Cargo 3900, Volume 8, Janvier 2016

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Le magazine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui Volume 8 | Janvier 2016

En une Maude Guérin et Étienne Pilon par Neil Mota 6 questions à Guillaume Corbeil Le regard des autres : table ronde avec Serge Boucher, René Richard Cyr, Maude Guérin et Étienne Pilon par Xavier Inchauspé Combien de temps pour devenir un humain ? par Josée Boileau Inspiration : Yann Pocreau

Volume 8 Janvier 2016 Partenaires de saison

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ISSN 2291-8035


Théâtre d’Aujourd’hui productions

Centre du 300

30 000 spectateurs

auteurs-

créateurs audacieux dramaturgie contemporaine

3900 : Rédacteur en chef Sylvain Bélanger Directeur de la publication Philippe U. Drago Comité éditorial Sylvain Bélanger, Philippe U. Drago, Émilie Fortin-Bélanger, Xavier Inchauspé et Marion Barbier Coordonnatrice Marion Barbier Conception graphique Maxime David — www.leseisme.com Correction Liz Fortin Impression Imprimerie Dumaine Contact info@3900.ca Relations de presse Karine Cousineau Communications — 514 382-4844 karine@karinecousineaucommunications.com Tiré à 10 000 exemplaires Le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui : Codirecteur général et directeur artistique Sylvain Bélanger Codirecteur général et directeur administratif Étienne Langlois Directrice de production Annie Lalande Directeur des communications et du marketing Philippe U. Drago Adjointe aux communications et responsable du développement des publics Émilie Fortin-Bélanger Gérant André Morissette Responsable de la comptabilité Gisèle Morneau Adjointe aux directions et réceptionniste Marion Barbier Conseillère à la direction artistique et artiste associée Alexia Bürger Adjointe à la direction artistique Alexandra Sutto Directeurs techniques Jérémi Guilbault-Asselin et Eric-William Quinn Responsable du service aux abonnés Luc Brien Entretien du bâtiment Alain Thériault le comité artistique : Alexia Bürger, Xavier Inchauspé et Olivier Kemeid Le conseil d’administration : Stella Leney, Miguel A. Baz, Jean Bard, Sylvain Bélanger, Gladys Caron, Michelle Courchesne, Olivier Kemeid, Nathalie Ladouceur, Diane Lafontaine, Étienne Langlois, Lucie Leclerc, Sylvie Léonard, Marie-Chantale Lortie, Roger Renaud et Marie-Chantal Savoy.

PARTENAIRES DE LA SAISON 2015-2016 DU CENTRE DU THÉÂTRE D’AUJOURD’HUI

FOURNISSEURS OFFICIELS

PARTENAIRE DEPUIS 17 ANS

(1945) Inc.

Merci à nos grands partenaires des Spectacles-bénéfice Groupe Jean-Coutu, Bitumar, Lavery, de Billy, S.E.N.C.R.L. Avocats Le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui : 3900 rue Saint-Denis, Montréal (Québec) H2W 2M2 | Billetterie 514 282-3900 | theatredaujourdhui.qc.ca


Table des matières

Je ne me possède plus Sylvain Bélanger Classe de maitre : Françoise Sullivan

SALLE PRINCIPALE

4 32 Les aventures de Christian E. et Pierre-Guy B.

6 questions à Guillaume Corbeil

Volume 8 Janvier 2016

SALLE JEAN-CLAUDE-GERMAIN

À découvert : Entrevue avec moi-même Amélie Dallaire

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Motivation. Valorisation. Starshit. Simon Boudreault

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Carnets de création Félix-Antoine Boutin Marilou Craft Odile Gamache

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Bienvenue à Condoville Marco Fortier

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62 questions à Anne-Élisabeth Bossé

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Inspiration : Yann Pocreau

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Le regard des autres Xavier Inchauspé

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Combien de temps pour voir un humain ? Josée Boileau

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Table des matières

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JE NE ME POSSÈDE PLUS Sylvain Bélanger Rédacteur en chef du 3900 + Directeur artistique et codirecteur général du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui

Posséder ou partager ? N’y aurait-il pas dans cette simple question tous les défis économiques, politiques, culturels et environnementaux qui nous attendent ? Alors que nous avons construit nos vies, nos économies et nos politiques sur le premier, serait-il temps de mettre nos énergies sur le deuxième ? Cette semaine, partout où je pose les yeux, les questions de possession et de partage surgissent. Lundi. La lutte entre notre État et nos employées de la fonction publique fait rage. On les regarde s’entre-dévorer sur le dos de nos enfants alors qu’une grande part des avoirs des plus riches de notre pays s’évade dans les paradis fiscaux. On parle de juste part… On débat sur l’investissement public dans le projet CSeries de Bombardier. À qui les profits ? À qui les pertes potentielles, surtout ? On révèle la contamination de sols montréalais qui dévalueraient de façon dramatique les propriétés qui y sont construites alors que ces analyses n’étaient pas divulguées par la ville. Qui paiera sa juste part ? On veut faire payer l’utilisateur-payeur d’un futur pont Champlain qui appartient pourtant au gouvernement canadien. Une seule facture ou des factures séparées ? Mardi. J’entends dans la salle Jean-Claude-Germain un conte soufi dont l’enseignement pourrait régler, à lui seul, 95 % des problèmes de l’humanité, selon David Paquet. Ce conte met en scène deux voisins se disputant inlassablement un bout de terrain : « Il est à moi ! » dit l’un. « Non, à moi ! », dit l’autre. Comme ça, à l’infini. Jusqu’à ce que la terre elle-même prenne la parole pour les mettre en garde et leur dire : « Peu importe, car bientôt, tous les deux, vous serez à moi ! » Mercredi. Je travaille sur ce nouveau projet de Guillaume Corbeil, Unité modèle, qui met toute son énergie à vendre la cause de l’accès à la propriété, dont les représentants vantent la prise de possession d’un condo inspirant liberté et bonheur. La course à l’acquisition, toujours. Alors que 20 000 condos sont actuellement inoccupés à Montréal… Et je lis également, sur le revers de couverture du tout nouveau roman de Fanny Britt, intitulé joliment Les maisons : « Cesse-t-on un jour de désirer ce que l’on a si ardemment voulu ? » Mercredi toujours, le débat sur l’autopartage et Airbnb qui menacent notre modèle économique basé sur les corporations ne désemplit pas. Jeudi. Je lis ce matin un article sur mondialisation.ca intitulé Posséder ou partager, le lien à la place du bien. Belle piste ! Je lis : « Aujourd’hui, c’est même leur propre automobile ou leur propre domicile que les jeunes proposent à la location. S’ils font ainsi le désespoir de nombreux industriels du transport ou de l’hôtellerie, d’autres y voient un détachement porteur d’espoir vis-à-vis des objets de consommation. Les plates-formes d’échange permettent une meilleure allocation des ressources; elles atomisent l’offre, éliminent les intermédiaires et facilitent le recyclage. Ce faisant, elles érodent les monopoles, font baisser les prix et apportent de nouvelles ressources aux consommateurs. Location, cloud, copropriété, achats et investissements groupés. Réparation, recyclage, récupération, revente. Ce scénario propose une réponse pertinente à la crise économique et écologique, fondée sur l’énergie des gens et l’entrepreneuriat. 1 »

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Posséder ou partager ? Nous n’avons peut-être plus le choix de travailler sur cette deuxième option. En 1972, nous étions en dessous de la capacité maximum de la Terre à supporter nos activités, à 85 %. Aujourd’hui : 150 % !!! La Terre suffoque. Je réentends les mots du conte « Bientôt, tous les deux, vous serez à moi ! » et ce « Nous sommes en 2015 », proclamé par notre nouveau premier ministre, qui semble rejeter les erreurs du passé et ouvrir un avenir prometteur.

Posséder ou partager ? Nous n’avons peut-être plus le choix de travailler sur cette deuxième option. Je poursuis ma lecture : « Arrive la fin d’une énergie divisée, pour une énergie distribuée. La Troisième Révolution industrielle va créer des citoyens globaux, dans une biosphère partagée, et nous reconnecter avec la planète. Cela va fondamentalement modifier tous les aspects de la façon dont nous travaillons, vivons et sommes gouvernés. Comme les première et deuxième révolutions industrielles ont donné naissance au capitalisme et au développement des marchés intérieurs ou aux États-nations, la troisième révolution industrielle verra des marchés continentaux, la création d’unions politiques continentales et des modèles économiques différents. 2 » Vendredi. Le choc. Les évènements terribles de Paris, mais aussi de Beyrouth et tout ce monde géopolitique qui transforme le Moyen-Orient en poudrière, en carnage confus, ces États-nations, justement, qui vendent depuis toujours des armes et qui bombardent à la fois ceux-là mêmes à qui ils vendent des armes… Ces États-nations qui calculent ce qu’ils auraient à gagner et à perdre en vendant des armes sur le même territoire qu’ils bombardent. « 2015 », vraiment ? Et toujours l’impasse. Samedi. L’objectif du nouveau gouvernement sur l’accueil imminent de 25 000 réfugiés syriens envahit les médias et les réseaux sociaux. Je repense à cette phrase de Claude Lelouch dans Itinéraire d’un enfant gâté : « Le monde du partage devra remplacer le partage du monde ». Posséder ou partager ? Nous sommes en 2016 et poser la question, c’est y répondre. Sources : • 1 + 2 : Chems Eddine Chitour, Posséder ou partager, le lien à la place du bien. (mondialisation.ca) • Jeremy Rifkin, La thèse d’une troisième révolution industrielle. (enerzine.com) • Daniel Kaplan, Posséder c’est dépassé. (fing.org)

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Illustrations : Mathilde Corbeil | mathildecorbeil.com

L’auteur Guillaume Corbeil n’aura pas tardé à se faire remarquer dans le paysage culturel québécois. Finaliste en 2008 d’un Prix du Gouverneur général et récipiendaire du prix Adrienne-Choquette pour son recueil de nouvelles L’art de la fugue, il publie son premier roman, Pleurer comme dans les films, dès l’année suivante. En 2010, il signe Brassard, une biographie saluée du célèbre metteur en scène. Ce diplômé de la promotion 2011 de l’École nationale de théâtre du Canada conclut avec Unité modèle une trilogie sur la question de l’image entamée en 2013 avec la remarquée Cinq visages pour Camille Brunelle (Prix de la critique pour le meilleur texte, prix Michel-Tremblay et Prix du public au festival Primeurs, à Saarbrücken) et poursuivie en 2014 avec Tu iras la chercher. Il se prête ici à l’exercice des 6 questions de Sylvain Bélanger.

Cher Guillaume, pour ceux qui te découvrent pour la première fois, dis-nous : comment te décrirais-tu en tant qu’artiste ou auteur dans le paysage théâtral québécois ? Je commencerais, j’imagine, par dire que je suis un auteur obsessif : à la base de mes pièces, il y a un projet formel et je veux la structure précise au millimètre près. Au niveau du contenu, je creuse sans arrêt la question de l’image, dans mes textes comme à la maison, le soir, en mangeant des pâtes avec ma copine. Et même quand je cherche à parler d’autre chose, je me retrouve – presque malgré moi – à retomber à l’endroit d’où je croyais pourtant m’éloigner. Nous vivons dans un monde où nous côtoyons davantage des images que des êtres humains et c’est sur elles que nous calquons nos faits et gestes : photos dans les magazines, personnages de télé ou de cinéma, autant de fantasmes de nous-mêmes auxquels on a fini par croire. L’image est fascinante de par la lumière qu’elle dégage : celle de l’écran ou simplement la précision de son cadrage, et c’est dans l’espoir d’en devenir une qu’on ne cesse d’envoyer ce regard savamment appris à sa caméra pour ensuite se regarder à l’écran. Je ne serais pas surpris qu’un jour on en vienne à arracher ses yeux pour les planter au bout d’un selfie stick et vivre à la troisième personne. Tout a commencé avec Nous voir nous/Cinq visages pour Camille Brunelle, où des personnages façonnaient leur image à leur guise sur les réseaux sociaux, au détriment de la réalité, du temps et de l’espace. Avec Tu iras la chercher, je donnais la parole à une femme qui partait à la poursuite de son image pour enfin devenir qui elle aurait voulu être. Unité modèle présente des personnages qui, tout en nous vendant une vie en deux dimensions, doivent eux-mêmes correspondre à l’image qu’on leur impose : celle du vendeur et de la marque qu’ils représentent. Sinon, de façon plus large, je dirais que j’aime les chiens, le hockey et la géométrie.

Volume 8 Janvier 2016

6 questions à Guillaume Corbeil

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Après Tu iras la chercher et Cinq visages pour Camille Brunelle, tu complètes maintenant, avec Unité modèle, une trilogie sur « l’image ». C’est ainsi que tu la nommes. Dès le départ, tu savais que tu creuserais autant cette idée ? Penses-tu être arrivé au bout de celle-ci ? Y a-t-il encore des dimensions que tu souhaites explorer sur cette notion de l’image ? En fait, la trilogie est arrivée par accident – pour faire plus sérieux, je dirais qu’elle s’est imposée. En commençant à écrire Tu iras la chercher, j’avais l’impression de me réinventer comme auteur. Je me disais wow, je ne suis jamais allé là. Puis je me suis rendu compte que ça parlait pratiquement de la même chose que Cinq visages, mais pas de la même façon : dans les deux pièces, les personnages poursuivent une image qui leur échappe. Pour plaisanter, je disais que Tu iras la chercher était le sequel de Cinq visages. Puis j’ai eu envie de lier ces deux pièces avec une troisième et c’est ce qui m’a guidé dans l’écriture d’Unité modèle : mettre en place un dispositif qui ferait écho à celui des deux autres textes et tisser un jeu de références. Maintenant, j’aimerais beaucoup dire que j’ai fait le tour de la question, mais… (voir question 1.) Je vais aussi publier cet hiver un recueil de contes de princesses qui aborde le sujet d’un autre angle (mais peut-être pas non plus [ici aussi, voir question 1]).

