We Demain Initiative - Entrepreneurs d'Avenir

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ENTREPRENEURS D’AVENIR

CES RÉSEAUX QUI FONT BOUGER LE MONDE


Être responsable, c’est encourager aujourd’hui les projets pour demain. Près de 700 entrepreneurs d’avenir participent à une dynamique inédite en France. Ces dirigeants, toujours plus nombreux, sont de véritables pionniers d’un nouveau modèle de croissance qui conjugue la performance économique et la responsabilité sociétale. Lancé en 2009 à l’Assemblée nationale lors d’un premier Parlement, ce mouvement soutenu par Generali rassemble aujourd’hui une vingtaine de groupes de réflexion qui se sont formés dans 11 métropoles régionales. Ces entrepreneurs d’avenir prolongent aussi leurs échanges sur une plate-forme web 2.0. Les 5 et 6 novembre 2013, c’est au Conseil Économique Social et Environnemental qu’ils se retrouveront lors du prochain Parlement national pour continuer de faire avancer leurs idées sur une nouvelle façon d’entreprendre.

© Getty, Corbis

www.entrepreneursdavenir.com


SOMMAIRE

CES RÉSEAUX QUI FONT BOUGER LES LIGNES

P. 6 GENERALI FRANCE Le regard de Claude Tendil, président de la compagnie d’assurance. P. 8 L’ENTREPRISE A LES SOLUTIONS Une nouvelle gouvernance annonce un autre développement qui concilie performance et bien commun. P. 14 LE TOUR DE FRANCE DES SCOP Le photographe Jean-Robert Dantou met en image le modèle coopératif. P. 20 L’ÉCODESIGN SELON FERRARI L’entrepreneur Serge Ferrari développe un modèle de matériaux écoconçus. P. 22 GROUPE MILLET Fabrice Millet a fait de son entreprise de menuiserie un modèle fort et reconnu de développement durable. P. 24 CHARLES-BENOÎT HEIDSIECK Entretien avec le président de l’association Le Rameau, qui rapproche associations et entreprises. P. 26 CLUB GÉNÉRATION RESPONSABLE Jocelyne Leporatti raconte les origines de son engagement pour un commerce organisé durable. P. 28 L’OCCITANE Ce fleuron de la cosmétique implique ses équipes dans sa démarche durable. P. 30 MAISONS DU MONDE Traçabilité et transparence sont au cœur du développement de cette enseigne de meubles et de décoration.

© PHOTO DE COUVERTURE : JEAN-ROBERT DANTOU/CG SCOP/PICTURETANK

Il y a peu, les associations et les entreprises ne communiquaient pas ensemble. Voire se tournaient le dos, se jetant des regards un tantinet méprisants. Cette ère n’a plus cours. Ceux qui n’en ont pas encore pris conscience ont d’ores et déjà manqué le train de l’histoire. La crise a imposé un nouveau rythme. Les modèles économiques ne sont plus ceux d’hier. La rentabilité financière n’est plus l’objectif final, mais une condition de la réussite globale de l’entreprise. L’humain est replacé au centre du projet entrepreneurial. La responsabilité sociétale des entreprises conduit le business model. Deux logiques du capitalisme cohabitent désormais. Et croire que l’entrepreneuriat social est une démarche qui demeurera à la marge est un leurre. Partout dans le monde, et particulièrement en France, l’élan se déploie à tous les niveaux de l’économie. Contraints par la loi ou emportés par quelques esprits éclairés en interne, les groupes du CAC 40 intègrent dans leur stratégie la nécessité de contribuer au bien commun. Dans les PME, les TPI, mais aussi sur le formidable terreau des entreprises de taille intermédiaire (ETI), les énergies se mobilisent et les stratégies s’affinent pour créer une nouvelle dynamique positive. Ce n’est pas une simple lubie, un effet de mode, mais une nécessité pour tous les visionnaires qui réfléchissent à long terme. Face à la montée des inégalités, aux risques environnementaux, à la raréfaction des bienfaits de la nature, mais aussi aux exigences des jeunes générations, les entreprises se doivent d’être exemplaires si elles ne veulent pas risquer de voir leurs affaires s’effondrer. Loin de demeurer isolés, les entrepreneurs se retrouvent au sein des réseaux pour se soutenir et partager leur vision de l’économie. Qu’il s’agisse du réseau des Entrepreneurs d’avenir, qui se réunit à Paris au Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans le cadre de son 3e Parlement, les 5 et 6 novembre 2013 ; ou de celui des enseignes qui se regroupent au sein du Club Génération responsable, les acteurs du changement dialoguent, échangent et coopèrent. Leurs actions sont concrètes, constructives. Ensemble, ces réseaux font bouger les lignes. Ensemble, ils bâtissent aujourd’hui la nouvelle économie. Le monde de demain. Isabelle Lefort

P. 5 « LES SUCCÈS D’HIER NE SONT PAS CEUX DE DEMAIN » Interview de Jacques Huybrechts, président des Entrepreneurs d’avenir.

P. 32 HANDISHARE La diversité est une force pour cette entreprise performante de services tertiaires, qui emploie des handicapés. P. 34 SHAMENGO La journaliste Catherine Berthillet s’impose en porte-voix des pionniers. P. 36 QUEL AVENIR POUR L’HOMME ? Interview croisée d’Hubert Reeves et Jean-Louis Étienne sur le nécessaire équilibre entre l’homme et la planète. P. 42 BODY NATURE Écologie et humanisme, deux atouts pour cette entreprise pionnière du bio. P. 44 A LITTLE MARKET Une start-up au succès fulgurant qui revitalise l’artisanat créatif made in France. P. 46 MADE IN ROMANS Le groupe Archer relance la fabrication solidaire de chaussures à Romans. P. 48 LA GENTILLESSE, UNE ÉTHIQUE Emmanuel Jaffelin, philosophe, réhabilite la gentillesse dans la société et l’entreprise.

WE DEMAIN INITIATIVE ÉDITEURS : François Siegel, Jean-Dominique Siegel RÉDACTEUR EN CHEF : Isabelle Lefort DIRECTEUR ARTISTIQUE : Émilien Guillon RÉDACTRICE EN CHEF PHOTO : Debora Altman SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : Emmanuel Mangin INTERVIEWS, ENQUÊTES, REPORTAGES : Côme Bastin, Lysiane J. Baudu, Jean-Robert Dantou, Claire Dupré, Hélène Martinez, Armelle Oger, Ariane Puccini, Pascal de Rauglaudre MAQUETTE ET PRÉPRESSE : Victor Mourain CHEF DE FABRICATION : Diane Mourareau

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« LES SUCCÈS D’HIER NE SONT PAS CEUX DE DEMAIN » Interview : Isabelle Lefort

— POUR SA TROISIÈME ÉDITION, LE PARLEMENT DES ENTREPRENEURS D’AVENIR SE RÉUNIT LES 5 ET 6 NOVEMBRE 2013 AU CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL. JACQUES HUYBRECHTS, SON PRÉSIDENT, EN EST PERSUADÉ : LE TEMPS DES SOLUTIONS EST VENU. —

JACQUES HUYBRECHTS EST PRÉSIDENT FONDATEUR DU RÉSEAU ENTREPRENEURS D’AVENIR, QUI RÉUNIT 660 ENTREPRISES.

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Organisateurs de la Cité de la réussite, avec notre groupe CHK, nous avons lancé en juin 2009 le Parlement des Entrepreneurs d’avenir. Désormais, 660 dirigeants ont rejoint ce réseau. Notre conviction ? L’humain doit être au cœur de l’entreprise. Le Parlement est un lieu d’échanges, de débats, de propositions, d’actions et de réflexions pour les entreprises qui font vivre en leur sein la responsabilité économique, environnementale et sociétale. Le futur est plus que jamais porteur d’innovations positives. L’entreprise doit être un acteur majeur du changement. Car l’acte d’entreprendre dépasse largement son unique expression financière. Le Parlement réunit les chefs d’entreprise qui partagent ces valeurs. Nous avons créé ce réseau afin de permettre aux uns et aux autres de s’identifier, de se connaître pour échanger sur leurs pratiques et réfléchir ensemble pour mieux entreprendre. Avec cette troisième édition, on l’a bien senti lors de sa préparation, l’élan est perceptible chez tous. Les entreprises aujourd’hui possèdent les solutions pour sortir de la crise et bâtir une économie qui bénéficie à tous,

© HERVÉ THOUROUDE/GENERALI

PRÉSENTEZ-NOUS L’ORGANISATION DU PARLEMENT DES ENTREPRENEURS D’AVENIR. JACQUES HUYBRECHTS :


pas seulement à quelques actionnaires. Il faut polliniser les solutions. Les exposer, les faire valoir pour partager les bonnes pratiques. Au delà des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des PME-PMI, de grands groupes – comme La Poste ou Bouygues – adhèrent à la réflexion engagée. Martin Bouygues lui-même intervient au Parlement. L’alliance de start-up et de grands groupes constitue une formidable reconnaissance. Ensemble, nous pouvons construire une nouvelle politique économique et sociale. TOUT EST PARTI DE LA CRISE ? J.H. : La crise financière, économique

et sociale qui a commencé en 2008 a entraîné la nécessité de créer de nouveaux modèles. Tout a été rediscuté et redéfini. Les succès d’hier ne sont pas ceux de demain. L’époque peut être propice aux entreprises d’avenir. Nous devons repenser nos modes énergétiques et politiques. Je ne sais pas si nous sommes dans une révolution, seul le recul pourra nous le dire. Mais la transition est profonde. Et l’on remarque que, grâce à une responsabilité sociale et à une relation aux fournisseurs plus forte, les Entrepreneurs d’avenir résistent mieux. Cela ne veut pas dire qu’ils sont en dehors de la crise, mais leurs fondamentaux sont plus solides. QUI SONT LES ENTREPRENEURS D’AVENIR ? J.H. : Il y a entreprise et entreprise.

Les choix quotidiens que mène un dirigeant, qu’il s’agisse de gouvernance ou de choix stratégique, d’alliance, de management, de choix de clients ou de fournisseurs, impulsent une spirale de comportements vertueux ou non. Aujourd’hui, nous sommes des centaines d’entrepreneurs, en majorité français. Avec une grande représentation

des PME – même si les questions environnementales et sociétales commencent à intéresser des entreprises de plus grandes tailles, dont des grands groupes comme Generali, qui nous accompagne depuis le début. Celles-ci sont de plus en plus nombreuses à nous rejoindre. L’important est d’avoir la certitude que les membres qui nous rejoignent disposent d’une gouvernance maîtrisée. Car sans cela, il ne peut y avoir ni initiative, ni pérennité dans les actions menées. Si les dirigeants ne sont pas capables de négocier avec les actionnaires, il ne peut y avoir d’engagement. Si Danone mène des actions concrètes, c’est parce que les dirigeants l’ont décidé. Sur la totalité des entreprises, 85 % sont des structures classiques (SARL, etc.) et 15 % des associations ou des SCOP. Ces dernières interviennent plus généralement dans l’économie solidaire et collaborative. Les SCOP représentent de 3 % à 4 % du réseau, mais c’est un type d’entreprise qui nous intéresse. Depuis 2001, même les entreprises du CAC 40 ont de plus en plus de comptes à rendre sur les questions d’environnement. Les groupes sont notés par des agences de notation et des investisseurs qui attendent une visibilité sur les risques environnementaux. Et cela concerne la totalité de la chaîne, aussi bien les commanditaires que les fournisseurs. QUELLE EST LA DIFFÉRENCE ENTRE UNE ENTREPRISE D’AVENIR ET UNE AUTRE ENTREPRISE ? J.H. : Tout dépend où l’on place

le curseur social et environnemental. S’il est au cœur du modèle, c’est une entreprise d’avenir. S’il est à la périphérie, ce qui est l’attitude encore majoritaire, alors non. Nombre d’entrepreneurs et d’actionnaires pensent encore que l’entreprise a pour unique objectif

« DEPUIS 2001, MÊME LES ENTREPRISES DU CAC 40 ONT DE PLUS EN PLUS DE COMPTES À RENDRE SUR LES QUESTIONS D’ENVIRONNEMENT. LES GROUPES SONT NOTÉS PAR DES AGENCES DE NOTATION ET DES INVESTISSEURS QUI ATTENDENT UNE VISIBILITÉ SUR LES RISQUES ENVIRONNEMENTAUX. »

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de faire des profits. Nous croyons à un autre modèle qui, bien sûr, repose sur la rentabilité. Mais pas uniquement, puisque nous pensons que tout peut fonctionner ensemble : la santé financière au même titre que le social et l’environnement. Si on partage plus de valeurs créées, on enregistre de facto moins de résultats. Si Apple partageait plus avec les ouvriers chinois, ses résultats financiers seraient moindres. Mais quel bénéfice reviendrait à la société ! À l’étranger, une entreprise comme Patagonia est dirigée par un entrepreneur visionnaire. En Suisse, Switcher est dirigée par Robin Cornelius, qui travaille dans le textile. Leur parcours sont exemplaires. EST-CE UNE SIMPLE QUESTION DE GÉNÉRATION ? J.H. : J’espère que la génération Y

va mieux intégrer encore ces questions. Nous avons réalisé une première étude avec le magazine L’Étudiant pour déterminer quelles universités et écoles de commerce et d’ingénieurs les appliquent – que ce soit dans leur enseignement, la recherche ou encore la gouvernance. Certaines écoles progressent, d’autres n’ont pas répondu. Le mouvement de progrès est réel, mais il faudrait qu’il devienne central. Or, pour beaucoup, comme dans la majeure partie des entreprises, c’est encore annexe. Si demain les entreprises changent leur manière de voir, adoptent des comportements plus humanistes, plus soucieux des enjeux environnementaux, les universités et les écoles suivront. C’est un sujet important pour nous, un sujet sur lequel nous allons continuer à travailler. Nous invitons d’ailleurs tous les directeurs d’université au Parlement 2013. VOTRE ORGANISATION EST FRANÇAISE. AVEZ-VOUS DES AMBITIONS PLUS LARGES ? J.H. : Ailleurs en Europe, il existe

des organisations un peu différentes. Notre objectif est clair : nous souhaitons faire converger les entrepreneurs. Le plus d’entrepreneurs possible. Notre vœu le plus cher est d’atteindre cet objectif d’ici à 2014 ou 2015 avec – pourquoi pas ? – une présence au Parlement européen. X 5


CLAUDE TENDIL EST PRÉSIDENT DE L’ASSUREUR GENERALI FRANCE DEPUIS 2002.

