Le commerce équitable en zones de conflit

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le commerce Équitable en zones de conflit 3


ÉDITEUR RESPONSABLE Carl MICHIELS

www.phenyx43.be COORDINATION Phenyx43 RÉDACTION Dan AZRIA - Phenyx43 CONCEPTION Julie RICHTER - Phenyx43 PHOTO COUVERTURE United Nations Environment Programme

Les opinions exprimées dans cette publication sont celles de son auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de la CTB ou de la Coopération belge au Développement. Des extraits de cette publication peuvent être utilisés dans un but non commercial à condition d’en citer l’origine et l’auteur. © CTB, agence Belge de Développement, Bruxelles, mai 2012

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LE COMMERCE ÉQUITABLE ORIGINES DU COMMERCE ÉQUITABLE LE COMMERCE ÉQUITABLE, C’EST QUOI ? FILIÈRE LABELLISÉE ET FILIÈRE INTEGRÉE LES ACTEURS CLÉS DANS LE COMMERCE ÉQUITABLE

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LE COMMERCE ÉQUITABLE EN ZONES DE CONFLIT QUAND LE COMMERCE CONVENTIONNEL NE FONCTIONNE PAS QUANT AU COMMERCE ÉQUITABLE

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LES INITIATIVES DE COMMERCE ÉQUITABLE EN ZONES DE CONFLIT AFRIQUE PROCHE-ORIENT ASIE AMÉRIQUE DU SUD

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SOUTENIR LE COMMERCE ÉQUITABLE POUR SOUTENIR LA PAIX LE RÔLE DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES LE RÔLE DES CITOYENS CONSOMMATEURS

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INTRODUCTION Depuis la fin de la guerre froide, près de 125 conflits ont été recensés dans le monde causant plus de 8 millions de victimes et le déplacement forcé d’environ 30 millions de réfugiés1. Si le nombre des conflits connaît une baisse constante depuis cette période, ceux qui persistent ont tendance à se prolonger et affichent un bilan très lourd en vies humaines, mais aussi en termes de dommages environnementaux, économiques et sociaux. Ces guerres touchent souvent les populations d’Etats autoritaires ou, au contraire, affaiblis et impuissants. Leurs économies sont paralysées, les infrastructures sont ravagées, les forces vives contraintes de s’exiler… Derrière le fléau de la guerre suivent souvent les famines, l’occupation militaire ou le terrorisme. Des millions d’hommes, de femmes et d’enfants confrontés au malheur et à la souffrance, autant de visages, d’histoires personnelles, de familles. La résolution de ces conflits constitue le principal défi que doit relever la communauté internationale. Pour ce faire, elle dispose d’une large palette d’outils qui vont de l’intervention militaire au financement de la reconstruction en passant par l’aide humanitaire. Nous défendons dans cette brochure le fait que le soutien au commerce équitable doit être intégré à cette boîte à outils qu’utilisent les organisations internationales et les Etats démocratiques pour favoriser la pacification, la normalisation et la reconstruction des pays ou des régions du monde frappés par la guerre. Nous mettons en évidence, dans ces pages, les bénéfices spécifiques qu’offre le commerce équitable et durable pour apaiser les tensions, rapprocher les communautés et favoriser le développement social et économique rapide de ces pays. Pour vous en convaincre, nous présentons de nombreux exemples d’initiatives et de projets mis en œuvre dans des régions en guerre en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud.

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CrĂŠdit : Artisans du Monde - Ndem

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LE COMMERCE ÉQUITABLE

ORIGINES DU COMMERCE ÉQUITABLE LE COMMERCE ÉQUITABLE, C’EST QUOI ? FILIÈRE LABELLISÉE ET FILIÈRE INTEGRÉE LES ACTEURS CLÉS DANS LE COMMERCE ÉQUITABLE

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Crédit : Max Havelaar - Frederic Raevens

UN PEU D’HISTOIRE

ORIGINES DU COMMERCE ÉQUITABLE Le commerce équitable est né d’un constat simple : les écarts de richesse entre les populations des pays les plus riches et celles des pays les plus pauvres ne cessent de se creuser malgré les sommes investies dans l’aide au développement. En moins d’un siècle, l’écart de revenus entre les 20 % des pays les plus riches et les 20% des pays les plus pauvres est passé de 11 contre 1 en 1913 à 75 contre 1 aujourd’hui. Guerres, catastrophes naturelles, infrastructures défaillantes, corruption… les causes de ce déséquilibre sont multiples mais parmi celles-ci figurent indubitablement des problèmes économiques structurels. La spéculation sur les matières premières, la spirale de l’endettement, la concurrence subventionnée des producteurs des pays industrialisés, tous ces mécanismes constituent autant d’obstacles au décollage des pays les plus pauvres. Bien que ces inégalités commerciales aient été mises en évidence dès le 19ème siècle (notamment avec la publication en 1860 du roman du Néerlandais Edouard Douwes Dekker dont Max Havelaar est le héros), c’est à partir de l’Après-guerre qu’apparaissent les premiers projets de commerce équitable, par des organisations américaines et anglaises (Thousands Villages aux Etats-Unis et l’ONG Oxfam au Royaume-Uni). C’est en 1964, lors de la Conférence des Nations-Unies pour la Coopération et le Développement (CNUCED), qu’est définie pour la première fois la notion de commerce équitable, « Trade not Aid » (« Le commerce, pas la charité ») en constituant le principe fondateur. Les premiers magasins de commerce équitable s’ouvrent en Europe dès la fin des années 60, tandis que se mettent en place dans les pays en développement les coopératives et associations de producteurs qui vont bénéficier de ces échanges plus justes, d’abord dans les secteurs de l’artisanat et de l’agriculture.

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LE COMMERCE ÉQUITABLE C’EST QUOI? En 1999, les principales organisations internationales du commerce équitable (la World Fair Trade Organisation, la Fair Trade Labelling Organizations - FLO, l’European Fair Trade Association - EFTA et le Network of European World Shops - NEWS) s’entendent sur une définition commune : « Le commerce équitable est un partenariat commercial fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Il contribue au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement au sud de la planète. Les organisations du commerce équitable (soutenues par les consommateurs) s’engagent activement à soutenir les producteurs, à sensibiliser l’opinion et à mener campagne en faveur de changements dans les règles et pratiques du commerce international conventionnel ».

Concrètement, le commerce équitable garantit aux producteurs des pays les plus pauvres des prix d’achat plus rémunérateurs que les cours mondiaux ainsi qu’une relative stabilité des prix et la mise en place de conditions et de délais de paiement favorables (voire des possibilités de préfinancement), qui évitent aux paysans et aux artisans de brader leurs produits ou d’avoir recours à des prêts usuraires.

Le prix équitable doit pouvoir couvrir tous les coûts de production du produit, y compris les coûts environnementaux, et assurer aux producteurs un niveau de vie décent. De plus, les acheteurs du commerce équitable s’engagent généralement à verser des primes supplémentaires qui seront utilisées par les producteurs certifiés pour la réalisation d’investissements productifs et/ ou de programmes sociaux (alphabétisation, accès aux systèmes d’éducation et de soins, etc.).

Pour soutenir la mise en œuvre de ce système économique, les organisations du commerce équitable ont listé les 11 GRANDS PRINCIPES A RESPECTER : 1. Créer des opportunités pour les producteurs qui sont économiquement désavantagés. 2. Favoriser la transparence et la crédibilité. 3. Encourager la capacité individuelle. 4. Promouvoir le commerce équitable. 5. Garantir le paiement d’un prix juste. 6. Veiller à l’égalité entre les sexes. 7. Assurer des conditions de travail décentes. 8. Proscrire le travail des enfants. 9. Protéger l’environnement. 10. E ncourager des relations commerciales fondées sur la confiance et le respect mutuel.

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11. P romouvoir le respect et la diffusion de l’identité culturelle valorisée dans les produits et procédés de production (nouveau critère).


FILIÈRE LABELLISÉE ET FILIÈRE INTEGRÉE Depuis 1988 et la création de l’IFAT, l’Association Internationale du Commerce Equitable (devenue en 2009 la WFTO, l’Organisation Mondiale du Commerce Equitable) d’une part, et le lancement du label Max Havelaar d’autre part, on observe l’émergence et la coexistence de deux grandes filières de régulation du commerce équitable : la filière intégrée (avec la WFTO et l’EFTA –European Fair Trade Association - notamment) et la filière labellisée (avec en particulier FLO Max Havelaar). Mode d’organisation historique du commerce équitable, la filière intégrée présente comme caractéristique principale le fait que différents acteurs intervenant dans l’élaboration et la commercialisation du produit (producteur, importateur et points de vente) sont engagés dans le commerce équitable et se conforment volontairement (voire activement) à ses principes. Ainsi, ce sont ces acteurs de la filière qui bénéficient de la certification (généralement associée à un logo) correspondant à ces règles et critères, qu’ils ont définis collectivement. La filière labellisée repose sur la certification du produit commercialisé. Les entreprises qui élaborent ces produits s’engagent à respecter un cahier des charges précis et à s’approvisionner auprès d’organisations de producteurs des pays en développement (souvent des coopératives) qui ont été agréées par l’organisme de labellisation (organisation indépendante qui certifie le respect des critères définis pour l’attribution du label). Les produits labellisés peuvent ensuite être commercialisés dans n’importe quel point de vente, y compris la grande distribution classique. Le label Fairtrade (Max Havelaar) est le plus célèbre d’entre eux. La coexistence de ces deux filières illustre l’existence de visions différentes du commerce équitable, qui portent en particulier sur le type de relations à établir avec les acteurs économiques privés (multinationales, grande distribution) et sur des divergences entre une vision de développement (et de dénonciation du commerce international) d’un côté et une perspective commerciale reposant sur la réglementation d’autre part.

Crédit : Max Havelaar - Candico

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LES ACTEURS CLÉS DANS LE COMMERCE ÉQUITABLE TROIS CATÉGORIES D’ACTEURS CONSTITUENT LA CHAINE DU COMMERCE ÉQUITABLE : - LES ORGANISATIONS DE PRODUCTEURS OU DE TRAVAILLEURS qui produisent, cultivent ou transforment les matières premières locales. Pour participer aux programmes de commerce équitable, ils doivent adhérer à une organisation agréée ou faire certifier leur production. Dans les pays du Sud, c’est souvent FLO-Cert qui vérifie l’adéquation avec les standards définis par Fairtrade International2 qui délivre le label commerce équitable (mais d’autres intervenants sont présents sur ce marché, comme Ecocert ou Fair for Life par exemple). - LES OPÉRATEURS SUR LES MARCHéS qui importent, exportent ou transforment les produits du commerce équitable. Par exemple, Solidar’Monde en France ou, bien évidemment, Oxfam Fair Trade, Oxfam-Magasins du monde et Oxfam-Wereldwinkels en Belgique. Certains acteurs du commerce conventionnel assurent eux aussi l’importation ou la transformation de produits équitables certifiés. - LES DÉTAILLANTS qui vendent directement aux consommateurs, soit au travers de commerces spécialisés, comme par exemple les Magasins du monde, soit, de plus en plus, dans des chaînes de supermarchés traditionnels.

Crédit : Alter Eco

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LE COMMERCE ÉQUITABLE EN ZONES DE CONFLIT

ÉCONOMIE, COMMERCE, PAIX ET DÉVELOPPEMENT De nombreuses théories économiques soulignent les relations qui existent entre développement économique, paix et stabilité. Les principes de ces théories sont relativement simples : en favorisant l’enrichissement des acteurs économiques par les échanges commerciaux sur un territoire donné, on encourage ces acteurs à considérer le fait qu’ils ont plus à gagner à collaborer les uns avec les autres plutôt qu’à s’affronter. Ces échanges favorisent l’enrichissement des parties, leur permettant ainsi de sortir de la misère et d’accéder aux minimums vitaux (eau et nourriture en particulier) puis aux services sociaux (santé et éducation) grâce auxquels ils pourront développer de nouvelles activités économiques à plus haute valeur ajoutée et atteindre de nouveaux paliers dans l’échelle du développement. Ces théories ont prouvé leur validité dans de nombreux cas. Elles sont d’ailleurs au fondement de la construction européenne voulue par les pères fondateurs qui, au lendemain de la guerre la plus terrible de l’Histoire, ont estimé qu’en interconnectant les économies de ces nations jadis opposées, on éloignait d’autant le risque d’un nouveau conflit entre ces populations qui auraient plus à perdre qu’à gagner à entrer en guerre à nouveau.

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QUAND LE COMMERCE CONVENTIONNEL NE FONCTIONNE PAS

Crédit : Adam Cohn

Aussi intéressantes soient-elles, ces théories ne sont pas universellement valides. En effet, de nombreux cas peuvent être relevés où l’action des acteurs économiques favorise les conflits et encourage les tensions, se nourrissant même parfois du chaos engendré par la guerre. Les guerres du diamant menées dans les pays d’Afrique centrale dans les années 1990 constituent autant d’exemples de ces situations où des acheteurs internationaux ont encouragé des crimes de guerre en finançant les activités des rebelles en échange de l’accès aux ressources minières. En Colombie, de grandes sociétés ont préféré soutenir les milices paramilitaires pour garantir leur mainmise sur les ressources du pays plutôt que de traiter avec les producteurs locaux ou les autorités représentatives ; sans parler des agissements des multinationales pétrolières dans les pays africains ou du SudEst asiatique (Birm anie, etc.).

Qu’est-ce que ces exemples (où l’intervention des acteurs économiques nuit à l’instauration de la paix) ont en commun ? Dans quel cas, le commerce classique nuit-il au développement ?

Y a-t-il des conditions ou des prérequis pour que le commerce favorise le développement. Tout d’abord, l’intérêt général Par définition, les échanges commerciaux se font dans l’intérêt des parties prenantes (l’acheteur et le vendeur). Si ces parties prenantes sont des élites corrompues qui refusent de se plier aux règles de la collectivité pour satisfaire leur intérêt particulier, alors ces transactions se feront au détriment de l’intérêt général et au profit du plus fort. C’est le cas par exemple si ces puissances commercialisent les fruits du travail de populations locales forcées à produire (comme ce fut le cas pendant des années avec les mineurs de diamant que les milices et parfois les armées nationales traitaient comme des esclaves). Or, diamants, minerais rares, souffrances,... Ces situations sont d’autant plus importantes que les pays en question sont riches en matières premières. En effet, si la richesse d’un pays est fondée sur ses ressources naturelles et n’est donc pas directement proportionnelle au niveau de développement (et d’éducation) de sa population, des décideurs nationaux dénués du sens de l’intérêt général n’ont aucun intérêt immédiat à partager les fruits de la vente de ces ressources avec des acheteurs internationaux uniquement motivés par la rentabilité. Parce qu’elles attisent la convoitise des acteurs étrangers sans scrupules et qu’elles n’encouragent pas les élites à investir dans l’éducation comme richesse ultime d’un pays, les ressources naturelles (en particulier les plus précieuses) constituent souvent une malédiction pour des Etats qui ont besoin de stabilité pour émerger et se développer.

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Les failles du système Les théories économiques dites « classiques » soutiennent que les échanges favorisent le développement des populations et encouragent l’instauration de la démocratie par l’émergence d’élites éduquées qui aspirent à la liberté et à la paix. C’est souvent vrai, ainsi que l’attestent de nombreux exemples, en Europe et en Asie notamment. Mais il convient de relever aussi certains dysfonctionnements propres au système économique global. En autorisant, voire en encourageant la spéculation à outrance, ce système va parfois à l’encontre de l’intérêt des populations locales et des politiques de développement qui exigent des perspectives de moyens termes (la capacité à planifier des investissements en se fondant sur des anticipations de résultats). Olivier De Schutter, Rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation, souligne cette incompatibilité : «Si vous respectez les règles du marché libre, l’eau et la terre atterriront dans les mains de quelques forces capitalistes. (…). Nous n’apprenons toujours pas assez de nos erreurs. Les ONG et les organisations paysannes savent depuis longtemps que la petite échelle est l’avenir»3. En outre, l’ouverture systématique des marchés telle qu’elle est prônée par les grandes puissances économiques (qui bloquent par ailleurs l’entrée de certains produits sur leurs marchés nationaux) peut aussi constituer un obstacle au développement des pays les plus fragiles (en particulier ceux qui connaissent ou ont connu des situations de conflits ou de violences étendues). Trop souvent dépendants de l’aide internationale, ces pays ont besoin de protéger leurs secteurs économiques naissants avant d’affronter la concurrence des pays plus industrialisés. Dans ces cas, l’application aveugle de certains dogmes ne se fait pas au bénéfice des populations locales désireuses de produire et de travailler pour le bien-être de leurs familles et le développement de leurs communautés.

La haine, dernier obstacle Ces aspirations sont aux fondements de l’économie. L’être humain cherche à assurer à sa famille et à sa communauté (locale, tribale, régionale ou nationale) bien-être et confort. Si les échanges commerciaux lui permettent d’atteindre ces objectifs plus facilement qu’en pillant ou en volant, il aura tendance à travailler pour produire, vendre, s’enrichir et améliorer les conditions de vie de ses proches. Encadré par des règles communes, ce «matérialisme minimal» constitue l’un des ciments les plus fondamentaux des sociétés humaines. Pourtant, il est des situations où cette propension humaine ne suffit pas, où la haine de l’autre est telle qu’elle surpasse le désir de satisfaire les besoins de sa famille. Cela est particulièrement vrai dans les conflits ancestraux où, en mémoire des générations précédentes tombées au combat, on engage les vies de ses enfants. C’est souvent pire encore quand la religion s’en mêle, quand les individus dédaignent pour eux et leurs familles des perspectives de confort, de paix et de bien-être pour des questions de dogmes religieux qui souvent prédisent une vie meilleure après la mort en échange du sacrifice de soi ou de ses proches.

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QUANT AU COMMERCE ÉQUITABLE Dans les pays les plus exposés, la guerre, l’occupation militaire, les attentats ou l’oppression ont détruit les infrastructures, accaparé les forces vives du pays, meurtri des générations, affaibli les élites modérées et suscité des replis identitaires. Le modèle économique classique n’est alors pas toujours la solution idéale pour mobiliser les populations autour de projets fédérateurs et stabilisateurs.

LES BÉNÉFICES DU COMMERCE ÉQUITABLE DANS LES PAYS FRAGILISÉS PAR LA GUERRE Par rapport au commerce classique, le commerce équitable présente des avantages d’ordre économique, social ou politique qui justifient l’engagement des acteurs internationaux en faveur de ce type d’initiatives.

Responsabiliser les acteurs locaux «Tandis que les intervenants externes, tels que les gouvernements étrangers, les organismes intergouvernementaux et les ONG, peuvent jouer un rôle important en facilitant les processus de transformation du conflit, un consensus quasiment unanime fait des intervenants locaux les principaux responsables de la construction de la paix. Une approche stratégique de la construction de la paix favorise la primauté des intervenants locaux»4. Cette position est aujourd’hui très largement partagée par les acteurs qui soutiennent les processus de pacification et de reconstruction. Or, la participation active des populations locales implique que celles-ci appréhendent clairement les bénéfices qu’elles tireront de ces processus. Déposer les armes, d’accord, mais pour faire quoi ? Pour vivre de la pitié de l’Occident ? Pour me soumettre à des multinationales qui gèreront mon destin dans de grands bureaux à Londres, Paris ou New York ? En négociant en direct avec eux, en leur offrant des perspectives visibles et accessibles et en leur fournissant un appui technique adapté, les acteurs du commerce équitable et durable responsabilisent les producteurs locaux qui peuvent alors (re)devenir maîtres de leur destin.

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Crédit : UNESCOCaro Gardiner J.

L’accès aux marchés

La réalisation de projets sociaux et de santé

Dans les pays fragilisés par la guerre ou dans les zones de tensions, le principal obstacle que rencontrent les populations locales qui souhaitent commercialiser leurs produits concerne l’accès aux marchés. Insécurité, barrages de soldats, tracasseries administratives, infrastructures détruites, moyens de transports confisqués,… autant d’obstacles aux échanges commerciaux qui permettraient de développer des projets économiques, de réaliser des investissements productifs ou de mettre en place des programmes sociaux. Sur cette question, le commerce équitable propose des solutions valables et avantageuses, ainsi que le souligne Harriet Lamb, directrice aujourd’hui de Fairtrade International : « Les agriculteurs des pays touchés par des conflits comme la Palestine, la République démocratique du Congo et l’Afghanistan font face à d’énormes difficultés pour cultiver d’abord, puis pour trouver des marchés pour leurs produits, et encore moins à un prix équitable. C’est pourquoi nous sommes si soucieux de permettre à ces agriculteurs de vendre leurs produits sous le label Fairtrade, ce qui va de fait leur ouvrir plus de portes et leur permettre de bénéficier de revenus plus durables et d’améliorer les perspectives d’avenir pour leurs communautés. (…) Nous établissons des lignes de ravitaillement vitales et des routes commerciales qui permettront aux producteurs d’autres régions d’emboîter le pas. Nous espérons ainsi poser les fondements économiques de la paix»5.

Dans ces pays, les infrastructures productives ou sociales ont souvent souffert des combats. Le commerce équitable, dans la mesure où il associe à toute transaction commerciale des investissements productifs ou sociaux (primes spécifiques s’ajoutant aux prix d’achat pratiqués), garantit le fait qu’une part significative des revenus de la transaction sera consacrée à la réalisation de projets qui auront un impact réel et rapide sur le bien-être et le confort des populations.

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Evoquant en particulier les projets de commerce équitable en Irak et au Pakistan, Harriet Lamb souligne le fait que «la labellisation commerce équitable (Fairtrade Labelling) garantit à ces petits producteurs un prix équitable pour leurs produits et ces revenus sont généralement consacrés aux besoins essentiels du quotidien tels que l’achat de vêtements et de nourriture et l’éducation des enfants»6. Au Timor Leste, les producteurs de café se sont organisés en coopératives pour créer une structure unifiée, Cooperativa Café Timor, qui a construit et mis en place un réseau de cliniques et de dispensaires mobiles. Cette organisation (qui propose du café certifié équitable et biologique) est ainsi devenue le premier pourvoyeur de soins de santé dans les zones rurales du Timor Leste 7.


«Après le conflit, les femmes sont souvent une force pour la croissance économique.» Maria Livanos Cattaui, ancienne secrétaire générale de la Chambre de Commerce Internationale

Crédit : Erik Törner

Le respect des femmes Directement ou indirectement, les femmes figurent souvent parmi les principales victimes de la guerre. Dans les conflits les plus durs, elles voient leurs époux et leurs fils prendre les armes, sont parfois considérées comme des ressources à piller, sont victimes de viols et de maltraitance. Et même dans les situations de tensions moins brutales (des situations d’occupation militaire ou de colonisation), les crispations identitaires conduisent à leur mise à l’écart de la société civile, à la perte de leurs droits. Ainsi, en Palestine et en Israël, «les femmes arabes qui n’ont pas accès à l’éducation souffrent de trois handicaps : elles sont arabes dans un Etat juif, femmes dans une société patriarcale et travailleuses non qualifiées»8. Or, le commerce équitable ou durable favorise la participation des femmes dans le fonctionnement des activités économiques et celles-ci contribuent activement à la pacification des relations entre groupes jadis opposés. Ainsi, les organisations spécialisées reconnaissent «de plus en plus le rôle que les femmes peuvent jouer en favorisant la paix et la médiation à différents niveaux de la société. De nombreux cas ont été relevés de femmes d’affaires à l’origine d’initiatives importantes, abordant plus particulièrement la question du genre dans le conflit. Ces exemples incluent un réseau de femmes travaillant au-delà des divisions ethniques pour régénérer

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des sources de revenus, et une organisation de femmes d’affaires qui favorise la réconciliation par le biais d’une activité économique commune entre les petites entreprises»9.

