3900 volume 7

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Le magazine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui Volume 7 | Août 2015

En une Christian Lapointe par Ulysse del Drago Les petits Nicolas Mavrikakis Témoignages Jean-Claude Germain Gilles Renaud Jean-Louis Millette Nicole Leblanc

La famille et les schizophrénies Dr. David Bloom Inspiration David Altmejd et Pierre Lapointe Classe de maitre Loup bleu

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Théâtre d’Aujourd’hui productions

Centre du 300

30 000 spectateurs

auteurs-

créateurs audacieux dramaturgie contemporaine

3900 : Rédacteur en chef Sylvain Bélanger Directeur de la publication Philippe U. Drago Comité éditorial Sylvain Bélanger, Philippe U. Drago, Émilie Fortin-Bélanger, Xavier Inchauspé et Marion Barbier Coordonnatrice Marion Barbier Conception graphique Maxime David — www.leseisme.com Correction Liz Fortin Impression Imprimerie Dumaine Contact info@3900.ca Relations de presse Karine Cousineau Communications — 514 382-4844 karine@karinecousineaucommunications.com Tiré à 20 000 exemplaires Le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui : Codirecteur général et directeur artistique Sylvain Bélanger Codirecteur général et directeur administratif Étienne Langlois Directrice de production Annie Lalande Directeur des communications et du marketing Philippe U. Drago Adjointe aux communications et responsable du développement des publics Émilie Fortin-Bélanger Gérant André Morissette Responsable de la comptabilité Gisèle Morneau Adjointe aux directions et réceptionniste Marion Barbier Conseillère à la direction artistique et artiste associée Alexia Bürger Adjointe à la direction artistique Alexandra Sutto Directeurs techniques Jérémi Guilbault-Asselin et Eric-William Quinn Responsable du service aux abonnés Luc Brien Entretien du bâtiment Alain Thériault le comité artistique : Alexia Bürger, Xavier Inchauspé et Olivier Kemeid Le conseil d’administration : Stella Leney, Miguel A. Baz, Gladys Caron, Jean Bard, Sylvain Bélanger, Gilles Coulombe, Olivier Kemeid, Nathalie Ladouceur, Étienne Langlois, Lucie Leclerc, Sylvie Léonard, Marie-Chantale Lortie et Roger Renaud.

PARTENAIRES DE LA SAISON 2015-2016 DU CENTRE DU THÉÂTRE D’AUJOURD’HUI

FOURNISSEURS OFFICIELS

PARTENAIRE DEPUIS 17 ANS

(1945) Inc.

Merci à nos grands partenaires des Spectacles-bénéfice Groupe Jean-Coutu, Bitumar, Lavery, de Billy, S.E.N.C.R.L. Avocats Le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui : 3900 rue Saint-Denis, Montréal (Québec) H2W 2M2 | Billetterie 514 282-3900 | theatredaujourdhui.qc.ca


Table des matières

SALLE PRINCIPALE

Le Québec inachevé Sylvain Bélanger

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Jouer au paratonnerre Sylvain Bélanger et Olivier Kemeid

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Les artistes en résidence Julie Langenegger Lachance

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Inspiration : Pierre Lapointe et David Altmejd

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SALLE JEAN-CLAUDE-GERMAIN

Témoignages Marie-Claude Verdier

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Les petits Nicolas Mavrikakis

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6 questions à Christian Lapointe

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Classe de maitre : DU 1 AU 5Tolstoï SEPTEMBRE 2015 Mon UNE IMMERSION DANS LA VILLE SOUS FORME DE ROAD-TRIP Loup Bleu LUDIQUE, PHILOSOPHIQUE

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CRÉATION MONDIALE

À découvert : Journal de création Pascal Brullemans

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La famille et les schizophrénies Dr David Bloom

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Dédicaces au public David Paquet

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ET INTERACTIF EN MINIBUS

Une création de Armel Roussel / [e]utopia3 En coproduction avec le Théâtre Les Tanneurs et le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et en partenariat avec le Festival des Francophonies en Limousin (Limoges), le Nest Théâtre – CDN de Thionville

SPECTACLE DÉAMBULATOIRE Conception Sarah Berthiaume, Gilles Poulin-Denis et Armel Roussel Direction artistique Armel Roussel Textes Collectif d’auteurs de la francophonie (Belgique, Canada, Comores, Congo, France et Suisse) Avec Seize interprètes

À qui la rue ? Xavier Inchauspé

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Table des matières

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Le Québec inachevé Sylvain Bélanger Rédacteur en chef du 3900 + Directeur artistique et codirecteur général du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui

Il y a quelques années, quand on parlait de la génération X, on parlait d’une génération sacrifiée. On se l’expliquait de façon simpliste : au lendemain d’une fête, on l’a négligée, car on dégrisait. On ne pouvait penser pour elle, car on était trop occupés à penser à notre désillusion, à notre retraite et à notre retranchement dans ce qu’on a appelé « le confort et l’indifférence ». La génération précédente avait pu rêver, la X qui la suivait allait devoir être réaliste et les prochaines, devront être carrément raisonnables. Génération sacrifiée donc, car la précédente laissait un projet qu’elle n’allait plus réellement avoir envie d’achever.

« J’ai passé près de 40 ans de ma vie à me faire dire que notre modèle québécois coûte trop cher. J’ai passé près de 40 ans de ma vie à devoir penser à des rêves « calculés » ou « stratégiques ». Je n’appartiens pas tout à fait à cette génération sacrifiée, mais le sentiment d’inachèvement, lui, reste entier. Mais de quoi est-il fait ce sentiment d’« inachèvement » dans lequel j’ai passé près de quarante ans de ma vie ? Est-ce réellement celui d’une solidarité perdue qui animait les années de l’Expo 67 ? « Les rêves éveillés » du Refus global ont-ils fait place « aux rêves réalistes » ? Certes, notre solidarité se cherche à l’heure actuelle, mais je ne suis pas nostalgique. Néanmoins, je réalise chaque jour que j’ai passé près de 40 ans de ma vie à me faire dire que notre modèle québécois coûte trop cher. J’ai passé près de 40 ans de ma vie à devoir penser à des rêves « calculés » ou « stratégiques ». Et j’ai comme cette impression de devoir toujours faire deux choses en même temps, tout le temps. Ça use, comme on dit.

***** On pourrait parler d’Yves Sauvageau comme d’une métaphore d’un Québec dit « inachevé ». On pourrait l’utiliser comme symbole : ce jeune et prolifique dramaturge, prometteur et talentueux qui s’est donné la mort à 24 ans, en pleine crise d’Octobre, à peine sorti de l’École nationale de théâtre. Mais il serait réducteur d’associer l’inachèvement qu’on entend dans ses mots au seul projet souverainiste et indépendantiste. Comme il serait malhonnête et réducteur de prêter à la vie et à la souffrance personnelle de Sauvageau des significations politiques alors que ce qui le consumait et l’a mené à son suicide lui appartient et doit lui appartenir, sans interprétation. Mais le symbole est trop tentant à saisir lorsqu’on le lit ou l’écoute.

En fait, ce sentiment d’inachèvement a beaucoup à voir avec un tiraillement que l’on semble toujours porter au Québec : celui d’une culture complexée par l’économie. Celui d’une culture qui doit sans cesse se justifier d’être un « vecteur de développement économique ». En 1960, à l’aube de la Révolution tranquille, c’est Georges-Émile Lapalme qui allait écrire l’article 1 du programme du Parti libéral. Que prévoyait-il ? La création du Ministère de la Culture. Comme article 1 ! Ça peut sembler improbable aujourd’hui, mais déjà à l’époque, Lapalme allait être méprisé par ses confrères. C’était une « bébelle », semble-t-il. « Laissez-nous nous occuper des affaires importantes, Monsieur Lapalme. » « Des vraies affaires », dirait-on aujourd’hui et qui sont pour moi le dogme de l’équilibre budgétaire, d’une économie de vendeurs et plus tard (aujourd’hui), d’un néoconservatisme juste assez répressif. Enfant de ce Québec inachevé, tiraillé et complexé, Sauvageau avait envie d’absolu et d’assouvissement des désirs individuels et collectifs. Et devant se contenter d’une tête froide pour un cœur trop chaud, la souffrance a peut-être décidé que ça n’en valait plus la peine. Trop mal au cœur. Irréconciliable.

***** Les grandes cassures de l’Histoire ne déterminent pas tant l’instant présent. Elles annoncent aussi les décennies à venir. Sauvageau est issu de l’une de ces cassures importantes dans l’histoire du Québec. Le faire entendre aujourd’hui, c’est vous inviter à mesurer notre vie collective sur la ligne du temps, celle que nous déterminons par nos choix et actions. Mais quel message recevoir de ceux qui ont décidé de ne pas continuer ? Peut-être aucun. Mais programmer Sauvageau, le faire entendre, c’est pour moi refuser sa mort. Refuser la fin de ce souffle puissant que j’entends dans ses mots. Refuser d’oublier ses paroles, car ses paroles doivent nous survivre. Le « vous n’assisterez jamais au spectacle de ma combustion » d’Annick Lefebvre dans J’accuse est en quelque sorte un geste de solidarité envers les poètes comme Yves Sauvageau. La filiation, la transmission, la solidarité, les réponses d’une génération à une autre doivent se faire entendre dans des théâtres. Mon plus grand rêve n’a jamais été « artistique ». Ce n’est pas une « bébelle » devenue pelletée de nuages ou un quelconque milkshake gauchiste irréaliste et non lucide ! Mon plus grand rêve est de participer de mon vivant à une volonté politique qui nommera de quel inachèvement je suis fait, et qui nous permettra ensuite de paver la voie à une suite scénarisée avec goût. Et ça, il me semble que c’est réalisable, non ?

Un projet nommé, entendu, enclenché, mais qui n’a pas connu son épanouissement complet, qui a été abandonné, inspire à lui seul un propos sur l’inachèvement. Il en a été ainsi de l’œuvre prometteuse de Sauvageau et de ce souffle poétique puissant, mais obsédé par la mort. Comme il en est de ce parcours d’un Québec collectif devenu polarisé et répressif.

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Le magazine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui


Jouer au paratonnerre Un entretien d’Olivier Kemeid avec Sylvain Bélanger

Au terme de sa seconde saison à la barre du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (CTD’A), le temps était venu pour son directeur artistique de faire le point sur ces deux saisons passées, de revenir sur la vision qui l’anime et de ce à quoi il aspire. Olivier Kemeid, qui accompagne Sylvain Bélanger à titre de conseiller artistique depuis qu’il est en poste et qui a lui-même dirigé l’Espace Libre, s’est donc entretenu avec lui. Olivier : Tu es maintenant à la barre du CTD’A depuis 2 ans. Parlons un peu de ton projet d’ensemble. Est-ce qu’il a évolué ? As-tu dû changer de cap depuis que tu es arrivé au théâtre ? Sylvain : Au contraire, il est seulement plus clair, plus affirmé encore. Le point de départ était de ramener le mot « Centre » dans Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Il était là à l’origine. Mais comme me disait Jean-Claude Germain, on avait choisi à l’époque de l’enlever. Ça faisait trop « centre communautaire », trop « théâtre amateur ». Olivier : Il faut dire qu’à l’origine, Jean-Claude Germain a dû se battre contre une foule de préjugés. On se moquait de lui parce qu’il voulait faire du théâtre québécois. Pour les gens, ça ne voulait rien dire. Il n’y avait que du théâtre canadien-français. Sylvain : Exactement. Mais les temps ont changé, j’ai effectué un voyage en Europe l’automne dernier, j’ai visité les Centres dramatiques nationaux (CDN) en France et cela a confirmé cette idée. En discutant avec mes homologues français, je me suis reconnu dans la manière dont ils articulaient leurs projets artistiques, dont ils mettaient leurs artistes en résidence de l’avant. Et c’est cela qu’il faut viser. J’ai envie de continuer à travailler comme un artiste, pas comme un programmateur. Et toute l’équipe ici est prête à assumer ce que l’on souhaite être : un centre dramatique national. Je pense que le discours cultureléconomique que nous, les artistes, essayons de développer avec la société a besoin de symboles forts. Il faut que le CTD’A, par exemple, puisse affirmer sa valeur publique. Ce qui implique bien entendu d’assumer une responsabilité sociale. Olivier : Tu as déjà commencé à en parler autour de toi et tu en as sûrement discuté avec les subventionnaires. Quelles sont les réactions ? Sens-tu une écoute ?

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Sylvain : Je sens parfois un certain paternalisme du genre : « Ha! le grand rêveur ! ». Mais justement… justement ! J’entends beaucoup de « c’est très bien, mais tu sais, avec les moyens qu’on a… » d’un discours que je n’ai plus envie d’écouter, alourdi par les réalités économiques. À nous de les changer ces réalités ! À nous de repenser nos lieux culturels, de redéfinir nos mandats artistiques. Sinon la réalité ne changera jamais. Olivier : Sans être un changement de cap radical, il me semble quand même que tu essaies de pousser le CTD’A dans une nouvelle direction, non ? Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Sylvain : On essaie simplement d’agir comme si on était déjà un centre dramatique national. C’est pour ça qu’il est si important pour moi qu’aient lieu ici des évènements comme Dramaturgies en dialogue du CEAD ou la soirée 26 lettres : abécédaire des mots en perte de sens organisée par Olivier Choinière dans le cadre du Festival Jamais Lu. Chaque année nous organisons des salons dramaturgiques qui rassemblent différents auteurs afin de favoriser les échanges, de jouer un rôle d’incubateur. Je suis seulement le directeur artistique du CTD’A : il est à tous ceux qui viennent créer des œuvres ici et que l’on essaie d’accompagner de notre mieux. Le CTD’A est à Alexia Bürger, notre artiste associée. Il est à Félix-Antoine Boutin, à David Paquet, à Michel-Maxime Legault, nos artistes en résidence à la salle Jean-Claude-Germain. On ne peut pas être un centre sans que tous participent à la vitalité de l’endroit. Olivier : L’auteur québécois est donc toujours au cœur du théâtre, ça ne change pas. Sylvain : Oui, mais les manières d’écrire changent. Par exemple, les écritures collectives reviennent en force. On voit aussi de plus en plus d’auteurs se mettre en scène. L’auteur me semble moins isolé qu’avant. La saison dernière dans la grande salle, à l’exception d’Annick Lefebvre, tous les auteurs ont fait la mise en scène : Mani Soleymanlou, Sébastien Dodge, Wajdi Mouawad, Olivier Choinière. Il y a dix ans, j’étais contre ça : l’auteur-metteur en scène. Mais il me faut bien reconnaître cette envie qu’ont plusieurs auteurs de signer leur création ou même de se mettre en scène. Je n’ai plus peur de ça aujourd’hui. Je veux permettre à l’auteur de travailler différemment. En le faisant travailler conjointement avec d’autres auteurs, des concepteurs, des conseillers dramaturgiques s’il le désire. En lui permettant de tenir une autre place dans le « système » que celle qu’on lui donnait traditionnellement. Il y a aussi une plus grande pluralité de styles dramaturgiques : des écritures très scéniques, d’autres plus poétiques, certaines qui relèvent presque du « stand up ». Et il nous faut prendre acte de cela et suivre ce mouvement. La salle Jean-Claude-Germain est d’ailleurs là pour cela, ça reste et restera une salle pour expérimenter.

***** Olivier : On en avait parlé ensemble à ton arrivée de la question du répertoire théâtral québécois. Pour moi, c’est quelque chose d’important. Aujourd’hui, on est beaucoup dans l’inédit, la nouveauté, le dernier texte. On monte très peu de répertoire. Est-ce qu’il y a une place pour ça ici ? Et quand je dis « répertoire », ça peut être des pièces très récentes qui ont seulement dix ans par exemple. Sylvain : Ça reste une préoccupation. En même temps, je pense qu’au début c’était normal que je débarque un peu avec ma génération. Il ne fallait pas avoir peur de ça. Pour la suite, oui, j’espère que le répertoire saura trouver sa place ici. L’idée étant bien sûr que si l’on monte du répertoire, il faut que ça soit de l’inédit, une

Jouer au paratonnerre Sylvain Bélanger et Olivier Kemeid

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recréation, pas une répétition ou une reprise. Avec Sauvageau Sauvageau qui ouvre la saison, on est dans l’inédit, la nouveauté. L’œuvre d’Yves Sauvageau est très peu connue et sera de toute façon passée à la moulinette de Christian Lapointe. Il n’y a pas de comparatif possible ici entre l’original et la reprise. D’ailleurs, j’essaie de faire en sorte que les spectacles qui ouvrent les saisons soient de grands rendez-vous. Il y avait Trois de Mani Soleymanlou la saison passée, il y a Sauvageau Sauvageau cette saison; des rendez-vous avec nous-mêmes, des miroirs d’un Québec en changement qui nous sont tendus.

« J’essaie d’être un paratonnerre qui, d’un côté, tient son édifice et déploie une ligne directrice et, d’un autre côté, reste alerte et attrape ce qui passe. » Olivier : Tu reçois beaucoup de projets, qu’est-ce qui fait que tu accroches à tel projet ou tel autre ? Sylvain : C’est un processus en mouvement perpétuel. Mais il est évident qu’il y a des problématiques qui m’interpellent plus particulièrement et j’essaie de développer certains chantiers de création et de réflexion sur la durée. La gentrification, l’exclusion sociale, la dynamique du bouc émissaire, la peur de l’autre, la détresse de la classe moyenne sont pour moi des jalons importants pour parler du Québec d’aujourd’hui. Je n’essaie pas d’enfermer les saisons dans des « thèmes », mais plutôt d’ouvrir des chantiers que l’on creuse sur plusieurs saisons.