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« LES RISQUES CHANGENT D’ÉCHELLE ET NOUS DEVONS TROUVER DE NOUVELLES SOLUTIONS » Interview : Claire Dupré

— GENERALI FRANCE SOUTIENT ACTIVEMENT LES ENTREPRENEURS RESPONSABLES. CLAUDE TENDIL, PRÉSIDENT DE GENERALI FRANCE, NOUS EN EXPLIQUE LES ENJEUX POUR LES ENTREPRISES, POUR L’ASSUREUR ET POUR LA SOCIÉTÉ. —

consommons trop de ressources, nous modifions les équilibres de la nature et du climat, nous polluons l’air, la terre, l’eau… mais aussi nos organismes. Les jouent dans la société un rôle majeur interrelations entre ces facteurs finiront qui, à mon sens, n’est pas assez valorisé. par aboutir à des cocktails sanitaires, Au-delà de leurs collaborateurs, économiques, sociaux et géopolitiques c’est l’environnement au sens large explosifs. Face à ces risques qui changent des entreprises qui est concerné d’échelle, de nouvelles solutions doivent par les politiques qu’elle conduisent. être trouvées. Je crois à la coopération Quand une PME est contrainte plus que jamais nécessaire entre tous de licencier, c’est tout un écosystème les acteurs. Et si les intérêts des États social qui est frappé : empêchent la coopération une ville, parfois une région. mondiale, de nouvelles Inversement, quand dynamiques doivent « AU-DELÀ DE LA MUTUALISATION une entreprise redistribue s’organiser localement : DES RISQUES, QUI EST L’ESSENCE MÊME une partie de la richesse entre entreprises, grandes qu’elle crée, cela profite ou petites, collectivités DE NOTRE MÉTIER D’ASSUREUR, à ses collaborateurs, territoriales, organismes NOUS DEVONS MUTUALISER ÉGALEMENT à ses parties prenantes de recherche, écoles LES BONNES PRATIQUES, LES DONNER et, au-delà, à des enjeux et universités, associations, EN EXEMPLE POUR EN INSPIRER collectifs comme la citoyens. La solution n’est solidarité ou la protection pas chez une seule catégorie DE NOUVELLES. » de l’environnement. C’est d’acteurs mais dans une multiplicité d’individus la convergence des efforts et d’agents économiques de tous pour atténuer qui bénéficient de son action les risques et les problèmes à raisonner en demi-siècle, comme par et en ont une vision positive. qui s’imposent à la collectivité. exemple dans le domaine des retraites, Surtout à un moment où les États POURQUOI GENERALI FRANCE nos engagements envers nos clients sont surendettés et ne peuvent plus SOUTIENT-ELLE CE MOUVEMENT ? portent sur plus de quarante ans… répondre à toutes les attentes ! Nous, C.T. : Les Entrepreneurs d’avenir sont assureurs, au-delà de la mutualisation QUEL REGARD PORTE L’ASSUREUR des chefs d’entreprise qui veulent des risques, qui est l’essence même QUE VOUS ÊTES SUR LES RISQUES conjuguer la performance économique de notre métier, nous devons mutualiser SOCIÉTAUX ? et la responsabilité sociétale. également les bonnes pratiques, C.T. : Nous sommes dans un moment Ils font plus attention que d’autres les donner en exemple pour en inspirer particulier de l’histoire. L’humanité aux risques que leur activité fait courir de nouvelles. Si les comportements comptera bientôt de 9 à 10 milliards à leur environnement et à ceux avec solidaires et responsables se d’individus : nous en sommes venus lesquels ils sont en relation. Pour propagent dans la société, les risques à modifier l’écosystème de la Terre. Nous seront nécessairement atténués. X nous, assureurs, ils représentent donc

© HERVÉ THOUROUDE/GENERALI

EN QUOI L’ACTION DES ENTREPRENEURS D’AVENIR EST-ELLE POSITIVE POUR LA SOCIÉTÉ ? CLAUDE TENDIL : Les entrepreneurs

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de meilleurs profils d’assurés. Nous avons tous les motifs d’encourager leurs réflexions pour propager et échanger des idées sur les nouvelles façons plus responsables d’entreprendre : elles garantissent la durabilité de leurs modèles mais aussi, indirectement, celle de la société tout entière. La durabilité, c’est forcément l’affaire de l’assurance ! Notre métier s’inscrit dans le temps long : nous sommes parmi les rares acteurs économiques

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© JEAN-ROBERT DANTOU/CG SCOP/PICTURETANK


L’ENTREPRISE A LES SOLUTIONS POUR UNE ÉCONOMIE PERFORMANTE ET HUMANISTE Côme Bastin

— À L’HEURE OÙ LES MODÈLES HÉRITÉS DU CAPITALISME DU XXE SIÈCLE S’ESSOUFLENT, DE NOUVEAUX PARADIGMES DANS LA GOUVERNANCE DES ENTREPRISES ANNONCENT UN AUTRE DÉVELOPPEMENT, OÙ L’EFFICACITÉ ET LE BIEN COMMUN VONT DE PAIR. —


JEAN-MARC BORELLO, GROUPE SOS

Chefs d’entreprise, responsables associatifs et acteurs publics sont de plus en plus nombreux à rechercher un nouveau type de croissance fondé sur une approche globale de la performance. Car en quoi suis-je performant si la montée en Bourse de mon entreprise s’appuie sur le chômage que j’ai créé en licenciant ? En quoi suis-je efficace si les marges reposent sur la destruction irrémédiable de l’environnement que j’exploite ? DIX POUR CENT DU PIB Ce Parlement veut réunir tous ceux qui croient qu’on ne peut plus séparer l’efficacité économique de son impact social et environnemental, et qui veulent travailler ensemble pour construire de nouveaux modèles et réinventer l’entrepreneuriat. La

LES CONSOMMATEURS SONT DE PLUS EN PLUS EXIGEANTS ET LES SALARIÉS ONT BESOIN DE DONNER UN SENS À LEUR INVESTISSEMENT PROFESSIONNEL.

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© STÉPHANE DE BOURGIES/GROUPE SOS, LA POSTE

« La responsabilité sociétale de l’entreprise, c’est d’accroître ses profits », écrivait l’économiste Milton Friedman en 1970. Plus de quarante ans après, la crise économique, sociale et environnementale à laquelle, comme la plupart des pays développés, nous faisons face est la conséquence directe de cette logique néolibérale. Où est l’erreur ? Dans le fait de considérer l’entreprise comme une entité coupée de son écosystème, du capital humain qu’elle emploie, du monde social qu’elle impacte, de l’environnement avec lequel elle interfère ; de percevoir le profit immédiat comme fin unique de toute organisation économique ; de penser que l’entrepreneur n’agit que pour rendre des comptes à ses actionnaires. Ce paradigme est aujourd’hui dépassé. Et ce 3e Parlement des Entrepreneurs d’avenir le montre, ce sont les acteurs de l’économie eux-mêmes qui en donnent la preuve.

« NOUS REPRENONS DES ENTREPRISES TRADITIONNELLES QUI N’ARRIVENT PLUS À VIVRE DE LEUR ANCIEN “BUSINESS MODEL”. NOUS RÉINVENTONS LEUR MODÈLE ÉCONOMIQUE ET FORMONS LES SALARIÉS, SAUVONS DES EMPLOIS. »

tâche est immense. Mais le mouvement est d’ores et déjà en marche. Embryonnaire, l’économie sociale et solidaire ? Elle pèse déjà pour 10 % de l’emploi et 10 % du PIB français. L’insolente vitalité du groupe SOS en est l’illustration la plus frappante. « Small is beautiful, c’est terminé », explique son délégué général, Jean-Marc Borello. Avec 300 établissements et 10 000 salariés, SOS a réussi à entrer dans la cour des grands. « Aucun secteur ne nous est interdit, explique Jean-Marc Borello. Nous reprenons des entreprises traditionnelles qui n’arrivent plus à vivre de leur ancien business model. Nous sauvons des emplois, ce qui fait économiser à la collectivité et préserve les salariés de l’exclusion. Par la suite, nous réinventons leur modèle économique et formons les salariés. Dans le bâtiment, nous nous tournons par exemple vers l’écoconstruction. C’est bon pour la planète, et c’est un marché pour l’entreprise. En prime, cela permet de réinsérer des gens éloignés du marché du travail. » Pour ce « serial entrepreneur » social, le dynamisme du secteur s’explique très simplement : « En intégrant les coûts sociaux et environnementaux de son activité, c’est le modèle de l’économie sociale et solidaire qui est le plus performant. » Parmi ses autres principes : des écarts de salaires réduits, une forte propension à réinvestir les profits dans la structure et une


© F.DAVID/VOYAGEURS DU MONDE

gouvernance libérée du joug courttermiste des actionnaires. Un modèle qui a permis au secteur de croître en période de crise. Le projet de loi sur l’économie sociale et solidaire du ministre Benoît Hamon sera présenté en novembre au Sénat. Il devrait permettre de définir le périmètre légal de cette nébuleuse, de le dynamiser et, espère le gouvernement, de créer 100 000 emplois d’ici à 2017. RÉVOLUTION COPERNICIENNE Au-delà du secteur social et solidaire, c’est l’économie toute entière qui doit accomplir une révolution copernicienne. Jean-Marc Borello le résume très bien : « Les statuts seuls ne font pas la vertu. Commerciale, associative, coopérative, la forme importe peu. Ce qui compte, c’est d’intégrer les externalités positives et négatives de nos activités dans un nouveau paradigme économique. » Impact carbone, retour social sur investissement (SROI) : les indicateurs existent et les grands groupes commencent à s’en emparer. Car les consommateurs sont de plus en plus exigeants sur les conditions de production de ce qu’ils achètent, et les salariés ont besoin de donner un sens à leur investissement professionnel. Par souci d’image et d’attractivité, pour motiver leurs employés et satisfaire leurs clients, « les grandes entreprises commencent donc à devenir raisonnables ; elles n’ont pas le choix. » « La RSE [responsabilité sociétale des entreprises, ndlr] est devenue un vrai métier, qui demande des moyens, des connaissances et du temps : c’est un bouleversement des modes

« LA RSE EST DEVENUE UN VRAI MÉTIER, QUI DEMANDE DES MOYENS, DES CONNAISSANCES ET DU TEMPS : C’EST UN BOULEVERSEMENT DES MODES DE TRAVAIL. » CHRISTINE BARGAIN, LA POSTE

de travail, qui conduit à revisiter tous les process des ressources humaines, à former les managers, à instaurer de nouveaux critères dans la gestion de la performance et à s’ouvrir aux enjeux sociétaux », explique Christine Bargain, directrice de la RSE du groupe La Poste. Un revirement qui n’est pas uniquement motivé par des considérations d’ordre pragmatique. Pour Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du monde, ce sont les dirigeants eux-mêmes qui sont en train de changer leur conception de l’efficacité économique. « Dans une société de plus en plus tournée vers le service, il y a une prise de conscience de l’importance du capital humain. Et l’humain, ça ne se motive pas par décret. Par ailleurs, les enjeux écologiques ont désormais investi la société civile. Les dirigeants d’entreprise y sont donc de plus en plus sensibles. » Cette nouvelle génération de dirigeants, Jean-François Rial en est l’incarnation. Après un passage par l’institut de statistique de l’université

« LES ENJEUX HUMAINS ET ÉCOLOGIQUES ONT DÉSORMAIS INVESTI LA SOCIÉTÉ CIVILE. LES DIRIGEANTS D’ENTREPRISE Y SONT DE PLUS EN PLUS SENSIBLES. » JEAN-FRANÇOIS RIAL, VOYAGEURS DU MONDE

Paris-VI, il débute une carrière classique dans l’évaluation des risques financiers. Directeur général à 25 ans, ce voyageur insatiable ne s’épanouit pas dans son travail. En 1991, il change radicalement de vie et rachète Voyageurs du monde avec quatre amis. Il en fait une entreprise citoyenne, fer de lance d’un tourisme plus responsable, soucieux de préserver les sites et d’impacter positivement l’économie de son pays d’accueil. Il en fait aussi et surtout l’entreprise la plus transparente et l’une des plus rentables du secteur touristique, tout en motivant ses salariés avec une généreuse politique de redistribution des bénéfices. Une preuve de plus qu’humanisme et efficacité économique peuvent faire bon ménage. 11


SYNERGIE DES ACTEURS Voiture & Co fait la démonstration que la coconstruction n’est pas qu’un terme à la mode. Pouvoirs publics, entreprises classiques, sociales, et associations sont appelés à collaborer pour imaginer de nouvelles façons de répondre aux besoins sociaux. « Nous vivons dans un monde en crise depuis une décennie. Au-delà

« L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE PORTE DES SOLUTIONS. LES ASSOCIATIONS SONT FORCE D’INNOVATION, ET LES ENTREPRISES LEUR PERMETTENT DE CHANGER D’ÉCHELLE. » FLORENCE GILBERT, VOITURE & CO

de l’urgence, c’est un défi que de réinventer un nouveau modèle économique. L’économie sociale et solidaire porte des solutions. Les associations sont force d’innovation, et les entreprises leur permettent de changer d’échelle. Mais cela, les associations peinent encore à le réaliser. » Fondateur et président du Rayonnement des associations par le mécénat d’entreprises, d’administrations et d’universités (Rameau), Charles-Benoît Heidsieck milite depuis maintenant sept ans pour le développement de la synergie des acteurs [voir page 24]. Car pendant que l’association apporte innovation et connaissance du

terrain, l’entreprise démultiplie sa force de frappe et la portée de son message. « Le secteur associatif fait face à une mutation. Les pouvoirs publics diminuent leur soutien financier. Les bénévoles et donateurs sont plus intermittents. Là où les militants restaient autrefois fidèles à la même organisation pendant vingt ans, l’individu moderne pratique un engagement “à la carte”. Face à cette baisse des ressources humaines et économiques, les associations doivent revoir leur modèle économique et s’ouvrir au monde de l’entreprise. » Cette nouvelle économie doit s’appuyer sur une nouvelle finance. Une finance délivrée des impératifs de rentabilité immédiate et d’une vision étriquée de la performance économique. La aussi, les choses évoluent. Il y a, bien sûr, l’essor spectaculaire de l’investissement socialement responsable. En intégrant des critères

« FACE À LA BAISSE DES RESSOURCES HUMAINES ET ÉCONOMIQUES, LES ASSOCIATIONS DOIVENT REVOIR LEUR MODÈLE ET S’OUVRIR À L’ENTREPRISE. » CHARLES-BENOÎT HEIDSIECK, LE RAMEAU

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© LE RAMEAU, VOITURE & CO

Parce que le manque de transports handicape 20 % de la population active, le dispositif Bougez vers l’emploi ! est aujourd’hui le cœur de métier de Voiture & Co. Membre du groupe SOS, cette association travaille depuis quinze ans sur la mobilité des publics fragiles. Elle conseille les collectivités sur leurs offres de transports et les compléments nécessaires. Elle agit aussi comme prestataire pour les publics en difficulté, à travers des actions d’information, d’aide à l’obtention du permis de conduire, de location de véhicules à prix subventionnés. En 2012, plus de 10 000 personnes en ont bénéficié. Mille ont pu trouver un travail. Un dispositif solidaire, mais pas seulement. Voiture & Co génère une plus-value financière importante. En une année, pour 4 millions d’euros investis, les collectivités locales ont économisé 20 millions d’euros. Les grandes entreprises ne sont pas en reste. Renault a mis en place des garages solidaires qui permettent d’offrir des services d’entretien automobile à prix coûtant ; et la Macif a apporté son soutien financier. Directrice de l’association, Florence Gilbert, explique : « Nos services de mobilité durable et solidaire se font grâce et avec nos partenaires, qu’il s’agisse de l’État, d’acteurs privés ou de terrain (Pôle emploi, missions locales). Nous effectuons avec eux un travail de fond sans lequel rien ne serait possible ».


DEPUIS LA CRISE BANCAIRE DE 2008, L’INVESTISSEMENT SOCIALEMENT RESPONSABLE A PROGRESSÉ. IL AURAIT TRIPLÉ EN FRANCE DE 2009 À 2012, PASSANT DE 50 MILLIARDS À 150 MILLIARDS D’EUROS.

© KISSKISSBANKBANK

dits « extrafinanciers » dans leurs choix, comme le social, l’environnemental ou la gouvernance, les investisseurs ne font pas que réinjecter de l’éthique dans la machine économique. Ils ouvrent aussi des possibilités de financement à des projets laissés pour compte par les circuits classiques. Ils s’assurent également d’un rendement à long terme bien plus solide. « CROWDFUNDING » La preuve : depuis la crise bancaire de 2008, déclenchée par les actifs toxiques, l’investissement socialement responsable (ISR) a progressé. Les assureurs, les caisses de retraites et même les banques sont de plus en plus friands de cet actif refuge plus proche de l’économie réelle et moins soumis aux aléas d’une finance déréglée. Selon Novethic, centre de recherche sur l’ISR et la RSE, filiale de la Caisse des dépôts, l’ISR aurait triplé en France de 2009 à 2012, passant de 50 milliards à 150 milliards d’euros. Il représente maintenant 30 % de l’épargne salariale. Il y aussi l’essor du financement participatif, dit crowdfunding. Vincent Ricordeau, cofondateur et directeur de la plateforme française Kisskissbanbank, avoue lui-même avoir été surpris par son succès. « Au départ, l’idée était de faire connaître des artistes qui n’arrivaient pas à émerger avec les circuits de financement traditionnels. Mais après une première année timide, nous avons connu 300 % de croissance par an ! » Aujourd’hui leader européen, Kisskissbankbank accompagne toutes sortes de projets créatifs indépendants, mais aussi des start-up innovantes. Les internautes ont déjà donné près de 9 millions d’euros, parfois sans contrepartie. « Ce type de financement permet de renouer avec les fondamentaux de notre humanité que sont l’empathie et le partage, sentiments étouffés par WE DEMAIN INITIATIVE

la société violente et individualiste dans laquelle nous évoluons », explique Vincent Ricordeau. Tant pis pour le modèle Homo œconomicus : il est possible d’imaginer une nouvelle économie qui n’ait pas comme seul moteur la recherche du profit personnel. « Deux révolutions industrielles nous ont rendus cupides, insiste le directeur. Le crowdfunding et l’économie du partage préfigurent un nouveau mode d’organisation sociale qui attend de prendre son envol. » Nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre. L’étymologie grecque du mot économie est « administration d’un foyer ». On peut affirmer sans ambages que notre foyer a été bien mal administré. La facture du réchauffement climatique dépasse largement les économies réalisées en retardant les décisions qui s’imposent. Le coût de la pauvreté pour la collectivité est sans commune mesure avec les euros économisés en précarisant le travail.

dans une famille ou l’on est entrepreneur depuis plusieurs siècles ; je n’en connais aucun qui se soit fixé comme but unique de gagner de l’argent. Être entrepreneur, c’est se mettre en capacité d’apporter des biens et des services qui répondent aux besoins des citoyens. » « Et si l’entreprise avait les solutions ? » Cette année, le Parlement des Entrepreneurs d’avenir nous invite justement à repenser le rôle des entrepreneurs. Économie sociale, responsabilité sociale des entreprises, coconstruction entre les acteurs, finance responsable ou participative… Les jalons sont posés pour un nouveau paradigme. Le choix entre réussite de l’entreprise et bien commun est une illusion d’optique. Que cette rencontre soit l’occasion de nous en délivrer et de cheminer vers une économie plus positive. Une économie qui conjugue efficacité et humanisme pour une performance globale construite avec tous ceux qui entreprennent pour l’avenir. X