Le respect et la valorisation des cultures et des identités L’un des enjeux majeurs des processus de normalisation concerne la restauration des sentiments de dignité dans les communautés touchées par les exactions ou l’oppression. Le sentiment d’humiliation entre en compte dans le cercle vicieux de la violence qui pousse chaque nouvelle génération conditionnée par ces récits de prisons, de brimades et de massacres à vouloir restaurer la fierté communautaire par la vengeance. Les ONG qui interviennent dans ces régions le savent, cette dimension psycho-collective est l’une des plus complexes à gérer. Et l’aide financière massive (quelles que soient ses vertus en termes de reconstruction) n’aide pas particulièrement à restaurer la fierté communautaire autour de projets fédérateurs. Pour traiter cet aspect de l’aprèsguerre et aider les communautés à reconstruire leur identité culturelle pour l’avenir de manière positive, le commerce équitable constitue une solution formidable. Interrogé lors du Salon de l’Alimentation Biologique de Nuremberg en 2006 à propos des problèmes politiques entre Israël et la Palestine,

ainsi que sur les éclairages négatifs donnés par les médias sur la région, Nasser Abufarha, fondateur de Canaan Fair Trade et de l’Association Palestinienne du Commerce Equitable (Palestinian Fair Trade Association) insistait beaucoup sur ce point : «Les gens sont enthousiasmés de voir une présentation positive de la Palestine à travers nos produits de haute qualité. (…). Canaan Fair Trade est une présentation de ce qu’est la Palestine et de ce que les Palestiniens voudraient faire. Ce conflit n’a pas été notre choix, il nous a été imposé. Il est regrettable que la plupart des pays ne perçoivent que la Palestine et les Palestiniens dans le contexte d’un conflit. Nous travaillons à sortir de cette image en présentant nos agriculteurs et nos artisans ainsi que les produits que nous fabriquons, des produits de qualité comparables à ceux de la Toscane ou de la Vallée de Napa. C’est notre contribution à ces questions, une alternative, c’est vrai, et une présentation adéquate de la Palestine»10. Invité au Royaume-Uni quelques mois plus tard, Nasser Abufarha réaffirme cette notion centrale : «Nous avons rendu l’espoir aux agriculteurs palestiniens. C’est un changement qui reconnaît les droits des agriculteurs palestiniens et respecte la valeur de leur rapport à leur terre. Après la marginalisation vécue sous l’occupation israélienne, il s’agit d’une réalisation majeure»11.


Crédit : Small Farmers Big Change.coop

L’éducation à la démocratie Les projets de commerce équitable intègrent une très forte dimension éducative au profit des producteurs locaux et de leurs familles. Ces aspects pédagogiques portent sur la maîtrise des techniques de production et de commercialisation mais aussi sur l’apprentissage des principes de la démocratie locale et participative. Le passage au commerce équitable (qui se traduit in fine par la certification des produits ou de la filière par un organisme extérieur agréé) implique que les producteurs s’organisent ensemble dans le cadre d’une

structure (souvent coopérative) au sein de laquelle les mécanismes de prises de décision doivent répondre à des principes de démocratie et de transparence (élections renouvelées, candidatures ouvertes, etc.).

aider à développer leurs capacités commerciales. (…) Les producteurs forment des coopératives démocratiques et élisent leurs propres dirigeants. Ils désignent ensemble leur directeur et le personnel»12.

lI s’agit d’une position clairement revendiquée par les initiateurs de ces projets : «Les objectifs stratégiques du commerce équitable sont de permettre aux producteurs marginalisés et aux travailleurs de passer de la vulnérabilité à la sécurité économique, de les amener à participer à leur organisation, et de les

L’accès aux filières équitables garantit la plupart du temps des revenus plus élevés mais il exige aussi des communautés (que la guerre a souvent contraintes de se replier sur elles-mêmes) qu’elles adoptent des modes de fonctionnement collectif qui constituent la base culturelle de la démocratie.

Le respect et le rapprochement des communautés Qu’elles reposent sur des critères ethniques, religieux ou culturels, les crispations identitaires constituent fréquemment des facteurs déterminants dans le déclenchement ou la poursuite des exactions entre les communautés. Ces spirales de violence radicalisent les positions, nourrissent des haines qui finissent par devenir partie intégrante des identités, créant ainsi des situations dont on sait qu’il faudra souvent des générations pour les dépasser. Dans la mesure où il incite les communautés locales à collaborer autour de projets collectifs, le commerce équitable peut contribuer à réduire les tensions entre communautés géographiquement proches. Le cas du Rwanda est particulièrement significatif, comme le souligne ce témoignage : «Nous avons rencontré des gens de la Compagnie du Café du Pays des Mille Collines13. (...) Lors du génocide rwandais de 1994, 800 000 personnes furent tuées et près de la moitié étaient des producteurs de café. Des familles entières ont été anéanties pour des raisons de haine raciale. Les deux communautés tribales en guerre, les Hutus et Tutsis sont maintenant engagés sur la longue route de la réconciliation. La Compagnie du Café du Pays des Mille Collines soutient ce processus. Dans les communautés où le café est acheté par la Compagnie du Café du Pays des Mille Collines, les producteurs Hutu et Tutsi doivent travailler côte à côte afin de gagner leur vie. Cela conduit les personnes qui autrement seraient ennemis à travailler ensemble avec pour objectif commun d’améliorer la situation de leurs collectivités. (...) Pour chaque livre de café qui est vendue, un dollar est versé à un fonds qui propose des prêts de microfinance aux veuves du génocide»14.

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L’éducation à l’écologie et au développement durable Dans les régions du monde frappées par le fléau de la guerre, la préservation de l’environnement fait rarement partie des préoccupations majeures des populations civiles qui ont généralement comme soucis premiers la recherche de la sécurité et l’assouvissement de leurs besoins essentiels. Pourtant, il s’agit d’une question cruciale car les écosystèmes ont subi des traumatismes majeurs lors des combats. Aussi, dans ces pays fragilisés, il est indispensable d’intégrer, aux actions de stabilisation, de normalisation ou de reconstruction, cette prise en compte des enjeux environnementaux et d’inscrire cette question dans les programmes de développement. Le commerce équitable intègre pleinement le sujet du respect de l’envi-

ronnement, considéré comme l’un des piliers du développement global. De nombreux exemples l’attestent : «Green Action Israël (ONG israélienne membre de Fair Trade Judaica) encourage activement la protection et le renouvellement des ressources naturelles de la terre ainsi que la durabilité sociale des communautés défavorisées. Green Action travaille avec les agriculteurs palestiniens, dans trois petits villages près de Naplouse en Cisjordanie, pour les aider à exporter l’huile d’olive qui est utilisée pour la fabrication de l’Huile de la Paix en collaboration avec Canaan Fair Trade, la branche commerciale de l’Association Palestinienne du Commerce Equitable (Palestinian Fair Trade Association)»15.

Commercer pour exister De nombreux conflits dans le monde ont pour origine des questions identitaires que la fin des hostilités ne règle pas toujours. Comment faire en sorte que des populations hantées par un sentiment d’injustice s’expriment autrement que par les armes ? Comment (continuer à) exister sans poser des bombes ou prendre des otages ? Le respect et la valorisation des traditions et des cultures sont des composantes essentielles du commerce équitable ou durable. Les denrées commercialisées par ce biais ne sont pas présentées et perçues que comme des produits sans origine. Au contraire, les acteurs du commerce équitable s’efforcent tout au long de la chaîne de valoriser autant les producteurs, leur histoire et leur identité, que le produit lui-même.

Ce travail de sensibilisation des producteurs à la préservation de l’environnement constitue une démarche majeure pour valoriser le patrimoine et responsabiliser les acteurs locaux, ainsi que l’expriment des producteurs srilankais : «Nous travaillons désormais avec l’idée d’établir une société prospère et respectueuse de l’environnement. Des programmes de formations ont également été mis en place pour tout le monde, avec des cours d’informatique, mais aussi sur l’agriculture en soi, avec des séances expliquant comment combattre l’érosion des sols, comment entretenir correctement une plantation, préparer du compost, etc. Produire sans pesticides a aussi eu un effet positif sur notre santé, car les produits chimiques sont très agressifs pour les yeux et la peau ! (…) Nous souhaitons nous positionner comme l’entreprise productrice de produits bio la plus soucieuse de l’environnement en Asie du Sud»16. La guerre civile du Sri Lanka a opposé le gouvernement dominé par la majorité cinghalaise bouddhiste aux Tigres de Libération de l’Ilam Tamoul, organisation séparatiste luttant pour la création d’un État indépendant dans l’Est et le Nord du pays. Ce conflit a causé plus de 70 000 morts depuis 1972.

Produire équitable devient une manière d’exister aux yeux du monde. Cette dimension militante positive est soulignée par de nombreux producteurs. Au Tibet notamment : «Tibet Collection travaille directement avec les artisans tibétains, indiens et népalais pour réaliser des créations qui célèbrent la beauté et la culture du Tibet. En tant que membre fondateur de la Fair Trade Federation, nous nous efforçons de créer des relations éthiques et de promouvoir de meilleurs salaires et conditions de travail pour les artisans. (…) Nous encourageons également les ONG et autres groupes indépendants qui cherchent à soutenir ou à promouvoir la culture tibétaine, comme la Campagne internationale pour le Tibet à Washington et la Maison du Tibet à New York»17. Cette spécificité du commerce équitable constitue même une motivation supplémentaire pour les producteurs, ainsi que le souligne Judeh Jamal, ancien directeur du Palestinian Agricultural Relief Committees, une ONG palestinienne : «Ce qui importe, c’est qu’avec chaque bouteille vendue, on raconte l’histoire des agriculteurs palestiniens»18.

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Crédit : Forest People


LES OBSTACLES A SURMONTER Si le commerce équitable présente de nombreux avantages pour la stabilisation et la normalisation des pays fragilisés par la guerre, il est vrai que la mise en place de telles initiatives sur ces territoires nécessite de surmonter un certain nombre d’obstacles spécifiques. Ces «nouvelles frontières» du commerce équitable ne sont pas faciles à atteindre, mais les enjeux sont vraiment à la hauteur des efforts à fournir. Quels sont ces obstacles spécifiques que les opérateurs du commerce équitable doivent intégrer dans leurs projets en faveur des populations vivant dans les zones de conflits ?

Satisfaire les besoins minimums Une première évidence : quels que soient les ressources ou les savoir-faire des producteurs locaux dans les territoires fragiles, la mise en place de projets productifs nécessite en priorité de répondre aux besoins de base des populations (eau, nourriture, vêtements, etc.). Cette dimension humanitaire est prise en compte par certaines organisations du commerce équitable qui intègrent à leur démarche la gestion de ce préalable.

Un minimum de sécurité D’un point de vue opérationnel, l’un des principaux obstacles relevés concerne la sécurité des intervenants, notamment les agents chargés de la certification et du contrôle des produits et des systèmes productifs. Kate Sebag, responsable de Tropical Wholefoods, connaît très bien ce problème. Retards aux points de contrôle, zones contestées, risques pour le personnel international et les consultants,… toutes ces questions lui sont familières. «Nous avons commencé en travaillant dans un pays touché par la guerre, l’Ouganda, dans les années 1980», dit-elle. «Ce n’était pas délibéré, mais nous voulions apporter des marchés aux agriculteurs qui, autrement, devaient lutter pour les trouver, alors nous avons fini par travailler dans les zones isolées et ayant des problèmes politiques»19. Aujourd’hui, Tropical Wholefoods importe des produits issus du commerce équitable en provenance de deux des pays en conflits les plus médiatisés dans le monde, l’Afghanistan et le Pakistan. Bon nombre des inspections externes auxquelles sont soumis les producteurs pakistanais partenaires de l’entreprise sont effectuées par un expert du Sri Lanka, qui travaille dans l’ensemble du sous-continent indien. Mais, à ce jour, il est considéré comme trop dangereux d’envoyer un inspecteur en Afghanistan pour certifier les producteurs de raisins secs des plaines de Shomali au nord de Kaboul20.

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Les coûts d’accès aux marchés et les délais mise en place de filières de production locales dans La ces zones fragilisées exige d’anticiper les coûts importants liés à l’accès aux marchés pour ces produits, qu’ils s’agissent de coûts directs (renouvellement des véhicules, corruption, etc.) ou indirects (blocages, contrôles militaires, etc.). Interrogé sur cette question, Nasser Abufarha, l’un des principaux initiateurs du commerce équitable en Palestine, explique la stratégie adoptée pour gérer cette question : «Il est évident que le fait de travailler sous occupation militaire constitue un obstacle qui accroît considérablement les coûts logistiques et de commercialisation. Donc, notre principal problème finit par être le prix élevé de nos produits, lié à ces coûts spécifiques. Nous compensons cet obstacle en offrant des produits de qualité supérieure qui ont une valeur ajoutée sociale (commerce équitable) et environnementale et qui sont bénéfiques pour la santé des consommateurs»21.

Apprendre aux gens à travailler ensemble (la méfiance) A la différence du commerce traditionnel, le commerce équitable incite les producteurs locaux à s’organiser et à se structurer sous forme de filières dotées d’instances de décisions élues et d’organes de gestion aux compétences clairement identifiées. Ce qui signifie pour les producteurs qu’il leur faut apprendre à collaborer et à travailler ensemble. Préalable indispensable, la restauration de la confiance entre les communautés fait donc partie des contraintes à gérer

Crédit : Max Havelaar

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dans les pays en guerre, en particulier lorsque les violences sont liées à des dissensions entre les communautés. Dans le Sud Liban, il faut attendre mai 2000 et le retrait des troupes israéliennes pour qu’émerge l’idée du commerce équitable. Membre de l’organisation caritative Saint-Vincent de Paul, Philippe Adaime se rend en 2003 dans le sud du pays où il découvre, indigné, des familles entières vivant dans la misère et abandonnées par le gouvernement libanais. «Sous l’occupation israélienne, les habitants de cette région étaient coupés du reste du pays. Beaucoup travaillaient donc en Israël. Après le retrait israélien, l’Etat libanais les a considérés comme des collabos et a délaissé la région» expliquet-il. Le Hezbollah prend la relève de l’Etat et pourvoit au développement des villages chiites en créant des centres sociaux, des hôpitaux, des écoles… mais personne ne se préoccupe, en revanche, des 15 000 à 25 000 personnes qui vivent dans les villages chrétiens. «Nous nous sommes dit qu’il fallait faire quelque chose pour instaurer un climat pacifique, se souvient Philippe Adaime. Les Chrétiens voyaient leurs voisins s’en sortir grâce au Hezbollah, alors qu’eux ne parvenaient même pas à vendre leur production. Il fallait casser cette loi de la méfiance qui faisait que les gens ne commerçaient même plus entre eux». En 2004, Fair Trade Lebanon voit le jour. Une organisation ouverte à tout le monde et qui se fixe comme objectif, à travers le commerce équitable, de rapprocher les différentes communautés. «En leur imposant de travailler ensemble, on oblige les gens à se rencontrer, à discuter. Ça ne crée pas des amitiés fabuleuses mais c’est un début…», résume Philippe Adaime qui se plaît à rappeler que «la diversité fait la richesse du pays. Pour que le Liban continue à exister, il faut un dialogue nourri entre les communautés. Nous y contribuons» 22.


Flexibilité des modèles Fair Trade Le dernier obstacle auquel se trouvent confrontés les producteurs et les distributeurs dans ces zones sensibles concerne les systèmes de certification euxmêmes. En effet, ceux-ci n’ont pas été conçus pour s’appliquer à ces conditions particulières. Interrogée sur ce point, Corinne Ingels, gérante du Domaine Monts de La Lune, une société installée dans le Nord Kivu en République Démocratique du Congo qui produit et vend de la vanille et du cacao, souligne ces difficultés : «Initialement, nous nous étions intéressés au label FLO. A cause du contexte d’insécurité dans le pays, les inspections se sont avérées impossibles à mener. Nous nous sommes donc tournés vers Fair for Life (IMO), qui avait déjà l’avantage de pratiquer la certification de notre ferme biologique et d’un programme d’aide aux petits planteurs bios. Ce label accepte également des fermiers sous contrat avec nous. En outre, il n’impose aucun prix d’achat fixe pour les producteurs. Au final, je dirais que Fair for Life est plus pragmatique et moins dogmatique que FLO. (…) Si l’on veut établir une filière de commerce durable, il faut impérativement passer par des prix corrects et décents payés aux producteurs. A cela s’ajoute une exigence de transparence sur le management. Mais je regrette l’étroitesse d’esprit et la position monopolistique de FLO sur la scène internationale du commerce équitable. Conçu pour l’Amérique latine, son modèle n’est pas transposable tel quel ailleurs. Bien plus flexible, Fair for Life/IMO, aurait grand intérêt à se faire mieux connaître dans le monde»23.

Crédit : COMEQUI

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Ceci étant et malgré certaines rigidités, les systèmes existants peuvent être assouplis, en particulier pour les projets de commerce équitable initiés dans ces zones à risques.

Kate Sebag, Adam Brett et Richard Friend de Tropical Wholefoods, travaillent depuis 2006 à la mise en place d’une filière de production de raisins équitables en Afghanistan. «Obtenir la certification Fairtrade pour les producteurs de raisin était l’un de nos principaux objectifs. Cela a été une question délicate à gérer parce que l’insécurité dans la région est telle qu’elle ne permet pas aux inspecteurs de Fairtrade de se rendre en Afghanistan. Cependant, nous avons travaillé en étroite collaboration avec la Fairtrade Foundation et Mercy Corps pour essayer de développer un mode de certification Fairtrade qui puisse être proposé à des groupes d’agriculteurs dans les pays fragiles et précaires, comme l’Afghanistan et la République démocratique du Congo. Des progrès considérables ont été accomplis dans ce sens»24. Kate Sebag est optimiste : «Jusqu’à l’invasion soviétique, le raisin d’Afghanistan avait la réputation d’être le meilleur au monde.(…). Mais obtenir la certification commerce équitable est essentiel pour la commercialisation, compte tenu des volumes de vente. Bien que les inspecteurs n’aient pas encore été en mesure de visiter les producteurs auprès desquels Tropical Wholefoods se fournit, ceux-ci ont obtenu en février une exemption de la Fairtrade Foundation qui nous permettra d’étiqueter ces raisins secs avec ce logo qui est de première importance»25. Toutes les initiatives de commerce équitable dans les zones dangereuses ne bénéficient pas de telles exemptions, ainsi que l’expliquait en 2010 Michel Verwilghen, de l’ASBL belge Commerce Equitable Grands Lacs (COMEQUI ASBL) qui a longtemps soutenu la coopérative SOPACDI en République démocratique du Congo : «La principale difficulté que nous rencontrons pour faire certifier la SOPACDI au Sud Kivu est liée aux exigences administratives posées pour obtenir la certification, car les coopératives congolaises sont peu développées, quasiment pas structurées et très souvent sans gestion administrative. Il manque aussi parfois de leadership local pour mener à bien des projets de développement des activités de commerce équitable»26. Depuis, les choses ont évolué. Ainsi, grâce à OxfamWereldwinkels, la SOPACDI commercialise depuis la fin de l’année 2011 son café Kivu certifié équitable.

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Crédit : COMEQUI

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LES INITIATIVES

DE COMMERCE ÉQUITABLE EN ZONES DE CONFLIT AFRIQUE / PROCHE-ORIENT / ASIE / AMÉRIQUE DU SUD

On compte aujourd’hui plusieurs centaines de projets de commerce équitable mis en place dans le monde, essentiellement en Amérique latine, en Afrique et en Asie,les continents où se concentrent les principaux conflits recensés depuis la fin de la guerre froide. Les processus de reconstruction sont d’autant plus complexes à mettre en œuvre que ces pays doivent pouvoir s’inscrire rapidement dans le cadre global de la mondialisation pour pouvoir espérer un décollage économique durable. Ce qui implique d’adapter les systèmes productifs, les ressources et les travailleurs aux règles de ce système global tout en protégeant les secteurs stratégiques de ces pays fragilisés. Ainsi que nous allons le voir à travers les projets présentés ci-après, le commerce équitable propose des solutions dynamiques et originales.

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EN AFRIQUE Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Afrique a souffert de très nombreux conflits. Aujourd’hui, alors que de nouvelles élites arrivent au pouvoir, on voit émerger une classe moyenne responsable, dont une partie s’engage en faveur du commerce équitable.

Crédit : COMEQUI

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Troisième pays le plus peuplé d’Afrique avec une population d’environ 68 millions d’habitants composée de plusieurs centaines d’ethnies différentes, la République Démocratique du Congo fait figure de coffre aux trésors grâce aux richesses naturelles de ses sols.

RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO Diamants, pierres précieuses, métaux rares, pétrole brut… autant de ressources qui, depuis l’indépendance, attisent les appétits des puissances mondiales et des multi­ nationales qui n’ont pas hésité à recourir à la violence (parfois) ou à la corruption (souvent) au bénéfice d’un régime qui parût longtemps conçu pour ne servir que les intérêts de son leader historique, Mobutu Sese Seko (renversé par Laurent-Désiré Kabila en 1997 lors de la Première guerre du Congo). En outre, de par son immensité et sa position centrale au cœur de l’Afrique (elle est entourée de neuf pays), la République démocratique du Congo est contrainte de gérer des flux importants de réfugiés fuyant les nombreux conflits qui ont embrasé les pays voisins (Ouganda, Angola, Soudan, Rwanda, etc.), ce qui a largement contribué à déstabiliser les fragiles équilibres ethniques locaux et à créer de multiples zones de tensions. La guerre civile, qui a fait plus de quatre millions de morts et provoqué le déplacement de deux autres millions de personnes, s’est peut-être officiellement terminée mais l’agonie perdure. Chaque jour apporte au Congo son lot d’atrocités, de famine, d’exode, de pauvreté et de maladie. Ce conflit est assurément l’une des tragédies les plus sous-médiatisées de notre génération. C’est pourtant l’une des plus meurtrières depuis la Seconde Guerre mondiale. Des décennies acharnées de violences ont créé ce que les NationsUnies ont appelé le plus grand défi humanitaire auquel le monde doit aujourd’hui faire face27. Peut-être plus encore que ses voisins, la République démocratique du Congo doit s’efforcer de passer d’une situation de construction coloniale artificielle mêlant de multiples ethnies aux cultures très différentes à celle de nation soudée par des socles identitaires communs. Et tout cela, en gérant les convoitises d’organisations ou d’Etats peu scrupuleux que l’unification ou la pacification du pays n’intéresse pas forcément… Dans ces conditions, le commerce équitable et durable offre des perspectives intéressantes pour rapprocher les communautés, enrichir les populations, qualifier et former les producteurs. Tout cela dans un pays d’où sont exportés des pierres précieuses, des métaux rares, du pétrole brut et du café quasiment sans valeur ajoutée. Un défi à relever pour le cœur de l’Afrique.