Tu as dit en répétition être fasciné par le grand écart que l’on exécute souvent en théâtre entre « dire des choses » et « vendre des choses ». Ça sonne bien sûr comme une critique du théâtre qui se fait en ce moment, mais qu’est-ce que ça signifie exactement ? Un spectacle dit quelque chose, mais il cherche aussi à se vendre lui-même, à vendre la salle où il est présenté, voire l’auteur et le metteur en scène, qui espéreront que cela servira de tremplin pour leur carrière (ce sont des choses qu’on entend et qu’on se surprend parfois soi-même à penser). Mais c’est aussi vrai en sciences, alors que les chercheurs doivent prouver en quoi leurs travaux sont utiles pour être financés, et en politique, où toute prise de position sert davantage à promouvoir un parti ou un candidat qu’à véritablement défendre une idée. Les idées ne sont plus que des slogans. Si les réseaux sociaux sont aussi populaires, c’est qu’ils nous permettent de façonner notre image et de la promouvoir – de nous vendre. En 2012, on a reproché aux étudiants, qui protestaient dans la rue, de nuire aux activités commerciales. Comme si la rue n’était pas un espace qui nous appartenait, mais un centre d’achat, où des publicités nous orientent dans un réseau de magasins. Comme tout le monde, j’ai cru que quelque chose se passait à ce moment-là, qu’un mouvement remettait en question la logique marchande de notre société. Le PQ a profité de la vague pour se faire élire et, trois ans et demi plus tard, du printemps érable il ne reste que de beaux livres et un numéro spécial d’Urbania. Et j’imagine que ceux qui avaient conçu les affiches de la Montagne rouge de façon anonyme les ont finalement mises dans leur CV pour obtenir un bon emploi dans une boîte de pub.

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Tu as d’ailleurs écrit : « Si je veux être honnête avec moi-même, je suis un citoyen de l’image, dans le sens que c’est en elle, et non mes origines ethniques ou je ne sais quoi, que ma vision du monde est enracinée. L’image détermine qui je suis, elle est le fondement de mon identité. » Un tel jeu axé sur l’image pose des questions sur l’authenticité, à une époque où chacun peut revêtir un personnage social sur les différents réseaux, politiques ou sociaux (et autre surproductivité de selfies.) Selon toi, l’authenticité est-elle encore possible ? Je vais devoir revêtir mon costume d’auteur qui proclame de grandes vérités et commencer une phrase par : Dans le monde d’aujourd’hui, mais bon, allons-y quand même… Dans le monde d’aujourd’hui, donc, tout est devenu image, même l’authenticité. Je dirais même, surtout l’authenticité. Se voudrait authentique un moment qui serait pur, c’està-dire inconscient de sa réflexion dans le miroir et de sa perception dans le regard des autres. En ce sens, j’imagine qu’on peut être authentique un bref instant, dans un moment de distraction ou en dormant, j’imagine aussi qu’on est authentique dans le coma et dans la mort. Et encore ! Je suis certain qu’on se regarde mourir et, comme on le fait toujours pour la première fois, on ne sait pas comment s’y prendre et on doit se retrouver à imiter des scènes que l’on connaît et, en jetant du coin de l’œil un regard vers son reflet dans le miroir, se trouver touchant ou pathétique selon nos talents d’acteur. Certaines personnes diront n’accorder aucune attention à l’image. Dans un monde où tout est image, s’en moquer devient l’image ultime : c’est une façon de montrer (aux autres, mais surtout à soi-même) qu’on n’est pas une victime de notre époque. À la télé, on montre les cernes d’une femme et on dit : regardez, c’est vrai. Alors que tout est avalé par l’image, l’authenticité est la promesse que quelque chose, quelque part, parviendrait à y échapper : un monde de premières personnes qui s’ignoreraient à la deuxième et à la troisième. C’est un Eldorado, une terre promise, une histoire qu’on raconte aux enfants pour leur faire croire que le monde n’est pas si terrible.

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Volume 8 Janvier 2016

6 questions Ă Guillaume Corbeil

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Dans Unité modèle, les deux représentants immobiliers sont des marchands de rêve. Ils vendent du luxe illusoire, une cité parfaite, un logement idéal, une vie rêvée. Or, comme tu l’as dit à plusieurs reprises, vivre dans l’image fantasmée de soi-même mène trop souvent à la déception, à la frustration. Crois-tu qu’au Québec nous vivons avec une image fantasmée de nous-mêmes ? Il doit y avoir d’autres peuples comme ça, mais pour moi, ce qui définit les Québécois, c’est leur haine d’eux-mêmes, quelque chose qui est peut-être provoqué par l’échec répété de leurs rêves. Tous les Québécois détestent les Québécois; nous jugeons et condamnons sans arrêt le reste de la population en nous en excluant et, étrangement, c’est dans le Grand Nord, c’est-à-dire dans des paysages sans humains, qu’on se sent au Québec. Ma mère dit toujours, quand elle regarde la télé, qu’elle n’est pas vraiment « tivi », mais bon, des fois elle regarde son « petit programme à la televeusion », et elle le dit avec une forme de dérision qui se moque du Québécois moyen, qui, lui, regarderait la télé. Elle fait quelque chose en prenant bien soin de préciser qu’elle ne le fait pas, qu’elle n’est pas de ces gens qui font ce qu’elle est en train de faire, comme si, en regardant la télévision, elle était en fait au théâtre, au musée ou à l’opéra. J’ai l’impression que, dans l’attitude de ma mère avec la télé, il y a une fable qui parle du Québec face à lui-même.

Je ne sais pas si le luxe du 1 % est plus vrai que celui du 99 %. Il a plus de moyens, plus de démesure, mais il reste pour moi l’imitation de celui de ces êtres lumineux que l’on voit à l’écran.

Ça fait longtemps que nous vivons dans une société de consommation. Mais j’ai tout de même l’impression que nous sommes de plus en plus happés par nos aspirations au luxe. Or, il faut bien être réaliste, très peu accèdent au vrai luxe. Le 1 %, disons. Le 99 %, lui, n’aura rien, ou alors du faux, du toc, du luxe cheap. Mais ces envies renforcent quelque chose comme un clivage social ne trouves-tu pas ? Puisqu’Unité modèle soulève indirectement la question de la gentrification, penses-tu que ce clivage va en s’agrandissant ? Je ne sais pas si le luxe du 1 % est plus vrai que celui du 99 %. Il a plus de moyens, plus de démesure, mais il reste pour moi l’imitation de celui de ces êtres lumineux que l’on voit à l’écran. Le documentaire The Queen of Versailles présente un couple de multimillionnaires, voire de milliardaires, en train de se faire bâtir une maison composée d’éléments du Palais de Versailles et du Caesar’s Palace; elle rêve d’être une princesse, elle achète même des lustres et des vitraux, et lui se projette dans un modèle de la réussite économique, en ce sens sa femme (blonde, jeune et belle, si je me souviens bien c’est une ancienne miss America) est un miroir qui lui renvoie l’image de sa réussite. Comme les pauvres aspirent à une vie à l’image de celle des riches, la leur est aussi l’imitation d’une autre. C’est en ce sens que j’ai appelé ma trilogie Les colonies de l’image : nous vivons dans un monde qui imite ses propres représentations. Ce sont elles qui, en débarquant sur terre, se sont imposées comme modèles. Le terme français pour gentrification est embourgeoisement. Mais cet embourgeoisement n’est pas réel – de nouveaux bourgeois ne sont pas soudainement apparus, rendant nécessaire la construction de nouvelles résidences pour accueillir cette population soudain hors de contrôle; au contraire, tous les chiffres parlent de l’appauvrissement de la classe moyenne –, il est davantage une sorte de promesse. En achetant cette unité, vous deviendrez un bourgeois, mais il serait plus juste de dire : votre vie sera désormais à l’image de celle d’un bourgeois. La gentrification est une traversée du miroir. Les unités sont des espèces de décors dans lesquels on peut devenir un personnage : l’image d’un être humain.

UNITÉ MODÈLE Salle principale 12 avril au 7 mai 2016

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LE REGARD des autres Xavier Inchauspé Avocat, Docteur en philosophie et travailleur culturel Photos : Neil Mota | rodeoproduction.com

Nous sommes en 493 av. J.-C. et c’est soir de première : La Prise de Milet est montée à Athènes. Cette pièce de Phrynichos relate la capture de Milet par les Perses : une ville qui était jusqu’à lors sous le giron de la puissante Athènes. Un an ne s’est pas encore écoulé depuis cette prise sanglante. La plaie est encore vive. Le souvenir est trop brûlant. Le public réagit mal. Les Athéniens sont troublés, émus aux larmes, parfois jusqu’à la colère. Les autorités réagissent rapidement. La pièce est interdite et Phrynichos est condamné à l’amende. 1000 drachmes pour avoir rappelé au peuple ses malheurs. C’est Étienne Pilon qui raconte cette anecdote historique. • « Il a été condamné pour avoir trop collé à l’actualité, nous dit-il. • (…) • Mais je voudrais pas faire peur à personne ! » Tout le monde s’esclaffe. La première lecture de la pièce vient de se terminer et les artistes impliqués dans cette nouvelle création du tandem Serge Boucher et René Richard Cyr livrent leurs impressions. Les discussions tournent autour de la tâche qui les attend, mais aussi de l’actualité à laquelle la pièce renvoie forcément. Bien sûr, aucun risque d’amende ici ! Il n’empêche que le sujet de la pièce est délicat. Après raconte la rencontre entre un homme qui a tué ses deux enfants et l’infirmière chargée de le soigner au terme d’infructueuses tentatives de suicide. Toute l’équipe se demande comment composer avec cette actualité. Elle se demande aussi comment le public composera avec elle. Le matin même, le nouveau procès de Guy Turcotte faisait une fois de plus la manchette. Le verdict n’est pas encore connu 1, mais l’audience de la veille était relatée de long en large. Le propos est si sensible que Serge Boucher prend le temps (chose qu’il ne fait habituellement jamais, nous dit-il) de remercier les interprètes et les concepteurs de plonger avec lui dans cette aventure.

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« Je ne m’en rendais pas compte en l’écrivant. C’est seulement après, quand j’ai commencé à la faire lire à d’autres. Il y avait un malaise. Pourtant, je n’ai pas écrit ce show-là pour faire un brûlot ou jeter un pavé dans la mare. Mais en l’entendant, je sens le malaise. Pas un malaise, le corrige René Richard. Il y a un trouble, oui, mais pas un malaise ! Tu as raison. C’est plutôt ça. C’est une matière trouble, renchérit René Richard. »

Bien entendu, ce trouble est accentué par cette actualité. Mais peu importe l’écho de l’affaire Turcotte, le trouble est là. Après tout, il s’agit de nous mettre en face d’un homme qui a commis « Le » crime parmi les crimes. René Richard a raison, l’enfance est bien le dernier grand tabou. « Aujourd’hui, tu peux commettre à peu près n’importe quel crime, tu finiras par te trouver quelques alliés. Tu commets un crime raciste ou homophobe ? Des extrémistes viendront t’appuyer. Mais si tu touches à des enfants, tu vas être tout seul ». L’ultime paria social en quelque sorte. « De toute façon, ce trouble, vous ne le ressentez pas à chaque pièce de Serge ?  » Pour Maude Guérin, qui a joué dans Motel Hélène et dans Les bonbons qui sauvent la vie, c’est une évidence. « Ce sont toujours des objets à part : un miroir de la société souvent. Bon… après les gens ne s’y reconnaissent pas tout le temps même si ce sont eux qui sont sur la scène ! » • •

« J’espère quand même que le théâtre prendra le dessus. J’espère qu’on va oublier l’actualité, précise Maude appuyée par le reste de l’équipe. Je l’ai oublié en vous entendant, répond Sylvain Bélanger. »

Peut-être. Mais c’est aussi cette proximité avec l’actualité qui me semble rendre la pièce plus complexe et plus forte. J’ai toujours trouvé un peu ridicule l’effet produit sur la plupart des gens par ces notices « basé sur des faits réels » que l’on retrouve sur les affiches de films ou les jaquettes de livres : « Oooohh, c’est une histoire vraie ! » Comme si ce « genre de vrai » était une qualité artistique en soi ! Comme si la création inspirée du fait vécu avait plus de chance que la fiction de nous mettre en rapport avec le réel ! Mais cette fois-ci, la proximité de cette œuvre au « fait réel » est ailleurs. Elle ne tient pas dans le récit qui lui a été inventé de toutes pièces. Elle tient dans le regard que l’on va poser sur le personnage joué par Étienne. Seule la prémisse s’inspire du réel. L’affaire Turcotte a fait couler beaucoup d’encre et alimenté autant de discussions au cours des six dernières années. Tous ceux et celles qui verront ce spectacle auront une certaine prédisposition à l’égard du patient meurtrier. Leur opinion sur lui risque d’être déjà faite. Et c’est là tout le défi de monter une telle pièce. Il faudra jouer avec ces a priori, ces attentes du public. • •

« En fait, intervient Serge, j’ai toujours écrit des affaires comme « passe-moi le beurre, passe-moi le sel « en pensant que derrière, les paroles étaient chargées de millions d’autres intentions. Mais là, lui tout ce qu’il dit, on va le passer à la loupe. On sait déjà ce qu’il a fait. Tu as raison, souligne Sylvain, ici on n’est pas comme dans le non-dit, comme dans 24 poses (portraits) par exemple. Ce n’est pas la pointe de l’iceberg d’une vie ou d’un acte qu’on cache.

1 : Guy Turcotte a été condamné à la prison à vie, information qui n’était pas encore connue lors de l’écriture de l’article. Volume 8 Janvier 2016

Suite • Page 12 Le regard des autres Xavier Inchauspé

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Repères biographiques : Maude Guérin • Depuis 1992 : Une quarantaine de productions théâtrales, une dizaine de rôles à la télévision et tout autant au cinéma • 1997 et 2004 : Collaboration avec Serge Boucher et René Richard Cyr pour Motel Hélène et Les bonbons qui sauvent la vie • 2010 : Collaboration avec René Richard Cyr pour Belles-Soeurs, le théâtre musical dans lequel elle incarne la fameuse Pierrette Guérin • 2011 : Récipiendaire de deux Prix Gémeaux : meilleure premier rôle féminin : dramatique pour Toute la vérité et meilleure rôle de soutien féminin : dramatique pour Providence. • 2013 : Nouvelle collaboration avec Michel Tremblay, René Richard Cyr et Daniel Bélanger pour Le chant de Sainte Carmen de la Main au Théâtre du Nouveau Monde et en tournée.