SOLUTIONS Il n’en a pas toujours été ainsi. « On a confondu économie et financiarisation, explique Charles-Benoît Heidsieck. J’ai grandi

« LE “CROWDFUNDING” PERMET DE RENOUER AVEC L’EMPATHIE ET LE PARTAGE, SENTIMENTS ÉTOUFFÉS PAR LA SOCIÉTÉ VIOLENTE ET INDIVIDUALISTE DANS LAQUELLE NOUS ÉVOLUONS. » VINCENT RICORDEAU, KISSKISSBANBANK

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JURATRI, À LONS-LE-SAUNIER (JURA), EST MEMBRE D’ENTREPRENEURS D’AVENIR. DANS UNE RÉGION À FORTE TRADITION COOPÉRATIVE, CETTE SCOP EST NÉE EN 2006 DE LA REPRISE DE LA SARL ÉPONYME. ELLE VALORISE LES DÉCHETS GÉNÉRÉS DANS UN RAYON DE 150 KM AUTOUR DE LONS-LE-SAUNIER. FORTE DE 38 ASSOCIÉS, ELLE FAVORISE L’INSERTION SOCIALE : 65 DE SES 135 SALARIÉS S’INSCRIVENT DANS UN PARCOURS DE REQUALIFICATION PROFESSIONNELLE. 14


LE TOUR DE FRANCE DES SCOP

Photographies : Jean-Robert Dantou/CG SCOP/Picturetank

— LE PHOTOGRAPHE ET SOCIOLOGUE JEAN-ROBERT DANTOU, PASSIONNÉ PAR LE MONDE DU TRAVAIL, EST PARTI À LA RENCONTRE DE CES ENTREPRISES QUI, DE LA LORRAINE AU PAYS BASQUE, JOUENT LA CARTE COOPÉRATIVE. —

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LOREKI, ITXASSOU (PYRÉNÉESATLANTIQUES). EN JUILLET 1985, QUATRE JEUNES, MOTIVÉS PAR LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT, L’ÉCONOMIE SOCIALE ET LE DÉVELOPPEMENT LOCAL FONDENT LOREKI POUR VALORISER DES RESSOURCES ORGANIQUES INEXPLOITÉES AU PAYS BASQUE. LOREKI PRODUIT DES TERREAUX, PAILLAGES ET AMENDEMENTS POUR L’HORTICULTURE, LES PÉPINIÈRES ET LES ESPACES VERTS DE LA RÉGION.

DYNAMIQUE HYDRO, SAINT-DIDIERAU-MONT-D’OR (RHÔNE). CE BUREAU D’ÉTUDES CRÉÉ EN 2004 PAR DEUX JEUNES GÉOGRAPHES EST SPÉCIALISÉ EN DYNAMIQUE FLUVIALE. AVEC SES ONZE SALARIÉS, LA SCOP AIDE LES COLLECTIVITÉS PUBLIQUES À VALORISER LES COURS D’EAU DANS L’AMÉNAGEMENT DES TERRITOIRES. 16


LE TEMPS DES CERISES, PARIS (ÎLE-DE-FRANCE). HÉRITAGE D’UN LIEU ALTERNATIF CRÉÉ EN 1976 PAR UNE BANDE D’AMIS DANS LA FOULÉE DES RÊVES DE 1968, CE RESTAURANT TOUJOURS PLEIN DE LA BUTTE-AUXCAILLES, DANS LE 13E ARRONDISSEMENT DE PARIS, ARBORE SUR SA DEVANTURE LIE-DE-VIN L’INSCRIPTION « SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE OUVRIÈRE DE PRODUCTION ».

ATALANTE PRODUCTIONS, CLERMONT-FERRAND (PUY-DE-DÔME). CINQ SALARIÉS ASSOCIÉS FONT TOURNER CETTE SOCIÉTÉ DE PRODUCTION AUDIOVISUELLE FONDÉE EN 1992. UNE SCOP QUI S’EST FAIT CONNAÎTRE D’ABORD DANS SA RÉGION, PUIS DANS TOUT L’HEXAGONE POUR LA QUALITÉ DE SES RÉALISATIONS. WE DEMAIN INITIATIVE

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LA PLANTULÀ BIOCOOP, PRADES (PYRÉNÉES-ORIENTALES). MEMBRE DE BIOCOOP, RÉSEAU PIONNIER EN MATIÈRE DE COMMERCE D’ALIMENTATION BIOLOGIQUE, LA PLANTULÀ, À QUELQUES KILOMÈTRES DU PIC DU CANIGOU, FAIT VIVRE 16 SALARIÉS DONT 13 ASSOCIÉS. DES COMMERÇANTS MILITANTS.

GROUPE CHÈQUE DÉJEUNER, GENNEVILLIERS (HAUTS-DE-SEINE). SCOP CRÉÉE EN 1964 PAR UN SYNDICALISTE SOUCIEUX D’OFFRIR AUX SALARIÉS UNE VRAIE PAUSE DÉJEUNER GRÂCE À UN TITRE DE PAIEMENT ABONDÉ PAR L’EMPLOYEUR, LE GROUPE EST AUJOURD’HUI LE NO 3 MONDIAL DE L’ÉMISSION DE TITRES À VOCATION SOCIALE.

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ÉTHIQUABLE, À FLEURANCE (GERS), EST MEMBRE D’ENTREPRENEURS D’AVENIR. L’UN DES LEADERS FRANÇAIS DU COMMERCE ÉQUITABLE COMPTE 62 SALARIÉS DONT 55 ASSOCIÉS. « JE SUIS AUTANT LE PATRON QUE DANS UNE AUTRE SOCIÉTÉ, CONFIE RÉMI ROUX. SIMPLEMENT, JE DOIS RENDRE DES COMPTES NON PAS À DES ACTIONNAIRES EXTÉRIEURS, MAIS À DES SALARIÉS, COMME JE LE SUIS MOI-MÊME. »

WE DEMAIN INITIATIVE

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SERGE FERRARI CHAMPION DE L’INNOVATION Isabelle Lefort

ROMAIN FERRARI EST DIRECTEUR GÉNÉRAL DU GROUPE SERGE FERRARI.

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Depuis 1973, le groupe Serge Ferrari, installé dans le bassin du textile, à quarante minutes de Lyon, connaît une croissance exemplaire. C’est Serge Ferrari, le père des dirigeants actuels – Sébastien, le président, et Romain, le directeur général – qui a inventé les membranes textiles composites constituées d’une armature tissée en microcâbles recouverte par enduction de plusieurs couches de polymère haute performance. Une technique qui consiste à réaliser l’enduction sous tension, qui confère aux textiles une stabilité dimensionnelle et une résistance exceptionnelles, et qui a fait l’objet du dépôt de la marque Précontraint Ferrari. Chaque année, l’entreprise de La Tour-du-Pin, en Isère, produit 25 000 tonnes de textiles enduits et de composites souples. Forte d’une vingtaine de brevets actifs, elle est à même de répondre aux plus grands défis techniques lancés dans le monde entier. Ces textiles sophistiqués, hautement résistants aux intempéries, recouvrent toutes sortes de bâtiments, y compris des équipements sportifs. Après avoir

© SERGE FERRARI

— CHAMPIONNE DES MEMBRANES COMPOSITES SOUPLES, LA SOCIÉTÉ SERGE FERRARI, IMPLANTÉE DANS L’ISÈRE, FÊTE CETTE ANNÉE SES 40 ANS D’INNOVATION. AUJOURD’HUI, ELLE PEUT RECYCLER 100 % DE SES PRODUITS ET ÉTENDRE SES TOILES D’UN BOUT À L’AUTRE DE LA PLANÈTE. —


fait ses preuves en 2000 aux Jeux olympiques de Sydney, Serge Ferrari a fourni l’an dernier 80 % des toiles composites pour les toitures, bardages et autres éléments des installations des Jeux de Londres. Du vélodrome au stade officiel en passant par le centre nautique. Le stade olympique de Londres, équipé de la membrane Précontraint Ferrari, est considéré à ce jour comme le stade le plus écologique de l’histoire des Jeux olympiques. Il a reçu le prix Award of the most sustainable stadium décerné par le World Stadium Congress 2012.

© SERGE FERRARI

BÂCHES TOUT-TERRAIN En 2010, lors de l’exposition universelle de Shanghai, l’entreprise a signé l’équipement de quatorze pavillons, dont celui du Mexique, constitué d’une forêt de cerfs-volants. Le 22 septembre dernier, c’est au stade Allianz Arena de Nice qu’elle a déployé sa nouvelle membrane composite translucide qui assure le confort des spectateurs grâce à une lumière naturelle diffuse. Cent pour cent recyclables, les 13 600 m2, réalisés à la demande de l’architecte Jean-Michel Wilmotte, servent d’écran sonore des très hautes fréquences. À Paris, au dessus du parc André-Citroën, dans le 15e arrondissement, le Ballon de Paris, rebaptisé Observatoire atmosphérique Generali, est pour sa part équipé d’une membrane photovoltaïque autoadhésive mise au point par Serge Ferrari qui permet d’afficher, avec un dispositif lumineux en LED très intenses, la qualité de l’air. DU YACHTING À L’ART Au-delà de l’architecture, le groupe étend son savoir-faire au yachting et à la décoration intérieure. Le partenariat entre Serge Ferrari et Tara Expéditions est né lors de l’aventure Tara Oceans en 2009. Cette expédition scientifique exceptionnelle lançait pour trois ans Tara, une goëlette de 36 m, explorer les mers et les océans du globe afin d’étudier le plancton et l’impact du réchauffement climatique sur la planète. Pour une WE DEMAIN INITIATIVE

« LE DÉFI POUR TOUJOURS PLUS DE LÉGÈRETÉ ET DE RÉSISTANCE CONSTITUE UN ENJEU MAJEUR POUR RÉPONDRE AUX ATTENTES DU DÉVELOPPEMENT DURABLE. »

telle expédition, Tara se devait d’être équipée de matériaux haute performance capables d’assurer une traversée longue et complexe avec de multiples variations climatiques. En 2011, c’est l’artiste Anish Kapoor qui, pour la troisième fois dans sa carrière, a fait appel à l’entreprise pour réaliser son installation à l’exposition d’art contemporain Monumenta, au Grand Palais, à Paris. Pour donner

APRÈS DIX ANS DE RECHERCHES, LE GROUPE SERGE FERRARI A MIS AU POINT UNE TECHNOLOGIE QUI LUI PERMET DE RECYCLER L’ENSEMBLE DE SES COMPOSITES ET RÉDUIRE SON IMPACT SUR L’ENVIRONNEMENT.

vie à ce Léviathan, les équipes de Ferrari se sont mobilisées autour du défi chromatique lancé par l’artiste : produire un rouge organique d’une forte densité, tout en conservant les qualités translucides du textile qui devaient permettre aux visiteurs de voir en transparence la structure architecturale. À l’extérieur, la forme occupait l’ensemble de l’espace, alors que de l’intérieur on était frappé par sa légèreté. « La membrane rouge évoquait

les battements du sang, des couleurs qui se développent et se rétractent comme une respiration colorée. La principale difficulté résidait dans l’installation et le gonflage de l’œuvre, expliquait alors Jean de Loisy, le commissaire de l’exposition. Imaginez près de 12 000 m2 de membrane d’une densité de 850 g/m2 à souder et à gonfler interdisant le moindre accroc, trou ou déchirure. » Il a fallu quatre essais industriels pour parvenir à une telle prouesse. Le défi pour toujours plus de légèreté et de résistance constitue un enjeu majeur pour le développement durable. Trente personnes s’y emploient chaque jour au service de la recherche et du développement. À la tête d’une entreprise qui réalise un chiffre d’affaires de 140 millions d’euros – dont 70 % à l’international – et qui emploie 600 collaborateurs, Sébastien et Romain Ferrari ont parfaitement conscience de l’importance de l’économie circulaire à l’avenir. Dès les années 1980-1990, pour répondre aux demandes du marché publicitaire, désireux d’installer sur des facades des bâches à courte durée de vie, génératrices potentielles de forts déchets, l’entreprise a cherché à élaborer un système de recyclage pour réduire au maximum son impact environnemental. TÉNACITÉ Depuis, Texyloop, la coentreprise créée en 2008 à Ferrare, en Italie, avec le chimiste Solvay, collecte et recycle annuellement 1 000 tonnes de membranes enduites de PVC à partir du procédé unique mis au point par la PME rhônalpine. Comme l’a expliqué Romain Ferrari au Parlement des Entrepreneurs d’avenir, « nous avons développé une technologie de A à Z qui a nécessité dix ans de recherche, cela a coûté cher. Il nous a fallu beaucoup de ténacité, mais aujourd’hui, cela nous offre un énorme avantage. Nous sommes en mesure de recycler la totalité de nos matières premières. » C’est une petite révolution en soi. Mais les frères Ferrari ne sont pas hommes à fanfaronner. Ils s’attachent à travailler. Ils n’ont pas de temps à perdre. Ils sont passionnés. Avant tout. X 21


GROUPE MILLET DES MODÈLES BIEN SOUS TOUS RAPPORTS Ariane Puccini

En 1946, Camille Millet fonde en Poitou-Charentes une petite menuiserie artisanale. En 1976, son fils, Claude, donne une dimension industrielle à la fabrication de portes d’entrée et de fenêtres. En 2002, Fabrice Millet, petit-fils du fondateur, fait entrer l’entreprise dans une nouvelle ère, celle du développement durable. C’était pour lui une condition pour reprendre les affaires familiales. Cet ébéniste, ancien compagnon du devoir, s’est formé deux ans en Allemagne dans une entreprise qui fabriquait des maisons en matériaux biochauffés, avant de vivre deux ans en Australie. Il y découvre une population sensible aux enjeux de la pollution et se forge une solide conscience écologique. De retour en France, et après une formation en école de commerce, 22

Fabrice Millet s’adresse à The Natural Step, une ONG suédoise qui accompagne et conseille les entreprises qui s’orientent vers le développement durable. Avec elle, Fabrice Millet définit les étapes du changement. « Dans le développement durable, on peut se fixer des objectifs ambitieux. Mais, confronté à la réalité, on se rend compte que ce n’est pas si simple et on abandonne », met en garde Fabrice Millet. Il faut donc progresser étape par étape. « AMÉLIORATION DE L’HABITAT » Le chef d’entreprise redéfinit avec son père la mission de l’entreprise. Au-delà de la simple fabrication de portes et de fenêtres, le groupe Millet doit « contribuer à l’amélioration de l’habitat et du cadre de vie, en respectant l’environnement tout au long du cycle

de vie du produit ». Un virage reposant sur trois principes, toujours suivis aujourd’hui : la qualité, l’innovation et l’environnementalisme. Le cadre étant posé, l’engagement de l’entreprise peut se concrétiser. Fabrice Millet commence à travailler à la réduction d’énergie, à la réduction des matériaux dans le processus de fabrication, et à la capacité de l’entreprise à recycler ses produits. « Les trois quarts de notre marché, c’est de la rénovation. Mais quand on remplace une fenêtre, que faire de l’ancienne ? » Les multiples matériaux – colle, mastic, acier, verre, bois, PVC – qui composent une fenêtre rendent le recyclage difficile : une petite ligne de démantèlement est mise en place et chaque matériau est expédié vers sa filière de recyclage. Le bois reste problématique : il faut

© GROUPE MILLET

— LE GROUPE MILLET RÉALISE AUJOURD’HUI 85 MILLIONS D’EUROS DE CHIFFRE D’AFFAIRES. L’ENTREPRISE DE MENUISERIE PEUT SE TARGUER D’ÊTRE LA SEULE À OFFRIR DES FENÊTRES ET PORTES D’ENTRÉE RESPECTUEUSES DE L’ENVIRONNEMENT. UN SUCCÈS DÛ À SON PATRON, FABRICE MILLET. —


EN ASSOCIATION AVEC UN DESIGNER ET UN ÉBÉNISTE, LE GROUPE MILLET RECYCLE DE VIEUX ENCADREMENTS DE FENÊTRE EN MEUBLES AUX LIGNES RÉTRO, COMME CE SEMAINIER (CI-CONTRE).

à de nouvelles initiatives : économie de papier, covoiturage entre salariés… Du côté des fournisseurs, Fabrice Millet n’a pas hésité à remettre en cause certaines collaborations. Celui qui n’a pas été en mesure de lui fournir un solvant moins agressif pour l’entretien d’un matériau a été écarté au profit d’une PME locale, Body Nature, totalement étrangère au secteur, mais qui a su développer le produit idéal [voir page 42]. Le concurrent éconduit a depuis développé une gamme respectueuse de l’environnement.