Theatre (les théâtres nationaux allemands) qui accueillent un représentant de la ville, un représentant des professeurs et un représentant des citoyens dans leur conseil d’administration ? Sylvain : C’est cohérent. L’équipe au guichet ici prend tous les soirs le pouls du public, pourquoi nos administrateurs n’auraient-ils pas ce retour des spectateurs ? Olivier : Bien sûr, il faut sur les conseils d’administration de grands argentiers pour les comités de financement, mais pourquoi n’y aurait-il pas aussi une fidèle abonnée ou un professeur qui changeraient chaque année ? Sylvain : C’est sûr qu’on se le ferait reprocher par certains. Mais je ne vois pas ça comme du clientélisme. On n’est pas des « vendus » si on accueille un professeur ou un représentant des pouvoirs publics. Il n’y a pas de « conflit d’intérêts ». Au contraire, on a tous intérêt à ce qu’il y ait un dialogue constant, à ce que notre mission soit claire et cohérente. Olivier : Et ce dialogue constant ne veut pas pour autant dire qu’il faille faire des compromis artistiques. Sylvain : Au contraire même, la job d’un directeur artistique, c’est de rapprocher l’artiste du public. Pour moi, c’est donc de faire en sorte que l’on vienne au CTD’A pour prendre le pouls du Québec. Si on veut être une institution publique, une référence nationale, en quelque sorte, il faut que l’on puisse fournir des repères sociaux et artistiques. C’est la grâce que je nous souhaite au CTD’A. Et tout le monde ici, l’équipe et les artistes travaillent dans cette direction-là.

Cependant, être intéressé à certaines problématiques ne veut pas dire que je rejette certaines écritures ou certains projets. Entre Jennifer Tremblay (Le carrousel) et Annick Lefebvre (J’accuse), il y a un monde, mais elles partagent une même préoccupation : ce qui anime le Québec aujourd’hui. Faire une saison, ce n’est pas une recette. Il ne faut pas y aller avec une saveur unique ou très définie. Mais il nous faut bien essayer de voir ce qui est dans « l’air du temps ». Olivier : Et j’imagine que ça va dans les deux sens. Parfois c’est un élément déclencheur pour les auteurs d’annoncer les chantiers qui t’intéressent plus que d’autres et parfois, le projet d’écriture est assez avancé et, toi, tu y décèles une problématique qui t’est chère. Sylvain : Tout à fait. J’essaie d’être un paratonnerre qui, d’un côté, tient son édifice et déploie une ligne directrice et, d’un autre côté, reste alerte et attrape ce qui passe. Le chantier du bouc émissaire par exemple, je n’y avais pas pensé moi-même avant de recevoir trois textes forts qui traitaient de notre impuissance collective et de notre besoin d’identifier les responsables de tous nos maux. Ce n’est pas un hasard si les trois pièces ont été écrites en 2012 sur fond de musique de casseroles. Ça donne trois spectacles très différents, produits sur trois saisons, mais qui font un état des lieux similaire et traitent d’une même dynamique sociale : Ennemi public d’Olivier Choinière la saison dernière, cette saison Après de Serge Boucher et un autre que j’ai très hâte de pouvoir dévoiler pour la saison suivante.

***** Olivier : On parlait tout à l’heure des Centres dramatiques nationaux, ça m’y fait penser : connais-tu le principe des Staat

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Le magazine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui


Félix-Antoine Boutin par Sophie Cadieux Grand créateur dans un petit contenant. F.A.B est un hybride entre un chaton et un tableau Excel. Un esprit libre et instinctif. Svelte avec un cœur en laine qu’il a lui-même tricoté, Il tord la matière, les mots et les corps pour en extraire la beauté. Il fait dans le doux duveteux et la pop émotive. Il façonne ses spectacles comme un geôlier qui garde précieusement des fantômes qui lui font peur.

Le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui offre des résidences de deux ans à la salle Jean-Claude-Germain à des artistes qui souhaitent explorer de nouvelles avenues de création et affirmer leur démarche. Avec notre soutien artistique, logistisque et financier, ces résidences sont souvent déterminantes dans leur parcours, leur assurent un lieu de diffusion pour deux ans et permettent aux artistes de se consacrer pleinement à leur art. Deux nouveaux résidents font cette année leur entrée dans nos murs : David Paquet, auteur reconnu qui livrera sa poésie sur scène et Michel-Maxime Legault, comédien et metteur en scène qui partagera une expérience intime et personnelle. Félix-Antoine Boutin entamera quant à lui sa seconde année de résidence en interrogeant les mythes fondateurs de notre société. Nous avons demandé à Sophie Cadieux, Sylvie Drapeau et Annick Lefebvre, artistes proches du CTD’A, de vous les présenter pour vous faire découvrir les individus qui se cachent derrière ces artistes.

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En résidence Julie Langenegger Lachance

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David Paquet par Annick Lefebvre À la minute où j’ai rencontré David Paquet, j’en suis tombée amoureuse... Si bien que pour vous le présenter brièvement, il m’aurait fallu censurer trop de choses. Or, je me suis dit que David ne m’en tiendrait pas rigueur si je le présentais en amalgamant des mots bizarres en son honneur. Des mots étranges qui, je l’espère, seront évocateurs de l’artiste complexe et magnifique qu’il est. Fluorescent, isotherme, magnanime. Funambule, explosif, artifices. Sauce à spag, pot au feu, dramaturgie. (ou tout autre mot qui mijote longtemps) Aller-retour, capharnaüm, bordel ambulant. Femme à barbe, ambition, mélancolie. Peau d’ours, Magik Ball, Lube Fountain. (ou tout ce qui sert à faire l’amour wild) Iconoclaste, intérieur, (in)humain. Low tech, zoologique, holy bitch. Carnaval, confettis, tiramisu. (ou tout ce qui s’immisce dans tes tripes) A«spleen»ger, récréation, performatif. Musical, extraterrestre, bouleversant. Rendez-vous, étincelle, onde de choc. (ou tout ce qui, lorsqu’imprévu, devient grandiose) Bal masqué, drinks qui fument, films d’horreur. Mal aimés, cavalcade, rigolade. Universel, versatile, millionnaire. (ou tout ce qu’il te plairait de devenir) Des mots qui fusent, qui infusent, qui pétaradent. Des mots qui paradent, qui déparlent, qui démasquent. Des mots qui vivent, qui exultent, qui te scient d’inconfort et de joie. (ou tout ce que David Paquet te fera vivre au CTD’A)

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Michel-Maxime Legault par Sylvie Drapeau Permettez-moi de vous présenter un bel artiste. Son nom est Michel-Maxime Legault. Dans « bel artiste », il y a pianiste, comédien et metteur en scène. Pour le moment. Avec ses formations de pianiste à l’École de musique Vincent-d’Indy et d’acteur au Conservatoire d’art dramatique de Québec, il désire jouer, pour comprendre les acteurs, pour mieux les diriger. Il cherche ainsi à élargir sa compassion. Metteur en scène engagé, très tôt il fonde sa compagnie, le Théâtre de la Marée Haute, pour créer entre autres spectacles : Kvetch, Rhapsodie-Béton,Top Dogs, Kick et le labo de Parfois, la nuit, je ris tout seul. Il est explorateur du métier et choisit de travailler avec des créateurs aux multiples dons. Il cherche la rencontre humaine avant le discours artistique. Le voici en résidence en tant que metteur en scène au CTD’A, et cela pour deux ans. Son but : se compromettre, se mettre en avant, s’impliquer personnellement. Pour ce faire, avec Pascal Brullemans, son complice de Moi et l’autre aux Écuries l’an dernier, il plongera d’abord dans l’univers de sa vraie sœur schizophrène. Puis avec Jean-Philippe Lehoux, auteur de Comment je suis devenue touriste qu’il a mis en scène à la Licorne en 2013, il donnera la parole à une grand-maman qui désire coloniser la planète Mars. Ce qui l’interpelle : la force d’être faible, l’intelligence au service de l’humanité assumée dans toute sa vulnérabilité. Il se mouille le mieux avec ceux qui se mouillent, dans la patience des dévoilements réciproques. C’est un honneur pour moi de travailler avec lui. Un bonheur.

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En résidence Julie Langenegger Lachance

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Journal de créatioN Pascal Brullemans Auteur de Ce que nous avons fait

En débarquant du train géré par l’administration communale, je me suis retrouvé à l’ombre des montagnes, hagard et désorienté, après une nuit d’avion mouvementée. À plusieurs reprises, je dus demander mon chemin aux passants : « Pardon, sauriez-vous où se trouve l’hôpital psychiatrique ? » Chaque fois, on me jetait un regard oblique avant de me répondre poliment : « Vous prenez la côte et vous montez. » Les Suisses sont des gens affables, mais pragmatiques. Peu importe où vous allez, ils vous diront toujours soit de descendre, soit de monter. Le site de l’hôpital psychiatrique de Malévoz impressionne un visiteur qui s’y aventure pour la première fois. Fondé il y a plus d’un siècle, l’asile avait été conçu comme un village à flanc de montagne, avec ses pavillons, son église et sa ferme. Au fil du temps, l’établissement fut converti en centre de transition pouvant accueillir chaque année plus de deux mille patients. Une grande partie des bâtiments fut réaménagée pour héberger le personnel soignant. Le reste fut transformé en résidence d’artistes. Je tiens à préciser que je fais partie de cette troisième catégorie de pensionnaires, puisque je suis venu en Suisse pour travailler sur un texte abordant le thème de la maladie mentale. Remontant l’allée principale en traînant ma valise, je croise un jeune homme au regard fuyant. Impossible d’identifier s’il s’agit d’un membre du personnel, d’un malade ou d’un artiste. Je le salue sans obtenir de réponse en retour. C’est sans doute l’accent. La mythologie qui stigmatise l’hôpital psychiatrique est extrêmement puissante. Lorsqu’on arrive à Malévoz, on ressent malgré soi une étrange impression qui semble décuplée par la présence des montagnes. Cela dit, une fois que l’on a pris ses marques, c’est un endroit charmant pour écrire, si on accepte qu’une personne puisse crier à quatre heures du matin « je vais te buter, toi, et toutes les autres femmes ! » Mais comme je vis dans Hochelaga depuis dix ans, ça va, j’ai l’habitude. Quelques jours après mon arrivée, j’ai repéré un sentier qui longeait la résidence et remontait vers la montagne. En observant le sommet enneigé, je fus séduit par l’idée de contempler le paysage de là-haut. J’ai donc enfilé mes bottes pour entreprendre l’ascension. L’écriture m’a souvent entraîné sur des chemins imprévisibles. Évidemment, toutes les routes ont un point d’origine. Une sorte de déclencheur qui nous oblige à sortir de notre quotidien pour arpenter le territoire de la fiction. C’est ce que j’appelle le point de bascule. Ce moment où mes pensées quittent la réalité pour se déployer dans un espace vide et inconnu. Cette fois-ci, le point de bascule a été une conversation avec un ami qui venait de laisser sa fille dans les bras des infirmiers de l’aile psychiatrique et qui m’avait confié : « Quand je suis sorti de là, j’étais exténué. Je me suis appuyé contre la voiture. Je ne savais plus si j’étais dévasté

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ou simplement soulagé, alors je riais et je pleurais, en même temps… et j’ai pensé que c’était moi qu’on aurait dû enfermer.» Ces mots tournaient en boucle, pendant que j’avançais dans le sentier, habité progressivement par l’idée que la maladie mentale était peut-être transmissible, non pas par un contact physique, mais par l’amour que nous partageons. Cette pensée faisait écho aux paroles d’un médecin de Malévoz qui m’avait expliqué le fonctionnement de l’hôpital : « Lorsque les parents viennent conduire un patient, c’est souvent parce qu’ils ont épuisé toutes leurs ressources. Quand on les reçoit, on sent chez eux une telle agressivité, mélangée avec une détresse si profonde, qu’on a souvent envie de traiter toute la famille ! »

« Ces mots tournaient en boucle, pendant que j’avançais dans le sentier, habité progressivement par l’idée que la maladie mentale était peut-être transmissible, non pas par un contact physique, mais par l’amour que nous partageons. » Au bout d’une heure de marche, j’atteignis les premières neiges. Je dus m’appuyer contre un arbre pour reprendre mon souffle, transpirant à grosses gouttes dans le sentier qui montait en pente raide. Mon envie d’atteindre le sommet semblait exponentielle, malgré mes jambes qui refusaient d’avancer. C’était à se demander si mon désir n’était pas exacerbé par ma défaillance. Refusant d’abdiquer, je repris l’ascension de peine et de misère. Que faire lorsque la maladie entre dans nos vies ? Comment peut-on gérer l’ingérable ? Existe-t-il une façon de ne pas se sentir atteint, de reste en distance malgré l’amour qui nous unit à cette souffrance, qu’elle soit celle d’un parent, d’un ami, d’un amant ou de notre enfant ? Doit-on apprendre à « désaimer » avant d’être soi-même contaminé ? Obnubilé par cette pensée, je m’enfonçai dans la neige, refusant d’écouter les signaux de mon corps, jusqu’à ce que la fatigue me fasse trébucher. Mon pied buta sur une pierre. Je perdis l’équilibre. Dévalant la pente, paniqué, la main cherchant un appui, j’attrapai une branche, à peine quelques mètres devant l’extrémité de la falaise. Reprenant mon souffle, je mesurai l’absurdité de la situation. Prendre un tel risque au nom de quoi ? Le corps tremblant, les yeux dans le vide, je me suis assis au bord du gouffre. Finalement, je n’étais peut-être pas venu jusqu’ici pour écrire sur la maladie, mais pour mesurer mes propres limites. Écrire pour accepter mon incapacité, me désengager de la souffrance de ceux que j’aime. Écrire pour essayer de faire la paix avec ma lâcheté. Et sans savoir pourquoi, je me suis mis à rire et à pleurer tout seul, perdu dans la montagne.

CE QUE NOUS AVONS FAIT Salle Jean-Claude-Germain 29 septembre au 17 octobre 2015

Le magazine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui


Volume 7 Ao没t 2015

Dossier Sauvageau Sauvageau

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« Yves était un être touchant, fragile et extrêmement intelligent. Il avait une très grande intelligence du coeur. C’était un acteur lumineux. » Nicole Leblanc

Propos recueillis par Marie-Claude Verdier

« Je l’ai dirigé dans plusieurs spectacles durant ses études à l’École nationale et ensuite dans la troupe des jeunes comédiens du TNM. Pour Un chapeau de paille d’Italie de Labiche, j’avais noté : « discipliné, travaille magnifiquement bien, sens du rythme, de la mesure, souplesse, aisance, imagination. » J’adorais Sauvageau. Je revenais à la maison totalement emballé par le travail d’Yves comme comédien. » Gaétan Labrèche

Entrevue avec Raymond-Louis Laquerre

L’ÉTONNANT MONSIEUR LAQUERRE, GARDIEN DU TRÉSOR Au cours de son travail créateur, l’équipe de Sauvageau Sauvageau a bénéficié des recherches effectuées il y a un peu plus de trente-cinq ans par un homme étonnant, Raymond-Louis Laquerre, dont la diversité des intérêts et des accomplissements nous laisse étourdis. Il y a d’abord l’homme en veston cravate qui, depuis 1989, est le PDG et principal formateur du Centre de lecture rapide CLR. Et il y a l’homme en maillot de compétition connu dans les milieux de la natation que l’on surnomme « l’Homme dauphin ». Non seulement la Société Royale de sauvetage du Canada lui a décerné son diplôme de plus haut niveau – il en a longtemps été le seul détenteur –, mais il a aussi développé vingt-quatre nages de survie, soit des nages qui permettent de parcourir de longues distances sans fatiguer le corps. Mais, surtout, il est celui qui a le plus étudié la vie et l’œuvre de Sauvageau dans un volumineux mémoire de maitrise qu’il a rédigé sous la direction de Laurent Mailhot et déposé à l’Université de Montréal en 1980. Intitulé Activités théâtrales en Estrie et à Montréal à travers Yves Hébert Sauvageau, comédien et écrivain, ce mémoire de 745 pages (!) catalogue et classifie toutes les informations disponibles sur l’auteur – des relevés scolaires à la correspondance personnelle en passant par les coupures de presse –, dont 67 entretiens réalisés par Laquerre lui-même avec ses proches et les artistes qui l’ont connu et qui ont travaillé avec lui. Pour Sauvageau Sauvageau, Raymond-Louis Laquerre, pour la première fois, a accepté de partager ces précieux documents et son immense savoir.