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Crédit : Tim Dirven / Oxfam Fairtrade

SOPACDI / OXFAM-WERELDWINKELS Dépasser la violence Conséquence des violences qui ont embrasé le pays pendant des années, le commerce équitable n’a pas connu en République Démocratique du Congo le même essor que chez certains des pays voisins (l’Afrique du Sud, le Kenya, la Tanzanie ou l’Ouganda par exemple). Pourtant, les paysans congolais ont terriblement besoin des avantages qu’offrent les systèmes de certification équitable.

Tensions ethniques, infrastructures défaillantes, matériel archaïque,... les petits producteurs rencontrent d’énormes problèmes pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs communautés. Ces difficultés sont particulièrement sensibles dans le secteur du café, pourtant reconnu comme un domaine d’activité stratégique par les autorités nationales. Dans le Sud-Kivu, près des frontières avec le Rwanda et l’Ouganda, l’insécurité est telle que les paysans sont parfois contraints de fuir et d’abandonner leurs plantations qu’ils retrouvent souvent saccagées par les pillards et les milices. Chaque année, des centaines de caféiculteurs se noient en essayant de franchir le lac Kivu pour accéder au Rwanda où ils espèrent trouver des acheteurs pour leurs récoltes28. Ainsi, tandis que se multipliaient les initiatives de commerce équitable dans les pays voisins, la RDC, pourtant l’un des plus grands pays du continent, était considérée comme trop dangereuse par les acteurs du commerce équitable (en particulier les agences de certification).

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La voie du développement passe maintenant par le Kivu Les choses sont en train de changer. Dans cette province du SudKivu, une coopérative caféicole, la SOPACDI (Solidarité Paysanne pour la Promotion des Actions Café et Développement Intégral) est engagée depuis des années dans une dynamique de développement économique et social fondée sur des valeurs de solidarité et de partage. Créée en 2003 sur l’initiative de Joachim Munganga et avec l’appui de la COOPAC (une coopérative rwandaise certifiée Fairtrade en 200329), la SOPACDI a été fondée pour enrayer la spirale infernale dans laquelle se trouvaient les petits producteurs de la région.

Entre la détérioration répétée de leurs biens, les violences interethniques, la volatilité dramatique des cours du café et les chantages auxquels les soumettaient les rares intermédiaires qui se risquaient dans cette zone, les paysans du Sud-Kivu se retrouvaient souvent contraints d’abandonner leurs plantations pour grossir les rangs des réfugiés ou des pillards. Pour déjouer cette fatalité, la SOPACDI s’est organisée en coopérative et achète les récoltes de ses quelque 3000 membres pour les revendre au meilleur prix et initier des projets de développement collectif, avec comme ambition ultime l’amélioration des conditions de vie de ces milliers de familles pauvres.

Crédit : Tim Dirven / Oxfam Fairtrade

Changer la donne Grâce aux partenariats noués avec COOPAC, l’ONG britannique Twin Trading et COMEQUI, une ASBL belge, la coopérative congolaise a réussi à nouer des contacts commerciaux beaucoup plus rémunérateurs et à accroître de manière significative les revenus de ses adhérents. L’organisation a en outre investi dans la mise en place de stations de lavage, de hangars et de matériels, mis à disposition des planteurs. In fine, les responsables de la SOPACDI ont parfaitement intégré la nécessité de travailler sur la qualité des grains de café et ont initié des programmes de sensibilisation et de formation des planteurs aux meilleures techniques caféicoles.

Et maintenant la certification Inspirée par l’exemple de la COOPAC, l’équipe de la SOPACDI (et particulièrement son président, Joachim Munganga) s’est très vite intéressée à la question de la certification équitable, une étape logique dans le projet global de la coopérative. Pendant des années, en dépit de contacts pris auprès d’organisations du secteur, cette ambition s’est heurtée aux écueils de la réalité du Sud-Kivu. Sollicitées, les agences de certification estimaient alors que la sécurité de leurs représentants ne pouvait être assurée. Mais en la matière aussi, les choses ont évolué. Les acteurs internationaux reconnaissent l’ampleur du travail réalisé par la SOPACDI, constatent la diminution (relative) des violences et mesurent les enjeux de ces initiatives dans l’une des régions les plus fragiles du monde.

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«La certification Fairtrade et l’engagement de nos partenaires présentent énormément d’avantages. Grâce à eux, nous avons pu financer l’entretien de dessertes agricoles, financer la création d’écoles et de dispensaires et travailler à la protection des sols et au reboisement des exploitations». Joachim Munganga, Président de la SOPACDI


Crédit : Tim Dirven / Oxfam Fairtrade

De nouvelles organisations se mobilisent aujourd’hui aux côtés de la coopérative congolaise. Grâce notamment au soutien commercial et financier d’Oxfam-Wereldwinkels et d’Alterfin en Belgique, la SOPACDI s’est engagée depuis 2009 dans le processus de certification équitable. Les écueils ont été nombreux et difficiles à franchir. Mais, après une ultime série de correctifs apportés au printemps, la SOPACDI a reçu en juillet 2011 la certification Fairtrade (délivrée par FLO-Cert) pour une part significative de sa production. Les premiers containers de ce café synonyme de solidarité et de développement ont été livrés à Oxfam-Wereldwinkels qui le distribue depuis septembre 2011 sous la marque Café Lake Kivu.

Avec l’appui du Trade for Development Centre de la CTB Cette certification Fairtrade récompense le courage des responsables de SOPACDI qui ont su transformer une vision en réalité. Mais de nombreux obstacles demeurent. Alors que le nombre d’adhérents à la coopérative est en constante augmentation, celle-ci doit faire face aux menaces que représentent le vieillissement généralisé des caféiers (qui datent de la période coloniale) et la détérioration des sols (liée en particulier à la déforestation) qui provoquent une baisse continue de la productivité des plantations.

Crédit : Tim Dirven / Oxfam Fairtrade

Sollicité par Oxfam-Wereldwinkels, le Trade for Development Centre de la CTB, l’Agence belge de développement, s’investit depuis le début de l’année 2011 pour aider la SOPACDI à affronter cette situation. Au terme d’une étude de terrain, l’agence belge s’est en effet engagée (à hauteur de quelque 150 000 euros) dans le cadre d’un vaste projet qui a pour objectifs l’amélioration globale du système agricole et productif de la coopérative, la consolidation de son organisation et le développement de sa force commerciale. Des actions sont mises en œuvre pour renouveler les plantations, former les producteurs à la gestion durable des exploitations, renforcer les structurelles décisionnelles, développer le rôle des femmes, représenter la coopérative et ses produits dans le cadre de salons et de foires commerciales, etc... Des progrès sont ainsi réalisés sur tous les fronts.

En quelques années, la SOPACDI a surmonté de nombreux périls pour emmener avec elle des milliers de familles très pauvres sur la voie du développement et de l’accès au monde.

Pour en savoir plus : Crédit : Tim Dirven / Oxfam Fairtrade

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www.oxfamwereldwinkels.be www.fairtrade.org.uk


L’ASBL Commerce Équitable Grands Lacs Constituée en 2008, l’ASBL belge «Commerce Equitable Grands Lacs» (COMEQUI ASBL en abrégé) soutient les petits agriculteurs de la Région des Grands Lacs par la promotion de la production agricole équitable et/ou biologique. Le partenariat fort qui unissait cette association belge à la coopérative caféière SOPACDI s’est matérialisé par des actions très concrètes : - Fourniture de petit outillage pour les producteurs - Amélioration des installations de lavage de café - Distribution en 2009 de plus de 200 000 plants de caféiers - Création en 2010 d’une pépinière de 500 000 plants de caféiers destinés aux petits planteurs - Mise en place d’une organisation administrative pour solliciter et préparer la certification Fairtrade - Promotion des produits de la coopérative auprès des grands importateurs belges et européens

Crédit : COMEQUI

- Sensibilisation du public belge à la nécessité de soutenir le secteur agricole dans la Région des Grands Lacs

«L’agriculture est sans aucun doute l’activité qui permettra le plus vite et au plus grand nombre d’obtenir des revenus pour vivre dignement. C’est un moyen indispensable pour stabiliser la région et y assurer la paix à long terme». Michel Verwilghen - Commerce Equitable Grands Lacs (COMEQUI ASBL) - www.comequi.org

SAUVER DES VIES ET DES ARBRES

Crédit : Cassandra Nelson - Mercy Corps

En 2009, plus de deux millions de personnes déplacées vivaient en République Démocratique du Congo, notamment dans les régions de l’est du pays, aux frontières avec le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda. La violence et l’insalubrité dans les camps de réfugiés sont telles que des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sont contraints de fuir dans les forêts pour échapper aux attaques des milices et des belligérants qui mènent des raids pour piller les convois humanitaires ou procéder à des recrutements forcés. Ainsi, des petits groupes de réfugiés errent dans les forêts de l’est du Congo, subsistant tant bien que mal grâce à la cueillette. De nombreux témoignages font état de violences sur les femmes et les filles qui doivent s’écarter de ces campements de fortune pour ramasser le bois qui servira à la cuisson des aliments. Dans ces forêts de l’est de la République Démocratique du Congo, Mercy Corps, une ONG qui aide les communautés en péril, a mis en place un programme pour former ces femmes et filles menacées à la construction de fourneaux économes en combustible et à la fabrication de briquettes de biomasse, afin de réduire les quantités de bois de chauffe nécessaires qu’elles doivent aller chercher dans des zones dangereuses. Ces poêles à haut rendement énergétique et les briquettes de biomasse permettent également de réduire la déforestation massive dans la région30.

Pour en savoir plus : www.mercycorps.org.uk

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RWANDA Au cœur de l’Afrique de l’Est, entre la Tanzanie et l’Ouganda, le Rwanda a connu le génocide le plus rapide de l’Histoire avec l’extermination de plus d’un million de ses habitants en 1994, parce que nés Tutsis ou reconnus opposants à la dictature. Aujourd’hui, le Pays des Mille Collines se reconstruit avec dignité. Sécurité retrouvée, corruption plutôt faible, nombreux transports ponctuels... sont des atouts pour le visiteur et pour le développement du commerce équitable et/ou durable. Avec environ 90% de sa population travaillant dans l’agriculture, le Rwanda développe principalement deux grandes cultures d’exportations (le café et le thé) ainsi

que plusieurs autres cultures vivrières (haricots, bananes, pois, manioc, patates douces,…). Lancé en 2000, le programme Vision 2020 du gouvernement rwandais vise à favoriser la réconciliation entre les victimes et les bourreaux en encourageant le développement économique du pays autour de grands projets fédérateurs, en faisant la promotion de l’entreprenariat, en modernisant l’agriculture et en attirant des investisseurs étrangers, européens et américains surtout. Dans ce contexte de reconstruction, les initiatives de commerce durable et équitable prennent toute leur raison d’être en contribuant au rapprochement des communautés31.

Travailler ensemble : LA COOPÉRATIVE

ABAHUZAMUGAMBI BA KAWA «Quand les gens font partie d’une association ou d’une coopérative, ils ont une activité commune et génératrice de revenus, il leur est donc plus facile de se réconcilier»

Jusque dans les années 1970, le café rwandais était parmi les plus réputés dans le monde. Le café rwandais Depuis, sa renommée a décru lentement mais inexorablement. En cause, la chute des prix du café sur les marchés internationaux mais aussi la libéralisation du secteur menée par le pays qui a entraîné très logiquement une très forte réduction des recettes d’exportation32. En plus de cela, pendant les années de guerre civile, nombreux furent ceux qui très naturellement ont abandonné leurs caféiers ou les ont arrachés afin de se consacrer à des cultures plus prioritaires à leur survie. «Avant le génocide, 52 000 hectares étaient couverts de plantations caféières. Quatre ans plus tard (en 1998 – ndlr), on estimait que seuls 24 000 hectares avaient été préservés»33.

François Habimana, secrétaire exécutif de la coopérative Abahuzamugambi Ba Kawa 39

Crédit : Borlaug Institute

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Crédit : Alter Eco

Depuis le début des années 2000, la filière se reconstruit peu à peu. Le Rwanda a replanté 4 à 6 millions de caféiers par an et bénéficié dans le même temps d’une remontée des cours mondiaux et d’une baisse du taux de change de sa monnaie, ce qui a renforcé sa compétitivité. L’arrivée d’Internet a elle aussi bouleversé la situation en permettant au consommateur de choisir ses produits en fonction de leur qualité, privilégiant, dans le cas du café rwandais, les cafés des terroirs dont la qualité est (re)connue. Cette nouvelle donnée a impliqué des changements de mentalité chez les planteurs qui ont dû progressivement privilégier la qualité à la quantité. C’est précisément dans ce contexte qu’apparaissent timidement les premières initiatives de commerce équitable au Rwanda.

« Produire un café de qualité dans l’une des régions les plus pauvres du pays pour rendre courage à la nation», tel est le défi posé en 2001 par l’Office des Cultures Industrielles du Rwanda, l’OCIR, qui dépend directement du Ministère du Commerce. Classé comme l’un des plus pauvres du Rwanda et situé dans la province de Butare, le district de Maraba est choisi comme site d’implantation d’une station pilote de lavage du café dans le cadre du projet PEARL (Partnership for Enhancing Agriculture in Rwanda through Linkages). Mené en collaboration avec la Michigan State University et la Texas A&M University, et avec le financement de l’USAID (l’Agence Américaine pour le Développement International), ce projet-pilote34 «consiste à améliorer la production et la qualité du café produit dans ce district, afin de le vendre sur le marché du café de spécialité, à travers un meilleur encadrement et une meilleure organisation des producteurs, de meilleures pratiques culturales, et une amélioration du traitement du café»35. Une des premières organisations à tirer profit de ce programme fut la coopérative Abahuzamugambi Ba Kawa, dont le nom résume exactement la philosophie : «Ceux qui ont des objectifs communs». Créée après le génocide par 300 petits producteurs qui souhaitaient améliorer leurs conditions de vie, elle rassemble aujourd’hui près de 2000 membres et, fait admirable, permet aux Tutsis et aux Hutus de se côtoyer dans les collines verdoyantes de Butare. Etienne Bihogo, l’un des responsables de cette coopérative, le reconnaît volontiers : «C’est vrai que cette coopérative contribue à la réconciliation. On peut voir notamment dans les stations de lavage du café les gens se retrouver ensemble sur les mêmes tâches. Ils raisonnent désormais tous en termes de profits et ne pensent plus à ce qui pourrait les opposer»36. Distribué par l’Union Hand-Roasted Coffee depuis octobre 2002, le café de la coopérative est commercialisé aux Etats-Unis et au Royaume-Uni (notamment dans les 350 magasins de la chaîne Sainsbury’s). Sa qualité a permis à l’entreprise de faire un bénéfice de l’ordre de 20 000 € et de vendre son café trois fois plus cher que les autres producteurs rwandais. Deux chiffres résument à eux seuls l’évolution de la coopérative : la livre de café était vendue 0,14 $ (0,09 €) en 2001 et 1,36 $ (0,9 €) en 2004 37. Aujourd’hui, Abahuzamugambi Ba Kawa emploie de nombreuses veuves qui, avec l’argent des ventes du café, achètent des vaches et assurent la scolarité de leurs enfants. Selon Etienne Bihogo, «il est significatif de voir que, dans la région de Maraba, les centaines d’enfants des producteurs vont tous à l’école, que les médicaments sont désormais disponibles dans les dispensaires et surtout que les maisons ont été reconstruites ou rénovées. Et cela peut se prolonger»38.

Pour en savoir plus : www.befair.be

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CrĂŠdit : Bead Ffor Life

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Pendant toute la période coloniale, l’Ouganda était considéré comme

la «Perle de l’Afrique»

par les Occidentaux qui ont découvert le pays en recherchant les mythiques sources du Nil. Ses paysages magnifiques, la diversité de sa faune et de sa flore, ses terres fertiles, ses plantations prospères et sa paysannerie aisée,... L’Ouganda semblait prêt à affronter la modernité avec des atouts certains au moment de son indépendance.

OUGANDA La décolonisation En dépit de la forte présence de missionnaires catholiques et protestants, l’Ouganda n’a jamais accueilli de colonies de peuplement britanniques ou européennes importantes. Comme dans de nombreux pays soumis aux puissances coloniales, le mouvement indépendantiste s’est surtout manifesté après la Seconde Guerre mondiale. Les négociations pour aboutir à un traité d’indépendance ont été longues et difficiles mais le 9 octobre 1962, l’Ouganda est reconnu comme Etat indépendant. Très vite vont se poser des problèmes liés à l’organisation politique et territoriale du nouvel Etat.

Des crises postcoloniales à aujourd’hui Les tensions s’exacerbent entre les populations nilotiques du Nord et les populations bantoues du Sud. En 1971, Idi Amin-Dada prend le pouvoir à l’occasion d’un coup d’Etat sanglant. Il augmente les effectifs militaires, fait massacrer ses opposants politiques et instaure un régime de terreur. Le nombre de ses victimes est estimé à 200 000 personnes, femmes, hommes et enfants. En novembre 1978, l’armée tanzanienne entre en Ouganda, soutient la rébellion ougandaise et contraint le dictateur à prendre la fuite en Arabie Saoudite. Cependant, les troubles se poursuivent et les dictatures s’enchaînent. L’inflation atteint des sommets, une famine terrible décime le nord du pays, l’opposition est brutalement réprimée. En janvier 1986, Yoweri Museveni, chef de l’Armée Nationale de Résistance, accède au pouvoir et s’attèle à la reconstruction du pays. Le nouveau gouvernement lance de nombreuses réformes qui permettent au pays de s’engager sur la voie du développement (stabilisation de l’inflation, croissance durable, etc.) mais la situation demeure difficile avec la persistance d’une rébellion violente dans le Nord, l’Armée de la Résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army) soutenue par le Soudan islamiste, faisant régner la terreur. Du point de vue politique, un gouvernement d’union nationale pluriethnique a été mis en place et celui-ci s’efforce de stabiliser l’équilibre des pouvoirs entre les communautés.

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MIREMBE KAWOMERA : Délicieuse paix

CAFÉ ÉQUITABLE, BIO, CASHER ET HALAL Tout à fait surprenante, l’histoire de la coopérative Mirembe Kawomera trouve ses racines dans l’histoire religieuse particulière de l’Ouganda. Au début du XXème siècle, alors que les missionnaires protestants britanniques s’engagent dans de vastes mouvements de conversion des populations locales, un chef de guerre charismatique de la ville de Mbalé, allié des Anglais, nommé Semei Kakungulu, reçoit en 1919 une bible des mains d’un missionnaire.

L’histoire raconte qu’à la lecture du livre saint, Kakungulu, qui s’était engagé depuis son enfance aux côtés des colonisateurs britanniques dans l’espoir de devenir Vice-roi du Buganda, finit par conclure qu’il se trouvait bien plus en accord avec les enseignements de l’Ancien Testament qu’avec le Nouveau. «Dans ce cas, lui aurait répondu un missionnaire, vous n’êtes pas chrétien, vous êtes juif». Semei Kakungulu, délaissé par ailleurs par les occupants britanniques qui commencent à le trouver encombrant, décide de se déclarer juif et se convertit, ainsi que ses trois mille sujets et leurs familles. Pendant plusieurs années, la nouvelle communauté s’efforce de suivre les prescriptions de la Thora sans avoir de contact avec le Peuple d’Israël. Ce n’est qu’en 1926 que Semei Kakungulu rencontre pour la première fois un commerçant juif à Kampala qui lui enseigne les rites et les pratiques réellement en usage. Cette communauté, qui s’est réfugiée dans la région d’Abayudaya, constitue l’unique cas d’apparition endogène d’une communauté religieuse juive dans l’histoire. Elle survivra à la mort de son chef historique mais connaitra des périodes très difficiles, en particulier pendant le régime tyrannique d’Idi Amin Dada qui la persécuta dans le sang, contraignant un grand nombre de ses membres à se convertir à l’islam ou au christianisme. En 1979, ils ne sont plus que trois cents, mais avec l’aide de l’Etat d’Israël (qui a quand même eu un peu de mal à reconnaître cette communauté tout à fait unique) et de la diaspora juive mondiale, la communauté renaît et obtient sa reconnaissance religieuse et l’appui de rabbins israéliens et américains. La création de la coopérative Mirembe Kawomera s’inscrit dans cette histoire extraordinaire.

Mirembe Kawomera

UNE COOPÉRATIVE POUR LA PAIX Au début des années 2000, Joab Jonadav Keki, le leader de la communauté juive de la région de Mbalé, par ailleurs fermier et musicien, décide d’aller à pied frapper aux portes de tous les producteurs de la région, quelle que soit leur appartenance religieuse, pour trouver ensemble une solution à la crise qui frappe le secteur du café depuis plusieurs années. «Notre plus sérieux problème est religieux», disait Joab Jonadav Keki qui soulignait les vives tensions qui régnaient entre les communautés, en particulier depuis la période Idi Amin Dada durant laquelle les juifs étaient honnis, brimés et publiquement traités de «tueurs de Christ» par les chrétiens et d’«oubliés de Dieu» par les musulmans40. Les discours d’ouverture et de tolérance de Joab Jonadav Keki finissent par porter leurs fruits et en 2002, il est élu au Conseil du Sous-Comté de Namanyonyi avec le soutien des trois communautés religieuses qui le reconnaissent comme leader crédible. Puis en 2004, aux termes de longues réflexions collectives, la coopérative Mirembe Kawomera (qui signifie «Délicieuse Paix» en Luganda, l’une des langues ougandaises) est créée avec pour objectifs de rapprocher les communautés et de contribuer à leur développement. «Nous avons longtemps réfléchi, raconte Joab Jonadav Keki, en nous concentrant surtout sur ce qui nous rapprochait. Nous avons cherché tous ces points communs dans nos livres saints. Par exemple, nous avons reconnu le fait que nous saluons tous avec le mot «Paix» : Shalom, Salaam, Mirembé».

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«J’achète tout. Je veux l’histoire tout entière.»

Une fois ces valeurs communes reconnues et acceptées, il a fallu bâtir un projet économique et trouver de nouveaux marchés. Pour ce faire, la nouvelle coopérative a reçu de nombreux appuis, notamment du directeur exécutif de la Thanksgiving Coffee Company, Paul Katzeff, qui s’est engagé à acheter la production de la coopérative à un prix supérieur de 30 % environ à ceux du marché et à l’accompagner dans ses démarches de certification. «J’achète tout», dira Paul Katzeff, «Tout ou rien, je veux l’histoire tout entière. Je veux apporter cette histoire au monde». La coopérative Mirembé Kawomera, qui rassemble aujourd’hui près de 1000 petits producteurs et leurs familles, fait elle-même partie de la coopérative plus importante Gumutindo.