© GROUPE MILLET

FABRICE MILLET (PAGE DE GAUCHE) A LANCÉ DÈS 2002 LE GROUPE FAMILIAL SUR LA VOIE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE. LE NOUVEAU SIÈGE SOCIAL EST UN MODÈLE D’ÉCOCONCEPTION.

le broyer et l’agglomérer avec des colles, un processus « pas satisfaisant écologiquement » pour le jeune patron. Celui-ci finit par s’associer avec un designer et un ébéniste pour produire, à partir des encadrements de fenêtres, des meubles aux lignes rétro. Mais il ne faut pas se méprendre : « Rien ne s’est fait d’un seul coup », précise l’entrepreneur. Tout ce processus de recyclage n’a abouti qu’en 2009. Pas à pas, Fabrice Millet a su convaincre ses quelque 650 salariés de s’engager dans le développement durable. « Il y a eu un déclic, se souvientil, lorsque nous avons agrandi notre siège social. » Toiture végétalisée, puits canadien, système de récupération des eaux de pluie : le bâtiment est un modèle d’écoconception. Un acousticien a même imaginé l’open space des bureaux. « Le résultat surprend tous nos visiteurs », relève fièrement Fabrice Millet. Le groupe WE DEMAIN INITIATIVE

a reçu en 2007 le Grand Prix de la qualité de vie au bureau, ce qui lui a valu un reportage dans un journal télévisé national. « En interne, cela a marqué les esprits. Les salariés ont pris conscience qu’ils travaillaient dans une entreprise en avance sur le reste de la filière. Finalement, le siège social a matérialisé notre démarche aux yeux des salariés. » Et toute l’entreprise s’est impliquée dans le développement durable. Les idées nouvelles et les bonnes actions ont fourmillé : des groupes de travail associant ouvriers et cadres ont réfléchi

« JE VOULAIS QUE LE GROUPE PRODUISE UNE MENUISERIE 100 % RECYCLABLE. »

FAÇADES À OSSATURE BOIS Pour l’approvisionnement en bois exotique, Fabrice Millet restait perplexe lorsque son importateur lui assurait que les bois écocertifiés coûtaient 30 % plus cher. Jean-Louis Doucet, directeur du laboratoire de foresterie des régions tropicales et subtropicales (LFRTS) de l’université belge de Liège-Gembloux Agro-Bio Tech, l’emmena visiter une exploitation forestière écocertifiée au Gabon. Le groupe Millet se fournit désormais directement auprès de cette exploitation et participe depuis 2004 au financement d’un projet de renouvellement d’essences commerciales dans les trouées d’abattage au Gabon, projet mené par le LFRTS. « Notre engagement nous a ouvert les yeux sur notre capacité à évoluer dans notre métier », assure Fabrice Millet. Le groupe a ainsi lancé une nouvelle marque, Sybois, proposant des façades à ossature bois écoresponsables intégrant menuiserie et isolation. Pour autant, Fabrice Millet ne prévoit pas de se reposer sur ses lauriers : « Quand je suis arrivé dans l’entreprise, je voulais que le groupe produise, dix ans plus tard, une menuiserie 100 % recyclable et faite de matériaux 100 % respectueux de l’environnement. Nous avons aujourd’hui quelques satisfactions concernant nos réalisations, mais tenons à poursuivre sur notre lancée ! » X Le groupe Millet est membre du réseau Entrepreneurs d’avenir

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« ASSOCIATIONS ET ENTREPRISES DOIVENT TRAVAILLER MAIN DANS LA MAIN » Interview : Côme Bastin

— PRÉSIDENT-FONDATEUR DE L’ASSOCIATION LE RAMEAU, CHARLES-BENOÎT HEIDSIECK EXPLIQUE COMMENT ASSOCIATIONS ET ENTREPRISES SONT APPELÉES À RÉFLÉCHIR ENSEMBLE POUR RELEVER LES NOUVEAUX DÉFIS DE LA SOCIÉTÉ, COMME LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE. —

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© HERVÉ THOUROUDE

C.-B.H. : La précarité L’association d’intérêt général Le Rameau énergétique est un domaine « LES PARTENARIATS CONCERNENT a été fondée en mars 2006 où les coopérations 36 % DE NOS PME ET 60 % pour favoriser la création sont nombreuses. Avec d’intérêts partagés Habitat & Humanisme, GDF DES GRANDES ENTREPRISES. » entre les associations Suez a lancé Rassembleurs et les entreprises. d’énergie, un fonds solidaire Une passerelle opérationnelle qui lutte pour l’accès dont le double objectif à l’énergie dans les pays LA COOPÉRATION NE SE LIMITE DONC est d’aider les associations du Sud et contre la précarité énergétique PAS À DES PRATIQUES DE MÉCÉNAT ? à piloter leur projet de développement dans les pays du Nord. En France, C.-B.H. : Nous avons demandé et d’apporter aux entreprises les moyens 300 000 euros ont été investis dans aux dirigeants de PME, dans le cadre d’améliorer leurs actions sociétales. la foncière sociale Chênelet, qui œuvre d’une étude, pourquoi ils s’engageaient à rénover l’habitat des populations ON A TENDANCE À OPPOSER dans ces partenariats. La réponse les plus précaires, en travaillant sur ENTREPRISES ET ASSOCIATIONS, fut sans appel : pour l’innovation ! l’isolation thermique. LES PREMIÈRES POURSUIVANT L’association possède une expertise POUR SE LANCER DANS CE VASTE LEURS INTÉRÊTS PROPRES – sur l’environnement, le handicap, CHANTIER, LES ASSOCIATIONS ET DES BÉNÉFICES ÉCONOMIQUES, l’insertion – utile aux entreprises NE DOIVENT-ELLES PAS AUSSI LES SECONDES, L’INTÉRÊT GÉNÉRAL qui veulent des pratiques responsables. ET DES BÉNÉFICES SOCIAUX. Quand Renault soutient l’association SENSIBILISER LES PUBLICS ? C.-B.H. : Bon nombre de collaborations CHARLES-BENOÎT HEIDSIECK : C’est Voiture & Co [qui œuvre pour un postulat qui longtemps a structuré vont dans ce sens. Prenez Les Médiaterre, une mobilité durable et solidaire, ndlr], notre vision du contrat social en France. ce n’est pas du mécénat : la mobilité de l’association Unis-Cité : des jeunes Les sphères publiques, économiques en service civique rassemblés en task durable est un enjeu pour l’entreprise. et associatives ne communiquaient pas. force pour former à la consommation Quand La Poste, qui a 20 % de clients Depuis dix ans, cette vision a explosé. responsable et lutter contre la précarité en situation de fragilité, s’intéresse Plus qu’à une crise, nous faisons face énergétique. Ils rencontrent les publics à la précarité avec les associations, à un changement d’époque. Et face les plus fragiles pour les conseiller. ce n’est pas seulement une question à l’ampleur des enjeux économiques, Veolia a soutenu le projet sur la partie de solidarité. Elle répond aux besoins environnementaux et sociétaux, œuvrer déchets et traitement de l’eau, de ses clients en leur fournissant des chacun dans son coin, c’est dépassé. EDF sur l’énergie. Le Crédit foncier produits et services adaptés. Dès qu’il La dissension évoquée est fausse. et une dizaine de grandes entreprises y a des enjeux communs, il peut y avoir L’entreprise, c’est un acteur d’intérêt ont apporté leur soutien financier. GDF une action commune. général, parce qu’avant de partager s’est aussi appuyée sur les associations ON EST LOIN DU « SOCIAL WASHING » ! pour son programme Easy Gaz. des richesses, il faut les créer. C.-B.H. : L’association ne sert pas C’est un capital humain, des clients, Quelque 720 000 familles ont été visitées seulement à faire un « coup de com ». des fournisseurs, un territoire, pour améliorer leur bilan énergétique. Elle apporte aussi la connaissance un écosystème. L’association, Un travail possible grâce à un réseau de son territoire, de ses publics, de son de son coté, est un acteur économique. de 200 associations qui connaissent écosystème. En retour, l’entreprise Avec 70 milliards d’euros de budget les publics concernés et proposent transmet le message de l’association, et 1,4 million de salariés, le secteur des outils adaptés. Les publics précaires met à sa disposition une partie associatif français pèse environ 5,5 % ont parfois peur des entreprises. de ses ressources financières mais aussi du produit intérieur brut. L’équivalent Les associations permettent de gagner de ses compétences : communication, du secteur agroalimentaire ! leur confiance. information, comptabilité… QU’EST-CE QUE L’ENTREPRISE PARADOXALEMENT, LA MOITIÉ DES Ces partenariats ne sont plus ET L’ASSOCIATION ONT À APPRENDRE l’apanage de pionniers. Ils concernent FRANÇAIS JUGE ENCORE DE TELLES L’UNE DE L’AUTRE ? COLLABORATIONS IMPOSSIBLES. 36 % de nos PME et 60 % des grandes C.-B.H. : Le secteur associatif apporte C.-B.H. : Oui, mais 84 % de nos entreprises. La moitié des associations sa connaissance du terrain ; l’entreprise concitoyens pensent qu’il est urgent sont en partenariat avec une entreprise. permet le déploiement et l’essaimage qu’associations et entreprises C’est un mouvement de fond, d’un projet performant. Par exemple, travaillent main dans la main. qui répond aux besoins des territoires la PME alsacienne SATD, un fabricant Un mouvement est en marche pour et des personnes. d’équipements de loisirs, a fait appel rompre avec l’entreprise actionnariale DANS QUEL SECTEUR PARTICULIER à une association de parents d’enfants classique, qui ne cherche que le LA COLLABORATION ENTRE LES handicapés, l’APEH, pour concevoir profit à court terme, et construire ENTREPRISES ET LES ASSOCIATIONS des aires de jeux adaptées où les enfants le bien commun à travers de nouvelles A-T-ELLE DONNÉ DES RÉSULTATS ? invalides jouent à proximité des autres. formes de partenariat. X WE DEMAIN INITIATIVE

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UNE GÉNÉRATION RESPONSABLE Entretien : Isabelle Lefort

Je suis née dans le monde des réseaux. J’ai travaillé plus de dix ans à la direction de la communication de la FNAC. J’ai toujours eu à cœur ensuite de m’investir dans le marketing opérationnel des réseaux. Il y a sept ans, à l’affût de démarches environnementales et sociétales, j’ai visité en Suisse la société Switcher [leader suisse de la vente de T-shirts aux particuliers et entreprises, ndlr], avant26

gardiste sur ces sujets. Un beau modèle reconnu en Suisse, avec un taux de notoriété de 84 %. À la fin de la journée, j’étais bluffée et j’ai pensé que toutes nos enseignes devraient être ainsi. Je ne pouvais garder cette révélation pour moi. J’ai alors proposé à quelques amis, directeurs du développement durable, de m’accompagner à Lausanne pour un voyage de découverte.

Nous étions une petite délégation représentant des sociétés comme Yves Rocher, L’Occitane… À l’issue de cette journée, autour d’une fondue, les idées fusèrent. Nous étions enthousiastes. L’envie a alors émergé : pourquoi ne pas se fédérer, échanger les sources d’inspiration et partager les meilleurs modes d’emploi, pour définir le retail [commerce de détail, ndlr] de demain ? Dans ce domaine, il y a beaucoup de choses à réaliser pour

© CLUB GÉNÉRATION RESPONSABLE

— JOCELYNE LEPORATTI, COFONDATRICE DE L’ASSOCIATION CLUB GÉNÉRATION RESPONSABLE, QUI PROMEUT LE DÉVELOPPEMENT DURABLE DANS LE COMMERCE ORGANISÉ, EXPLIQUE SON ENGAGEMENT. —


en année les points et les actions qui sont prioritaires et sur lesquels on peut travailler de façon mutualisée. Qu’il s’agisse de l’amélioration énergétique, des déchets ou de la mobilité, des enseignes travaillent en pilotes. Au fait des ateliers, comme dans un laboratoire, elles avancent et consultent les experts les plus pointus pour rendre compte de leurs découvertes et les partager avec tous les membres. En fin d’année, une étude permet de connaître l’impact sur la distribution de tel nouveau produit ou de telle démarche. Résultat : des enseignes concurrentes ont travaillé ensemble autour d’une préoccupation commune. Et, fait remarquable, les décisions se prennent au plus haut niveau.

© Hervé THOUROUDE

réduire les coûts économiques et améliorer notre impact sur l’environnement. Qu’il s’agisse de la gestion des déchets, du recyclage, de l’empreinte carbone… Il nous fallait repenser le monde du retail. Il existait déjà des pionniers, mais très peu étaient français. En juillet 2008, nous avons invité le président de Switcher à venir dialoguer avec des experts. Cinquante enseignes ont assisté à la manifestation. L’envie de comprendre a saisi tout un chacun. Et nous avons décidé de nous unir. Jusqu’en 2009, nous nous sommes regroupés en association loi 1901, avec environ douze enseignes membres. Aujourd’hui, nous sommes une centaine. Nous avons connu différents stades de développement. Nous avons pris un temps pour nous inspirer des visionnaires, encourager des pionniers, mettre des actions en place. Puis nous avons construit notre convention d’engagement des enseignes du commerce organisé. Avec un focus sur les points de vente, en détaillant WE DEMAIN INITIATIVE

JOCELYNE LEPORATTI A COFONDÉ LE CLUB GÉNÉRATION RESPONSABLE POUR OFFRIR UN CADRE DE RÉFLEXION ET D’EXPERTISE AUX ENSEIGNES DÉSIREUSES DE S’ENGAGER DANS LE DÉVELOPPEMENT DURABLE. UN CLUB QUI RÉUNIT UNE CENTAINE DE MEMBRES.

toutes les étapes du développement durable, qu’il s’agisse de la facture énergétique, de la relation client, du gaspillage, du social management ou de la collecte des déchets. SGS, une société d’audit et de contrôle, a créé une méthodologie pour chiffrer les points d’engagement, les degrés d’amélioration. Les notes vont de 1 (stade de la prise de conscience) à 5 (niveau d’excellence). Nous établissons ensuite un programme d’amélioration. Et nous suivons ensemble l’évolution des résultats pour pouvoir mesurer le degré d’amélioration. L’important, c’est de construire. Une convention, un engagement, un référentiel, c’est bien, et après ? Notre programme « Enseigne responsable » définit d’année

En veillant à la performance énergétique, la réduction de l’impact environnemental et les réductions de coûts sont considérables. Au sein de McDonald’s, qui est l’une des enseignes pionnières en la matière, la réduction de l’impact environnemental a progressé de 20 % en trois ans, grâce au changement du comportement des équipes. C’est très important de sensibiliser les équipes ; de faire prendre conscience que la manière dont on gère les luminaires, les sources frigorifiques, mais aussi la méthode de sourcing peuvent améliorer la chaîne de production et de distribution. Toute la filière tire profit d’une démarche citoyenne. Un véritable changement s’opère dans l’entreprise. Avant, les directeurs du développement durable se sentaient un peu seuls. Aujourd’hui, ils sont intégrés à part entière dans la marche de l’entreprise. Depuis les directions des achats jusqu’aux points de vente, en repensant la démarche environnementale, on peut améliorer les comportements mais aussi optimiser les coûts. C’est simple à comprendre. Nous ne sommes pas dans le monde des Bisounours, mais dans une démarche d’optimisation des entreprises. X 27


L’OCCITANE L’ENGAGEMENT DE TOUS, POUR TOUS Ariane Puccini

« Nous n’avons pas la prétention de dire que ce que nous faisons est parfait et que nous sommes les champions du développement durable. » Katia Michieletto insiste : « Nous sommes dans une démarche d’humilité. » Pourtant, le groupe qui lui a confié la mise en place de sa politique de développement durable, L’Occitane, pourrait se permettre de parader avec ses 2 200 boutiques à travers le monde et un chiffre d’affaires qui dépasse le milliard d’euros. La marque a fait du chemin depuis 1976, quand 28

son fondateur, Olivier Baussan, militant écologiste, distillait ses premières bouteilles d’huile essentielle de romarin dans sa Provence natale ou rapportait, dans les années 1980, du beurre de karité du Burkina Faso. « FAÇON DE TRAVAILLER » L’Occitane s’est impliquée dans des démarches de responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) bien avant que ce sigle ne fleurisse dans les rapports d’activités des autres entreprises, par exemple en mettant en place un

programme de soutien pour les femmes travaillant dans les coopératives qui la fournissent en matières premières. Depuis 2008, le groupe a désormais un département du développement durable, placé sous la responsabilité de Katia Michieletto. « Depuis, nous avons la volonté de ne pas limiter notre engagement à un discours marketing. Nous voulons que cela devienne une réalité, une façon de travailler. » L’Occitane s’est lancée dans la mise en conformité de ses boutiques et de son siège social avec les normes

© L’OCCITANE

— L’UN DES FLEURONS DE LA COSMÉTIQUE FRANÇAISE, FONDÉ PAR UN AMOUREUX DE LA NATURE, CULTIVE SON IDENTITÉ ET DÉPLOIE TOUS AZIMUTS DES INITIATIVES DURABLES QUI CONCERNENT CHAQUE ÉCHELON DE L’ENTREPRISE. —


KATIA MICHIELETTO (PAGE DE GAUCHE) EST RESPONSABLE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE AU SEIN DE L’OCCITANE. DE SES VOYAGES AU BURKINA FASO, OLIVIER BAUSSAN (CI-DESSUS, À DROITE), FONDATEUR DE L’ENTREPRISE, A GARDÉ LE SOUCI D’ACCOMPAGNER ET SOUTENIR LE DÉVELOPPEMENT DES COOPÉRATIVES AFRICAINES QUI LE FOURNISSENT EN MATIÈRES PREMIÈRES NATURELLES.

de management environnemental. « Cette démarche a impliqué la direction générale comme les équipes sur le terrain », explique Katia Michieletto.