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Sauvageau, c’est d’abord Yves Hébert qui nait le 17 mai 1946 à Waterloo. Très jeune, le théâtre l’attire et il fonde la troupe La lanterne. En 1965, à 21 ans, il remporte le premier et le troisième prix du concours des jeunes auteurs de Radio-Canada. Il fait ensuite son entrée à l’École nationale de théâtre du Canada en interprétation où il sera dirigé notamment par Jean-Pierre Ronfard et Gaétan Labrèche. Son talent de comédien est remarqué, particulièrement lors d’un exercice public de Génousie de René de Obaldia. C’est à cette époque qu’il amorce l’écriture de la pièce qui allait devenir une œuvre culte : Wouf Wouf. En mars 1969, le Centre des auteurs dramatiques décide d’en produire une lecture publique à la bibliothèque Saint-Sulpice devant une salle archicomble et dithyrambique. Malgré ce succès important Sauvageau éprouve des difficultés à faire produire la pièce dont l’imposante distribution semble effrayer les théâtres. Wouf Wouf a tout de même donné lieu à de nombreuses lectures, dont un évènement fameux dirigé par André Montmorency pour la Nouvelle Compagnie Théâtrale à minuit en 1974, et plusieurs productions réalisées dans le cadre d’exercices universitaires. Étoile filante dans le paysage théâtral québécois, Sauvageau enchaine rapidement les projets. Sa sensibilité et sa vivacité d’esprit en font un partenaire de jeu apprécié. Il fait partie de la tournée des jeunes comédiens du Théâtre du Nouveau Monde à travers le Canada et joue avec la troupe du Théâtre du Même Nom où il se fait remarquer dans le rôle du Chevalier d’Argent dans le spectacle Si Aurore m’était contée deux fois, au printemps 1969. Il écrit aussi de la poésie et, avec le groupe de l’Institut du Royaume, participe à la Nuit de la poésie en mars 1970. Il continue d’écrire et parle même de créer un opéra en joual De Jésus la Pop Ublique vie qui relaterait la vie du Christ à travers l’histoire de l’alcoolisme au Québec, en collaboration avec le compositeur Claude Vivier. Mais cet artiste aux multiples talents est aussi un jeune homme fragile que la vie essouffle par ses excès. Sa quête d’absolu artistique et de spiritualité se heurte au refus de certains de ses projets, à ses difficultés financières aiguës et à l’échec critique du spectacle Rodéo et Juliette auquel il participe. Sa santé décline et le décès de sa mère en juillet 1970 le plonge dans une profonde dépression. Son cas est si désespéré qu’on doit le remplacer pour la tournée de Si Aurore m’était contée deux fois en Ontario. En pleine crise d’Octobre, il retourne en Estrie et met fin à ses jours le lundi 12 octobre 1970, à tout juste 24 ans. Volume 7 Août 2015

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Yves à la pêche en Estrie Dernière photo d’Yves Sauvageau – 10 octobre 1970

Yves Hébert – Photo de casting – 1964 Photo : Marcel Côté photographe, Warerloo

« Il y a quelques années, je rencontrais Yves Sauvageau; un peu avant sa mort, il me disait que je devais fonder un monastère d’artistes où ceux-ci pourraient enfin s’exprimer ouvertement, où leur création pourrait enfin trouver un sol favorable. Quelque temps après, le pauvre mourait... Plusieurs sont morts avant et après, et c’est un peu pour eux que je parle. Nelligan, Saint-Denys Garneau, (Jean) Saint-Denis, Gauvreau, André Mathieu et les autres qui nous sont moins connus, mais non pas moins importants. Il me semble qu’au Québec on meurt facilement, et c’est dans une « sensibilité » toute québécoise (adolescente) qu’il faut chercher la solution. Sensibilité extrême qui, hélas, à cause d’un environnement pseudomâle, ne peut bien souvent que souffrir. » Claude Vivier

Texte paru dans Sortir, Éditions de l’Aurore, Montréal, 1978, Introspection d’un compositeur.

« Il y a des choses que Sauvageau ne voulait pas savoir. Que la vie est bête. Que les gens sont médiocres. Que les villes sont laides. Que le théâtre reste la plupart du temps un jeu de société. Quand il est mort, ces choses-là, il ne les savait pas. Il ne les a jamais sues. C’est sans doute pourquoi elles s’étaient, depuis longtemps, retournées contre lui. Son nom, son oeuvre, sa carrière, son visage, sa vie : tout ça pour lui n’avait aucune importance. Tout ça lui semblait transitoire. Tout ça n’était rien face à l’absolu auquel il désirait se confondre absolument. Instinctivement, il avait choisi la voie des mystiques. Tous les jours, Sauvageau aurait voulu se dépouiller un peu plus du vieil homme. Il avait choisi la voie abrupte. Celle où on joue le tout pour le tout. Celle où on ne revient jamais en arrière. Profondément spirituel dans un monde profane, pornographe et obscène, Sauvageau n’en était que plus vulnérable. Totalement absorbé dans son combat avec lui-même, il ne savait pas se défendre. Il ne savait pas économiser ses forces ou son talent. Il ne savait pas et ne voulait pas. Dans un pays comme le nôtre, son combat était désespéré. Tout l’attirait vers le bas. Et ça, Sauvageau ne l’a jamais accepté. Depuis longtemps, je crois, il avait fait son choix. Il avait décidé de ne jamais joindre les rangs de ceux qui survivent à leur idéal. Ceux qui l’ont vu jouer se rappelleront sa présence magnétique en scène. Ceux qui ont assisté à la lecture publique de Wouf Wouf se rappelleront son inépuisable imagination. Ceux qui l’ont connu de près se rappelleront surtout son désespoir. Ce qui ne veut pas dire qu’il était triste. Bien au contraire. Sauvageau possédait cette qualité rare entre toutes, le don d’émerveillement. Son désespoir était trop profond pour se montrer au grand jour, il se contentait d’apparaitre en filigrane. Sauvageau n’est pas un homme qu’on raconte en anecdotes. Il accordait d’ailleurs très peu d’importance à la réalité quotidienne. C’était un homme de désir qui, à force de volonté, était devenu une sorte de pèlerin chérubinique. Un doux poète qui avait la force de refuser et de se refuser tout compromis. Au milieu de nous, il était comme noir de lumière. » Jean-Claude Germain

Texte de L’envers du décor, TNM, 1970 et L’Illettré, 1970, Sauvageau, poète et comédien.

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« J’avais beaucoup d’admiration pour lui. Lorsque nous étions dans les Enfants de Chénier et le Théâtre du Même Nom ensemble, il écrivait et il jouait. J’étais en amour avec ses textes. J’étais ravi de le voir travailler, c’était un acteur extraordinaire, un partenaire de jeu incroyable. Je crois profondément que, s’il avait vécu, il serait devenu un auteur majeur. C’était un iconoclaste, un artiste en avant de son temps. Pour moi, il était un des futurs piliers du théâtre. J’ai été très emballé à ma première lecture de sa pièce Wouf Wouf. Je suis tombé par terre, c’était un grand texte. Ça a été un évènement important lors de sa lecture en 1969 et de sa présentation à minuit en 1974. C’est un de mes plus grands souvenirs de théâtre. C’est triste que cette pièce soit devenue une pièce culte marginale que l’on joue peu. » Gilles Renaud

Propos recueillis par Marie-Claude Verdier

Si Aurore m’était contée deux fois – Texte et mise en scène Jean-Claude Germain – Juin 1970 Photo : Daniel Kiefer

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Les petits Nicolas Mavrikakis Professeur, critique d’art au journal Le Devoir et commissaire indépendant

Yves Sauvageau revient au théâtre ! Soit, 45 ans après sa mort. Cet auteur de théâtre et de poésie reste encore aujourd’hui largement inconnu du grand public. Il laisse pourtant derrière lui une œuvre trop brève mais forte et originale qui n’a rien perdu de son actualité. Sans le travail de collecte et d’archivage de Raymond-Louis Laquerre, des pans de son œuvre auraient pu tomber dans l’oubli. Sans l’envie de Christian Lapointe de se réapproprier son legs artistique, 45 autres années auraient pu passer avant qu’on ne le redécouvre. Ce contexte peu banal nous entraîne alors vers ce vaste champ de réflexion du rapport que l’art et l’histoire entretiennent. Et c’est cette question que nous avons posé à Nicolas Mavrikakis. Car enfin, qu’est-ce qui sépare l’œuvre oubliée, de l’œuvre immortalisée ? Aurait-on la mémoire artistique trop courte ? Longtemps, l’art fut utilisé pour représenter de « grands » sujets : batailles gagnées et célébrées par la Nation, scènes religieuses tirées de la Bible, portraits de rois… Au 18e siècle, en particulier dans sa seconde moitié, tout se veut grand. On rêve alors d'une peinture d'histoire, pour laquelle on utilise de grands formats de tableaux; peinture d'histoire qui, espère-t-on, pourrait encore porter, à juste titre, les noms de « grande peinture », de « grand style », de « grande manière » ou de « grand goût ». Dans ses écrits, La Font de Saint-Yenne, premier critique d'art, veut ramener les peintres de son époque parfois frivole (c’est la fin de l’art rococo et de ses mièvreries) vers cette peinture d'histoire, car « de tous les genres de la peinture, le plus grand, le plus noble, enfin le premier sans difficulté, c'est celui de l'histoire ». Ce regain d’intérêt pour la peinture d’histoire à cette époque donnera par la suite naissance à des œuvres de propagande comme Le sacre de Napoléon (1) de Jacques-Louis David, peintre officiel de l’Empire, tableau achevé en 1807 et mesurant la petite taille de 6,21 m de hauteur sur 9,79 m de longueur...

L’irreprésentable de la réalité sociale des petites gens Et puis, au milieu du 19e siècle, Gustave Courbet réalisa un autre type de peinture (2). Cet artiste engagé décida de représenter les ouvriers, les paysans, les provinciaux, les petits artisans, les prostituées, mais aussi les actions simples de la vie quotidienne… Des sujets qui pour la classe dirigeante étaient vus comme médiocres pour ne pas dire vulgaires et tout simplement irreprésentables. Afin d’enfoncer encore plus le clou, Courbet a utilisé de grands formats de tableaux alors réservés aux sujets nobles. Ce faisant, il s’attaquait à la hiérarchie des genres picturaux (qui date au moins du 17e siècle), imposée

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par l’Académie royale de peinture et de sculpture, entre autres, énoncée par l’architecte et historien de l’art André Félibien. Celui-ci expliquait comment la nature morte devait être peinte dans un plus petit tableau que le paysage, qui, lui-même devait être représenté dans un format inférieur à la peinture de genre (qui montrait la vie quotidienne), qui, quant à elle, devait s’incliner devant le portrait du noble ou du roi… Pour Félibien, il n’était pas seulement question de la dignité de l’œuvre produite, mais aussi du respect accordé à l’artiste qui la réalisait : Celui qui fait parfaitement des paysages est au-dessus d'un autre qui ne fait que des fruits, des fleurs ou des coquilles. Celui qui peint des animaux vivants est plus estimable que ceux qui ne représentent que des choses mortes et sans mouvement; et comme la figure de l'homme est le plus parfait ouvrage de Dieu sur la terre, il est certain aussi que celui qui se rend l'imitateur de Dieu en peignant des figures humaines est beaucoup plus excellent que tous les autres... Un peintre qui ne fait que des portraits n'a pas encore cette haute perfection de l'Art et ne peut prétendre à l'honneur que reçoivent les plus savants. Il faut pour cela passer d'une seule figure à la représentation de plusieurs, ensemble; il faut traiter l'histoire et la fable; il faut représenter de grandes actions comme les historiens ou des sujets agréables comme les poètes; et, montant encore plus haut, il faut par des compositions allégoriques, savoir couvrir sous le voile de la fable les vertus des grands hommes et les mystères les plus relevés. L'on appelle un grand peintre celui qui s'acquitte bien de semblables entreprises. Un artiste qui réalisait des paysages apparaissait donc inférieur à celui qui était accrédité pour faire des tableaux d’histoire. Et on ne passait pas facilement d’une catégorie à l’autre. En 1769, le peintre Jean-Baptiste Greuze l’apprit à ses dépens. Avec son tableau d’histoire antique représentant l’empereur Caracalla (3), Greuze voulut être reçu à l’Académie en tant que peintre d’histoire, mais lui qui avait si souvent fait de la peinture de genre fut amèrement déçu d’apprendre qu’il n’était reconnu que comme un peintre mineur…

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Hiérarchie dans les arts et la société C’est cette contestation des genres picturaux que Gustave Courbet réalisa au milieu du 19e siècle. Ainsi, il s’attaquait aussi par la bande à la hiérarchie sociale qui était dominante. Nous pourrions dire que le socialiste Courbet s’est fait ainsi l’héritier de la Révolution française. Tout comme son contemporain, l’historien Alexis de Tocqueville, Courbet montrait comment la démocratie n’est pas un changement de régime politique, mais de la structure de la société et de ses représentations. Enfin, on pouvait imaginer que les gens puissent passer d’une classe sociale à une autre. Enfin, les petits de ce monde pouvaient espérer devenir visibles et « immortalisés » dans l’art…

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Dans ce 19e siècle, la littérature effectuera aussi cette descente vers le « bas » ou plus exactement permettra cette ascension du peuple vers la représentation. Un exemple : en 1877, avec son roman L’assommoir, Émile Zola met en scène pour la première fois des ouvriers qui parlent – autre grande nouveauté – un langage populaire. Cela n’est pas sans évoquer au Québec la révolution incarnée par le roman Le cassé de Jacques Renaud en 1964 ou par Les belles-sœurs de Michel Tremblay en 1965. Cette révolution dans le domaine des arts, de la littérature, de

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(1) Sacre de l’empereur Napoléon Ier et couronnement de l’impératrice Joséphine dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 2 décembre 1804) Jacques-Louis David, 1806-1807 | 621 × 979 cm | Musée du Louvre, Paris, France (2) Les cribleuses de blé | Gustave Courbet, 1854 | 131 x 167 cm Musée des beaux-arts de Nantes, France (3) Septime Sévère et Caracalla | Jean-Baptiste Greuze, 1769 | 124 x 160 cm | Musée du Louvre, Paris, France (4) Madonna col Bambino | Artemisia Gentileschi, 1610-1611 | 116 x 86 cm | Galerie Spada, Rome, Italie

l’histoire et de la philosophie s’est donc poursuivie au 20e siècle où malgré ce que l’on pourrait croire, les choses n’étaient pas réglées et pas seulement dans le domaine des arts. En 1976, le philosophe français Michel Foucalt explique comment encore à son époque, on lui reproche cet intérêt pour ce qui ne fait toujours pas partie des sujets nobles. Dans un entretien, intitulé Les jeux du pouvoir publié dans Politiques de la philosophie, il répond ainsi à une question du journaliste et écrivain Jean-Jacques Brochier : Brochier : L'un des soucis de votre livre Surveiller et punir est de dénoncer les lacunes des études historiques. Par exemple, vous remarquez que personne n'a jamais fait d'histoire de l'examen. Personne n'y a pensé, mais il est impensable que personne ne l'ait pensé. Foucault : Les historiens sont, comme les philosophes ou les historiens de la littérature, habitués à une histoire des sommets. Mais aujourd'hui, à la différence des autres, ils acceptent plus facilement de brasser un matériau « non noble ». L'émergence de ce matériau plébéien dans l'histoire date d'une bonne cinquantaine d'années. On a donc moins de difficultés à s'entendre avec eux. Vous n'entendrez jamais un historien dire ce qu'a dit dans une revue incroyable, Raison présente, quelqu'un dont le nom n'importe pas, à propos de Buffon et de Ricardo : Foucault ne s'occupe que des médiocres.

Les médiocres Le théoricien Roland Barthes s’est lui aussi fait reprocher de s’intéresser à des petits sujets, en analysant par exemple les idéologies présentes dans la culture populaire (dans son essai Mythologies) ou en analysant des auteurs sous-estimés comme l’historien et écrivain Jules Michelet. Cet intérêt valut à Barthes d’être dévalorisé par bien de ses contemporains et, même encore de nos jours, on parle de lui en le désignant comme « critique littéraire » plutôt que comme penseur ou philosophe… En fait, la révolution des penseurs structuralistes qui débuta à la fin des années 50 et à laquelle ont participé Barthes et Foucault, mais aussi l’anthropologue Lévi-Strauss, a poursuivi cette étude du quotidien, du banal et de la culture prétendue mineure. Le mouvement des Cultural Studies qui fleurira en Grande-Bretagne dans les années 60, puis aux États-Unis dans les années 70 et 80, doit aussi beaucoup à ce changement de regard de la French Theory (Foucault, Barthes, Lévi-Strauss, mais aussi Derrida, Deleuze…). Les universitaires anglophones s’approprièrent alors eux aussi des approches sociologiques, philosophiques, anthropologiques et littéraires pour se pencher sur des phénomènes de culture populaire ou supposés mineurs.