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Repères biographiques : Étienne Pilon • 2004 : Premier rôle principal de sa carrière dans Oreste à travers le temps, d’Alice Ronfard et Claude Poissant • 2008 : Collaboration avec René Richad Cyr pour Bob (Prix Michel-Tremblay 2008 et Prix de la critique catégorie Montréal) dans lequel il tient le rôle principal • 2012 à 2014 : Il tient le rôle de Simon dans le téléroman à succès Destinées sur TVA • 2014 : Rôle principal du Libérateur Lamirande dans le film Nouvelles, Nouvelles d’Olivier Godin • 2015 : Année shakespearienne pour Étienne qui joue Hasting dans Richard III mis en scène par Brigitte Haentjens au Théâtre du Nouveau Monde. Il est également du spectacle-fleuve Five Kings d’Olivier Kemeid d’après cinq tragédies de Shakespeare, mis en scène par Frédéric Dubois, production du Théâtre PÀP.

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Le regard des autres Xavier Inchauspé

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Le drame est en avant. Il ne gronde pas en dessous comme d’habitude dans tes pièces, renchérit Maude. Il est même sur la place publique. Elle est là la différence. »

conscience et la responsabilité ? Quels droits ont les victimes d’actes criminels au Québec ? La justice est-elle à la remorque de la psychiatrie ? Aurait-il vraiment été acquitté en premier lieu s’il n’était pas un médecin blanc bien nanti ?

C’est sa première pièce où, comme Serge le dit lui-même, « le sens moral prime sur les autres significations ». C’est aussi la première qui s’écarte un peu de son « écriture du détour » dans laquelle le sens réside moins dans ce qui est dit que dans ce qui est tu. Bien sûr, le sous-texte a toujours son importance dans cette nouvelle création. À différentes reprises, René Richard précise d’ailleurs que « le personnage principal est le silence entre les deux » ou « ce qu’il faut éclairer, ce n’est ni elle, ni lui, mais l’espace entre eux ». Cependant, cette fois-ci, nous ne sommes pas plongés dans l’ordinaire des scènes de la vie quotidienne, mais dans l’extraordinaire de ce face à face improbable entre une infirmière et son patient qui attend l’issue de son procès.

Ce ne sont pas ces questions-là que pose la pièce. Il ne s’agit pas de comprendre ce meurtre odieux. Il ne s’agit pas de questionner le système de justice. Les questions soulevées sont d’un tout autre ordre et rarement, dans le débat public, se rend-on à elles. Qu’est-ce qu’il se passe après ? Après l’acte, après le cirque médiatique, après le verdict ? « L’avez-vous regardé Turcotte au procès ? » nous demande René Richard. « Il ne lève jamais les yeux. Son regard est barré au nombril des autres. Ça lève pas plus ». Il ne s’agit pas ici de le prendre en pitié ou non. Si le metteur en scène fait cette observation, c’est plutôt pour lancer une question d’ordre philosophique : une vie à fuir le regard des autres, est-ce encore une vie ?

Qu’est-ce qu’il se passe après ? Après l’acte, après le cirque médiatique, après le verdict ? Pour moi, c’est à partir de là que la fiction et la réalité s’éloignent tout à fait. Si le procès de Turcotte a tant fait parler, c’est bien parce qu’au-delà de la tragédie et de l’horreur, il soulevait une foule de questions morales, sociales et juridiques. Qu’est-ce qui peut pousser un tel homme à commettre un tel crime ? Où se rejoignent et se séparent la folie, la

Repères biographiques : Serge Boucher • 1993 : Début de carrière avec Natures mortes au Quat’Sous • Auteur de pièces saluées par la critique et le public comme Motel Hélène (1995), 24 poses (portraits) (1999), Avec Norm (2004), Les bonbons qui sauvent la vie (2004), Là (2006), Excuse-moi (2010) • 2009 et 2010 : Récipiendaire de deux Gémeaux du meilleur texte pour une série télévisée avec Aveux (2009) et Apparences (2010) René Richard Cyr • Comédien, metteur en scène, auteur, réalisateur et animateur • 1998-2004 : Directeur artistique du CTD’A • 2003 : Gémeau de la meilleure émission dramatique pour 24 poses (portraits) d’après la pièce de Serge Boucher • 2003 : Coécriture et co-mise en scène de Zumanity, cabaret érotique du Cirque du Soleil, toujours en représentation à Las Vegas • 2010 : Adaptation et mise en scène de Belles-Soeurs, le théâtre musical d’après Les belles-sœurs de Michel Tremblay au CTD’A, spectacle pour lequel il remportait pour la quatrième fois le Félix du metteur en scène de l’année décerné par l’Adisq • 2016 : Après est sa septième mise en scène d’un texte de Serge Boucher

APRÈS Salle principale 23 février au 19 mars 2016

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À sa première version, le titre de la pièce était Le patient d’Adèle. René Richard trouvait cela beaucoup trop anecdotique. Et c’est en poussant Serge à expliquer son élan de départ que le titre est apparu comme évidence : Après. Acquitté ou non, il devient quoi, lui, après ? Y a-t-il un présent possible, où il est condamné à ne vivre que dans le passé de l’acte commis ? Et nous tous, on retient quoi de tout cela, après ? On le classe comme un banal fait divers et on passe à d’autres choses ? • « Le pire qui pourrait nous arriver, c’est que le spectacle fasse consensus, rappelle René Richard. • On s’entend. Le théâtre n’est pas là pour ça, répond Sylvain. • Nous, on va prendre le bouillant, pis on va le faire bouillir ! On va essayer de tout dire. » L’ambition est là : offrir quelque chose comme un kaléidoscope de cette vaste problématique de la responsabilité, de la condamnation et de la réhabilitation possible ou impossible. Et en même temps, « humilité » est le mot qui revient le plus souvent dans la discussion. Il faudra dépouiller la scène. Trouver un ton et un niveau de jeu qui soit juste sans trop en faire. Ne pas offrir de réponses, ne pas faire la leçon. Seulement poser des questions. En particulier, ces deux-là que soulève René Richard : Jusqu’à quel point le fait de pardonner à l’autre est condamnable ? À quelles conditions, le pardon peut-il suivre une condamnation ? Le travail ne fait que commencer, mais déjà on sent que toute l’équipe est fébrile et excitée par ce projet théâtral hors-norme. De l’aveu même de Serge, « c’est une drôle de patente qui m’échappe. Je sais plus trop plus quoi dire sur cette pièce ». Et lui que les clichés éculés comme « audace » et « prise de risque » agacent en général, se voit contraint cette fois-ci de le reconnaître : « C’est la première fois que je trouve que c’est audacieux. Mais bon. Ça l’est peut-être pas non plus ». Ce sera au public de juger. Après tout, l’espace théâtral n’est ni la scène, ni la salle, mais ce champ indéfini qui se déploie entre une proposition artistique et sa réception par le public. Au terme de cette première lecture d’Après, c’est le scénographe Jean Bard qui résume le mieux cette idée et la mise en abîme qu’elle implique : « Décider de monter ça, avoir fait ce choix-là, c’est aussi quelque chose que l’on soumet au jugement du public dans le spectacle ».

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Bienvenue à Condoville Marco Fortier Journaliste au journal Le Devoir

Des condos qui remplacent un garage de quartier. Des condos qui poussent sur un ancien casse-croûte. Des condos à la place d’un vieux cordonnier. L’omniprésence du condominium se confirme dans une nouvelle étude menée par une équipe de l’Université Concordia : l’embourgeoisement des quartiers centraux de Montréal s’accélère, concluent les chercheurs.

« Il ne fait aucun doute que la conversion de condos transforme tous les quartiers centraux de Montréal — et rapidement. Les effets cumulatifs se font sentir davantage dans les premiers quartiers qui ont commencé à s’embourgeoiser, mais le phénomène se produit dans tous ces quartiers », indique Ted Rutland, joint par courriel alors qu’il se trouvait à l’extérieur du pays. Dans le quartier Marconi-Alexandra, plusieurs indicateurs pointent vers un embourgeoisement rapide. Le revenu moyen des résidents augmente sans cesse, pour se rapprocher de la moyenne montréalaise (30 871 $ contre 38 281 $ en 2011, alors que la différence était du simple au double 20 ans plus tôt). Le taux de personnes du quartier détenant un diplôme universitaire a augmenté de 8,2 % à 22,9 % durant la même période, rejoignant aussi la moyenne montréalaise. Fausse bonne nouvelle

« Le moratoire sur la conversion de condos à Montréal […] a échoué à protéger les locataires contre l’expulsion forcée de leur communauté par des spéculateurs immobiliers. Le moratoire est perçu comme une mesure bidon qui est très facile à contourner par les promoteurs », écrit le professeur Ted Rutland dans une analyse datée du 4 mars 2015.

Autre indice indéniable d’une transformation en profondeur du district, le secteur d’emploi des résidents a changé radicalement. Les travailleurs des services, qui formaient à peine 15 % de la population du secteur en 1991, sont maintenant majoritaires (62,1 %). Les ouvriers cèdent la place aux cols blancs.

Les pauvres sont encore chassés de leurs logements pour faire place à des condominiums vendus à gros prix. Des spéculateurs s’enrichissent sur leur dos. Et la Ville laisse faire, parce que l’embourgeoisement (aussi appelé « gentrification », un terme calqué sur l’anglais) rapporte une fortune en impôts fonciers.

À première vue, tous ces indicateurs mis ensemble ressemblent à une bonne nouvelle. La population s’est enrichie, s’est éduquée, a rajeuni et délaisse les vieux logements pour acheter des condos. Comme dit le dicton : mieux vaut être riche et en santé que pauvre et malade. Le problème, c’est que l’enrichissement du quartier s’est fait en repoussant les pauvres vers d’autres quartiers, souligne Ted Rutland.

« Les intérêts financiers mutuels de la Ville et des promoteurs ont chassé les résidents de leur propre communauté », note l’étude de Ted Rutland. Le professeur adjoint en géographie et aménagement urbain a analysé une série d’indicateurs qui démontrent l’embourgeoisement accéléré du secteur Marconi-Alexandra, dans La Petite-Patrie. Cette ancienne enclave industrielle, coincée entre le boulevard Saint-Laurent et l’avenue du Parc, à la hauteur de la rue Beaubien, se transforme en quartier « branché ». Les maisons d’architectes côtoient les vieux garages, des immeubles à condos s’élèvent près d’entrepôts défraîchis. Et de modestes logements résistent à l’assaut des promoteurs. Mais ils sont de moins en moins nombreux, les logements « abordables », dans le quartier. En 2005, 87 % du parc de logements du secteur était locatif. Aujourd’hui, à peine 57 % des 776 adresses du district sont des logements à louer. Les 43 % restants sont des condos. Au moins 98 de ces condos étaient jusqu’à récemment occupés par des locataires, a découvert Ted Rutland en épluchant le registre foncier de Montréal et la base de données de la Régie du logement, notamment. La conversion de logements locatifs en condos est pourtant interdite sur tout le territoire de la Ville de Montréal depuis

Volume 8 Janvier 2016

Parution originale dans l’édition du 20 juin 2015 du journal Le Devoir.

1987, à quelques exceptions près. Le but est bien sûr d’éviter que règne la loi de la jungle en matière de logement. Mais trois décennies après l’entrée en vigueur du moratoire, tous les observateurs constatent que la conversion de logements en condos se fait impunément et à grande échelle.

« Les locataires ne connaissent pas leurs droits face aux promoteurs. Un nombre incalculable de locataires ont été évincés de leurs vieux logements dans Marconi-Alexandra. Plutôt que de prendre les moyens pour freiner la conversion, la rénovation ou la construction de condos dans des quartiers comme La Petite-Patrie, la Ville de Montréal a failli à la tâche de répondre à la forte demande pour les logements locatifs », indique l’étude. « Si Montréal échoue à trouver des solutions, un quartier jadis dynamique et réputé pour sa diversité comme La PetitePatrie aura des allures de banlieue embourgeoisée. Montréal ne peut se permettre de perdre un autre Marconi-Alexandra, s’inquiète le professeur. Si la tendance se maintient, sommesnous prêts à voir d’autres quartiers devenir des banlieues peuplées de tours à condos et de rues sans vie, bondées de voitures ? Et où vont les démunis quand ils n’ont pas les moyens de louer un condo dans leur quartier et d’avoir une voiture ? »

UNITÉ MODÈLE Salle principale 12 avril au 7 mai 2016

Bienvenue à Condoville Marco Fortier

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Les aventures de Christian E. et Pierre-Guy B. En 2013, Christian Essiambre et Philippe Soldevila avaient illuminé le dur hiver de milliers de personnes en présentant Les trois exils de Christian E., qui avait reçu, entre autres récompenses, le Prix auteur dramatique BMO groupe financier décerné par le public du CTD’A. Trois ans plus tard, ils sont de retour et s’associent à Pierre-Guy Blanchard, musicien globe-trotter et ami des deux compères. Christian et Pierre-Guy partagent la scène du Long voyage de Pierre-Guy B., entre souvenirs de voyages, anecdotes de rencontres et fictions oniriques. Actuellement en tournée sur les routes du Canada, nous leur avons demandé de nous faire partager leur aventure. Une seule contrainte leur a été imposée : en faire un roman-photo, forme littéraire si souvent dénigrée. Ils ont relevé le défi avec humour, folie et autodérision. De quoi relancer le genre !

Fais-moi

Es-tu fou, je suis pas un cowboy moi !

confiance Christian.

Juste parce que je t’aime Pierre-Guy !

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Le magazine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui


Suis-moi  !

Je suis LIBRE  ! Scuse-moi PG !

Focus Christian !!!

Non , c’est moi qui m’excuse… Viens maintenant !

Tu as vu ce que j’ai vu ?

Oublie ça , viens  !

Il n’y a rien !

Tu ne regardes pas à la bonne place…

Volume 8 Janvier 2016

Les aventures de Christian E. et Pierre-Guy B.

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Viens dans la montagne ! WO, pourquoi dans la montagne ?

Cesse de poser des questions. Fais-moi confiance

NON !!! Tu dois me croire !

Je le feel pas PG

Laisse-toi aller !

Je t’avais dit de me faire confiance !

Ahhh, merci Pierre-Guy  !

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Le magazine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui


Heye !! C’est quoi le rapport avec le cowboy ???

Quel cowboy ?

LES TROIS EXILS DE CHRISTIAN E.

- FIN -

Salle principale Les 30 janvier et 6 février 2016

LE LONG VOYAGE DE PIERRE GUY B. Salle principale 19 janvier au 16 février 2016

Volume 8 Janvier 2016

Les aventures de Christian E. et Pierre-Guy B.