© L’OCCITANE

BOUTIQUE ÉCOCONÇUE Un chantier qui s’est notamment traduit par la rénovation, en 2012 et 2013, des 70 boutiques françaises en propre de la marque : utilisation de bois issus de forêts gérées durablement, de matériaux respectueux de l’environnement – chaux minérale, peintures écologiques –, installation de lampes à iodure – qui permettent une réduction de 40 % de la consommation d’énergie. Les boutiques EN MARS 2013, L’OCCITANE A MIS EN VENTE DANS SES BOUTIQUES ET SUR SON SITE INTERNET UN SAVON SOLIDAIRE. LES BÉNÉFICES ONT ÉTÉ REVERSÉS À LA FONDATION L’OCCITANE AFIN DE SOUTENIR LA CONSTRUCTION DE CENTRES D’ALPHABÉTISATION POUR LES FEMMES DU BURKINA FASO.

« LE DÉVELOPPEMENT DURABLE N’EST PAS UNE OPPORTUNITÉ D’AFFAIRES. IL OFFRE LA POSSIBILITÉ D’ATTIRER DES TALENTS, DES PERSONNALITÉS CRÉATIVES. »

parisiennes sont même livrées par des voitures électriques. Ce modèle de boutique écoconçue va bientôt être transposé aux points de vente de L’Occitane à l’étranger. Katia Michieletto se réjouit que cette mise aux normes ait été « une expérience connue, partagée et animée au sein des équipes de terrain ». Politique écoresponsable des achats, installation de lampes à basse consommation sur les parkings de l’entreprise, développement du ferroutage entre les entrepôts de stockage, recrutement de personnes

handicapées, recyclage des déchets sur le site de production de Lagorce, dans l’Ardèche, covoiturage pour les déplacements professionnels : de la plus petite initiative à la réalisation d’envergure, il est impossible pour les salariés de passer à côté de l’engagement de leur entreprise. La Fondation L’Occitane, créée en 2006, lutte contre les déficiences visuelles dans les pays en voie de développement, pour l’insertion professionnelle des personnes déficientes visuelles, et soutient l’entreprenariat féminin au Burkina Faso. Elle accompagne également deux associations pour l’émancipation économique des femmes burkinabé, fondées et animées par des salariés. « ENGAGEMENT CITOYEN » De même, la direction générale de L’Occitane offre une journée de disponibilité aux salariés qui souhaitent s’engager auprès d’une association choisie par l’entreprise. Certains ont ainsi participé au nettoyage des gorges de l’Ardèche ; d’autres ont accompagné des personnes à mobilité réduite en randonnée en montagne. « Le but du jeu est de permettre aux salariés de prendre goût à l’engagement citoyen », explique Katia Michieletto, pour qui l’implication du salarié participe à la valeur ajoutée de l’entreprise. « Le développement durable n’est pas une opportunité d’affaires, conclut-elle. Il offre la possibilité de capter des talents, d’attirer des personnalités créatives. » X L’Occitane est membre de Club Génération responsable

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MAISONS DU MONDE LA TRAÇABILITÉ DE LA FORÊT AU SALON Pascal de Rauglaudre

— L’ENSEIGNE DE DÉCORATION ET DE MOBILIER ETHNIQUE, GROSSE CONSOMMATRICE DE BOIS EXOTIQUE, SOIGNE ET CONTRÔLE SON APPROVISIONNEMENT, ET CULTIVE LA TRANSPARENCE. —

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GRÂCE À UNE TRAÇABILITÉ RIGOUREUSE, 1 250 MEUBLES VENDUS PAR MAISONS DU MONDE SONT FABRIQUÉS À PARTIR DE BOIS ISSUS DE FORÊTS GÉRÉES DURABLEMENT.

d’accompagner dans des comportements durables nos fournisseurs stratégiques, en Inde, en Indonésie, en Chine, qui se sont développés en même temps que nous. » Grosse consommatrice de bois exotiques comme le teck, l’acajou, le sheesham (un bois indien), le bois de rose ou encore le manguier, la marque est particulièrement sensibilisée au sort des forêts tropicales. Elle

a d’abord noué des partenariats avec plusieurs ONG, qui garantissent la crédibilité de sa démarche de développement durable. « Ces partenaires nous indiquent où sont les risques et où nous devons agir, poursuit Fabienne Morgaut, et nous permettent de dresser une feuille de route. » « CRÉER DE LA TRANSPARENCE » Ces ONG sont sélectionnées en fonction de leur connaissance des enjeux et de leur implication sur le terrain, avec une préférence pour les structures plus confidentielles.

© MAISONS DU MONDE

Maisons du monde se met au vert. La marque de décoration et de mobilier exotique, qui réalise un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros dans ses 230 boutiques en Europe, s’est lancée depuis 2009 dans une démarche de développement durable qui porte aujourd’hui ses fruits. « Dès le départ, Xavier Marie, le PDG fondateur de l’entreprise, nous a laissé les coudées franches pour monter des projets, explique Fabienne Morgaut, directrice du développement durable. Nous avons commencé par cartographier les risques pour l’entreprise. Cela nous a permis


Une première catégorie de partenaires concerne l’approvisionnement en matières premières, comme l’ONG anglaise The Forest Trust (TFT) ou le Forest Stewardship Council (FSC). D’autres soutiennent la protection de la biodiversité, comme Man and Nature, qui aide des communautés locales du Sud à gérer durablement leur environnement. Les derniers relèvent du mécénat et financent des programmes de solidarité et pour l’enfance dans les pays d’approvisionnement de Maisons du monde, comme Anak, une association de parrainage d’enfants à Bali, ou SOS Villages d’enfants, en Inde. Le mobilier représentant 50 % de son chiffre d’affaires, Maisons du monde s’est engagée à augmenter chaque année la part de bois labellisé FSC dans son catalogue et à être transparente tout au long de sa chaîne d’approvisionnement. Pour garantir à ses clients la provenance du bois qui compose ses meubles, le distributeur a adopté pour la première fois en France le système de traçabilité développé par TFT. Il s’agit d’un code QR imprimé sur l’étiquette des produits certifiés FSC. En le scannant, les clients munis d’un smartphone ou d’une tablette accèdent à toutes les étapes de la

© MAISONS DU MONDE

POUR FABIENNE MORGAUT (PHOTO), DIRECTRICE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE À MAISONS DU MONDE, LA TRANSPARENCE DE L’APPROVISIONNEMENT EST ESSENTIELLE.

chaîne d’approvisionnement, depuis la forêt d’origine du bois dont le meuble est fait jusqu’au magasin. « On raconte l’histoire du meuble, on crée de la transparence, explique Fabienne Morgaut. Celle-ci a un coût, car elle implique des audits et des mesures de sécurité, mais elle coûte moins cher qu’un label, qui oblige à bouleverser la chaîne d’approvisionnement. » WE DEMAIN INITIATIVE

« LA SINCÉRITÉ DE NOTRE DÉMARCHE NE CONSISTE PAS À DIRE “ON EST LES MEILLEURS”, MAIS PLUTÔT À IDENTIFIER LES ENJEUX ET À SE DONNER DES OBJECTIFS DE PROGRESSION. »

Aujourd’hui, 52 % de l’offre de meubles en bois est labellisée, soit environ 1 250 références fabriquées à partir de bois issus de forêts gérées durablement. AUDITS ALÉATOIRES Parmi les produits phares de la marque, le canapé Roma est issu d’une démarche intégrale d’écoconception. Il a d’ailleurs été primé par le ministère de l’Écologie et du Développement durable et l’Agence de l’environnement

et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) en 2011. L’impact environnemental est pris en considération dès sa création : sa structure optimisée est en bois certifié ; le rembourrage est en fibres textiles recyclées ; le revêtement est en coton certifié issu de l’agriculture biologique ; sa distribution est raccourcie ; et il est fabriqué en France. Le tout au même prix que son équivalent non écoconçu. Le catalogue compte aujourd’hui douze références écoconçues parmi les meilleures ventes de la marque. L’objectif est d’étendre la démarche à tous les meubles.

Maisons du monde lance par ailleurs des audits de manière aléatoire sur les sites de production de ses fournisseurs, avec trois exigences : la qualité, l’environnement et les conditions sociales. En cas de non-coopération de la part d’un partenaire, la marque n’hésite pas à le sanctionner en transférant sa production chez un autre fournisseur. Les volumes commandés lui donnent une influence certaine sur les comportements. « Les fournisseurs auxquels je rends visite me confient que nous sommes les seuls à suivre cette démarche de compréhension et d’accompagnement, poursuit Fabienne Morgaut. C’est un impact positif pour notre relation avec eux sur le long terme, même si cela demande du temps et de l’investissement, avec notamment un poste dédié à temps plein. La sincérité de notre démarche ne consiste pas à dire “on est les meilleurs”, mais plutôt à identifier correctement les enjeux, à travailler à les surmonter et à se donner des objectifs de progression. » Enfin, chaque année, Maisons du monde propose à 25 collaborateurs volontaires des congés solidaires financés par l’entreprise, mis à profit dans un projet à l’étranger – au Pérou et à Madagascar en 2012. Pour ces

collaborateurs, c’est une façon de mieux comprendre l’impact d’une entreprise lorsqu’elle se comporte en mécène. Dans cette optique, Maisons du monde soutient One Percent for The Planet, une organisation internationale qui regroupe plus de 1 200 entreprises – dans 48 pays – qui se sont engagées à reverser 1 % de leur chiffre d’affaires annuel à des associations de protection de l’environnement. Maisons du monde est le troisième plus gros donateur français à cette plateforme. X Maisons du monde est membre de Club Génération responsable

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HANDISHARE UNE ENTREPRISE VERTUEUSE Ariane Puccini

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à trente-cinq heures hebdomadaires en fonction des capacités des salariés. L’entreprise a convaincu à ce jour une vingtaine de clients, parmi lesquels de grands groupes français. LA LOI NE SUFFIT PAS La loi sur le handicap du 11 février 2005, qui oblige toute entreprise de plus de vingt salariés à employer 6 % de personnes handicapées ou de s’acquitter d’une amende (l’équivalent de 1 500 fois le smic par personnel manquant) auprès de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des

personnes handicapées (Agefiph) ou du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), plaide en sa faveur. Mais l’avantage que lui apporte la loi ne suffit pas. Handishare et les services proposés par ses salariés doivent s’imposer. « Nous devons être encore plus pointus qu’une entreprise ordinaire pour que l’on acquière une réelle légitimité vis-à-vis de nos clients », martèle Patricia Gros Micol. Elle vise la pérennité économique comme n’importe quelle entreprise, sauf que Handishare doit composer avec des contraintes particulières. Il a ainsi fallu trouver un local, pas cher et accessible. La souplesse des horaires est une quasi-nécessité pour les employés à mobilité réduite. La polyvalence est aussi de rigueur : en cas d’absence d’un de leurs collègues, les autres salariés doivent être en mesure de le remplacer.

« À HANDISHARE, ON TRAVAILLE DANS LA BIENVEILLANCE, MAIS SANS APITOIEMENT. »

© HANDISHARE

« Cela n’arrive pas qu’aux autres. » À 17 ans, Patricia Gros Micol est blessée dans un accident de train. Elle va en garder toute sa vie des séquelles. Des migraines insoutenables, des douleurs au dos et des maladies auto-immunes la laissent partiellement invalide. Mais cela ne l’empêche pas de faire carrière. À 46 ans, son parcours professionnel est jalonné de postes à responsabilité dans le marketing et le secteur commercial avant d’aboutir à un poste de directrice générale adjointe d’une PME. En 2009, elle est licenciée. L’heure est au bilan. Elle garde en mémoire un voyage humanitaire qu’elle a effectué en 2006 à Madagascar avec ses quatre enfants ; il lui rappelle que la précarité de la vie peut toucher n’importe qui. « Après vingt-cinq ans de vie active, j’étais à la croisée des chemins », se souvient-elle aujourd’hui. Patricia Gros Micol décide de changer de voie. En 2011, elle fonde Handishare, une entreprise adaptée qui compte 100 % de salariés handicapés et qui offre des prestations dans le secteur tertiaire : back-office, numérisation, téléphonie. Après les batailles administratives qui l’occupent une année pour obtenir l’agrément de l’État, elle recrute ses premiers salariés début 2012. Un an et demi après, Handishare emploie onze CDI de vingt

— PATRICIA GROS MICOL A CRÉÉ CETTE PME DE SERVICES TERTIAIRES POUR ALLIER HANDICAP ET DYNAMISME. UN PARI RELEVÉ EN DEUX ANNÉES SEULEMENT. —


© HANDISHARE

FONDÉE EN 2011 PAR PATRICIA GROS MICOL (CI-CONTRE), HANDISHARE EST UNE ENTREPRISE PRESQUE COMME LES AUTRES. LA SOUPLESSE DES HORAIRES, L’ADAPTATION DES LOCAUX ET L’INTEROPÉRABILITÉ DES EMPLOYÉS ASSURENT LA PERFORMANCE.

Jean-Marc Revol est la première recrue de Handishare, en janvier 2012. Comme installateur de matériel médical, il a sillonné pendant treize ans la région Rhônes-Alpes pour livrer ses clients, jusqu’à ce qu’une maladie réduise de 70 % ses capacités respiratoires ; et l’oblige à stopper la route. Handishare lui offre alors l’opportunité d’un travail sédentaire. Ancien gymnaste, ancienne aide-soignante, ancienne couturière : tous les collègues de Jean-Marc Revol pratiquaient également des activités physiques. À l’arrivée du handicap ou de la maladie, il leur a fallu rebondir. La formation professionnelle est un passage obligé pour se reconvertir. Jean-Marc Revol est devenu expert en fichiers Excel et traite les statistiques d’entreprises clientes. Mais quand son collègue chargé de la mise sous pli est absent pour raisons de santé, il le remplace, suivant les procédures établies pour chaque tâche au sein WE DEMAIN INITIATIVE

de l’entreprise. Il travaille de 7 heures à 12 heures. Ces horaires aménagés lui permettent de voyager assis pendant ses deux heures de transport en commun. Et même si certains jours sont plus durs que d’autres, il préfère venir. « À Handishare, on est prêt à payer pour travailler », dit-il en souriant, avant d’expliquer que certains employés préfèrent perdre de l’argent à la pompe à essence plutôt que de rester chez eux, isolés, à ne rien faire. DOUBLE PEINE La complainte du handicapé ? Très peu pour Jean-Marc. Les états de santé de chacun ne sont pas les sujets de discussion à Handishare. « Nous sommes des gens normaux. Nous avons des problèmes comme tout le monde, mais nous ne nous plaignons pas », insiste-t-il. Dans l’entreprise, les femmes constituent 65 % des effectifs. Maudy Piot, présidente de l’association de défense des femmes handicapées Femmes pour le dire, Femmes pour agir, combat ce qu’elle

nomme la double peine. Car quand 36 % des hommes handicapés trouvent un emploi, ce ne sont que 22 % des femmes handicapées qui travaillent. Pour les aveugles, les chiffres sont terrifiants : si 20 % des hommes travaillent, 2 % seulement des femmes trouvent un emploi. « La société a tendance à penser que les femmes handicapées sont plus vulnérables que les hommes handicapés et qu’elles feraient mieux de rester chez elles, pour s’occuper de leurs enfants ou de leur famille », lâche Maudy Piot. Dans le monde de l’entreprise, elles doivent âprement gagner leur place. « À Handishare, on travaille dans la bienveillance, mais sans apitoiement », résume Patricia. Le développement de la PME lyonnaise repose totalement sur les compétences de ses salariés. Handishare est une entreprise qui se doit d’être performante comme les autres. Fin 2013, elle terminera l’année avec 240 000 euros de chiffre d’affaires et un léger bénéfice. Le premier après seulement deux années d’activité. X Handishare est membre du réseau Entrepreneurs d’avenir