«Nous espérons maintenant faire de notre coopérative un modèle pour les projets de développement entre les communautés et que d’autres coopératives s’engageront vers ce modèle de coexistence pacifique. Ensemble, nous vivons beaucoup mieux. Vous n’imaginez pas l’harmonie et la paix qui règnent maintenant dans notre grande communauté depuis que la coopérative a été créée». Joab Jonadav Keki, fondateur de Mirembé Kawomera

Le Trade for Development Centre de la CTB, aux côtés des producteurs de café équitable ougandais, soutient les activités de l'organisation caféicole équitable Gumuntido (dont fait partie Mirembe Kawomera). Mis en œuvre en collaboration avec l’organisation non gouvernementale britannique de commerce équitable Twin, le programme financé par le Trade for Development Centre a pour objectif la fabrication d'un café de meilleure qualité ainsi que la promotion et la commercialisation de ce nouveau café gourmet. Ce projet bénéficie du soutien du Trade for Development Centre pour un montant de 26 250 €.

Les trois grandes communautés religieuses sont représentées au Conseil Exécutif : l’actuel président est juif, le vice-président est chrétien et le trésorier est musulman. Les caféiers cultivés par ces paysans poussent sur les flancs du Mont Elgon. Le café, une variété d’arabica doux, est certifié équitable, bio, casher et halal. Bien que relativement peu importante en quantité (environ 50 tonnes), la production de la coopérative Mirembé Kawomera est reconnue pour sa qualité, sa douceur et sa saveur. Grâce à ces certifications équitable (Fair Trade Certified) et biologique, la vente du café de la coopérative rapporte non seulement de quoi rémunérer les producteurs à un niveau plus décent, mais elle permet aussi à la coopérative de réinvestir une partie de ses recettes dans des projets de développement sociaux et économiques, dans la formation des cultivateurs et la mise en place de projets durables. La certification équitable garantit en outre aux producteurs un accès au crédit et le paiement d’une partie de leur production avant la récolte. Ainsi, ces dernières années, les membres de la coopérative ont fondé ensemble une communauté dynamique et mis en place toute une série d’actions concrètes en faveur des fermiers et de leurs familles, telles que la construction d’écoles, le développement d’infrastructures d’accès à l’eau potable et à l’électricité dans les villages.

www.befair.be Pour en savoir plus : www.mirembekawomera.com www.thanksgivingcoffee.com

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Fondée en 2004 par trois américaines impressionnées par la qualité et la beauté des perles de papier fabriquées par les femmes ougandaises, l’organisation non gouvernementale BeadforLife (Perle pour la Vie) s’est fixé pour objectif de développer le niveau de vie des femmes les plus pauvres, veuves de guerre, abandonnées ou atteintes par le VIH, en commercialisant leur production artisanale sur les marchés locaux mais aussi dans les magasins que l’organisation a ouverts aux Etats-Unis, à Boulder dans le Colorado, et en Europe, à Montpellier, depuis avril 2009.

BEADFORLIFE

Jennifer Rowell-Gastard, la coordinatrice de BeadforLife en Europe, résume ainsi la philosophie de son organisation : «BeadforLife travaille à l’éradication de l’extrême pauvreté en créant des ‘ponts de compréhension et de commerce’ (bridges of understanding and commerce) entre les Africains les plus pauvres et les citoyens du monde qui se sentent concernés. Les femmes ougandaises transforment des papiers de couleur en jolies perles, et les gens attentionnés ouvrent leur cœur, leur maison et leur communauté pour acheter et vendre ces perles».

«Ces «««

perles deviennent ainsi des revenus, de la nourriture, des soins de santé, des inscriptions à l’école et de l’espoir. C’est un petit miracle qui nous enrichit tous 41. Nos perleuses et nos couturières sont des femmes très pauvres, qui vivent avec moins de deux dollars par jour, qui travaillent très dur, qui sont intelligentes et tellement fortes dans leur désir de s’élever».

En plus d’acheter à ces femmes leurs créations et de les vendre, BeadforLife soutient de nombreux projets de développement local dans les domaines de la santé, de la formation professionnelle des jeunes, de l’éducation et du logement.

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Crédit : Bead For Life

Clairement intégrée dans un objectif d’éradication de la pauvreté et de prise en charge des femmes victimes de la guerre, l’action de BeadforLife comprend la formation de ces femmes aux métiers de la création de bijoux et de sacs réalisés à partir de perles de papier recyclé, peintes ou vernies. Puis, lorsque celles-ci ont acquis un savoir-faire suffisant, BeadforLife les accompagne dans la création de leur entreprise en s’engageant durablement sur l’achat de leurs productions à des prix qui leur permettront de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. L’organisation propose par ailleurs à ces entrepreneuses des formations en commerce et design ainsi que l’accès à des financements complémentaires pour démarrer et développer leurs micro-entreprises.

Ces projets sont financés intégralement par les ventes des perles et des bijoux et permettent non seulement d’améliorer le quotidien des créatrices mais aussi celui d’autres personnes vivant dans la misère en Ouganda. Pour ce faire, BeadforLife a mis en place un programme de subventions pour soutenir d'autres organisations à but non lucratif qui travaillent à l'éradication de la pauvreté et à l’insertion des victimes du conflit. Jennifer Rowell-Gastard insiste sur ce point : «Tous nos profits sont réinvestis dans nos Projets de Développement Communautaires (Community Development Projects). BeadforLife dispose de son propre programme pour soutenir d’autres organisations noncommerciales œuvrant en faveur de l’éradication de la pauvreté. A travers ces collaborations, nous pouvons démultiplier notre capacité à contrer l’extrême pauvreté. Actuellement, nous soutenons financièrement une douzaine d’organisations». Les œuvres des créatrices de BeadforLife sont vraiment magnifiques. Elles fabriquent à la main des perles de toutes tailles à partir de papier de couleur, qu’elles peignent ou vernissent à l’aide de colorants et de teintes naturelles avant de les assembler en colliers, sacs, bracelets ou boucles d’oreilles. La création de ces perles exclusivement composées de papier recyclé contribue de manière très concrète à la préservation de l’environnement. Les perleuses découpent des triangles dans des pages de magazines colorés, des vieux calendriers, des tracts ou des boîtes de céréales, avant de les rouler à la main et de les coller pour en faire des perles qui sont ensuite décorées avec un vernis acrylique écologique et inodore.


Crédit : Bead For Life

Retour à la vie

Crédit : Bead For Life

Rapportée par la journaliste Theresa Morrow dans le Seattle Times 42, l’histoire de Fatuma, l’une des perleuses de BeadforLife, illustre les tragédies vécues par de nombreuses femmes ougandaises victimes des violences et l’importance d’organisations telles que BeadforLife qui les accueille quand elles sont rejetées par tous. Fatuma a été enlevée à l’âge de 13 ans quand les rebelles de l’Armée de Résistance du Seigneur sont entrés dans son village, dans le nord du pays, alors qu’elle et les autres enfants étaient à l’école. «Ils sont arrivés lorsque nous étions en classe, à 10 heures du matin. Quand la cloche de la récréation a sonné, l’un des maîtres de l’école s’est rendu compte que nous étions encerclés». Les rebelles laissent les plus jeunes enfants sur place mais emmènent les plus vieux, dont Fatuma (qui s’exprime à voix basse, écrit la journaliste). «A partir de là, vous mourrez, vous vous flétrissez, vous abandonnez la vie. Certains ont été tués, beaucoup. Ceux qui ont résisté ou qui ont essayé de fuir, ont été tués d’une affreuse manière». Fatuma est contrainte de rester avec les rebelles pendant deux ans jusqu’au jour où elle parvient à s’enfuir, à l’âge de 15 ans, enceinte d’un des nombreux rebelles qui l’ont violée. Sa famille a menacé de tuer le bébé, alors elle a fui à nouveau. Plus tard, elle s’est mariée, mais son mari est mort alors qu’elle était enceinte, la laissant seule avec quatre enfants. Accueillie par BeadforLife, Fatuma apprend le métier de créatrice de perles et de bijoux. Elle est hébergée au Village de l’Amitié, un village géré par BeadforLife et Habitat for Humanity, une autre ONG spécialisée dans la construction de maisons pour les populations les plus pauvres des pays en développement. Grâce à ce soutien, Fatuma a pu faire construire sa propre maison, où elle habite aujourd’hui avec sa famille. Ses quatre enfants vont à l’école.

Pour en savoir plus : www.beadforlife.org www.beadforlifestore.org

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BeadforLife est membre de la Fédération du Commerce Equitable (Fairtrade Federation).


Crédit : Charles Reger US Gov.

SOMALIE Depuis l’acquisition de son indépendance en 1959, la Somalie n’a quasiment jamais connu de périodes de stabilité Les tentatives démocratiques des premières années (1960 - 1969) n’ont jamais abouti et, depuis le coup d’Etat de Siad Barré en 1970, le pays a vécu sous la dictature, avant de sombrer en 1991 dans le chaos et la guerre civile. Depuis, la Somalie n’a plus de gouvernement central. Le pouvoir est aux mains des chefs de guerre et des milices, malgré les interventions humanitaires des Nations-Unies (Opération des Nations-Unies en Somalie - ONISOM) en 1992 puis des Etats-Unis un an plus tard dans le cadre de l’opération «Restore Hope» 43

«La Somalie est l’exemple parfait d’un Etat défaillant». C’est ainsi que Nicolas Vercken, chargé de mission Corne de l’Afrique au CCFD (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement), résume la situation de ce pays d’Afrique de l’Est. Un pays à la dérive, plongé dans la guerre civile depuis le renversement, en 1991, de la dictature de Siad Barré par des factions tribales. Un pays en plein chaos qui vit encore aujourd’hui sous le joug de chefs de guerre, «des groupes de bandits qui se contentent de contrôler des quartiers ou des régions, sans aucun projet politique» souligne Nicolas Vercken44. Abandonnée par la communauté internationale, la Somalie est citée parmi les huit pays les plus sensibles à la famine avec 71% de la population en manque de nourriture45. En juin 2010, Charles Kituku, journaliste américain d’origine kenyane, a pu se rendre à Mogadiscio, la capitale, où il a assisté aux dernières absurdités des miliciens islamistes qui contrôlent la plupart des quartiers de la ville. Les hommes ont l’obligation de se faire pousser la barbe. Les populations se sont déjà vues interdire les cloches dans les écoles, les salles de cinéma, les danses folkloriques, la musique et le football. Mais le pire, c’est le sort réservé aux femmes46. Toute résistance aux hommes devient un acte politique face aux miliciens islamistes. La responsable de la Coalition des Organisations Populaires de Femmes (COGWO) témoignait récemment via Amnesty International : «Nous avons été prises pour cibles et on nous a demandé, à mes collègues et moi, de dénoncer publiquement notre travail en faveur des femmes comme étant une activité criminelle. Nous avons reçu des menaces et plusieurs de mes collègues ont été tués»47.

Dans ces conditions, le commerce équitable ou durable n’est même pas une option. L’état de délabrement, d’insécurité et de violences est tel qu’avant d’envisager le lancement d’initiatives de cet ordre, il convient de satisfaire les besoins de base des populations et de soutenir les quelques efforts de sécurisation du pays. Pourtant, même dans ces conditions extrêmes, quelques rares projets sont mis en place pour tenter d’aider certaines communautés à sortir de leur isolement en commercialisant les fruits de leur savoir-faire.

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L'ENCENS DE SOMALIE CERTIFIÉ BIOLOGIQUE A l'écart des agglomérations saccagées par les violences, dans la chaleur extrême du désert somalien, il est difficile d'imaginer que cet environnement aride et brûlant soit capable d'accueillir des éclosions de vie. Pourtant, dans ce désert vit le peuple Samburu, composé de tribus nomades semi-pastorales qui vivent de leurs maigres troupeaux de vaches, de chèvres et de chameaux. Les femmes de ces tribus collectent dans ce désert la résine des buissons boswellia couverts d'épines à partir de laquelle elles fabriquent la gomme arabique qu'elles distillent à la vapeur pour produire de l'huile essentielle d'encens. Dans le cadre de ses activités de soutien aux communautés rurales retirées auprès desquelles elle se fournit, S & D Aroma Ltd, une société britannique de commercialisation de produits cosmétiques équitables et durables, a travaillé avec ces peuples nomades pour les aider à obtenir la certification biologique de leur huile essentielle d'encens. Ce qui fut fait en 2009. Aujourd'hui, l'encens et l'huile essentielle produits par les femmes Samburu de Somalie sont vendus tels quels ou en tant qu'ingrédients de cosmétiques ou de produits de beauté (par Neal's Yard Remedies notamment)48.

Pour en savoir plus : www.nealsyardremedies.com

LE COMMERCE ÉQUITABLE AU SECOURS DES RÉFUGIÉES SOMALIENNES Nous ne sommes plus en Somalie mais aux Etats-Unis, à Springfield dans le Massachusetts plus précisément. C’est ici qu’en 2009 sont arrivés plusieurs dizaines de réfugiés venus de Somalie, après des années d’errance à pied pour remonter d’Afrique de l’Est, de campements de fortune en camps de réfugiés, traversant plusieurs pays pour finir par franchir illégalement la Méditerranée avant d’atterrir aux Etats-Unis. La fin d’un long cauchemar. Mais les barrières culturelles et linguistiques sont telles que l’intégration paraît hors de portée. Pour tenter de se sortir de cette situation, ces femmes somaliennes réfugiées se sont organisées et ont créé une association, les Sœurs Walaalo qui les représentent auprès des autorités.

Les responsables de Dean’s Bean’s, l’un des plus célèbres importateurs de café équitable et biologique aux Etats-Unis, se sont émus de cette situation et ont décidé de les rencontrer pour «essayer de trouver de quelle façon nous pourrions les aider, comme nous le faisons avec les producteurs de café dans chacun des pays où nous travaillons»49. De cette rencontre nait un projet de création de sacs d’épicerie au design original conçus et cousus par ces femmes à partir de toiles de jute recyclées. «Elles se retrouvent chaque semaine pour coudre ensemble et partager leurs histoires personnelles, leurs drames et leurs luttes» explique Dean sur son site. «Ma femme Annette a participé à certaines de ces réunions, en utilisant les compétences d’animatrice qu’elle a acquises au

sein de son organisation MotherWoman, pour aider ces femmes et leur apprendre la couture dans un ancien atelier équipé de machines à coudre que nous mettons à leur disposition. Deux de ces femmes, Yasmin et Nasra ont également reçu une formation d’accompagnatrice chez MotherWoman et utilisent leurs compétences au sein de leur groupe de femmes. Après plusieurs essais, elles ont créé des caisses et des sacs d’épicerie magnifiques, recouverts de tissu de mousseline. Ils sont résistants, garantissent la qualité des produits alimentaires, sont réutilisables et fabriqués à partir de sacs de café recyclés. L’intégralité des profits leur revient afin qu’elles puissent aider leurs familles. Maintenant, les sacs sont prêts pour vous aider à faire vos courses de vacances»50.

Que faut-il retenir de cette histoire ? Que le commerce équitable et durable permet non seulement d’améliorer le sort des populations dans les zones fragilisées par la guerre mais aussi qu’il offre des opportunités pour mieux accueillir et intégrer dans nos pays les milliers de réfugiés que les guerres et les violences ont chassés de chez eux. Ce n’est pas de la charité, c’est du commerce. Une dignité retrouvée.

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www.deansbeans.com


Depuis son indépendance acquise en 1961, la Sierra Leone, petit Etat d’Afrique de l’Ouest, n’a pratiquement connu que l’instabilité.

SIERRA LEONE Jusqu’à la guerre civile de 1991, l’histoire du pays est indissociable de l’exploitation de ses prodigieuses mines de diamants qui ont souvent détourné les élites politiques et économiques des réformes structurelles nécessaires pour instaurer la démocratie et mettre en place une économie de valeur ajoutée qui remplacerait (ou compléterait) les rentes du diamant qui n’ont enrichi qu’une infime minorité de la population. De 1991 à 2002, la guerre civile ensanglante le pays, provoquant dans son sillage certaines des pires atrocités de l’histoire contemporaine. Cette guerre, qui avait pour principal but le contrôle des zones diamantifères, a causé la mort de près de 200 000 personnes et le déplacement de plus de deux millions de personnes (soit le tiers de la population de l’époque). De très nombreuses mutilations eurent également lieu, ainsi que l’emploi massif d’enfants soldats. Le pays est actuellement en paix. Les différentes mesures prises par l’ONU sont progressivement réduites, voire supprimées, comme la levée de l’embargo sur l’exportation des diamants du sang. Cependant, pour des raisons économiques, de nombreux enfants travaillent toujours dans les mines dans des conditions très dangereuses. La propagation du Sida y est également très importante, 16 000 enfants de moins de 15 ans étant séropositifs. En 2000, l’Indicateur de Développement Humain (IDH) était de 0,275 pour la Sierra Leone, le pays le moins développé du monde51. Depuis, des progrès remarquables ont été accomplis mais le niveau de développement reste faible et la Sierra Leone occupe en 2011 la 180ème place (sur 187) du classement établi par le Programme des Nations-unies pour le Développement.

LE DIVIN CHOCOLAT DE SIERRA LEONE Dans le monde des communautés de producteurs du commerce équitable ou durable, Divine Chocolate fait figure à la fois de pionnier et d'exemple. En 1998, la coopérative ghanéenne de production de cacao Kuapa Kokoo s'engage en effet dans une démarche commerciale intégrée en créant au Royaume-Uni l’enseigne commerciale Day Chocolate et sa propre marque de chocolat Divine Chocolate distribuée en direct sur le marché anglais. Cette maîtrise de l’ensemble de la chaîne de valeur du produit, de la production à la distribution, constituait un progrès majeur et une chance énorme pour les producteurs de cacao ghanéens de Kuapa Kokoo. u début de l'année 2010, Divine Chocolate annonce fièrement qu'après des A années de travail avec les producteurs de Sierra Leone soutenus par Kuapa Kokoo et l'organisation Twin, un premier conteneur de cacao certifié Fair Trade produit par la coopérative Kpeya Agricultural Enterprise (KAE) est intégré dans les recettes de la marque52.

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Crédit : Kennet Havgaard -Max Havelaar

LA COOPÉRATIVE KPEYA AGRICULTURAL ENTERPRISE

Crédit : TransFair USA

Crédit : Divine Chocolate

Basé à Kenema, à près de 300 kilomètres de la capitale Freetown, Kpeya Agricultural Enterprise compte plus de 1200 membres organisés en 50 comités de village. Créée en 1996, pendant la guerre civile, cette coopérative a survécu tant bien que mal aux violences et aux exactions. Sa croissance est due en grande partie au travail d'un homme, Ibrahim Moseray, cultivateur de cacao de son état et directeur général de l'organisation, qui a réussi à convaincre les autres producteurs des avantages de faire partie d'une coopérative soucieuse du bien-être de ses membres. Avec l'aide de TWIN, l'organisation d'appui au commerce équitable (partenaire de CaféDirect et de Divine Chocolate), de la FAO et de l'agence allemande Agro Action, KAE a non seulement appris aux producteurs à cultiver et commercialiser un cacao de meilleure qualité mais aussi à s'organiser sur la base de structures démocratiques multiethniques.

Pour en savoir plus : www.divinechocolate.com www.twin.org.uk www.kuapakokoo.com

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Les défis à relever pour développer une coopérative naissante sont beaucoup plus importants en Sierra Leone qu'ils ne l'étaient au Ghana lors de la création de Kuapa Kokoo. Le marché s'est libéralisé, la concurrence s'est accrue et, surtout, les producteurs dépendaient auparavant des opérateurs qui achetaient leur cacao avant qu'il ne soit récolté (pendant "la saison de la faim") pour imposer des prix extrêmement bas. Comme l'explique Ibrahim Moseray, cette situation est à l'origine de son projet : «Je suis un cultivateur de cacao et mes parents l'étaient avant moi. Pendant la guerre, j'ai vu mes frères se battre et j'ai vu comment les acheteurs nous trompaient. Je voulais faire quelque chose pour que nous ayons une vie meilleure»53. Rapidement, les autres agriculteurs ont commencé à rejoindre la KAE pour bénéficier des prix plus élevés, ainsi que des aides à la production. Jusque-là, le cacao exporté de la Sierra Leone était généralement considéré comme étant d'une qualité médiocre. Les membres de KAE ont appris à produire un meilleur cacao grâce à l'amélioration des techniques de fermentation et de séchage, ce qui leur a permis de bénéficier des primes du commerce équitable que leur accorde Divine Chocolate. Avec ces nouvelles ressources, la coopérative Kpeya Agricultural Enterprise a pu construire une école et payer un enseignant qui vient tous les jours. Les entrepôts de cacao ont été rénovés et la coopérative s'est dotée de nouveaux bureaux et d'un magasin à Kenema54.


Le Soudan est le plus grand pays d’Afrique. Depuis l’acquisition de son indépendance en 1956, le pays n’a connu que la guerre civile et les coups d’états.

SOUDAN Les groupes armés des régions tribales du sud du pays, de cultures et de religions animistes et chrétiennes, s’opposent alors au gouvernement islamiste de Khartoum qui, en 1983, a décidé d’étendre à l’ensemble du pays le droit musulman, la charia, qui prévoit notamment des peines de lapidation et d’amputation.

Entre 1983 et 1989, la guerre civile au Soudan a déplacé plus de 4 millions d’habitants et fait 2 millions de morts.

Crédit : Uniterre

A ces conflits meurtriers est venue s’ajouter la sécheresse qui a provoqué des pénuries et la famine dans les régions du Sud et de l’Ouest. Certains ont fui dans des villes du Sud, d’autres ont cheminé vers le Nord jusqu’à Khartoum ou ont pris le chemin de pays voisins comme l’Éthiopie, le Kenya, l’Ouganda ou l’Égypte. Victimes de malnutrition ou de famine, ces populations constituent ce que les organisations humanitaires internationales ont appelé une « génération perdue », mal éduquée, sans accès aux soins de base, et sans grandes chances de trouver un emploi productif que ce soit dans le Sud ou dans le Nord. Une nouvelle rébellion a éclaté dans la province occidentale du Darfour au début de l’année 2003. Le gouvernement et les rebelles ont été accusés d’atrocités au cours de cette guerre, en particulier les milices arabes janjawids à la solde du gouvernement islamiste. En trois ans, cette guerre a fait plus de 300 000 morts et 3 millions de déplacés et réfugiés. Accusé par la Cour Pénale Internationale (CPI) de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide lors de la guerre civile au Darfour, Omar El Bechir, le chef de l’Etat soudanais, est depuis 2010 sous le coup d’un mandat d’arrêt international55. La scission du pays en 2011 est loin d’avoir résolu ces nombreux problèmes. Des litiges frontaliers importants (liés en particulier à la présence de ressources pétrolières) sont à l’origine d’exactions multiples dont sont victimes en premier lieu les populations civiles.

Crédit : UNEP

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LA GOMME ARABIQUE SOUDANAISE CERTIFIÉE ÉQUITABLE Cultivée au Soudan, en Somalie et au Sénégal, la gomme arabique est une résine utilisée comme ingrédient pour la fabrication de confiseries, de boissons gazeuses et pour l'industrie pharmaceutique. Sa production constitue une importante culture de rente pour des milliers de paysans africains vivant dans les zones arides et semi-arides de «la ceinture de la gomme» sub-saharienne. Le Soudan est le plus grand producteur au monde de gomme arabique et, selon le Fonds International pour le Développement de l'Agriculture (IFAD), ce secteur assure la subsistance de plus de cinq millions de personnes dans le pays. Au début de l'année 2010, Traidcraft Exchange, l'ONG britannique d'appui au commerce équitable, le Réseau européen Euclid56 et ASDF BV, une organisation néerlandaise, ont obtenu l'appui financier des Nations-Unies pour mettre en place un programme innovant de réduction de la pauvreté au Soudan fondé sur l'élaboration du premier standard de certification équitable de la gomme arabique. L'enjeu est de taille, en particulier pour les agriculteurs soudanais qui, selon une étude de la Banque Mondiale, reçoivent moins de 15 % du prix final du produit57.