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Combien de temps pour voir un humain ? Josée Boileau Rédactrice en chef du journal Le Devoir

Il y a des solitudes. Quand, au final, le système de justice a fini son travail, que les médias, en aval, en amont, en parallèle, par dessous, par devant, en ont fait autant, il reste la vie, et des êtres face à face. Un univers auquel tous les acteurs qui s’agitaient jusque-là sur la place publique n’ont pas accès. Il faut dire que tout y est plus gris, plus flou, plus terne, plus souterrain. L’envers du spectaculaire, l’autre côté de la mise en scène. On est là où ça n’intéresse plus personne. Serge Boucher a choisi de parler de l’Après, de titrer ainsi sa pièce, et il s’est lancé de ce fait dans un défi bien plus difficile à confronter qu’on ne le croit. Cette interrogation menée de l’autre côté du miroir du crime n’est pas totalement absente du monde de l’art. Ces dernières années, des œuvres qui l’ont abordée ont connu une vraie popularité : Il faut qu’on parle de Kevin de l’Américaine Lionel Shriver, paru en 2003 et dont on a tiré un film aussi bouleversant que le livre, où la mère du tueur tient le rôle central; Comment devenir un monstre de Jean Barbe, roman québécois qui remonte, lui, à 2004 et qui s’appuie sur la relation entre un avocat et son client, accusé de crimes de guerre. Toute la populaire télésérie Unité 9 qui met en scène, pour la première fois au Québec, la vie de prison est basée sur cet après aux conséquences multiples et aux ramifications insoupçonnées. On reste néanmoins à la marge de l’ordinaire : les assassins de masse ou de guerre dont on tente de comprendre la naissance, la vie en dedans avec parfois un coup d’œil sur l’en-dehors. Mais capter la quotidienneté faite de liens qui se poursuivent en dépit de la tragédie, insister là-dessus plutôt que sur la condamnation, c’est plus rare, car plus dérangeant. Dans une petite société comme la nôtre, oser présenter une pièce qui se fond dans le moule d’un drame qui s’est réellement produit, qui a suscité des vagues profondes d’indignation et qui a conduit à la tenue de deux procès devant jurys, le faire en se tenant d’un seul côté, c’est obliger chacun à plonger dans le tabou et à admettre que le présent continue. Dans cette temporalité-là, on est dans les draps que l’on change, le prix du loyer, les échanges en apparence inoffensifs - « Vos armoires de cuisine sont propres ? » -, les fêtes de

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famille... La Tragédie ne s’efface pas, mais elle est en filigrane du quotidien et ceux qui dorénavant s’y frotteront ne seront pas dans la lumière. Qui pense à l’infirmière qui prend soin de l’homme qui a tué? Qui songe au gardien qui le côtoiera jour après jour s’il est emprisonné ? Qui pense à l’ami, la famille qui acceptera, se résoudra à continuer à ses côtés ? Qui pense à l’avocate qui en recueillera les confidences durant sa détention ? Qui pensent à ceux qui n’ont pas le choix d’y être, peu importe ce qui s’est passé. Qui pense à ce qu’ils pensent de l’homme qui a tué. Mais oser y penser, n’est-ce pas trahir ? Car si la tragédie existe, si drame il y a, c’est bien parce que quelqu’un est tombé, qu’il y a des victimes et des innocents. Touchés, blessés, à mort, à hurler. Y penser, n’est-ce pas choisir son camp ? Dans les médias, le monde auquel j’appartiens depuis trente ans, il y a des protagonistes : gagnants, perdants, héros, vilains, ennemis, gentils, victimes, observateurs, commentateurs, juges, critiques... Même avec nuances, même avec explications, tous finissent par entrer dans de petites cases. Il le faut bien pour rendre l’actualité lisible. Les médias, quel que soit leur créneau, quelle qu’en soit la plateforme, ont depuis leur origine eu pour limite de devoir résumer le monde en quelques minutes. Droit au but pour être lu ou entendu. Un de mes patrons de jadis, catégorie implacable, répétait que tout se joue dans les deux premiers mots : ce sont eux qui donneront ou pas l’envie de lire un texte. Juste leçon, et c’était bien bien avant l’avènement des messages en 140 caractères. C’est dire si la complexité doit être minimisée, voire (souvent !, tout le temps !, diront certains) évacuée. C’est dire aussi si la plus grande complexité qui soit, celle de la nature humaine, n’a pas l’espace pour s’étaler. Les acteurs de nos histoires peuvent passer d’une case à l’autre, ils ne peuvent en occuper deux en même temps. « C’est quoi ton lead ? », fait le patron au journaliste. « Hein ? l’histoire d’un gars déboussolé, pis sa femme est partie, pis franchement ça s’est fait tout croche, pis y fait chaud, pis le p’tit braille, pis ça dérape, pis lui y regrette, pis pour corriger ça, y s’enfonce, pis... ». « Heille, peux-tu te contenter d’écrire qu’un ingénieur est accusé du meurtre de ses deux enfants ! C’est pas un roman ton affaire, c’est un texte de 500 mots, max ! » Encore heureux, parfois ça finit en brève de 500 caractères. On parle de forme ici, contrainte acceptée dès qu’on entre dans ce métier sinon on ne le ferait pas. Une forme qui tient d’ailleurs du sport : on peut y devenir très performant, savoir glisser l’adjectif judicieux en 300 mots, ou la pause qui dit tout dans un topo de 30 secondes. Laisser l’autre dans sa case, mais y mettre de la couleur. Mais les médias appartiennent eux-mêmes à une société. Qui nourrit l’autre ? On peut en débattre. Les sociétés n’ont toutefois pas attendu les médias pour trouver des gens vers qui retourner leurs angoisses, sorcières d’hier qui personnifiaient le diable, monstres d’aujourd’hui qui s’en prennent à l’innocence. De nos jours, les monstrueux d’exception décapitent – dans un autobus, comme on l’a vu il y a quelques années; dans les odieuses prises d’otages qui sont le fait de terroristes religieux radicaux – ou tirent à tout-va sur des foules ciblées; les monstrueux ordinaires, eux, tuent leurs enfants. Quand les

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Les vieux détenus y meurent souvent seuls d’ailleurs. L’enquêteur correctionnel du Canada, Howard Sapers, évalue que de 50 à 60 détenus décèdent par année : 10 par suicide, les autres de mort naturelle. Les soins de fin de vie sont appropriés, là n’est pas le problème. C’est plutôt qu’il ne reste plus grand monde autour. Plus le crime est grave, plus il est odieux, plus les familles coupent les ponts. Un aumônier interviewé racontait que lorsque la fin arrive, son équipe tente de retrouver des gens que le détenu a connus dans le passé. Ce sont souvent des intervenants…

Ces questions pour moi ne sont pas théoriques. J’ai connu autrefois comme je côtoie aujourd’hui des gens qui fréquentent cet univers de l’après-crime, parallèle à nos mondes de lumière. Ce dont ils témoignent est très loin du cinéma, très traversé par le trouble et l’ennui.

Mais pour survivre, il faut bien quelqu’un autour de soi à qui on peut simplement dire qu’il fait beau dehors ou qu’on aurait don’ envie d’un bon steak sans que cela déclenche un sursaut d’indignation ! Quelqu’un qui s’abstiendra de juger, même le fait qu’on garde bien en vue dans sa cellule la photo de son bébé qu’on a tué en le secouant. Ou qu’on est traité pour pédophilie. Quelqu’un qui accepte de lire entre les lignes du silence.

« Quand les enfants sont beaux, quand la maison est belle, quand l’assassin gagne bien sa vie, est intelligent et apprécié, l’impossibilité de comprendre n’en est que décuplée. L’envie de tout polariser aussi. » L’an dernier, Le Devoir consacrait tout un dossier à ce sujet inusité : vieillir en prison. Le parti pris aveugle et obsessif du gouvernement conservateur en faveur de la loi et l’ordre ont profondément modifié tant la durée des séjours dans les pénitenciers fédéraux que la manière dont on y vit. Aujourd’hui, 20 % des détenus qui s’y trouvent ont plus de 50 ans. Au Québec même, la population carcérale fédérale qui a plus de 70 ans a doublé en dix ans. Les libérations conditionnelles sont plus difficiles à obtenir, alors on fait son temps. Et ce temps est d’autant plus long que sous l’administration de Stephen Harper, tout a été mis en place pour étouffer l’espoir. On s’y retrouve à deux par cellule, on y mange des plats congelés, on y boit du lait en poudre, on paye très cher le moindre appel téléphonique, on doit rembourser de plus en plus d’items à même sa maigre allocation quotidienne… On y a coupé les programmes de formation – pâtisserie, cordonnerie, débosselage, art, DEC, baccalauréat… -- et ceux d’aide à la sortie de prison, fermé les bibliothèques, réduit l’accès à l’aumônier. On ne finance plus les groupes de soutien, ceux qui sont là pour aider à la transition. Une addition de mesquineries qui laisse tout le champ libre à l’explosion des frustrations, au cumul des tensions. Dans un tel confinement tant physique que psychologique se déploie encore plus fort une terrible soif de l’autre, de se raccrocher à quelqu’un, ces quelques rares qui sont encore accessibles quand toute la société vous crie sa haine quand votre nom résonne, vous laisse vous dessécher dans l’indifférence quand votre nom ne circule plus. Un des ex-détenus rencontrés dans le cadre du dossier du Devoir avait eu spontanément cette remarque : « Le monde, ils savent pas c’est quoi, la prison; t’as pas d’amour, pas d’affection. L’amitié ? C’est relatif. »

Volume 8 Janvier 2016

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enfants sont beaux, quand la maison est belle, quand l’assassin gagne bien sa vie, est intelligent et apprécié, l’impossibilité de comprendre n’en est que décuplée. L’envie de tout polariser aussi. C’est qu’il y a une mère dans les survivants, et que c’est à elle qu’il faut s’identifier. Nous faisons ce choix, comment réagir autrement. Mais quand on est l’infirmière qui doit veiller le tueur, combien de temps peut-on s’en tenir à cette option ? Combien de temps avant que l’humain en l’autre vienne nous toucher ? Et qu’est-ce que ceux tenus en dehors de ce huis clos pourront y comprendre ?

Se faire raconter tout cela s’avère parfois aussi dur à entendre que la révélation du crime lui-même. Pourquoi m’obligezvous à regarder un humain? J’aimerais bien mieux ne pas le savoir que monsieur le détenu s’ennuie, qu’il dessine superbement pour ne pas sombrer ou qu’il s’accroche le samedi soir aux appels d’un bénévole ou de son avocat, qu’il attend en vain des visites, qu’il cherche le sens de sa vie pourrie, qu’il peut être drôle, timide, insupportable, exemplaire, qu’il est en explications alors que je le voudrais en excuses, qu’il est en révolte alors que je le souhaiterais en rédemption. Qu’il use gentiment de son charme auprès d’une infirmière alors qu’il vient de tuer ses enfants. Hé, ho, y’a des victimes ici! Faudrait pas les oublier! Je me bouche les oreilles, je me ferme les yeux, je veux tourner la tête. Ce patient, cette infirmière, ce prisonnier, cet intervenant n’entrent plus dans les cases. Et je les verrouille ainsi dans leur solitude. Et pourtant tous les jours, sous l’article du journal, sous la photo et les images, tout ceci a cours à travers le Québec, dans une épaisseur de vie que masquent la vitesse, le bruit, les écrans et nos a priori. À défaut de le voir, reste l’art pour en rendre compte.

APRÈS Salle principale 23 février au 19 mars 2016

Combien de temps pour voir un humain ? Josée Boileau

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ENTREVUE AVEC MOIMÊME Amélie Dallaire Auteure de Queue cerise Photo : Ulysse del Drago | ulyssedeldrago.com

Qui ne s’est jamais donné d’entrevue à soi-même, en primeur et en exclusivité mondiale ? Se poser des questions à soi pour se livrer, se confier, se délivrer, s’ouvrir tout en étant dans le confort de l’intimité. Ces longues entrevues, parfois ciblées, parfois totalement déconstruites, mettent à jour des pensées perdues, des réflexions en pièces détachées, des pensées anodines et quotidiennes comme des révélations plus profondes. Que se passe-t-il quand ce processus s’opère dans la tête d’une auteure ? Où va sa réflexion quand on lui donne carte blanche et qu’elle peut sortir de son carcan de réflexion ? Queue cerise d’Amélie Dallaire explore cet univers. Nous lui avons donc demandé de nous ouvrir la porte de son univers créatif en nous faisant partager ces discussions avec elle-même. En voici un florilège. Lorsque vous travaillez dans un lieu public, est-ce que les gens vous dérangent ? Non ils ne me dérangent pas, j’aime ça travailler avec d’autres gens qui travaillent. Mais ils peuvent me déconcentrer des fois. Hier à la bibliothèque, il y avait une fille qui reniflait toutes les 10 secondes. J’entendais juste ça et à chaque fois qu’elle reniflait, ça m’énervait encore plus. Et en même temps, j’observais cet énervement-là en moi. J’observais cette fille, insoucieuse de déranger les gens. Et ça me faisait du bien ce recul. Finalement je lui ai offert un mouchoir, c’était trop insupportable. J’étais certaine d’être une héroïne et d’avoir soulagé les gens autour de moi, mais tout le monde avait des écouteurs. En ce moment ( je suis toujours à la bibliothèque), il y a un monsieur qui vient de péter sur sa chaise. Il est à un poste internet et il se promène dans Street View. Ça m’intrigue. Il a juste l’air de se promener virtuellement dans la ville. Là, il est sur la rue Saint-Hubert.