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LA PORTE-VOIX DES HUMANISTES DE L’ÉCONOMIE DU FUTUR — CATHERINE BERTHILLIER EST DEVENUE LA SPÉCIALISTE DE CEUX QUI, DANS LE MONDE, INITIENT LE CHANGEMENT. AVEC SHAMENGO, ELLE A CRÉÉ UNE VRAIE COMMUNAUTÉ. —

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© SHAMENGO

Isabelle Lefort


© SHAMENGO

Le sourire de Catherine Berthillier est sans aucun doute une marque de fabrique. Sincère, profond, il vient du cœur et témoigne de son engagement. Journaliste d’investigation, reporter d’images, diplômée de Sciences Po Bordeaux, formée au Centre de formation des journalistes (CFJ) de Paris, Catherine Berthillier a pendant vingt ans parcouru le monde pour réaliser des grands reportages, en particulier pour l’émission Envoyé spécial sur France 2. Plusieurs fois récompensée pour son art de savoir raconter des histoires en images (Grand Prix du FIGRA, palme d’argent au Festival de New York, prix du public au Festival international du scoop et du journalisme d’Angers, finaliste du prix Albert-Londres), c’est en 2008 qu’elle décide de changer de voie. « INITIATIVES POSITIVES » « Tout a commencé à l’occasion d’un voyage en Inde, d’une enquête sur les trafics d’organes. Nous venions d’arriver dans un village plongé à 18 heures dans une profonde obscurité, car il n’y avait pas d’électricité. Et tout à coup, j’ai vu des enfants rire et s’émerveiller dans le faisceau d’une lampe solaire. C’était magique. » Catherine s’est approchée et a voulu tout savoir de cette merveille, conçue par l’Indien Amit Chugh, installé à New Delhi. C’est lui qui inaugurera le projet Shamengo, faisant l’objet du premier reportage de deux minutes que Catherine entreprend de réaliser pour mettre en lumière ces femmes et ces hommes qui, dans le monde, déploient une autre vision de l’économie. « Pendant vingt ans, je me suis consacrée à dénoncer les “méchants” qui détruisent la planète, exploitent l’humain sans vergogne. À partir de cet événement, j’ai eu envie, au contraire, de m’intéresser aux initiatives positives, à ceux qui replacent l’humain au cœur WE DEMAIN INITIATIVE

de leurs stratégies. Je me suis interrogée sur la forme de mon engagement. Rejoindre une ONG, militer ? Il m’a fallu quelques mois pour trouver. Mais l’envie d’être de ce monde en marche, de participer au mouvement était plus forte que moi. Il fallait que j’en sois, c’est tout. Et la meilleure manière était de faire ce que je sais faire le mieux, c’est-à-dire raconter des histoires. » À Paris, la journaliste fait la tournée des chaînes, affine et expose son projet. Les rendez-vous et les réunions se succèdent. Mais les dirigeants consultés tergiversent. Ils n’osent pas prendre de risque. La frilosité les tenaille. Parler de ce qui va bien ne s’inscrit pas dans leurs priorités. SHAMAN, MEN, GO Tenace, Catherine entreprend alors de se lancer en indépendante avec, autour d’elle, une poignée de personnes qui l’accompagnent dans le projet Shamengo. Shamengo : un nom né du mélange de trois mots : shaman

« SHAMENGO EST DÉSORMAIS UNE COMMUNAUTÉ D’AMIS. JE VIS MON RÊVE. »

(celui qui passe d’un monde à un autre), men (la communauté humaine) et go (allons de l’avant). « Nous avons rassemblé nos économies pour tourner les premiers portraits. À la MGEN, Jean-Michel Laxalt et Thierry Beaudet ont immédiatement décidé de sponsoriser les deux premières saisons. Je leur dois une reconnaissance éternelle. Aujourd’hui, c’est grâce au sponsoring des entreprises, en particulier Generali, que nous amplifions l’aventure. » « 600 PORTRAITS INCROYABLES » Depuis octobre 2011, du Viêt Nam au Brésil, Shamengo a diffusé plus de 110 portraits de scientifiques, penseurs, humanistes qui partout dans le monde initient des projets inédits. Lors du dernier LH Forum, en septembre 2013 au Havre, Catherine est venue accompagnée du Philippin Tony Meloto, fondateur de l’ONG Gawad Kalinga, qui lutte contre la misère dans son pays en remodelant les bidonvilles de l’intérieur, en y instaurant des lieux collectifs et des fermes. Jamais l’histoire de cet homme n’avait été racontée au grand public. Pendant vingt-six minutes, le public a retenu son souffle. À chaque portrait diffusé, c’est la même émotion et le même émerveillement qui saisissent le spectateur. « Nous avons identifié 600 portraits incroyables, raconte Catherine. De plus en plus de gens viennent à nous pour nous relater des histoires et nous inviter à les découvrir. Nous avons organisé cet automne une manifestation, 1 000 Pionniers, sur les berges de la Seine, pour que le grand public puisse à son tour venir à leur rencontre. Shamengo est désormais une communauté d’amis. Je vis mon rêve. Et demain, j’espère bien que nous réussirons à faire basculer le monde dans cette nouvelle économie humaniste. C’est mon vœu le plus cher. » X 35


Quel avenir ce mutant 36


pour l’homme, surdoué ?

L’UN EST ASTROPHYSICIEN, L’AUTRE EXPLORATEUR. TOUS DEUX VOUENT UN AMOUR SANS BORNES POUR NOTRE PLANÈTE. OBSERVATEURS À L’INTELLIGENCE AIGUISÉE, ILS ÉCHANGENT LEURS REGARDS SUR LE MONDE. OÙ EN SOMMES-NOUS ? OÙ ALLONS-NOUS ? ENTRETIEN CROISÉ ENTRE HUBERT REEVES ET JEAN-LOUIS ÉTIENNE. Armelle Oger - Photos : Alexandre Martin

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JEAN-LOUIS ÉTIENNE :

DESTINÉE AUX DÉCIDEURS, LA SYNTHÈSE DU CINQUIÈME RAPPORT DU GIEC, QUI SERVIRA DE BASE AUX NÉGOCIATEURS POUR PRÉPARER LE SOMMET CLIMATIQUE DU BOURGET EN 2015, EST SANS APPEL : « L’INFLUENCE HUMAINE EST BIEN LA CAUSE DOMINANTE DU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE OBSERVÉ DEPUIS LE MILIEU DU XXE SIÈCLE. » L’HOMME EST-IL PLUS QUE JAMAIS UN PRÉDATEUR POUR SA PLANÈTE ? HUBERT REEVES : Plus il y a

d’humains, plus la technologie évolue, et plus la tentation d’asservir la planète est grande. Avec des instruments qui deviennent de plus en plus puissants, l’homme parvient aujourd’hui à faire des choses prodigieuses. Comme réchauffer

sa planète, ce qui n’est pas rien, ou acidifier l’océan. Ce mouvement a commencé il y a deux cent mille ans. Au début, nos ancêtres n’étaient pas très nombreux, pas très puissants. Mais, peu à peu, ils ont eu un impact de plus en plus ravageur sur leur planète. L’intelligence d’Homo sapiens lui a permis de survivre à une période où il était mal protégé : il a progressé, a appris à se défendre, à fabriquer des armes, l’arc, le fusil, des canons puis la bombe atomique. Il a reçu ce formidable cadeau de l’intelligence et cette capacité de progresser sans laquelle nous ne serions pas là. Progressivement, cette intelligence est devenue une arme dont il doit désormais reconsidérer la finalité. Car il a pris conscience qu’elle peut le mettre en péril.

« LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE A UN IMPACT SUR LA SANTÉ HUMAINE. LES PERTURBATIONS DE L’ÉCOSYSTÈME QU’IL GÉNÈRE SONT À L’ORIGINE DE NOUVELLES MALADIES VIRALES COMME LE VIRUS EBOLA FIXÉ PAR LES CHAUVES-SOURIS. »

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L’homme est un mutant surdoué. Il a, comme le dit Hubert, créé des outils de plus en plus puissants qui impactent gravement la planète. L’animal naît et meurt avec le même « équipement » : plumes, griffes, sens de l’orientation. Il évolue, mais lentement. L’oiseau ne fera jamais l’acquisition du dernier GPS ! L’homme, lui, renouvelle constamment ses armes. Il est sorti de l’activité cyclique et « circulaire » de la nature qui fonctionne avec une production primaire, des « consommateurs » et des « recycleurs ». « LÀ OÙ CROÎT LE PÉRIL… CROÎT AUSSI CE QUI SAUVE » : LE TITRE DE VOTRE DERNIER LIVRE EST-IL UN ACTE DE FOI DANS L’INTELLIGENCE HUMAINE ? H.R. : À la fin du XIXe siècle, aux

États-Unis, on coupait les séquoias, 60 millions de bisons avaient été massacrés, les baleines étaient menacées… Il y eut alors un groupe d’individus pour penser qu’il ne fallait pas seulement déplorer cette situation, mais faire quelque chose. Ce fut la naissance des grands mouvements écologiques qui arrivèrent en Europe au début du XXe siècle et qui sont à l’origine des conférences de Rio et Copenhague. L’humanité fut alors assez intelligente pour dire « On ne peut pas continuer comme ça, on est sur


POUR HUBERT REEVES (PAGE DE GAUCHE) ET JEAN-LOUIS ÉTIENNE (CI-DESSUS), L’HOMME A « UNE INTELLIGENCE APPLIQUÉE » QUI LUI A PERMIS D’ÉVOLUER, MAIS DONT IL DOIT « RECONSIDÉRER LA FINALITÉ » ET QU’IL DOIT RÉORIENTER AVEC UNE « CONSCIENCE PLUS FORTE QUE LE PROFIT AVEUGLE ».

la mauvaise voie ». L’homme vivait avec cette idée, déjà présente dans la Bible et reprise par Descartes, qu’il était le chef-d’œuvre de la création et qu’il avait tous les droits ; qu’il devait mettre la nature à son service. Puis on s’est dit qu’il fallait repenser l’humanisme, que l’homme était une espèce parmi d’autres et qu’il dépendait des autres espèces. La règle de la nature veut que si vous ne vivez pas en harmonie avec elle, vous disparaissez. J.-L.É. : L’homme a une intelligence appliquée prodigieuse. C’est fou ce qu’il est parvenu à mettre dans un téléphone portable. Mais, en même temps, son intelligence relationnelle est restée très animale. Il a l’intelligence des solutions. Il a conscience des problèmes et de ce qu’il est en train d’infliger à la planète. À nous de faire en sorte que notre intelligence soit portée par une conscience plus forte que le profit aveugle, qui nous mène droit dans le mur. WE DEMAIN INITIATIVE

QUELLES IMPLICATIONS LE « MUR », CELUI DE LA SURCHAUFFE DU CLIMAT, PEUT-IL AVOIR SUR L’HOMME ET SA PLANÈTE ? J.-L.É. : On ne ressent pas le

réchauffement climatique : 0,8 degré par siècle, cela demeure imperceptible. C’est le bilan radiatif de la Terre qui est important. Il y a vraiment une éducation à faire de ce côté-là. Le réchauffement climatique, c’est du chaos à venir. L’Antarctique se réchauffe beaucoup plus que les autres régions du monde. Il change de couleur. Il était blanc avec de la glace sur l’océan et de la neige sur le continent : cela renvoyait le rayonnement solaire. On perd le potentiel froid de l’Antarctique. On a ouvert la porte du frigo… et on la laisse ouverte ! On va vers des détentes massives et brutales de chaleur accumulée à la surface des océans : les tempêtes tropicales se transforment en cyclone, les inondations se multiplient. Avec la fonte des glaces, le niveau

des océans monte : une dysharmonie climatique est enclenchée. À l’instar des maladies chroniques, tant qu’il n’y a pas d’accident aigu, on ne se décide pas à se soigner. Il va vraiment falloir passer aux soins avant que les complications deviennent irrémédiables… H.R. : Ce qui m’inquiète, ce sont ces villes que l’on voit pousser en Chine et en Afrique. Récemment, je suis allé à Chongqing, en Chine. Je n’avais jamais entendu parler de cette ville qui compte… 27 millions d’habitants ! J’y ai attrapé une pneumonie à cause du charbon transporté dans les charrettes : le vent souffle de la poussière de charbon. Le ciel est jaune, les habitants ne savent même pas qu’il peut être bleu. J.-L.É. : Le réchauffement climatique a un impact sur la santé humaine. Les perturbations de l’écosystème qu’il génère sont à l’origine de nouvelles maladies virales comme le virus Ebola fixé par les chauves-souris. Manquant de nourriture, les singes ont mangé des chauves-souris et les hommes ont mangé du singe… Le danger viendra de l’infiniment petit, de ces mutants, les virus, qui vont sortir de la « niche » où ils vivaient avec des porteurs sains pour se mettre en relation avec d’autres espèces qui ne sont pas préparées à cela. L’HOMME PEUT-IL ÊTRE MENACÉ DANS SA SURVIE PAR SON ACTION NÉFASTE SUR LA BIODIVERSITÉ ? H.R. : La nature nous a donné

gratuitement des choses indispensables : les vers de terre, les insectes, les abeilles, les marécages… Nous les détruisons à mesure que la population augmente. C’est la survie de l’aventure humaine – avec, entre autres, une pénurie alimentaire – qui, en l’espace de quelques décennies, peut être mise en cause. Heureusement, certains agissent. Je pense à cet institut d’écologie, en Bourgogne, qui restitue la pureté des eaux des marécages. Serons-nous assez rapides ? On est dans une course, un match entre deux forces : la détérioration et la restauration. Qui l’emportera ? On ne sait pas. QUEL EST L’ENNEMI À COMBATTRE EN PRIORITÉ ? J.-L.É. : L’acte majeur, c’est de limiter

la production de CO2. C’est le coupable invisible. Le CO2 agit sournoisement, 39


sur la durée, il y en a partout. Nous sommes tous des émetteurs coupables. Le problème, c’est qu’il touche la marche énergétique et donc la marche du monde. C’est donc compliqué de ralentir sa production. Nous devons aller très vite vers d’autres ressources énergétiques. Il y a de plus en plus de consommateurs, de pays en développement : même si on réduit notre émission, on est dépassé par la démographie, l’accès à l’énergie et le développement d’une grande partie de l’humanité. QUELLES SONT LES SOLUTIONS POUR LIMITER LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE ? J.-L.É. : Il y a bien sûr les énergies

renouvelables. Les sources sont multiples. Le problème, c’est leur faible densité et leur dilution. Si on pouvait capter tout le vent, les vagues, le Soleil, on aurait de quoi alimenter la planète. Mais on ne peut pas mettre des capteurs partout. H.R. : Le Soleil nous envoie dix mille fois plus d’énergie que celle dont nous avons besoin. Il suffirait d’en capter un dix millionième, mais c’est beaucoup ! La solution passe par le progrès technologique et l’art de récupérer avec plus d’efficacité le rayonnement solaire. J.-L.É. : Il y a un gâchis total en solaire thermique, qui n’est pas la chaleur mais le rayonnement électromagnétique du Soleil capté par les corps noirs. Allez au pôle habillé en noir : s’il y a un bon soleil, même par – 25 °C, votre parka est chaude : on peut faire de l’eau chaude quelle que soit la température extérieure. L’alternance des énergies est une 40

solution, tout comme le stockage de l’électricité, qui fait des progrès. LES SOLUTIONS EXISTENT, MAIS UN CERTAIN OPTIMISME PEUT-IL RAISONNABLEMENT ÊTRE DE MISE ? H.R. : Il faudrait diminuer le gaz

carbonique de 80 % alors que, dans les faits, on l’augmente de 3 % par an. La déforestation en Indonésie s’accélère et, en même temps, on observe un mouvement de prise de conscience comme celui qui a été de mise aux États-Unis il y a cent cinquante ans. Dans les États, les villes, les communes, il se passe beaucoup de choses positives. Le problème, c’est de dépasser la période de lassitude psychologique que l’on traverse. Retrouver une position volontariste. Jean Monnet, à qui on demandait, dans les années 1950, s’il était pessimiste ou optimiste sur la réussite de l’Europe, répondait : « L’important n’est pas d’être optimiste ou pessimiste, c’est d’être déterminé. » Il faut faire ce qu’on pense nécessaire. S’inscrire dans un mouvement qui, s’il n’est pas perdu, peut être gagnant. J.-L.É. : Je répète aux enfants que je rencontre qu’il ne faut jamais abandonner mais toujours persévérer.