Crédit : UNEP

Membre du Réseau européen Euclid, Filippo Addarii, souligne l'importance de ce projet : «C'est l'une des initiatives les plus intéressantes auxquelles nous participons, parce que nous travaillons sur l'ensemble du secteur en mobilisant nos compétences, notre expertise et notre passion pour apporter un changement réel et des perspectives de prospérité dans l'une des régions les plus troublées du monde. Le modèle financier que nous avons conçu a le potentiel de révolutionner le développement international tel que nous le comprenons, tout en démontrant que des partenariats transversaux dans ce secteur fonctionnent»58. Geoff Bockett, Directeur International à Traidcraft Exchange, n'est pas moins enthousiaste : «Ce projet est très important car il introduit beaucoup d'innovation dans le commerce équitable tout en permettant aux producteurs soudanais de gomme arabique de transformer leurs conditions de vie grâce au commerce équitable. Traidcraft soutient totalement ce projet qui intègre des bénéfices sociaux, environnementaux et commerciaux. Nous nous félicitons de travailler avec des partenaires influents pour étendre le commerce équitable à un nouveau secteur»59. Coordinateur du projet et directeur général de ASDF, Giulio Franzinetti insiste de son côté sur l'impact du projet en expliquant que «les acteurs du marché sont bien conscients de l'immense potentiel de ce projet qui pourra changer la vie de millions d'agriculteurs du Sahel subsaharien en offrant la possibilité d'apporter un changement durable et de long terme dans l'une des régions les plus difficiles au monde»60.

Euclid Network, Traidcraft Exchange et ASDF BV vont mettre en place une plateforme commerciale pour favoriser la transparence du marché et des fonds pour assurer la promotion de la gomme arabique soudanaise certifiée équitable.

Pour en savoir plus : www.gumarabic.org www.EuclidNetwork.eu www.traidcraft.co.uk http://capacity4dev.ec.europa.eu

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Crédit : Jonathan Rashad

LE COMMERCE ÉQUITABLE DANS

LES PAYS DU PRINTEMPS ARABE Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur à la sauvette des rues de Sidi Bouzid en Tunisie, met fin à ses jours en s’immolant suite à la confiscation de ses marchandises par la police. Cet incident met le feu aux poudres et la population tunisienne, excédée par les brimades et la corruption, se soulève contre le régime du Président Zine el-Abidine Ben Ali. De manifestations en émeutes, d’émeutes en insurrections, la révolte populaire s’étend au reste du pays et, le 14 janvier 2011, le président prend la fuite après 23 ans de règne. Un vent de liberté se lève du Proche au Moyen-Orient. En Algérie, au Yémen, en Jordanie, à Oman, en Egypte, en Syrie, au Maroc, à Bahreïn, en Libye… Aux avant-postes de ces mouvements populaires, les jeunesses arabes réclament plus de libertés et des perspectives d’avenir. 48


LE COMMERCE ÉQUITABLE, UNE RÉPONSE JUSTE S’il est un modèle qui répond parfaitement à cette demande sociale, c’est bien le commerce équitable, qui associe dynamique entrepreneuriale, responsabilisation des acteurs locaux et perspectives de développement, tout en ouvrant de larges espaces pour l’expression démocratique participative. Foyers de contestation, facteurs d’inspiration, éléments stabilisateurs, refuges pour les plus exposés… Il est encore trop tôt pour évaluer le rôle éventuel des organisations de commerce équitable de ces pays dans ces évènements.

En attendant de savoir quelle place leur réserve l’avenir, partons à la rencontre de ces organisations équitables dans les pays du Printemps arabe.

EN TUNISIE La Tunisie occupe une place à part au Proche-Orient. Forte d’une population très bien éduquée, elle fut longtemps perçue comme exemplaire par les Occidentaux qui appréciaient sa stabilité (en dépit de son caractère autoritaire), ses équilibres sociaux (notamment la place des femmes), son dynamisme économique et sa culture pacifique et ouverte. Mais cette image ne reflétait pas l’entière réalité du pays, traversé par des clivages culturels importants (entre les riches agglomérations du nord et le reste du territoire, notamment). Aujourd’hui, à l’instabilité politique s’ajoute une crise économique sans précédent. Alors que les revendications sociales explosent, les investisseurs étrangers fuient le pays. En 2011, les investissements directs étrangers ont enregistré une baisse générale de 30% avec des chutes vertigineuses dans certains des secteurs les plus stratégiques du pays (-83 % dans le tourisme, -42 % dans l’industrie manufacturière et -19 % dans les filières énergétiques). L’économie est en récession et près d’un quart de la population vit avec moins de deux dollars par jour61.

Crédit : Beni Ghreb

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Aux côtés des producteurs tunisiens Mais tous les acteurs économiques n’abandonnent pas la Tunisie au milieu de la tempête.

Crédit : Beni Ghreb

En novembre 2011, Fairtrade Africa, l’organisation indépendante qui représente l’ensemble des producteurs certifiés Fairtrade (Max Havelaar) en Afrique, ouvre un bureau à Tunis (après ceux de Moshi en Tanzanie, d’Accra au Ghana et du Cap en Afrique du Sud). La mise en place de cette représentation de l’organisation équitable pour l’Afrique du Nord vise notamment à fournir aux producteurs certifiés des pays arabes du continent un accompagnement global et une enceinte à l’intérieur de laquelle ceux-ci «travailleront beaucoup plus étroitement, échangeront de bonnes pratiques, feront connaître le système Fairtrade dans leurs pays et créeront un réseau de produits pour les dattes»62. La situation politique et économique délicate que traversent les pays du Maghreb n’a pas entamé la volonté des acteurs de l’organisation de commerce équitable qui rendent hommage au «nouveau gouvernement (qui) a mis en place un système législatif qui facilite le processus d’enregistrement pour de nouvelles organisations» et ajoutent que «Tunis s’est aussi révélée comme la ville la plus rentable»63.

Crédit : Beni Ghreb

Avec 13 organisations certifiées Fairtrade (6 en Egypte, 5 en Tunisie et 2 au Maroc), le bureau régional de Fairtrade Africa fédère quelque 9300 producteurs de dattes, de fruits frais et d’épices. Najah Labcheg de Hazoua Palm fait partie de ceux-là. Il insiste sur l’importance de cette initiative : «Avoir un réseau en Afrique du Nord renforcera notre position et accroîtra notre engagement dans le système Fairtrade. Nous serons ainsi capables d’identifier nos forces et faiblesses et nous saurons comment mieux les aborder. En bref, notre récente adhésion nous aidera dans le développement de notre région» 64.

Beni Ghreb Nous voilà à Hazoua aux portes du désert profond, loin des plages de Monastir et du tumulte des grandes agglomérations du nord du pays. C’est là, près de la ville de Tozeur, au cœur de la Tunisie rurale et traditionnelle, qu’est établie Beni Ghreb, une société pionnière dans la culture et la production de dattes biologiques et équitables.

Crédit : Claro.ch

Fondée en 2002, Beni Ghreb est à l’origine de la création du Groupement de Développement de l’Agriculture Biodynamique qui regroupe des familles bédouines sédentarisées de la tribu des Beni Ghreb. Depuis des décennies, ces communautés vivent près du lac salé Chott el Djerid (qui en réalité n’est plus un lac depuis des décennies mais une étendue blanche de sable et de sel, vestige de cette étendue d’eau disparue). En soutenant la création de ce Groupement, la société Beni Ghreb a voulu permettre aux familles de la région de disposer de sources de revenus nouvelles et durables en mettant à leur disposition les moyens nécessaires à l’entreposage, à la transformation, au conditionnement et au transport de leurs récoltes. Qui plus est, afin de freiner l’érosion des sols et la progression du désert, Beni Ghreb soutient la revalorisation des anciennes pratiques culturales, en particulier le recours aux techniques agricoles écologiques dites «à trois étages» basées sur l’association de palmiers dattiers, d’arbres fruitiers (bananiers, citronniers, figuiers) et, au niveau du sol, de légumes et de céréales65.

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Crédit : Beni Ghreb

Ce recours aux méthodes de culture agrobiologique traditionnelle ainsi que les bonnes conditions de travail que propose l’entreprise à ses salariés (presque exclusivement des femmes, lesquelles ont peu d’opportunités de revenus dans cette région) ont permis à Beni Ghreb de se voir attribuer les certifications équitables (Fairtrade) et biologique (Demeter) pour sa production de dattes. Ainsi que l’explique Saïd, le directeur du groupement de producteurs, l’impact économique et social de Beni Ghreb est très important pour les populations : «Dans cette région écartée des centres urbains, les seuls qui pouvaient travailler étaient les propriétaires des parcelles. Les autres n’avaient de travail que pendant des périodes très courtes dans l’année, deux mois en général, pendant la récolte. La région souffre beaucoup du chômage. A travers notre projet, nous avons voulu valoriser nos ressources naturelles, l’eau en particulier. Nous avons donc introduit de nouvelles cultures, maraichères en particulier, le piment, l’ail, l’oignon, les carottes, et toutes sortes de fruits et de légumes. Ainsi, nous avons permis aux agriculteurs de travailler sur de beaucoup plus longues périodes dans l’année»66.

Pour en savoir plus : www.ecohazoua.org www.fairtradeconnection.org

Bien qu’à l’écart des principaux centres urbains, la région de Tozeur est secouée par la révolution tunisienne et ses conséquences. Certains représentants de l’autorité ont fui, des magasins ont été saccagés et une certaine inquiétude règne parmi la population qui ne sait pas ce que l’avenir lui réserve. Malgré ce tumulte et cette instabilité, les acteurs tunisiens du commerce équitable poursuivent les objectifs qu’ils se sont fixés : améliorer les conditions de vie des populations locales en développant des activités économiques endogènes, performantes et respectueuses des ressources naturelles et des savoir-faire traditionnels.

Tunisie Equitable, la boutique en ligne Né en 2010, le projet Tunisieequitable.com est le fruit d’un large partenariat associant des groupements de producteurs, des organisations publiques et l’ONG africaine Enda. Mis en place pour valoriser «les initiatives de qualité et de proximité en Tunisie», ce programme s’est traduit par la réalisation d’un site Web de vente en ligne de produits équitables tunisiens, en particuliers des créations artisanales traditionnelles. Les produits proposés sont conçus par différents groupements engagés dans le commerce équitable.

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Fortement impliquée dans cette démarche, l’organisation Zazia Artisanat regroupe ainsi des designers et des artisans spécialisés dans la confection d’œuvres artisanales berbères créées à partir de fibre naturelle d’alfa, avec pour objectifs de «préserver et de valoriser des traditions locales mais aussi de les renouveler tout en permettant aux artisans de la région d’avoir des revenus réguliers et décents»67. Associer commerce électronique et création traditionnelle, telle est donc la caractéristique de ce projet qui met à portée de tous les richesses du patrimoine tunisien, dans le respect de ses producteurs et productrices.


Inspirés par le courage des protestataires tunisiens, les Egyptiens se sont dressés à leur tour contre le régime du président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis l’assassinat d’Anouar el-Sadate, en octobre 1981.

EN EGYPTE Dès la fin janvier 2011, des manifestations mobilisent des dizaines de milliers de protestataires dans les principales villes du pays. Malgré les répressions de la police et de l’armée, près de 2 millions de personnes se rassemblent, le 1er février, dans la capitale, surtout autour de la place Tahrir qui devient le symbole de la contestation arabe. Puis, au terme de plusieurs jours d’intenses mobilisations populaires et d’affrontements, Hosni Moubarak et sa famille fuient le Caire avant d’être arrêtés. Depuis, l’Egypte paraît osciller entre espoir et peur. Puissance historique du monde arabe, l’Egypte emprunte une voie aux chemins indiscernables. Beaucoup plus encore qu’en Tunisie, les choix qui seront faits en Egypte par les différents acteurs et par la population vont influencer le destin du Moyen-Orient.

Fair Trade Egypt L’Egypte est le pays d’Afrique du Nord qui compte le plus grand nombre d’organisations certifiées Fairtrade (essentiellement des producteurs de fruits, de fruits secs, d’épices et de légumes), mais c’est dans le secteur de l’artisanat que les filières équitables se sont sans doute le plus illustrées. Créée en 1998 à l’initiative d’ONG égyptienne et italienne avec le soutien des Etats-Unis, Fair Trade Egypt a pour ambition de réduire la pauvreté des populations les plus marginalisées du pays (notamment les femmes) en fournissant aux artisans des communautés locales un appui commercial, technique et financier. Et ce, dans le respect des principes et valeurs du commerce équitable. Membre de l’Organisation Mondiale du Commerce Equitable (WFTO) et de COFTA (le chapitre africain de la WFTO), Fair Trade Egypt fournit ses services à une quarantaine de groupements locaux représentant plus de 2500 artisan(e)s qui peuvent ainsi perpétuer des savoir-faire et des techniques très anciens de tissage, de ferronnerie, de tapisserie et de joaillerie, en particulier.

Crédit : Fair Trade in Egypt

Ce sont ainsi près d’un millier de produits qui sont commercialisés soit auprès des acheteurs internationaux du commerce équitable, soit directement au sein des boutiques que gère Fair Trade Egypt. Soucieux de valoriser ce patrimoine auprès des Egyptiens eux-mêmes, l’organisation équitable a en effet beaucoup misé sur la commercialisation de ces créations artisanales dans le pays avec l’ouverture de plusieurs magasins (jusqu’au début de l’année 2011, 65% environ du chiffre d’affaires venait de la vente de détail en Egypte)68.

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Crédit : Fair Trade in Egypt

Or, la crise économique majeure que connaît le pays affecte non seulement les investissements étrangers mais aussi la consommation intérieure et le tourisme, les principales sources de revenus de l’organisation équitable égyptienne et des artisan(e)s qu’elle fédère. Les ventes de détail connaissent une chute très importante depuis le début de la révolution. Selon les prévisions des responsables de Fair Trade Egypt, ces ventes ne reprendront pas avant plusieurs mois, avec les risques de pertes de revenus que cela représente pour les artisan(e)s et leurs familles.

Pour en savoir plus : www.fairtradeegypt.org

Ceci étant, les équipes de Fair Trade Egypt ne perdent pas espoir et se mobilisent avec d’autant plus d’ardeur en se tournant vers les importateurs internationaux équitables ou en ouvrant début 2012 une nouvelle boutique dans le quartier de Zamalek, au Caire.

En Libye, du pétrole équitable ? En Libye, il aura fallu une intervention militaire de la communauté internationale (conduite par la France et la Grande-Bretagne) pour éviter une répression sanglante. Après la chute du colonel Mouammar Kadhafi, ce pays pourrait voir naître l’une des initiatives équitables les plus originales depuis la certification Fairtrade de l’or bolivien au début de l’année 2011.

Crédit : Open Oil

Basée à Berlin, Open Oil est une agence qui milite pour plus de transparence et une meilleure gouvernance dans le secteur pétrolier. Après des contacts pris fin 2011 avec des responsables libyens à Tripoli et Misrata, les responsables de cette organisation estiment que le temps est venu d’étudier la faisabilité d’une certification équitable du pétrole dans ce pays. Johnny West, le fondateur d’Open Oil, insiste sur le caractère préliminaire de ces recherches. Ainsi qu’il l’explique, «suite à la révolution en Libye, les conditions sont réunies dans ce pays pour mener une telle étude. En effet, la structure industrielle très intégrée de la filière de production (de l’extraction à la distribution) nous permettrait de mettre tous les acteurs du secteur autour de la table. Or l’Etat libyen, qui est présent à chacun de ces niveaux de la chaîne de valorisation, est à la recherche de solutions pour mieux gérer ses ressources pétrolières et engager un développement économique et social global. Qui plus est, la Libye veut améliorer son image internationale sérieusement ternie après les violences et la mort de Kadhafi» 69. Le projet n’en est qu’à ses débuts mais les premiers échanges (avec le gouvernement libyen mais aussi avec Fairtrade International, à Bonn) ont été très positifs. Ceci étant, une fois la faisabilité d’un tel projet validée, de nombreux obstacles resteront encore à surmonter.

Crédit : Open Oil

De fait, les enjeux de cette initiative sont extraordinairement importants et les bénéfices potentiels pour les populations et l’environnement des pays producteurs sont immenses. Un jour peut-être, dans quelques années, nous pourrons choisir à la pompe du carburant équitable. Et contribuer ainsi à l’amélioration des conditions de vie de millions de personnes. Une vraie révolution.

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Berceau des grandes religions monothéistes méditerranéennes et européennes, le Proche-Orient constitue l’une des principales zones de cristallisation des tensions mondiales.

AU PROCHE-ORIENT Les guerres israélo-arabes, le contrôle des routes du pétrole, les jeux des grandes puissances durant la guerre froide ainsi que l’incurie de certains gouvernements arabes ont fait de cette région l’une des plus sensibles du monde. L’émergence des fondamentalismes religieux ces vingt dernières années a compliqué encore un peu plus cette situation avec la venue au pouvoir de mouvements extrémistes qui ont adopté des positions beaucoup plus radicales encore que celles de leurs prédécesseurs. D’un point de vue purement humanitaire, les tensions au Proche-Orient (entre Israéliens et Palestiniens, entre communautés libanaises, entre pays arabes voisins) n’ont jamais été aussi meurtrières que les conflits en Afrique (Rwanda, Ouganda, Angola, Soudan, etc.) ou les massacres de masse en Asie du Sud Est (Cambodge, Tibet,…) mais leur portée symbolique et leur retentissement international ont toujours été infiniment plus importants. De l’Indonésie aux Etats-Unis, le monde est à l’écoute des soubresauts qui agitent la région. Occident contre Orient, bloc soviétique contre alliés des Etats-Unis, islam contre christianisme et judaïsme, démocraties contre dictatures… au niveau des relations internationales, le Proche-Orient est de fait perçu comme l’un des principaux théâtres d’affrontement des grands blocs, au grand dam de ceux qui s’efforcent de rapprocher les communautés autour de projets concrets et fédérateurs. Ainsi que nous allons le voir, le commerce équitable offre des pistes de travail extrêmement intéressantes en ce qu’il propose des cadres cohérents et crédibles pour de tels projets. Non seulement, ces initiatives contribuent à mobiliser les populations et les forces vives de ces territoires en leur offrant des perspectives de développement, mais elles offrent aussi une reconnaissance identitaire positive aux yeux du monde et l’espoir d’un avenir sans soldats ni terroristes.

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Crédit : Joi Ito - Wikimedia

LES TERRITOIRES PALESTINIENS Les deux territoires palestiniens ont des profils très différents. A l'Est, entre la Jordanie et Israël, la Cisjordanie est une entité morcelée, entre zones gérées par l'Autorité palestinienne, colonies juives, et espaces sous contrôle de l'armée israélienne. Ceci étant, cette partie de la Palestine connaît depuis 2009 une relative stabilité et voit se multiplier les grands projets économiques soutenus par le gouvernement du Premier ministre palestinien, Salam Fayyad. Un rapport du FMI d'avril 2010 évalue la croissance de la Cisjordanie à 8,5% en 2009. Ces bons résultats trouvent leur origine dans les réformes menées par l'Autorité palestinienne (notamment l'amélioration de la sécurité, l'assainissement des finances publiques, la lutte contre la corruption et la bonne gouvernance) qui ont renforcé la confiance du secteur privé70. Salam Fayyad ne s'en cache pas, il s'agit à travers la mise en place d'une économie dynamique, d'organisations transparentes et d'infrastructures intégrées, de créer rapidement un Etat palestinien crédible aux yeux du monde. Au Nord-Ouest, la bande de Gaza connaît un tout autre destin. Après qu'Israël ait quitté ce territoire et démantelé les colonies qui y étaient établies, des combats ont éclaté en juin 2007 entre le Fatah, le mouvement nationaliste palestinien historique (majoritaire au sein de l'Autorité palestinienne), et le Hamas, le parti islamiste soutenu par l'Iran et la Syrie. Au terme de cette lutte interne, le pouvoir a changé de mains à Gaza et, depuis, ce sont les intégristes du Hamas qui gèrent ce minuscule territoire où vivent plus d'un million de Palestiniens. Les responsables du Hamas n'ont pas les mêmes priorités que les dirigeants de la Cisjordanie. Ils refusent explicitement la paix avec Israël et mobilisent tous leurs efforts pour entretenir et développer leur «industrie de la mort»71. Soumise au blocus militaire israélien et dirigé par des religieux, la bande de Gaza ne semble pas aujourd'hui en situation d'accueillir des projets de développement économique en dépit des efforts déployés par les organisations internationales et les agences humanitaires.

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LE COMMERCE ÉQUITABLE DANS LES TERRITOIRES PALESTINIENS Les obstacles majeurs que doivent affronter les producteurs palestiniens sont liés à l'occupation militaire et aux multiples tracasseries et injustices qu'elle engendre (barrages, points de contrôle, répartition inégale de l'eau, etc.). Pour essayer de contourner ces difficultés, de nombreuses initiatives de commerce équitable ou durable ont été initiées en Cisjordanie ces dernières années avec le soutien des principales organisations reconnues dans ce secteur (Oxfam, Ten Thousand Villages, Global Exchange, etc.) mais aussi des représentants des communautés religieuses. Les deux principaux secteurs d'activité au sein desquels ces projets ont été mis en place sont l'artisanat et l'agriculture.

PALESTINE FAIR TRADE ASSOCIATION ET CANAAN FAIR TRADE Après des études supérieures en anthropologie aux Etats-Unis, Nasser Abufarha décide en 2003 de rentrer en Palestine, son pays natal. Ce qui ne devait être qu’un séjour d’étude se transforme rapidement en aventure historique lorsqu’il prend conscience de la situation des agriculteurs palestiniens. Il se souvient : «D’après ce que je savais des Territoires palestiniens et de la vie sous occupation israélienne, c’était principalement un problème d’accès au marché. J’ai beaucoup appris aux États-Unis, notamment sur la façon dont une économie moderne fonctionne. Mais j’ai aussi des liens très forts avec le peuple palestinien puisque c’est là que j’ai grandi, donc je me suis toujours efforcé de réfléchir à la manière dont je pouvais utiliser mes connaissances pour aider ces gens qui sont pris en otages dans ce conflit. Dans les Territoires palestiniens, ce sont essentiellement des familles de la région qui possèdent ces fermes qui leur ont permis de survivre à travers les siècles. Je me suis donc dit que le développement d’un commerce équitable pourrait permettre aux agriculteurs palestiniens de surmonter les difficultés qu’ils ont à écouler leurs produits»72. Un an plus tard, Nasser Abufarha créé l’Association Palestinienne de Commerce Equitable (Palestine Fair Trade Association) qui fédère un réseau de coopératives et Canaan Fair Trade qui assure la commercialisation de leurs produits. La PFTA gère la partie organisationnelle en aidant les petits producteurs à se structurer en coopératives et les accompagne dans les démarches préalables à la certification équitable et biologique tandis que Canaan Fair Trade achète leurs productions aux meilleurs prix pendant la récolte pour les revendre aux importateurs.