Le Blob, Candyman, L’Exorciste, Simetierre, Les griffes de la nuit… Le soir avant de dormir, je repensais à la petite fille de L’Exorciste. Ça me terrifiait. Pour ma grande sœur, cette terreur était une source inépuisable d’inspiration. Un jour, elle m’a fait croire qu’elles avaient invoqué un mauvais esprit par erreur, qu’il ne voulait plus partir de l’appartement et qu’il ne fallait pas le dire à notre mère. Ou encore elle me faisait croire qu’à minuit, je serais possédée du démon et que je tuerais maman avec ma corde à danser. L’homme qui a pété m’empêche d’écrire. Je ne comprends pas ses recherches. Il n’est plus sur Street View. Je suis trop loin pour voir la page qu’il consulte, mais… oh mon dieu, il est sur un site de filles. Oh ! mon dieu ! Oh ! non, c’est un site d’agence de rencontre ? Je sais plus. Avez-vous beaucoup travaillé lorsque vous êtes sortie du conservatoire ? Non pas tant. Pendant longtemps, après ma sortie de l’école, j’ai cru que j’étais paresseuse, que je n’étais pas ambitieuse. Je n’avais pas le goût de faire des démarches : photos de casting, trouver un agent. Mais je le faisais. J’étais perdue et intimidée par le milieu. Quand je disais « je suis comédienne », je trouvais que ça sonnait faux. Que ça ne m’allait pas bien. Pendant longtemps, je disais que j’écrivais, mais je n’écrivais pas vraiment. J’écrivais dans ma tête. Et puis j’ai écrit pour vrai et ç’a été très frustrant. C’était pas comme dans ma tête. Mais j’avais l’impression que c’était « moi ». Quelle a été votre première lecture « sérieuse » ? Ma sœur était précoce dans ses lectures. Dans la même période où je tripais sur Stephen King et Mary Higgins Clark, j’ai trouvé sous son matelas La philosophie dans le boudoir du Marquis de Sade. Je le dérobais pour en lire les passages crus. J’y ai découvert les mots « vit », « foutre » et « semence ». C’était, disons, un autre genre que celui de Robin et Stella qu’on écoutait religieusement toutes les deux, soit dit en passant. Ça fait deux fois que vous parlez de votre grande sœur. Oui, je pense beaucoup à elle ces temps-ci. Et l’introspection fait toujours remonter des souvenirs, des pensées. Est-ce que vous rêvez à elle des fois ? J’ai beaucoup rêvé à elle, mais là, ça fait longtemps que c’est pas arrivé. Dans les rêves que j’ai faits, elle revient toujours comme si rien n’était jamais arrivé. Je lui demande elle était où depuis toutes ces années. C’est pas clair, elle répond qu’elle était en voyage et moi, euphorique, je lui dis qu’on pensait qu’elle était morte. Des fois, je lui parle avant de dormir. J’ai peur que pour m’effrayer, elle fasse bouger les rideaux. Après tout, c’est toujours ma grande sœur.

Pouvez-vous me décrire un souvenir d’enfance ? Lorsque ma mère travaillait de nuit à l’hôpital, ma grande sœur Geneviève invitait ses amies à écouter des films d'horreur : Chucky, L’opéra de la terreur, Poltergeist, Amityville,

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Le magazine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui


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Avez-vous un fantasme ? Un fantasme… un fantasme littéraire ? De n’importe quoi. J’aimerais écrire un roman de science-fiction érotique où des humains ont des relations sexuelles avec des créatures inhumaines. Des extraterrestres ? Pas nécessairement, mais ça pourrait être ça. C’est bizarre. Pas tant que ça. C’est bizarre. Pas pour de la science-fiction.

***** Je lis de moins en moins dans les transports en commun. Pourquoi ? Pour regarder les gens. Dans le fond les gens, c’est comme des livres. Je ne comprends pas. Non je sais pas, c’est pas de moi. C’est Henri Miller qui a dit ça dans son livre Les livres de ma vie. Les gens, si on veut, sont des livres. Moi, je suis un livre. Toi, tu es un livre. Je ne sais plus comment il le dit. Les gens sont des histoires. Plus réelles, plus complexes que tous les romans du monde. Et on peut les lire si on veut. Comme moi tantôt, j’ai peut-être lu un infime bout de l’homme qui prend une marche dans Street View.

QUEUE CERISE Salle Jean-Claude-Germain 26 janvier au 13 février 2016

Volume 8 Janvier 2016

À découvert : Amélie Dallaire

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Ce qu’il y a de plus québécois en to Mon sens de la famille.

Ce qu’il y a de moins Mon sens d

Ton quartier préféré à Montréal ? Petite Italie.

Folle jeunesse ou douce maturité ?

Ce que tu as refusé de faire sur scène ou à l’écran ? De la nudité complète. Ton plat signature ? Je n’en ai pas. Je mange de tout, mais cuisine très mal.

Ta pire phobie ? Les araignées.

Je suis in

Ton mot préféré en français ? J’adore la sonorité du mot cheval. L’élite ou le peuple ?

La toun Triste

Le Corbusier ou Gaudí ?

L’argument qui tue pour vendre un condo ? C’est très « toi ». New York ou Paris ?

Scène ou écran ? Les deux.

Le metteur en scène avec qui tu rêves de travailler ? Robert Lepage. Vice ou vertu ? Trois convives pour un souper idéal ? Simone de Beauvoir, Amy Schumer, Françoise Sagan. Ton réseau social ? Des gens drôles et aimants.

Quelle est ta routine avant de monter sur scène Je bois un thé vert tous les soirs.

Doute ou certitude ? Le compte à suivre sur Twitter ? Je ne vais pas sur Twitter. Côte de bœuf ou tofu mariné ?

62 question @ ANNE-é BOSSÉ

La performance théâtrale qui t’a marquée dans les cinq dernières années ? Fabien Cloutier dans Scottstown et Cranbourne.

La dernière personne que tu as textée ? La personne que j’aime le plus. La phrase la plus difficile à prononcer ? Non.

Grand bal ou pyjama party ?

Ce que tu aimes le plus au thé Le sentiment d’être complètement dans le Ville ou campagne ?

Le rôle de tes rêves ? La cloche de verre de Sylvia Plath.

Soccer ou hockey ? Guillaume Corbeil ou Maison Corbeil ? Un prof qui t’a beaucoup marquée ? Patricia Nolin. Je ne serais pas qui je suis si je ne l’avais pas rencontrée.

Qu’est-ce que tu as fait hier soir ? Je jouais à l’impro. Qu’est-ce que tu aurais aimé faire hier soir ? Je ne changerais rien à ma soirée.

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Ce q

Le magazine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui

Un liv


Ta citation préférée ? Il y a toujours quelque chose d’absent qui me tourmente. - Camille Claudel

oi ?

s québécois en toi ? de l’humour.

Le pire cadeau reçu ? Un distributeur de savon automatique.

Photographier ou être photographiée ?

Ta réaction au pire cadeau reçu ? Essayer sans relâche de le refiler à mon frère en lui disant qu’il ne peut pas vivre sans ça.

Ce qui t’agace au quotidien ? Me sentir éternellement à 5 livres du bonheur. Et ce, peu importe mon poids.

Ton prochain projet ? Une série sur le rapport mère-fille que je développe avec d’autres gens.

Un secret ? ncapable de dire le mot winnebago.

Design baroque ou épuré ?

Lion ou koala ?

ne qui te fait pleurer ? esse de Tino Rossi.

La capitale mondiale où tu habiterais ? Berlin.

Le rôle que tu refuserais ? Celui qui ferait partie d’un projet qui ne respecte pas l’intelligence des gens.

tions éLISABETH

e ?

Un regret ? Mille. Classique ou avant-garde ?

Grammy ou Oscar ?

Rénover ou acheter neuf ? La musique dans ta tête ? Malheureusement, c’est presque toujours de la musique triste. Je ne sais pas pourquoi. Si tu pouvais vivre dans la peau de quelqu’un d’autre pendant une journée, ce serait qui ? Barack Obama. Bois ou béton ? Es-tu superstitieuse ? Non. Excepté pour Saint-Antoine et toucher du bois.

Ta pièce préférée des 5 dernières années ? Tribus à la Licorne.

Quel conseil donnerais-tu à la personne que tu étais à 16 ans ? Sois toi-même. Tout est là.

éâtre ? e moment présent.

qu’on voit trop sur nos scènes ? De la complaisance.

Trois adjectifs pour Montréal ? Ouverte, agitée et calme à la fois. Trois adjectifs pour le Québec ? Paradoxal, trouble, beau.

Ton livre de chevet ? vre de psycho-pop sur le courage. Un souvenir d’enfance ? Les voyages en Floride avec ma famille.

As-tu aimé répondre à ce questionnaire ? J’ai tout aimé. Sauf la question Côte de bœuf ou tofu mariné ? parce que j’aime vraiment les deux.

Ashram en Inde ou party à Brooklyn ? UNITÉ MODÈLE Salle principale 12 avril au 7 mai 2016

Volume 8 Janvier 2016

62 questions à Anne-Elisabeth Bossé

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Carnets de création Félix-Antoine Boutin Auteur de Un animal (mort) et résident à la Salle Jean-Claude-Germain Images : Odile Gamache et Félix-Antoine Boutin

Pour sa deuxième année de résidence à la salle Jean-ClaudeGermain, Félix-Antoine Boutin a amorcé une réflexion sur les mythes. La première inspiration de sa nouvelle création Un animal (mort) est un conte indochinois, découvert au cours de ses recherches. Ce conte, héritage de la tradition orale, relate l’histoire d’amour entre Tor et Flor. La narration et les péripéties sont bien loin des contes auxquels nous sommes habitués. Ils incluent : un éléphant qui pleure et provoque une inondation, trois décès, deux résurrections, des moustiques à l’attaque d’un sexe masculin, une femme grandissant dans une orange, des hommes changés en coqs... Pour nous éclairer sur ce qui l’a attiré dans ce conte insolite et sur l’influence de celui-ci sur sa prochaine création, voici quelques échanges que Félix-Antoine Boutin a eus avec sa dramaturge Marilou Craft et sa scénographe Odile Gamache.

Chère dramaturge,

Cher splendide animal,

Chère insatiable dévorante,

Le magazine 3900 m’a demandé d’écrire à propos du conte indochinois et de l’adaptation que j’en fais. J’ai voulu commencer à écrire, mais je n’ai trouvé qu’un titre : « se survivre ». J’ai besoin d’un interlocuteur, j’ai pensé à toi.

Alors je vais commencer simplement, avec ton titre.

Oui. J’ai d’abord choisi ce conte pour cette raison; la mort n’était pas une fatalité pour les personnages, c’était une mue vers autre chose. J’ai tenté d’adapter cette idée dans la forme même du spectacle. Je tente de parler de transmission, les personnes se racontent, mais racontent surtout une histoire qui les dépasse, qui les défait. Les personnages sont ainsi ce qui les précède et ce qui suivra, ils ne sont pas pris avec leur individualité, ils se survivent par le simple fait qu’ils portent une histoire plus grande, qu’ils inventent. Les personnages sont des porteurs, des transmetteurs maladroits qui n’ont pas de « je » à brandir comme un drapeau. Par le simple fait d’inventer une histoire qui se veut collective, ils tentent de se survivre afin de rester vivants dans la fiction, dans l’oralité de l’histoire racontée.

Merci déjà F.

Se survivre. Il y a là quelque chose d’à la fois fataliste et magnifique. Survivre à soi-même parce que sa propre existence la rend impossible. Persister à mourir et ainsi persister à vivre. Vivre en point-virgule. Est-ce là non seulement le point de départ de notre échange, mais celui de ta pièce aussi ? À toi. M.

F.

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Le magazine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui


« Tor grimpe à l’arbre, il atteint le faîte, il lâche les mains, tombe et se tue. Mère brousse revient de son champ. Elle ramasse le corps de Tor, l’immerge dans la rivière, pour que les os soient bien nettoyés de leur chair par les poissons. Elle le laisse tremper 3 jours et 3 nuits. Il ne reste que les os, nets et propres. Elle les rapporte chez elle, les broie, les pile, en modèle une image de Tor. Elle lui souffle dans le nez; il respire, elle lui souffle dans la bouche, il peut parler; elle lui souffle dans l’oreille, il peut penser. Elle lui souffle sur tout le corps, il peut se mouvoir. Tor se lève. » - Extrait des Contes oraux de la forêt indochinoise

Cher cher de chair chère,

Chère tendre inventive,

Par le simple fait de s’inventer, tes personnages survivent. Par le simple fait de survivre, ils meurent. Et par leur simple mort, ils vivent.

Oui, j’ai voulu traduire cette parole qui fait tout exister simplement et sans complexe. C’est un conte qui a une imagerie très chargée : les éléphants pleurent et se noient, les filles poussent dans des oranges... Mais tout ça est livré avec un détachement certain, avec la foi que cet imaginaire est porteur de sens, sans y rajouter une aura de mystère. J’ai voulu mettre sur scène ce pouvoir si grand qu’a le théâtre de faire apparaître les choses, de faire vivre ce qui ne vit pas, d’inventer sans la barrière de la représentation réaliste des choses. C’est un beau rituel je trouve, que de se partager ce qui n’existe pas, de le faire naître, de le tuer, de le transformer. J’aime caresser la subjectivité qu’offre la parole; celle qui permet de douter du réel, et d’en fabriquer un nouveau avec quelques branches. Je crois en l’artisanat de la fabulation, qui tricote la réalité maladroitement, mais sincèrement, avec beauté et chaleur.

Tes personnages se défont en se racontant, et pourtant ils persistent. Dans le conte aussi se trouvent de tels paradoxes présentés comme faits à prendre tels quels. On se doit d’y adhérer pour croire en l’histoire, pour qu’elle puisse suivre son cours, pour qu’elle puisse exister. C’est d’une simplicité presque frondeuse : on dit qu’une chose est et elle est, elle se doit d’être. Une fiction-genèse. Est-ce ce qui t’a attiré vers ce conte, et est-ce ce que tu as voulu adapter à la scène ? M.

F.

Volume 7 Août 2015

Cher petit frère de bois poussant dans une orange, Alors j’ai hâte de rencontrer ton tricot fabulé sur scène, de voir en quoi il se rapproche et en quoi il décolle de ce conte si imagé. À bientôt, M.

UN ANIMAL (MORT) Salle Jean-Claude-Germain 8 au 26 mars 2016

Carnets de création Félix-Antoine Boutin, Marilou Craft et Odile Gamache

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YANN PO CREAU

Ces deux images de chantier proviennent de la construction du nouveau CHUM : • p. 26 : Yann Pocreau, 2015, CHUM - Construction 3, Épreuve à développement chromogène, 187cm x 133cm • p.27 : Yann Pocreau, 2015, CHUM - Construction 4, Épreuve à développement chromogène, 187cm x 133cm

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Article en partenariat avec

Le magazine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui


ainsi des propositions artistiques destinées à changer notre regard sur l’hôpital en le déplaçant du milieu médical au milieu artistique. Le projet

Le condo modèle, le cadre de vie, le mode de vie idéal sont à l’origine de la pièce Unité modèle de Guillaume Corbeil, présentée au mois d’avril. Au-delà de l’habitat standardisé, la pièce offre une réflexion plus large sur l’influence que ces habitats ont sur notre cadre et notre mode de vie. Les condos à vendre dans Unité modèle font partie d’un grand ensemble, d’une cité idéale où tout est offert, de l’épicerie au restaurant, des terrasses de bar au jacuzzi en plein air. Plus besoin de sortir, tout est disponible sur place, en conformité avec ce modèle universel standardisé de réussite et de confort. De là nous est venue l’idée de faire porter cette rubrique sur le cadre de vie, sur notre attachement à notre environnement, aimé ou malaimé. L’artiste Yann Pocreau travaille sur le sujet en s’intéressant à l’hôpital non pas comme seul lieu médicalisé, mais comme cadre de vie où les relations se font et se défont au quotidien, où les émotions se succèdent et ne se ressemblent pas. Au-delà de l’aspect médical, qu’est-ce que ce lieu, mal aimé et souvent redouté, a à offrir comme cadre de vie ?