Des artistes et auteurs mineurs ? Il y a donc un héritage contemporain à cette descente vers le bas du regard de l’artiste, de l’historien, du sociologue qui émerge au 19e siècle... Ce nouveau regard nous amène de nos jours jusqu’à remettre en question la hiérarchie entre grands artistes et artistes mineurs.

d’une nation dominante. La France ainsi que l’Empire britannique dominent le monde du 18e au 20e siècle et leurs artistes occupent la majorité des pages des livres d’histoire de l’art pour ces époques. Cela pourrait relativiser la valeur des œuvres marquantes de l’histoire de l’art, et même remettre en question la notion de chef-d’œuvre ou de génie (qui existerait en dehors de toutes structures sociales ou institutionnelles). Il faut certainement réécrire l’histoire en tenant compte de cela. Plus facile à dire qu’à faire? Il faut remarquer que les artistes ayant vécu dans ces pays riches et dominants ont eu des conditions matérielles et intellectuelles de production qui ont souvent favorisé l’éclosion d’une riche scène artistique. Les villes de Paris au 19e siècle ou de New York de nos jours sont des ferments culturels. Mais ces scènes artistiques ont aussi parfois exclu toute une variété de création et de talents qui ne correspondaient pas à la norme, aux canons dominants. Peut-on alors rechercher dans l’histoire des arts, ceux qui ont été minorés et les remettre en valeur ? Certes oui, et ce malgré la réticence de plusieurs. Le débat ne date pas d’hier et ne manque pas de points de vue réactionnaires. L’historienne de l’art Linda Nochlin, dans un célèbre article paru dans la revue Artnews en 1971, se demandait « Pourquoi n'y a-t-il pas eu de grandes femmes artistes ? » Dans ce texte, elle s’opposait à certains historiens de l’art qui voulaient retrouver dans les musées, collections et archives les traces d’artistes femmes oubliées par l’Histoire. Elle se refusait à croire que l’absence de femmes dans l’histoire de l’art était le signe d’un manque de passion artistique chez celles-ci, mais plus le résultat du fait que celles-ci furent écartées de l’enseignement des arts. Mais par conséquent, pour elle, il était un peu ridicule de rechercher des artistes femmes de la renaissance ou du baroque, dignes de Michel-Ange ou du Caravage puisque celles-ci n’avaient pas eu accès aux conditions de la réussite dans leur domaine… Pourtant depuis plus de 40 ans, les recherches ont pu déterrer de l’oubli bien des femmes artistes passionnantes. Pensons à la peintre baroque Artemisia Gentileschi (1593-1652) (4) qui depuis les années 1980 a été reconsidérée par les historiens de l’art, elle dont les œuvres après sa mort furent attribuées à son père ou son frère (eux aussi peintres). Néanmoins de nos jours, bien des gens, même dans le milieu des arts, continuent de ne pas vouloir réfléchir à la place des groupes minoritaires dans la réécriture de l’histoire, mais aussi dans l’écriture du monde contemporain. Trop se moquent encore du fait que l’œuvre ait été faite par des homosexuels, des femmes, des Noirs, des Amérindiens ou des gens qui vivent en périphérie des grands centres artistiques et des nations puissantes… Comme si soudainement tout l’héritage sociologique et structuraliste n’avait plus aucune importance. La question des écrivains ou artistes mineurs doit en particulier nous interpeller, nous Québécois et Canadiens, qui sommes en périphérie d’un géant économique et culturel. Celui-ci impose ses goûts et valeurs à notre culture qui doit paraitre si petite et si insignifiante vue de New York ou d’Hollywood…

Précisons. L’histoire des arts est avant tout l’histoire des nations puissantes et dominantes. Lorsqu’on ouvre un livre d’histoire de l’art et que l’on regarde les créateurs présents, on remarque comment chaque époque est représentée par des artistes

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6 QUESTIONS À Christian Lapointe

« L’écriture de la pièce Sauvageau Sauvageau est très particulière : Christian Lapointe a utilisé des extraits écrits par Yves Sauvageau et les a montés pour créer un dialogue entre un Yves Sauvageau jeune et un Yves Sauvageau à l’âge qu’il aurait aujourd’hui. »

À la lumière de l’atelier que tu as dirigé sur le manuscrit du spectacle, on est aussitôt marqué et séduit par ta direction d’acteurs, très lumineuse, emportée, et qui comporte plusieurs envolées. Parle-nous de ce choix. Il faut dire que c’est à l’invitation du Centre des auteurs dramatiques (CEAD) que j’ai d’abord forgé cette adaptation pour leur activité intitulée Théâtre à relire où l’on propose à un metteur en scène de revisiter l’œuvre d’un auteur disparu en collaboration avec la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Dernièrement lors d’une deuxième étape en vue de la production au CTD’A je réalisais que l’adaptation pouvait par moment rappeler En attendant Godot *, mais dans une version écrite au Québec. La situation de l’adaptation proposée n’est pas loin en effet de celle des « aventures » de Didi et Gogo. Même la scène où Lucky pense y est en quelque sorte. Le tout fait donc ressortir que sa langue n’a rien à envier aux grands auteurs dramatiques du XXe siècle. Il faut dire que chaque réplique du montage est une perle prise dans ses pièces et mise en relation avec une autre. Chaque phrase que j’ai puisée est un joyau. Pas étonnant que le tout assemblé donne la sensation d’une pièce oubliée de notre répertoire qui nous serait familière. Pour témoigner de ces éléments, le travail avec les interprètes sur une telle matière se doit de se produire dans la jubilation pour faire contre-point au contexte de la situation qu’elle met en scène. Il ne faut pas oublier que nous les vivants ne faisons pas l’apologie de la mort, loin de là ! Les morts sont morts alors que nous, nous sommes bel et bien en vie (!) et pleins de celle-ci, c’est elle qu’au fond nous dépeignons ! C’est donc d’énergies enivrantes et de foisonnement de vie que cette partition doit être chargée pour soulever les passions qu’elle contient et faire entendre toute l’arborescence de la pensée de l’auteur de Wouf wouf, œuvre au contenu franchement éclaté qui témoigne de l’anima de vivacité que dût être la sienne au plus fort de son vivant.

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En quoi Sauvageau est notre contemporain et en quoi la figure du suicidé, abondamment utilisée dans la culture ou la dramaturgie québécoise, est intéressante en 2015 ? Yves Hébert, apparemment taraudé depuis longtemps par la question de sa propre mise à mort, geste qu’il a bel et bien commis, a laissé nombre de traces de cette question dans l’ensemble de ses œuvres. Le désespoir avec lequel il était aux prises met, selon moi, bien en relief le mal-être de notre époque. Celui-ci semble être porté par l’impossibilité d’une certaine forme d’idéalisme à pouvoir librement s’épanouir. Comme si son geste était en réaction à un monde trop forcé par les lois d’un conformisme qui encabanent toutes formes de libre-pensée. À notre époque, ce monde semble avoir épaissi et son omniprésence est telle que, n’ayant rien d’autre à lui comparer, celui-ci n’apparait même plus comme obstacle, car il est la seule option proposée. Cet exemple de refus de conformité à ce monde, maintenant hissé au rang de seule réalité, parait plus que jamais pertinent à cette époque qu’est la nôtre, et ce malgré le fait que notre cas de figure ait ici une fin tragique.

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* En attendant Godot est une pièce en deux actes écrite par le dramaturge Samuel Beckett en 1948. Elle s’inscrit dans le courant du théâtre absurde en mettant en scène quatre personnages qui attendent, sous un arbre, un cinquième personnage qui ne viendra jamais.

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Ta démarche inclut un rapport à la performance, au « monde du spectacle », parfois même, depuis peu, à la variété et aussi un rapport particulier avec le spectateur. En quoi ce projet s’inscrit-il dans ta démarche actuelle? Depuis quelques années en effet, j’ai presque systématiquement accusé la question de la fabrication de l’objet d’art vivant au sein de l’objet lui-même. J’ai aussi l’habitude d’enchâsser le jeu dans un dispositif dramaturgique et technologique se juxtaposant l’un dans l’autre et la plupart du temps j’affuble le spectateur d’un rôle dans l’objet, que cela lui soit ou non révélé. Il m’est même arrivé plusieurs fois de redonner à voir au public sa propre image en temps réel. Je ne dirais pas que cet aspect de ma pratique, qui était véritablement le seul et unique point d’ancrage de la version de synthèse d’Outrage au public de Peter Handke que j’ai signée il y a deux ans et demi, soit au cœur des préoccupations qui me guident dans la mise en forme de cet opus. Les premières années, au tout début des années 2000, ma pratique fut fondée sur l’œuvre de l’irlandais W.B. Yeats, fondateur du théâtre national à Dublin, politicien et poète nobélisé. J’avais trouvé à l’époque chez lui quelque chose pour « mesurer » notre relation à notre propre culture. Mais il y avait aussi le franc désir de faire entendre la grande œuvre d’un « oublié », car chez nous, l’œuvre théâtrale majeure de Yeats n’avait jamais été donnée à voir ou à entendre sur nos scènes avant que je ne m’y attarde. Il y avait donc le désir d’ouvrir le travail d’un important auteur. Je retrouve ici ce même désir avec Sauvageau Sauvageau; il est question d’un certain devoir de mémoire. Ce devoir de mémoire qui est d’œuvrer au service de la communauté en quelque sorte. Si l’auteur est mythique pour la génération de praticiens l’ayant côtoyée, il n’est pas très connu de la mienne et encore moins de la suivante et cela est tout aussi valable pour le grand public.

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Nous avons donc, l’équipe de création et moi, pris en charge la mise en forme de ce « devoir de mémoire » pour donner à entendre et à voir un distillat de l’œuvre d’un des artistes majeurs de notre culture. Cette œuvre fut longtemps laissée sous le tapis, probablement vu l’épouvantable fin que fut la sienne et notre incapacité comme culture à regarder de front un geste comme celui-là. Il en est de même pour l’œuvre poétique de Huguette Gaulin par exemple, l’auteure auto-immolée de Lecture en vélocipède. Le suicide, qui est un objet de fascination en ce qui me concerne (et dont j’aborde la question dans presque tous les objets théâtraux que je mets en forme) est un véritable tabou en Occident, surtout au Québec ou environ mille deux cents personnes par année se donnent la mort. Environ cent mille personnes par année au Québec sont donc en relation directe avec quelqu’un s’étant donné la mort ou ayant essayé. Disparaitre c’est aussi rompre des liens invisibles entre des individus. C’est cela, je crois, qui m’émeut le plus dans ce projet : retisser les liens entre Sauvageau et les autres, même si son absence sera criante.

Parle-nous de cette orientation sur le dédoublement que tu as entrepris sur ce travail de l’œuvre entière de Sauvageau.

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En faisant cette enquête dans l’œuvre de Hébert j’ai fini par comprendre qu’un grand souffle de vie l’animait aussi et que c’est sur cette dialectique entre pulsion de mort et désir intense de vie que pouvait résider une tension propice à faire entendre les différents éléments de son imaginaire reliés à ces deux pôles de forces brutes. J’ai donc imaginé une version de lui à l’âge qu’il aurait aujourd’hui en dialogue avec une version de lui à l’âge qu’il avait juste avant de commettre l’irréparable. C’est ainsi que j’ai pu convoquer les deux interprètes qu’on aura le plaisir de voir et d’entendre porter cette parole. Au début je croyais que la version plus âgée de lui représentait Yves Hébert aujourd’hui comme s’il n’était pas mort, mais en travaillant avec les collaborateurs nous avons plutôt fait la découverte que dramaturgiquement cette version de lui, à l’âge qu’il aurait aujourd’hui, est plutôt le Yves Hébert décédé, pris dans une forme de purgatoire et ayant à revivre et revoir le moment où il prit cette décision fatale. Mais la mise en jeu de ces figures est ici ouverte et donnée à interprétation multiple, car Paul Savoie peut tout aussi bien être ici perçu par moment comme étant le père ou l’amant plus âgé par exemple. C’est ainsi que nous avons pensé finalement mettre en perspective ce qui, en définitive, me semble être la grande question de Sauvageau, celle du « ne pas être » que se pose Hamlet.

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Pourquoi la musique, composée spécialement par David Giguère pour le spectacle, est si fondamentale sur ce projet? Je dirais que dans un premier temps il s’agit tout de même de donner à entendre la voix d’un poète. En ce sens, l’objet pourrait presque être qualifié de récital. C’est à force de faire ce « récital » que des personnages et une fiction apparaissent et non pas d’emblée. On dirait que le récit finit par s’imposer par la mise en jeu de celui-ci. Ainsi, en composant avec ces différents éléments, il est apparu clair que la forme devait s’approcher de cet état de fait et le flux musical donne donc corps à ces mécanismes que l’on retrouve à l’écoute de Sauvageau Sauvageau et du même coup éclaire, d’un jet particulièrement lumineux et tout aussi vivifiant, les pénombres de sa tourmente. Dans un deuxième temps, cela confèrera peut-être à l’aventure théâtrale que nous sommes à mettre en forme un statut qui n’est pas sans rappeler le concert. Cela permettra sans doute de s’approcher de cette façon qu’ont certains paroliers par exemple de chanter-parler appuyés par l’accompagnement d’une musique. De plus, la musicalité projettera ici la présence de l’auteur absent, ce qui n’est pas sans rappeler que les morts, quand ils ont laissé leur trace de leur vivant, vivent encore quelque part en nos corps endormis.

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Qu’est-ce qui est inachevé au Québec, selon toi ? Une innombrable quantité de choses. Évidemment la plus claire d’entre elle est la question de l’identité. Il est très difficile pour moi de dire ce qui fait que je puisse parfois (mais rarement) me sentir Québécois et donc comprendre d’où je viens et qui je suis. Je crois que pour les Acadiens par exemple, cette question identitaire est beaucoup plus claire. Certains artistes me font ressentir ce qu’est être Québécois. Si je ne peux l’expliquer, quelques paroliers tels Desjardins ou Latraverse, pour ne nommer que ceux-là, à l’écoute de leurs chansons, me font comprendre intuitivement à quel peuple j’appartiens. Il en va de même pour le dire de certains poètes. À l’écoute de leur verbe déployé, je ressens ce que veut dire être Québécois. Je crois que Yves Hébert, qui voulait qu’on le nomme Sauvageau Sauvageau, en est.

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« J’ai toujours un peu d’angoisse lorsque je suis devant un étudiant qui me parait aussi sensible, très vulnérable puis lucide à la fois. Et devant Yves, c’est ce que je ressentais. J’étais souvent angoissé en le voyant aussi palpitant, curieux et ouvert à toutes les vibrations de la vie : à les absorber, à les saisir et à vouloir les exprimer à nouveau. C’est s’exposer à être blessé, c’est risquer beaucoup, c’est risquer sa vie. C’est l’impression que j’ai gardée en travaillant avec lui. Il creusait tellement le personnage de Lorenzaccio, qui est très complexe et ambivalent, avec une lucidité et aussi une sensibilité à fleur de peau. Il a un idéal qui semble avoir été déçu et d’une façon très solitaire et très courageuse, malgré les apparences de la lâcheté, il a réussi à presque changer, transformer la vie de sa collectivité. À chaque fois, je voyais Yves s’identifier et chercher à vivre aussi intensément cette expérience, je me disais c’est effrayant parce que dans ce métier, faire un don aussi intense de sa nature, c’est s’exposer à trop de souffrances : il ne passera pas à travers. C’est presque un suicide, un don trop total. J’ai l’air de dire ça en rétrospective, mais je suis très sincère. Dès l’école, j’étais inquiet de ce qui lui arriverait. On ne peut pas vivre constamment aussi sensiblement et généreusement. » André Pagé, metteur en scène Entrevue avec Raymond-Louis Laquerre

« Le personnage (Daniel Rousseau dans Wouf Wouf) était beau à travailler; il y avait une gamme de choses à faire et un éventail d’émotions à traverser. Il a été important, mais au fond, c’est toute l’affaire qui a été importante pour moi : d’avoir travaillé les 80 heures pour la lecture avec toute cette gang-là et Michèle Rossignol spécialement, d’être arrivé le soir à la bibliothèque Saint-Sulpice devant une salle pleine pis que le toit ait levé. Moi, depuis ce moment-là, je ne serai plus jamais le même. Plus la rencontre de Sauvageau après, qui était beaucoup plus jeune que moi, et que j’ai mis sur un piédestal. Il est devenu presque une idole. Tout le respect et l’admiration que j’ai accumulés ! C’était un auteur nouveau qui avait tout à faire. Pour moi, c’était l’auteur qui allait faire que le théâtre au Québec ne serait plus jamais le même. »

« Je revois Yves qui jouait dans une pièce tout ce qu’il y a de plus classique, Le menteur de Corneille, à l’École nationale où je le dirigeais et il faisait le rôle d’une sorte de petit coq batailleur qui se battait en duel. La première image d’Yves comme comédien, c’est celle d’un petit coq qui donne de la crête et puis qui bondit sur place et puis jette un texte et qui fait beaucoup de choses nerveuses, aiguës, rapides fortes. On s’était amusé à faire des intermèdes dont un duel tordant entre André Cartier et lui. »

Jean-Louis Millette

Jean-Pierre Ronfard

Entrevue avec Raymond-Louis Laquerre

Entrevue avec Raymond-Louis Laquerre

Les photos et poèmes d’Yves Sauvageau apparaissent grâce au travail d’archives de M. Raymond-Louis Laquerre et à l’aimable autorisation de ce dernier et de la succession d’Yves Sauvageau. Photos de Christian Lapointe : Ulysse del Drago

SAUVAGEAU SAUVAGEAU Salle principale 22 septembre au 10 octobre 2015

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de nouvelles formes de domination sociale, économique et politique. C’est le meilleur de tous les temps. C’est le pire de tous les temps.