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En quatre ans, le prix au kilo de l’huile est passé de 2 dollars US à 5,50 dollars US grâce aux efforts de Canaan Fair Trade73. Comme l’explique Nasser Abufarha, le système a fonctionné : «Les petits producteurs ne peuvent pas garantir de telles conditions à moins d’être regroupés dans un réseau de coopératives. C’est ça ou ils n’ont pas accès aux marchés. Nous avons donc groupé leurs produits et nous les avons aidés à obtenir une certification commerce équitable et agriculture biologique, ce qui a donné une plus-value environnementale et sociale à leur production. Et tandis que l’occupation israélienne vise à accroître la dépendance des Palestiniens, les méthodes biologiques qui font appel aux ressources naturelles les ont au contraire aidés à s’émanciper sur le plan économique grâce aux principes du commerce équitable»74.

Aujourd’hui, Palestine Fair Trade Association compte 1200 membres, 49 coopératives et 20 propriétaires de pressoirs à olives qui peuvent prendre part au programme de Canaan Fair Trade et bénéficier ainsi de revenus décents. Le Trade for Development Centre (Centre Belge du Commerce pour le Développement) de la CTB et l’agence néerlandaise EVD ont apporté leur soutien au programme de Canaan Fair Trade pour développer un système de contrôle qualité ISO 22000.


Crédit : Alter Eco

L'HUILE D'OLIVE ÉQUITABLE DE PALESTINE Tous ces efforts ont porté leurs fruits. En février 2009, la première huile d'olive certifiée équitable de Palestine rencontre un grand succès sur les marchés occidentaux. Invité lors de la Foire Equitable Fairtrade Fortnight, le Premier ministre britannique de l'époque, Gordon Brown, affiche son soutien à cette initiative : «La production d'huile d'olive est une part essentielle de l'économie de la Cisjordanie. En achetant cette huile, les consommateurs de Grande-Bretagne vont aider les producteurs de Palestine à améliorer leurs conditions de vie»75. Harriet Lamb, aujourd’hui directrice de Fairtrade International souligne l'exemplarité du projet : «Nous espérons que ce sera le premier de nombreux produits issus du commerce équitable en provenance des zones de conflits et des pays les moins avancés dans le monde. Si c'est le cas, cela contribuera à convaincre les marchés et fera une réelle différence au niveau économique pour les communautés qui en ont le plus besoin»76.

TREES FOR LIFE ET LE DÉVELOPPEMENT DURABLE EN PALESTINE Nasser Abufarha est aussi à l'origine du projet Trees for Life qui vise à planter des arbres et à redémarrer des plantations forestières dans les zones ravagées par le conflit israélo-palestinien. Ce projet s'inscrit dans sa vision du développement durable qui doit être intégré au renouveau de son pays : «Nous sommes parvenus à apporter le développement économique et social dans les Territoires palestiniens de façon positive grâce à nos méthodes de production innovantes. Les Palestiniens font partie d’un mouvement international pour la durabilité et peuvent désormais faire entendre leur voix. Il faut regarder la durabilité à la fois sous l’angle environnemental et sous l’angle social. Nous devons apporter la même attention à la santé de l’environnement, à cette terre qui produit les aliments qui nous permettent de vivre et qui doit se régénérer, qu’à la santé des communautés dans lesquelles vivent nos producteurs. Elles doivent elles aussi être en mesure de se régénérer»77. Depuis son lancement, ce projet a permis de replanter près de 40 000 oliviers.

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La multiplication des projets de commerce équitable en Palestine contribue indéniablement au développement de l’économie locale et à la pacification de la région. Cependant, eu égard à notre sujet, intéressons-nous maintenant aux projets mis en place conjointement par des Palestiniens et des Israéliens pour rapprocher les deux peuples.

DES INITIATIVES ISRAÉLO-PALESTINIENNES POUR LA PAIX L’organisation de commerce équitable Sindyanna of Galilee est fondée en 1996 par deux femmes, Hadas Lahav, une journaliste juive israélienne, et Samia Nasser, une enseignante palestinienne, avec le soutien de la maison d’édition Hanitzotz qui regroupe des militants pacifistes des deux communautés.

SINDYANNA OF GALILEE Aux côtés des producteurs Sindyanna of Galilee développe des activités de soutien aux producteurs et de valorisation des produits palestiniens auprès des acteurs économiques et des consommateurs en Israël et en Palestine mais aussi en Europe et aux Etats-Unis78. Pour ce faire, l'association travaille avec les producteurs d'olives, de savon et d'épices (des petits paysans en majorité arabes dont l'activité ne bénéficie ni des aides de l'Etat ni du soutien économique octroyé aux autres secteurs agricoles) auxquels elle propose de meilleurs prix pour leurs produits. Elle organise en outre des formations et finance divers projets sociaux. Depuis octobre 2003, l'organisation est membre de WFTO, le réseau international des organisations de commerce équitable. Militants pour la paix Aux côtés de la maison d'édition Hanitzotz et du syndicat palestinien Workers Advice Center (WAC), Sindyanna of Galilee mène un combat pour la reconnaissance des droits des populations arabes en Israël et la recherche de solutions alternatives face à l'actuel conflit israélo-palestinien. En parallèle, arabes, juifs et volontaires internationaux luttent ensemble sous l'égide de Sindyanna pour tenter d'arrêter le processus d'expropriation des terres et l'arrachage d'arbres en menant des campagnes de plantation d'oliviers. L'organisation déploie également des efforts importants pour développer les infrastructures agricoles et aider les paysans à améliorer la qualité de leur production d'huile d'olive79.

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Crédit : Sindyanna of Galilee - Ross Stirling Hadas Lahav et Samia Nasser

Avec le soutien du Trade for Development Centre de la CTB Grâce au soutien qu'elle a reçu du Trade for Development Centre de la CTB, l'Agence belge de Développement, l'organisation Sindyanna of Galilee a engagé un ingénieur alimentaire professionnel pour la mise au point d'un système de contrôle de qualité, la rédaction de manuels techniques et la formation des opérateurs. Aide financière fournie par le Trade for Development Centre de la CTB : 7.500 €

Par les femmes pour les femmes En soutenant des projets d'associations féminines en Israël et en Cisjordanie, Sindyanna of Galilee veut promouvoir le nécessaire rapprochement des communautés et dénoncer les difficiles conditions de vie des Palestiniennes qui souffrent à la fois de l'occupation israélienne et des rigidités de la société arabe traditionnelle. «Une minorité de femmes travaille dans l’agriculture. Elles doivent très souvent passer par des intermédiaires qui les conduisent sur leur lieu de travail et qui collectent leurs salaires (ils récupèrent bien souvent 40% au passage)»80, expliquent Michal Schwartz et Asma Agbarieh-Zahalka, deux des responsables du WAC qui collaborent avec Sindyanna of Galilee pour favoriser leur émancipation et accompagner leurs projets professionnels.

Crédit : Sindyanna of Galilee

Michal Schwartz va même plus loin et pense que ces femmes peuvent devenir des actrices de changement pour la libération de la société et contribuer à une plus grande solidarité entre travailleurs arabes et juifs. Le soutien qu'apporte Sindyanna of Galilee est très concret. Ainsi, des femmes arabes ont la possibilité de s'impliquer dans les projets éducatifs menés au sein de centres culturels gérés par des volontaires aussi bien juifs que palestiniens. Dernièrement, un atelier de confection de paniers en osier a été mis en place pour permettre à des femmes des communautés défavorisées d'exercer un métier tout en restant au village et en continuant à travailler leurs champs et à s'occuper de leur famille81.

Pour en savoir plus : www.sindyanna.com www.oxfammagasinsdumonde.be www.wac-maan.org.il www.befair.be

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L'HUILE DE LA PAIX Le projet Peace Oil est le fruit d'une initiative conjointe des principaux acteurs du commerce équitable en Israël et en Palestine : Sindyanna of Galilee, Green Action et Canaan Fair Trade. Ces trois organisations se sont associées en 2005 pour proposer aux consommateurs américains et européens une huile d'olive de qualité supérieure élaborée conjointement par des producteurs israéliens et palestiniens. Commercialisée par Olive Branch Entreprise, une organisation palestinienne localisée en Cisjordanie, l'Huile de la Paix s'inscrit dans le cadre d'un vision forte : «Bâtir l'interdépendance économique entre les peuples par la création de partenariats générateurs de bénéfices mutuels, une incitation pratique et concrète à la paix»82.

Pour en savoir plus : www.peaceoil.org

LE FAIR TRADE DEVELOPMENT CENTRE DE L’UNIVERSITÉ DE BETHLéEM De nombreux obstacles L’économie palestinienne est composée à près de 99% de Très Petites Entreprises de moins de 10 salariés chacune, essentiellement dans les secteurs de l’agriculture (olives, fruits et légumes) et de l’artisanat. Confrontées à l’occupation israélienne, celles-ci rencontrent de très nombreuses difficultés pour accéder aux marchés auprès desquels elles pourront écouler leurs productions. Ces obstacles sont évidemment liés à la situation géopolitique régionale (fermeture des points de passage, tracasseries administratives, etc.), mais d’autres facteurs d’ordre interne (organisationnels et financiers) entrent également en compte. En effet, ainsi que l’expliquent les économistes de l’Université de Bethleem en Cisjordanie, l’immense majorité des producteurs palestiniens ne dispose ni des structures, ni des compétences commerciales, ni des réseaux qui leur permettraient d’établir par eux-mêmes des contacts directs avec d’éventuels acheteurs internationaux. Confrontées à des délais de paiement souvent très longs, ces entreprises connaissent par ailleurs d’importants problèmes de liquidités et de trésorerie qui limitent considérablement leurs capacités d’investissement commercial.

Un centre d’entreprises dédié au commerce équitable Ces constats sont à l’origine de la création en 2006 du Fair Trade Development Centre (Centre de Développement du Commerce Equitable) fondé au sein de l’Université de Bethléem par l’Institute for Community Partnership avec le soutien de l’Agence Suisse pour la Coopération et le Développement et d’Oxfam Grande-Bretagne. En tant que centre de ressources spécialisé, le Fair Trade Development Centre s’est fixé les objectifs suivants : - Promouvoir les principes et le fonctionnement du commerce équitable auprès des producteurs palestiniens - Soutenir et accompagner les coopératives et les groupements d’entreprises palestiniens qui souhaitent devenir membres de l’Organisation Mondiale du Commerce Equitable (WFTO, ex IFAT) - Permettre aux producteurs palestiniens de tirer profit de la croissance globale du secteur équitable et développer la mise en réseau du mouvement palestinien avec les organisations internationales et régionales du commerce équitable - Fournir un soutien stratégique et opérationnel (formation, consulting, animation, etc.) aux acteurs palestiniens dans les domaines où les besoins de modernisation sont les plus importants (management, planification stratégique, marketing, etc.)

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Crédit : FTDC

Membre de l’Organisation Mondiale du Commerce Equitable (WFTO), le Fair Trade Development Centre palestinien se présente donc comme un véritable centre d’appui aux entreprises. A ce titre, il constitue un cadre performant pour la mise en place d’actions collectives, la mutualisation des ressources et le lancement de projets innovants.

Le projet STEPS du Fair Trade Development Centre palestinien Depuis 2008, le Fair Trade Development Centre de Bethléem pilote un ambitieux projet (nommé STEPS - Strengthening Palestinian Farmers and Small-Producers) qui a pour objectif d’offrir un accompagnement global à un groupe de douze coopératives et groupements de producteurs représentant environ 500 travailleurs de Cisjordanie. L’originalité du projet repose sur le caractère véritablement intégré de la démarche mise en place. En effet, les douze groupements retenus (dont trois au moins sont des organisations de femmes productrices) bénéficieront pendant près de trois ans d’un ensemble complet et cohérent de mesures de soutien, parmi lesquelles : - Formation des responsables commerciaux en gestion d’entreprises, marketing et anglais des affaires - Formation des techniciens agricoles aux pratiques de l’agriculture biologique et durable - Organisation et animation d’ateliers de sensibilisation des équipes aux concepts et bénéfices du commerce équitable - Attribution de subventions et de crédits pour la modernisation des infrastructures de production - Accompagnement à la mise en place des procédures de certification équitable (planification, organisation) - Organisation et animation d’ateliers de sensibilisation à la gestion de l’innovation - Consultance personnalisée en marketing et commerce international - Appui à la conception des outils de communication des coopératives et groupements participants - Participation à la conférence de l’Organisation Mondiale du Commerce équitable et à des foires commerciales Fair Trade Réalisé avec l’aide d’experts internationaux du secteur, l’accompagnement global fourni à ces coopératives et groupements de producteurs palestiniens vise donc très clairement à constituer un premier groupe d’entreprises exemplaires susceptibles de bénéficier très vite de la croissance des marchés équitables dans le monde. Par ailleurs, au-delà de ces objectifs économiques directs, le projet STEPS illustre les potentialités qu’offre le commerce équitable pour fédérer, moderniser et dynamiser le tissu économique d’un territoire soumis aux aléas des tensions internationales.

Avec l’appui du Trade for Development Centre de la CTB, l’Agence belge de Développement Séduits par le sérieux et les ambitions du dossier, les responsables du Trade for Development Centre de la CTB, l’Agence belge de Développement, ont décidé en 2009 de contribuer au financement du projet STEPS à hauteur de 208 420 euros (soit 74 % du coût total prévu). Ce soutien de l’Agence belge de développement permettra notamment de recruter une équipe de consultants spécialisés, de moderniser les infrastructures de production et de promouvoir les productions palestiniennes sur les marchés internationaux.

Pour en savoir plus : http://ftdc.bethlehem.edu

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AU LIBAN Entre son indépendance en 1943 et le début de la guerre civile en 1975, le Liban a connu une période de stabilité et de prospérité exemplaire. Le pays était alors connu comme «la Suisse du Moyen-Orient». Le Liban est un pays multiculturel et pluriconfessionnel au sein duquel l’équilibre des pouvoirs repose sur une répartition plus ou moins proportionnelle établie en fonction du poids de chaque communauté religieuse.

En 1975, les premiers troubles apparaissent avec l’arrivée massive dans le pays de milliers de réfugiés palestiniens et de combattants de l’OLP qui fuient la Jordanie. L’importation de l’infrastructure politique, militaire et culturelle des Palestiniens en exil perturbe gravement l’équilibre communautaire du Liban, en dressant les sunnites libanais qui leur sont favorables contre les chrétiens et les chiites qui s’opposent à leur naturalisation. Les Palestiniens sont alors répartis dans une quarantaine de camps où ils vivent dans des conditions très précaires. C’est de cette divergence de positions qu’est née la Guerre du Liban qui opposera pendant 15 ans libanistes conservateurs chrétiens et arabo-palestino-progressistes sunnites. Au début des années 1980, l’armée israélienne envahit le Sud-Liban pour mettre fin aux incursions terroristes de l’Organisation de Libération de la Palestine qui a fait du Liban sa base arrière. Les chiites, majoritaires dans cette région, furent les principales victimes des conflits et de l’occupation. Or, l’Etat libanais les a longtemps laissés aux marges du développement et n’a pas cherché à les protéger de cette occupation, l’essentiel du pouvoir étant partagé entre les chrétiens et les sunnites en vertu du pacte national de 1943. L’Etat libanais est mis à mal, sa souveraineté réduite presque à néant, ses frontières transgressées, son territoire envahi, sa population divisée. La pays en ressort exsangue et amputé d’environ 10 % de son territoire jusqu’au retrait israélien de 2000. La Syrie, qui occupe l’est du pays, exerce une forte pression en jouant le rôle de «tutelle politique» et en plaçant de fait le Liban sous son influence83. Immédiatement après la fin de la guerre civile, le gouvernement réalise des investissements colossaux pour la reconstruction. Le pays retrouve une certaine stabilité, mais la guerre israélo-libanaise de 2006 a causé des dommages importants provoquant un ralentissement économique. Par ailleurs, l’armement du Hezbollah soutenu par l’Iran suscite des craintes chez de nombreux Libanais (musulmans sunnites, druzes et chrétiens) qui acceptent mal de voir la milice chiite se soustraire à l’autorité de l’Etat.

Crédit : Bertil Videt GNU License

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FAIR TRADE LEBANON

Il faudra attendre le départ des troupes israéliennes en 2000 pour qu’émerge au Sud-Liban l’idée du commerce équitable en réponse aux difficultés des populations locales, essentiellement chrétiennes, que l’Etat libanais et les principales communautés considèrent comme des collaborateurs des forces d’occupation israéliennes. Tandis que les populations chiites du SudLiban reçoivent l’appui du Hezbollah et de ses réseaux, les 15 000 à 25 000 personnes qui vivent dans les villages chrétiens voient leurs perspectives de développement s’assombrir faute de soutien et de marchés pour leurs produits. La méfiance et l’hostilité se répandent entre ces communautés qui ne bénéficient pas des mêmes appuis84. Emissaire de l’organisation religieuse caritative Saint Vincent de Paul, Philippe Adaime, a participé aux réunions de villages qui ont conduit à la création de Fair Trade Lebanon. Cette nouvelle organisation, dit-il, est née «de la volonté d’une poignée de Libanais de changer la vie des populations rurales les plus défavorisées du Liban. Faisant le constat qu’il existe dans les régions une infrastructure de production agricole sous-employée ainsi que des savoir-faire traditionnels, ils ont fait le choix du commerce équitable comme moyen de créer des débouchés à l’exportation pour les petits producteurs et les coopératives de transformation de ces régions»85. En 2005, les contacts établis avec l’importateur français SEL aboutissent à la signature d’un partenariat qui sera décisif pour l’organisation naissante. En mars 2006, quelques mois avant la guerre de juillet, Fair Trade Lebanon voit officiellement le jour avec pour objectif «de devenir un fédérateur des réseaux de producteurs du pays (coopératives et petites exploitations familiales) désireux de participer à la dynamique du commerce équitable»86. Dès ses débuts, l’organisation de commerce équitable libanaise s’est montrée attentive à la perpétuation des richesses culinaires et artisanales traditionnelles mises à mal par ces années de conflits : «La cuisine libanaise est réputée excellente, aux quatre coins du globe. La diaspora libanaise s’investit et s’intègre dans tous les pays. Souvent, le soleil du pays et les bonnes recettes de grand-mère leur manquent. Par ailleurs, les villages libanais regorgent de trésors culinaires qui risquent de tomber dans l’oubli. A cause de la guerre, mais aussi de l’exode rural, les recettes se perdent, et les traditions culinaires aussi. A cause de la situation économique, les gens, les jeunes notamment, quittent le village, puis le pays»87.

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Crédit : Mzaa Soap

Si l’huile d’olive est, comme en Palestine, le produit phare du commerce équitable libanais (et le symbole de son existence et de la résistance aux occupants), Fair Trade Lebanon commercialise aussi de nombreux produits aux résonnances quasi-bibliques (confitures du Mont Hermon, savons de Byblos, fleur de sel de Anfeh, etc.) qui sont fabriqués aux quatre coins du Pays du Cèdre. Vendus sous le label «Saveurs équitables Terroirs du Liban», ces produits sont disponibles actuellement dans plusieurs centaines de points de vente en Europe et au Canada. Ce sont près de 350 bénéficiaires directs qui profitent aujourd’hui de ces échanges et dont la «condition sociale s’est nettement améliorée», selon Benoît Berger, l’un des responsables, qui ajoute que «les efforts de Fair Trade Lebanon sont aujourd’hui couronnés par son adhésion au réseau international de commerce équitable, la World Fair Trade Organization (WFTO)»88. L’organisation libanaise est en effet devenue membre à part entière de ce réseau à la renommée internationale. Elle a également réussi à commercialiser, depuis le printemps 2010, ses produits à l’intérieur du pays, alors que ceux-ci, issus de 14 coopératives agricoles libanaises, étaient jusque-là destinés uniquement à l’export. Dernière initiative de Fair Trade Lebanon : soutenir les ex-producteurs de haschich de la plaine de la Békaa, dont un grand nombre s’est retrouvé sans revenus depuis la décision du gouvernement d’interdire ces cultures. Pour trouver une alternative, l’organisation libanaise de commerce équitable s’est associée à un projet qui soutient la conversion de ces producteurs aux cultures vinicoles et qui doit permettre à ces populations d’assurer des revenus plus élevés que du temps des cultures illicites89.

Pour en savoir plus : www.fairtradelebanon.org http://bloggingfairtradelebanon.blogspot.com www.artisanatsel.com


EN ASIE Des rives méditerranéennes de la Turquie aux archipels d’Extrême-Orient, l’Asie présente une multitude de visages hérités de traditions très différentes. L’Asie Mineure, la Russie orientale, la Péninsule arabique, le sous-continent indien, les centaines d’îles d’Indonésie et des Philippines, la Chine, le Japon,… autant de sous-régions dont les cultures se sont construites autour de civilisations puissantes et millénaires. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le continent asiatique a été le théâtre de nombreux conflits meurtriers liés à la guerre froide, aux soubresauts de la décolonisation et/ou aux politiques expansionnistes des grandes puissances régionales. Plusieurs de ces conflits perdurent aujourd’hui et, quand ce n’est pas le cas, leurs conséquences sont encore souvent sources de tensions. Historiquement, l’Asie a accueilli certaines des premières initiatives de commerce équitable. Ainsi que nous allons le voir, celles-ci ont souvent été mises en œuvre pour alléger les souffrances des populations meurtries par ces conflits.

Crédit : Ashden Awards

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A la différence de nombreux pays en voie de développement nés du démantèlement des empires coloniaux, l'Afghanistan a existé très longtemps en tant qu'entité indépendante et souveraine malgré les pressions des grandes puissances intéressées par le contrôle des anciennes routes de la soie.

AFGHANISTAN

Crédit : ISAF Headquarters Public Affairs Office

Préparée par un coup d'état en 1973, l'invasion soviétique de 1979 va faire sombrer l'Afghanistan dans le chaos. Les affrontements entre l'Armée Rouge et la résistance nationale afghane soutenue par les Etats-Unis, le Pakistan et l'Arabie Saoudite ravagent l'essentiel des infrastructures du pays. En dépit des moyens militaires mobilisés par l'armée soviétique, la résistance des Moudjahidines est telle que les autorités russes décident de quitter le pays en 1989. Les différentes factions afghanes issues de la résistance ne parviennent pas à s'entendre sur la composition d'un gouvernement d'union nationale et le pays, libéré de la présence soviétique, devient le théâtre d'une terrible guerre civile qui oppose les forces conduites par le commandant Massoud aux Talibans, tenants d'un islam sunnite fondamentaliste radical né dans les madrasas (écoles religieuses) de la zone tribale pakistanaise.

L’Afghanistan est en guerre depuis bientôt quarante ans. Dans ces conditions d'extrême insécurité, les organisations internationales et les ONG se consacrent essentiellement aux questions humanitaires. Ceci étant, des projets de commerce équitable ou durable voient le jour, initiés par des opérateurs courageux.