Le projet en développement pour la Galerie de l’UQAM s’attarde spécifiquement sur la démolition de l’actuel Hôpital Saint-Luc en 2016. Le point de départ de cette exposition, intitulée Patrimoines, repose sur la disparition de cet édifice, sur sa mémoire, sur notre rapport au bâti hospitalier et sur la notion de remplacement. L’exposition comportera trois œuvres principales : deux installations et une série de photographies. La principale installation consiste à la reconstruction et la transposition dans l’espace de la Galerie d’une chambre typique du bâtiment avant sa démolition. Pour cela, l’artiste récupère actuellement des morceaux de chambres : murs, contours de fenêtres, rideaux, mobilier, etc. Le but ici n’est pas de tomber dans le documentaire et de recréer de façon sordide une chambre d’hôpital, mais bien au contraire de faire revivre ces murs et tout ce matériel qui contiennent plus de 75 ans de vie, de maladies, de convalescence, de bonheur, de deuil, d’espoir, de travail acharné. Pour la réalisation de la seconde installation de l’exposition, Yann Pocreau collecte les ampoules en fonction dans les chambres de l’Hôpital Saint-Luc. Il compte récupérer des centaines d’ampoules qui seront assemblées en une structure au sol qui interrogera la présence de la lumière quand elle est mise en scène dans des lieux spécifiques. Là encore, l’artiste souhaite donner vie à ces ampoules pour qu’elles renvoient à notre façon d’occuper l’espace et de le vivre.

Nous vous laissons découvrir son travail en cours, qui s’étale sur sept ans et prend forme au fur et à mesure de la destruction de l’Hôpital Saint-Luc et de la construction du nouveau CHUM. Le contexte Dans le cadre de la construction du nouveau CHUM et de la destruction de l’Hôpital Saint-Luc en 2016, le gouvernement du Québec et le CHUM ont lancé en 2014 un appel à projets dans le cadre du programme d’intégration de l’art à l’architecture. Cet appel demandait aux artistes intéressés de définir une « œuvre-processus » pour avoir ensuite la possibilité de suivre le chantier durant les sept années de travaux et de proposer une œuvre finale à la livraison du chantier. Yann Pocreau a remporté le concours en proposant la réalisation d’un livre portant sur cette période de changements pour le CHUM et son patrimoine qui serait remis aux premiers patients du nouveau centre hospitalier en 2020. En marge de ce projet de longue haleine, Yann prépare une résidence de 3 mois à la Galerie de l’UQAM à l’été 2016 qui aboutira sur une exposition à l’automne suivant. Il développe

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Inspiration : Yann Pocreau

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Enfin, ces deux installations seront accompagnées d’une série de photos de chantier relatant le démantèlement de l’Hôpital Saint-Luc. Cette série portera sur les jeux de lumière et posera un regard artistique sur des installations que nous voyons habituellement seulement d’un point de vue médical et pratique. L’idée principale derrière l’exposition Patrimoines est donc de porter un regard nouveau sur l’édifice de l’Hôpital SaintLuc, de se demander si cet hôpital que tout le monde connaît fait partie de notre patrimoine. Yann Pocreau indique clairement que son projet n’est pas une charge contre Saint-Luc, il ne s’agit pas de critiquer l’hôpital ou de parler de désuétude, il s’agit au contraire de se pencher sur ce qu’il y a de patrimonial dans ce lieu qui est à la fois un lieu d’expérience individuelle où chacun vit son histoire, mais également un lieu d’intérêt public et d’expérience collective. À partir du moment où une société fait l’expérience commune d’un lieu, ce lieu n’entre-t-il pas de facto dans le patrimoine ? Au-delà du bâtiment physique et de ses fonctionnalités, l’artiste se pose également la question de ce que représente l’Hôpital Saint-Luc dans l’imaginaire collectif. Sa réflexion va au-delà des objets et porte aussi sur le patrimoine immatériel et symbolique lié à cet endroit. Des étudiants en muséologie qui s’intéressaient justement à cette question et qui travaillaient dans les trois hôpitaux du CHUM ont fait découvrir à Yann Pocreau des fiches de recettes des années 1940 qu’ils avaient trouvées dans les cuisines. Ces recettes sont bien plus que des objets, ce sont de trésors patrimoniaux qui témoignent d’une tout autre époque et d’une tout autre façon de faire. À la simple lecture d’une recette apparaissent dans notre imaginaire des bataillons de cuisinières armées d’ustensiles de cuisine démesurés pour servir trois fois par jour des repas à tous les patients.

Yann Pocreau est né à Québec en 1980. Il vit et travaille à Montréal. Par la photographie, il s’intéresse aux fortes présences du lieu et du sujet, à leur intime cohabitation. Dans ses recherches récentes, il s’intéresse à la lumière comme sujet vivant et à l’effet de celle-ci sur la trame narrative des images. Il a participé à plusieurs expositions canadiennes, américaines et européennes, notamment Québec Gold, présentée à Reims, en France; Exercices d’empathie, à l’Espace Bortier de Bruxelles; au Mois de la Photo à Montréal en 2011, aux expositions Under the Radar ; the New Visionaries, Paperwork et 1:3 Light à New York et en 2014, à l’exposition L’image rôde au Fresnoy, France (Louise Déry commissaire) et à la 5ième Biennale de Sinop en Turquie. Son travail a été commenté dans divers magazines et ses œuvres sont présentes dans les collections de la Banque Nationale du Canada, d’HydroQuébec, Desjardins, de la Ville de Montréal, du Musée des beaux-arts de Montréal, du Musée d’art de Joliette, dans la collection Prêt d’œuvres d’art du Musée National des beaux-arts du Québec. Il a été jusqu’en 2014 coordonnateur général du Centre d‘art et de diffusion CLARK et jusqu’en 2015 président de regroupement des centres d’artistes autogérés. Il est représenté par la Galerie Simon Blais à Montréal. www.yannpocreau.com Le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui remercie la Galerie de l’UQAM pour sa précieuse collaboration à la réalisation de cette rubrique. https://galerie.uqam.ca

À la veille de la destruction de ce bâtiment emblématique, l’artiste interroge donc à la fois notre mémoire individuelle et notre mémoire collective, ainsi que notre rapport à notre patrimoine et au milieu hospitalier. À découvrir à la Galerie de l’UQAM du 2 septembre au 15 octobre 2016 !

UNITÉ MODÈLE Salle principale 12 avril au 7 mai 2016

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Le magazine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui


Motivation. Valorisation. Starshit. Simon Boudreault Conseiller dramaturgique de Starshit Illustration : Laurent Pinabel | pinabel.com

Le monde de l'entreprise peut être un univers déroutant, choquant, déplaisant. Comment s'intégrer dans une nouvelle équipe en tant qu'employé ? Comment faire en sorte que son entreprise ait une image positive, une identité spécifique et une excellente réputation ? Comment fidéliser sa main-d'œuvre pour qu’elle se dévoue à la cause corporative ? Heureusement, Roselyne Badel conseillère en ressources humaines qui nous avait déjà éclairés de ses conseils au moment de la création de As is (tel quel) de Simon Boudreault en mars 2014, reprend du service sous la plume de ce dernier ! La voici qui vous présente le modèle d'entreprise à l'origine du succès de la marque Starshit, dont vous ferez la connaissance au mois de mai dans la salle Jean-Claude-Germain.

Bonjour, ici Roselyne Badel, conseillère en ressources humaines, qui vous souhaite la bienvenue dans cet article du magazine 3900 que vous tenez en ce moment même entre vos mains pour votre plus grand plaisir. On m’a cordialement invitée afin de vous faire découvrir la culture d’entreprise dynamique et gagnante de Starshit. Cette compagnie d’envergure qui a su conquérir le cœur et l’estomac des buveurs de café du monde entier.

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Motivation. Valorisation. Starshit. Simon Boudreault

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Un modèle international Nous connaissons tous Starshit, cette multinationale exemplaire. Mais tout comme Rome qui ne s’est pas bâtie en un jour, elle a su gravir les échelons un à un pour atteindre les sommets financiers qu’elle domine maintenant tel un aigle sur sa portée. N’oublions pas que c’est grâce à la sueur d’employés chevronnés, acharnés et heureux de l’être qu’un tel empire a pu se bâtir brique par brique pour devenir cette 8e merveille du monde. Starshit fait dorénavant partie de notre paysage commercial tel le nez au milieu du visage : incontournable et indélogeable ! Les hauts dirigeants de cet ami de la caféine ont suivi avec rigueur les conseils pertinents et judicieux de visionnaires en ressources humaines tels que moi. Ainsi ils ont pu instaurer une culture d’entreprise saine et où il fait bon vivre. Des conseils que j’encourage fortement tout entrepreneur, aussi petit soit-il, à suivre à la loupe. De cette façon, il aura sous la main des employés disponibles et prêts à se mettre en danger pour le bon déroulement de l’avenir de sa compagnie.

Les éléments du succès Le succès d’une entreprise comme Starshit passe inévitablement par ses employés qui auront à défendre et représenter votre produit. Ils deviendront même l’image de marque de votre compagnie, car ils y seront associés tout comme le drapeau qui porte l’emblème du pays qu’il représente. Tâche ardue que celle de stimuler l’engagement de ses salariés, mais une fois ce sentiment d’appartenance mis en place, vous volerez dans les hautes altitudes du succès où tous les possibles seront à vos pieds.

Motivation et valorisation Les deux mamelles de l’employé modèle sont et resteront toujours la motivation et la stimulation. Tout comme le fermier qui, pour réussir à convaincre son âne de transporter une charge exagérée, avait en sa possession une carotte et un bâton. La motivation se traduit souvent en valorisation, car elle est l’un des éléments clés d’une entreprise en santé. Cette valorisation peut prendre la forme d’un compliment chaudement fait par l’employeur ou d’autres formes moins subtiles qui créent l’envie des autres employés et installent une saine compétition qui fouettera leur motivation. La stimulation est l’éperon du patron qui chevauche son personnel avec une main de fer dans un gant de velours. Quoi de mieux qu’un système d’évaluation impromptu ou une réprimande faite devant les autres employés pour ramener le troupeau dans le droit chemin ? Ces petits moments de légère honte publique sauront rappeler aux employés que leur place n’est pas acquise et qu’ils doivent sans cesse prouver leur efficacité. Ainsi ils redoubleront d’efforts pour gagner vos faveurs et apprécieront encore plus le moindre des compliments que vous daignerez leur octroyer.

Projet commun Les employés, que l’on peut également appeler associés ou coéquipiers afin d’alimenter le sentiment d’appartenance à la compagnie, ont besoin de sentir qu’ils poursuivent un projet commun. Il est donc fortement recommandé d’identifier en début d’année des objectifs précis. Que ce soit un nouveau produit que l’on veut présenter au public ou bien un objectif budgétaire que l’on tente d’atteindre. Ces objectifs n’ont pas besoin d’être réels tant que les associés le croient. À la fin de l’année, vous présentez un bilan où vous annoncerez la réussite de ce projet commun. S’ensuit généralement un moment de festivité débridée qui a la qualité d’unir les troupes. Nous vous conseillons de participer à la fête, ce qui aura pour effet de vous rapprocher de vos sous-fifres qui verront dans votre présence une récompense due à leur effort. Cependant vous devrez être le premier à quitter la soirée afin d’éviter que l’on vous voie ivre ou bien en perte de contrôle. Lorsque vous quittez, vous pouvez offrir une tournée générale qui fera de vous le centre des conversations lorsque vous ne serez plus là et créera une admiration aimante dans votre équipe. Beaucoup de jeunes patrons font l’erreur de rester jusqu’aux petites heures, mais ce n’est pas le moment pour vous de laisser libre cours à votre vraie personnalité. Attendez d’être à la maison ou avec vos véritables amis. Si vous succombez à la tentation de croire réellement que vos inférieurs sont des égaux vous tomberez inévitablement dans le piège de l’égalité. Cela leur permettra de revendiquer, de refuser les projets à venir et les charges de travail. Ensuite ils vous amèneront inexorablement vers la « démocratisation » de votre entreprise qui a vu plus d’une compagnie fermer ses portes !

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Lien Il est vital, voire essentiel, de construite une culture d’équipe qui elle-même doit s’inscrire dans la culture de votre entreprise. Tout comme à la maison où les enfants doivent connaître les règles à suivre afin d’évoluer et de grandir dans la direction que vous avez déterminée. Par exemple, il faut soigner le langage utilisé au sein de votre entreprise. Certains mots ou expressions sont à proscrire afin d’entretenir des rapports amicaux et respectueux. Il faut éviter un langage trop familier, ne jamais accepter qu’un subalterne vous appelle « Hey » ou « Man » ou « Chose ». Mettez de l’avant des termes créant une légère distance avec vos subalternes afin que les rôles de tout un chacun restent bien clairs. Il faut également éviter des expressions trop belliqueuses qui pourraient traduire une certaine avidité comme « Attaquer le marché » ou « Vaincre la concurrence » ou « Bombarder la clientèle ». Même s’il est évident que de telles actions sont l’essence même de l’entrepeneurship, les nommer serait une grave erreur. Tout comme il est évident que chaque couple entretient une vie sexuelle élaborée, mais on ne divulgue pas en public qu’il aime avoir un doigt dans l’anus lorsqu’elle le suce. Certaines choses se font, mais ne se disent pas.