À qui la rue ? Xavier Inchauspé Avocat, Docteur en philosophie et travailleur culturel

Le metteur en scène franco-belge Armel Roussel revient à Montréal avec sa dernière création : Après la peur. Poursuivant la réflexion entamée lors d’un précédent spectacle (La peur), Roussel nous propose « d’explorer comment la peur construit la société, la peur dans tous ses aspects multiples et contraires ». Mais plus encore que lors de sa dernière création, la réflexion devient ici un tâtonnement collectif, l’expérience théâtrale devient interactive, la parole devient plurielle et évolutive. C’est qu’il ne débarque pas seul, Roussel, mais accompagné par 10 auteurs venant des quatre coins de la francophonie, dont les Québécois Sarah Berthiaume, Dany Boudreault et Gilles Poulin-Denis. Et tous nous invitent cet automne à sortir de l’institution théâtrale et à prendre d’assaut la rue, alors que ce spectacle aura lieu dans différents autobus qui sillonneront la ville. En nous arrachant à l’habituelle salle de spectacle, Après la peur ouvre aussi une réflexion sur l’espace public et la communication dans nos sociétés. Car enfin, nous ne verrons pas tous le même spectacle, nous ne serons plus le public attentif à ce qui se déroule sur scène, mais nous serons placés en mouvement, plongés au cœur de la cité. L’occasion était toute désignée pour rebondir sur cette envie d’éclater l’espace théâtral ou pour le dire autrement ici : de la nécessité d’éclater l’espace public démocratique.

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« It was the best of times, it was the worst of times, […] it was the spring of hope, it was the winter of despair ». Cette célèbre ouverture de Charles Dickens, entièrement faite de contradictions, pourrait bien servir d’introduction à presque tous les articles et les bouquins qui traitent de l’état de la démocratie aujourd’hui, tellement le diagnostic semble partagé. Jamais nous n’avons compté autant de démocraties à travers le monde, jamais nous n’avons disposé de tels moyens pour permettre son développement dans les États totalitaires, mais jamais nous n’avons semblé être aussi éloignés de la réalisation de nos idéaux démocratiques dans nos propres sociétés. Si le consensus entourant la démocratie n’a jamais été aussi unanime, elle semble pourtant impuissante à régler les problèmes sociaux, à résoudre les crises et à endiguer le développement

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Or, la démocratie a plus de 200 ans en Amérique. Mais qu’est-ce qui a fondamentalement changé ? Bien sûr, les femmes, les Noirs, les Juifs et d’autres encore ont arraché à une minorité de mâles blancs la reconnaissance de leur citoyenneté et du droit de vote et de propriété qui y était habituellement rattachée. Mais cette victoire semble tellement aller de soi aujourd’hui ou demeure si insatisfaisante que le constat est resté le même. Il s’est même renforcé et répandu : la démocratie ne tient toujours pas ses promesses. Alors quoi ? Il est où le malaise dans la démocratie ? Il réside d’abord dans les inégalités réelles que tente pourtant de masquer l’égalité purement formelle que résume ce fameux slogan démocratique : une personne, un vote. Mais le problème réside aussi dans notre réelle incapacité à repenser notre idéal démocratique. J’irai même jusqu’à dire dans notre refus de plus en plus assuré de le repenser. Sans nous en rendre compte peut-être, nous sommes en train de nous accrocher à une image très définie et réductrice de ce qu’est une participation citoyenne exemplaire. Le citoyen modèle doit s’impliquer dans les affaires publiques dans certains espaces, d’une certaine manière et dans certains contextes. On ne parle pas de politique en famille à table, monsieur Claude Legault; on se contente d’un statut Facebook si on n’aime pas les politiques d’austérité. On ne fait pas une journée de grève, messieurs et mesdames les enseignantes; on porte des pantalons fluo pour marquer sa dissidence. On ne lance pas des serpentins en mousse au visage des gens, monsieur Hamza Babou; on met sa face sur une pancarte pour se faire élire si on veut changer le monde. On ne fait pas de manifestation non mixte, mesdames les féministes; on laisse aussi parler les messieurs en démocratie. En fait, l’image de la participation citoyenne exemplaire est devenue tellement associée au bon citoyen qui vote et débat de manière articulée et rationnelle sur La place publique avec un grand L, que toute autre expression et que tout autre espace de discussion apparaissent comme étant démocratiquement inférieurs, voire antidémocratiques. Bien sûr, notre démocratie accepte la dissidence. Le contraire serait absurde. Mais, il faut y mettre la forme. Il faut jouer la game : déposer un mémoire écrit au BAPE, résumer sa pensée en quatre minutes en commission parlementaire, respecter l’ordre du jour déjà établi lorsque l’on s’assoit à une table de concertation. C’est ce champ de la dissidence légale ou même politiquement acceptable qui, en ne cessant de rétrécir, alimente le malaise démocratique. Il serait facile ici d’accuser le conservatisme de tel gouvernement, de tel juge ou de tel chef de police. Mais la responsabilité est partagée. Jusqu’à un certain point, plusieurs élans dits progressistes ont même contribué à aggraver le cercle vicieux dans lequel nous sommes plongés. Car si le malaise démocratique n’est pas récent, quelles solutions avons-nous proposées depuis ? Encore et toujours des solutions institutionnelles qui contribuent directement à réduire l’espace de la dissidence ou de la résistance acceptable. Or, ce ne sont pas les initiatives et les innovations qui ont manqué au cours de la dernière décennie : budgets participatifs, modes de scrutin proportionnel mixte, jury-citoyens, tables de concertation, forums nationaux, référendums d’initiative populaire, etc. Tous ces aménagements institutionnels visaient ainsi à rendre plus délibératif, plus participatif et plus inclusif

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le processus menant à la prise de décision politique. Or, je ne dis pas ici que toutes améliorations à la machine démocratique ne sont pas souhaitables. Au contraire, il était plus que temps qu’elles adviennent. Mais il faut aussi les voir pour ce qu’ils sont : des mécanismes institutionnels qui finissent par canaliser les voix désordonnées et filtrer les voix discordantes. Il faut surtout les voir pour ce qu’ils sont en train de devenir : une arme à double tranchant. Parce que chaque espace d’échange et de dialogue qu’une administration publique décide d’ouvrir finit par condamner les espaces que des citoyens avaient par eux-mêmes essayé d’investir. Car rien n’est alors plus facile pour cette administration de déclarer : nous vous avions invités et vous n’êtes pas venus, si votre point de vue n’a pas été retenu, c’est votre faute. Ils sont de moins en moins nombreux aujourd’hui ceux qui osent réduire le citoyen à n’être qu’un simple électeur. La démocratie est un processus de communication et d’expérimentation constant et ne prend pas tout son sens lors d’une soirée électorale aux quatre ans. Enfin, ce message semble avoir passé. Mais alors que toute manifestation doit être strictement encadrée pour être « reconnue » au Québec, alors que les professeurs viennent tout juste de perdre leur droit de grève et que les étudiants le perdront sous peu c’est un peu comme si nous avions fait un pas en avant, pour mieux faire deux pas enarrière. Nous acceptons de moins en moins la turbulence, le sit-in, le blocage, la grève illégale, etc. Nous nous moquons de toute parole originale. Nous opposons le démocrate et l’activiste.

« Parce que chaque espace d’échange et de dialogue qu’une administration publique décide d’ouvrir finit par condamner les espaces que des citoyens avaient par eux-mêmes essayé d’investir. » Le plus étonnant là-dedans n’est pas tellement notre amnésie collective. C’est une évidence ici alors que le discours ambiant est identique à celui que tout bon citoyen démocrate blanc tenait au tournant des années 60 et 70, affolé par les mouvements d’émancipation, les revendications des travailleurs et la désaffection croissante de la population face aux différents partis politiques. Non, ce qui est le plus étonnant et consternant là-dedans, c’est qu’au cours des 40 dernières années, nous sommes demeurés imperméables aux appels pourtant répétés de ceux et celles issus de groupes qui savent ce que l’exclusion signifie et implique réellement : les femmes, les noirs, les jeunes de la rue, les LGBT pour n’en nommer que quelques-uns. L’image de la « bonne » et donc seule manière de débattre, de discuter, de converser apparait si évidente aujourd’hui que nous ne voyons plus son origine. En fait, nous ne voyons plus à quel point elle n’était qu’une façon (une façon parmi d’autres) d’échanger, de s’assembler ou d’être en désaccord. Cette manière, qui est devenue La manière de faire du démocrate, était (ô surprise !) celle du mâle blanc éduqué. La lutte, pour ce que l’on a appelé (de manière beaucoup trop réductrice d’ailleurs) les « civil rights » des Noirs américains, ne s’est pas faite en 10 ans. Ses racines sont bien plus profondes. L’histoire n’aura retenu que quelques grands noms ou évènements marquants au tournant des années 50 et 60 : Rosa Parks

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dans l’autobus, le rêve de Martin Luther King, la grande marche de Selma à Montgomery. Mais derrière ce mouvement, 100 ans de conversation citoyenne, de délibération collective ou d’agitation populaire ont eu lieu. Avant de rejoindre l’espace « public » des hommes blancs éduqués sous forme de revendications que ceux au pouvoir comprendraient et accepteraient, les discussions allaient bon train. Bien sûr, les espaces ou les médias de communication n’étaient pas les mêmes que ceux des Blancs. Ils se réunissaient là où ils pouvaient se retrouver entre eux. C’était donc l’église, le centre d’entraide du neighborhood ou même les autobus dans lesquels ils s’entassaient la fin de semaine en famille pour visiter un proche détenu dans des prisons éloignées des centres urbains où ils vivaient. Il va donc de soi que les styles de communication qu’on y retrouvait alors étaient parfois différents de ceux employés par le « rhéteur » blanc éduqué, comme le gospel, le sermon, le témoignage, le rap ou différentes formes de spoken word, par exemple. En quoi toutes ces conversations citoyennes étaient-elles démocratiquement inférieures à celles des Blancs de la même époque ? En quoi n’ont-elles pas participé activement à solidariser cette partie de la population et à construire la chose publique, la res publica ? Des penseurs et militants aussi brillants que W.E.B. Du Bois, Angela Davis ou Stokely Carmichael n’ont jamais perdu le fil de cette question. Mais, de ces penseurs pourtant intelligibles, et d’autres encore, nous n’avons rien su (voulu ?) apprendre. Il semble, de plus en plus, que la démocratie ait un code strict et qu’il faille s’y conformer. Dès qu’un discours est passionné, il devient déraisonnable. Dès qu’un groupe n’a pas de chef, il devient anarchiste. Dès que quelqu’un cherche à déployer un espace public alternatif, il devient marginal. Le cercle vicieux est là. Si l’on s’est démené ces dernières années pour améliorer la vieille machine démocratique, nous nous sommes du même coup quelque peu enfermés dans une image de la conduite citoyenne exemplaire. Alors que l’on croyait faire du bottom up, nous avons surtout fait du top down. Alors que l’on pensait rendre la démocratie plus inclusive et délibérative, nous sommes en train de nous couper de ceux qui s’agitent dans la marge. Bien sûr, une société dynamique a besoin de structures qui fonctionnent. Bien sûr, tous les publics alternatifs ne sont pas parfaits. Eux aussi sont capables d’exclusion et d’autoritarisme. Eux aussi sont capables d’engendrer des discours dogmatiques ou tendancieux. Il n’en demeure pas moins que la vitalité démocratique appelle une nécessaire ouverture à l’imprévisible, à la parole outside of the box, à l’exubérance et parfois même à la turbulence. On peut bien rejeter du revers de la main celui qui dit « Fuck toute ! » Mais que dit-il ? Il dit que le monde tourne mal. Il dit surtout qu’il ne peut faire entendre sa voix sans être constamment mis en boîte, qu’il ne peut agir sans être obligé d’entrer dans le rang. Bref, qu’il ne peut pas participer à changer le monde ! Croire en la démocratie, c’est pourtant d’abord croire qu’en travaillant tous ensemble, le changement devient possible. Alors, à qui la rue ? … CRÉATION MONDIALE

DU 1 AU 5 SEPTEMBRE 2015

UNE IMMERSION DANS LA VILLE SOUS FORME DE ROAD-TRIP LUDIQUE, PHILOSOPHIQUE ET INTERACTIF EN MINIBUS

Une création de Armel Roussel / [e]utopia3 En coproduction avec le Théâtre Les Tanneurs et le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et en partenariat avec le Festival des Francophonies en Limousin (Limoges), le Nest Théâtre – CDN de Thionville Conception Sarah Berthiaume, Gilles Poulin-Denis et Armel Roussel Direction artistique Armel Roussel Textes Collectif d’auteurs de la francophonie (Belgique, Canada, Comores, Congo, France et Suisse) Avec Seize interprètes

APRÈS LA PEUR Spectacle déambulatoire 1er au 5 septembre 2015

À qui la rue ? Xavier Inchauspé

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Si ça devait être aujourd’hui, maintenant, là là, je dédierais mon solo Papiers mâchés :

À ma tante SB, la combattante, celle-là même qui fait partie de mes tout premiers souvenirs d’enfance. Je lui offre cette phras

Aux magnifiques et dddééévvvaassstttaaatttrrriiiccceeesss nuits berlinoises. Tsé, quand la moitié des to

À la gentille caissière asiatique du Pharmaprix qui me dit alors que j’achète des piles : « Moi, l’aime les mangues e

Au thérapeutique plaisir de faire les choses en dehors de la tyrannie du résultat. Il est si lourd à porter le bouclier de l’incessante exce

À mes frères et sœurs qu’on lance du haut d’édifices. Qu’on lapide s

À la citation suivante du théologien Howard Thurman (librement traduite de l’anglais par moi parce que j’aime ça pis j’ai le temps) :

« Ne te demande pas ce dont le monde a besoin. Demande-toi ce qui te rend profondément vivant et fais-le, car ce dont le monde a besoin, c

Aux êtres serpents qui ont l’audace de faire peau neuve lorsque leur ancienne vie n’est plus la leur.

Au CEAD qui depuis 50 ans contribue de façon inestimable, et souvent invisible, à la santé du théâtre québécois. Bonne

À cette soirée où j’ai dansé avec toi à l’Igloofest à -36C. J’ai même pas eu froid, pas une seule seconde.

Mais Papiers mâchés ce n’est pas aujourd’hui, maintenant, là là. C’est du 10 au 28 novembre 2015 dans la salle Jean-Claude-Germain. Alors je devrai raviser… Et je le ferai. P.-S. — J’aimerais offrir une voiture à tous ceux qui viendront, mais je ne suis pas Oprah. Je vous remettrai plutôt chacun une phrase. Une belle petite phrase, bien personnelle. Comme un biscuit chinois, mais sans biscuit chinois. Ma façon de vous remercier d’être l’élément fondateur de mon écriture. David Paquet, auteur de Papiers mâchés

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À tous les artistes alchimistes capables de prendre l’oppression, la dépression, et la répression et d’en faire de l’expression.

se de Christiane Singer : « Une maladie est en moi. C’est un fait. Mon travail sera de ne pas être, moi, dans la maladie. »

oilettes est occupée par du monde qui fourre pis l’autre par du monde qui vomit, tu te dis que ça va être pas pire pour un lundi soir.

et les pommes. Et les flamboises. Mais pas les kiwis. » OK…

ellence. Vivement la liberté de pouvoir se tromper et demeurer digne d’attention.

sur la place publique. Qu’on agresse ici même dans les rues de Montréal. Je promets de parler de vous. De nous.

Aux gens capables de rincer du quinoa. Comment vous faites, calvaire ?

c’est de gens profondément vivants. »

e fête, qui ? Bonne fête, toi !

Photo : Ulysse del Drago

PAPIERS MÂCHÉS Salle Jean-Claude-Germain 10 au 28 novembre 2015

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Dédicaces au public David Paquet

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Photo : Galerie de L’UQAM

GALERIE DE L’UQAM galerie.uqam.ca La Galerie de l’UQAM est une galerie universitaire dédiée à l’art contemporain. Engagée dans la recherche et la production de connaissances, l’institution diffuse le savoir qu’elle génère au moyen d’expositions, de programmes publics et de publications diversifiées. Elle produit et présente des expositions d’art contemporain québécois, canadien et international, la plupart réalisées par des commissaires reconnus. Production Galerie de l’UQAM et Productions 3 PM Équipe David Altmejd, artiste visuel + Pierre Lapointe, auteur-compositeur-interprète + Yannick Plamondon, compositeur + Émilie Laforest, chanteuse + Sacha Jean-Claude, chanteur + Quatuor Molinari, musiciens + Philippe Brault, musicien + Francis Beaulieu, son + Martin Labrecque, éclairages + Rénald Bellemare, archives vidéo + Culloden inc., montage vidéo

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CONTE CRÉPUSCULAIRE

Une performance de Pierre Lapointe et David Altmejd

La saison 15/16 du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui est une saison de duos. Duos de comédiens sur scène tout d’abord, puisque cette forme est reprise dans les cinq pièces de la salle principale : Gabriel Szabo et Paul Savoie, Christian Essiambre et Pierre-Guy Blanchard, Maude Guérin et Étienne Pilon ainsi qu’Anne-Elisabeth Bossé et Patrice Robitaille. Duos de créateurs également avec des collaborations artistiques très étroites qui rappellent plus un artiste bicéphale qu’une relation traditionnelle auteur/metteur en scène. Christian Lapointe et Yves Sauvageau pour Sauvageau Sauvageau, Louis-Dominique Lavigne et Loup bleu pour Guerre et paix, Michel-Maxime Legault et Pascal Brullemans pour Ce que nous avons fait sont les duos marquants de ce début de saison. Pour ce numéro du 3900, nous avons donc décidé de consacrer la rubrique Inspiration à la dynamique du duo en présentant un projet très particulier créé à la Galerie de l’UQAM. La rencontre de David Altmejd, grand nom de l’art visuel à l’univers poétique et onirique, et Pierre Lapointe, icône pop très actuelle ayant toujours un pied en art visuel, nous parait emblématique de ce travail à deux et de l’univers si particulier qui peut résulter de cet échange artistique de création. En 2011, Louise Déry, directrice de la Galerie de l’UQAM, acceptait de soutenir une collaboration entre David Altmejd, artiste visuel, et Pierre Lapointe, auteur-compositeur-interprète. Présenté du 4 au 7 mai 2011 à la Galerie, ce spectacle faisait découvrir au public un univers allégorique tragique d’une beauté fascinante. Conte crépusculaire met en scène, dans un futur lointain, un roi qui doit laisser sa place à son fils et accéder à un autre niveau de conscience en atteignant la mort. Pour perpétuer la tradition, ce roi entreprend une grande tournée d’adieux. À son retour dans son royaume, exténué par toute cette route, endeuillé prématurément par l’arrivée de sa propre mort, il est prêt à vivre la cérémonie de passage. Les univers de création de Pierre Lapointe et de David Altmejd s’entrecroisent dans ce conte visuel et lyrique qu’ils ont mis en œuvre par désir d’une scène commune, pour y installer leurs héros imaginaires. Les deux complices, auxquels se joignent notamment le compositeur Yannick Plamondon, la chanteuse Émilie Laforest et le Quatuor Molinari, inventent un lieu intemporel offert au destin crépusculaire d’un monarque entrainé dans une spirale fatale. Création multidisciplinaire, Conte crépusculaire est en quelque sorte un « tableau vivant ». Ce mariage de la scène musicale et visuelle a permis au public de vivre une expérience inédite : ils ont assisté à la création en direct d’une partie du conte, alors que des éléments de la pièce étaient réalisés tout au long de la mise en scène. Chaque représentation a été unique. Cette expérimentation a donné lieu à une archive vidéographique. Réalisée avec la complicité de Rénald Bellemare, celle-ci témoigne de la rencontre inusitée qu’est le Conte crépusculaire. La Galerie de l’UQAM invitera le public à redécouvrir ce projet lors d’une projection de cette archive à l’automne 2015.