Les Talibans prennent le contrôle du pays en 1997 et instaurent une paix relative après des années de guerre, fondée sur une stricte application de la charia et la volonté d'instaurer «le plus pur État islamique du monde». Accusant le chef d'Al-Qaida, Oussama Ben Laden, réfugié auprès des Talibans, d'être responsable des attentats du 11 septembre 2001, les ÉtatsUnis déclenchent une nouvelle guerre contre l’Afghanistan et renversent en quelques mois le régime taliban. Hamid Karzaï devient alors le nouveau président du pays. L'OTAN, qui a pris le commandement de la Force Internationale d'Assistance et de Sécurité en août 2003, s'emploie à étendre l'autorité du pouvoir central et à faciliter la reconstruction du pays. Mais les activités rebelles perdurent et, à partir de 2005, la situation s'aggrave alors que les Talibans s'infiltrent dans plusieurs régions90. Depuis, la situation a peu évolué.

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TROPICAL WHOLEFOODS ET LES RAISINS ÉQUITABLES D'AFGHANISTAN

Crédit : Tropical Wholefoods

Avant l'invasion soviétique de 1979, le raisin d'Afghanistan avait la réputation d'être le meilleur du monde.

Les violences qui ont embrasé le pays depuis ont quasiment mis fin à cette activité. Jusqu'à aujourd'hui.

En effet, Tropical Wholefoods, une société de vente de fruits équitables fondée en 1980 en Ouganda par Kate Sebag et Adam Brett, a lancé un projet de commercialisation équitable des raisins afghans, en collaboration avec Mercy Corps, l'ONG s'est spécialisée dans l'aide aux populations les plus touchées par les violences et les catastrophes naturelles. L'aventure afghane de Tropical Wholefoods commence en 2005, alors que les Talibans commencent à reprendre du terrain après les offensives de l'OTAN. Responsable de Fullwell Mill, la société labélisée équitable et biologique qui gère l'emballage des produits de Tropical Wholefoods, Richard Friend est un ami d'Adam Brett. Il raconte ses premières visites à Kandahar, au sud du pays, pour étudier les perspectives d'achat de raisins : «Lors de nos premières visites, en 2006, nous avons effectivement identifié des groupes de producteurs avec lesquels nous aurions pu travailler ainsi que deux ou trois sites de production. Nous avons pu expérimenter le traitement de dix tonnes de raisins de Kandahar. Mais les conditions de sécurité étaient vraiment trop tendues : nous n'étions pas autorisés à faire ce que les gens d'ici ne faisaient pas, comme porter des lunettes de soleil ou mettre nos ceintures de sécurité dans les véhicules. Il n'y avait pas de ces 4x4 qu'utilisent les ONG et nous restions cantonnés dans le campement de Mercy Corps qui était entouré d'énormes sacs de sable»91. Aussi prometteurs qu'ils aient été, ces premiers contacts ont surtout mis en évidence l'importance des obstacles à surmonter, ainsi que le souligne Richard Friend : «Nous n'avions pris aucun engagement, mais nous avons rencontré les agriculteurs et même élaboré une première série de plans d'urgence comme, par exemple, chercher des terrains où nous pourrions travailler hors des zones de sécurité si la situation devenait trop critique. Mais c’est devenu encore pire que ce à quoi je m’attendais, alors nous n’avons même pas pu faire cela. Kandahar est une zone de production du pavot (…). Alors, oui, c’était frustrant, car cela aurait pu être l’occasion de mettre en place une véritable alternative à la culture d’opium»92.

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Crédit : Tropical Wholefoods

Kate Sebag, Adam Brett et leurs amis ne renoncent pas et décident de développer leurs projets sur des territoires afghans moins exposés, dans les plaines de Shomali au nord de Kaboul. Avec l'aide des équipes de Mercy Corps, ils consacrent plusieurs années à améliorer les techniques agricoles dans les villages et à rénover un site de séchage des fruits frais. Cela ne fut pas facile, ainsi que le rapporte Richard Friend : «La propriétaire de l'usine de séchage a d'abord dû la récupérer auprès d'un chef de guerre local. Il y avait encore des vieux mortiers et des obus tout autour»93. Progressivement, la filière de production est mise en place dans le respect des principes du commerce équitable et les premiers lots sont livrés en Grande-Bretagne où ils sont commercialisés par Tropical Wholefoods. «Nous avons importé 70 tonnes de raisins au printemps» raconte Adam Brett, «mais si nous pouvions le faire certifier Fairtrade, ce pourrait être un millier de tonnes par an. Le marché du raisin est très important. Aujourd'hui, en Grande-Bretagne, ce sont près de 100 000 tonnes qui sont importées chaque année et près de 600 000 dans l'Union Européenne. (...) Avec les volumes qui pourraient être produits en Afghanistan, nous pourrions voir des communautés et des villages entiers devenir autosuffisants et capables de construire eux-mêmes leurs écoles et leurs infrastructures»94. Les enjeux sont donc très importants pour le développement du pays et pour l'amélioration des conditions de vie des populations afghanes, mais, une fois encore, le principal problème qui se pose pour réaliser ces projets concerne la certification elle-même. Finalement, une solution semble sur le point d'être trouvée. En effet, bien que les personnes chargées du contrôle ne puissent toujours pas se rendre sur place, à cause de l'insécurité du pays, la Fairtrade Foundation a accordé à Tropical Wholefoods une exemption qui lui permet d'afficher le précieux logo sur le délicieux raisin d'Afghanistan95.

Pour en savoir plus : www.tropicalwholefoods.co.uk www.mercycorps.org

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Né de la partition des Indes britanniques en 1947, le Pakistan entretient depuis sa création des relations tendues avec l’Inde en raison d’un contentieux territorial sur le Cachemire. Les deux pays se sont affrontés lors de trois guerres successives.

PAKISTAN

Crédit : Samantha Lille - Fr Gouv.

« Cette catastrophe est pire que le tsunami de 2004, le tremblement de terre au Pakistan en 2005 et le récent tremblement de terre à Haïti». Maurizio Giulano porte-parole du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU97

Le Pakistan traverse depuis plusieurs années une situation vraiment difficile. En dépit d’efforts diplomatiques, ses relations avec son grand voisin, l’Inde, restent tendues, en particulier à cause des sanglantes incursions de groupuscules extrémistes musulmans pakistanais au Cachemire indien. Au point que la frontière indo-pakistanaise est considérée par de nombreux experts comme la zone la plus sensible dans le monde (d’autant que les deux pays se sont dotés de l’arme nucléaire). Confrontée depuis la fin des années 1990 aux incursions des Talibans afghans dans les régions tribales frontalières du Nord-Ouest, l’armée pakistanaise a engagé des moyens militaires importants pour essayer d’empêcher les combattants islamiques de se servir du pays comme base arrière pour ses attaques en Afghanistan. En réponse à ces offensives, de nombreuses attaques terroristes, souvent revendiquées par des Talibans pakistanais, frappent le nord du pays96. Entre les Etats-Unis, qui exigent un investissement militaire beaucoup plus important pour sécuriser la frontière avec l’Afghanistan, les fièvres nationalistes populaires qui expriment souvent une haine farouche de l’Occident, des rapports qui restent compliqués avec l’Inde, des services secrets qui ne semblent pas toujours suivre la politique gouvernementale au point de se retrouver accusés de soutien à certains groupes talibans,… l’Etat pakistanais est soumis à des pressions contradictoires très fortes. Et puis, en août 2010, des inondations extrêmement violentes frappent le pays. Le bilan est très lourd : plus de 20 millions de sinistrés, 1600 morts, 6 millions de sans-abris. Avec près de 180 millions d’habitants et la deuxième plus nombreuse majorité musulmane du monde, le Pakistan occupe une place importante dans l’équilibre géopolitique au Moyen-Orient et dans le Sud-Est asiatique. Les populations qui y vivent sont souvent les victimes des intérêts divergents des puissances militaires et des extrémistes. Dans ces conditions, le commerce équitable et durable offre des pistes de développement qui doivent être explorées et soutenues.

MOUNTAIN FRUITS LTD, TROPICAL WHOLEFOODS ET LES FRUITS ÉQUITABLES DU PAKISTAN Perdus dans les montagnes La région de Chitral et du Karakoram est située sur l'un plus hauts pics du globe dans l'extrême Nord du Pakistan. Cette zone, très peu peuplée, est restée isolée du reste du monde jusqu'à l'ouverture en 1972 de la Karakoram Highway qui relie Beijing à Karachi. Depuis la partition de l'Inde et du Pakistan en 1948, cette région fait partie des territoires contestés du Cachemire qui, faute d'accord international, n'ont pas de statut officiel ou de représentant auprès du pouvoir central. La population ne bénéficie pas des mêmes droits civils et politiques que les autres citoyens du Pakistan, il n'y a pratiquement pas d'industrie et les gens vivent dans de petits villages disséminés le long des vallées glaciaires où ils dépendent de l'agriculture de subsistance, sans accès aux services sociaux de base. L'instabilité politique, les restrictions imposées aux étrangers et l'absence d'investissements publics se sont conjugués pour enclaver ces populations qui vivent pourtant dans l'une des plus belles régions du monde98.

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Les meilleurs fruits du monde Sur ces hauteurs perdues, les vergers sont irrigués par les eaux de fonte glaciaire des montagnes de l'Himalaya. Abricots, pommes, cerises, mûres, noix, amandes, pignons de pin,… les agriculteurs des régions du Nord du Pakistan produisent une grande variété de fruits dont l'abricot Hunza qui est renommé dans le monde entier pour sa saveur et dont le noyau est, paraît-il, comme un trésor de noisette. Pourtant, en raison des engorgements saisonniers dans la production, de l'état déplorable des routes et de l'insécurité liée aux combats entre l'armée et les rebelles, une grande partie de la production ne peut être acheminée et finit par pourrir avant de pouvoir être consommée ou vendue99. Aux origines… Sher Ghazi est né dans la vallée de Hunza dans les montagnes du Karakoram. Après son diplôme en technologie alimentaire, il rejoint l’Aga Khan Rural Support Programme, une fondation qui œuvre à l’amélioration des conditions de vie des populations vivant dans les montagnes Karakoram. En tant que producteur de fruits, Sher Ghazi a longtemps réfléchi pour trouver un moyen d’améliorer l’existence des communautés agricoles pauvres des montagnes. … Tropical Wholefoods En 1997, Tropical Wholefoods, la société de commercialisation de fruits équitables fondée par Kate Sebag et Adam Brett, commence à apporter son soutien à Sher Ghazi dans le cadre du Projet Fruits Secs financé par l’Aga Khan Rural Support Programme. Les premières années sont consacrées à l’amélioration des méthodes traditionnelles de séchage solaire et à la formation des producteurs aux techniques de lavage des fruits, de manière à rendre les processus de fabrication compatibles avec les normes internationales. En 2002, une première usine de transformation est construite où peuvent être traités, lavés, classés et emballés les fruits collectés auprès de villages situés dans un rayon de 300 kilomètres. L’usine a la capacité de traiter 100 tonnes de fruits séchés par saison. Mountain Fruits Ltd En 2004, le Projet Fruits Secs de l’Aga Khan Rural Support Programme est enregistré en tant qu’entreprise d’export de fruits secs et baptisé Mountain Fruits Ltd. La société forme les producteurs aux techniques de séchage des fruits qui sont achetés et commercialisés par Tropical Wholefoods et d’autres importateurs. Contrairement aux méthodes traditionnelles de séchage, le recours aux techniques modernes a permis de créer un produit commercialisable qui répond parfaitement aux standards internationaux. Mountain Fruits Ltd travaille maintenant avec plus de 2000 familles d’agriculteurs. Près d’une centaine de femmes sont employées dans l’usine, le seul endroit de la région

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Crédit : Ashden Awards

où elles peuvent obtenir un travail rémunéré. C'est une occasion unique pour elles de contribuer aux revenus de leurs familles et de s'émanciper quelque peu du poids des traditions. Elles assurent le séchage et l'emballage des fruits et des noix et sont payées dans le respect de la législation sur les salaires. Depuis ces premiers succès, Mountain Fruits a initié un nouveau projet de formation des producteurs à l'agriculture biologique et a investi dans l'acquisition de nouvelles machines de cassage des noix qui offrent des gains de temps considérables. De plus, avec le soutien de Tropical Wholefoods, Mountain Fruits Ltd a innové en développant un modèle de sécheuse électrique portable fonctionnant à l'énergie solaire qui peut être installé dans de nombreux villages. L'appareil se présente comme une sorte de four avec des rangées d'étagères fermées à l'intérieur desquelles les fruits sèchent, protégés des insectes, de la poussière et de la pluie. Ces développements ont permis d'accroître la production de manière significative et surtout de viabiliser des processus de conservation et de commercialisation qui sont aujourd'hui expérimentés sur de nouveaux produits (miel, morilles)100. La certification équitable Afin de permettre aux producteurs pakistanais de bénéficier pleinement des avantages du commerce équitable, la société Mountain Fruits a soutenu la création de l'Association des Producteurs de Fruits des Zones de Montagne (Mountain Areas Fruit Farmers’ Association) qui répond aux critères démocratiques exigés pour la certification Fairtrade. En 2005, l'association a reçu ses premières primes équitables, grâce auxquelles un certain nombre de projets ont pu être mis en place dans les villages : installation d'un générateur d'électricité pour un village, achat d'un ordinateur pour la nouvelle bibliothèque, construction d'une école communautaire, prise en charge des frais de scolarité pour les enfants les plus pauvres, construction d'une aire de jeux, achat de machines à coudre et de tissus pour des centres de formation professionnelle réservés aux femmes, etc.101

Pour en savoir plus : www.tropicalwholefoods.co.uk www.fairtrade-dryfruits.com www.fairtrade.org.uk


Crédit : Jan Reurink - Ganden Gompa Tibet

TIBET En 1950, l’armée chinoise envahit le Tibet. En dépit des efforts déployés par le Dalaï-lama, le leader spirituel et politique des Tibétains, pour garantir la préservation du patrimoine et de la culture du pays, des troubles éclatent et, en 1959, le Dalaï-lama est contraint de se réfugier en Inde. Il sera suivi d’environ 100 000 Tibétains. La révolte est sévèrement réprimée par le gouvernement chinois qui lance une série de «réformes» qui conduisent à des répressions sanglantes. Pendant la Révolution culturelle (entre 1966 et 1976), des milliers de monastères et de temples ont été pillés et détruits. Des dizaines de milliers de Tibétains ont été envoyés dans des camps de travail. La fermeture des routes et des voies commerciales traditionnelles, ainsi que les politiques agricoles autoritaires voulues par les autorités chinoises ont provoqué des famines massives102. Le nombre de victimes tibétaines du conflit (un important sujet de désaccord entre la Chine et le gouvernement tibétain en exil) est généralement estimé à plusieurs dizaines de milliers de personnes103.

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DZI-TIBET COLLECTION En 1987, le gouvernement tibétain en exil réalise une étude relative au potentiel de développement des communautés de réfugiés au Népal et en Inde. Deux ans plus tard, le Conseil de Planification, mis en place pour coordonner les initiatives économiques, lance le Projet de Développement de l'Artisanat Tibétain avec pour objectif de favoriser la commercialisation des créations des artisans tibétains aux Etats-Unis tout en faisant la promotion du combat politique mené pour la défense de la culture tibétaine. Crédit : Tibet Collection

Crédit : Tibet Collection

Trois ans plus tard, une société commerciale est fondée à Washington, «dZi-Tibet Collection», pour servir de lien entre les artisans et les acheteurs sur le marché américain. Dans les mois qui suivent, l'entreprise reçoit le soutien de la Fondation Ford, de l'organisation Aid To Artisans et de Market Place of India pour organiser des formations en design, en marketing et en gestion au bénéfice des artisans réfugiés en Inde et au Népal104. A partir de 1997, dZi-Tibet Collection commence à commercialiser une nouvelle génération d'œuvres et de créations tibétaines artisanales fabriquées en particulier à Katmandou au Népal. Papiers faits à la main, boîtes décorées, coffrets à encens, bijoux traditionnels,… ces collections remportent un franc succès lors des foires commerciales de New York, Los Angeles et Boston105.

Membre fondateur de la Fair Trade Federation, dZi-Tibet Collection travaille directement avec des artisans tibétains, indiens et népalais pour créer et commercialiser des créations qui célèbrent la beauté et la culture du Tibet. Les relations étroites qu'entretient l'enseigne avec ses fournisseurs s'inscrivent dans le cadre des principes du commerce équitable.

Les engagements pris sont aussi concrets que possible : - Relations de long terme avec les artisans (flux régulier de commandes et de revenus) - Tarification équitable permettant de garantir des marges et des revenus suffisants - Promotion de la santé et de la sécurité des artisans (financement de meilleures conditions de travail) - Promotion de l'utilisation de matériaux durables et recyclés (teintures naturelles, etc.) - Soutien commercial spécifique pour les groupements de producteurs des régions plus isolées - Soutien aux communautés locales et appui aux organisations humanitaires - Promotion de la culture tibétaine (Campagne Internationale pour le Tibet, Maison du Tibet à New York, etc.)106 Soutenir la cause dZi-Tibet Collection participe aussi à plusieurs projets en faveur des populations tibétaines : Le Mouvement GuChuSum : ce projet collectif vise à susciter auprès de l'opinion publique une prise de conscience des conditions d'emprisonnement des détenus politiques tibétains en Chine et à dénoncer les multiples violations des droits de l'homme dont ils sont victimes. Le Mouvement GuChuSum offre en outre une aide médicale, des logements, un accès aux études et des emplois aux anciens prisonniers politiques tibétains. Tibetan Nuns Project : ce programme a pour objectif la prise en charge des moines et des religieux qui fuient le Tibet vers l'Inde et le Népal. Vêtements, nourriture, logements et soins de base sont proposés dans le cadre de ce projet.

Pour en savoir plus : www.dzi.com

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TIMOR LESTE

Crédit : Chris Johnson - Wikimedia

Originellement colonie portugaise, le Timor Oriental (qui est constitué de la moitié orientale de l’île de Timor et dont la population est très majoritairement chrétienne) est annexé par l’Indonésie en 1975. En novembre de la même année, le Timor Oriental déclare unilatéralement son indépendance et adopte comme nom officiel République démocratique du Timor Leste. Dans les jours qui suivent, l’armée indonésienne envahit le pays qu’elle soumet à une répression féroce dans l’objectif affirmé d’assimiler cette nouvelle province. Une politique qualifiée d’exterminatrice est mise en œuvre, avec l’utilisation par l’armée de napalm sur les villages timorais soupçonnés d’apporter leur aide aux rebelles indépendantistes, causant plus de 200 000 morts, la plupart civils, sur une population de moins d’un million d’habitants, entre 1975 et la fin des années 1980. Il faudra attendre l’année 1999, après des années d’oppression, pour que le ministre indonésien des Affaires étrangères accepte le principe d’une consultation d’autodétermination et, le 30 août 1999, les Timorais choisissent l’indépendance lors du référendum organisé par l’ONU. Aussitôt la province est mise à feu et à sang par des milices pro-indonésiennes qui s’emparent de Dili, la capitale, et lancent une chasse sanglante aux indépendantistes. Après plusieurs jours de tueries, de déportations et de pillages, l’ONU se décide enfin à envoyer une force multinationale sous commandement australien afin d’imposer la paix et d’instaurer une administration provisoire qui aboutira à l’accession formelle du pays à l’indépendance, le 20 mai 2002. La majeure partie de l’infrastructure du pays est alors détruite et l’économie paralysée107.

CAFÉ TIMOR Le café du Timor Leste fait son entrée au sommet du classement des meilleurs cafés du monde.

Les exactions commises par les milices pro-indonésiennes au lendemain du référendum d'autodétermination ont aussi touché l'industrie du café du Timor Leste. Les agriculteurs et leurs familles ont été tués ou déportés, les cultures ont été détruites ainsi que les routes, les entrepôts et l'essentiel des infrastructures indispensables à ce secteur d'activité, crucial pour l'économie du pays. Le commerce du café constitue en effet la plus importante source de devises du pays et la principale source de revenus pour environ un quart de la population. Créée à l'origine en 1994 par quelque 20 000 petits producteurs organisés en 16 coopératives et 493 groupements, la structure nationale de coopération Timor Cooperativa Café s'efforce alors d'apporter son soutien aux familles meurtries en les aidant à rebâtir leurs exploitations et à vendre leurs premières récoltes. La reconstruction de la filière est rendue plus difficile encore par les violences et le vandalisme qui subsistent, par l'absence de fonctionnaires qualifiés et par l'exode d'une partie des élites du pays. Grâce à l'appui des organisations du commerce équitable, des ONG et de plusieurs agences d'aide au développement, Timor Cooperativa Café parvient à certifier équitable et biologique une part relativement importante de sa production. Les efforts réalisés pour améliorer la qualité portent rapidement leurs fruits et le café du Timor Leste (Café Timor) fait son entrée au sommet du classement des meilleurs cafés du monde108.

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En septembre 2003, la coopérative nationale timoraise signe un accord avec l'enseigne américaine Starbucks pour la vente de son café équitable et biologique. Les primes équitables obtenues à cette occasion vont permettre la construction de huit cliniques pleinement opérationnelles et de 24 centres de soins mobiles, ce qui fait de Timor Cooperativa Café le principal pourvoyeur de soins de santé en milieu rural dans le pays109. Le réseau de soins mis en place par Timor Cooperativa Café accueille en moyenne 18 000 patients par mois. Les soins sont gratuits pour les familles des membres de la coopérative110.

Alfonso Sarmento, producteur membre de Timor Cooperativa Café.

Crédit : USAID - NCBA

"Je sais qu'une part des revenus issus du commerce équitable que mes collègues et moi-même avons gagnés sert à acheter des médicaments et à dispenser des soins dans les cliniques de Timor Cooperativa Café. Je suis très reconnaissant de cela, le personnel de cette clinique a sauvé la vie de ma femme"112.

Dans le cas particulier du Timor Leste, le secteur du café (en particulier équitable et biologique) a joué un rôle important dans la reconstruction du pays et de son économie.

Pour en savoir plus :

Crédit : PSYMCA - Busan YMCA Cafe Timor

www.transfairusa.org www.justuscoffee.com

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L'organisation Timor Cooperativa Café est intervenue à de nombreux niveaux : pour améliorer la production, rénover les exploitations et former les cultivateurs, mais aussi, de manière plus large, en finançant des projets de développement économique, en construisant des écoles et des centres de formation, et même en contribuant à l'adoption de la nouvelle monnaie et en assurant l'accès aux soins pour les populations rurales111.