Voici en quelques lignes ce qui a fait le succès tonitruant d’une compagnie telle que Starshit. Pour en savoir plus, vous pouvez assister à mes conférences ou tout simplement venir à la salle Jean-Claude-Germain du 5 au 23 avril 2016. D’ici là, je lève mon café à chacun d’entre vous ! Roselyne Badel Conseillère en ressources humaines

STARSHIT Salle Jean-Claude-Germain 5 au 23 avril 2016

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Motivation. Valorisation. Starshit. Simon Boudreault

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fran çoise sulli van Alexia Bürger Conseillère à la direction artistique et artiste associée au CTD'A

Dans chacun de nos numéros, nous offrons à un artiste de faire la connaissance d’une figure importante de la culture québécoise afin de sonder son expérience et de la questionner sur la création. Alexia Bürger entretient depuis longtemps une fascination pour le parcours de Françoise Sullivan, le façonnement de sa démarche artistique au moyen de différents médiums tels la peinture, la sculpture, la photographie, la danse et la performance et sa participation à la naissance d’un des courants artistiques les plus marquants du Québec du 20e siècle, et ce tout en élevant quatre enfants ! Dans le présent numéro, notre artiste associée a donc choisi d’aller à la rencontre de cette personnalité marquante de notre histoire.

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Les Saisons Sullivan, Printemps, 2007, chorégraphie : Françoise Sullivan, photo : Marion Landry, danseuse : Andrée-Maude Côté. Avec l’aimable autorisation de la Galerie de l’UQAM.

Le magazine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui


J’attends l’heure précise devant le bâtiment en briques de la rue Sainte-Madeleine. Je regarde ma montre; il est encore trop tôt. Je fume une cigarette. Je pense : la dame qui m’a donné rendez-vous est née en 1925. Je cogne. Elle m’ouvre. Je pense : la femme qui m’ouvre a appris son métier aux côtés de Marcelle Ferron… Claude Gauvreau… Pierre Gauvreau… Paul-Émile Borduas… Jean-Paul et Françoise Riopelle… Fernand Leduc… Elle a côtoyé à peu près tous ceux qui ont révolutionné le Québec du siècle dernier. Elle me salue d’un sourire gêné. Je pense : la femme qui me salue d’un sourire gêné a fait des performances avant-gardistes sous Duplessis. Elle me fait entrer dans son atelier. Je pense : la femme qui me fait entrer dans son atelier est une fondatrice du mouvement automatiste… est signataire du Refus global… est pionnière de la danse contemporaine au Québec… est chorégraphe… est danseuse… est performeuse… … est sculpteure... est peintre… est mère de quatre enfants. Maintenant, nous sommes toutes les deux debout, timides et souriantes au milieu des tableaux. Silence. Je lui offre un pot de confiture au citron et je pense : va savoir ce qui te prend de lui offrir un pot de confiture au citron. Elle me remercie avec un tel enthousiasme que je pense : c’est une idée de génie de lui offrir un pot de confiture au citron. Nous sommes un peu gênées. Elle me propose du thé. Et pendant qu’elle s’affaire à nous faire bouillir de l’eau, je décide de m’énumérer à moi-même tous les premiers ministres que cette femme a vu défiler depuis qu’elle est née : Taschereau, Godbout, Duplessis, Godbout, Duplessis, Sauvé. Là me semble qu’il y en a un autre… Lesage Johnson père, Bourassa (y en a pas un entre Johnson père et Bourassa ?), René Lévesque (on est passé directement de Bourassa à Lévesque ?), Johnson fils (Jean-Pierre, Marc... Pierre-Marc !), Bourassa again, Parizeau, Bouchard, Landry, Charest, Marois (OÙ EST CHARLIE ?) pis… shit… ben… Couillard. Quand l’eau atteint son point d’ébullition, je constate que le poids de l’Histoire s’est répandu partout dans l’atelier… Tout mon corps est courbé sous lui; je suis petite, stoïque, ignorante, catatonique et paralysée. C’est là que la femme qui me reçoit s’assoit devant moi et que le fantôme de Borduas, caché dans un coin de l’atelier, me chuchote enfin ( je sais c’est weird) : Aleexiaaaa… « il est naïf et malsain de considérer les hommes de l’histoire dans l’angle amplificateur de la renommée qui leur prête des qualités inaccessibles à l’homme présent »1. Alors je sors de ma torpeur et cesse de regarder la femme assise devant moi comme on scrute un monument. C’est là que je la vois pour la première fois : Françoise Sullivan. Je veux dire, la vraie.

Volume 8 Janvier 2016

Candide. Fauve. Plus vivante que moi qui n’ai pas la moitié de son âge. Et je me dis : c’est la beauté de ceux (les rares) qui acceptent d’être traversés par les années. Faque je cale mon thé et je saute à pieds joints dans la conversation : Le 3 avril 1948, vous avez présenté (à la Maison Ross à Montréal) un spectacle que les historiens considèrent comme l’évènement fondateur de la danse contemporaine au Québec. Qu’est-ce qui s’est passé ce soir-là ? Nos projets (aux automatistes) étaient toujours de notre initiative personnelle, ce n’était jamais des grandes galeries ou des lieux conventionnels qui nous invitaient. On faisait tout nous-mêmes. Ce soir-là, Jeanne (Renaud) et moi, on avait fait des petites chorégraphies que nous devions danser, on s’était fait tout un programme. Quand on a dit à nos amis automatistes qu’on allait faire un spectacle, ils se sont tous pris d’enthousiasme. Riopelle a dit : je vais m’occuper de l’éclairage. Claude Gauvreau a décidé de réciter un poème de Thérèse Renaud sur lequel Jeanne Renaud avait fait une chorégraphie. C’était à la Maison Ross (la faculté de droit de Mc Gill, coin Peel et Docteur-Penfield), l’endroit était plein juste par le bouche à oreille. . . À cette époque, notre groupe était connu des intellectuels de Montréal, les gens suivaient ce que Claude Gauvreau écrivait dans les journaux… J’ai présenté ma chorégraphie Dédale et la réaction a été forte. Des années après, j’ai rencontré des journalistes qui m’en parlaient encore. Ça avait fait un effet parce qu’à l’époque il n’y avait pas de création en danse comme ce que Jeanne et moi faisions.

J’attends l’heure précise devant le bâtiment en briques de la rue Sainte-Madeleine. Je regarde ma montre; il est encore trop tôt. Je fume une cigarette. Je pense : la dame qui m’a donné rendez-vous est née en 1925. Quel état d’esprit animait les automatistes ? Ça ressemblait à quoi vos soirées ensemble ? (Grand rire) C’était de la camaraderie, de l’amitié, des impulsions de jeunesse, de plaisir et puis en même temps c’était sérieux parce qu’on découvrait des choses, on se prêtait les livres et on en parlait. On parlait de choses nouvelles, d’idées nouvelles. C’était intellectuel, mais jeune et plein du plaisir de découvrir, de l’émerveillement. En général, c’était vraiment formidable. L’atelier de Fernand Leduc était ouvert le soir, on allait là si on avait envie, ce n’était pas que notre groupe, c’était portes ouvertes, il n’y avait pas d’invitation. Après, quand il est parti, c’était chez Mousseau. Il y avait nous, mais aussi un tas d’intellectuels qui venaient, beaucoup de poètes.

Classe de maitre : Françoise Sullivan Alexia Bürger

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Les Saisons Sullivan, Automne, 2007, chorégraphie : Françoise Sullivan, photo : Marion Landry, danseuse : Louise Bédard. Avec l’aimable autorisation de la Galerie de l’UQAM.

Comment le groupe s’était-il formé ? Au hasard des rencontres ? Bon, je vais vous raconter comment ça s’est passé. Et ce n’est pas tellement connu : D’un côté, il y avait Borduas. Borduas était plus âgé que nous et il était professeur à l’École du Meuble. Certains de ses collègues professeurs étaient au fait du surréalisme et recevaient des livres d’André Breton. Lorsqu’ils ont partagé ça avec Borduas, ça a pris en feu (éclat de rire). Eux, ils aimaient ça, mais Borduas a développé toute une pensée très profonde avec ça... De l’autre côté, il y avait deux jeunes, Bruno Cormier et Pierre Gauvreau. Ils habitaient proche l’un de l’autre et marchaient ensemble le matin pour aller au collège Sainte-Marie, ils se sont donc mis à parler et sont restés de très grands amis toute leur vie. Ces deux-là discutaient de tout et de rien. Ils parlaient de poésie et aussitôt qu’ils ont pu aller au cinéma, ils analysaient des films. À l’époque, les livres intéressants étaient à l’index, mais un jour ils ont été chez Eaton où il y avait un rayon de livres. Comme c’était anglophone, les prêtres ne connaissaient probablement pas ça (!). Il y avait quelques livres français parmi ces livres et ils ont réussi à acheter Les fleurs du mal de Baudelaire et La saison en enfer de Rimbaud. Alors, voyez cette image : deux jeunes garçons (ils ont peutêtre 13 ans) assis sur le bord de la chaussée sur la rue Roy ou avenue des Pins, récitant du Rimbaud à tue-tête… Pierre et Bruno viennent de familles intellectuelles, mais pas riches, des gens qui n’avaient pas beaucoup d’argent. Ils ont continué une vie intellectuelle et poétique. Bruno Cormier a étudié beaucoup, il est devenu un médecin, un grand psychiatre international qui a fait des choses exceptionnelles pour les prisonniers et pour les malades mentaux. Pierre Gauvreau, je n’ai jamais su pourquoi, a été chassé du Collège Sainte-Marie. Certains ont dit que c’était parce que sa mère n’avait pas les moyens de payer, mais Claude (Gauvreau, son frère) a continué alors je ne sais pas… Peut-être qu’il s’était fait prendre avec Les fleurs du mal dans son sac...? Je pense que ça pourrait être ça (éclat de rire). C’est très possible…

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Moi j’avais une amie, Alice, qui habitait près de chez Pierre Gauvreau et qui était amie avec son frère, c’est donc comme ça que je l’ai connu, très jeune. Et puis, un printemps, on avait 15 ans, Alice et moi on a rencontré par hasard Pierre et Bruno au Carré Saint-Louis. Pendant tout un mois de mai et de juin, on les rejoignait au Carré; Pierre nous parlait beaucoup de cinéma, il analysait tout, il connaissait tous les metteurs en scène, les photographes, les régisseurs… Il parlait de ça avec beaucoup d’autorité (rire), c’était assez fascinant… Ces deux beaux garçons, on les rencontrait quotidiennement pour avoir des conversations intellectuelles fascinantes et on est resté amies avec eux. Plus tard, je suis entrée à l’École des beaux-arts. Pierre Gauvreau y était. C’est là que j’ai aussi rencontré Louise Renaud, Madeleine Desroches, Fernand Leduc. On se rencontrait souvent et on discutait de la façon dont on nous apprenait le dessin et qu’on ne trouvait pas très intéressante. Alors on travaillait par nous-mêmes. Puis un jour, Pierre Gauvreau a été inclus dans une exposition au Collège SainteMarie, c’était une exposition d’étudiants d’art. Borduas avait été invité à cette exposition pour donner un prix. À l’époque, on ne connaissait pas le travail de Borduas, mais on savait qu’il enseignait le dessin à l’École du Meuble. Quand Borduas a vu la toile de Pierre Gauvreau ce soir-là, il est rentré chez lui et a dit à sa femme : j’ai découvert un peintre. Un vrai peintre. Il a donc invité Pierre à venir un mardi soir à son atelier et Pierre a dit : j’ai quelques amis à l’École des beaux-arts qui sont insatisfaits de l’enseignement et ils aimeraient beaucoup vous rencontrer. On est tous allés chez Borduas ce mardi soir là. Cette soirée qui a duré jusqu’aux petites heures du matin a été extraordinaire. Et ça a été le début des automatistes. Quand on avait des rencontres, Borduas amenait quelques étudiants dont Maurice Perron, Jean-Paul Riopelle et puis Barbeau, alors c’est comme ça que le groupe s’est graduellement formé. Et le texte du Refus global est le fruit de vos rencontres... Oui. Mais ça a pris sept ans avant que le manifeste sorte. Sept années magiques. Aviez-vous la conscience à ce moment-là que vous étiez en train de faire l’histoire du Québec ? Oui. On le savait et c’était exaltant. Il y avait des choses qui n’allaient pas dans notre société, il fallait faire quelque chose. Et on savait que ce qu’on faisait en peinture était tout à fait nouveau, on était de l’avant-garde, on avait ce même plaisir peut-être que Picasso et ses amis. Oui, on avait cette conscience et on en jouissait. Une fois que le Refus global est sorti, est-ce que cette effervescence-là a continué ? Non. Non, parce que Le Refus global a été très mal reçu. Borduas en a souffert, il a tout perdu : son poste d’enseignant, il est devenu malade, sa femme l’a laissé et est partie avec les enfants, ça a été la catastrophe… Et puis, il y avait du mécontentement au sein du groupe au sujet de… Breton, je pense (grand éclat de rire). Il y en avait quelques-uns d’un côté et les autres de l’autre. Finalement certains sont partis en France, d’autres à New York. Tout s’est cassé à ce moment-là. Les familles commençaient et il fallait nourrir les enfants.

Le magazine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui


Il y a donc eu 10 ans entre la naissance du Refus global et le moment où il a vraiment ressurgi au sein de la culture québécoise ? Oui. Les années 50 ça a été la Grande Noirceur. Claude Gauvreau était vraiment passionné et c’est lui qui a tenu le coup le plus fort. Et puis il a eu son moment de gloire à la nuit de la poésie… Après la mort de Duplessis, certains ont découvert le Refus global et l’ont fait lire à d’autres, mais ces gens-là étaient des littéraires, pas des artistes visuels comme nous. Puis des plasticiens sont arrivés, Molinari, Fernande Saint-Martin… Vous êtes 7 femmes à avoir signé le Refus global (sur 16 signataires). C’est une proportion étonnante pour l’époque. J’ai lu quelque part que Borduas hésitait à ce que vous signez parce qu’il avait peur que vous soyez mis au ban de la société. C’est vrai ? Oui. C’est vrai. Il avait peur pour nous. Mais bon… je pense qu’on a passé au travers (grand éclat de rire).