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Conte crépusculaire Pierre Lapointe et David Altmejd

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PIERRE LAPOINTE pierrelapointe.com Né en 1981 à Alma, Pierre Lapointe vit et travaille à Montréal. Remportant le grand prix du Festival international de la chanson de Granby en 2001, il lance son premier album en 2004. Depuis, il en produit plus d’une dizaine qui connaissent un grand succès à la fois au Québec, en France et en Belgique. En plus de performer dans le cadre de nombreux festivals, il crée plusieurs spectacles inédits dans lesquels le travail visuel prend une place considérable, dont Mutantès, La forêt des mal-aimés et Pépiphonique. Outre David Altmejd, il collabore avec l’artiste visuelle Dominique Pétrin, le metteur en scène Claude Poissant et l’architecte Jean Verville. Sa carrière est ponctuée de nombreux prix, dont 13 Félix. Son plus récent album, Paris tristesse, est paru en février dernier, et fait actuellement l’objet d’une tournée au Québec et en Europe.

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Né en 1974 à Montréal, David Altmejd vit et travaille à New York. Diplômé en arts visuels de l’Université du Québec à Montréal (1998) ainsi que de l’Université Columbia (New York, 2001) David Altmejd a tenu de nombreuses expositions individuelles et collectives tant au Québec, au Canada qu’à l’étranger. Il représente le Canada en 2007 à la 52e Biennale de Venise avec l’installation The Index, sous le commissariat de Louise Déry, et a de plus participé aux Biennales du Whitney Museum en 2004 et d’Istanbul en 2003. Son travail fait notamment partie des collections du Whitney Museum, du Solomon R. Guggenheim Museum, de la Art Gallery of Ontario et du Musée des beaux-arts du Canada. Récemment, le Musée d’art moderne de la ville de Paris lui consacrait une grande exposition rétrospective, Flux, ensuite présentée au MUDAM Luxembourg ainsi qu’au Musée d’art contemporain de Montréal à l’été 2015.

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Conte crépusculaire Pierre Lapointe et David Altmejd

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Photo : Pascal Grandmaison

David Altmejd davidaltmejd.com


MON TOLSTOÏ

Loup bleu Directeur artistique et philosophique du Théâtre du Sous-marin jaune

Après s’être attaqué à Dieu, Voltaire, Descartes et Montaigne et après avoir mobilisé les foules à toutes ces occasions, Loup bleu revient au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui ! Quoi de plus évident pour célébrer son retour que de lui confier la Classe de maitre de ce numéro du 3900 ? Maitre de littérature, d’écriture, de philosophie, d’histoire de l’art, les casquettes du Loup bleu sont nombreuses et diversifiées. Avec son compère Louis-Dominique Lavigne, ils ont décidé cette fois de se consacrer humblement à l’adaptation de l’œuvre monumentale de Tolstoï, Guerre et paix. Loup bleu vous embarque pour une petite leçon d’histoire de la Russie, à coup d’humour et de découpages ! Frères humains, bonjour !  Aujourd’hui, je vais vous parler de Pouchkine. - Mais alors, Loup bleu, pourquoi vous avez intitulé votre texte Mon Tolstoï ? Parce que le titre Mon Pouchkine a déjà été utilisé par la poétesse Marina Tsvétaïeva pour son magnifique petit livre sur l’enfance. - Mais alors, Loup bleu, pourquoi nous parler de Pouchkine et pas de Tolstoï ?

Bien qu’il soit avant tout un poète célébré, il a aussi été dramaturge, nouvelliste et romancier. Si certaines de ses nouvelles du terroir peuvent nous apparaitre un brin désuètes, elles sont tout de même un modèle du genre. Sa Dame de pique est digne d’Edgar Allan Poe, mais je lui préfère le court roman La fille du capitaine. L’auteur y fabrique un véritable eastern avec les cosaques dans le rôle des cow-boys. On a l’impression d’être quelque part entre High Noon (Fred Zinemann, 1952), My Darling Clementine (John Ford, 1946) et Shane (Georges Stevens, 1953). Ajoutez peut-être Johnny Guitar de Nicholas Ray (1954), mais ça, c’est juste pour le plaisir de le revoir. J’écris par ailleurs tout ceci en écoutant Boris Godounov, l’opéra de Moussorgski inspiré de la pièce shakespearienne de Pouchkine. C’est une œuvre vaste, riche et emportée, avec ses influences affirmées de musique traditionnelle russe. Le chef-d’œuvre d’Alexandre Pouchkine, Eugène Onéguine, est un roman en vers, à peu près le seul de la littérature russe. On dit parfois de Pouchkine qu’il est le moins connu des écrivains russes à l’étranger parce que la poésie se traduit mal (c’est vrai), mais aussi parce qu’il ne correspond pas au cliché convenu de l’écrivain russe tourmenté. Je suis tout à fait d’accord. Pourtant, les Russes considèrent Pouchkine comme leur enfant chéri, leur plus grand poète; tous ont lu Eugène Onéguine, beaucoup en savent des passages par cœur quand ce n’est pas le roman en entier. D’où le dicton : « Tout temps passé à parler d’Eugène Onéguine est perdu, alors qu’on pourrait l’employer à relire Eugène Onéguine. » À la lecture d’Eugène Onéguine, justement, on se rend vite compte qu’on fait face à une véritable prouesse d’équilibre entre imagination et style. Dès la fin du premier chapitre, on est étourdi par le narrateur qui s’accuse lui-même de passer du coq à l’âne, mais qui laisse au censeur le soin de faire entrer son poème dans le rang. Légèreté, désinvolture, mais aussi gravité et sens du tragique poussé jusqu’à l’absurde sont la marque de ce texte si profondément original qu’il ne fera pas école. « Sa grandeur est de ne pas avoir de successeur à sa mesure. »

C’est là le cœur de la question. Suivez-moi bien. Il est impossible de parler de Tolstoï si on ne connait pas Pouchkine. De toute façon, il est impossible de parler de littérature russe si on n’a pas lu Pouchkine. Je pense même que c’est interdit. - Loup bleu, vous êtes bien présomptueux. Oui, eh bien… de toute façon, il faut être écervelé pour faire du théâtre, disjoncté pour faire de la marionnette et donc présomptueux pour adapter Guerre et paix, alors… j’affirme qu’on ne peut pas sérieusement parler de littérature russe sans parler de Pouchkine et c’est pourquoi je vais en parler. - Allez-y, mais n’oubliez pas de nous dire en quoi c’est lié à Tolstoï. Ah, vous m’énervez ! Je vais parler d’Alexandre Pouchkine et ensuite on verra. Disons pour commencer que Pouchkine est un de ceux qui libèrent définitivement la langue littéraire russe de son carcan liturgique. Il avait beau dire qu’il parlait mieux le français que sa langue natale, avec lui, la parole russe entre en littérature. Il a été une inspiration fondamentale pour tous les écrivains XIXe siècle, de Gogol (à qui il a carrément donné les sujets du Révizor et des Âmes mortes) à Dostoïevski en passant par Tolstoï (on verra plus loin pourquoi) et demeure une référence au XXe siècle chez des auteurs comme Boulgakov, Tsvétaïéva, Akhmatova ou Nabokov qui a consacré à Eugène Onéguine une étude magistrale.

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Les chapitres élagués ou censurés sont aussi captivants que le reste et je placerais aux côtés des légendaires œuvres perdues – comme les tragédies de Sophocle et d’Eschyle, la 2e partie des Âmes mortes de Gogol ou quelques improvisations de Django Reinhardt dont les bobines furent brulées – le mystérieux dixième chapitre d’Onéguine, aux allusions si franchement politiques que le poète préféra le détruire, n’en laissant que quelques fragments éparpillés. Ça qui m’amène à parler de Guerre et paix. - Enfin, c’est pas trop tôt ! Je ne sais pas qui vous êtes au juste, mais je vous prierais de cesser de m’interrompre. - Excusez-nous, Loup bleu. Donc… Je n’irai pas jusqu’à affirmer que tout Guerre et paix est contenu dans Pouchkine, mais presque. La vie de caserne de

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La fille du capitaine, les amours et le duel d’Eugène Onéguine et j’en passe… Au détour de bien des pages du poète, on peut retracer l’inspiration du romancier. Cela saute aux yeux. Mais il faut creuser plus loin encore jusqu’aux sources du grand roman épique pour trouver le lien qui l’unit à Pouchkine. À l’origine, Tolstoï voulait écrire sur les Décembristes... Je vais expliquer brièvement qui sont les Décembristes, plus joliment appelés Décabristes. Durant le premier quart du XIXe siècle, dans l’orbe des Lumières et de la Révolution française (que je ne vous raconterai pas dans le détail, mais qu’il faut saisir dans ses grandes lignes pour s’attaquer à Guerre et paix), quelques audacieux progressistes voulaient porter un coup au despotisme du tsar et implanter la démocratie ou une monarchie parlementaire en Russie, à tout le moins une constitution, comme cela se faisait ailleurs en Europe. Nous sommes en décembre 1825. Le tsar Alexandre 1er, vainqueur de Napoléon, vient de mourir. Les Décembristes tentent un coup d’État qui se termine mal pour eux et donne le ton au règne de terreur de l’héritier Nicolas 1er. Or, Guerre et paix raconte, en filigrane, la genèse des Décembristes. Pierre et Natacha, les personnages centraux du roman, deviendront des Décembristes. Un demi-siècle plus tard, cet esprit est encore présent chez Tolstoï, qui lutte pour l’affranchissement des serfs. Pouchkine était l’ami des Décembristes. Pourquoi n’a-t-il pas été exécuté ou envoyé en exil comme la plupart d’entre eux ? Parce que c’était l’enfant chéri, le poète le plus aimé de Russie. On n’envoie pas Mozart au goulag. On le sermonne, on le gronde un peu, on l’envoie réfléchir dans ses terres. Avec quelle hypocrite gentillesse on l’a mis en cage, empêché de sortir de Russie, confiné jusqu’au désespoir si bien qu’il ne trouvera pour tout moyen d’échapper à son sort qu’à risquer sa vie au cours d’un duel stupide.

projet, en secret. On fait acheter à Constantinople un jeune esclave noir qu’on amène à la cour du tsar qui l’adopte et l’éduque. (Il faut quand même mentionner que cet esclave n’était pas le premier venu, mais sans doute un prince malien ou abyssin enlevé à sa famille.) Ce garçon, qui se fit appeler Abraham Hannibal, fit ses études d’ingénieur en France, se lia d’amitié avec les écrivains des Lumières et termina sa carrière comme Général. Or, le « Nègre de Pierre le Grand » n’est nul autre que l’arrière-grand-père d’Alexandre Pouchkine, le plus grand poète russe. Regardez les portraits de Pouchkine. Il a, à n’en pas douter, des traits africains. Où est-ce que je veux en venir ? Qui suis-je pour me mêler d’histoire et de politique russe ? Je suis le Loup bleu, alors j’ai le droit. Ce que je veux dire, c’est que les Russes ont dans leur propre histoire les modèles qu’il leur faut pour s’ouvrir au monde et laisser tomber leur xénophobie, leur racisme et même, rêvons un peu, leur homophobie. Ils n’ont qu’à penser au Nègre de Pierre le Grand et à leur plus grand poète, la fierté de leur nation, Alexandre Pouchkine, né en 1799 et mort des suites d’une blessure subie lors d’un ultime duel, à l’âge de 37 ans. 100 ans après Pouchkine, naitra en 1899, un autre descendant d’Abyssin ou de Nigérien, appelé à devenir le plus grand compositeur des Amériques, qui n’était pas un prince, mais bien un duc : Duke Ellington. Mais ce sera le sujet de notre prochaine chronique si, à la demande générale, vous voulez que je revienne dans le prochain numéro du 3900. Animalement vôtre, Loup bleu

Quelques années plus tard, Tchaadaïev, un proche ami de Pouchkine, pour avoir écrit quelques Lettres philosophiques qui déplurent au tsar Nicolas 1er, se verra déclaré fou et gardé chez lui en résidence surveillée. Cette méthode est plus douce que la prison, me direz-vous. Peut-être… Bref, ce qui les attendait tous, au moindre écart, c’était l’exécution, l’exil ou la prison. Cette effroyable fermeture au monde, on la retrouve encore dans la Russie de Vladimir Poutine. On pourrait dire que la Russie, le plus grand pays du monde, est par définition ingouvernable et qu’elle exige un despote pour la contenir à l’intérieur de ses vastes frontières friables. On pourrait le dire, mais ce serait moche comme mythe. C’est pourquoi je voudrais proposer ou réactiver un autre mythe à la mémoire des Russes : celui de l’origine d’Alexandre Pouchkine. L’origine de Pouchkine devrait être le mythe fondateur de la Russie moderne, autant sinon davantage que la fondation de la Rus’ de Kiev par les Vikings (eh oui, la Russie, c’est en partie viking !), la victoire d’Alexandre Nevski sur les chevaliers teutoniques ou la conquête de Kazan par Ivan le Terrible. Voici donc, pour terminer, l’incroyable récit de l’origine de Pouchkine… Je ne peux pas vous en dire bien long sur Pierre le Grand (1672-1725), sinon sa volonté, en faisant émerger des marais du golfe de Finlande sa majestueuse capitale Pétersbourg, de se tourner résolument vers un certain esprit européen. Un bon jour, discutant hérédité avec un de ses collaborateurs, il fit le pari que si l’on sortait un nègre (c’est sans doute le mot qu’il employa) du fin fond des forêts d’Afrique et qu’on l’éduquat, il serait l’égal de n’importe quel aristocrate russe. Vous comprenez bien le caractère humaniste et émancipateur de cette supposition (qui était tout sauf raciste) ! On mène à bien le

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Illustration : Erica Schmitz

GUERRE ET PAIX Salle principale 3 au 21 novembre 2015

Classe de maitre Loup bleu

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Dr David Bloom, MD, FRCPC

Pour sa première année de résidence dans la salle Jean-Claude-Germain, Michel-Maxime Legault s’associe à l’auteur Pascal Brullemans pour aborder le thème de la maladie mentale. Alliant le vécu de Michel-Maxime et de son entourage au contact d’un proche schizophrène et les nombreuses recherches de Pascal sur le sujet, les deux artistes plongent dans l’intimité d’une famille aux prises avec la maladie. Alors que la schizophrénie est le plus souvent traitée du point de vue des malades, nous avons souhaité ici prolonger le point de vue de la pièce et aborder celui des familles, souvent oubliées et démunies face à une telle épreuve. Grâce à l’Institut universitaire en santé mentale de la Fondation Douglas, le Dr David Bloom, psychologue, s’est penché sur cette question pour nous. Les schizophrénies sont pour la plupart des maladies très injustes envers les individus qui en souffrent, mais aussi envers les familles qui se trouvent presque impuissantes dans leurs efforts d’aider et de chercher de l’aide pour leurs proches. Il y a beaucoup d’idées fausses, de mythes qui circulent dans la culture ambiante au sujet de ce groupe de maladies : une personnalité multiple, un processus qui mène inéluctablement à la mort psychologique du souffrant, un virage vers la folie meurtrière, l’absence d’interventions pharmacologiques et psychologiques vraiment efficaces et l’idée que c’est le cancer de l’esprit. Le parallèle entre les schizophrénies et les cancers est pourtant assez juste. Comme on le sait, il y a plusieurs types de cancers, causés par plusieurs facteurs génétiques et environnementaux. Bien que le diagnostic d’un cancer soit presque toujours considéré sérieux, voire critique, il y a eu beaucoup d’avancées scientifiques au fil des ans qui ont amélioré le pronostic chez la majorité des cancers. Certains patients malheureusement atteints de types particuliers de cancer ou négligeant de se faire soigner, n’ont pas de résultats aussi efficaces que d’autres. Tristement, ces gens meurent et leurs familles et amis doivent en faire leur deuil. Il en est de même pour les schizophrénies. C’est un diagnostic qui ne tombe jamais à la légère. Au fil des ans, on a découvert beaucoup sur les causes de la maladie, mais on est toujours très loin des résultats espérés pour comprendre les mécanismes précis concernant les aspects neurophysiologiques et neuroanatomiques. Ceci n’est guère surprenant étant donné

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qu’il y a 108 gènes impliqués dans la psychose, ce qui donne un nombre statistiquement ahurissant de façons d’être psychotique. Et on est encore loin de comprendre la pondération de ces gènes. À ce jour malheureusement, ces découvertes n’ont pas apporté de traitements cliniques. Comme le cancer, l’intervention précoce et soutenue améliore le pronostic chez les jeunes patients atteints de schizophrénie. Mais comme le cancer, il y a un groupe de jeunes patients qui souffrent d’une forme de schizophrénie ultra-résistante pour laquelle il n’existe pas d’intervention médicale reconnue et prouvée. Et il y a une autre forme de schizophrénie qui répond très bien à un seul médicament (la clozapine), que malheureusement la plupart des psychiatres ne veulent pas utiliser ou n’utilisent pas assez précocement au cours de la maladie pour assurer une bonne réponse. Contrairement aux cancers, où la mort survient pour apaiser la souffrance, les jeunes atteints des schizophrénies ultra-résistantes ou insuffisamment traitées ne connaîtront pas cette paix et devront supporter leurs symptômes, leurs rêves brisés et leur souffrance durant des décennies. C’est un deuil sans fin pour les patients et leurs proches.