EN AMERIQUE DU SUD L’accession à l’indépendance des pays d’Amérique latine, durant la première moitié du XIXème siècle, aboutit à la dislocation des structures et équilibres hérités de la Couronne d’Espagne, qui considérait ces pays comme ses colonies. La justice et le pouvoir sont alors monopolisés par de nouveaux « propriétaires » qui soumettent les populations les plus pauvres qui se retrouvent «sans terre». La nature floue des frontières pousse à de nombreux conflits interétatiques qui contribue à une militarisation de la société latino-américaine. Les insurrections populaires, lorsqu’elles s’expriment, sont instrumentalisées ou réprimées. La première moitié du XXème siècle est marquée par un double phénomène. Tandis que les Etats-Unis s’engagent dans une politique interventionniste sur tout le continent, des mouvements révolutionnaires et/ou démocratiques s’organisent dans plusieurs pays d’Amérique latine et finissent par se heurter aux intérêts de la grande puissance du Nord. La guerre froide va contribuer au raidissement des tensions. Par crainte d’une infiltration des gouvernements progressistes et des mouvements populaires sud-américains par des cellules communistes à la solde de l’Union Soviétique, les Etats-Unis s’engagent en faveur des partis de droite et des grands propriétaires quitte à soutenir des dictatures militaires et des régimes totalitaires violents. Cette situation va nourrir les mouvements de sympathie en faveur des populations de ces pays chez les jeunes générations en Europe occidentale et aux Etats-Unis, durant les années 1960 et 1970. C’est notamment pour cela que l’Amérique du Sud a été l’un des premiers continents à accueillir des projets de commerce équitable, initiés par des organisations européennes ou américaines progressistes et/ou religieuses (Oxfam, etc.).

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Depuis les années 1960, la Colombie vit dans une situation de violences impliquant l’armée, des guérillas marxistes telles que les FARC et des groupes paramilitaires d’extrême droite à la solde de grands propriétaires terriens. Aujourd’hui, si la Colombie est connue pour son café de haute qualité, elle l’est également pour ses conflits armés vieux de plusieurs décennies et ses cartels de la drogue qui sont considérés comme faisant partie des organisations criminelles les plus puissantes dans le monde.

COLOMBIE La guerre, l’industrie de la cocaïne, et les inégalités économiques se sont conjuguées pour faire de la Colombie le théâtre de «la plus grave crise humanitaire de l’hémisphère occidental», selon les Nations-Unies113.

Depuis l’année 2000, la coopérative colombienne bénéficie de la certification équitable Fairtrade grâce à laquelle les revenus des agriculteurs ont augmenté d’environ 40%.

COSURCA «Faites du café, pas la guerre»

Les efforts de COSURCA pour encourager l’abandon des cultures illicites dans la province commencent à porter leurs fruits. Depuis 1993, près de 2000 familles ont rejoint la coopérative et le nombre de ses membres augmente chaque année. Par ailleurs, on estime que la campagne menée par la coopérative auprès des agriculteurs a permis l’éradication de centaines d’hectares de plantations de coca.

La province de Cauca, au sud de la Colombie, est l’une des plus pauvres du pays. Poussés par la misère, de nombreux paysans abandonnent les cultures vivrières pour cultiver la coca qu’ils revendent aux trafiquants ou aux rebelles, au risque de mettre sérieusement en péril la sécurité alimentaire de la région. Cette partie de la Colombie est aussi l’une des principales zones d’affrontement entre les forces gouvernementales, les paramilitaires et les FARC (qui tirent une partie de leurs revenus du narcotrafic). Qui plus est, les cultures de coca ont des conséquences désastreuses pour l’environnement en dégradant les sols, en polluant les rivières et en encourageant la déforestation (chaque hectare de coca nécessite la destruction de quatre hectares de forêt). L’éradication des cultures illicites est donc considérée comme une priorité, d’autant que ces cultures, en enrichissant les rebelles et les narcotrafiquants, entretiennent l’état de conflit permanent qui fragilise la région et empêche son développement. Conscients de cette situation, l’ONU et les EtatsUnis soutiennent en 1993 la création de la coopérative COSURCA (Cooperative Association of Southern Cauca) qui regroupe des familles de producteurs, des associations locales et des collectivités avec comme principal axe de développement, la production et la commercialisation d’un café biologique et équitable de qualité. Les paysans qui veulent y adhérer s’engagent à abandonner la culture de la coca en échange de quoi ils reçoivent un microcrédit initial d’environ 300 € pour éradiquer les plants illicites de leurs terres et initier d’autres cultures (de café ou de fruits par exemple)114. La coopérative COSURCA fournit une assistance technique à ses membres, ainsi que l’accès à des banques des semences, des formations, des microcrédits et un appui particulier s’ils souhaitent bénéficier de la certification attribuée par l’agence suisse indépendante Imo Control.

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Mais les conséquences positives de cette initiative ne concernent pas que la transformation des cultures. En effet, les observateurs relèvent le fait qu’avec la reprise de relations économiques saines, un tissu social et culturel neuf se recrée. Les producteurs reprennent confiance en eux face à la guérilla et la pauvreté qui les avaient précipités dans le narcotrafic. Ils se forment, pensent et décident, ils redeviennent acteurs de leur vie et retrouvent un rôle politique et citoyen perdu dans le conflit. La coopérative COSURCA a été nommée par l’ONU meilleure pratique permettant de dépasser le conflit colombien115.

«Avec les revenus que nous procure le commerce équitable, nous pouvons améliorer notre niveau de vie et être plus autonomes. Une des conséquences les plus importantes pour nous, c’est l’assurance que nous aurons la capacité de produire notre propre alimentation en temps de guerre. Si nous produisons beaucoup, nous pouvons stocker des céréales, des fruits et des légumes, ce qui évitera à notre peuple d’avoir à abandonner ses terres. C’est cette chance qui nous permet de vivre et de traverser une guerre qui dure depuis 40 ans»116. René Ausecha Chaux, COSURCA

Pour en savoir plus : www.cafedecolombia.com www.fairtradecolombia.com www. lwr.org/colombia www.imo.ch


CrĂŠdit : Transfair USA

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SOUTENIR

LE COMMERCE ÉQUITABLE POUR SOUTENIR LA PAIX

Des hauteurs de la Cordillère des Andes aux jungles d’Asie du Sud-est, des projets de commerce équitable sont imaginés et mis en œuvre par des femmes et des hommes courageux et créatifs dans des zones frappées par la guerre. C’est souvent dangereux et les obstacles sont nombreux (y compris à cause des rigidités des systèmes de certification), mais lorsqu’on passe en revue ces différentes initiatives, on constate leur impact réel sur les populations. Ces bénéfices sont économiques et sociaux. Ils permettent aux communautés de subvenir à leurs besoins et de se réapproprier des activités productives qui vont leur permettre d’engager la reconstruction de leurs foyers et de leurs territoires. Mais il n’y a pas que cela. Le commerce équitable n’a pas pour unique vocation de produire de la richesse. En favorisant des modes d’organisation démocratiques, en soutenant des projets sociaux ou éducatifs, en encourageant des coopérations entre les communautés, le commerce équitable contribue au retour de la confiance et du respect de soi que de nombreuses populations victimes des conflits ont perdus dans les violences. Définitivement, le commerce équitable est un formidable outil au service de la paix.

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Etats, institutions internationales, agences d’aide au développement, ONG, fondations… de nombreux acteurs interviennent pour contribuer à la pacification puis à la reconstruction des régions du monde touchées par la guerre. Les moyens à leur disposition sont nombreux et efficaces.

LE RÔLE DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES Aujourd’hui, pour toutes les raisons que nous avons soulignées, le soutien aux initiatives de commerce équitable doit être intégré aux politiques globales menées pour apaiser les tensions dans les zones frappées par la guerre et mobiliser les populations autour de projets fédérateurs. Concrètement, que peuvent faire les acteurs internationaux pour soutenir le commerce équitable sur ces territoires sensibles ?

Crédit : Max Havelaar

Protéger des tumultes des marchés En premier lieu, il convient de rappeler le fait que ces initiatives de commerce équitable sont très souvent lancées pour soutenir le développement de filières économiques fragiles (même quand elles emploient des populations nombreuses). Ces secteurs d'activité stratégiques naissants mettent du temps à se structurer et à se consolider et, pendant cette période d'émergence, il est souvent nécessaire de les protéger de la concurrence internationale, en particulier en provenance des pays industrialisés qui peuvent pratiquer des coûts beaucoup plus bas. Pour ces pays fragilisés, peut-on imaginer des dispositifs permettant de protéger prioritairement les secteurs d'activité qui se développent dans le cadre du commerce équitable ? Voilà une première question qui peut être réfléchie au niveau des organisations internationales compétentes. Ouvrir la porte aux initiatives vertueuses Les grands marchés internationaux sont essentiellement situés dans l’hémisphère Nord et en particulier aux Etats-Unis et en Europe. Or, ces pays ont justement adopté des positions souvent défensives en ce qui concerne la pénétration de leur marché intérieur en instituant des barrières pour les producteurs d’autres régions du monde, en particulier en matière agricole.

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«Nous devons aider les petits paysans à avoir un accès direct au marché. Si les gouvernements des pays industrialisés veulent vraiment faire quelque chose pour les pays en voie de développement, pourquoi ne diminuent-ils pas les droits d'importation pour les produits équitables de ces pays ? 117» Olivier De Schutter Rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à l'alimentation

«Tous les pouvoirs publics, y compris les écoles, devraient acheter des produits du commerce équitable. Et les autorités devraient avoir pour mission d’informer le public sur le commerce équitable»119.

A côté de cela, ces grands pays mobilisent des montants considérables en faveur de l’aide au développement, notamment dans le cadre de processus de reconstruction pour les pays que la guerre a dévastés. Ces ressources, aussi importantes soient-elles, n’ont pas toujours l’impact souhaité sur le niveau de vie des populations, que ce soit pour des raisons d’inadéquation de la dépense par rapport aux besoins (certains investissements américains dans l’Irak de l’après-guerre ont récemment fait la preuve de leur inutilité), de corruption des intermédiaires ou de résistance des populations bénéficiaires. Dans la mesure où le commerce équitable s’inscrit dans le cadre d’une démarche de certification indépendante (qui peut difficilement être mise en doute), il nous paraîtrait donc intéressant de concevoir un système qui favoriserait les productions certifiées en leur accordant un accès facilité aux marchés intérieurs des pays les plus riches. Un tel dispositif d’exception ne pourrait-il être discuté dans le cadre des institutions du commerce international ?

Protéger les opérateurs Une des principales difficultés que rencontrent ceux qui souhaitent initier ou soutenir des projets de commerce équitable dans les pays fragilisés par la guerre concerne les questions de sécurité. Dans certains cas, l’incapacité des intervenants extérieurs (en particulier des contrôleurs chargés de la certification) à se rendre sur place constitue l’ultime obstacle à la certification d’une filière de production alors même que la structure de distribution est prête à commercialiser (et ce, au bénéfice des populations qui percevront ces revenus et ces primes). De nombreux acteurs internationaux ont des compétences en matière de sécurité. Un des moyens pour soutenir le commerce équitable pourrait être alors de renforcer la sécurité de ces opérateurs lors de leurs déplacements, par des moyens spécifiques, voire par l’octroi d’un statut particulier.

Donner l’exemple Dans la mesure où elles jouissent souvent d’une forte visibilité (voire d’une couverture médiatique importante comparée à leur taille réelle), les organisations internationales ont une responsabilité en termes d’image auprès du grand public et des acteurs de leurs réseaux. Alors, pour soutenir le commerce équitable, l’une des premières choses que ces organisations devraient faire ne serait-elle pas de servir les produits de ces coopératives à leurs tables ? Plusieurs organisations assurent la livraison de produits équitables en Belgique et font l’interface avec les producteurs118. Auprès d’elles, les institutions intéressées trouveront de quoi se régaler, en montrant à leurs collaborateurs et à leurs partenaires le caractère concret de leur engagement en faveur du développement des communautés locales, notamment dans les zones les plus fragiles dans le monde. Ce n’est pas compliqué, c’est efficace, c’est exemplaire et c’est valorisant. Alors, pourquoi ne pas le faire ?

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LE RÔLE DES CITOYENS CONSOMMATEURS Les Etats et les organisations internationales ont entre leurs mains certaines des clefs qui permettraient de développer considérablement le commerce équitable dans le cadre des programmes de reconstruction des pays touchés par la guerre. Il s’agit de leurs responsabilités. Les nôtres sont liées à notre statut de simple «citoyen-consommateur». C’est peu dans la mesure où aucun d’entre nous, individuellement, ne peut modifier le système. Mais c’est beaucoup dans le sens où notre modèle économique offre à chacun la possibilité de choisir ses modes de consommation. L’économie de marché s’apparente à la démocratie dans le sens où 360 millions d’européens peuvent changer la face du monde par la somme de leurs choix et de leurs engagements individuels. La question est alors : comment ?

Crédit : Raysonho - Wikimedia

«Ce t-shirt fait partie de l’économie sociale. (demandez-moi ce que cela veut dire)»

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CONSOMMER Quelle que soit l'étendue de nos bonnes volontés, nous ne pourrons pas intervenir individuellement pour résoudre tel ou tel conflit à l'autre bout du monde. Que savons-nous des contentieux territoriaux dans les îles indonésiennes ? Des sensibilités ethniques entre les populations d'origine nilotique ou bantoue en Afrique de l'Est ? La plupart du temps, pas grand-chose. Et, à moins de tout quitter ici pour un engagement humanitaire là-bas, nous avons le sentiment de ne rien pouvoir faire. Mais, consommer, ça, nous savons faire. Au niveau mondial, nous sommes probablement des experts.

Crédit : Just Coffee Cooperative

Fondamentalement, c'est là que réside une grande part de la magie du commerce équitable. En choisissant dans le rayon du supermarché le produit qui affiche un label "commerce équitable", nous faisons quelque chose de très concret pour aider les populations les plus en difficulté. Nous savons qu'une partie du prix que nous payons va non seulement rémunérer des petits producteurs à un niveau plus élevé que si nous prenions le produit standard juste à côté, mais nous savons aussi qu'une partie de ce que nous payons va être réinvestie dans des projets sociaux ou de développement. En choisissant ces fruits ou ce café, nous finançons la construction d'une école, l'installation de sanitaires, un programme d'alphabétisation pour des veuves de guerre. Ça, c'est notre responsabilité, nos choix. «Où va votre argent Mesuré en dollars par livre»

SOUTENIR (ECRIRE) Comme toutes les organisations publiques ou parapubliques, les institutions internationales sont sensibles aux manifestations de l’opinion publique et aux engagements médiatisés. En tant que citoyens-consommateurs, notre pouvoir s’exprime par nos actes d’achat mais aussi par notre expression démocratique. Cette dernière peut prendre plusieurs formes. Notre vote, tout d’abord, pour lequel des générations entières se sont battues. En soutenant les candidats les plus sensibles aux questions de développement et ceux qui défendent une adaptation des règles du commerce international au bénéfice des petits producteurs des pays les plus fragiles, nous contribuons à cette nécessaire évolution. Mais, reconnaissons-le, rares sont les candidats qui défendent de telles positions, ou alors ils sont trop peu visibles, ou bien ils estiment que ces questions échappent au pouvoir des élus nationaux. Mais là encore, ce n’est qu’une question de stimulus / réponse. Si nous pouvons exercer une pression collective suffisamment importante sur ces décideurs, cela provoquera une réponse, sous forme de prise de conscience d’abord, de débats ensuite et enfin, espérons-le, de décisions. Alors, oui, nous pouvons aussi agir en tant que citoyens actifs en interpellant nos élus et candidats, en leur écrivant, en manifestant, en utilisant les nouveaux médias. En nous engageant. Ensemble.

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CONCLU SION Tous les conflits ne se ressemblent pas. Les mesures à adopter pour contribuer à leur apaisement dépendent d’une multitude de paramètres géostratégiques, militaires, culturels, sociaux, religieux, etc. Les organisations internationales et les gouvernements qui ont cette responsabilité jouissent de moyens importants et variés pour intervenir et, in fine, protéger de nombreuses vies humaines et permettre à des populations entières de profiter des bienfaits réels de la mondialisation. Pour toutes les raisons que nous avons évoquées, le commerce équitable doit être intégré aux programmes de pacification et de développement des territoires que la guerre a ravagés. Incontestablement, il s’agit d’un outil efficace que la communauté internationale doit apprendre à utiliser (avec d’autres) pour que les programmes d’aide aux pays en guerre bénéficient prioritairement aux populations civiles meurtries. Historiquement, la Belgique est un acteur important de l’aide au développement des pays les plus fragiles. Le Trade for Développement Centre, mis en place en 2009 par la CTB, met ses ressources, ses moyens et ses réseaux au service de tous ceux qui souhaitent investir dans la paix et le développement en soutenant le commerce équitable. Nous sommes à votre disposition.

Crédit : Fairtrade Foundation

www.befair.be Le portail du Trade for Development Centre de la CTB.

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SOURCES ET RÉFÉRENCES 1 Smith D. (2003), The atlas of War and Peace (4e ed.), Londres: Earthscan. 2 Pour plus d’informations sur ces systèmes de garantie du commerce équitable, veuillez consulter la brochure gratuite « Commerce équitable & durable: tant de labels et de systèmes de garantie… Comment s’y retrouver? » <http://www.befair.be/fr/content/labels-et-syst%C3%A8mes-de-garantie>. Ou visiter les sites web suivants : Ecocert, http://www.ecocert.be, Fair for Life/IMO http://www.fairforlife.net 3 Interview avec Olivier De Schutter, Rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation, dans « Switchez vers l’équitable – Semaine du Commerce Equitable 29 septembre – 9 octobre 2010 » – Edité par Max Havelaar Belgique. 4 Banfield J., Gündüz C., Killick, N. 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(eds) (2006), Local business, Local Peace : The peacebuilding potential of the domestic private sector – Executive Summary, International Alert. <http://www.international-alert.org/resources/publications/local-business-local-peace>. 10 Lewytzkyj, M. (2010) Israeli-Palestinian conflict-import/export & human security: Part 2 on economic peace & justice. Examiner <http://www.examiner.com/article/israeli-palestinian-conflict-import-export-human-security-part-2-on-economic-peace-justice>. 11 Tran, M. (2009). Palestinian olive oil bucks UK recession. The Guardian <http://www.guardian.co.uk/world/2009/feb/24/palestinian-olive-oil>. 12 The Palestine Fair Trade Association <http://www.palestinefairtrade.org>. 13 Land of a Thousand Hills Coffee <http:// http://landofathousandhills.com/>. 14 Drinking Coffee – Doing good [blog] <http://www.cor13.com/blog/category/coffee>. Cette page n’existe plus au moment de la publication, le blog est intégré dans le site du Land of Thousand Hills coffee, à consulter sur : http://landofathousandhills.com/blog/. 15 Sokal, D. (2008). Peace oil lubricates cooperation between Israelis and Palestinians <http://cpnn-world.org/cgi-bin/read/articlepage.cgi?ViewArticle=391>. 16 CTB (2010). Commerce équitable & durable: quels labels et systèmes de garantie pour mon business? Trade for Development Centre. < http://www.befair.be/fr/content/commerce-%C3%A9quitable-durable-quels-labels-et-syst%C3%A8mes-de-garantie-pour-monbusiness>. 17 dZi (s.d.). Fair Trade Info – dZi’s Fair Trade Commitment < http://www.dzi.com/info/ftf.html>. 18 Eloy, D. (2007). Un rameau d’olivier pour le Proche Orient. Altermondes, nr 11. <http://altermondes.org/spip.php?article516>. 19 Tropical Wholefoods (s.d.). Our Story <http://www.tropicalwholefoods.com/#/our-story/4565003421>. 20 Irving, S. (2010). 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Nomadenews <http://nomadenews.over-blog.com/article-2814535.html>. 40 Axelrod, D. (2005). Muslim, Jewish, and Christian coffee farmers make mirembe kawomera – delicious peace. Yes! Magazine <http://www.yesmagazine.org/issues/spiritual-uprising/java-justice>. 41 Interview réalisée par l’agence Piezo le 25 novembre 2009. 42 Morrow, T. (2008). Connected by a string of beads through the BeadforLife Program. The Seattle Times <http://seattletimes.nwsource.com/html/travel/2008470060_trbeadforlife07.html>. 43 Somalië. <http://fr.wikipedia.org/wiki/Somalie>.

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44 Eloy, D. (2005). Somalie: La fin du chaos?, Altermondes, nr. 4 <http://altermondes.org/spip.php?article41>. 45 Idem. 46 Mbanza, E. (2010) Le cri des mères de Somalie. Youphil. <http://www.youphil.com/fr/article/02222-le-cri-des-meres-de-somalie?ypcli=ano>. 47 Idem. 48 McGivern, E. (ed) (2009). Unexpected Treasure. Certified Organic Frankincense hides in amongst the thorns. Oily, winter edition <http://www.seoc.com.au/downloads/oily-news-winter-2009.pdf>. Irving, S. (2009) Fairtrade ingredients – coming to a beauty product near you. Manchester massages <http://manchestermassages.blogspot.be/2009_11_01_archive.html>. S&D Aroma (s.d.). Projects: Somalia – Kenya: Certified Organic Frankincense <http://www.sdaroma.com/projects/somalia.html>. 49 Dean’s Beans (2009). Somali Refugees Succeed with Dean’s Beans! <http://www.deansbeans.com/coffee/deans_zine.html?blogid=963>. 50 Idem. 51 UNDP (2011). Sierra Leone. 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Il a été lancé en 2007 sous la forme d’une joint-venture entre l’Association des Directeurs des Organisations Volontaires (Association of Chief Executives of Voluntary Organisations) en Grande-Bretagne, le Centre des Jeunes Dirigeants de l’Economie Sociale en France et Ideell Arena en Suède. Pour en savoir plus: http://www.euclidnetwork.eu. 57 Addari, F. (2010). NGOs join forces with bankers for innovative fair trade project in Sudan, Capacity-4Dev <http://capacity4dev.ec.europa.eu/c4d-lib/blog/ngos-join-forces-bankers-innovative-fair-trade-project-sudan>. 58 Idem. 59 Idem. 60 Idem. 61 Le Monde.fr & AFP (2012). En Tunisie, une grande usine ferme en raison de “sit-in anarchiques, Le Monde <http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/02/10/en-tunisie-une-grande-usine-ferme-en-raison-de-sit-in-anarchiques_1641943_3212.html>. 62 Fairtrade Africa (2011). Fairtrade Africa, North Africa Region official Fairtrade Africa member <http://www.fairtradeafrica.net/en/news/north-africa-region-official-fairtrade-africa-member/>. 63 Idem. 64 Idem. 65 Claro Fair Trade (2012). Beni Ghreb [informatiefiche] - <http://corporate.claro.ch/uploads/tx_cs2claroproducers/pdfs/038_de.pdf>. Sageco (2011). Beni Ghreb – Tunesie <http://www.planet-sageco.com/cooperatives/beni-ghreb>. 66 Hermosa, R. (2011). Beni Ghreb Hazoua <http://fairtradeconnection.org/2011/06/25/beni-ghreb-hazoua/>. 67 Tunisie équitable (s.d.). A propos du commerce équitable <http://www.tunisieequitable.com/>. 68 Johnson, P. (2011). Un appel de Fair Trade Egypt – A call from Fair Trade Egypt <http://soleco.wordpress.com/2011/03/13/fair-trade-egypt/>. 69 West, J. Interview. 7 & 17 februari 2012. L’interview est à consulter sur YouTube: <http://www.youtube.com/watch?v=pJXZ_8KGuAo>. 70 Zecchini, L. (2010). En dépit des restrictions d’Israël, l’économie de la Cisjordanie résiste. 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