Et on savait que ce qu’on faisait en peinture était tout à fait nouveau, on était de l’avant-garde. Est-ce que vous sentiez à l’époque que vous deviez davantage défendre votre place d’artiste parce que vous étiez une femme ? Je ne sais pas. J’étais un peu inconsciente de ces enjeux à l’époque, je pensais : je suis une artiste, femme ou homme, peu importe. Je pense que les autres aussi devaient se sentir un peu comme moi. On était acceptées par nos camarades, je pense qu’il y avait plus que l’idée qu’on était des jeunes filles pleines d’enthousiasme (rire). J’espère qu’il y avait plus (grand rire) ! Mais à l’époque, on était imperméables à ces questions-là. Vous avez eu quatre enfants à une époque ou les garderies n’existaient pas et vous avez réussi à poursuivre votre recherche artistique et à continuer d’apprendre de nouveaux médiums. Heu… Vous avez fait ça comment ? Expliquez-moi ! Ç’a été difficile. Quand je me suis mariée (au peintre Patterson Ewen), c’était le début de la télévision et on me demandait de faire des chorégraphies, mais ça voulait dire que je devais passer la journée et la soirée à Radio-Canada et ça devenait difficile. Évidemment on était payées, pas beaucoup, mais juste assez pour engager une gardienne. Pour pouvoir danser, je devais travailler. Ludmilla Chiriaeff avait elle-même besoin de danseuses pour ses chorégraphies. Elle m’a dit : « Si tu viens danser pour moi, tu pourras utiliser mes autres interprètes pour tes propres chorégraphies ». Les cours de Ludmilla

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étaient à 18 h, ça m’arrangeait parce que mon mari travaillait chez Ogilvy de jour (et il peignait la nuit). J’ai fait ça pendant quelques années, mais au troisième enfant ce n’était plus possible, c’était trop difficile. Alors j’ai arrêté et pour moi tout à coup c’est devenu comme une vacance. J’ai pris ça comme une vacance… Et puis au bout de deux ans, je me suis dit : j’ai besoin de peindre. Mais c’est difficile quand quelqu’un d’autre (un mari) peint à côté de vous… Alors pour me faire mon propre chemin, j’ai décidé de faire de la sculpture, pour moi c’était la même chose ! Mon mari a eu un petit héritage et on a décidé d’acheter une maison. J’ai demandé qu’on choisisse une maison avec un garage extérieur pour que je puisse faire de la soudure. C’est comme ça que nous avons choisi notre maison. Vous avez pratiqué votre art dans la Grande Noirceur puis dans le bouillonnement de la contre-culture, vous avez vu passer des gouvernements libéraux, conservateurs, souverainistes… Est-ce que les pouvoirs en place ont affecté votre façon de créer ? Non, non. L’impulsion artistique est la même, disons sous Duplessis que pendant la Révolution tranquille ? Elle hoche la tête. Silence. Par contre, il est arrivé un moment vers 67-68 où la peinture n’était plus intéressante, on n'y croyait plus trop : c’était toutes les nouvelles disciplines artistiques qui commençaient à se mettre en place et ça m’a bouleversée. Alors j’ai fait des œuvres conceptuelles (comme la marche entre les deux musées et d’autres choses comme ça). Mais moi je croyais encore à la peinture, je n’ai jamais cessé d’y croire, j’ai voulu essayer de voir comment c’était de créer d’une autre façon. J’ai fait ça pendant quelque temps et je suis revenue à la peinture. Je pense que l’effort que j’ai fait avec ces travaux-là est valable, mais la peinture c’est le plus difficile de tout ce que j’ai fait. Pourquoi ? Je ne sais pas comment dire… Silence. Je suis allée à Venise au mois de mai pour la Biennale, mais c’est pas vraiment la Biennale qui m’a éblouie. Ce qui m’a éblouie c’est de revoir les vieux tableaux de la Renaissance. Je dois dire qu’il y avait beaucoup d’expositions présentées

Les Saisons Sullivan, Été, 2007, chorégraphie : Françoise Sullivan, photo : Marion Landry, danseuse : Annik Hamel. Avec l’aimable autorisation de la Galerie de l’UQAM.

Pierre Gauvreau s’est mis à la télévision. Mousseau au bout de quelque temps a commencé à faire des discothèques et des travaux pour le métro. Enfin la vie était devenue différente, ce n’était plus une vie d’étudiants.

Classe de maitre : Françoise Sullivan Alexia Bürger

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Les Saisons Sullivan, Danse dans la neige, 2007, chorégraphie : Françoise Sullivan, photo : Marion Landry, danseuse : Ginette Boutin. Avec l’aimable autorisation de la Galerie de l’UQAM.

dans les palais (qui accompagnaient la Biennale sans en faire partie) et que je trouvais beaucoup plus intéressantes. Il y avait une exposition qui s’appelait Proportio. Une exposition sur les proportions, une statue grecque avec les proportions de la beauté grecque… qu’on ne peut pas nier ! Beaucoup d’artistes des années 50 et 60 étaient dans l’expo et c’était à couper le souffle tellement c’était beau. Et quand vous voyez les jeunes artistes contemporains est-ce que certains vous touchent? À la Biennale, j’ai trouvé le pavillon japonais superbe, c’était des cordes rouges avec une clef qui faisait un poids, c’était partout ces cordes rouges et c’était d’une beauté incroyable. Le pavillon allemand avait fait quelque chose sur la lumière, le soleil et l’électricité : une bonne partie était dansée par des danseurs tout à fait asexués, longs, maigres avec un habit en or. Ce n’était pas beau, mais c’était intelligent. J’ai été impressionnée par l’intelligence de l’idée. Et je me souviens pas des autres (elle éclate de rire), pourtant j’étais là du matin au soir ! Quand vous voyez des œuvres contemporaines est-ce qu’il arrive d’avoir une impression de déjà vu ? Ah oui, ben oui. C’est toujours comme ça. Qu’est ce que vous voulez ? L’art, la création est difficile à faire. Il faut aller tellement au fond de soi-même. Il y a des gens qui donnent ça comme ça, pour qui ça sort tout seul, mais en général c’est difficile ! Beaucoup de choses sont présentées maintenant, partout, et tout n’est pas bon. Beaucoup de jeunes vont à l’université et prennent des cours d’art, mais ils ne sont pas tous des artistes. Mais parmi eux il y en a. Vous peignez encore ? Oui (elle pointe les tableaux aux murs). Tous les tableaux que vous voyez sont récents. Je peins presque tous les jours avec des interruptions. J’ai un petit studio à la campagne pour l’été. Quand on peint des grands formats, c’est physique, on bouge, on marche, on recule, on va chercher ci, on lave des pinceaux, c’est bon pour la santé. Et votre façon de créer est restée la même au cours des années ?

tableau, on se demande comment est-ce que j’ai fait ça ? Et ça fonctionne. Mais il y a des fois où on dirait qu’il faut sortir tout ce qu’on a en dedans. Silence. Françoise observe les tableaux et il se passe quelque chose d’étrange; comme si tout son être se transformait à leur contact. Je n’ai plus devant moi une femme candide, polie, enthousiaste, mais une peintre qui écoute la toile avec une concentration extrême comme si elle ne voulait rien rater de ce que ses propres tableaux avaient à lui apprendre. Par exemple celui-là (elle pointe un tableau) : c’est tellement drôle ça… c’est la chose la plus étonnante; j’ai commencé par ce tableau, et après j’ai fait l’autre là (elle pointe un autre tableau) et quand je les ai mis l’un à côté de l’autre, j’ai dit : ils vont ensemble. Ce n’était pas prévu. Et tous les autres tableaux que j’ai faits après sont nés de ça. Et j’ai refait celuilà. Après j’ai fait la moitié de celui-là. Non, c’est le contraire; j’ai fait l’autre et après je me suis dit : celui-là a besoin de son compagnon. Ce n’est pas tout le temps comme ça. C'est rare. Des fois on cherche, la tête s'y met. On sonne à la porte; c'est le fils de Françoise avec qui elle a rendez-vous. Il s'assoit avec nous, nous parlons un peu tous les trois, de tout et de rien, puis on en arrive, je ne sais plus comment à la poésie : C'est drôle à une époque, on apprenait des poèmes par cœur, on ne fait plus ça. Moi j'en connais quelques-uns par cœur et je les récite la nuit, souvent. Ça habite les nuits d’insomnie. Quels poèmes ? D’abord le premier que mon père m’a récité quand j’étais petite, celui de Ronsard : Mignonne, allons voir si la rose Qui ce matin avait déclose… Il m’avait pris par la main, un beau soir d’été et on était allés au petit restaurant de campagne où il achetait un cigare et moi une crème glacée, on était au début de l’été, la lumière était belle et il m’avait récité tout le poème spontanément.

*****

Je pense : je passerais bien le prochain siècle ici. Mais Françoise Sullivan n’est pas de celles qui parlent pendant des heures d’une montagne : elle est de celles qui attachent leur tuque avec de la broche, qui prennent leurs skis de fond, leurs raquettes ou leur ski-doo et qui gravissent la montagne. Elle me reconduit dehors, m’embrasse chaleureusement, me dit : revoyons-nous. Quand la porte de l’atelier se referme derrière moi, je reste un instant immobile sur le trottoir de la rue Sainte-Madeleine, avec un air de merlan frit et je pense : pendant que le monde tourne et se retourne contre lui même, pendant que des façades explosent, que les pays implosent, que les siècles se déploient et se replient sans qu’on ne réussisse jamais vraiment à en apprendre ou en comprendre quoi que ce soit, pendant ce temps, juste là, ici derrière la brique, Françoise écoute ses tableaux. Elle scrute « les perles incontrôlables qui suintent des murs » 2. Et cette pensée-là me rassure pour la suite du monde.

Je pense que c’est la même chose. Tout vient de la même impulsion. Il y a des choses qui arrivent facilement, on fait un 1+2 : citation Refus global 36

Le magazine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui


Volume 8 Janvier 2016

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APRÈS

DU 23 FÉVRIER AU 19 MARS 2016 SERGE BOUCHER RENÉ RICHARD CYR

MAUDE GUÉRIN ÉTIENNE PILON

TEXTE SERGE BOUCHER MISE EN SCÈNE RENÉ RICHARD CYR INTERPRÉTATION MAUDE GUÉRIN, ÉTIENNE PILON COLLABORATEURS MARIE-HÉLÈNE DUFORT, JEAN BARD, CYNTHIA SAINT-GELAIS, ERWANN BERNARD, ALAIN DAUPHINAIS, LOÏC LACROIX HOY

UNE CRÉATION DU

PARTENAIRES DE SAISON


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8 – 26 MARS 2016

TEXTE ET MISE EN SCÈNE FÉLIX-ANTOINE BOUTIN

ÉQUIPE ODILE GAMACHE, JULIE BASSE, ÉMILIE MARTEL, CHRISTOPHE LAMARCHELARUE, STÉPHANE LAFLEUR, MAXIME BOUCHARD, MARILOU CRAFT

SE ER NT L’ I À E OS LA IQU H A DE YS E C ET PH RD E CE SU TR AN AB HÉÂ M UN T OR DU ERF P

AVEC MARIE-LINE ARCHAMBAULT, FRANÇOIS BERNIER, LISE CASTONGUAY, JULIANE DESROSIERSLAVOIE, MARCEL POMERLO, SÉBASTIEN RENÉ

CT IO

16 AU 21 FÉVRIER

N iberville

DANS LE CADRES DE

Volume 8 Janvier 2016

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TOHU.CA 39


STARSHIT

2 016 . 0 4 . 0 5 / 2 016 . 0 4 . 2 3

PHOTO : ULYSSE DEL DRAGO GRAPHISTE : PIERRE DION-BISSON

TEXTE JONATHAN CARON & JULIE RENAULT MISE EN SCÈNE LUC BOURGEOIS AVEC KARINE BERTHELOT, JONATHAN CARON, MARTINE PYPE-RONDEAU & JULIE RENAULT CONSEILS DRAMATURGIQUES SIMON BOUDREAULT CONCEPTION HUBERT LEDUC-VILLENEUVE, NOÉMI PAQUETTE & HABIB ZEKRI ÉQUIPE DE PRODUCTION HÉLÈNE BACQUET, CAROLINE DAIGLE & ANDRÉE-ANNE GARNEAU PRODUCTION THÉÂTRE EN QUEC’PART & THÉÂTRE DU TANDEM


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les saMeDis 30 janvier et 6 février 2016


BMO Groupe financier s’associe au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui pour décerner ce prix annuel – doté d’une bourse de 10 000 $ – à un auteur dont la pièce est la plus acclamée par le public. Le Prix auteur dramatique a été créé pour encourager la création québécoise. Les feux de la rampe sont réorientés, les auteurs sont mis en lumière ! À la fin du spectacle, déposez le coupon de vote accolé à votre billet dans l’urne prévue à cet effet dans le hall du théâtre. Les auteurs en lice pour la saison 15/16 sont :

Christian Lapointe pour Sauvageau Sauvageau

Serge Boucher pour Après

Pascal Brullemans pour Ce que nous avons fait

Félix-Antoine Boutin pour Un animal (mort)

Louis-Dominique Lavigne et Loup bleu pour Guerre et paix

Jonathan Caron et Julie Renault pour Starshit

David Paquet pour Papiers mâchés

Guillaume Corbeil pour Unité modèle

Amélie Dallaire pour Queue cerise

Depuis plus de 20 ans, les Spectacles-bénéfice du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui réunissent la communauté d’affaires de Montréal d’une façon particulièrement originale : gens d’affaires, juges, médecins, avocats s’engagent corps et âme dans l’expérience du théâtre, avec ses exigences, ses angoisses parfois, mais surtout ses grands moments de bonheur. Année après année, ils défendent la mission du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, produire et diffuser la dramaturgie québécoise, en vivant tout le processus d’une création : apprentissage des textes, répétitions, essayages, marche dans le décor, entrée en salle, enchainements, générale, et… première! Ajoutons à cela qu’ils sont responsables de recueillir des fonds essentiels aux activités du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.

L’édition 2015 des Spectacles-bénéfice du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui aura lieu les 24, 25 et 26 mai. Soyez au rendez-vous !


UNITÉ MODÈLE

DU 12 AVRIL AU 7 MAI 2016 GUILLAUME CORBEIL SYLVAIN BÉLANGER

ANNE-ÉLISABETH BOSSÉ PATRICE ROBITAILLE

TEXTE GUILLAUME CORBEIL MISE EN SCÈNE SYLVAIN BÉLANGER INTERPRÉTATION ANNE-ÉLISABETH BOSSÉ, PATRICE ROBITAILLE COLLABORATEURS MAX-OTTO FAUTEUX, ELEN EWING, ALEXANDRE PILON-GUAY, LARSEN LUPIN

UNE CRÉATION DU

PARTENAIRES DE SAISON


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