Il faut agir sur sa propre personne, sur un petit groupe d’individus, là où on peut intervenir. Plus la cible est lointaine, moins nous avons de solutions à proposer. Or, il est primordial d’apporter des solutions. Les grandes messes suscitent de l’espoir et créent du désespoir. La dernière, à Copenhague, a été un échec. H.R. : Il importe de faire connaître les choses positives qui se font. La conférence de Nagoya est un grand pas en avant pour la défense de la biodiversité. De même que la création, en France, de l’Agence de la biodiversité. Reste à savoir quels seront ses moyens financiers. Les bilans sur la biodiversité des entreprises vont aussi dans le bon sens. Ce qui est primordial, dans chacune de nos sphères d’activité, qu’elles soient petites ou grandes, c’est de promouvoir l’envie de faire pour

« QUAND ON TRAVAILLE DANS UNE ENTREPRISE DONT LE PATRON EST SENSIBILISÉ À L’ÉCOLOGIE, ON EST FIER D’Y TRAVAILLER. CE CYCLE VERTUEUX CRÉE UN RELATIONNEL PARTICULIER. »


et environnementale. Les jeunes entrepreneurs, ceux qui sont proches de l’outil de production, ont de plus en plus souvent une conscience écologique. J’ai monté une société il y a longtemps et j’ai compris combien l’entreprise était un outil social et environnemental capital, un outil qui ne vous appartient pas, qui doit aussi « redistribuer » sa richesse. LES ENTREPRISES SONT DE PLUS EN PLUS NOMBREUSES À INTÉGRER UNE DÉMARCHE DE RESPONSABILITÉ SOCIÉTALE. CELA PEUT-IL CONTRIBUER À FAIRE BOUGER LES LIGNES ? J.-L.É. : La fierté que donne l’idée

lutter contre le pessimisme ambiant. C’est foutu quand on dit que c’est foutu. Au sein du mouvement Humanité et Biodiversité, que je préside, quand on fait quelque chose et que ca marche, ça remonte le moral et on est prêt à continuer. On ne peut pas grand-chose contre ce qui se passe en Amazonie, au Congo ou en Indonésie, mais on peut agir dans son jardin, sur son balcon. Les enfants des écoles qui assimilent ce message sont plus positifs, plus dynamiques. J.-L.É. : Beaucoup de gens agissent localement. Je suis président de l’Observatoire pyrénéen du changement climatique, qui travaille de part et d’autre des Pyrénées. Les scientifiques français et espagnols s’y rencontrent pour échanger sur les variétés qu’il faut planter, les retenues collinaires à mettre en place… Ce sont des actions concrètes. LES CITOYENS, LES ASSOCIATIONS JOUENT UN RÔLE PRIMORDIAL. LES ENTREPRISES JOUENT-ELLES LE LEUR ? J.-L.É. : Les entreprises font beaucoup

d’efforts pour optimiser leurs processus de fabrication et réaliser des économies d’énergie. J’en ai visité certaines comme Body Nature, qui a rénové des bâtiments pour les isoler et a installé des éoliennes. WE DEMAIN INITIATIVE

H.R. : Il existe une nouvelle génération d’entrepreneurs. J’ai donné des conférences dans une entreprise de transports. Les chauffeurs étaient très éveillés à l’environnement. Ils soignaient leurs moteurs. Ils étaient très fiers. Cette fierté joue un atout considérable dans la bataille. La cause écologique est une des rares causes nobles, dont on peut être fier. Comme disait Mikhaïl Gorbatchev : « Il faut sauver la planète ! » LES ENTREPRENEURS D’AVENIR, QUI TIENNENT LEUR TROISIÈME PARLEMENT, SONT-ILS PORTEURS DE SOLUTIONS ? J.-L.É. : Un véritable tissu d’économie

circulaire se met en place. J’ai rencontré des entrepreneurs remarquables. Comme cette entreprise de recyclage d’aluminium près de Cahors qui produit des biellettes pour les pistons du matériel agricole Toyota. Ou les établissements Ferrari, qui fabriquent des bâches et réalisent les toiles tendues sur les stades de Montréal, en récupérant les anciennes qu’ils recyclent. Ces entreprises fonctionnent en économie circulaire. Souvent, elles vont plus loin, essaient d’avoir un peu de terrain, installent des nichoirs, des ruches : il s’agit alors d’une démarche globale à la fois sociale, énergétique

de prendre la bonne voie fait du bien à tout le monde. Aux employés tout d’abord. Quand on travaille dans une entreprise dont le patron est sensibilisé à l’écologie, on est fier d’y travailler. Ce cycle vertueux crée un « tissu » sensibilisé, un relationnel particulier. Ce sont autant de bourgeons, de germes de solutions. L’entreprise, c’est ce qui fait manger les gens, qui apporte l’argent dans le ménage. Si en plus on en est fier, ça change tout ! Ça repose souvent sur un chef d’entreprise qui s’est dit « On va changer quelque chose » et cela « irrigue » jusqu’aux familles des employés. C’est l’ensemble du niveau de l’entreprise qui s’élève. C’est une reconquête du sens civique. L’environnement, c’est du sens civique. CHACUN PEUT-IL RESSENTIR CETTE FIERTÉ DE CHANGER LE MONDE ? J.-L.É. : Lors d’une conférence, une

dame est venue, de loin, m’interroger : « Je suis grand-mère, mes enfants sont casés. J’ai des petits-enfants à qui je voudrais transmettre quelque chose de beau. Que puis-je faire ? » Elle avait un jardin. Et des pommiers qu’elle « traitait ». Je lui ai conseillé de placer des nichoirs. « Vous attirerez ainsi les mésanges. Elles mangeront les pucerons et vous n’aurez plus besoin d’utiliser des produits. » Un jour, j’ai reçu un message : « C’est formidable, ça s’est passé comme vous me l’aviez annoncé ! » Elle a simplement recréé un écosystème dans son jardin… X « Là où croît le péril… croît aussi ce qui sauve », par Hubert Reeves, éd. Seuil, septembre 2013. « Nouvelles Histoires naturelles », par Jean–Louis Étienne, éd. JC Lattès, 2011.

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BODY NATURE PIONNIER DE L’ÉCOLOGIE À LA FRANÇAISE Hélène Martinez

— CETTE ENTREPRISE DE PRODUITS ÉCOLOGIQUES AFFIRME DEPUIS QUARANTE ANS UNE DÉMARCHE DURABLE. C’EST L’ŒUVRE D’UNE FAMILLE VISIONNAIRE AYANT SU TRADUIRE SES CONVICTIONS PAR DES ACTIONS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES VERTUEUSES. —

« VALEURS HUMAINES » Le couple choisit une voie de commercialisation singulière : la vente à domicile, avec une équipe de conseillers et conseillères. Le

bouche à oreille fonctionne, l’entreprise prospère. Gilles et Marie-Thérèse démocratisent une consommation alternative qui n’est pas encore à la mode mais qui répond aux attentes d’une clientèle périurbaine et rurale séduite par les valeurs de la marque. Une clientèle à l’image des vendeurs, de leurs réseaux, de leur tranche d’âge, de leur classe sociale. Une clientèle hétéroclite. « La vente à domicile induit un retour à des valeurs humaines. Elle crée des liens sociaux et humanise les relations entre la marque et le consommateur », développe Olivier Guilbaud, qui emploie aujourd’hui plus de 760 conseillers-distributeurs – sur un total de 876 employés. Et d’ajouter : « Cette approche participe à la qualité des produits. Les clients les testent en aval. Les remontées aident le laboratoire à améliorer nos gammes. Et la vente à domicile constitue une source d’emplois impossibles à délocaliser. » Dès le début des années 2000, une « vague verte » déferle sur la grande

« LA VENTE À DOMICILE PARTICIPE À LA QUALITÉ DES PRODUITS. LES CLIENTS LES TESTENT EN AVAL. LES REMONTÉES AIDENT LE LABORATOIRE À AMÉLIORER NOS GAMMES. ET LA VENTE À DOMICILE CONSTITUE UNE SOURCE D’EMPLOIS IMPOSSIBLES À DÉLOCALISER. »

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distribution. La tendance est au « bio », bon et moins bon. Or, Body Nature maîtrise déjà le commerce de produits biologiques depuis plus de trente ans. L’heure est venue de se démarquer. « Aujourd’hui, l’effet de mode est révolu. Nous constatons une profonde prise de conscience chez les consommateurs. Le bio est devenu un segment de marché. On ne parle plus de niche mais de nécessité. Le développement du laboratoire s’est basé sur ce besoin de qualité », explique Olivier Guilbaud. HAUTE QUALITÉ ENVIRONNEMENTALE L’entreprise connaît alors une croissance exceptionnelle. Son chiffre d’affaires fait plus que tripler en huit ans pour atteindre 22,5 millions d’euros en 2013. Une croissance probablement impulsée par l’arrivée d’Olivier et d’Antoine dans l’entreprise familiale en 2006. À partir de 2007, les deux frères, fils du couple fondateur, codirigent la société sous l’œil avisé de leurs parents, qui restent présidents du conseil de surveillance. Antoine, éclairé par des études de chimie et un parcours pharmaceutique, devient directeur général et supervise la production, la logistique et le pôle de recherche et développement. Olivier, lui, se charge des volets commerciaux, financiers et marketing. Fin 2010, la fratrie entreprend la construction du Cyprès, qui réunit une unité de recherche et développement et une usine à haute qualité environnementale (HQE).

© BODY NATURE

« Notre père a fondé Body Nature sur les bases d’une posture post-soixantehuitarde constructive », s’amuse Olivier Guilbaud, PDG de l’entreprise. Écologiste convaincu, Gilles Guilbaud décide en 1972 de fabriquer des produits d’entretien biodégradables issus de la culture biologique. Une première. Sa femme, Marie-Thérèse GuilbaudBody, scientifique attachée au CNRS, donne son nom de jeune fille à la marque et développe les formules des produits. Après quelques années à Orléans, les Guilbaud installent, en 1981, l’entreprise sur l’exploitation agricole des Body, à Nueil-les-Aubiers, au cœur de la campagne des DeuxSèvres. Ils y établissent un laboratoire et étendent leur gamme aux produits cosmétiques et de bien-être.


OLIVIER GUILBAUD (PHOTO) ET SON FRÈRE ANTOINE VEILLENT SUR LA DESTINÉE ET LE DÉVELOPPEMENT DE L’ENTREPRISE CRÉÉE PAR LEURS PARENTS ET INSTALLÉE DEPUIS 1981 EN POITOUCHARENTES.

Et Body Nature devient la plateforme de production écologique la plus importante d’Europe. « Nous avons fait le choix des matériaux énergétiques les plus innovants, pensé l’orientation du bâtiment, appréhendé le traitement des sols, des eaux de pluie, des déchets. L’électricité est produite grâce à un système photovoltaïque et une éolienne. Une centrale solaire et deux chaudières à biomasse contribuent à notre autonomie énergétique », se réjouit le PDG. Des cultures biodynamiques côtoient des bâtiments écoconçus, des PLUS DE 760 CONSEILLERS BODY NATURE ORGANISENT DANS TOUTE LA FRANCE DES RÉUNIONS DE VENTE À DOMICILE, APPELÉES « RENDEZ-VOUS POUR LA PLANÈTE ».

équipements de production d’énergie renouvelable, des animaux ou encore des bois écogérés. Pour cette initiative, les deux frères reçoivent le label Agir pour notre avenir, décerné par la compagnie d’assurance Generali France, des mains de l’explorateur Jean-Louis Étienne, parrain du Cyprès. La marque a toujours misé sur des procédés techniques innovants, de la conception à l’utilisation des produits. Et, de la culture des plantes jusqu’au service aprèsvente, l’entreprise maîtrise la quasitotalité de la chaîne de production et de valorisation. La fabrication française représente une valeur ajoutée : « Le drapeau français sur un emballage rassure, interpelle, fait

la différence », précise avec enthousiasme Olivier Guilbaud. Body Nature mène par ailleurs une politique de développement social. Dès la fin des années 1990, les fondateurs mettent en place un partenariat avec la filière des huiles essentielles de Madagascar qui les fournit. Une démarche officialisée en 2002 avec la création de la société Mada Body, de droit malgache, favorisant le développement de projets équitables. Body Nature gère ainsi sur l’île deux plantations et un système de produit-partage. Une part du chiffre d’affaires de la société est reversée à des associations œuvrant pour la scolarisation des enfants ou la préservation de la biodiversité locale. Body Nature intervient aussi auprès d’écoles, d’associations françaises et internationales.

© BODY NATURE

CHARTE D’ENTREPRISE En 2012, à l’occasion de son quarantième anniversaire, Body Nature a édité une charte d’entreprise éthique nommée Au-delà du bio. Signé par tous les membres du personnel, le document formalise les trois niveaux d’action de l’entreprise : la conception écologique et qualitative des produits, le respect de l’environnement et une conscience sociale et solidaire. X Body Nature est membre du réseau Entrepreneurs d’avenir

WE DEMAIN INITIATIVE

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NICOLAS COHEN

NICOLAS D’AUDIFFRET

LOÏC DUVERNAY

DES CRÉATEURS BLEU-BLANC-ROUGE QUI BOUSCULENT LE COMMERCE EN LIGNE Hélène Martinez

— LE SITE ALITTLEMARKET.COM PERMET D’ACHETER EN LIGNE PRÈS D’UN MILLION ET DEMI DE CRÉATIONS D’ARTISTES ET D’ARTISANS DE LA FRANCE ENTIÈRE. LE SUCCÈS DE LA PLATEFORME ET SON EXPANSION DANS LES SECTEURS DE LA MERCERIE ET DE L’ÉPICERIE TRADUISENT L’ATTRAIT DES FRANÇAIS POUR LES PRODUITS ARTISANAUX ET NATIONAUX. UN MARCHÉ PORTEUR EN PASSE DE DEVENIR UN PHÉNOMÈNE DE SOCIÉTÉ. —

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sur une plateforme d’e-commerce. Ensemble, ils lancent l’aventure A Little Market. Très vite, ils sollicitent Loïc Duvernay pour réaliser un audit. Celui qu’on appelle Super Loïc est programmeur depuis près de vingt ans. Il rejoint finalement le binôme pour prendre les rênes du projet. Il assume aujourd’hui le rôle de directeur technique de la plateforme, mise en ligne en 2008. « MADE IN FRANCE » Les vendeurs et les acheteurs se bousculent pour adhérer au concept. Leur enthousiasme incite le trio à renoncer à ses activités professionnelles pour s’investir pleinement dans le

développement de la start-up. Chaque année, la croissance dépasse 100 %. Le site enregistre aujourd’hui 2 millions de visites par mois et accueille chaque jour de 40 à 80 nouveaux créateurs. La vague politique et médiatique du made in France vient soutenir le concept, qui a pourtant quatre ans d’avance sur celle-ci. Mais ses fondateurs mesurent aussi l’inclination des consommateurs à donner du sens à leurs achats. « Nous observons une tendance de fond présente en France depuis des années mais pas toujours évidente à mettre en pratique pour le consommateur. Nous répondons à cette attente en informant l’internaute sur l’origine du produit et son créateur.

« LES MICROENTREPRISES ET LES ARTISANS REPRÉSENTENT L’AVENIR DE LA PRODUCTION FRANÇAISE. LEURS PRODUITS ONT UNE ÂME, UNE ORIGINALITÉ QU’IL EST IMPOSSIBLE D’IMITER OU MÊME D’IMPORTER. »

© SOPHIE LEPERT/A LITTLE MARKET

Un jour de 2007, dans le Sud-Ouest de la France, Nicolas et Nicolas rencontrent Igor. Le premier, Nicolas Cohen, mène alors une carrière dans l’industrie à la suite d’une formation d’ingénieur à l’École des arts et métiers et entrepreneuriale à HEC. Le second, Nicolas d’Audiffret, diplômé de l’ESCP Europe, exerce dans un cabinet de conseil en stratégie entre Paris et San Francisco. Tous deux nourrissent l’ambition de bâtir un projet d’entreprise sociale. Igor Gaignault, artisan spécialisé dans les arts de la table et le travail de l’ardoise, leur exprime son aversion pour le versant commercial de son métier. Cela inspire une idée au deux Nicolas. Il existe en France des milliers d’artisans comme Igor. Ils ont de l’or dans les mains mais pas forcément dans les poches. Ils ont le talent artistique mais pas nécessairement la fibre commerciale. Ils existent dans toutes les régions de France mais sont parfois éloignés de leurs prospects. Les futurs associés flairent le potentiel d’Internet pour la diffusion et la distribution de ces créations artisanales. Ainsi naît l’envie de rassembler artistes et artisans


© SOPHIE LEPERT/A LITTLE MARKET

LANCÉ EN DÉCEMBRE 2008 PAR UN TRIO DE JEUNES ENTREPRENEURS (PAGE DE GAUCHE), A LITTLE MARKET FÉDÈRE UNE IMPORTANTE COMMUNAUTÉ D’ARTISANS ET DE CRÉATEURS.