On sait très bien depuis longtemps que la souffrance ne découle pas uniquement des symptômes psychotiques évidents, dits symptômes positifs. Bien que ces derniers (délires, hallucinations auditives et parfois visuelles, désorganisation de la pensée) amènent le patient et sa famille à consulter dans un premier temps, ce ne sont pas forcément ces symptômes qui l’indisposent le plus dans la vie quotidienne une fois la crise aiguë passée. Ce sont les symptômes moins évidents, dits symptômes négatifs, qui rendent la vie malheureuse et pour lesquels, on n’a pas de traitement efficace. Ces symptômes négatifs incluent l’émoussement de l’affect (la figure perd un peu ou beaucoup de son pétillement et la voix de sa musicalité), l’appauvrissement idéationnel (langage moins élaboré) et la baisse de la motivation qui peut toucher plusieurs domaines : hygiène personnelle et d’autres activités de la vie quotidienne qui touchent l’autonomie, y compris le désir de participer à des activités sociales, vocationnelles et de loisir; ces désintérêts peuvent être perçus comme de la paresse. Chez certains patients, il semble y avoir un déficit neurologique au niveau du désir de faire des activités qu’aucun médicament ne peut combler. Encore plus frustrante est l’autocritique déficitaire chez au moins la moitié des patients, ce qui rend la gestion quotidienne de la maladie très difficile. Si l’on n’est pas malade, pourquoi donc consulter un professionnel de la santé et prendre des pilules ? La tombée du diagnostic de schizophrénie est une catastrophe individuelle et familiale. Souvent les eaux diagnostiques s’obscurcissent à cause de la consommation de drogue, surtout le cannabis, qui fait naître l’espoir que le jeune ne souffre pas vraiment de la schizophrénie, mais plutôt d’une psychose induite par la drogue avec un pronostic plus joli, moyennant bien sûr le contrôle de la consommation qui n’est parfois pas une tâche facile! En effet, la majorité des jeunes atteints de psychose fument le cannabis, mais généralement pas de façon abusive.

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Donc, très souvent le traitement commence dans le déni et l’espoir que ce n’est pas le vrai diagnostic. Les professionnels de la santé en rajoutent parce qu’ils peuvent aussi avoir des incertitudes quant à la précision du diagnostic. Ce dernier se précise avec le temps et la réponse au traitement, mais les psychiatres hésitent à parler de la peur la plus profonde de tout le monde : à quoi ressemblera la vie du jeune nouvellement diagnostiqué ? Toutefois, les données probantes des meilleurs traitements prodigués par les meilleures équipes cliniques sont encourageantes et on essaie d’être positif avec réalisme. Essentiellement si le patient s’engage à suivre les traitements (généralement peu onéreux au début de la maladie), il peut beaucoup espérer : retourner à l’école ou au travail, avoir une vie sociale et une vie amoureuse, peut-être pas au même niveau que ses rêves et ses capacités l’auraient permis avant la maladie, mais tout de même d’une façon très acceptable. Par contre, si l’on ne suit pas les traitements rigoureusement, le pronostic s’assombrit beaucoup pour deux raisons : les médicaments perdent progressivement leurs effets bénéfiques à la suite des interruptions dans le traitement et celles-ci

encore plus négligées, et au mieux, moins inclues dans les décisions cliniques concernant leurs proches. Et malgré ce tableau quelque peu sombre, il faut constater qu’il y a eu une bonne amélioration depuis un demi-siècle. Rappelons qu’à l’ère où les traitements efficaces n’existaient pas (avant les années 1950), quand la psychanalyse régnait, on a évoqué le concept de la « mère schizophrénogénique », une mère tellement froide émotionnellement que l’enfant a dû se replier dans la psychose. Des interventions auprès des familles à l’époque tentaient de corriger cette « carence ».

ajoutées aux rechutes amènent le patient à perdre du contrôle sur sa trajectoire de vie et tout ce qui s’y peut s’ensuivre : la perte d’un diplôme, la perte d’expérience vocationnelle, la perte d’épanouissement social et l’usure sur l’individu et sur sa famille…

Normalement, on devrait respecter le désir d’un « patient apte » de ne pas communiquer avec ses proches. Néanmoins, cet interdit devient quelque peu ridicule quand le patient, légalement apte, vit avec ses parents ou dépend d’eux pour plusieurs choses de la vie quotidienne. L’interdit devient cruel et inutile quand le patient ne va pas bien et démontre de la dangerosité envers lui-même ou envers sa famille, quand la psychose n’est pas bien traitée ou pas traitée du tout dans le cas de non-observance médicamenteuse. Les parents s’en plaignent amèrement et avec justesse. Si le patient est temporairement inapte à cause de la maladie aiguë, et surtout s’il est question de dangerosité, il existe une procédure légale pour amener le patient, contre son gré, à l’hôpital pour recevoir des traitements appropriés à son cas. C’est un autre moment très dur pour une famille déjà à l’épreuve que d’appeler la police et de risquer d’envenimer davantage la relation parent-enfant. Un autre moment manqué dans la conversation porte sur l’anticipation des écueils possibles et leurs solutions, au début de la relation thérapeutique. Heureusement, la majorité de ces problèmes se résoudront sans la laideur d’une intervention policière. Ceci nous amène à une autre réflexion : jusqu’à quel point les parents devraient-ils s’occuper des détails importants, par exemple pour assurer la prise de la médication et les rendezvous avec l’équipe traitante et quand est-ce que cet intérêt bienveillant devient une ingérence qui nuit à la relation parent-enfant, au traitement et à la santé même du patient ? Chaque famille doit trouver sa propre réponse et a besoin de conseils appropriés à sa situation. Des recherches effectuées il y a plus de 30 ans ont suggéré que chez les familles où l’émotion exprimée était très forte, les enfants-patients étaient à plus haut risque de rechute et de réhospitalisation. Par émotion exprimée, on entend des commentaires hautement négatifs ou une anxiété parentale étouffante. Ceci se produit dans certaines familles. Il est cependant compréhensible que la famille réagisse fortement, mais adéquatement face au désarroi provoqué par la souffrance intense d’un proche que l’on est impuissant à soulager.

« Il y a 108 gènes impliqués dans la psychose, ce qui donne un nombre statistiquement ahurissant de façons d’être psychotique. » Malheureusement, la conversation sérieuse requise entre le thérapeute, le patient et sa famille n’a pas lieu souvent et ces derniers peuvent demeurer dans l’incompréhension pour longtemps, cumulant beaucoup de questions sans réponses. Et les questions que les patients se posent peuvent être très différentes de celles des familles et surtout de celles des parents. Le patient se concentre surtout sur la stigmatisation de lui-même et peut s’alimenter des mêmes mythes ambiants concernant la maladie et l’accueil sociétal pour les gens souffrant de psychose. Les parents se posent la grande question : « Qu’est-ce que je peux faire pour réparer le mal que j’ai fait » ? Chez les frères et sœurs, on ne retrouve généralement pas cette culpabilité qui gruge l’espoir et l’objectivité, mais plutôt la peur de tomber malade aussi, connaissant les risques familiaux, et aussi la stigmatisation. En revanche, c’est avec ses frères et sœurs que le patient peut connaître les relations les plus sincères et encourageantes. Si l’on peut dire que l’on offre ni les services, ni les traitements optimaux pour beaucoup de patients atteints de schizophrénie, que ce soit par notre ignorance ou notre désespoir thérapeutique, on peut dire que les familles sont, au pire, généralement

Volume 7 Août 2015

On a évoqué le manque de précision diagnostique, surtout au début du traitement et ses effets sur la famille, toujours avec le souci erroné de protéger la famille d’une vérité qu’il fallait divulguer au compte-goutte. Il y a un autre aspect de ce désir de protéger le patient et de respecter son autonomie qui peut nuire au traitement et au partenariat thérapeutique, c’est ce qu’on appelle « la confidentialité ». Il faut souligner le fait que la majorité des gens atteints de schizophrénie sont aptes à consentir, même aux pires moments de leur psychose.

La famille et les schizophrénies Dr David Bloom

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Quand ça va bien et que le jeune demeure dans le noyau familial, il y a une autre question qui se pose : est-ce qu’il serait mieux pour le jeune de quitter le nid familial – et de tenter de voler de ses propres ailes afin d’acquérir de l’autonomie et augmenter son estime de soi – ou de rester (comme bien des jeunes sans psychose le feront pour des raisons économiques) et risquer de devenir de plus en plus dépendant ? Quand ça va moins bien, est-ce qu’il lui serait mieux de quitter le nid familial afin de diminuer la tension et de le soustraire d’une relation dépendante, ou est-ce qu’on est obligé de le garder dans la famille parce que justement, il démontre sa dépendance et qu’un déménagement, même dans une résidence supervisée, serait dangereux ? Et, quand est-ce qu’un parent sera capable de payer sa dette de culpabilité, suffisamment pour permettre un tel abandon émotif  ?

« C’est un voyage très éprouvant, très long et très frustrant, tant à cause de la maladie même que du système dans lequel elle se soigne et de la réalité d’une société pleine de mythes qui rebutent les efforts d’intégration. »

qui ont vécu l’enfer avec leurs enfants une résilience qui permet de réclamer de telles améliorations. Quand les professionnels de la santé n’arrivent pas à combler toutes les lacunes en regard du savoir, du savoir-vivre et du savoir-faire avec un système de soins qui n’est pas toujours axé sur le patient, il se développe d’autres formes de soutien; depuis plusieurs années des regroupements familiaux tels que la Société québécoise de la Schizophrénie et AMI-Québec visent à informer et à former les familles pour mieux naviguer dans leur voyage involontaire sur l’océan des schizophrénies. C’est un voyage très éprouvant, très long et très frustrant, tant à cause de la maladie même que du système dans lequel elle se soigne et de la réalité d’une société pleine de mythes qui rebutent les efforts d’intégration. On est constamment en haute mer, mais les quelques oiseaux d’espoir qui volent au-dessus nous rappellent qu’on s’approche du port. David Bloom est chef médical au programme de déficience intellectuelle avec comorbidité psychiatrique et au programme des troubles psychotiques à la Fondation Douglas – Institut universitaire en santé mentale. Il est également professeur adjoint au département de psychiatrie de l’Université McGill.

La pierre angulaire du traitement des schizophrénies demeure les médicaments antipsychotiques, plusieurs sous forme orale et un bon nombre des mêmes molécules en injection intramusculaire à action prolongée. Chez une minorité de patients généralement avec une autocritique très déficitaire, la seule voie thérapeutique (à cause du refus catégorique de prendre la médication et occasionnellement à cause de la désorganisation du patient) est l’injection. Ce refus provoque non seulement des rechutes qui rendent la maladie de plus en plus difficile à traiter, mais aussi une quasi-impossibilité pour le patient de mener sa vie de façon adéquate. Heureusement, dans ce cas d’inaptitude à consentir, on peut obtenir une autorisation de soin, et si nécessaire dans certains cas, d’hébergement. Certains professionnels de la santé trouvent cette approche barbare et nuisible à la relation thérapeutique, mais quand les patients ne peuvent pas décider à cause de leur maladie, que leur santé est en danger et que le déclin clinique risque d’être irréversible, il faut agir. Les familles ne sont pas toujours au courant de ce processus juridique, mais presque la totalité l’accepte avec soulagement. Et selon les études, la relation patient-psychiatre en souffre rarement une fois le traitement commencé. Depuis une vingtaine d’années, la psychiatrie connait le mouvement de « rétablissement », originaire des États-Unis. Celui-ci place l’accent sur les droits civils des patients (comme pour d’autres minorités désavantagées) et non pas sur les aspects thérapeutiques ou médicaux. Il est sous-entendu qu’un patient-citoyen « a le droit » et les professionnels « ont l’obligation » d’en assurer les échanges respectueux et informatifs et les meilleurs traitements possible. Il est sous-entendu également que plusieurs patients garderont un handicap ou un déficit plus ou moins significatif malgré les traitements prodigués, et à ce point-là, on devrait miser sur l’autonomisation du patient afin de permettre l’espoir à renaitre et de diminuer l’autostigmatisation qui freine l’intégration du patient dans sa communauté. Dans ce mouvement, on note de plus en plus d’accent misé sur les familles, les aidants naturels des gens atteints de maladies graves. Les familles commencent à exiger de meilleurs services et on note chez plusieurs familles

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CE QUE NOUS AVONS FAIT Salle Jean-Claude-Germain 29 septembre au 17 octobre 2015

Le magazine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui


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Textes et mise en bouche David Paquet Œil extérieur Karine Sauvé Scénographie Julie Vallée-Léger Éclairages Marie-Aube St-Amant Duplessis Direction de production Manon Claveau Une création du Crachoir et de David Paquet

10 AU 28 NOVEMBRE 2015


Un duo d’acteurs absolument éclatant ! Radio-Canada

Une performance à couper le souffle. Le Journal de Montréal

Si vous aimez les grandes performances d’acteurs, allez-y ! 98,5 fm

Le jeu des deux comédiens coupe le souffle. Journal Metro

Marc Beaupré, en compagnie des virtuoses acteurs que sont Luc Picard et Sophie Desmarais, a mis toute son intelligence au service de cette œuvre vertigineuse sur la finance et le déclin. Voir

Il faut absolument voir Instructions […] Huffington Post

Un thriller, intelligent et captivant. La Presse

INSTRUCTIONS POUR UN ÉVENTUEL GOUVERNEMENT SOCIALISTE QUI SOUHAITERAIT ABOLIR LA FÊTE DE NOËL Une production du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui

Texte Michael Mackenzie Traduction Alexis Martin Mise en scène Marc Beaupré Interprétation Sophie Desmarais et Luc Picard Collaborateurs Julien Veronneau, Simon Guilbault, Marc Senécal, Eric Champoux, Alexander MacSween et Suzanne Trépanier

Au Théâtre Outremont les 15, 16 et 17 octobre 2015 514 495-9944 | theatreoutremont.ca

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CRÉATION MONDIALE

DU 1 AU 5 SEPTEMBRE 2015 UNE IMMERSION DANS LA VILLE SOUS FORME DE ROAD-TRIP LUDIQUE, PHILOSOPHIQUE ET INTERACTIF EN MINIBUS Une création de Armel Roussel / [e]utopia3 En coproduction avec le Théâtre Les Tanneurs et le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et en partenariat avec le Festival des Francophonies en Limousin (Limoges), le Nest Théâtre – CDN de Thionville Conception Sarah Berthiaume, Gilles Poulin-Denis et Armel Roussel Direction artistique Armel Roussel Textes Collectif d’auteurs de la francophonie (Belgique, Canada, Comores, Congo, France et Suisse) Avec Seize interprètes

ÉVÉNEMENT À VENIR

D R A M AT U R G I E S E N DIALO GUE 20 au 27 août 2015 Centre du Théâtre d’Aujourd’hui Le rendez-vous annuel de la dramaturgie d’ici et d’ailleurs Découvrez les plus récentes pièces de théâtre d’auteurs incontournables du Québec et de Wallonie-Bruxelles. Pendant huit jours, une quarantaine de comédiens monteront sur scène pour donner vie, pour la toute première fois, à ces textes qui affirment, qui questionnent, qui nous révèlent. L’occasion unique d’entendre des prises de parole actuelles, de participer à des échanges sur l’écriture théâtrale et d’aller à la rencontre d’une pluralité d’univers. LECTURES PUBLIQUES | RENCONTRES AVEC LES AUTEURS | SÉMINAIRE INTERNATIONAL DE TRADUCTION | ÉCOLE D’ÉTÉ DU CEAD | FORUMS DE DISCUSSION | PARCE QUE LE THÉÂTRE EST DIALOGUE Une production du Centre des auteurs dramatiques (CEAD) en collaboration avec le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.

dramaturgiesendialogue.com

Centre des auteurs dramatiques @LeCEAD centre des auteurs dramatiques CEAD

CEAD.QC.CA


Volume 7 Ao没t 2015

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Du 3 au 21 novembre 2015

Texte Louis-Dominique Lavigne, assisté du Loup bleu (d’après Tolstoï) Mise en scène Antoine Laprise Assistance à la mise en scène Diane Fortin Interprétation Paul-Patrick Charbonneau, Antoine Laprise, Jacques Laroche, Julie Renault Décor et lumières Christian Fontaine Conception des marionnettes et des costumes Stéphanie Cloutier Accessoires et assistance au décor Erica Schmitz Environnement sonore Martin Tétreault Assistance aux accessoires et au décor Marcel Coulombe,Valérie Gagnon Hamel Fabrication des marionnettes Stéphanie Cloutier, Amélie Montplaisir, Laurelou Famelar Répétitions et regard extérieur Lise Gionet Crédit photo Nicola-Frank Vachon Une coproduction du Théâtre du Sous-marin jaune et du Théâtre de Quartier


LES ABONNEMENTS DE LA

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Différentes façons de s’abonner : En ligne : theatredaujourdhui.qc.ca/abonnements / Par téléphone : 514 282-3900 / Par télécopieur : 514 282-7535 Par la poste : 3900, rue Saint-Denis, Montréal QC, H2W 2M2

TARIFS ET PRIVILÈGES

Soyez privilégiés

L’abonnement fou! (les 10 spectacles de la saison)

L’abonnement vous permet de profiter de multiples avantages. Des petits plus qui changent tout !

