : 19 juillet 1821

CAP VERT 10 au 20 avril 1819 GUYANE 1er février au 27 février 1819 Retour : 10 août 1820

MANILLE 23 décembre 1819 au ZAMBOANGA 17 mars 1820 21 novembre au 3 décembre 1819 ILE DE JAVA TAMATAVE 10 septembre au 15 octobre 1819 6 juin 1820 6 mai au 1er juin 1820 ILE BOURBON 26 juin au 27 juillet 1819 6 mai au 1er juin 1820 ▲ Itinéraire de Perrotet.

chargé de leur préparer des logements à Kaw. Perrotet arrive quant à lui avec des arbres fruitiers, de la vigne et une collection de graines confiée par le Muséum. Il est accueilli par le directeur des cultures et habitations royales de Guyane, Antoine Poiteau, un ancien élève d’André Thouin. Les deux hommes vont préparer 900 plants et graines pour l’île Bourbon (l’actuelle île de La Réunion) parmi lesquels se trouvent plusieurs caisses de boutures de vanilliers provenant principalement de l’habitation royale la Gabrielle et différentes espèces de palmiers (comou, maripa, aouara, carapa...) et de piments. Les voiliers appareillent le 27 février. Après une relâche aux îles du Cap Vert, pour y faire de l’eau et parce que les provisions « y sont à bon compte », la flottille arrive à Bourbon le 26 juin 1819. L’ORCHIDÉE DE LA DISCORDE

« Mon premier soin fut d’introduire dans le jardin de naturalisation les boutures des vanilliers, les plants et les graines de différents palmistes que j’apportais de Cayenne. » S. Perrotet, Mémoire de la société Linéenne, 1825. La nouvelle de l’arrivée des deux navires fait vite le tour de l’île. Le 7 juillet 1819, la Feuille hebdomadaire de l’île Bourbon publie le courrier d’un lecteur qui ne cache pas son admiration devant les plantes de Guyane : des palmiers « dont les feuilles sont propres à couvrir les cases », et surtout le précieux vanillier. L’orchidée semble en effet attirer toutes les convoitises. Philibert va ainsi oublier de citer Perrotet dans ses rapports pour revendiquer seul les honneurs de l’introduction de la vanille dans son île natale. Il décide la répartition des boutures sans en référer au botaniste officiel de la colonie Nicolas Bréon. Le gouverneur Bernard Milius en fait une affaire personnelle. Il va dénigrer chaque action de Philibert auprès du ministère et faire préparer son propre envoi de plantes pour la Guyane et le Muséum (son navire arrivera à Cayenne en avril 1820).

▲ Les

2 voiliers à l’approche de la Guyane.

La flûte le Rhône mesurait 43 m de long pour 800 tonneaux, la Durance était une gabare de 467 tonneaux

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◄►L’écureuil

nain passe beaucoup de temps à la toilette de son pelage, parfois sur des branches verticales. Ses griffes lui permettent de se tenir sur seulement deux pattes. diversité d’espèces, des marmottes terrestres et montagnardes de plusieurs kilos aux écureuils forestiers nains de 10 grammes. Deux espèces de cette famille habitent la Guyane : l’écureuil nain (Sciurillus pusillus) et l’écureuil des Guyane (Sciurus aestuans). Tous deux ressemblent à l’idée qu’on se fait des écureuils : élancés, le museau court, les oreilles rondes, une longue queue en panache. Ils ont une morphologie de grimpeur d’arbre : les articulations des poignets et chevilles, notamment, sont très flexibles et mobiles. Le pied postérieur est ainsi bien plaqué contre le tronc lors des descentes d’arbres la tête en avant. Néanmoins, ils présentent de grandes différences qui illustrent bien deux types de stratégies choisies pour la vie arboricole.

▼Un écureuil nain est en train d'écorcer une branche en fines lamelles.

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L’écureuil nain est le plus petit écureuil d’Amérique du sud (20 à 25 cm de longueur, queue comprise, pour 40 grammes). Commun en forêt primaire, il est souvent repéré à l’oreille : une série de cris très aigus, secs, légèrement descendants. L’observer du sol reste difficile, il passe l’essentiel de son temps en canopée. D’en haut, sa rencontre est fréquente. Le coin de l’œil accroche une présence, un mouvement vif, parfois semblable au déplacement d’un oiseau en quête de nourriture, à la chasse d’un insectivore. Mais disparu derrière un tronc, il réapparaît plus haut. Il progresse par saccades, court le long d’une branche pour rejoindre l’arbre voisin d’un petit saut. Encore une ascension rapide contre un tronc et le voilà sur son chantier : une branche du houppier dont l’écorce est patiemment lacérée en fins lambeaux. Toutes les demi-heures il revient là, travaille un moment puis rassemble les lamelles d’écorce en une boule qu’il emporte dans sa bouche. Elles sont accumulées dans un trou d’arbre ou une fourche, soit pour son nid, soit comme réserve de nourriture. Les observations de ce comportement sont encore trop rares et imprécises pour en connaître la finalité. Parfois, il est vu en train de se nourrir. D’un comportement proche des écureuils nains africains et asiatiques, il peut être qualifié de glaneur d’écorce. Il se déplace le long des branches qu’il ronge. Mais son alimentation précise n’est pas très claire : l’écorce, le cambium, la sève, la résine, des mousses et lichens ? Une association avec des arbres de la famille des Mimosacées (Parkia) a été décrite au Pérou et observée ponctuellement en Guyane (sur Balizia pedicellaris notamment) : l’écureuil nain se nourrirait de la gomme suintant de l’écorce rongée. Cet écureuil semble en tout cas ne jamais se nourrir d’aliments durs, noix ou amandes.


▲Un écureuil nain lors d’une phase de grimpe sur griffe typique de l’espèce, le long d’une branche verticale Une saison en

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