L’essor de la plateforme est proportionnel à l’engouement des Français pour le made in France », précise Nicolas d’Audiffret. A Little Market facilite ainsi la vente pour les 63 000 créateurs qu’elle représente aujourd’hui, et ne prend que 5 % de commission sur chaque vente contre 60 % chez un distributeur traditionnel. Les vendeurs affichent ainsi des prix convenables. Et le public en bénéficie directement. Les entrepreneurs allouent une importance toute particulière au lien social. Dans l’univers déshumanisé du web, ils favorisent l’échange entre les créateurs et leurs clients via une messagerie interne dynamique. WE DEMAIN INITIATIVE

A Little Market se refuse à investir dans une campagne marketing classique. « Le bien-être de nos membres – au nombre de 450 000 – est le meilleur des marketings », assure Nicolas d’Audiffret. C’est précisément la tâche qui incombe à l’équipe « bien-être et loyauté » – comprenez service client – : veiller à la satisfaction de la communauté, entretenir une proximité entre ses membres. Depuis 2009, plusieurs événements ont été organisés. En juin 2013, la 3e édition des Journées du fait main a rassemblé plus de 100 événements à travers la France le temps d’un week-end : des ventes, des expositions, des ateliers

et des démonstrations avec les créateurs. Le but : revaloriser l’artisanat et le savoir-faire français. En décembre prochain, le premier Noël des créateurs aura lieu partout dans l’Hexagone sur le même principe d’exposition et de vente de créations locales. A Little Market est enfin à l’initiative du Tremplin des créateurs, premier concours visant à élire sur Internet les meilleurs créateurs de France dans les domaines de la décoration, des bijoux, de la mode et des accessoires. Les vainqueurs sont récompensés par des prix leur permettant de gagner en visibilité. « DO IT YOURSELF » En cinq ans, A Little Market s’est imposé sur le web. Conscients des valeurs positives véhiculées par ce mode de consommation alternatif en plein essor, les fondateurs déclinent la formule. En 2010, A Little Mercerie lance la vente d’articles de confection aux créateurs amateurs et professionnels. Avec 12 000 vendeurs et 474 000 références, le site atteste aujourd’hui un changement des comportements et la vogue du « do it yourself ». Le secteur alimentaire connaît également des mutations ? A Little Épicerie propose depuis mars 2013 l’achat de produits du terroir directement auprès des producteurs, favorisant les circuits courts. Nicolas d’Audiffret en est convaincu : « Les microentreprises et les artisans représentent l’avenir de la production française. Ils n’entrent pas en concurrence avec les pays fabriquant à moindre coût. Leurs produits ont une âme, une originalité qu’il est impossible d’imiter ou même d’importer. Notre rôle est de développer ce type de consommation. » X 45


MADE IN ROMANS Hélène Martinez

— À ROMANS-SUR-ISÈRE (DRÔME), LA CAPITALE DE L’INDUSTRIE DE LA CHAUSSURE, AUJOURD’HUI SINISTRÉE, UN ATELIER DE FABRICATION HAUT DE GAMME RELANCE LES SAVOIR-FAIRE LOCAUX, SOUS L’IMPULSION DU GROUPE ARCHER, ACTEUR DE L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE. —

Fabriquer des souliers à Romanssur-Isère, c’est une tautologie. Fleuron de la commune drômoise depuis plus d’un siècle, la mono-industrie de la chaussure a connu des décennies prospères jusqu’au départ des célèbres chausseurs Stéphane Kélian et Charles Jourdan, en 2005 et 2007. La crise de la fin des années 2000 apporte le coup de grâce. Ébranlées par la concurrence étrangère, la plupart des firmes délocalisent leur production et laissent derrière elles de nombreux Romanais au chômage. Quand,

des ressources. Le groupe mène ses premières expériences de reprise d’entreprises en liquidation, de portage d’activités et de maintien d’activités menacées de délocalisation. En 2007, il entame une stratégie de développement local de l’emploi et crée une holding, SAS Groupe Archer. « Notre comité d’éthique et nos actionnaires ont très vite su qu’il fallait s’intéresser au marché de la chaussure », explique Christophe Chevalier, PDG du groupe, directeur général de l’association Archer et gérant

« IL Y A TOUJOURS DE LA PLACE POUR L’ARTISANAT DE LA CHAUSSURE À ROMANS. SA CULTURE EST INSCRITE DANS L’ADN DE LA VILLE. »

en 2008, sous l’impulsion du groupe Archer, un petit atelier de chausseurs se lance dans la résurrection de cette industrie quasi éteinte sous l’étiquette Made in Romans… MATÉRIAUX RÉGIONAUX Créé dans la même ville en 1987, le groupe Archer est une association de réinsertion qui agit pour la prise en charge des personnes éloignées de l’emploi et soutient le développement économique du territoire en lien avec les chefs d’entreprise et les collectivités locales. Au début des années 1990, il se lance dans la création d’entreprises d’insertion. Dix ans plus tard, il n’est plus seulement question d’accompagner les chômeurs, mais aussi de générer 46

des sociétés « filles ». Soutenu par Claude Alphandéry, le héraut français de l’économie sociale et solidaire, le projet prend forme avec le rachat d’une ligne de fabrication des anciennes entreprises Jourdan et le dépôt, en 2008, de la marque Made in Romans. « Il y a toujours de la place pour l’artisanat de la chaussure à Romans, explique le PDG. Sa culture est inscrite dans l’ADN de la ville. Nous ressentons une réelle émotion collective autour de cette dynamique. » Dans l’atelier de Made in Romans, ouvert en octobre 2008, les chaussures sont fabriquées avec des matériaux régionaux : les cuirs proviennent de la tannerie Roux, implantée dans la ville depuis 1803 et qui fournit Louis Vuitton


et Christian Dior. Les lacets, les formes, les œillets et les outils de découpe proviennent également du Romanais. Seules les semelles viennent de plus loin – de Cholet, dans le Maine-et-Loire. De l’artisanat de très haute qualité. Une qualité qui incite plusieurs marques françaises à y sous-traiter la fabrication de certains modèles. Par exemple Dessine-moi un soulier, un concept de chaussures sur mesure pour femmes. Les collections propres de l’entreprise romanaise sont distribuées dans des boutiques du bourg et de grandes villes françaises. « Notre clientèle redécouvre avec nostalgie des chaussures durables fabriquées et vendues en France. C’est l’apanage du fait main et de l’expérience de nos artisans », précise Christophe Chevalier. L’atelier compte sept salariés : des professionnels aguerris réembauchés après la fermeture de leurs anciennes usines, mais aussi des jeunes qui se forment aux métiers de la chaussure. PLUS DE 90 % DES MATIÈRES PREMIÈRES PROVIENNENT DE LA RÉGION DE ROMANS. UNE ÉTHIQUE DÉVELOPPÉE PAR CHRISTOPHE CHEVALIER (CI-DESSOUS).

LE PDG DU GROUPE ARCHER, CHRISTOPHE CHEVALIER, VEILLE SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA QUALITÉ DES CHAUSSURES « MADE IN ROMANS ».

PROFITS RÉINVESTIS Cette réussite a initié un mouvement. Dans ses locaux, l’entreprise accueille depuis plus d’un an l’association Romans Cuir, qui structure la filière cuir, chaussure et maroquinerie du bassin romanais. Au sein de ce regroupement de chefs d’entreprise, des créateurs restés ancrés dans des niches telles que la chaussure d’escalade, de danse ou le nu-pied témoignent de leur envie de collaborer. « Lorsque nous avons débuté notre activité, aucun projet lié à la chaussure n’avait vu le jour en vingt ans. Aujourd’hui, on voit en apparaître de nouveaux. Si les PME d’un même territoire coopèrent, elles apporteront de l’excellence, de la survie et du développement pour chacun », s’enthousiasme l’entrepreneur. Made in Romans affiche déjà une production annuelle de 3 500 paires, et un chiffre d’affaires de 180 000 euros.

« LA CHAUSSURE REPRÉSENTE UN ENJEU ÉCONOMIQUE CRUCIAL POUR LA RÉGION, PARTICULIÈREMENT EN MATIÈRE D’EMPLOI. NOUS VOULONS MONTRER QUE LA COOPÉRATION ÉCONOMIQUE FONCTIONNE. »

Dans un audit réalisé bénévolement, le cabinet de conseil en stratégie BCG table sur des objectifs ambitieux. La marque doit pour cela travailler son image et diffuser son message principal : le made in France. Christophe Chevalier y croit : « La chaussure représente un enjeu économique crucial sur le bassin, particulièrement en matière d’emploi. Nous voulons montrer que la coopération économique fonctionne. Main dans la main avec les acteurs du secteur, nous développons un modèle solidaire inspiré des coopératives sociales italiennes. » Les valeurs de Made in Romans sont en effet celles de l’économie sociale et solidaire : les dividendes sont limités au taux du livret A et les profits sont réinvestis dans l’entreprise. Avec une dizaine d’autres chausseurs, Made in Romans a récemment répondu à un appel à projets lancé par le ministère du Redressement productif sur le thème du made in France pour guider de nouvelles initiatives dans d’autres secteurs industriels ou artisanaux, ailleurs en France. X Groupe Archer est membre du réseau Entrepreneurs d’avenir

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WE DEMAIN INITIATIVE


« LA GENTILLESSE EST CETTE MORALE QUOTIDIENNE DES PETITS GESTES QUI TAPISSENT LA SOCIÉTÉ DE BONNE HUMEUR. AVEC DE PETITS GESTES, ON PEUT FAIRE DE GRANDES CHOSES. »

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SOYEZ GENTIL, LE MONDE CHANGERA Interview : Lysiane J. Baudu

— EMMANUEL JAFFELIN, PHILOSOPHE DE L’ÉTHIQUE ET DE LA SOCIABILITÉ DANS L’ENTREPRISE, RÉHABILITE LES VERTUS DE LA GENTILLESSE, VALEUR AUJOURD’HUI TROP SOUVENT DÉCONSIDÉRÉE. —

FAUT-IL RÊVER POUR CHANGER LE MONDE ? EMMANUEL JAFFELIN : Le rêve, au

sens strict, est une fonction nocturne. Si l’on veut changer le monde, il faut donc se réveiller ! Et c’est le souvenir du rêve qui nous donnera la capacité de nous mobiliser et de mobiliser les autres autour de ce qui nous a fait rêver. Au sens large, et en particulier sur les plans politique et sociétal, le mot « rêve » s’apparente à l’utopie. Toutes les forces de changement sont liées au pouvoir d’imaginer un autre futur. Les hommes politiques n’ont plus la main pour changer la donne économique. Il ne leur reste que la possibilité de changer les valeurs et les mœurs, pour pouvoir, sinon changer le monde, du moins en améliorer l’ordinaire. MAIS L’HUMAIN EST-IL FONDAMENTALEMENT BON ? E.J. : Divers discours scientifiques

actuels portent sur l’empathie naturelle. Face à la montée du cynisme, la société est fébrile. Il est donc normal de voir s’allumer ces contre-feux. Plus philosophiquement et moins scientifiquement, je pense, comme Rousseau, que l’homme est naturellement bon, mais au sens où le sauvage, qui n’est pas entré en société, est bon – c’est-à-dire amoral. Ce dernier ne fait pas la différence entre le bien et le mal. Il peut lui arriver de tuer, mais simplement parce que sa survie l’exige. Nous sommes, je crois, originellement WE DEMAIN INITIATIVE

et biologiquement « neutres » moralement. Et c’est la vie en société qui induit la coopération entre les hommes, qui institue les valeurs du bien et du mal, mais aussi qui invente le moi, ce moi qui remplit des pages de littérature et qui est une fiction inventée par l’Occident. Cette fiction n’est pas un rêve mais un cauchemar, qui a débuté avec POUR EMMANUEL JAFFELIN, L’ENTREPRISE INITIE LES HOMMES DU XXIE SIÈCLE À UNE SOCIABILITÉ NOUVELLE.

la Renaissance et abouti à la société dans laquelle nous vivons actuellement. Du coup, plutôt que de refaire le monde, mieux vaudrait déchirer ce mauvais rêve pour montrer que la force de l’homme n’est pas l’individu et le moi, mais au contraire la relation sociale. L’homme est un être relationnel et un Lego, non un atome ou un ego. LA SOCIÉTÉ MARCHANDE EST BRUTALE. COMMENT LUI OPPOSEZVOUS LA GENTILLESSE, DONT VOUS FAITES L’ÉLOGE DANS TROIS DE VOS OUVRAGES ? E.J. : Une gentillesse forcément gratuite,

qui plus est ! L’idée de changer le monde est une manie des sociétés modernes qui repose sur un déni du réel et l’incapacité à l’accepter. Les sociétés traditionnelles ont une acceptation de la réalité qui leur permet de vivre de façon plus fataliste, certes, mais sans doute plus heureuse que nous. Nos sociétés sont en effet caractérisées par la violence. Trois « couples » se sont succédé dans l’histoire. Le mot gentil, à l’origine, désigne le bien né, le « noble ». Il s’oppose à l’ignoble – celui qui n’est pas né noble, qui est du côté de la servitude et deviendra le « vilain » du Moyen Âge. Ensuite, les modernes ont opposé le bon et le méchant, ce dernier défiant l’ordre bourgeois par la violence. Enfin, dans notre monde postmoderne, j’oppose 49


DANS LES NOUVEAUX ESPACES DE TRAVAIL COMME LES LIEUX DE COWORKING, LA GENTILLESSE EST UNE VERTU ESSENTIELLE QUI PERMET NATURELLEMENT LE BIEN-ÊTRE ET L’EFFICACITÉ DE TOUS.

des valeurs qui montent, sous différentes formes, que ce soit avec l’économie solidaire ou dans la vie de tous les jours. La gentillesse est cette morale quotidienne des petits gestes qui tapissent la société de bonne humeur. Avec de petits gestes, on peut faire de grandes choses. Et si chacun s’y adonne un peu, tout le monde s’en trouvera anobli.

le gentil au cynique. À la différence du méchant, le cynique est doux dans les moyens mais violent dans la fin. Il cherche à se faire passer pour gentil alors que c’est un méchant qui avance masqué ! Il faut par ailleurs distinguer gentil et « gentillet », puisqu’on a galvaudé le terme « gentil ». J’essaie de revitaliser la gentillesse à partir d’une noblesse qui n’est plus de naissance, mais qui repose sur l’action et les petits gestes chevaleresques du quotidien. De sociale, la noblesse devient morale ! J’oppose ainsi le gentil, qui rend service à qui le lui demande, au cynique, qui instrumentalise autrui pour obtenir une faveur ou en jouir. Identique au méchant dans la fin – profiter d’autrui ou lui nuire –, semblable au gentil dans

les moyens – par la douceur de son approche –, le cynique est donc difficile à repérer dans notre société, puisqu’il peut passer pour un gentil alors qu’il est méchant ; et le gentil, passer pour un faible alors qu’il est noble. Actuellement, notre société repose sur de fausses valeurs, sur la prédation, l’individualisation, l’idée qu’autrui est à mon service et que je peux le manipuler… jusqu’à le piétiner. Les mondes politique et économique nous fournissent tous les jours des illustrations de tels comportements. On peut s’adapter à cette société ou, au contraire, remettre les cyniques à leur place et mettre en avant les valeurs de partage, de solidarité, d’attention portée à autrui. Ce sont

TROIS OUVRAGES D’EMMANUEL JAFFELIN TRAITENT DE LA GENTILLESSE : « ÉLOGE DE LA GENTILLESSE » (2010) ; « PETIT ÉLOGE DE LA GENTILLESSE », (2011) ; ET « PETITE PHILOSOPHIE DE L’ENTREPRISE » (2012). CES TROIS LIVRES SONT ÉDITÉS CHEZ FRANÇOIS BOURIN.

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LA GENTILLESSE EST-ELLE APPLICABLE À L’ENTREPRISE ? E.J. : On n’est pas obligé, dans

l’entreprise, de soumettre, comme c’est le cas aujourd’hui, les individus à la logique des flux. L’imaginaire suppose que l’on mette l’humain au centre de la relation entreprenariale, sans rien gâcher de la production ni du rendement. Je crois beaucoup à la force de l’imaginaire. L’imagination est productrice de sens. Et je n’oppose pas raison et imagination. S’IL DOIT EXISTER UNE NOUVELLE ÉTHIQUE DE LA GENTILLESSE, OÙ DOIT-ON L’ENSEIGNER ? E.J. : Dans la rue ! La gentillesse, c’est

la morale de la rue. Après tout, Socrate enseignait la philosophie sur la place publique ; nous pouvons bien rendre service à des inconnus ! La gentillesse n’a rien d’institutionnel : c’est une morale empathique, qui repose sur l’humeur, non sur la réflexion. Je dis dans mon Petit Éloge de la gentillesse que celle-ci est le fondement d’une morale impressionniste, non impressionnante. La gentillesse, c’est quand on veut, quand on peut, mais surtout pas quand on doit ! Elle nous libère de l’illusion du moi et nous fait découvrir que nous sommes surtout des êtres relationnels. Mon véritable moi, je le découvre avec les autres, quand précisément je ne suis plus moi. Il s’agit de mettre en œuvre une moralité spontanée, affective, affectuelle et affectueuse ! X


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