• 30 ans et – 200$ au lieu de 245$ • Régulier 240$ au lieu de 310$ • 60 ans et + 205$ au lieu de 265$

• Changez de date sans frais (à 48h d’avis, selon la disponibilité des sièges)

L’abonnement essentiel

• Ayez accès aux meilleures places disponibles

(les 5 spectacles de la salle principale : Sauvageau Sauvageau + Guerre et paix + Le long voyage de Pierre-Guy B. + Après + Unité modèle) • 30 ans et – 110$ au lieu de 130$ • Régulier 140$ au lieu de 175$ • 60 ans et + 115$ au lieu de 145$

L’abonnement découverte (les 3 créations du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui : Sauvageau Sauvageau + Après + Unité modèle) • 30 ans et – 69$ au lieu de 78$ • Régulier 90$ au lieu de 105$ • 60 ans et + 72$ au lieu de 87$

• Recevez vos billets par la poste gratuitement • Ajoutez à la carte des spectacles de la salle Jean-Claude-Germain ou des évènements spéciaux à tarifs réduits • Bénéficiez d’un rabais pour l’évènement Dramaturgies en dialogue, présenté par le Centre des auteurs dramatiques (3 lectures pour 27$) • Invitez un ami à vous accompagner à un des 5 spectacles de la salle principale au tarif réduit de 22$ (pour les abonnements essentiels uniquement, selon la disponibilité des sièges)

• Dès la 2e année consécutive en tant qu’abonné du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, accédez à un rabais additionnel sur votre réabonnement! • Dès la 4e année consécutive, accédez au statut d’Ami du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui qui vous donne droit à un verre avant ou après le spectacle (bière, vin ou boisson non alcoolisée) et au vestiaire gratuit.

Partenaires culturels • TOHU 15 % de rabais • Musée des Beaux-Arts de Montréal 15 % de rabais • Danse Danse 15 % de rabais • Orchestre Métropolitain 15 % de rabais • Opéra de Montréal 10 % de rabais Le rabais est valable pour 1 billet à prix courant par abonné et par spectacle, sur présentation de votre carte d’abonné.


ÉTAPE 1 : CHOISISSEZ L’ABONNEMENT QUI VOUS CORRESPOND L’abonnement fou !

L’abonnement essentiel

L’abonnement découverte

Sauvageau Sauvageau + Guerre et paix + Le long voyage de Pierre-Guy B. + Après + Unité modèle + Ce que nous avons fait + Papiers mâchés + Queue cerise + Un animal (mort) + Starshit

Sauvageau Sauvageau + Guerre et paix + Le long voyage de Pierre-Guy B. + Après + Unité modèle

Sauvageau Sauvageau + Après + Unité modèle

• 30 ans et –

x 200$

• 30 ans et –

x 110$

• 30 ans et –

x 69$

• Régulier

x 240$

• Régulier

x 140$

• Régulier

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• 60 ans et +

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• 60 ans et +

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Total 1 :

Ajoutez à votre abonnement des spectacles de la salle Jean-Claude-Germain • 30 ans et -

• Régulier

• 60 ans et +

Ce que nous avons fait

x 20$

x 24$

x 20$

Papiers mâchés

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Queue cerise

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x 20$

Un animal (mort)

x 20$

x 24$

x 20$

Starshit

x 20$

x 24$

x 20$

Ajoutez à votre abonnement des évènements spéciaux • 30 ans et -

Total 2 :

• Régulier

$

$

• 60 ans et +

Après la peur

x 22$

x 26$

x 24$

Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël

x 28$

x 40$

x 37$

x 22$

x 30$

x 25$

au Théâtre Outremont

Les trois exils de Christian E.

Total 3 :

$


ÉTAPE 2 : TROUVEZ LES DATES QUI VOUS CONVIENNENT Sauvageau Sauvageau

Guerre et paix

Yves Sauvageau Christian Lapointe

CALENDRIER SALLE PRINCIPALE

Philippe Soldevila Christian Essiambre Pierre Guy Blanchard

22 SEPT. 2015

19H

MER

23 SEPT. 2015

20H 4 NOV. 2015

20H 20 JANV. 2016

20H

5 NOV. 2015

20H 21 JANV. 2016

20H

VEN

25 SEPT. 2015

20H 6 NOV. 2015

20H 22 JANV. 2016

SAM

26 SEPT. 2015

20H 7 NOV. 2015

20H 23 JANV. 2016

MAR

29 SEPT. 2015

MER

30 SEPT. 2015

19H 10 NOV. 2015 20H*

11 NOV. 2015

Après

Unité modèle

Serge Boucher René Richard Cyr

Guillaume Corbeil Sylvain Bélanger

23 FÉVR. 2016

19H 12 AVR. 2016

19H

24 FÉVR. 2016

20H 13 AVR. 2016

20H

20H

26 FÉVR. 2016

20H 15 AVR. 2016

20H

20H

27 FÉVR. 2016

20H 16 AVR. 2016

20H

19H 26 JANV. 2016

19H

1 MARS 2016

20H* 27 JANV. 2016

20H*

2 MARS 2016

19H 19 AVR. 2016 20H*

20 AVR. 2016

19H 20H*

JEU

1 OCT. 2015

20H 12 NOV. 2015

20H 28 JANV. 2016

20H

3 MARS 2016

20H 21 AVR. 2016

20H

VEN

2 OCT. 2015

20H 13 NOV. 2015

20H 29 JANV. 2016

20H

4 MARS 2016

20H 22 AVR. 2016

20H

SAM

3 OCT. 2015

20H 14 NOV. 2015

20H 30 JANV. 2016

20H

5 MARS 2016

20H 23 AVR. 2016

20H

DIM

4 OCT. 2015

15H 15 NOV. 2015

15H 31 JANV. 2016

15H

6 MARS 2016

15H 24 AVR. 2016

15H

MAR

6 OCT. 2015

19H 17 NOV. 2015

19H 2 FÉVR. 2016

19H

8 MARS 2016

19H 26 AVR. 2016

19H

MER

7 OCT. 2015

20H 18 NOV. 2015

20H 3 FÉVR. 2016

20H

9 MARS 2016

20H 27 AVR. 2016

20H

JEU

8 OCT. 2015

20H 19 NOV. 2015

20H 4 FÉVR. 2016

20H

10 MARS 2016

20H 28 AVR. 2016

20H

VEN

9 OCT. 2015

20H 20 NOV. 2015

20H 5 FÉVR. 2016

20H

11 MARS 2016

20H 29 AVR. 2016

20H

SAM

10 OCT. 2015

20H 21 NOV. 2015

20H 6 FÉVR. 2016

20H

12 MARS 2016

20H 30 AVR. 2016

20H

Ce que nous avons fait Pascal Brullemans Michel-Maxime Legault

MAR

CALENDRIER SALLE JEAN-CLAUDE-GERMAIN

Le long voyage de Pierre-Guy B.

MAR JEU

29 SEPT. 2015

Papiers mâchés

Queue cerise

David Paquet

19H 10 NOV. 2015

Un animal (mort)

Amélie Dallaire Olivier Morin

19H 26 JANV. 2016

Félix-Antoine Boutin

19H

8 MARS 2016

Starshit

Jonathan Caron Julie Renaud Luc Bourgeois

19H 5 AVR. 2016

19H

MER

30 SEPT. 2015

20H 11 NOV. 2015

20H 27 JANV. 2016

20H

9 MARS 2016

20H 6 AVR. 2016

20H

JEU

1 OCT. 2015

20H 12 NOV. 2015

20H 28 JANV. 2016

20H

10 MARS 2016

20H 7 AVR. 2016

20H

VEN

2 OCT. 2015

20H 13 NOV. 2015

20H 29 JANV. 2016

20H

11 MARS 2016

20H 8 AVR. 2016

20H

SAM

3 OCT. 2015

20H 14 NOV. 2015

20H 30 JANV. 2016

20H

12 MARS 2016

20H 9 AVR. 2016

20H

MAR

6 OCT. 2015

19H* 17 NOV. 2015

19H* 12 AVR. 2016

19H*

19H*

2 FÉVR. 2016

19H* 15 MARS 2016

MER

7 OCT. 2015

20H 18 NOV. 2015

20H 3 FÉVR. 2016

20H

16 MARS 2016

20H 13 AVR. 2016

20H

JEU

8 OCT. 2015

20H 19 NOV. 2015

20H 4 FÉVR. 2016

20H

17 MARS 2016

20H 14 AVR. 2016

20H

VEN

9 OCT. 2015

20H 20 NOV. 2015

20H 5 FÉVR. 2016

20H

18 MARS 2016

20H 15 AVR. 2016

20H

SAM

10 OCT. 2015

20H 21 NOV. 2015

20H 6 FÉVR. 2016

20H

19 MARS 2016

20H 16 AVR. 2016

20H

Après la peur

Collectif d'auteurs

CALENDRIER ÉVÈNEMENTS SPÉCIAUX

Louis-Dominique Lavigne Loup bleu Antoine Laprise

Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste...** Michael Mackenzie Marc Beaupré

MAR

1 SEPT. 2015

19H

MER

2 SEPT. 2015

19H

JEU

3 SEPT. 2015

19H 15 OCT. 2015

Les trois exils de Christian E.

Christian Essiambre Philippe Soldevila

20H

VEN

4 SEPT. 2015

19H 16 OCT. 2015

20H

SAM

5 SEPT. 2015

19H 17 OCT. 2015

20H 23 JANV. 2016

16H

SAM

30 JANV. 2016

16H

SAM

6 FÉVR. 2016

16H

* représentation suivie d’une rencontre avec l’équipe du spectacle ** représentations au Théâtre Outremont


15/ 16

ÉTAPE 3 : QUI ÊTES-VOUS? L’ABONNEMENT SERA AU NOM DE :

○ Mme ○ M.

Nom :

Tél. cell. :

Tél. maison :

Tél. travail :

Adresse postale :

Ville :

Code postal :

Courriel :

Je veux recevoir les billets… Je veux recevoir les bulletins aux abonnés…

○ par la poste ○ au guichet ○ par la poste ○ par courriel

Noms et courriels des coabonné(e)s :

Type de places :

○ En 1ère rangée ○ Bord d’allée ○ ○ Autres :

Mêmes places que la saison dernière

ÉTAPE 4 : RÉGLEZ VOTRE ABONNEMENT J’AIMERAIS APPUYER LE THÉÂTRE EN EFFECTUANT UN DON DE :

$

(un reçu fiscal sera remis pour tout don supérieur à 20$) GRAND TOTAL (TOTAL 1 + TOTAL 2 + TOTAL 3 + TOTAL 4) = Mode de paiement :

Total 4:

$

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○ Chèque à l’ordre du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui ○ Visa ○ Mastercard

Titulaire de la carte :

Numéro de la carte :

Exp. (année / mois) :

/


6 BMO Groupe financier s’associe au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui pour décerner ce prix annuel – doté d’une bourse de 10 000 $ – à un auteur dont la pièce est la plus acclamée par le public. Le Prix auteur dramatique a été créé pour encourager la création québécoise. Les feux de la rampe sont réorientés, les auteurs sont mis en lumière ! À la fin du spectacle, déposez le coupon de vote accolé à votre billet dans l’urne prévue à cet effet dans le hall du théâtre. Les auteurs en lice pour la saison 15/16 sont :

Christian Lapointe pour Sauvageau Sauvageau

Serge Boucher pour Après

Pascal Brullemans pour Ce que nous avons fait

Félix-Antoine Boutin pour Un animal (mort)

Louis-Dominique Lavigne et Loup bleu pour Guerre et paix

Jonathan Caron et Julie Renault pour Starshit

David Paquet pour Papiers mâchés

Guillaume Corbeil pour Unité modèle

Amélie Dallaire pour Queue cerise

Prix BMO « L’intérêt réel d’un tel prix est cette « tape dans le dos » qui peut être salutaire, vitale, dans le parcours d’un auteur. Cette reconnaissance qui donne envie d’aller plus loin. Ce « t’es pas tout seul, mon gars » qui donne des ailes. Ce coup de pouce qui permet à une œuvre de naitre alors qu’un essoufflement se faisait sentir. Cette gourde tendue par un spectateur qui permet au marathonien de poursuivre sa course.

Photo : Monique Richard

Car le parcours d’un auteur est un parcours solitaire où le temps consacré à l’écriture est un gouffre infini, où l’écriture devient un don de soi, une recherche qui s’éternise et ne se terminera jamais. Par moment cette solitude de l’écriture peut peser jusqu’à écraser, peut vider l’acte d’écrire de tout son sens. Un prix comme celui du CTD’A devient alors ce second souffle qui aide à ne pas abandonner. Il devient cette reconnaissance qui nous permet d’entrer en relation avec un public invisible lorsque les mots s’enlignent sur notre écran. Il gonfle les voiles de notre désir de lancer notre dramaturgie plus avant. C’est ce qu’il fut pour moi. Par ce fait, je crois qu’un tel prix permet à la dramaturgie québécoise d’évoluer et de se faire entendre. Il lui permet de briller et de faire connaître notre parole. » - Simon Boudreault, lauréat du Prix auteur dramatique BMO Groupe financier 2014.

La pièce As is (tel quel) sera en reprise à l’automne au Théâtre Jean-Duceppe et au Centre National des Arts à Ottawa. Lauréats du Prix auteur dramatique BMO Groupe financier Saison 2013/2014 : Simon Boudreault pour As is (tel quel) Saison 2012/2013 : Christian Essiambre et Philippe Soldevila pour Les trois exils de Christan E. Saison 2011/2012 : Rébecca Déraspe pour Deux ans de votre vie


DIRECTION ARTISTIQUE SYLVAIN BÉLANGER

SAUVAGEAU SAUVAGEAU UN SPECTACLE DE CHRISTIAN LAPOINTE D’APRÈS L’ŒUVRE D’YVES SAUVAGEAU AVEC PAUL SAVOIE ET GABRIEL SZABO

GUERRE ET PAIX TEXTE LOUIS-DOMINIQUE LAVIGNE ASSISTÉ DE LOUP BLEU MISE EN SCÈNE ANTOINE LAPRISE AVEC PAUL-PATRICK CHARBONNEAU, ANTOINE LAPRISE, JACQUES LAROCHE ET JULIE RENAULT

LE LONG VOYAGE DE PIERRE-GUY B. TEXTE PHILIPPE SOLDEVILA, CHRISTIAN ESSIAMBRE ET PIERRE GUY BLANCHARD MISE EN SCÈNE PHILIPPE SOLDEVILA AVEC PIERRE GUY BLANCHARD

UNITÉ MODÈLE TEXTE GUILLAUME CORBEIL MISE EN SCÈNE SYLVAIN BÉLANGER AVEC ANNE-ÉLISABETH BOSSÉ ET PATRICE ROBITAILLE

ET CHRISTIAN ESSIAMBRE

APRÈS TEXTE SERGE BOUCHER MISE EN SCÈNE RENÉ RICHARD CYR AVEC MAUDE GUÉRIN ET ÉTIENNE PILON

+ 5 SPECTACLES DANS LA SALLE JEAN-CLAUDE-GERMAIN ET DES ÉVÉNEMENTS SPÉCIAUX ABONNEMENTS À PARTIR DE 69 $ ABONNEZ-VOUS ET BÉNÉFICIEZ D’AVANTAGES POUR PROFITER PLEINEMENT DE VOTRE SAISON 15/16 !

CENTRE DU THÉÂTRE D’AUJOURD’HUI — 3900 RUE ST-DENIS MTL QC H2W2M2 514 282-3900 THEATREDAUJOURDHUI.QC.CA


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